1En Bretagne, depuis le milieu du XVIII^e siècle, seule la méthode pratiquée par les lasalliens1 avait été utilisée pour l’instruction des pauvres, et cela dans quelques villes : Brest, Saint-Brieuc, Saint-Malo, Rennes et Nantes. Dans les autres écoles, les maîtres laïques n’utilisaient aucune pédagogie particulière. Ils se contentaient d’appeler auprès d’eux les élèves, chacun leur tour, pour qu’ils récitent leur leçon. On appelait cette façon de faire la classe, l’enseignement individuel. Avec l’enseignement mutuel, il s’agit d’instruire les enfants du peuple à moindre coût et de la manière la plus efficace possible. Le monitorial system tel qu’il est pratiqué en Angleterre depuis 1798 par Lancaster est, pour l’essentiel, à l’origine de cet enseignement. Dans cette nouvelle méthode, qui s’appuie sur l’emploi des moniteurs, il est prévu d’accueillir un nombre important d’élèves, souvent plusieurs centaines. Aussi, la réflexion pédagogique est-elle concentrée sur l’organisation scolaire et la discipline.

2Cette organisation exige, en premier lieu, de nouveaux locaux, l’emploi d’un mobilier et d’objets spécifiques. Elle réclame ensuite un réglage précis du temps des exercices. Enfin, elle prévoit une distribution des élèves selon leur niveau d’acquisition. En établissant une telle rationalisation, les fondateurs de l’enseignement mutuel cherchent un enseignement efficace. Ainsi, les élèves doivent apprendre à lire, écrire et compter dans un temps assez court, environ deux ans. En outre, aucun d’eux ne doit se trouver inoccupé comme c’est souvent le cas chez les Frères. En effet, dans leurs écoles, le maître ne peut donner sa leçon à tous les élèves à la fois.

3Les procédés pédagogiques employés pour instruire les élèves sont également nouveaux tels l’épellation par cœur ou l’apprentissage simultané de la lecture et de l’écriture. Enfin, l’aspect disciplinaire n’est pas le moins intéressant. Les fondateurs avaient rêvé d’une éducation basée sur la proscription des châtiments corporels, l’émulation et le désir de bien apprendre. Mais, il y a trente cinq ans, Michel Foucault dans son ouvrage Surveiller et punir montrait une image moins idéale. Il expliquait alors comment les écoles mutuelles avaient permis de discipliner les individus en imposant la docilité des corps2.

4Avec ces caractéristiques, le nouvel enseignement bouleverse les habitudes du temps. Il est alors intéressant de comprendre comment ces innovations scolaires ont été accueillies en Bretagne. Y a-t-il eu des résistances ? Lesquelles ? Des modifications ont-elles été apportées au modèle diffusé par la Société pour l’instruction élémentaire ?

5L’étude de cette nouvelle manière d’instruire amène également à observer ceux qui l’ont mise en œuvre, à savoir les maîtres. Or, l’enseignement mutuel présente, de ce point de vue, des particularités inédites.

6D’une part, alors que les maîtres avaient, jusque là, tenu un rôle d’enseignant, ils rompent avec cette habitude. Ainsi, dans la nouvelle méthode, ce sont les moniteurs qui font répéter les élèves et qui vérifient leurs réponses. La tâche du maître n’est plus de diffuser le savoir directement auprès des élèves mais se concentre sur l’organisation de l’instruction. En effet, c’est lui qui choisit les moniteurs et les guide dans leurs fonctions. Lorsque les élèves sont tous réunis dans l’école, il contrôle le bon déroulement des exercices et l’application de la discipline. Les contemporains ont quelquefois comparé les écoles mutuelles à des filatures ou des casernes et le maître à un capitaine de navire. En clair, l’instituteur apparaît davantage comme quelqu’un qui dirige une école que comme un véritable enseignant. De là découle pour lui un nouveau statut. Il est intéressant d’en mesurer les conséquences.

7D’autre part, les maîtres mutuels sont chargés d’employer une méthode qui se présente comme une nouveauté et que ses zélateurs ne craignent pas d’appeler une nouvelle vaccine. Aussi, font-ils figures de pionniers, d’autant plus que la Bretagne apparaît comme une région aussi peu instruite que portée vers l’innovation. Il paraît important de comprendre comment ces instituteurs d’un genre inédit ont été confrontés aux difficultés de leur mission, de rendre compte des échecs mais également des réussites.

8Pour ce faire, les travaux respectifs de Gilbert Nicolas3 et de François Jacquet-Francillon4 ont été des guides précieux. À leur instar, la méthode prosopographique a été utilisée pour étudier ces instituteurs. Enfin, il faut signaler une lacune concernant les maîtresses de l’enseignement mutuel. En effet, même si elles ont existé, la rareté des documents les concernant n’a pas permis qu’on les intègre dans cette étude.