Version classiqueVersion mobile

Mer et montagne

 | 
Nathalie Richard
, 
Renaud Morieux
, 
Alain Cabantous
, 
et al.

Troisième partie. Représentations et stéréotypes

Entre « progrès de l’étude de l’homme » et mission de civilisation. Les populations dites « sauvages » dans le Journal encyclopédique et l’Année littéraire (1770-1790)

Yasmine Marcil

Texte intégral

  • 1 Wagner J., « Le rôle du Journal encyclopédique dans la diffusion de la culture », Studies on Voltai (...)
  • 2 Durant la décennie 1780, il consacre à ce genre près de 8 % de ses comptes rendus.
  • 3 Chappey J. L., « L’anthropologie des Observateurs de l’homme dans l’ordre des savoirs autour de 180 (...)
  • 4 Crepon M., Les géographies de l’esprit, Paris, Bibliothèque philosophique Payot, 1996.
  • 5 Vibart E., Tahiti. Naissance d’un paradis au siècle des Lumières, Paris, Complexe, 1987.

1Lus et consultés par les philosophes et les savants, les récits de voyage attirent au XVIIIe siècle un lectorat plus large qui trouve là exotisme et connaissances nouvelles, comme le montre le succès des ouvrages bien connus de Bougainville et de Cook. En présentant de telles expéditions, les journaux ont joué un rôle non négligeable dans la fortune de ces récits et la renommée des navigateurs. Ils ne proposent pas seulement, comme le dit Pierre Rousseau, fondateur du Journal encyclopédique (1756-1794), de « réduire en petit les grands livres1 », mais offrent aussi une lecture critique des ouvrages, tout en cherchant à satisfaire les goûts de leurs propres lecteurs. Parmi les périodiques littéraires (en langue française) de la seconde moitié du siècle de Lumières, le Journal encyclopédique fait partie de ceux qui se montrent les plus intéressés par les relations de voyage2. Aux yeux de ce journal, l’attrait essentiel de ce genre réside dans les descriptions du mode de vie des populations et plus particulièrement lorsque ces observations concernent des sociétés vivant hors d’Europe et selon des règles qui lui semblent proches de l’état de nature. Cet attrait pour la « peinture des mœurs » est également central dans les comptes rendus de l’Année littéraire (1754-1791). Ces deux périodiques participent à l’intérêt général des Lumières pour la connaissance des diverses sociétés humaines3. Les observations des voyageurs sur l’Autre offrent alors aux Européens des sources d’informations essentielles à une réflexion aussi bien philosophique, politique qu’anthropologique sur la nature de l’homme4. Les expéditions autour du monde de la seconde moitié du siècle, dont les journalistes retiennent avant tout les escales (plutôt que les longs moments de navigation en mer) donnent une nouvelle impulsion à cette réflexion dans la mesure où elles apportent des observations sur des populations vivant dans des terres vierges de toute présence européenne5.

  • 6 Marcil Y., La fureur des voyages. Les récits de voyage dans la presse périodique (1750-1789), Pari (...)
  • 7 Corbin A., L’homme dans le paysage, Paris, 2001, p. 53 ; Reichler C., « Science et sublime dans la (...)
  • 8 On ne trouve en effet que de rares mentions de montagnes lors des circumnavigations. Ainsi, le Jou (...)

2Néanmoins, parmi les espaces qui ont fasciné les journaux, c’est avant tout l’Europe qui occupe une place centrale6. À côté de pays bien connus tels que l’Italie, de nouveaux territoires prennent de l’importance au cours de la seconde moitié du siècle des Lumières et notamment la Suisse dont les montagnes et les glaciers suscitent un intérêt nouveau : les journaux ont été sensibles au mouvement de découverte de la montagne, et plus particulièrement des Alpes. Bien qu’explorées avant tout par des naturalistes, des botanistes ou plus tard des géologues, ces montagnes n’ont pas seulement produit des commentaires esthétiques ou scientifiques sur l’espace7, mais aussi (bien que dans une moindre mesure) des remarques sur leurs populations, considérées comme à l’écart de la civilisation. Dans des journaux a priori intéressés par les mœurs comme le Journal encyclopédique et l’Année littéraire, c’étaient donc là de nouvelles observations sur des populations vivant dans un état social considéré comme privilégié. Bien que les sociétés insulaires et montagnardes soient éloignées et fassent l’objet de récits différents8, nous voudrions montrer dans cet article qu’elles ont pour commun d’avoir mobilisé les mêmes principes interprétatifs.

Une grille de lecture a priori

  • 9 Ainsi affirme-t-il en 1789, à propos d’un Account of the Pelew Islands de Keate, que cette relatio (...)
  • 10 Marouby C., Utopie et primitivisme. Essai sur l’imaginaire anthropologique à l’âge classique, Pari (...)
  • 11 Le commentaire du Journal encyclopédique sur l’Essai sur l’isle d’Otahiti de Taitbout est à cet ég (...)

3Durant les deux décennies 1770 et 1780, l’Année littéraire et le Journal encyclopédique, bien différents dans leurs engagements idéologiques, partagent le même attrait pour les nouvelles connaissances qu’apportent les récits de voyage sur le mode de vie des populations, leurs croyances et leurs coutumes. Le Journal encyclopédique, qui s’affirme comme proche des idées défendues par les Encyclopédistes, est particulièrement sensible aux discours sur l’état de nature. Il les reprend et les réélabore au fil des recensions. S’inspirant de la figure du bon sauvage comme antithèse idéalisée de la société européenne, il décrit la nature à partir de ce prisme. Cette dernière est, à ses yeux, un lieu de sagesse par opposition à l’artifice et aux conventions de la société. C’est de cette conception de la nature que découle dans le Journal encyclopédique une vision a priori si positive des « sauvages ». Si pour ce journal l’homme sauvage est un primitif dans lequel les Européens peuvent reconnaître leurs origines, il y voit aussi la preuve de la supériorité d’une morale naturelle et cherche dans les récits de voyage des observations qui confirmeraient l’existence d’un état de nature idyllique9. Séduit par l’hypothèse théorique de Rousseau, (qui n’est jamais mentionnée) ce journal ne s’est pas limité à contempler une idée abstraite : il l’a transformée en idéalisant la figure du sauvage et en la projetant sur les populations insulaires du Pacifique. Cependant, cette tentation se mêle d’un intérêt pour l’observation des sociétés insulaires10, afin de mieux connaître les « états successifs de l’homme » puisque « l’histoire de l’homme » est à faire11.

  • 12 Année littéraire, fév. 1771, t. I, p. 330.
  • 13 Les fondateurs des deux périodiques étudiés, Pierre Rousseau (1716-1785) et Elie-Catherine Fréron (...)
  • 14 Année littéraire, 1785, tome VI, p. 253. Il s’agit du compte rendu de l’ouvrage de J. N. Démeunier(...)

4Sans surprise, tant la question des origines est prégnante, l’Année littéraire fournit les mêmes motifs à son intérêt pour l’Autre lointain. Grâce aux observations des voyageurs sur « l’homme dans son état primitif », on pourra, dit ce périodique, « calculer les progrès de l’éducation » et « apprécier les fruits de la société12 ». Cependant, l’Année littéraire adhère beaucoup moins que le Journal encyclopédique à l’idée d’un état de nature idyllique ; elle s’y montre de plus en plus hostile dans les années 1780, la considérant comme une théorie utopique et infondée. Elie-Catherine Fréron, fondateur et rédacteur principal de l’Année littéraire s’est fait connaître par sa critique hardie et ses prises de position à l’encontre du clan des philosophes, et plus précisément des Encyclopédistes et de Voltaire. Il a joué un rôle si fondamental au sein de son journal qu’il a forgé un style et une écriture pérennisés après sa mort, en 177613. C’est bien ce ton mordant que l’on retrouve dans un article de 1785 dans lequel le journaliste (anonyme) s’en prend à l’admiration béate pour un état de nature idéalisé, suggérant même à ceux qui défendent cette idée d’« aller vivre parmi ces peuples dont ils font dans leurs livres de si pompeux éloges14 ». Les journalistes de l’Année littéraire récusent tout lien entre société primitive et bonheur. Mais, parallèlement, ce périodique fait aussi partie de ceux qui se sont enthousiasmés des récits de la découverte de Tahiti et des Tahitiens, et de la simplicité du mode de vie des populations des vallées montagnardes. Ses commentaires semblent donc pris dans une tension, entre critiques des philosophes et admiration pour certaines populations. La perception de la réalité du monde sauvage dans les comptes rendus, déjà assujettie au filtre de l’interprétation du voyageur, est aussi soumise à la grille de lecture des journalistes.

Du bon sauvage au bon montagnard

  • 15 Louis-Antoine de Bougainville, homme de salons et d’académies, devenu capitaine de vaisseau, quitt (...)
  • 16 Voir Marcil Y., « Tahiti entre mythe et doute. Les comptes rendus du récit de voyage de Bougainvil (...)

5Révélée aux Français au retour de l’expédition de Bougainville15, en 1769, l’île de Tahiti a suscité des commentaires contrastés dans les journaux. Le Journal encyclopédique est sans aucun doute l’un des périodiques les plus attirés par Tahiti, ou plus exactement par l’image paradisiaque de cette île16. Avant même la publication du récit de Bougainville en 1771, on parle déjà beaucoup de Tahiti car le retour du navigateur accompagné d’un Tahitien, Aotourou, n’est pas passé inaperçu. Cependant, c’est surtout la publication dans le Mercure de France en novembre 1769 (reprise dans le Journal encyclopédique en décembre 1769), d’une lettre rédigée par Philibert Commerson, naturaliste, membre de l’expédition de Bougainville, qui fixa d’abord l’imaginaire sur cette île polynésienne. Ce texte qui présente Tahiti comme un paradis terrestre, focalise en outre l’attention sur cette île au détriment des autres escales.

  • 17 Les deux chapitres consacrés à Tahiti dans le Voyage autour du monde manifestent une tension : le (...)
  • 18 Journal encyclopédique, 1er juin 1774, p. 265.
  • 19 Journal encyclopédique, 15 juin 1774, p. 402-418.

6L’attrait du Journal encyclopédique pour l’île polynésienne est tel que cela l’a conduit à proposer des articles orientés, en particulier ceux concernant le Voyage autour du Monde de Bougainville. S’il n’omet pas de reprendre le tableau moins complaisant de la société tahitienne, que donne le navigateur français dans son récit, le journaliste le minore17. En revanche, les thèmes de l’exotisme et de l’hospitalité des Tahitiens, de leur joie et de leur beauté sont employés à plusieurs reprises, contribuant à donner une vision idyllique de l’île. À cela s’ajoute l’enchantement de ce lieu dû à son climat et à l’absence d’insectes. Ainsi le journaliste (anonyme) qui ajoute ses propres réflexions, considère que c’est « l’un des pays les plus agréables de la terre18 ». Malgré les vols commis par les insulaires, les pratiques de la guerre et des sacrifices humains, le Journal encyclopédique donne la vision d’un monde enchanteur et en conclut qu’à bien des égards, Tahiti fait « honte aux nations que nous appelons policées ». Ainsi tout en signalant des pratiques perçues négativement par les Européens, le Journal encyclopédique insiste sur les faits qui lui paraissent les plus positifs et participe à la construction du mythe de Tahiti. En 1774, il s’empresse de rendre compte de la publication de la Relation des voyages, recueil de plusieurs expéditions anglaises dont le premier voyage de Cook. Cet ouvrage, qui répondait parfaitement aux attentes d’un Journal encyclopédique avide de mieux connaître l’île paradisiaque, avait été rédigé par l’écrivain John Hawkesworth acquis lui-même au mythe du bon sauvage. L’intérêt « anthropologique » est cependant loin d’être absent dans ce journal. Ainsi s’intéresse-t-il lors de la publication de ce récit de Cook aux rituels et aux règles d’organisation de la société tahitienne en décrivant, par exemple, une cérémonie religieuse, des funérailles ou encore un combat de lutte19.

  • 20 Ces îles sont situées au nord-est de l’actuelle Indonésie.
  • 21 Ce livre est publié par Georges Keate qui a repris les récits laissés par le capitaine de vaisseau (...)

7Le Journal encyclopédique se laisse également séduire par la vie des habitants des îles Palaos20, où s’arrête le navigateur anglais Wilson à la suite d’un naufrage21. Comme ce fut le cas pour Cook, le récit de l’expédition et du séjour à Palaos, est déjà une réécriture : il n’a pas été rédigé par Wilson lui-même, mais par un homme de lettres, George Keate, sur la base d’écrits et d’entretiens avec le navigateur. De ce récit, le Journal encyclopédique a de nouveau tendance à effacer les faits jugés négatifs (comme la guerre) en ne les évoquant que rapidement, pour insister sur tous les éléments qui confirment l’existence d’une société idéale à l’état de nature. Érigée en modèle au prix de divers travestissements, cette société permet au journaliste de donner par contre coup une vision désenchantée du monde européen.

  • 22 Ce sont celles plus distanciées et critiques contenues dans le second chapitre consacré à Tahiti.
  • 23 Ces îles sont situées à l’ouest de l’Australie.
  • 24 Année littéraire, 1785, t. VI, p. 175-192.

8L’exotisme et le charme de Tahiti ont également fasciné l’Année littéraire. Ce périodique a amplifié l’aspect fraternel et pittoresque des contacts entre les insulaires et les Français. On y trouve le même procédé d’occultation d’une partie des observations22, celles jugées les moins plaisantes, que dans le Journal encyclopédique. Sa description tronquée et épurée aboutit donc à une idéalisation de la bonté des Tahitiens. Son article, plaisant à lire, fait en outre une grande part aux observations exotiques ou pittoresques. Il s’agit pour l’Année littéraire de « flatter la curiosité générale ». Mais, contrairement au Journal encyclopédique, l’Année littéraire ne persiste pas dans cette admiration. À partir des années 1780, son désintérêt pour Tahiti se marque par l’absence de mention de cette île dans ses recensions des récits de Cook : l’île n’apparaît plus que subrepticement voire négativement. En 1785, lors du compte rendu du récit du troisième voyage du navigateur anglais, les Tahitiens, rapidement mentionnés, sont comparés à leur détriment aux habitants des îles des Amis, actuelles îles Tonga23, en raison de leur pratique du sacrifice humain24.

  • 25 Année littéraire, 1785, t. VI, p. 180.
  • 26 Dans les tables de l’Encyclopédie, le mot paresse est associé au sauvage.

9Cependant, cette distanciation par rapport au discours construit en France autour de Tahiti ne signifie pas un désintérêt pour les insulaires du Pacifique. Ce périodique est particulièrement enthousiasmé par ce qu’il apprend des habitants des îles des Amis, grâce au récit de la troisième expédition de Cook. Le journaliste s’attache à montrer que ceux-ci sont sédentarisés et qu’ils travaillent (culture de la terre, construction de maisons, fabrication de pirogues) mais sans excès. À ses yeux, ils ont atteint un certain idéal puisque leur vie domestique n’est « pas assez laborieuse pour être fatiguante [sic], & pas assez oisive pour être accusée de paresse25 ». Ainsi c’est à l’aune de deux critères, l’un négatif la paresse26, l’autre positif le travail, que cette société est jugée. En situant le développement de l’île des Amis au Moyen Âge, il place cette société dans un passé lointain, infranchissable, une société, certes en progrès mais qui ne peut être comparée à la société européenne contemporaine.

  • 27 Le Journal encyclopédique ne fait, lui, aucun commentaire des ouvrages publiés par Bourrit dans le (...)
  • 28 Année littéraire, 1782, t. I, p. 331-348.

10C’est plus nettement dans les Alpes que l’Année littéraire projette ses fantasmes primitivistes27. Commentant le récit de voyage de Marc-Théodore Bourrit (1739-1819), le journaliste souligne que ce voyageur et peintre suisse. « Souvent passoit la nuit sur un lit d’herbe sèche avec des Bergers ; mais quels Bergers ! Ils semblent être encore de l’âge d’or28. »

  • 29 Année littéraire, ibid.

11Puis, il accumule les descriptions enchanteresses des vallées alpines. Bourrit « a voulu connoître le sein de la terre, il a voulu connoître les peuples de ces grandes vallées paisibles : & son plus grand plaisir, je le sens, fut d’être témoin de l’innocence de leurs mœurs, & de la franchise de leurs procédés29 ». Aussi ce sont les rencontres du voyageur avec les bergers, ses observations sur la foi, le caractère et le mode de vie des habitants du Valais qui retiennent essentiellement son attention et finissent par susciter son admiration : « Qui ne sentira le désir de vivre avec ces pâtres heureux ? »

  • 30 Backzo B., Job, mon ami. Promesses du bonheur et fatalité du mal, Paris, Gallimard, 1997 ; Retat P (...)
  • 31 Broc N., « Le milieu montagnard : naissance d’un concept », Revue de géographique alpine, 1984, no(...)

12L’Année littéraire participe comme d’autres périodiques au discours communément répandu du bonheur et de la simplicité de la vie du montagnard. Inquiets des progrès du luxe, considéré comme un dérèglement spécifique des sociétés urbaines, les journalistes du Journal encyclopédique et de l’Année littéraire partagent le même enthousiasme pour la simplicité de « l’homme naturel » dont ils considèrent que les habitants des Alpes sont les représentants30. Le mythe du « bon montagnard », pour reprendre l’expression de Numa Broc31, est en effet essentiellement localisé dans les Alpes ; l’adaptation de l’homme à la montagne leur semble ici parfaitement réussie. Passionné par ce sujet, le journaliste de l’Année littéraire le développe longuement en évoquant la « simplicité » et la « franchise » des habitants du Valais qui se distinguent également par leur respect des rites catholiques, argument non négligeable dans un journal si engagé en faveur de cette religion. L’intérêt pour ces populations mêle à la fois observations anthropologiques et anecdotes, notamment sur les chasseurs de chamois. Soulignons que seules les vallées suscitent un tel enthousiasme (la haute montagne étant perçue négativement). C’est dans ces vallées que l’on peut retrouver les héritiers des « premiers possesseurs de nos contrées », qui sont également perçues dans le Journal encyclopédique comme les derniers représentants de l’âge d’or. Aussi, l’Année littéraire appelle de ses vœux une étude des montagnards, encore ignorés, du Vivarais, tandis que le Journal encyclopédique, estime qu’il est possible de retrouver le modèle de l’ancienne félicité pastorale dans les Pyrénées.

  • 32 Il s’agit des Lettres de W. Coxe à M. W. Melmoth sur l’état politique, civil et naturel de la Suis (...)

13Le succès des ouvrages de Rousseau, l’enthousiasme en faveur du « bon montagnard » s’inscrivent aussi dans le mythe plus général de l’« Helvétie heureuse ». Des montagnards qui, du haut des Alpes, « montrent au reste de l’Europe l’étendard de la vertu & l’image du bonheur », on passe à des propos célébrant la Suisse entière. Parmi les « sujets d’étonnements & d’admiration » que provoque ce pays, le journaliste de l’Année littéraire compte aussi bien les montagnes, les mœurs de ses habitants que la politique. Sa constitution est, dit-il, « étonnante ». L’image de la Suisse comme lieu d’exemplarité de la république égalitaire est valorisée dans les deux périodiques. C’est tout l’intérêt, à leurs yeux, du récit de Coxe et de Ramond, unanimement considéré comme l’un des ouvrages les plus intéressants sur la Suisse32. Le Journal encyclopédique estime qu’il constitue la meilleure présentation de « sa situation, ses mœurs, ses révolutions, ses loix ». Mais si la vision idyllique des populations alpines est stabilisée, celle des insulaires du Pacifique est constamment réinterrogée et/ou réaffirmée au fil des publications des récits des expéditions lointaines.

Sauvages/civilisés : quel avenir ?

  • 33 Marc Joseph Marion-Dufresne quitte l’île de France le 18 octobre 1771 pour une expédition dans l’o (...)
  • 34 Il s’agit actuellement des îles Hawaï. James Cook y meurt, le 14 février 1779, au cours de sa troi (...)

14Les premiers contacts entre navigateurs européens et insulaires sont l’objet de nombreux commentaires dans les journaux. Or, ces rencontres ne se sont pas toujours bien déroulées. Des incidents, des heurts parfois meurtriers, sont survenus au moment de l’arrivée des navires européens aux abords des îles de l’océan Pacifique ou, un plus tard, une fois les premières relations nouées. Comment expliquer l’attitude soudainement belliqueuse et meurtrière des « Nouveaux-Zélandois, qui a pour conséquence la mort de plusieurs marins français dont Marion-Dufresne en 177233 ? Comment expliquer l’assassinat de Cook en février 1779, lors d’une escale aux îles Sandwich34 » ?

  • 35 Voir Journal encyclopédique, 15 sept. 1777, p. 469-476 et 1er avril 1783, p. 30-41.

15L’Année littéraire et le Journal encyclopédique ont tenté de trouver des explications à ces comportements belliqueux. Au fil des comptes rendus, ils soulignent l’incompréhension des Européens devant les rituels des autochtones. Les erreurs commises involontairement par les navigateurs, en raison de leur méconnaissance des rites et des interdits, constituent à leurs yeux une explication fondamentale du comportement agressif des insulaires. Mais les deux journaux critiquent aussi l’attitude des navigateurs européens à l’égard des autochtones et plus particulièrement leur propension à réagir par les armes. Les décès de Cook et de Marion-Dufresne ont en fait conduit les journalistes à porter plus d’attention au comportement des navigateurs. L’Année littéraire reproche aux navigateurs de réagir de manière disproportionnée par rapport aux actes des autochtones. Le Journal encyclopédique relève aussi le comportement brutal des navigateurs vis-à-vis des femmes lors de certaines de leurs escales35. La rivalité franco-anglaise dans le Pacifique conduit les journalistes à critiquer plus particulièrement le comportement des navigateurs anglais. Mais en aucun cas, la présence européenne dans ces îles n’est jamais en cause.

  • 36 « Après avoir presque touché à plusieurs isles, dont une seule en particulier pourroit former un g (...)
  • 37 Le terme « civilisation » apparaît dans le Dictionnaire de Trévoux en 1771. Blanckaert C., « Les a (...)
  • 38 Sur l’orientation scientifique de ces voyages, voir : Bourguet M. N., « Voyage et histoire naturel (...)
  • 39 Samuel Wallis est le découvreur de Tahiti en 1769, mais la publication tardive de son récit, en 17 (...)

16Cependant toutes les populations ne sont pas belliqueuses envers les Européens. Pour les journalistes, il faut distinguer celles qui se montrent hostiles aux navigateurs et qu’ils considèrent comme des « peuples féroces » ou « anthropophages » des insulaires qui s’approchent immédiatement des vaisseaux et font preuve de curiosité. Ces derniers sont perçus positivement et sont même « pour ainsi dire civilisés36 ». L’emploi de « civilisation37 », ainsi que de l’adjectif « civilisé », qui apparaissent sous la plume des journalistes dans la décennie 1780, est révélateur des discours et des valeurs sous-jacents dans les comptes rendus de l’Année littéraire et du Journal encyclopédique. Si les journalistes insistent sur le caractère philosophique ou scientifique des expéditions entreprises dans le Pacifique38, ils signalent aussi, quoique de manière beaucoup plus discrète, que celles-ci servent des intentions civilisatrices. Aux yeux de l’Année littéraire, il est nécessaire d’« éclairer l’ignorance de ces malheureux sauvages ». L’adhésion de deux journaux à l’idée de progrès et à celle de l’évolution de l’humanité est telle qu’ils en ont fait implicitement un moyen de jugement des autochtones. Sont jugés bons ceux qui semblent les plus capables d’évoluer vers une société civilisée. Ainsi le Journal encyclopédique considère-t-il que, grâce à l’Anglais Wallis39 ; qui a réussi à amadouer et à « corriger » les Tahitiens, ceux-ci se sont « humanisés ». Ayant la preuve que ces derniers sont perfectibles, le Journal encyclopédique considère implicitement que les Tahitiens sont inéluctablement entraînés vers la civilisation.

  • 40 Année littéraire, 1783, t. V, p. 51.
  • 41 « Une plante qu’on peut si avantageusement employer à tant d’usages utiles, seroit une acquisition (...)

17Leur appréciation positive d’une population n’est donc pas un simple constat, elle désigne implicitement celle-ci comme apte à évoluer vers une société civilisée. Cette conception de l’Autre, ne peut être séparée des visées économiques occidentales. Et, les journalistes eux-mêmes envisagent les récits de voyage sous cet angle. Ainsi l’Année littéraire conseille-t-elle la lecture de tels livres aux commerçants qui, renseignés sur les besoins des populations lointaines en « productions d’industrie » et sur la manière d’établir des contacts avec celles-ci, pourraient savoir « quel profit ils peuvent tirer des pays lointains40 ». Les journalistes notent que certaines îles disposent de ressources intéressantes : le Journal encyclopédique se montre intéressé par une plante utilisée pour le tissage d’étoffes qui s’avèrent particulièrement résistantes41. C’est bien dans ce courant d’idées que s’inscrit l’auteur d’une lettre anonyme publiée en 1770 dans le Journal encyclopédique, dans laquelle ce dernier signalait tous les avantages économiques que les Français pourraient retirer de Tahiti et concluait que « toutes les richesses du globe appartiennent à l’Europe ». De là le conseil d’envoyer dans l’océan Pacifique des navigateurs qui sachent établir des contacts avec ces populations. Il ne s’agit pas seulement d’éviter les coups de feu inutiles, mais de ne pas faire peser de menace, dès le départ, sur l’exploitation de potentielles ressources naturelles.

  • 42 Sur ce point, voir : Marcil Y., « Découvrir, comprendre, ressentir la montagne dans la presse péri (...)

18Une telle idée guide aussi les commentaires du Journal encyclopédique à propos de la montagne. Ce périodique qui a manifesté de l’intérêt aux observations minéralogiques produites par les savants voyageurs dans les Alpes ou les Pyrénées, est orienté dans sa perception de l’espace par le regard des géologues42. Or la recherche de gisements de minéraux et leur exploitation sont l’un des ressorts essentiels du développement de la géologie du XVIIIe siècle. De telles remarques témoignent, là aussi, d’une vision des espaces montagnards sous l’angle de l’utilité.

  • 43 Urbain J. D., L’idiot du voyage. Histoires de touristes, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1993 (1e (...)
  • 44 Vibart E., Tahiti. Naissance d’un paradis, op. cit., p. 44.
  • 45 Wolfzettel F., Le discours du voyageur. Le récit de voyage en France du Moyen-Âge au XVIIIe siècle(...)
  • 46 Roche D., Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fay (...)

19Si les journalistes des deux périodiques partagent les idées dominantes des Lumières, ceux de l’Année littéraire ont évolué durant les années 1770-1790 vers une mise en cause de l’idéalisation de l’état de nature, évolution renforcée par les morts brutales de navigateurs anglais et français dans l’océan Pacifique. En revanche, la lecture de Jean-Jacques Rousseau a profondément ancré et durablement orienté la perception des vallées alpines et de leurs populations. L’Année littéraire procède à ce que Jean-Didier Urbain appelle un « travail littéraire de l’espace43 » : ce que les journalistes veulent retrouver dans les récits de voyage dans les Alpes, c’est leur lecture du philosophe. En revanche, les convictions des journalistes du Journal encyclopédique sur l’état de nature n’ont pas été ébranlées au fil du temps. Ce périodique s’inscrit pleinement dans un courant de pensée de revalorisation des sociétés sauvages qui trouve dans la mer du Sud une parfaite concrétisation d’un état de nature où vivent des sauvages présumés meilleurs que les Européens44. Le Journal encyclopédique n’a pas seulement joué un grand rôle dans la circulation de cette conception mais a aussi contribué à son élaboration. Dans sa quête du bon sauvage, il illustre et tente de donner réalité à des hypothèses abstraites et participe ainsi à la construction de ce mythe45. Mais plus que leurs différences apparentes, c’est en fait une convergence entre ces deux périodiques qui apparait au fil de leurs articles. Ces journaux ont tous deux mobilisé et imbriqué des discours de registres différents, mêlant récits d’imagination et dispositifs de vérité, au service d’une même vision du monde : ils sont en effet convaincus de la supériorité de la société occidentale46.

Notes

1 Wagner J., « Le rôle du Journal encyclopédique dans la diffusion de la culture », Studies on Voltaire and 18th century, 1980, no 193, p. 1805-1812.

2 Durant la décennie 1780, il consacre à ce genre près de 8 % de ses comptes rendus.

3 Chappey J. L., « L’anthropologie des Observateurs de l’homme dans l’ordre des savoirs autour de 1800 », La construction des savoirs XVIIIe-XIXe siècles, sous la dir. de Lise Andries, Lyon, PUL, 2009, p. 113-137.

4 Crepon M., Les géographies de l’esprit, Paris, Bibliothèque philosophique Payot, 1996.

5 Vibart E., Tahiti. Naissance d’un paradis au siècle des Lumières, Paris, Complexe, 1987.

6 Marcil Y., La fureur des voyages. Les récits de voyage dans la presse périodique (1750-1789), Paris, H. Champion, 2006, p. 83-100.

7 Corbin A., L’homme dans le paysage, Paris, 2001, p. 53 ; Reichler C., « Science et sublime dans la découverte des Alpes », Revue de géographie alpine, 1994, no 3, p. 11-30 ; Walter F., « Perception des paysages, action sur l’espace : la Suisse au XVIIIe siècle », Annales ESC, 1984, I, p. 3-29.

8 On ne trouve en effet que de rares mentions de montagnes lors des circumnavigations. Ainsi, le Journal encyclopédique fait quelques mentions de pics montagneux : les montagnes sont alors décrites avant tout comme des points de repère en pleine mer.

9 Ainsi affirme-t-il en 1789, à propos d’un Account of the Pelew Islands de Keate, que cette relation « fournit à l’égard de l’espèce humaine, une des plus victorieuses réponses au système de Hobbes, & de tous ennemis philosophiques de l’humanité qui veulent que les hommes soient tous nés méchans ». (Journal encyclopédique, 1er janv. 1789, p. 64). Pour ce journal, convaincu que Hobbes a tort d’affirmer dans le Léviathan que les hommes sont « tous nés méchans », il existe donc des populations qui sont non seulement heureuses, mais plus heureuses que les sociétés « policées ».

10 Marouby C., Utopie et primitivisme. Essai sur l’imaginaire anthropologique à l’âge classique, Paris Seuil, 1990, p. 180.

11 Le commentaire du Journal encyclopédique sur l’Essai sur l’isle d’Otahiti de Taitbout est à cet égard assez éclairant sur l’attention qu’il porte aux connaissances sur la vie primitive : « Des notions exactes sur les mœurs, les usages, le caractère & l’esprit des nations sauvages, seroient bien intéressantes pour la philosophie, comparées avec celles des peuples civilisés ; elles fourniroient des matériaux précieux pour l’histoire de l’homme, qui est encore à faire, & que nous n’aurons peut-être pas que de longtemps. Les différens peuples de la terre nous le présentent actuellement dans tous les degrés qu’il a parcourus. » Journal encyclopédique, 1er fév. 1780, p. 442. Admirateur de Montesquieu, Taitbout, s’emploie dans son Essai sur l’Isle d’Otahiti, paru en 1779 à expliquer les mœurs des Tahitiens.

12 Année littéraire, fév. 1771, t. I, p. 330.

13 Les fondateurs des deux périodiques étudiés, Pierre Rousseau (1716-1785) et Elie-Catherine Fréron (1718-1776), ont élaboré un style d’écriture et de critique qui a subsisté après leur mort. En effet, les recensions anonymes publiées dans ces deux journaux ont conservé un ton et une écriture homogènes tout au long de la parution de ceux-ci. L’impossibilité de référer à un journaliste en particulier est cependant compensée ici par l’analyse des règles générales d’écriture qui sont, comme nous l’avons montré au cours de notre ouvrage, des éléments fondamentaux pour la compréhension de l’élaboration générale du discours et de la critique de ces deux périodiques. Voir : Marcil Y., op. cit., p. 103-262.

14 Année littéraire, 1785, tome VI, p. 253. Il s’agit du compte rendu de l’ouvrage de J. N. Démeunier, L’esprit des usages & des coutumes des différens peuples.

15 Louis-Antoine de Bougainville, homme de salons et d’académies, devenu capitaine de vaisseau, quitte la France en décembre 1766 pour une circumnavigation dont les enjeux étaient autant politiques (restituer les îles Malouines aux Espagnols), scientifiques que commerciaux. En avril 1768, il séjourne brièvement à Tahiti qu’il n’est pas le premier à découvrir puisque le navigateur anglais Samuel Wallis s’y était arrêté dix mois plus tôt (en juin-juillet 1767). De retour en France en mars 1769, Bougainville est en revanche le premier à publier son récit de voyage, en 1771. Le journal de bord de Wallis, retravaillé avec les récits d’autres navigateurs anglais, ceux de Byron, Carteret et Cook, paraît en 1772, puis est traduit en français en 1774.

16 Voir Marcil Y., « Tahiti entre mythe et doute. Les comptes rendus du récit de voyage de Bougainville », Miroirs de textes. Récit de voyage et intertextualité, études réunies par Linon-Chipon S.-Magri-Mourgues V., Moussa S., Nice, Publications de la faculté des lettres, arts et sciences humaines, 1998, p. 257-269.

17 Les deux chapitres consacrés à Tahiti dans le Voyage autour du monde manifestent une tension : le premier narre dans les moindres détails les péripéties de la rencontre avec les insulaires et fait part de l’éblouissement de Bougainville lors de la découverte de l’île ; le second est une description plus distanciée de l’île et de ses habitants, complétée par des éléments obtenus auprès d’Aotourou, le Tahitien emmené à Paris. Il y est question de l’inégalité sociale, des sacrifices humains ou encore de la guerre. Voir : Faessel S., « Entre récit de voyage et littérature : le cas de Tahiti », Miroirs de textes. Récits de voyage et intertextualité, Nice, Publications de la Faculté des Lettres, Arts et Sciences Humaines, 1998, p. 305-322 ; Lenclud G., « Quand voir, c’est reconnaître. Les récits de voyage et le regard anthropologique », Enquête, 1995, no 1, p. 113-129. Mercier R., « Image de l’autre et image de soi-même dans le discours ethnologique au XVIIIe siècle », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, 1976, no 154, p. 1417-1435.

18 Journal encyclopédique, 1er juin 1774, p. 265.

19 Journal encyclopédique, 15 juin 1774, p. 402-418.

20 Ces îles sont situées au nord-est de l’actuelle Indonésie.

21 Ce livre est publié par Georges Keate qui a repris les récits laissés par le capitaine de vaisseau Henry Wilson, qui fait naufrage en 1783, près des îles Palaos, alors qu’il est au service de la Compagnie des Indes. Cf. : Rumsey L., « Interprétation, apories et méditation : enjeux de la métaphore dans An Account of the Pelew Islands de George Keate (1788) », De Drake à Chatwin : rhétoriques de la découverte, Regard F. (dir.), Paris, ENS Éditions, 2007, p. 107-119.

22 Ce sont celles plus distanciées et critiques contenues dans le second chapitre consacré à Tahiti.

23 Ces îles sont situées à l’ouest de l’Australie.

24 Année littéraire, 1785, t. VI, p. 175-192.

25 Année littéraire, 1785, t. VI, p. 180.

26 Dans les tables de l’Encyclopédie, le mot paresse est associé au sauvage.

27 Le Journal encyclopédique ne fait, lui, aucun commentaire des ouvrages publiés par Bourrit dans les années 1780. Il n’annonce pas la Nouvelle description des glacières et glaciers de Savoie (1785) et s’était contenté de publier le prospectus envoyé par le libraire-imprimeur à propos de la Description des Alpes pennines et rhétiennes (1782).

28 Année littéraire, 1782, t. I, p. 331-348.

29 Année littéraire, ibid.

30 Backzo B., Job, mon ami. Promesses du bonheur et fatalité du mal, Paris, Gallimard, 1997 ; Retat P., « Luxe », XVIIIe siècle, 1994, no 26, p. 79-88.

31 Broc N., « Le milieu montagnard : naissance d’un concept », Revue de géographique alpine, 1984, no 2-3, p. 127-139.

32 Il s’agit des Lettres de W. Coxe à M. W. Melmoth sur l’état politique, civil et naturel de la Suisse. Cet ouvrage fut traduit en français, en 1781, par Louis-François Ramond, qui y ajouta ses propres commentaires.

33 Marc Joseph Marion-Dufresne quitte l’île de France le 18 octobre 1771 pour une expédition dans l’océan Pacifique à but commercial et scientifique. Il mouille en Nouvelle-Zélande en avril 1772 et y meurt le 12 sous les coups des Maoris. Voir Taillemite E., Marins français à la découverte du monde de Jacques Cartier à Dumont d’Urville, Paris, Fayard, 1999.

34 Il s’agit actuellement des îles Hawaï. James Cook y meurt, le 14 février 1779, au cours de sa troisième expédition qui avait pour but la découverte du passage du Nord-Ouest.

35 Voir Journal encyclopédique, 15 sept. 1777, p. 469-476 et 1er avril 1783, p. 30-41.

36 « Après avoir presque touché à plusieurs isles, dont une seule en particulier pourroit former un grand royaume, mais qui ne sont habitées que par des peuples féroces qui se sont toujours opposés à l’abordage des Européens, M. Carteret passa aux Isles de l’Amirauté, dont il nous donne la description : elles sont couvertes de la plus belle verdure ; les bois sont élevés & épais, entremêlés de clarières [sic] qui ont été défrichées pour des plantations, de bocage de cocotiers, & d’un grand nombre de maisons ; quelques jours après, il découvrit encore trois petites isles, dont les habitans étoient, pour ainsi dire civilisées ; car aussitôt qu’ils aperçurent le vaisseau, ils y abordèrent sans aucune défiance […]. Leur caractère est franc & ouvert » (Journal encyclopédique, 15 mai 1774, p. 47).

37 Le terme « civilisation » apparaît dans le Dictionnaire de Trévoux en 1771. Blanckaert C., « Les archives du genre humain. Approches réflexives en histoire des sciences anthropologiques », postface de Duchet M., Anthropologie et histoire au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, 1995, p. 573.

38 Sur l’orientation scientifique de ces voyages, voir : Bourguet M. N., « Voyage et histoire naturelle (Fin XVIIe-début XIXe siècle) », Le muséum au premier siècle de son histoire, Paris, éd. Muséum national d’histoire naturelle, Paris, 1997.

39 Samuel Wallis est le découvreur de Tahiti en 1769, mais la publication tardive de son récit, en 1773, a laissé sa découverte longtemps ignorée.

40 Année littéraire, 1783, t. V, p. 51.

41 « Une plante qu’on peut si avantageusement employer à tant d’usages utiles, seroit une acquisition importante ; elle paroît très vivace, & n’avoir besoin d’aucun sol en particulier. » Journal encyclopédique, 1er juillet 1774, p. 20.

42 Sur ce point, voir : Marcil Y., « Découvrir, comprendre, ressentir la montagne dans la presse périodique des années 1780 », Comparaison, 2001, 1-2, p. 145-170. Le Journal encyclopédique a aussi prêté attention aux observations botaniques de naturalistes voyageurs lors de leurs courses en montagne.

43 Urbain J. D., L’idiot du voyage. Histoires de touristes, Paris, Éditions Payot & Rivages, 1993 (1er éd. Paris, Librairie Plon, 1991), p. 107-119.

44 Vibart E., Tahiti. Naissance d’un paradis, op. cit., p. 44.

45 Wolfzettel F., Le discours du voyageur. Le récit de voyage en France du Moyen-Âge au XVIIIe siècle, Paris, PUF, 1996.

46 Roche D., Humeurs vagabondes. De la circulation des hommes et de l’utilité des voyages, Paris, Fayard, 2003, p. 40.

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont sous Licence OpenEdition Books, sauf mention contraire.

Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search