1Après la révolution de Juillet, les municipalités sont renouvelées. Le maire ainsi que les membres du conseil municipal, nommés par le roi, adoptent désormais des idées plus libérales. Un an après, la loi du 21 mars 1831 organisant les premières élections municipales depuis la Révolution ne change rien à leur couleur politique initiale. La nouvelle législation admet alors le principe d’une élection des conseillers par les contribuables les plus imposés auxquels on adjoint certains notables appartenant aux capacités. Dans cette catégorie sont compris, entre autres, les juges, les avocats, les membres des sociétés savantes ou les anciens officiers. Au sein de ces municipalités aux vues plus modernes, l’instruction primaire jouit d’une faveur toute particulière. L’anticléricalisme de nombreux conseillers va également compter. En effet, ces derniers essaient de créer des écoles indépendamment de l’influence congréganiste. Dans ce contexte, l’enseignement mutuel est, de nouveau, à l’honneur et chaque ville cherche à le développer. Cependant, la tâche va se révéler rude. Soutenir l’enseignement mutuel suppose non seulement de payer les maîtres et les fournitures mais aussi de trouver les locaux adéquats ou d’en construire de nouveaux. Cela suppose aussi de l’étendre aux filles. Il faut également tenir compte de la concurrence faite par des écoles chrétiennes bien implantées. Doit-on les supprimer, les laisser prospérer en dehors de tout contrôle ou bien au contraire les faire rentrer dans le giron communal ?

2Pour des raisons qui tiennent à la possibilité de les comparer entre elles, seules cinq localités ont été retenues, à savoir Brest, Lorient, Nantes, Rennes et Saint-Brieuc. En effet, ce sont des villes importantes qui sont, chacune, les plus peuplées de leur département respectif. Grâce à cette caractéristique, elles entretiennent toutes une grande école mutuelle comportant plus de 100 élèves, ce qui permet la pratique de la méthode conformément aux principes édictés par les fondateurs. Enfin, elles présentent une continuité historique avec la période antérieure, c’est-à-dire que l’enseignement mutuel y a été introduit dès la Restauration même si à Rennes et Saint-Brieuc, il a disparu pendant quelques années avant de réapparaître.

Un vain combat contre les Frères

3Assurément, même si des nuances existent, l’esprit anticlérical domine les municipalités issues de la révolution de Juillet. Cependant, les grandes villes bretonnes n’héritent pas de la même situation du point de vue de la concurrence scolaire. À cet égard, la seule ville où l’enseignement mutuel est exclusif à tout autre pour les enfants pauvres est Lorient. À Brest, on observe un équilibre entre les deux systèmes. Au contraire, Nantes, Rennes et Saint-Brieuc sont dominées par les lasalliens. En outre, dans ces deux dernières villes, la bourgeoisie libérale désormais en charge des affaires communales, projette de rétablir l’école mutuelle disparue.

4Les municipalités qui entretiennent des congréganistes auraient pu renvoyer les Frères comme à Perpignan ou à Chalon-sur-Saône où l’éviction des religieux s’accompagne de violences1. Un conseiller rennais propose bien cette solution mais celle-ci n’est pas adoptée. Leurs écoles sont trop bien implantées pour qu’on puisse prendre le risque de mécontenter une grande partie de la population. Et puis, où iraient ces enfants ? Les écoles mutuelles ne sont pas assez nombreuses pour les accueillir quand elles existent. Malgré tout, à Rennes, Nantes et Saint-Brieuc, une partie des conseillers municipaux va tenter de freiner le succès des Frères. Leur action va s’exercer dans trois directions. La première a pour but de réduire les allocations destinées aux religieux, la seconde de les empêcher d’ouvrir de nouvelles écoles et la troisième de les contrôler en leur imposant la sujétion communale. La loi du 28 juin 1833, en distinguant clairement les écoles publiques de celles qui relèvent de l’initiative privée, vient d’ailleurs conforter les municipalités dans ces deux derniers choix.

5S’agissant des tentatives pour réduire ou freiner le financement des Frères, elles se révèlent toutes vaines. Les réductions opérées à Rennes sont trop minimes et ne dissuadent en rien les Frères de maintenir leurs écoles telles qu’elles existaient sous la Restauration. En effet, la municipalité a voulu limiter à seulement 7 600 francs une subvention qu’elle portait auparavant à 8 200 francs. La décision, plus radicale, des conseillers briochins, en 1833, de leur supprimer toute allocation est tout aussi inefficace. Cette décision est annulée un an plus tard par la volonté des Frères de faire reconnaître leur école comme communale conformément à la nouvelle loi sur l’instruction primaire. En acceptant cette tutelle, la ville de Saint-Brieuc s’oblige à financer de nouveau cet établissement. Ce faisant, elle comprend sans doute que les religieux, avec les services qu’ils rendent en accueillant une majorité des enfants pauvres, sont devenus très populaires et qu’il n’est pas possible de les ignorer. Finalement, l’épreuve la plus sévère pour les Frères est observée à Nantes. Ainsi, dans cette ville, le conseil municipal, sans essayer de réduire ou de supprimer les subventions, réussit à limiter à 6 000 francs la somme octroyée aux écoles chrétiennes pendant vingt ans alors que leurs établissements, pourtant communaux, voient, dans le même temps, leurs effectifs augmenter considérablement. Ils étaient compris entre 1 050 et 1 200 en 1829. Ils s’élèvent à 3 000 environ en juin 1850. Parallèlement, les congréganistes en charge des enfants sont également plus nombreux, passant de 14, en 1830 à 35, en 1850. Si cet accroissement a été possible, c’est parce que les Frères ont bénéficié du soutien financier d’une partie importante de la bourgeoisie locale. En effet, pendant toute cette époque, celle-ci a pu pallier, à travers les souscriptions organisées par la société de la Providence, les insuffisances de la municipalité.

6Une autre manière, pour les édiles, de limiter l’influence des Frères est de leur refuser la création de nouvelles écoles. En réalité, il n’y a qu’à Brest où cela se produit. Ainsi, en 1837, la demande de fonder une école chrétienne dans le quartier de Recouvrance est l’objet d’une pétition d’habitants déposée auprès du conseil municipal. Il faut sans doute voir derrière cette initiative la main du clergé qui entend prendre de court le projet de la ville d’y construire une grande école mutuelle. Quoi qu’il en soit, les édiles ne tiennent pas à voir leur idée compromise et la concurrence scolaire s’installer dans ce quartier. Aussi, renoncent-ils à donner suite à cette doléance. Trois ans plus tard, une nouvelle pétition est présentée pour le même motif, en vain.

7Cependant, après 1845, l’école mutuelle de Recouvrance, pourtant construite à grands frais, n’a plus la confiance des parents. Ses effectifs baissent drastiquement. En 1849, l’aversion envers cet établissement est telle que 150 enfants environ passent quotidiennement la rivière de la Penfeld pour se rendre à l’école des Frères située sur la rive opposée. Cette situation provoque une surpopulation dans l’unique école chrétienne de la ville qui compte alors plus 700 élèves pour des locaux qui ne peuvent en accueillir plus de 500. Plusieurs habitants de Recouvrance renouvellent, par conséquent, pour la troisième fois, la demande d’ouverture d’une école dirigée par les lasalliens dans leur quartier. Après une longue discussion, l’assemblée municipale donne finalement son accord.

8Ainsi, ne parvenant pas à diminuer l’influence des congréganistes, il ne reste plus pour les municipalités qu’à exercer une surveillance et un contrôle sur leurs écoles. Elles vont tenter de le faire, soit par l’intermédiaire des comités locaux d’instruction primaire où elles ont souvent plusieurs représentants, dont le maire qui en est le président, soit directement par des décisions prises au sein du conseil municipal.

9En mai 1840, le comité local de Saint-Brieuc, auquel se sont adjoints des membres du comité d’arrondissement pour la visite des écoles de la ville, constate

« qu’à l’école des Frères de Saint-Yon la calligraphie est enseignée avec beaucoup de fruits, que la mémoire y est bien exercée, mais que sur plusieurs matières le mode d’enseignement laisse à désirer, surtout pour le développement de l’intelligence par l’explication des mots qui trop souvent ne laissent dans l’esprit des élèves l’empreinte d’aucune idée2 ».

10À Rennes, le comité local ne paraît pas plus satisfait que son homologue briochin de la pédagogie en usage dans les écoles de Frères. Dans un rapport adressé à sa séance du 12 février 1835, Hamon, futur conseiller municipal, déclare :

« Il semble qu’on ne connaisse dans l’établissement aucune des nouvelles méthodes consacrées par le succès, et qu’on y dédaigne même le perfectionnement apporté aux méthodes anciennes. Ainsi, par exemple, on y suit encore la plus vieille méthode d’épellation et de lecture ; ainsi, on ne commence l’écriture qu’après la lecture, quand les enfants commencent déjà à lire des phrases, au lieu de les enseigner de front ; ainsi, encore, point de tableau de lecture, ni d’arithmétique, ni de grammaire, point de carte muette, les élèves n’en dressent point eux-mêmes3 […]. »

11Le comité local préconise comme principale mesure d’amélioration que les religieux introduisent des moniteurs dans leurs écoles. Son vœu ayant été porté devant le conseil municipal, ce dernier vote, en août 1836, que les Frères ne recevront leur allocation annuelle qu’à deux conditions. Premièrement, ils doivent remplacer, sur leurs édifices, l’inscription « école chrétienne » par la suivante : « établissement municipal des frères de la doctrine chrétienne ». Deuxièmement, ils sont contraints d’adopter l’enseignement mutuel dans leurs institutions.

12Bien sûr, les religieux ne sont pas pressés de rendre effectives les modifications qu’on les oblige à adopter. Ainsi, un an plus tard, les enseignes aux frontons de leurs écoles n’ont toujours pas été changées. L’enseignement mutuel n’a pas, non plus, été introduit. Un conseiller fait remarquer que les religieux ne peuvent pas mettre en place la nouvelle méthode s’ils ne sont pas pourvus du matériel et du mobilier adéquats. On vote donc 800 francs à cette fin4. Grâce à cet effort financier et sans doute pour se concilier la bienveillance municipale, il semble que les lasalliens aient accepté de se servir de l’enseignement mutuel dans leurs établissements. Du moins, c’est ce que laisse entendre une délibération du comité local datant de juin 1838.

13Si à Rennes, on suppose seulement l’utilisation par les Frères de certains procédés caractéristiques de la méthode mutuelle, cela est prouvé à Brest et à Saint-Brieuc. En effet, dans le port finistérien, en septembre 1842, le frère directeur demande la possibilité au maire de différer l’entrée de quatre de leurs moniteurs à l’école supérieure5. En outre, la structure de leurs classes s’apparente à celle de leurs concurrentes. À ce propos, le frère directeur précise dans un rapport adressé à la municipalité :

« Dans les écoles chrétiennes, les élèves sont toujours classés par divisions puisqu’elles se composent de 2, 3, 4 et 5 classes. Pour exciter l’émulation et accélérer les progrès, les élèves de chaque classe sont encore classés par division dans chaque spécialité à l’aide des compositions qui ont lieu trois fois par semaine6. »

14Quant à l’école chrétienne de Saint-Brieuc, les détails de l’organisation pédagogique révèlent un emploi courant des moniteurs et une gradation des classes comparable au système lancastérien. Ainsi, concernant la classe des élèves les plus avancés, le frère directeur explique :

« À 1 h ½, examen des leçons que les écoliers ont récitées. Pour faire cet examen, les enfants se placent en différents endroits de la classe et étant groupés de dix en dix des moniteurs font réciter chacun sa dizaine lesquels récitent au maître ou au moniteur général. Pendant cette ½ heure le maître s’assure si les moniteurs remplissent bien leur devoir.
À 2 heures, l’arithmétique. Les enfants sont placés en face des tableaux noirs. Les enfants étant rangés par ordre d’arithmétique et ayant chacun leur questionnaire en main et un moniteur en tête, on commence les opérations d’arithmétique. Chaque enfant de son ordre va opérer au tableau, il (le moniteur) a soin de faire gagner des places aux plus intelligents7. »

15En ce qui concerne la 6^e classe, c’est-à-dire celle des commençants, les emprunts au mode mutuel sont également évidents :

« Le mode d’enseignement pour cette classe est mixte. Ceux qui ne sont pas capables de pouvoir suivre seuls dans un livre pendant qu’un autre de la même leçon lit tout haut, ceux-là, dis-je, sont placés en face des tableaux de lecture, de dix en dix. Des moniteurs choisis dans les ordres supérieurs sont choisis pour les faire lire. Le maître surveille, fait lire ceux qui peuvent suivre ensemble dans une même leçon, fait aussi lire ceux qui sont employés par les moniteurs8. »

16En réalité, il semble que, dès la fin des années 1830, les lasalliens aient généralement adopté la méthode mixte comme l’affirme l’inspecteur Lequinquis dans son rapport de 1842. Aussi, la méthode pédagogique est-elle de moins en moins une différence séparant les deux types d’école. Pour les municipalités, l’enjeu change. Désormais, il s’agit moins de proclamer les mérites d’un enseignement sur l’autre mais davantage de contrôler l’administration des écoles communales, surtout celle des Frères.

Construire de nouvelles écoles, une gageure

17Un des aspects les plus importants traduisant l’effort des municipalités envers l’enseignement mutuel a trait aux locaux. Celles-ci ne peuvent ignorer les exigences en termes d’espace et d’aménagements nécessaires à un exercice satisfaisant de la méthode. Nantes opte pour la location d’une habitation privée. Saint-Brieuc dispose déjà de l’établissement construit en 1820. Quant à Rennes, si les édiles cherchent à y édifier une autre école mutuelle, aucun projet n’aboutit. Finalement, seules les villes de Brest et Lorient offrent des exemples de réalisations architecturales.

18Dans le port finistérien, le premier projet concerne l’école de Recouvrance. Au début, il s’agit simplement de transférer cette dernière dans un lieu plus adéquat. En effet, à cette époque, elle est située rue de la Pointe dans un immeuble qui comprend, outre l’école, des logements habités par des particuliers. Cela pose des problèmes de voisinage. La solution la plus satisfaisante serait d’utiliser l’ancienne chapelle dite de la Congrégation. Cet édifice permettrait de disposer d’un espace suffisant pour y établir à la fois une salle d’asile au rez-de-chaussée et l’école mutuelle à l’étage. Mais pour que cela se réalise, il faut que la ville de Brest acquière cette propriété qui appartient à la paroisse de Saint-Sauveur. On pense que cette dernière ne fera aucune difficulté. En effet, la vieille chapelle étant située tout près de l’église paroissiale, celle-ci ne présente pas d’utilité du point de vue du culte. En outre, on s’attend à ce que les membres de la fabrique donnent leur aval à un projet dont la nature est avant tout philanthropique. Or, le curé de Recouvrance, l’abbé Inisan, lorsqu’il prend connaissance des intentions municipales, est loin de les approuver. Il veut bien qu’on cède l’ancienne chapelle mais à condition que ce soit pour y établir une école de Frères. Les vues de l’ecclésiastique sont d’ailleurs partagées par une partie du conseil municipal. Finalement, le refus du conseil de fabrique de vendre l’ancienne chapelle met un terme au projet municipal.

19Deux ans plus tard, en mai 1836, la situation matérielle des écoles primaires communales n’a toujours pas été améliorée. Les deux écoles mutuelles sont logées dans des locaux trop exigus et l’école des Frères exige des réparations. À cette époque, 600 élèves sont accueillis dans ces différents établissements, à savoir 120 dans l’école mutuelle située côté ville, 150 dans celle établie à Recouvrance et 330 chez les Frères. On estime également que 300 enfants indigents, âgés de 8 à 14 ans, restent encore à scolariser. Face à son souci de procurer l’instruction primaire à tous ces enfants, le conseil municipal arrête les décisions suivantes :

« 1° Il sera construit sur le terrain des anciens lavoirs et de l’abreuvoir, une salle de dessin qui servira provisoirement à une école primaire élémentaire, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu à l’établissement d’une école définitive dans un lieu plus convenable, tel que le terrain du Pont de terre ou tout autre équivalent. 2° Monsieur le Maire est autorisé à faire l’acquisition d’une maison sise rue Charonnière et attenant à l’école des frères ; au moyen de quoi l’établissement des frères sera reconstruit, vu son état de ruine et de vétusté, et les salles propres à recevoir 400 élèves. […] 3° Ce magistrat est également autorisé à traiter de l’acquisition d’un champ situé à Recouvrance entre l’enclos des hangars de l’artillerie et la rue projetée dans le prolongement de celle de Vauban pour y construire une école d’enseignement mutuel pouvant contenir 400 élèves, et pour une salle d’asile pouvant recevoir 200 enfants9. »

20Outre les écoles primaires, on a aussi prévu de construire deux salles d’asile destinées aux plus jeunes enfants. L’ensemble de la dépense pour les cinq établissements est évalué à 175 000 francs, à savoir 44 000 francs pour les Frères, 83 840 francs pour les écoles d’enseignement mutuel et 48 000 francs pour les salles d’asile. Cependant, on ne retient, faute de ressources suffisantes, que les projets les plus urgents, à savoir la reconstruction de l’école chrétienne et l’édification de l’école mutuelle de Recouvrance. Le total des devis pour ces travaux est d’environ 75 000 francs. La ville de Brest ne peut financer, sur ses fonds propres, que 22 800 francs, ce qui correspond à peine au tiers de la somme nécessaire. Aussi, demande-t-elle un secours gouvernemental de 25 000 francs. Évidemment, cela n’était pas encore suffisant pour solder le coût global de l’entreprise. On pouvait bien sûr compter sur l’imposition extraordinaire que permettait la loi du 28 juin 1833. Mais les 3 centimes additionnels autorisés n’offraient environ que 7 800 francs annuels. Le conseil municipal décide, devant cette difficulté, de reporter à 1840 et 1841 la question du financement restant à combler. En attendant, les travaux sont votés pour 1839.

21En avril 1838, les plans et devis pour l’école mutuelle de Recouvrance sont déjà dressés par l’architecte voyer de la ville qui a pris connaissance des dispositions gouvernementales à cet égard. Le comité supérieur d’instruction primaire, consulté sur ce sujet, a demandé quelques modifications au projet initial. Il s’est ainsi prononcé pour la suppression des colonnes à l’intérieur de la salle, une couverture en ardoise en non en zinc et une disposition des lieux permettant d’accueillir 300 élèves et non pas 240. Ces changements sont tous acceptés par le conseil municipal.

22Trois ans après le vote des travaux, la nouvelle école de Recouvrance peut enfin ouvrir. Celle-ci est prévue pour le 1^er avril 1841. Dans le même temps, on conçoit qu’il est urgent de remplacer la seconde école mutuelle, celle située du côté de Brest et installée dans l’ancien bureau des marchands, rue de la Mairie. On décide donc en 1840 de faire dresser les plans et devis pour une deuxième construction scolaire. Les terrains dits du Mont Louët, situés entre l’église Saint-Louis et l’hôpital de la marine, seront choisis pour cette implantation. Celle-ci sera ouverte en septembre 1844.

23À Lorient, c’est le maire, Villemain, qui soumet le projet de construire une école mutuelle devant accueillir environ 400 élèves. Il doit convaincre l’assemblée municipale de la justesse de cette idée car la commission du budget ne l’a pas approuvée pour des raisons de coût. Aussi, se lance-t-il dans un véritable plaidoyer en faveur de l’instruction primaire. Celle-ci doit être, selon lui, la priorité de la municipalité et il espère « faire sortir pour la classe malheureuse quelques bienfaits en rapport avec la révolution de Juillet10 ». Il explique sur quoi repose la volonté de l’administration communale qu’il représente :

« C’est sur la conviction acquise par elle qu’aujourd’hui le besoin le plus vivement senti par 15 à 16 000 des habitants de Lorient est celui de l’instruction primaire. C’est sur la nécessité de faire cesser le plus tôt possible cette inégalité choquante qui jusqu’à présent n’admet à ce bienfait qu’un seul enfant lorsque 6 y ont un pareil droit. C’est sur la justice qu’il y aurait à faire pour les classes pauvres et par conséquent pour les 19/20 de notre population, au moyen d’une très minime allocation, pendant peu d’années, ce que vous avez fait pour la classe aisée en créant un collège qui a coûté plus de 150 000 francs payés par tous les habitants sans distinction. C’est le grave inconvénient qui existe pour le petit nombre des enfants admis à l’école actuelle d’y être serrés et entassés d’une manière réellement nuisible à leur santé11. »

24Le projet retenu est celui d’un bâtiment situé à l’emplacement de l’ancien cimetière jouxtant l’église Saint-Louis, au cœur de la ville. Il doit abriter à la fois une halle aux pains, au rez-de-chaussée, et l’école mutuelle, à l’étage. En réalité, il s’agit de tirer profit de la halle dont les taxes permettront de financer, en partie, la construction scolaire. On le voit, il n’y a pas de petites économies. Au préalable, un concours entre différents architectes est proposé. Quatre concurrents exécutent les plans et devis demandés. Cependant, ceux-ci ne conviennent pas à la commission municipale en charge du projet. La principale difficulté réside dans l’étroitesse du passage existant entre le mur de l’église et le bâtiment à construire. On craint que la halle ne demeure, de ce fait, obscure et mal aérée. Après avoir, pendant un temps songé à faire construire la « halle-école » dans un autre endroit de la ville, on revient à la première idée mais l’édifice doit subir des aménagements pour gagner de la clarté. En conséquence, les architectes sont invités à revoir leurs projets. Trois sont de nouveaux présentés devant le conseil municipal qui émet une préférence pour celui intitulé « émulation ». Cependant, il ne veut pas trancher en sa faveur et laisse cette décision au Conseil des bâtiments civils qui doit donner son aval. Finalement, c’est bien le projet « émulation » qui est retenu.

25Comme les plans de ce projet ont été conservés ainsi que ceux de l’école mutuelle de Recouvrance à Brest, la comparaison entre les deux édifices peut être faite. À Lorient, la vue en coupe du bâtiment comporte, au rez-de-chaussée, un alignement d’arcades très élevées, cela, sans doute, afin de laisser passer un maximum de lumière dans la halle. L’entrée du marché est indépendante de celle de l’école. Celle-ci a une longueur importante, 40 mètres environ. Ainsi, face à l’estrade du maître sont alignées 42 tables censées recevoir 10 élèves chacune. Le long des murs ont été disposés 31 cercles. À Brest, la longueur de la classe est environ deux fois moindre. En outre, cette dernière comporte 19 tables pouvant recevoir 16 élèves chacune, soit une capacité de 304 élèves. En ce qui concerne les cercles, il y en a non seulement le long du mur mais aussi le long des bancs qui longent l’allée médiane.

26Outre sa longueur excessive, l’école lorientaise présente un inconvénient majeur au sujet des latrines. En effet, il n’en existe que trois alors que l’édifice est conçu pour recevoir plus de 400 élèves. En outre, celles-ci sont situées au rez-de-chaussée rendant incommodes sinon impossibles les déplacements quand les élèves sont en classe à l’étage. À Brest, comme l’école est de plain-pied, ce problème n’existe pas. Ainsi on en a construit sept alors que l’effectif prévu est moindre. Les latrines sont placées dans un local attenant à la salle d’école et situé du côté de l’estrade pour que le maître puisse surveiller les allées et venues. Pour renforcer cette surveillance, l’architecte a même prévu des fenêtres intérieures entre la salle d’école et ces lieux d’aisance.

27Un autre inconvénient a trait à la non-existence de cour pour les élèves dans l’école de Lorient. Même s’il n’y a pas de récréation au milieu de chaque demi-journée à cette époque, cela implique que les élèves doivent rentrer chez eux le midi et qu’il n’y a pas de lieu où ils peuvent patienter avant le début de la classe. Ce n’est pas le cas à Brest où cela a été prévu. De même, alors que dans le port finistérien, on a pensé à loger le maître sur son lieu d’exercice, l’idée même de cette convenance n’a pas effleuré l’esprit des édiles lorientais.

28Finalement, le projet lorientais présente des défauts majeurs et manque d’ambition par rapport à celui de Brest. Tout y a été pensé à l’économie. L’idée de construire au-dessus d’une halle, sur un terrain peu étendu, présente des inconvénients de toutes sortes : une salle trop longue, un nombre de latrines insuffisant, l’absence de cour pour les élèves et d’habitation pour le maître. On est loin de l’école de Recouvrance qui, construit sur un terrain plus vaste, représente l’exemple d’un édifice modèle pour l’exercice de l’enseignement mutuel.

29L’un des aspects qui rend difficile la construction d’écoles mutuelles est assurément le manque de terrains appropriés dans les villes de cette époque. L’espace urbain est, en général très dense dans les centres. C’est le cas à Rennes où la municipalité ne parvient pas à trouver la parcelle suffisante. Même à Lorient où l’emplacement de l’ancien cimetière paraît faire l’affaire, on est obligé, à cause de l’étroitesse de l’endroit, d’envisager un bâtiment tout en longueur dont les dimensions sont peu adaptées à l’enseignement mutuel. En outre, l’église qui le touche empêche probablement la lumière d’éclairer suffisamment la salle. Il n’y a qu’à Brest où l’école de Montlouët, pourtant coincée entre l’église Saint-Louis et l’hôpital de la marine, a l’air de donner satisfaction. En réalité, seuls les terrains situés à la périphérie des villes, dans les faubourgs, sont les plus convenables. Brest en offre un bel exemple avec l’école de Recouvrance. En effet, la parcelle sur laquelle cet édifice a été construit offre plusieurs avantages. Outre la possibilité d’établir la classe de plain-pied et éviter ainsi les risques liés aux escaliers, on peut disposer de locaux ayant les dimensions adaptées. On peut également envisager l’existence d’une cour de récréation, de latrines en nombre suffisant et d’un logement pour le maître. Enfin, les larges fenêtres présentes des deux côtés du bâtiment permettent des conditions d’éclairage et d’hygiène optimum pour l’époque.

30Mais pour faire ce choix idéal, la ville de Brest doit s’endetter. Lorient, en faisant bâtir son école à l’économie, hypothèque son fonctionnement futur. En réalité, peu de villes sont prêtes à conduire de tels projets. Elles ont déjà suffisamment de charges avec l’entretien de leurs écoles et les salaires des maîtres communaux. Aussi, sont-elles conduites à négliger la question des locaux. Souvent, d’ailleurs, on préfère louer un bâtiment assez vaste comme à Nantes et Rennes.

31Ainsi, les édifices conçus pour la méthode mutuelle sont rares. Ils le sont d’autant plus que leur avenir est compromis par l’abandon progressif de ce mode d’enseignement, surtout après 1840. On les trouve, outre Brest, Lorient et Saint-Brieuc, essentiellement dans le nord du Finistère, ce qui prouve une fois de plus le dynamisme scolaire de cette région pendant la monarchie de Juillet. Toutefois, en dépit de leur rareté et des destructions qui jalonnent l’histoire des villes, on peut encore observer, de nos jours, à Landerneau et Lambézellec, les témoins de cette architecture éphémère.

L’instruction des filles au rabais

32L’instruction des filles avait été peu développée pendant la période précédente. Elle avait été laissée à l’initiative des maîtresses particulières et des congrégations religieuses. Les premières scolarisaient les enfants des familles les plus aisées. Quant aux secondes, elles accueillaient les plus pauvres. S’agissant de l’enseignement mutuel, il n’avait été introduit que dans les établissements particuliers. Il satisfaisait ainsi le goût pour la modernité de familles appartenant à la petite bourgeoisie, ce qui constituait tout de même une sorte de paradoxe. Au cours de la monarchie de Juillet, quelques municipalités tentent de prendre en charge directement cette instruction destinée aux plus pauvres mais pas uniquement. Les villes les plus importantes, sauf Nantes, optent pour l’enseignement mutuel. Rennes échouant dans sa tentative, il ne reste finalement que Brest, Lorient et Saint-Brieuc qui donnent l’exemple d’un tel enseignement. Alors que l’instruction des garçons dirigée par des instituteurs laïques est une des priorités des municipalités de cette époque, qu’en est-il de celle des filles ? Il faut sans doute commencer par présenter ces écoles et ces institutrices. Cependant, pour des raisons qui tiennent à l’importance des sources, seuls les exemples brestois et briochins seront considérés.

33Moins nombreuses, les écoles mutuelles de filles connaissent cependant, contrairement aux établissements masculins, plus de stabilité, les maîtresses restant plus longtemps en place. Ainsi, Adèle Lafosse, à Brest, et Catherine Beuscher, à Saint-Brieuc, dirigent leur école de 1833 jusqu’à la fin du règne de Louis-Philippe 1er, au moins.

34Parmi ces maîtresses, Adèle Lafosse est la seule dont les origines sociales sont connues. Celle-ci était fille d’un lieutenant de vaisseau. Quant à leur formation, les renseignements sont plus complets. L’institutrice de Brest avait suivi des cours, semble-t-il, à l’école normale de Rennes, récemment fondée en octobre 1831 par le recteur Le Grand. Elle y avait séjourné de janvier à octobre 1833, époque à laquelle elle passe devant la commission d’examen pour l’obtention de son brevet. Quant à Catherine Beuscher, celle-ci avait commencé par exercer à l’école mutuelle de Paimpol. Sans doute avait-elle appris la méthode au contact de la maîtresse précédente. En tout cas, les membres du comité d’instruction primaire de l’arrondissement chargés d’examiner sa candidature pour l’école de filles de Saint-Brieuc sont satisfaits de ses connaissances en ce domaine. Ils déclarent : « Interrogée sur l’enseignement de la lecture, de l’écriture, de l’arithmétique et de la grammaire suivant la méthode mutuelle, Madame Beuscher a répondu avec beaucoup de justesse et de précision aux questions qui lui ont été adressées12. »

35S’agissant de leurs revenus, ils sont satisfaisants pour l’époque. À Brest, Adèle Lafosse reçoit 800 francs de la municipalité mais elle bénéficie, en outre, des rétributions de la part de ses élèves payantes. L’écolage ainsi perçu est estimé à 300 francs pour l’année 1839. À Saint-Brieuc, c’est 600 francs d’allocation municipale pour Catherine Beuscher auxquels s’ajoutent environ 740 francs d’écolage en 1838. Si on compare avec les maîtres mutuels exerçant dans les mêmes localités, on s’aperçoit de différences importantes. À Saint-Brieuc, Cuvet gagne 1 900 francs, soit 560 francs de plus que Catherine Beuscher. À Brest, si Adèle Lafosse atteint le niveau de revenus de ses collègues masculins (1 200 francs), c’est grâce aux élèves payantes.

36Concernant la pédagogie en vigueur dans les écoles mutuelles de filles, l’école de Saint-Brieuc présente une réalité bien loin des principes originaux. Ainsi, il existe trois divisions conformément aux Statuts de 1834 mais en contradiction avec le mode mutuel qui en admet huit. En outre, les élèves n’étudient pas dans la même discipline au même moment. Seule la deuxième séance du matin, de 10 heures et quart à 11 heures, est consacrée à un apprentissage commun, l’écriture. Enfin, dans la première classe, qui regroupe les enfants les plus jeunes, on apprend surtout à lire. Finalement, la maîtresse pratique une méthode plus proche de l’usage traditionnel qui est également celui qui prévaut dans les écoles chrétiennes. Dans cette dernière manière d’enseigner, on commence toujours par l’apprentissage de la lecture avant d’aborder celui de l’écriture.

37À Brest, dans l’école dirigée par Adèle Lafosse, si le mode mutuel, contrairement à Saint-Brieuc, est conforme aux principes, il montre cependant ses limites. La nécessité d’avoir une sous-maîtresse se fait assez rapidement sentir. Ainsi, Adèle Lafosse explique :

« […] il m’est impossible à moi seule d’apporter à la surveillance et à la direction de 150 à 200 élèves tout le soin que commandent l’importance et la variété de l’enseignement donné à une partie intéressante de la population. Tout le zèle et toute l’activité d’une seule personne sont insuffisants pour répandre également et proportionnellement l’instruction parmi tant d’élèves dont les forces sont si disproportionnées. Avec une sous-maîtresse comme j’en ai eu une pendant trois ans, je pourrais m’occuper plus efficacement de la direction générale de la classe, tout en surveillant en détail les différentes parties de l’enseignement ; je pourrai même, me conformant au désir de MM. les inspecteurs, donner un soin plus assidu aux travaux manuels13 ».

38S’agissant des conditions matérielles, les filles semblent encore moins bien loties que les garçons. Ainsi, à Saint-Brieuc, le local réservé à l’instruction des filles se situe en plein centre de la ville, tout près de la mairie, de la préfecture, de l’évêché et de la cathédrale. La salle est placée au premier étage d’un bâtiment qui abrite au rez-de-chaussée le service du poids public et au second, un dépôt d’armes. Cette situation comporte de graves nuisances comme l’indique Le Pêcheur-Bertrand, conseiller municipal :

« […] Le bruit des cloches de la cathédrale, les clameurs du marché, apportant continuellement des entraves à la discipline de l’école, et il n’est pas jusqu’à la salle d’armes, placée au-dessus de la classe, qui ne contribue aussi à établir un pêle-mêle déplorable. Enfin, Messieurs, je vais vous parler d’inconvénients bien plus graves encore, puisqu’ils portent atteinte à la morale. Des latrines pour ainsi dire publiques sont placées à l’entrée de cet établissement, et les militaires qui les fréquentent en laissant la porte ouverte, y tiennent des conversations peu réservées, qui malgré toutes les précautions arrivent quelquefois aux oreilles de ces jeunes enfants. Les latrines de l’école sont communes au poids public, et souvent les élèves sont empêchées d’y entrer ou en sont délogées par des charcutiers ou des portefaix14. »

39Si les municipalités de Lorient et Saint-Brieuc font le choix de bâtiments communaux existants, celle de Brest, n’en disposant pas, préfère une construction neuve. L’emplacement choisi pour celle-ci est situé dans l’ancien jardin de la mairie. Cependant, les édiles ne se préoccupent pas de savoir si ce lieu est convenable. À l’usage, il se révèle que ce n’est pas le cas. Ainsi, en 1862, près de trente ans après sa construction, l’inspecteur venu visiter cette école mutuelle de filles, déclare :

« L’école n’a pas de cour de récréations, de sorte que les petites filles sont obligées d’attendre dans la rue l’arrivée de la maîtresse qui, n’étant pas logée dans l’établissement, est forcée de se rendre entre les classes à son domicile afin d’y prendre ses repas. Il y a là un inconvénient très grave au point de vue de la morale et un véritable danger pour la santé de ces petites filles, surtout les jours de pluie. Il est impossible d’approprier le local actuel, il faudrait donc construire sur un autre emplacement15. »

40Ainsi, dans ces deux villes, les emplacements sont peu satisfaisants. Ils apportent toutes sortes d’inconvénients, que ce soient des nuisances sonores comme à Saint-Brieuc ou des risques pour la santé liés à l’absence de cour de récréation comme à Brest. Surtout, dans les deux localités, on insiste sur les dangers moraux provoqués par un voisinage peu fréquentable.

41Si l’emplacement pose des problèmes, la taille de la salle paraît à chaque fois insuffisante par rapport au nombre de petites filles accueillies. Ainsi, s’agissant de l’école de Brest, l’inspecteur précise :

« La classe a 16 m de long sur 5 m 70 de large, ce qui donne en surface l’espace suffisant pour 91 élèves ; et comme la hauteur d’étage n’est que de 3 m 10 au lieu de 4 m, on ne devrait réglementairement admettre que 70 enfants, encore faudrait-il que l’air pût se renouveler facilement au moyen d’ouvertures placées des deux côtés, ce qui n’a pas lieu16. »

42Or, ce sont de 150 à 170 petites filles qui fréquentent cette école tout au long de la monarchie de Juillet. On est donc bien loin des prescriptions administratives qui, il est vrai, ne seront en vigueur que sous le Second Empire.

43Quant à l’espace dévolu aux écolières briochines, il suffit d’écouter le conseiller municipal Le Pêcheur-Bertrand dénoncer leurs conditions d’accueil :

« […] les demi-cercles ont dû recevoir plus de développement et par suite envahir l’espace réservé à la circulation entre les bancs et les cercles. La maîtresse est donc obligée de se livrer à des exercices de gymnastique, de sauter d’une table sur l’autre, à ses risques et périls, pour surveiller les groupes qui encombrent les couloirs ; il a fallu aussi rapprocher les tables pour les rendre plus nombreuses mais cette opération n’a pu avoir lieu sans rendre très difficile le passage entre les tables et entraver la correction de l’écriture. Il a même fallu placer dans l’espace réservé aux groupes, deux tables mobiles qu’on enlève et qu’on replace plusieurs fois par jour. Malgré toutes ces combinaisons tous les élèves ne peuvent encore s’asseoir aux tables. Douze d’entre elles, sous la surveillance d’une monitrice, sont obligées de se tenir sur le palier et quinze autres sont assises sur le plancher, le long des murs17 ».

44Ainsi, au début de la monarchie de Juillet, certaines villes, en dépit des obstacles financiers et des préjugés, vont tenter l’expérience d’instruire les petites filles pauvres selon les principes de l’enseignement mutuel. C’est, à cette époque, une manière de détacher cette population des congrégations religieuses qui ont été, jusqu’à présent, les seules institutions à les prendre en charge. Il s’agit évidemment des municipalités les plus favorables à l’instruction : Brest, Lorient et Saint-Brieuc. Cependant, la bonne volonté municipale, lorsqu’elle entreprend de créer une école mutuelle pour les petites filles pauvres, ne suffit pas à garantir le succès de l’opération et surtout de bonnes conditions d’enseignement. Ce qui domine, en réalité, ce sont les problèmes de locaux. Confinées dans des salles trop étroites et mal disposées, les maîtresses et leurs nombreuses écolières doivent quotidiennement subir le bruit, l’inconfort et quelquefois craindre le danger. À cause de cela, également, mais aussi faute d’argent et de compétences, les travaux d’aiguille sont peu enseignés. Le dévouement des institutrices ne suffit pas à pallier ces problèmes.

45Enfin, le mode mutuel fait apparaître ses insuffisances. À Brest, Adèle Lafosse se fait aider par une adjointe dès 1841. À Saint-Brieuc, observant les dispositions du règlement de 1834, Catherine Beuscher admet trois divisions au lieu des huit classes habituelles. En outre, les commençantes sont écartées des exercices d’arithmétique. Elle se rapproche ainsi du mode simultané en cours chez les religieuses.

L’école mutuelle, ballon d’essai municipal

46Cette étude de la politique municipale vis-à-vis de l’enseignement mutuel, à travers l’exemple de cinq grandes villes de Bretagne de cette époque, montre une même faveur des édiles envers ce type d’instruction. Cela est conforme aux vues des nouvelles élites dirigeantes à la fois conscientes des enjeux que représente l’instruction primaire et soucieuses de la rendre indépendante du pouvoir clérical. Cependant, selon les localités, des différences se font sentir.

47Le volontarisme le plus important se trouve à Brest et Saint-Brieuc. Dans la première, on réussit, en deux décennies, à édifier trois écoles mutuelles dont une pour les filles. Aucune autre commune n’a fait mieux en Bretagne à cette époque. Quant à Saint-Brieuc, cette ville se distingue par une politique plus idéologique. Ainsi, c’est la seule où l’influence congréganiste est vraiment contestée et où on cherche les moyens de la combattre.

48Nantes, au contraire des deux villes précédentes, s’est surtout appuyée sur les sociétés administrant les écoles des deux camps. Elle s’est contentée de fournir des allocations, celles accordées aux Frères étant largement insuffisantes. Dans cette ville, c’est la conception libérale qui prévaut.

49Si à Rennes, une politique assez volontariste est manifestée au départ, le projet d’étendre le réseau laïque à travers la ville échoue. Au moins, il reste la grande école de la Halle-aux-Toiles. Dispensant un enseignement de qualité après 1835 et conduite par un directeur hors ligne en la personne de L’Huissier, elle prospère tout au long de la monarchie de Juillet. À Lorient, la partie est plus facile pour les libéraux car il n’y a pas, jusqu’en 1850, de grande école de Frères comme dans les autres villes.

50Le bilan de l’action municipale envers les écoles mutuelles est peutêtre décevant mais il a au moins permis à ces villes de prendre en charge véritablement la politique scolaire. La gestion communale ne se cantonne plus seulement aux salaires des maîtres et maîtresses ou aux fournitures. Elle s’occupe aussi, en quelques endroits, de construire des écoles ou, dans d’autres, d’améliorer celles qui existent. En outre, le contrôle administratif s’établit.

51Il reste cependant, de cette expérience un échec cuisant qui concerne le projet initial des libéraux de confier l’instruction primaire à un personnel laïque. Face à cette volonté, les édiles sont confrontés partout à l’influence considérable du clergé. En effet, les lasalliens, poursuivent dans toutes les grandes villes bretonnes, excepté Lorient, leur conquête scolaire entamée sous la Restauration.

52Au-delà, en soutenant les écoles mutuelles et en voulant les faire prospérer, les municipalités n’ont pas totalement échoué. Elles parviennent ainsi à scolariser un nombre croissant d’enfants dans le réseau laïque. En agissant ainsi, elles aiguisent également la concurrence des Frères et des religieuses qui, de leur côté, augmentent leurs effectifs de manière encore plus considérable. Ainsi, cette impulsion décisive envers l’enseignement mutuel et la rivalité scolaire qui en découle contribuent ensemble à un accroissement sans précédent de la scolarisation des enfants pauvres des villes. Celle-ci paraît être presque totale, du moins pour les garçons, à la fin de cette période si l’on en croit l’exemple rennais.