1Comparé à l’enseignement traditionnel et souvent improvisé du maître particulier, les écoles mutuelles présentent un système d’instruction où l’élève doit se comporter d’une manière très précise. Rien n’est laissé au hasard, ni la manière d’apprendre, ni celle d’évoluer dans la classe. En 1815, de Laborde, ayant observé les écoles fondées selon le système de Lancaster en Angleterre, les compare à des usines. Certes, il veut mettre ainsi en exergue la modernité du nouvel enseignement qui, à l’instar des machines, rend plus faciles les apprentissages. Mais il met également l’accent sur l’aspect réglé du monitorial system. Plus tard, Octave Gréard critiquera cette conception d’une instruction mécanique qui ignore la véritable éducation. Mais en quoi consistent ces apprentissages mécaniques ? Ceux-ci sont-ils devenus plus faciles comme le laisse entendre de Laborde ou existe-t-il des insuffisances dans cette manière d’instruire ?

2Les casernes sont également évoquées par les contemporains lorsqu’ils décrivent le fonctionnement des écoles mutuelles. Les mouvements exécutés par les élèves sous la conduite des moniteurs leur font penser alors à des manœuvres militaires. Pourtant, les fondateurs, inspirés par la pensée rousseauiste, souhaitent, par la nouvelle méthode, ôter aux élèves la peur des férules. Ils veulent, avant tout, éviter l’ennui et transmettre le désir d’apprendre. Existe-t-il une contradiction entre ces volontés émancipatrices et la discipline imposée dans les écoles mutuelles ?

Répéter et mémoriser

3Une pédagogie n’est pas seulement une organisation et des contenus, c’est également un ensemble de procédés pour faire apprendre les élèves. Ceux-ci sont décrits dans le Manuel pratique, rédigé par Nyon1. Pour chaque matière, la manière d’interroger et d’évaluer les élèves y est expliquée. En ce qui concerne l’écriture, l’auteur indique que les lettres, syllabes ou mots sont dictés par le moniteur d’après les tableaux correspondant à chaque classe. Chaque tableau est suspendu à un porte-tableau qui est situé en bout de banc près du moniteur. Les élèves n’ont pas besoin d’avoir les modèles sous les yeux puisqu’il leur suffit de suivre l’épellation du moniteur qui, pour le mot « amabilité », se fait de la façon suivante : « a, m-a, ma, b-i, bi, l-i, li, t-é, té, amabilité ». On peut observer qu’il ne s’agit pas d’une simple épellation lettre après lettre mais qu’on met évidence chaque syllabe dans cette façon d’égrener les éléments du mot. Cette manière de procéder s’applique à toutes les classes, sauf à la première qui est également appelée classe du sable car les élèves tracent leurs lettres sur du sable et non sur des ardoises. Dans cette classe, on ne demande pas aux débutants d’écrire sous la dictée du moniteur mais on leur montre simplement, sur un tableau, la lettre à reproduire.

4La pratique de la dictée ne doit pas être entièrement satisfaisante. En effet, dans la grande école mutuelle de Nantes, on procède à des aménagements afin que tous les commençants puissent voir les modèles des lettres à tracer. On explique :

« À la table du sable, nous avons fait fixer sur des montants élevés au-dessus de la tête des enfants, et convenablement espacés, trois tablettes sur lesquelles sont peintes en noir, sur un fond blanc, et en grande dimension, les lettres de l’alphabet d’écriture qui sont destinées à servir de modèles constants aux six ou sept premières tables d’ardoises2. »

5De même, à Rennes, on a pris soin de confectionner des modèles à placer sous les yeux des élèves. Ces modèles sont attachés aux bancs, de manière à ce qu’il y en ait un pour deux élèves. Toutes les classes en ont été pourvues. Les maîtres expliquent : « […] il suit de cette disposition que chaque mot dicté par le moniteur se trouve répété vis à vis de chaque élève et qu’il peut plus facilement l’imiter3 ».

6Enfin, il faut ajouter que les élèves de la huitième classe d’écriture copient également des phrases ou des textes, d’après des modèles, sur du papier4. Concernant l’école mutuelle de Port-Louis, quelques exemples de ces morceaux choisis ont été conservés. L’instituteur mutuel les faisait copier, parfois plusieurs fois, par ses élèves. Celui-ci les avait adressés au préfet du Morbihan pour prouver les bons résultats de son école. Dans les phrases proposées on trouve des poncifs moraux, des anecdotes historiques, une description géographique du Paraguay et même des observations sur les femmes françaises ! Ainsi, Jean-François Saget, élève de l’école mutuelle et par ailleurs marin puisqu’on apprend qu’il s’est absenté pour aller à la pêche à la sardine, a dû recopier une phrase bien éloignée de ses préoccupations et de son univers :

« Les dames françaises avec leur rouge et leurs mouches paraissent être toutes de la même famille […] la première fois, dit un voyageur anglais, que je vis ces femmes rangées dans les loges de l’opéra à Paris, je crus voir une longue plate bande de pivoines dans un jardin5. »

7Ce qui frappe, au total, c’est l’inintelligibilité de ces extraits littéraires pour les enfants. C’est flagrant dans le cas de cet élève qui a recopié « une âme généreuse ne perd jamais la mémoire des bienfaits qu’elle répand », ce qui signifie exactement l’inverse du modèle qui était : « Une âme généreuse ne perd jamais la mémoire des bienfaits qu’elle a reçus mais elle oublie ceux que sa main répand. » Dans un autre cas, l’élève a recopié plusieurs fois cette phrase tronquée : « Les Français venaient de remporter en 1690 les batailles de Fleurus et de Staffarde, néanmoins un ambassadeur d’Espagne, dans la vue de flatter les puissances confédérées contre la. » Cela montre que ce qui importe, c’est la calligraphie et non la compréhension de ce qui est écrit.

8En ce qui concerne la lecture, l’épellation est au cœur du processus d’apprentissage. Dans un premier temps, les élèves, rangés en demi-cercles autour du tableau de lecture, doivent dire les lettres, syllabes ou mots que le moniteur montre avec son bâton. Ensuite, on procède à l’épellation par cœur6. Cette fois, le tableau est retourné. Le moniteur dit une syllabe ou un mot qui doit être décomposé par le groupe. Par exemple pour la syllabe « bla », le moniteur prononce la syllabe, le premier élève dit « b », le deuxième « l », le troisième « a, bla ». Le quatrième élève amorcera la décomposition d’une nouvelle syllabe. Pour les mots, la décomposition est faite de manière plus rapide. Ainsi, dans la sixième classe, le mot « sermon » est décomposé de la manière suivante : le premier élève dit « ser-mon » en détachant bien chaque syllabe, le deuxième épelle « s-e-r, ser », le troisième « m-o-n, mon, sermon ». Cette manière d’apprendre à lire est synthétique. Elle va de la lettre à la syllabe, puis de la syllabe au mot pour enfin aboutir à la phrase et au texte. C’est également une manière d’apprendre l’orthographe des mots puisque l’épellation par cœur oblige les élèves à mémoriser les lettres qui composent les syllabes ou mots qu’ils sont en train de lire. On va même, dans la cinquième classe, jusqu’à faire prononcer aux élèves les lettres finales qui sont muettes. Ainsi pour le mot « loup », le premier élève doit prononcer loup « en faisant sentir le p7 ». Il faut enfin rappeler que les lettres sont nommées et non prononcées d’après le son qu’elles produisent. Cette amélioration pédagogique interviendra plus tard, au cours de la monarchie de Juillet.

9Quant aux mathématiques, Nyon explique que dans la première classe, les élèves apprennent à tracer leurs chiffres et à retenir leurs combinaisons, c’est-à-dire les tables, cela jusqu’à 12 et dans les quatre opérations. Plus tard, cet apprentissage sera l’objet de la troisième classe, les deux premières étant consacrées à la numération. Bally explique que les tables sont écrites sous la dictée aux bancs puis lues aux cercles sur des tableaux8. Il s’agit alors d’une simple imprégnation où l’élève doit simplement suivre la marche prescrite par le moniteur. La dernière étape est constituée par une interrogation orale, le tableau retourné. Ajoutons que les élèves n’utilisent pas les signes mathématiques lorsqu’ils écrivent les différentes égalités que le moniteur leur dicte. À la place, ils marquent un tiret. Ainsi, pour la soustraction : ôtez un de trois reste deux, ils écrivent : 1 – 3 = 2. Ce détail montre la prééminence de l’oral dans cet apprentissage.

10Pour les règles, c’est-à-dire, les opérations, on procède de la même façon : écriture aux bancs sous la dictée, puis lecture aux cercles à vue de tableau et enfin, résolution véritable sur l’ardoise, le tableau retourné. Il faut cependant préciser que pour la lecture de l’opération, chaque élève, à son tour, doit en donner un fragment. Ainsi, Nyon explique :

« Le premier enfant indique le numéro du tableau ; tous ses condisciples l’écrivent. Le second dicte “premier nombre, 3 202, composé de 3, 2, 0, 2” ; chacun l’écrit à mesure sur le côté uni de l’ardoise. Le troisième dicte de même, “deuxième nombre, 2 310, composé de 2, 3, 1, 0”. Le quatrième dit, “troisième nombre, 1 246, composé de 1, 2, 4, 6” ; puis il ajoute, “tirer deux barres”. Le moniteur inspecte les ardoises, s’assure si les sommes sont bien portées, et l’opération continue. Le cinquième lit sur son ardoise : “Première colonne, 6 et 2 font 8 ; je pose 8 sous le 6.” Tous les enfants écrivent ce nombre entre les deux lignes. Le sixième dit à son tour : “Deuxième colonne, 4 et 1 font 5 ; je pose 5 sous le 4.” Le septième, “troisième colonne, 2 et 3 font 5”. Le huitième, “et 2 font 7 ; je pose 7 sous le 2”. Le neuvième, “1 et 2 font 3”. Le premier reprend, “et 3 font 6, je pose 6”. Le deuxième dit le total 6 758. Ils ajoutent “six mille sept cent cinquante-huit”. Tous les chiffres posés, le moniteur visite les ardoises ; si toutes portent pour somme 6 758, il passe à une autre règle9. »

11Bally, quant à lui, précise qu’au stade de la résolution de l’opération, on peut admettre deux variantes. L’exercice est exécuté, soit collectivement, chaque enfant énonçant une partie, soit individuellement sur l’ardoise.

12Au total, il s’agit bien d’inculquer un mécanisme par répétition et mémorisation d’une formule. Aucune place n’est faite au raisonnement et la résolution de problèmes n’est pas encore d’actualité. En outre, on s’aperçoit que des aménagements ont été apportés aux principes initiaux. Ainsi, à Nantes, les exercices d’arithmétique aux bancs n’existent pas. On précise : « Quant à l’arithmétique, elle se fait seulement aux cercles de lecture, sur des tableaux et sur de petites planches noires qui s’y placent comme les tableaux10. »

Régler, récompenser et punir

13Le système disciplinaire en vigueur dans les écoles mutuelles a fortement marqué les contemporains. Certains, à l’époque, louent cette préfiguration de l’ordre social espéré par les classes dirigeantes. Delorme Villedaulé, maire de Saint-Servan (Ille-et-Vilaine), exprime bien ce point de vue lorsqu’il déclare : « Cet ordre matériel et extérieur, accoutume, prépare à un ordre plus réel, à un ordre moral dont il est l’image et la figure11. » D’autres, au contraire, y voient une école composée de petits soldats. En effet, l’aspect le plus impressionnant, ce sont les mouvements d’ensemble que les élèves effectuent pour rentrer dans leurs bancs ou aller aux cercles. Cependant, la partie la moins visible mais tout aussi intéressante se rapporte aux moyens d’émulation et de coercition.

14L’idée de régler les déplacements et les exercices par des signaux s’impose par le nombre des élèves qu’il faut contrôler. D’ailleurs, il ne s’agit pas d’une nouveauté. Déjà, à la charnière du XVII^e et du XVIII^e siècle, Jean-Baptiste de La Salle avait conçu un système assez élaboré qui suppléait à la voix du maître. En effet, pour le fondateur de l’Institution des Frères des Écoles chrétiennes, un bon instituteur doit parler peu. Comme ce dernier doit sans cesse procéder à l’interrogation des élèves et soutenir leur attention, Jean-Baptiste de La Salle invente le signal, sorte de bâton qui claque. Selon l’endroit où il est frappé et le nombre de coups, il indique à l’élève ce qu’il doit faire. Ainsi, pour l’exercice d’écriture :

« Au commencement de l’écriture et pour la faire commencer, le maître fera trois signes, en frappant trois fois avec le signal à chaque fois un coup seulement. Au premier signe, les écoliers tireront tous leurs écritoires, en sorte qu’elles soient toutes en vue ; au second signe, ils ouvriront leurs écritoires, tireront leurs plumes et leur canif, s’ils en doivent avoir, et les montreront, en sorte que le maître les puisse tous très bien voir ; au troisième signe, ils mettront la plume dans l’encre et en même temps écriront tous ensemble12. »

15Le frère utilise également sa main. Ainsi, s’il frappe sur la couverture du livre, cela signifie que l’exercice de lecture va commencer. De même, s’il frappe ses deux mains l’une contre l’autre, c’est l’annonce du moment de la prière.

16Dans les écoles mutuelles, le système de signes se rapproche en certains points de celui des Frères. Cependant, outre que ceux qui les utilisent sont souvent les moniteurs généraux et non le maître, les signaux sont différents. On peut distinguer quatre espèces de signaux suivant qu’ils font appel au sifflet, à la sonnette, à la voix ou au geste. Le sifflet indique les débuts et les fins d’exercices alors que la sonnette est surtout utilisée pour orchestrer les déplacements. Les gestes, quant à eux, ordonnent diverses actions comme faire rentrer les élèves dans les bancs ou leur faire nettoyer leurs ardoises. Ils sont exécutés par le moniteur général avec une main, deux mains ou les bras. Ce dernier agit alors à la manière d’un télégraphe. Par exemple pour commander l’inspection des élèves par les moniteurs des classes, il faut exécuter un mouvement de la main, de gauche à droite. Quant à la voix, elle est parfois utilisée seule comme dans l’ordre suivant : « Huitième classe, commencez » mais souvent, elle accompagne un coup de sonnette comme pour faire aller les élèves aux cercles de lecture. Le moniteur général dit alors à haute voix : « Toute la classe », puis il agite la sonnette pour ordonner le déplacement.

17On le voit, ce système est assez perfectionné. On ne sait pas, toutefois, s’il a été appliqué de manière régulière et rigoureuse. La description faite par Max Radiguet de l’usage du sifflet et de la sonnette par son ancien maître, à l’école mutuelle de Landerneau, laisse penser que des libertés ont été prises par rapport à la norme. Ainsi, il raconte :

« La cloche annonçait les changements d’exercices. Un coup de sifflet servait à réclamer le silence. C’était le prélude ordinaire d’une communication générale et presque toujours d’une réprimande. Ceux d’entre nous qui n’avaient pas la conscience irréprochable tressaillaient à son bruit aigu13. »

18À part les quelques maîtres formés à Paris et ceux qui disposaient du guide rédigé par Bally, peu ont dû avoir connaissance du tableau des commandements des exercices. Dans un seul endroit, à Pontivy, il a été trouvé la mention d’un « tableau des mouvements de l’école » et de deux « tableaux des signes » parmi une liste de dépenses faites pour l’école mutuelle. De toute manière, la formation prodiguée à l’école modèle du chef-lieu pendant deux à trois semaines, voire moins, est probablement insuffisante pour comprendre et pratiquer un système de signaux si compliqué.

19Concernant le deuxième aspect de la discipline, à savoir les châtiments et les récompenses, il existe un peu plus de détails. Le Manuel pratique rédigé par Nyon prévoit la distribution de billets de récompense aux élèves ayant bien travaillé. Ceux-ci valent environ un centime. En outre, pour ceux qui avancent d’une classe, il est accordé un billet valant 10 centimes. La pratique des billets de récompense est attestée à Port-Louis, Saint-Brieuc tandis qu’à Brest, il semble que l’on gratifie seulement ceux qui avancent d’une classe.

20À Rennes, Lambert, directeur de l’école mutuelle, ne mentionne pas l’existence de billets mais explique qu’il récompense ses élèves en « effets et en argent14 ». Il précise, en outre, qu’il a choisi de décorer par une croix cinq élèves particulièrement méritants. Il ajoute que ces heureux élus sont invités à manger chez lui chaque dimanche. Quand il prend la direction de la grande école mutuelle de Nantes, il continue d’ailleurs cette pratique sans qu’on sache si, cette fois, les récompensés ont toujours les honneurs de la table du maître. Bergerot, l’un des fondateurs de l’école mutuelle de Nantes, fournit ces détails : « Des croix de mérite sont portées pendant une semaine par les enfants qui se sont le plus appliqués pendant la semaine précédente15. »

21Outre les récompenses quotidiennes, il en est une autre plus solennelle et sans doute plus prestigieuse, il s’agit de la distribution annuelle des prix. Très tôt, les plus grandes écoles mutuelles de Bretagne cherchent à organiser ces manifestations encouragées par la Société pour l’instruction élémentaire. Ainsi, la première remise de prix avait eu lieu à Paris, les 31 juillet et 2 septembre 1816. Le comte de Chabrol, alors préfet de la Seine, avait visité, au cours de ces deux jours, toutes les écoles mutuelles de Paris et des environs. Il faut également souligner que ces manifestations sont calquées sur celles ayant cours, depuis longtemps, dans les collèges. D’ailleurs, en Bretagne, un exemple précurseur existe. Il s’agit de Saint-Brieuc où, au moins depuis la Révolution, les écoles primaires ont la faveur de ces récompenses publiques.

22Parfois, ce sont les maîtres qui sont à l’origine des distributions de prix, comme à Rennes où Lambert prévoit d’en organiser une dès l’ouverture de son établissement le 1^er août 1817. À Brest, c’est la municipalité qui s’en charge. Tous les établissements d’instruction mutuelle de la ville sont concernés, qu’ils soient municipaux ou entretenus par des maîtres particuliers. Les prix choisis par les instituteurs sont composés de livres religieux et de petit matériel comme des canifs ou des porte-crayons. Ces prix paraissent d’ailleurs assez nombreux. Mollier, dirigeant l’école mutuelle du côté de Brest a dressé la liste de 45 livres ou objets à distribuer tandis que son homologue, du côté Recouvrance, en a prévu plus de 80. Mais, si les prix paraissent nombreux, la cérémonie, quant à elle, est simple. Il semble que chaque école mutuelle organise sa distribution des prix indépendamment des autres. Ainsi, Mollier, en 1824, a choisi lui-même la date de la cérémonie pour son école et prie le maire ou, à défaut, un de ses adjoints d’y assister.

23À Saint-Servan, c’est l’affaire particulière du maire, Delorme Villedaulé. La première distribution des prix, le 28 juillet 1818, se veut solennelle puisque, outre les fonctionnaires publics de l’endroit, le préfet du département s’est déplacé pour la circonstance. Cette manifestation est d’autant plus importante qu’elle intervient sur fond d’opposition cléricale. En effet, le curé de la ville n’a rien négligé pour faire tomber l’école mutuelle depuis qu’elle existe et il cherche à faire obstacle à la bonne réussite de l’événement. Ainsi, celui-ci a refusé que la chapelle du collège, demandée par le maire, soit utilisée pour y organiser la cérémonie. Delorme Villedaulé doit alors, en hâte, faire aménager une salle voisine moins adaptée à la circonstance et, de surcroît, encombrée de meubles. Le maire ne peut pas ignorer ce contexte. Aussi, dans le discours qu’il prononce lors de la remise des prix, ne se prive-t-il pas de dénoncer les « hommes de mauvaise foi guidés par leurs passions ou par leurs intérêts16 », expression qui désigne probablement une partie du clergé local. Il s’emploie également à réfuter les arguments qui accusent les écoles mutuelles de former des petits soldats et d’éloigner les enfants de la religion catholique. Après le temps du réquisitoire et de l’explication, vient celui des récompenses qui témoigne de son esprit philanthropique. Il accorde à chacun des élèves couronnés un habillement complet, « depuis les sabots jusqu’au chapeau, bas, culotte, gilet, veste, chemise, mouchoir de col et poche17 ». Cet habillement, il l’a financé en partie grâce à une collecte et en partie sur ses deniers. La contribution du maire est d’ailleurs assez importante puisque le préfet l’évalue à 300 francs.

24L’année suivante, la manifestation est prévue pour le jour de la fête du roi. Elle fait partie d’un programme qui commence, le matin, par une distribution de pains aux pauvres et se poursuit par une messe. L’après-midi a lieu la distribution des prix dans la grande salle du collège. Puis, un bal vient clôturer cette célébration qui, tout en rendant hommage au roi, honore également l’école mutuelle. Le maire y a convié tous les fonctionnaires sans oublier les militaires, les officiers du 2^e bataillon de la légion des Deux-Sèvres en garnison dans la ville. Cette fois, le discours du maire insiste davantage sur les progrès des élèves que sur les avantages de la méthode. Les meilleurs écoliers sont interrogés en public et le premier d’entre eux reçoit un nouveau testament envoyé gracieusement par le préfet. Il n’apparaît pas qu’à cette date, la municipalité ait choisi de voter un fonds pour les récompenses à attribuer. Toutefois, ce sera le cas en 1822.

25À Nantes, régulièrement, et Saint-Brieuc, en 1819, ce sont les sociétés fondatrices de l’enseignement mutuel qui organisent ces événements. À Saint-Brieuc, la première distribution de prix a lieu, comme à Saint-Servan, le jour de la fête du roi, le 25 août 1819. Si le nombre de prix est assez modeste puisque seuls trois évangiles ont été accordés par la Société de Paris, la cérémonie, elle, se veut remarquable. Tout commence par une messe solennelle en l’honneur du souverain. Les élèves des deux écoles mutuelles, celle des filles et celle des garçons, ont été réunis pour la circonstance, accompagnés de leur maître et maîtresse. Puis, après la messe, on se rend dans la grande salle du collège afin de procéder à la distribution des prix. L’assistance est nombreuse et composée de toutes les classes de la société. Tous les corps administratifs sont représentés : le conseil municipal, le conseil de préfecture, les membres des tribunaux et les autorités militaires. Cette assemblée joyeuse et bigarrée est présidée par le préfet, Rousseau de Saint-Aignan, qui prononce un premier discours très court dans lequel il présente la nouvelle méthode comme un bienfait du roi. Ensuite, le vice-président de la société fondatrice intervient longuement en insistant sur la modernité de l’enseignement mutuel, invention comparable à celle de la vaccine et de la pomme de terre. À la fin de la cérémonie, les élèves, au nombre de huit (cinq prix d’honneur et trois accessits), reçoivent des mains du préfet leurs évangiles et leurs couronnes au milieu des applaudissements pendant que l’orchestre des amateurs locaux joue quelques airs pour l’occasion. En 1820, la distribution des prix, organisée désormais par la municipalité, est commune à toutes les écoles primaires de la ville, y compris celle tenue par les Frères. Cependant, en 1821, on revient à une distribution séparée pour les écoles mutuelles et les écoles chrétiennes. Les prix, tant en 1820 qu’en 1821, sont plus nombreux que lors de la première manifestation. Alors qu’en 1819, seuls cinq élèves avaient été récompensés, un an plus tard, ce sont 80 élèves de l’école mutuelle des garçons qui sont dans ce cas. Il existe des prix dans plusieurs matières : lecture, écriture, arithmétique, bien sûr, mais aussi dessin linéaire, analyse grammaticale, orthographe, mémoire, travail et docilité. Notons qu’il n’existe pas de prix de catéchisme. On réserve sans doute le droit aux ecclésiastiques de récompenser le niveau d’instruction religieuse comme ils l’entendent.

26On le voit, les distributions de prix sont à la fois, une manière de récompenser les élèves mais aussi une façon de promouvoir un mode d’enseignement auprès du public et des autorités. Les récompenses sont souvent des livres religieux mais peuvent aussi être de nature plus pratique comme les vêtements distribués à Saint-Servan ou les canifs pour tailler les plumes à Brest. Véritables moyens d’émulation et symboles de la méritocratie voulue par les fondateurs de l’enseignement mutuel, ces manifestations ne concernent cependant pas toutes les écoles. La Restauration n’en aura vu que les prémices et il faudra attendre la monarchie de Juillet pour en voir tous les succès.

27Le système de récompenses en vigueur dans les écoles mutuelles incite les élèves essentiellement à bien travailler et à faire des progrès dans leur instruction. S’agissant de la discipline, celle-ci est obtenue par d’autres voies même si, parfois, comme à Saint-Brieuc, la docilité est récompensée par un prix. En effet, la soumission des élèves est, en partie, assurée par le « régime de caserne » auquel on les assujettit. Cependant, et plus sûrement, l’obéissance est obtenue par la coercition.

28À cet égard, autant les récompenses se résument en billets et en distributions de prix, autant les punitions présentent un arsenal plus varié et plus élaboré. Celles-ci avaient été déterminées d’après ce qui se pratiquait dans l’école fondée par Lancaster à Londres, établissement modèle que les membres les plus éminents de la Société pour l’instruction élémentaire avaient visité. Jomard, qui fut l’un d’eux, rapporte dans son journal de voyage :

« Les punitions se réduisent presque entièrement aux écriteaux et à l’abaissement des rangs : jamais on ne frappe. Quand cependant il arrive qu’un enfant commet une grande faute, comme voler par exemple, on le met dans une cage en osier, suspendue au plafond ; la chose est arrivée une fois pendant mon séjour18. »

29Si Jomard semble satisfait du système de coercition en vigueur dans l’école de Borough Road, il apparaît que certains châtiments du type de celui de la cage en osier sont jugés inconvenants par la Société pour l’instruction élémentaire. Ainsi, le docteur Bally, dans son guide de l’enseignement mutuel, donne le détail de ces punitions, en cours dans les écoles anglaises mais qui doivent être rejetées pour celles qu’on veut établir en France :

« 307. Le billot. Lorsqu’un enfant a commis plusieurs fautes, et que les admonitions n’ont produit aucun effet, le moniteur lui assujettit autour du cou un billot en bois servant de pilori, et le renvoie à sa place. Ce billot peut peser de 4 à 6 livres. 308. Les entraves. Lorsque le billot est insuffisant, on lie les jambes par des entraves. […] C’est dans cet état qu’on l’oblige à marcher autour de la salle de l’école, jusqu’à ce que, rendu de fatigue, il promette de se conduire mieux. D’autres fois on attache les mains derrière le dos, ou bien on garrotte entièrement les jambes. 309. Le panier. Dans l’occasion, les délinquants sont placés dans un sac ou dans un panier, et suspendus, au plafond de l’école, à la vue de tous les écoliers. […] Cette punition est une des plus terribles qu’on puisse infliger. Les moniteurs, surtout, en ont la plus grande crainte. 310. La caravane. Les incorrigibles sont quelquefois attachés les uns aux autres par un joug en bois qui est fixé à leur cou. […] 311. Le berceau. Un enfant paresseux est attaché dans un berceau, et bercé par un autre, aux risées de ses camarades19. »

30Remarquons que tous ces châtiments rappellent celui du pilori d’Ancien Régime où le corps est montré, entravé dans une posture physiquement pénible ou ridicule. Pour des Français cette façon de punir, que la monarchie de Juillet et la Seconde République interdiront20, ne peut, en aucun cas, convenir pour des enfants. Pourtant, il ne faudrait pas croire que les punitions préconisées par le docteur Bally soient dénuées de contraintes corporelles et de volonté d’humilier. Ainsi, il est permis de punir un élève en le faisant tenir debout les bras en croix devant l’estrade et même, s’il est particulièrement récalcitrant, de l’attacher à un poteau21 !

31Lancaster avait banni les coups portés aux enfants. Les fondateurs de l’enseignement mutuel en France y avaient ajouté le rejet des entraves qui brisent le corps ou les procédés trop ridicules comme les punitions du panier ou du berceau décrites précédemment. Il restait, cependant, tout un arsenal de mesures propres à décourager l’indiscipline des enfants.

32Nyon, dans son Manuel pratique indique que les moniteurs peuvent faire porter un ou plusieurs écriteaux aux élèves ayant eu un mauvais comportement. Sur ces écriteaux sont inscrits en grandes lettres des qualificatifs peu glorieux. Le docteur Bally en énumère sept : « Bavard, malpropre, désobéissant, paresseux, joueur, menteur, méchant22. » Cet usage provient de ce qui se pratiquait couramment dans les écoles mutuelles anglaises. Toutefois, dans ces écoles, les écriteaux concernaient aussi bien les bons élèves qui avaient l’honneur de porter un « good boy » autour du cou que les réfractaires de toutes sortes portant, eux, des pancartes moins flatteuses. Jomard avait même remarqué le qualificatif de « sucking finger baby23 », destiné à arracher les plus jeunes des élèves aux douceurs de leur première enfance.

33On ne sait pas si c’est une originalité française mais il est prévu que les écriteaux peuvent être rachetés par des billets de récompenses. Nyon le dit clairement dans son Manuel : « Les fautes punies par un ou plusieurs écriteaux sont rachetables par autant de billets24. » Quant au docteur Bally, il apporte plus de détails et de nuances :

« Après la classe, on fait ranger contre le mur tous ceux qui ont été marqués, et le maître leur fait une réprimande proportionnée à la faute, les fait rester entre les classes pour travailler ou leur retire leurs bons, s’il le juge convenable. Les enfants peuvent se racheter d’eux-mêmes avec des bons à volonté, si la faute n’est pas de nature à être punie de manière sévère25. »

34Max Radiguet n’eut pas cette chance et, devenu adulte, se rappelait encore la punition humiliante qu’il avait reçue lors de son séjour à l’école mutuelle de Landerneau (Finistère). Voici son récit :

« – Qu’on m’apporte les écriteaux ! cria le père Toupinel. Dix mains complaisantes et empressées déposèrent autour de moi les planchettes blanches sur lesquelles on lisait en grosses lettres ces différentes qualifications : menteur, bavard, malpropre, indocile, voleur, paresseux, insolent ; que sais-je ! tous les défauts habituels à l’enfance avaient été prévus dans cette nomenclature. M. Toupinel prenant une à une les plaques flétrissantes, me les suspendit au col et les disposait autour de mon corps si bien que j’en étais littéralement bardé. […] M. Toupinel s’imagina sans doute que j’acceptais mon châtiment avec l’impassibilité de l’indifférence car il m’appela : “Sans cœur !” et s’animant de plus en plus, il me décocha tout un vocabulaire d’épithètes qu’il s’était composé à notre usage ; puis, ayant épuisé les flèches de son arsenal, il fit un suprême effort et m’indiquant du geste, il lança d’une voix étranglée ces deux terribles mots : – Criez dessus26 ! »

35Quelle était l’importance de ce type de châtiment dans les écoles mutuelles de Bretagne à cette époque ? Hormis le récit de Max Radiguet pour l’école de Landerneau, la pratique des écriteaux n’est attestée que dans quatre autres établissements. Ainsi, Lambert, le maître dirigeant l’école mutuelle de Rennes, a fait fabriquer 71 étiquettes portant les mentions des défauts les plus habituels de l’enfance. À Brest, des écriteaux sont présents dans l’inventaire de l’école dirigée par Mollier. Dans la commune du Palais (Morbihan, Belle-Île), un mémoire des ouvrages faits pour l’école mutuelle du lieu indique qu’on a fait fabriquer 81 planchettes pour cet usage par le menuisier local. Enfin, à Lorient, Ulliac, instituteur mutuel particulier, précise dans un état de situation : « Pendant le présent trimestre il n’y a pas eu de plus grandes punitions que d’être à genoux pendant une demi-heure, ou une marque de malpropre, paresseux, ou babillard27. » Cependant, on ne trouve aucune trace de ces objets dans l’inventaire de l’école de Lambézellec ainsi que dans l’état de fournitures faites pour celle de Pontivy. Le port des écriteaux ne paraît pas, non plus, être en vigueur dans la grande école mutuelle de Nantes. En tout cas, Bergerot, le secrétaire de la Société de Nantes, ne l’indique pas lorsqu’il énumère les punitions en vigueur dans la grande école mutuelle de la ville. Il est alors permis de penser que ce châtiment n’a pas été pratiqué de manière générale, certains maîtres ayant probablement écarté cet usage inhabituel.

36Parmi les châtiments les plus graves, on trouve le renvoi et, de manière plus surprenante, la prison. Le renvoi paraît avoir été couramment pratiqué. Il est attesté à Nantes, à Rennes, à Port-Louis et à Brest. Dans cette dernière ville, Mollier cite 21 élèves renvoyés de son école d’après les ordres, dit-il, de Delamarre, inspecteur de l’académie, en tournée dans le Finistère à cette époque. Parmi ces élèves douze l’ont été pour « voies de fait », cinq pour manque d’assiduité, deux pour indocilité, un pour le vol d’un porte-crayon et un autre pour manque de respect envers le directeur. On le voit, il ne faut pas badiner avec le règlement. Les bagarres sont sévèrement réprimées et le moindre larcin découvert vaut aux élèves le bannissement de l’école.

37Quant à la prison, elle est clairement indiquée dans le rapport que Bergerot, secrétaire de la Société de Nantes, fait parvenir à Jomard. Elle existe également à Saint-Brieuc où elle figure sous l’appellation « salle de discipline » dans les plans de construction de la nouvelle école mutuelle. Elle est sans doute en usage à Rennes où le propriétaire du local servant d’école doit transformer en latrines un lieu affecté à la détention des enfants indociles. Il est d’ailleurs, preuve de son utilité, chargé de faire reconstruire cette « petite prison » un peu plus loin28. Enfin, Max Radiguet tout en indiquant la présence d’un cachot à l’école mutuelle de Landerneau, en offre un aperçu des plus pittoresques :

« Je vous ai parlé d’une loge obscure qui, dans un coude du corridor d’entrée, faisait vis-à-vis à l’une des portes de la classe. C’était le lieu de méditation où l’on confinait ceux d’entre nous que ne réduisaient pas les punitions ordinaires. Elle mesurait à peine quatre enjambées. Dans la paroi du milieu s’ouvrait une niche profonde où l’on rangeait en batterie, pendant l’été, les tuyaux démontés d’un poêle. Que de fois ai-je occupé cette loge ! Debout, immobile, l’œil collé au trou d’un loquet absent, un peu élargi au couteau par les habitués du local, comme l’indiquait l’odeur du sapin frais haché, mon regard demeurait fixé sur la porte de la classe. Si elle s’ouvrait, une clarté soudaine, une flèche de lumière m’éblouissait un instant pour me rendre l’obscurité encore plus intense, et je me sentais envahi par les plus absurdes terreurs29. »

38Ces peines graves pouvaient faire l’objet d’un procès comme il était prévu par les fondateurs du nouveau mode d’enseignement. Ainsi, Nyon dans son Manuel précisait : « Si quelque délit grave a été commis, le maître institue, pour juger le coupable, un conseil de famille formé de moniteurs et d’élèves30. » À Rennes, cette disposition est arrêtée dans le règlement pour la première école, celle qui a été installée au dépôt de mendicité. À Saint-Servan, le comité cantonal, reprenant le règlement rennais, entérine également cette mesure. De même, à Nantes, les fondateurs ont prévu de former un jury d’enfants pris dans les trois dernières classes pour juger des cas les plus graves. Il aurait été intéressant de savoir s’il y eut réellement des procès de ce type et comment ils s’étaient déroulés. Malheureusement, les archives sont muettes sur cet aspect.

39Pour les fautes légères, le seul témoignage connu est celui fait par Bergerot, secrétaire de la Société de Nantes. Voici ce qu’il rapporte :

« Les punitions consistent à faire mettre les enfants à genoux, à les retenir un certain temps après la classe, et à les obliger à faire, sous les ordres d’un chef pris parmi eux, dix, vingt ou vingt-cinq ardoises d’écriture : le maître a toutefois l’attention de libérer avant les autres ceux qu’il voit appliqués à leur travail, et qui font du mieux qu’il leur a été possible31. »

40Ainsi, en dehors du renvoi et du cachot, peines prévues pour les forfaits les plus graves, la mise à genoux et les pensums sont les punitions ordinaires dans cette école.

41Outre les moyens coercitifs, il faudrait également évoquer les moyens de surveillance. Bien, sûr, parmi ces moyens, les moniteurs sont les éléments les plus importants. Ce sont eux qui sont chargés de surveiller leurs cercles ou leurs rangs et qui doivent dénoncer les coupables quand ils n’ont pas eux-mêmes le pouvoir de punir. Parfois, on envisage de porter cette surveillance jusqu’à l’extérieur de l’école. Ainsi, à Nantes et à Saint-Malo, il existe des moniteurs de quartier. Si dans le cas nantais, ceux-ci paraissent simplement chargés de conduire et de surveiller les élèves jusqu’à leur domicile, dans le cas malouin, leur surveillance semble étendue au comportement des élèves quand ils ne sont pas à l’école. Ils sont alors invités à agir en véritables délateurs de quartier. C’est, du moins, ce que l’on peut déduire des propos du maître lorsqu’il explique : « Très rarement il m’est porté des plaintes sur la conduite des élèves et d’après les rapports des moniteurs de quartier qui les surveillent hors de l’école32. » À l’école mutuelle de Nantes, on a également institué un petit livret dont chaque élève est porteur et où le maître écrit, tous les quinze jours, ses appréciations sur l’enfant. Ce livret est destiné à être vu par les parents. Ceux-ci, en retour, peuvent faire part de leurs observations sur le comportement de l’enfant à la maison. De cette manière, comme l’explique Bergerot, « les enfants ne sont pour ainsi dire pas un instant hors de surveillance ».

42Au total, l’enseignement mutuel présente une pédagogie élaborée dans un souci d’efficacité. Des procédés systématiques d’imprégnation et de mémorisation sont mis en place. Pour la lecture et l’écriture, l’épellation, avec puis sans modèle, est à la base de ces techniques. Cette manière d’instruire a dû permettre aux élèves de déchiffrer assez rapidement tout en assurant une orthographe lexicale convenable comme le laisse entendre le rapport des inspecteurs à Rennes. En réalité, on le voit bien, l’écriture est davantage pensée comme une discipline auxiliaire de la lecture. Ce qui est lu par l’épellation doit être écrit par le même procédé. C’est d’ailleurs pourquoi, à l’origine, la progression dans les deux matières était parallèle.

43Cependant, la pratique de certains maîtres tend à réorienter l’écriture vers la calligraphie. Ainsi, on place, comme à Rennes et à Nantes, les modèles devant les yeux des élèves alors que l’épellation doit suffire. De même, on montre aux autorités les meilleurs exemples de calligraphie comme à Port-Louis.

44Évidemment, cette manière d’instruire fait peu de place à la compréhension et encore moins au raisonnement. Ces défauts ne sont pas vraiment perçus par les contemporains, même parmi les détracteurs. En effet, ces derniers sont plus préoccupés de la morale des élèves que de leur intelligence. Il faut attendre la monarchie de Juillet pour que cette critique commence à apparaître.

45Quant à la discipline des écoles mutuelles, les moyens d’émulation connaissent un succès indéniable. Le système des billets de récompense annonce les bons points promis à une belle longévité, ces derniers n’ayant vraiment disparu que dans les dernières décennies du XX^e siècle. De même, la pratique de la distribution des prix commence véritablement avec les écoles mutuelles et se poursuivra jusque dans les années 1960.

46À l’opposé, les moyens de coercition rencontrent un résultat mitigé. On peut penser que l’interdiction de frapper les élèves est assez bien respectée. Ainsi, Tourrette, le maître du petit Max Radiguet, limite ses gestes violents au tirage des oreilles. Lemoine, à Rennes, est réprimandé pour ses paires de claques. Quant au port des écriteaux, principal élément de l’arsenal répressif apporté par l’enseignement mutuel, il semble qu’il soit admis dans beaucoup d’écoles sans vraiment les concerner toutes. Dans ce domaine, certaines anciennes habitudes perdurent cependant comme celle d’enfermer les enfants dans un cachot.