10. La faiblesse des partis politiques français : retour sur un lieu commun historiographique
p. 149-177
Texte intégral
1Si l’on embrasse la somme des travaux historiques consacrés aux partis politiques en France, qu’ils aient été réalisés par les historiens ou par les politistes, deux constats s’imposent. D’une part, on ne peut être que frappé par la relative rareté de ces travaux, celle-ci, cependant, étant moins flagrante en histoire. En science politique, le genre « socio-histoire » s’est très peu saisi d’un terrain qui est pourtant un objet canonique de la sociologie politique. En histoire, bien que l’étude des partis soit souvent subsumée dans le genre « vie politique » ou « forces politiques » qui tend à les englober, les travaux disponibles sont plus nombreux. Dans les deux disciplines, l’étude des partis de gauche, et notamment le Parti communiste, est dominante et le déficit d’étude sur les partis de droite manifeste. D’autre part, une thèse traverse l’ensemble de ces travaux avec une récurrence très forte : les partis politiques en France sont réputés « faibles ». Ce diagnostic, devenu vulgate, fait l’objet d’un large consensus, et on en veut pour preuve que le titre de « parti de masses » – c’est-à-dire de parti « fort » – n’est décerné qu’au Parti communiste. Cette faiblesse des partis politiques français qui est inscrite dans une histoire longue remontant à la Révolution française, est présentée comme une spécificité de la « culture » politique française, voire comme relevant de « l’exception » politique française. Chez les politistes essentiellement, la réappropriation de cette thématique s’articule bien souvent avec le thème contemporain de la « crise du politique ». Ces deux constats ne sont pas sans lien, et ils nous permettent d’ailleurs de faire l’hypothèse suivante : si les partis politiques ont été relativement peu étudiés, c’est parce que leur faiblesse apparente n’appelle pas une attention particulière. La boucle semble donc bouclée et la faiblesse des partis français tend à être acquise, les études nouvelles venant le plus souvent conforter cette thèse dominante. Ce lieu commun historiographique, qui apparaît dans la plupart des manuels d’histoire politique et de science politique, fonctionne ainsi comme une véritable boîte noire que nous voulons ici rouvrir et réinterroger à nouveaux frais.
2Le terme de « faiblesse » qui est associé à la morphologie des partis politiques, s’il est souvent mis en avant, est rarement explicité. Trois éléments sont avancés pour étayer cette thèse même si elle ne fait l’objet d’aucune systématisation. Le premier renvoie au fait que la faiblesse est rapportée au caractère « peu développé » des organisations partisanes françaises. Force est de reconnaître ici que les travaux historiques sont marqués par un fort tropisme organisationnel qui accorde un primat aux statuts officiels de l’organisation, au nombre de militants et de permanents ainsi qu’aux ressources financières. De surcroît, ces organisations sont le plus souvent jugées « faibles », sans qu’un étalon de mesure ne soit clairement proposé. Un des présupposés théoriques de ce type d’analyse est donc que la force des partis politiques tiendrait à la puissance de son armature formelle. Les liens que ces derniers établissent durablement avec des institutions politiques ou divers groupements tendent à être évacués dans l’appréhension de l’organisation. Derrière ce diagnostic de la faiblesse des partis se cache souvent un jugement implicite sur ce que devrait être un « vrai parti ». Aussi, du fait de cette normativité tacite, les effets de cette prétendue faiblesse sont implicitement jugés dysfonctionnels, voire pathologiques. L’instabilité ainsi repérée, l’inefficacité prêtée, l’impossibilité pour le parti de contrôler ses élus, de conjurer ou de réprimer ses dissidents, bref le manque de discipline en son sein, seraient les manifestations les plus courantes du phénomène partisan en France1. Deuxième topos des recherches sur l’objet partisan, la faiblesse des organisations politiques françaises renvoie à la force des élus et au poids des notables. La notabilité, qu’elle qu’en soit la forme, est ici considérée comme un indicateur de la faiblesse du parti. Inversement, un parti « fort » est posé comme nécessairement hiérarchisé, discipliné, « militant » en quelque sorte. On voit ici que les réalités « partis » et « élus » sont systématiquement opposées, comme si les élus se constituaient en dehors de l’organisation et même souvent contre elles, alors même qu’ils en sont membres. Cette manière de penser et d’opposer les élus aux partis paraît confortée par l’une des typologies les plus consacrées en science politique, celle proposée par M. Duverger qui distingue les partis de masse et les partis de cadres. De manière plus vague et routinisée, cette dichotomie peut prendre la forme d’une césure entre « parti d’élus » et « parti de militants ». On connaît les bases de cette opposition qui, faut-il le rappeler, est aussi une catégorie indigène du jeu politique. Troisième topos : la faiblesse des partis est présentée comme le résultat de variables culturelles dont l’origine remonte à la Révolution française. L’universalisme politique français, pour aller vite, en serait un des ressorts. Ces variables sont souvent thématisées dans les différents débats sur « la faiblesse des corps intermédiaires », sur l’atonie de la « société civile », sur le poids du jacobinisme, ou encore sur la centralité de l’État. La faiblesse des partis politiques hexagonaux est alors rapportée à « la force de l’idéologie de l’intérêt général », laquelle conduirait à une disqualification des partis, groupes « écran » porteurs d’intérêts particuliers institutionnalisés. Il n’est pas étonnant dans ces conditions que de nombreux auteurs aient usé de la métaphore de la « greffe », et notamment de la greffe communiste, pour comprendre comment des organisations politiques tentaient de s’acclimater à la culture politique française.
3Ainsi, c’est cette topique de la « faiblesse » des partis politiques que l’on voudrait interroger, sans céder à une forme de « révisionnisme » polémique. Déconstruire ce lieu commun savant de la faiblesse des partis politiques doit permettre d’éclairer la manière dont les institutions partisanes ont été étudiées – ou partiellement ignorées – tant historiquement que sociologiquement. À partir d’une recension critique et analytique des travaux historiques consacrés aux partis politiques, il s’agira d’établir sur quel faisceau de preuves et de critères ce raisonnement s’appuie2. On voudrait ici émettre l’hypothèse que les historiens se sont appropriés les schèmes d’analyse des partis politiques forgés dans la science politique, et qu’à leur tour les politistes se sont saisis des travaux historiques ainsi produits pour conforter leurs présupposés théoriques et les utiliser dans leur étude des régimes et des systèmes politiques3. On verra alors quelle théorie en actes des partis est mobilisée par les chercheurs en sciences humaines. Il n’est pas douteux que l’analyse historique des partis politiques s’appuie sur un impensé théorique des partis, sur une théorie, le plus souvent implicite, de ces organisations qui détermine la focale d’analyse et la collecte des faits sans pour autant être toujours formalisée. C’est à une conception du parti conçue avant tout comme organisation stricto sensu à laquelle on a affaire. Par conséquent, on pourra se demander si cette façon de penser l’objet « parti » ne délimite pas a priori le champ des sources utilisées et si, entre autres, elle n’impose pas une série de contraintes à la fois archivistiques et méthodologiques. Notre ambition, en somme, est de contribuer à « une réouverture des cadres interprétatifs disponibles4 » de l’histoire des partis politiques et, ce faisant, à préparer les conditions d’un meilleur dialogue entre historiens et politistes.
L’« indiscutable » faiblesse des partis politiques français
4Si l’on s’en tient aux dires de nombreux historiens et politistes, les partis politiques français sont des organisations faibles. Trois facteurs sont fréquemment soulignés pour étayer cette thèse : faiblesse des structures, autonomie des élus, fragilité des corps intermédiaires en France.
La faiblesse des organisations politiques stricto sensu
5La plupart des travaux établissent d’abord que la faiblesse des partis français renvoie aux caractéristiques de leur genèse, et à l’inachèvement de leur structuration5. Cette idée du « retard » est souvent confondue avec celle de la « faiblesse ». Le développement des partis est donc analysé dans une perspective très évolutionniste. Sans qu’on sache de quoi il s’agit vraiment, la dynamique démocratique « moderne » supposerait ainsi l’institutionnalisation – ou la rationalisation – progressive d’un mode d’organisation partisan bureaucratique de type weberien ou taylorien. Sans conteste, c’est Maurice Duverger6 qui le premier a jeté les bases de cette approche quelque peu développementaliste. Après lui, ces critères organiques ont été massivement repris comme arrière-plan des études socio-génétiques. Si l’on suit Duverger, il existerait trois phases dans l’évolution des partis qui iraient de la « domination des parlementaires sur le parti à la domination du parti sur les parlementaires7 ». La forme achevée du parti dans les sociétés démocratiques, on y reviendra par la suite, ressemblerait alors à un cas de figure où la discipline de vote s’imposerait à tous les parlementaires, lesquels seraient alors tenus de respecter le choix des militants. Cette grille de compréhension a continué de fonctionner lorsqu’il s’est agi d’étudier les organisations politiques contemporaines. Cette vision historiciste du développement des partis, fortement contestée à partir des années 1980-19908, amène logiquement à considérer que les organisations politiques qui surgissent au cours de la IIIe République ne peuvent endosser la qualité de « parti politique » à part entière. L’expression de « proto-parti » que plusieurs auteurs utilisent comme par prudence nominale en témoigne9. Selon eux, beaucoup de partis, et a fortiori ceux de la droite républicaine, en sont restés à ce stade10. La structuration des partis politiques serait donc avortée ou inachevée. Cette position a été défendue dès les premières analyses politologiques et a été le plus souvent soutenue jusqu’à aujourd’hui. De M. Ostrogorski11 à un historien contemporain comme Raymond Huard12, en passant par André Siegfried13 et François Goguel14, tous soulignent à la fois la longue et difficile maturation des partis français depuis la Révolution française et les conséquences de cette histoire tourmentée sur les formes partisanes actuelles.
6Le deuxième critère de faiblesse, connexe du premier, a trait aux propriétés structurelles prêtées aux partis français. Ces formations dérogeraient pour la plupart au modèle de l’organisation entendu comme groupement homogène doté d’une direction forte et jouissant d’une pleine autorité sur tous ses membres. Le modèle latent du parti à laquelle s’adossent ces analyses est celui du groupement bureaucratique tel qu’il a été formalisé par les sciences administratives. Il est dès lors postulé que les organisations « dignes de ce nom » devraient avoir vocation à exécuter rationnellement et efficacement les tâches qu’elles encadrent, de manière prévisible et calculable, indépendamment des personnes censées les accomplir. Les partis français sont jugés trop peu bureaucratisés du fait de l’absence d’un nombre conséquent de permanents, rarement « articulés verticalement », pour reprendre les termes de Maurice Duverger, c’est-à-dire dépourvus de règles coercitives capables d’uniformiser et d’emboîter les arènes qui les composent, et trop décentralisés – ou territorialisés – pour imposer à leurs membres une véritable contrainte. En d’autres termes, une organisation, fût-elle partisane, est réputée solide lorsqu’elle standardise les activités humaines et qu’elle met les moyens humains au service de buts rationnellement déterminés.
7Enfin, la faiblesse organisationnelle des partis politiques français paraît être établie au regard du nombre de leurs adhérents répertoriés. Sans toujours établir de critère spécifique permettant de donner du sens aux chiffres avancés, à droite comme à gauche15, les formations politiques françaises n’auraient pas eu – et n’ont toujours pas – la taille critique pour prétendre appartenir aux organisations de « masse ». Cette dernière expression, récurrente, révèle une nouvelle fois en creux ce que les historiens entendent par « véritable » parti ou parti « fort ». De toute évidence, un parti est dit « fort » lorsqu’il accorde la primauté aux adhérents et tire sa force de la densité morale et physique de leur rassemblement. Ainsi, la France n’aurait connu que des exceptions bien éphémères. Le Parti social français du colonel De la Rocque qui, selon certaines estimations, aurait atteint le million d’adhérents, fait partie de celles-là, tout comme le Parti communiste à partir des années 1930.
8Ces diverses caractéristiques historiques ont été, le plus souvent, reprises telles quelles par les politistes. Ces derniers font de la faiblesse des partis français un véritable invariant historique que les évolutions contemporaines n’ont fait qu’accuser. On peut trouver une formulation complète de ces thèses de nature transhistorique dans un article d’Yves Mény dont l’intitulé est éloquent : « La faiblesse des partis politiques français. Une persistante exceptionnalité16. » Pour ce politiste, la plupart des organisations partisanes ne méritent tout simplement pas le titre de parti : « Ce que l’on désigne par parti n’est en réalité qu’un archipel où une unité de façade qui recouvre une grande diversité d’opinions et de fractions […] Fondés sur des bases fragiles, les partis politiques sont affaiblis par trois traits traditionnels, accentués encore par l’évolution de la Ve République17. » Ainsi, en plus de l’emprise des notables et du cumul des mandats, la fragmentation et l’instabilité du système partisan, les maigres ressources humaines, organisationnelles et financières seraient les traits distinctifs des partis français. Ces derniers seraient devenus des structures professionnalisées sans capacité de mobilisation collective. De sorte que, pour Yves Meny, « les traits fondamentaux d’une allergie à la structure partisane, congénitale, demeurent ». Plus que les historiens sans aucun doute, les politistes épaississent le diagnostic de la faiblesse par une analyse du système politique dans son entier. Pour Pierre Avril, les partis sont faibles parce qu’aucun d’entre eux n’a de véritables « vocation majoritaire18 ». Ce diagnostic général est décliné empiriquement selon la nature des partis, partis de droite et partis de gauche qu’il faut ainsi distinguer.
La droite comme forme quasiment déniée des partis politiques
9Plus que tous les autres partis politiques, la droite française, et plus spécialement les droites modérées et centristes, ont été présentées comme des groupements ne bénéficiant d’aucune assise organisationnelle véritable. Tant leurs directions que la nature de leurs appareils bureaucratiques ont été répertoriés comme relevant d’un modèle peu codifié qui appartiendrait aux « mœurs » politiques du XIXe siècle. Quelle que soit la période historique, il est alors répété que la droite a toujours été ectoplasmique19. Aujourd’hui encore, les spécialistes des partis inscrivent l’UDF ou Démocratie libérale dans cette filiation. L’argument le plus fréquemment avancé pour soutenir cette vision des choses s’appuie sur la culture des dirigeants conservateurs, laquelle souffrirait d’un excès d’individualisme. Qu’il s’agisse des partis modérés tels que l’Alliance républicaine démocratique, la Fédération républicaine ou le Parti radical socialiste, tous auraient souffert des mêmes « maux ». Rosemonde Sanson écrit par exemple que : « Le Parti républicain démocratique demeure un parti sans véritable colonne vertébrale, peu structuré. Les dirigeants se pérennisent. Les adhérents, a fortiori les parlementaires, gardent leurs habitudes d’indiscipline, voire de quasi-autonomie20. » À propos de son concurrent direct, la Fédération républicaine, on peut lire des constats similaires dans les travaux que Mathias Bernard consacre à la Fédération républicaine du Rhône : « Cette étude doit s’intéresser avant tout aux hommes qui incarnent, dirigent, mais aussi font vivre un courant politique qui accorde une place prépondérante aux individualités : contrairement aux partis de gauche, et notamment la SFIO ou le PCF, où la structure partisane prime les options personnelles, les organisations modérées restent sous l’influence de leurs chefs nationaux et de leurs notables locaux21. » Le Parti radical, dans une moindre mesure, n’échappe pas à ce type d’appréciation. Gérard Baal comme Serge Berstein reconnaissent en effet que le plus ancien des partis politiques français n’a jamais cessé de négliger la consolidation de son appareil partisan. Ces constats sur l’absence de structuration des forces modérées et centristes ont fait florès et sont repris sans aucune réserve par Pierre Levêque dans son manuel sur les forces politiques en France depuis 1880. L’auteur conclut son chapitre consacré à cette famille politique en ces termes : « à la puissance de la droite dans la société civile, à l’aptitude de son électorat de s’unir contre ses adversaires, continuent de s’opposer la division et par suite la faiblesse relative des organisations qui la représentent au Parlement et dans le pays22 ».
10Cet unanimisme des travaux sur la droite parlementaire a été avalisé et prolongé par nombre de politistes contemporains ou de spécialistes d’histoire contemporaine. L’ouvrage canonique de René Rémond23 sur les droites en France résume assez bien cette tendance. Selon lui, « les droites répugnent traditionnellement à l’organisation en parti ». Pour des raisons qui paraissent relever de l’évidence et, en quelque sorte, de l’atavisme, « si la droite n’a pas inventé le parti, c’est, d’après René Rémond, qu’elle n’en avait pas besoin24 ». Dans des manuels de science politique plus récents, la faiblesse de la droite est un donné sur lequel il ne convient plus de revenir. À propos de la droite modérée et de son inscription dans le jeu parlementaire au lendemain de la Seconde guerre mondiale, Jacques Chapsal écrit : « Les diverses droites avaient, pour la plupart, bon gré mal gré, joué le jeu de la représentation parlementaire, cela n’avait pas conduit à la constitution de partis organisés, structurés, cherchant à attirer des adhérents et à imposer un minimum de discipline à des groupes parlementaires correspondant exactement à ses formations partisanes. À côté des modérés, les radicaux socialistes représentaient une organisation et une discipline très poussée – c’est tout dire25 ! » Parler de « parti » à droite serait ainsi quasiment impropre.
La faiblesse du socialisme français
11Si l’on considère maintenant le corpusdes travaux consacrés à l’histoire du Parti socialiste français, sa faiblesse est traditionnellement fortement soulignée, au regard du développement des partis « sociaux-démocrates » européens notamment. Elle serait constitutive d’une spécificité forte, voire « d’une exceptionnalité » du socialisme français. Cette faiblesse telle qu’elle est présentée renvoie à trois caractéristiques principales communément dégagées26. La première serait la faiblesse de son enracinement social. Nombreuses sont les analyses qui insistent sur l’absence de liens « organiques » du socialisme avec le monde ouvrier et les syndicats, et plus généralement sur les faiblesses de son ancrage sociétal. La tradition anarcho-syndicale empêche, selon de nombreux auteurs, tout lien avec le Parti socialiste. La Charte d’Amiens marque un tournant souvent présenté comme « irréversible27 ». Le Parti socialiste ne s’est jamais, à l’échelle du pays, constitué en contre-société ou en « parti milieu de vie ». Sa faiblesse organisationnelle constituerait une deuxième particularité. Jamais la structure « social-démocrate », marqué par un tropisme net pour l’organisation, n’est parvenue à s’imposer en France28. Elle apparaît introuvable à ceux qui tentent de la repérer29, ou alors très limitée géographiquement30. Appareil peu étoffé, bureaucratie partisane quasi-inexistante, forte décentralisation, faible pouvoir du centre sur la périphérie et surtout inexistence d’un militantisme puissant et intégré, dit de « masses » spécifient le parti comme organisation. Hugues Portelli s’appuie sur cette structuration lâche pour considérer que le Parti socialiste a toujours été avant tout un parti de notables et de comités locaux reproduisant le modèle organisationnel du parti radical31. L’auteur s’interroge : « La SFIO constitue-t-elle un véritable parti socialiste32 ? »
12Enfin, le socialisme français aurait cultivé une relative extériorité par rapport aux règles du jeu politique et n’aurait que tardivement accepté, de manière pleine et entière, son intégration dans le système politique33. Cette particularité est présentée comme un indice de faiblesse, la pratique assumée du pouvoir et du compromis qui lui est « inhérent » faisant la force de la social-démocratie. L’antériorité de la République par rapport au socialisme et une constante méfiance à l’égard des principes de la démocratie représentative seraient ici en cause. Le dilemme historique du socialisme et sa contradiction matricielle, longtemps insurmontable, tiendraient en une difficulté permanente à articuler « l’absolu du parti au relatif de la démocratie parlementaire » et pluraliste qui le condamnerait doctrinalement et pratiquement à « bricoler des formules mixtes34 » et à assurer les conditions de sa faiblesse.
13Ces divers traits typiques, fortement intriqués, font système, et dessinent un modèle d’analyse relativement cohérent rendant compte de la solidité et de la permanence dans le temps de la faiblesse du socialisme français. Hugues Portelli constate que les « faiblesses » du socialisme sont « congénitales » et que les socialistes ne sont jamais parvenus à les surmonter35. Christophe Prochasson écrit : « Depuis le début du siècle, les partis socialistes successifs, à l’encontre des social-démocraties, allemande ou britannique, ou, plus encore, du Parti communiste, n’ont cessé d’être des structures lâches, d’ailleurs sans mémoire, faiblement professionnalisés et sans réels relais dans les syndicats ni même les associations, coopératives ou plus récemment mutuelles36. » La prédilection pour l’idéologie et la constance de l’intransigeance doctrinale fonctionnerait alors comme un moyen de conjurer sa faible représentativité ouvrière et sa fragilité organisationnelle. Ces explications historiques, si elles présentent des éléments guère contestables, laissent pourtant une énigme non résolue, à savoir de quelle manière le Parti socialiste a assuré sa pérennité.
Les élus contre le parti
14L’analyse de la faiblesse des organisations politiques en France repose sur un autre argument qui redouble généralement les appréciations sur la fragilité des appareils partisans, à savoir l’irréductible opposition entre les élus et le reste du parti. Deux éléments sont ici avancés. D’une part, la fragilité des organisations partisanes serait la conséquence inévitable de la victoire des élus sur les militants. Est ainsi développée l’idée selon laquelle « les origines électorales et parlementaires des partis », pour reprendre M. Duverger, auraient engendré des partis de cadres ou d’élus. Cette genèse aurait laissé des traces indélébiles en France, et la prévalence des élus sur le parti se serait perpétuée jusqu’à aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle on lit, ici où là, que cette faiblesse est « congénitale ». D’autre part, l’atrophie des partis français serait due à la trop forte présence des notables en leur sein. Réalités partisanes et place des élus sont donc systématiquement et souvent mécaniquement opposées. La « culture individualiste des dirigeants37 », essentialisée, est sans cesse mise en avant.
15Les politistes s’appuient là encore sur les travaux d’historiens pour faire du poids des élus une loi d’airain. Pour Yves Mény, en France, « ce ne sont pas les partis qui sélectionnent les élites, ce sont les élites qui se choisissent leur parti par une habile combinaison de leurs choix idéologiques et des orientations politiques de la circonscription38 ». L’auteur en veut pour preuve l’évolution de la Ve République « née contre les notables » et finalement « complètement dominée par eux39 ». À gauche comme à droite, la notabilisation des partis et des élus est vue comme un processus irrésistible. L’enracinement local l’emporte toujours sur l’allégeance partisane, l’élu se sert plus du parti qu’il ne le sert. En somme, ces travaux établissent la supériorité des ressources individualisées ou localisées sur les ressources collectives dans la compétition électorale ou dans l’accès aux positions de pouvoir, que ce soit sous la IVe ou la Ve République40.
16Ce poids des élus a pu faire l’objet d’explications historiques d’ensemble. Frédéric Sawicki analyse ainsi les ressorts de la faiblesse du « clientélisme partisan en France » et l’attribue à « la prépondérance des réseaux d’élus dans la politique française41 ». Il cherche à comprendre pourquoi les pratiques clientélaires sont « l’apanage des gros élus plutôt que des chefs de parti ». Reprenant le cadre d’analyse de Martin Shefter, il met en avant le fait qu’en France la démocratisation a été postérieure à la bureaucratisation. L’autonomisation de l’administration y a été précoce mais les élus ont maintenu un fort contrôle sur les ressources locales. S’est opéré ainsi progressivement « un grand partage » entre une administration étatique obéissant de plus en plus à des règles impersonnelles et une administration locale contrôlée « assez librement » par les élus. La Libération marque pour les partis selon l’auteur une occasion manquée. Avec l’épuration et le tripartisme, intervient un partage national des ressources publiques entre partis. Chaque ministère devient ainsi le « fief exclusif » d’un parti. Mais cette dynamique de « partinisation » est vite cassée.
L’attachement de la droite à la « démocratie des notables »
17Les études historiques et leurs prolongements dans la science politique ne manquent pas d’affirmer de multiples manières que la droite a été – et est encore –, plus que partout ailleurs un univers constitué de notables. Cette assertion se complète d’ailleurs assez bien avec la formule de François Goguel pour qui les forces conservatrices se situeraient du côté du « parti de l’ordre établi ». À travers cette formule qui n’est pas sans parenté avec la vision d’André Siegfried voyant la droite du « côté du château », c’est un pan entier de l’histoire des élites sociales et économiques de la France depuis la fin de l’ancien régime qui est convoquée pour mettre à jour la faiblesse organisationnelle de la droite42. Le pouvoir des notables donnerait les raisons pour lesquelles « la droite a toujours été réfractaire à des formes d’organisation trop structurées43 ». Derrière le terme de notable, on retrouverait donc un ensemble d’agents sociaux dont, comme l’a énoncé J. Tudesq, « le pouvoir ne résulte pas seulement de l’élection, ou du moins dont l’élection est déjà conditionnée par un ensemble de situations liées à la naissance, à la fortune ou à la capacité, et qui cumule plusieurs de ces éléments44 ».
18De toute évidence, la IIIe République n’a pas écarté ces élites issues de l’ancien régime, au mieux elle a vu d’autres catégories sociales privilégiées se substituer à leurs aînés conservateurs. Malgré tout, les historiens ont gardé tel quel le terme de notable. La richesse personnelle, l’enracinement dans un territoire donné et la poly-activité des dirigeants conservateurs permettraient donc d’expliquer l’extrême fluidité du système partisan de droite, la fragilité des structures d’encadrement, « les initiatives politiques prises au sommet, à l’échelon des états-majors parlementaires le plus souvent45 » et le fait que leurs dirigeants « se contentèrent d’une participation formelle, en prenant soin de ne jamais se lier les mains46 ». Qu’elles portent sur l’Union des droites du baron de Mackau, l’Alliance libérale populaire de Jacques Piou, l’Alliance républicaine démocratique, la Fédération républicaine ou le Parti radical socialiste, l’immense majorité des études se sont accordées à voir dans ces organisations des rassemblements d’élus omnipotents ayant réussi à convertir l’estime sociale dont ils jouissaient dans la société et hors du jeu politique en position de pouvoir. On parle ainsi d’eux comme composant des « cénacles de dignitaires », comme des élus qui « appartiennent, pour reprendre les termes du XIXe siècle, à la catégorie des capacités, des notables, ou, en un vocabulaire plus d’époque, se rattachent aux élites47 ». Le nombre important de comités électoraux apportent une preuve supplémentaire à ce que d’aucuns considèrent comme le signe incontestable du retard de la droite française en matière de développement partisan. Les longs développements qu’accorde Mathias Bernard à la fédération républicaine du Rhône sont éloquents à cet égard. Ces structures locales feraient preuve d’une grande indépendance et laisseraient les notabilités locales exercer leur influence en toute liberté. Les mêmes constats sont faits sur le Parti radical, et ce quelle qu’en soit la période. Gérard Baal et Serge Berstein insistent à plusieurs reprises sur l’extrême décentralisation de la formation radicale à travers ses comités électoraux, sa presse provinciale, ses loges maçonniques, autant d’indices qu’il faut, selon eux, mettre en rapport avec le poids des notables dans le parti. Le Parti radical ne serait parvenu que difficilement à « se dégager de la gangue du radicalisme inorganique du XIXe siècle pour prendre peu à peu les traits des partis modernes48 ». Le poids excessif des élus radicaux a, selon ces auteurs, toujours empêché cette organisation de se rénover en dépit des tentatives successives de Camille Pelletan, de Pierre Mendès France ou plus récemment de Jean-Jacques Servan-Schreiber.
19En outre, ce qu’on pourrait appeler l’habitus notabiliaire des élus de droite, a favorisé un ensemble de comportements politiques qui n’ont fait que renforcer le pouvoir des hommes sur leurs organisations. Les notables seraient prédisposés à se comporter de manière « individualiste » et « indisciplinée ». La notabilité qui est source de conservation sociale s’opposerait en tout point aux exigences de la rationalité bureaucratique. Cela expliquerait la porosité des clivages politiques, le développement de réseaux, des ligues et des clientèles parallèles aux organisations. Pour reprendre les termes de Gilles Le Béguec, il semblerait qu’« une dynamique des courants et des contre-courants [ait] créé un climat de précarité empêchant les partis naissants de délimiter leur territoire, de fidéliser leur clientèle et d’imposer dans le public l’image d’un lien stable entre un drapeau, un système de références et une place bien déterminée dans l’espace politique49 ».
20L’ensemble de ces travaux trop rapidement survolés ici ont, semble t-il, convaincu les historiens du temps présent comme les politistes que la droite non gaulliste n’avait rien perdu de sa singularité notabiliaire. Pierre Lévêque, traitant des Indépendants et du Parti radical au lendemain de la Seconde Guerre mondiale voit réapparaître, à quelques différences près, des structures politiques calquées sur les anciens modèles notabiliaires50. La création du MRP au sortir de la guerre n’a rien modifié de la perception que les analystes se font de la droite centriste ou modérée, même si certains auteurs ont bien voulu lui décerner le label de « grand parti51 ». Reprenant les travaux et les conclusions fournies par Colette Ysmal52, Pierre Lévêque retient surtout de cette entreprise démocrate-chrétienne que le MRP n’est pas un parti de militants du fait de son embourgeoisement et que « ce sont les élites de cette organisation de cadres et de notables qui représentent sa vraie réalité politique ». Enfin, Bernard Denni, dans la synthèse qu’il propose sur les partis du centre et de la droite libérale au milieu des années 199053, insiste sur le fait que cette mouvance « se caractérise par une longue tradition d’inorganisation politique ».
Le poids des élus socialistes
21À propos du socialisme hexagonal, de nombreux travaux mettent également l’accent sur le poids des élus locaux, notamment municipaux, pour souligner l’indiscipline des élus et leurs velléités constantes d’émancipation à l’égard de la tutelle de parti. Par le biais du cumul des mandats qui se développe dans les années 1920, et ce pour contrer la menace communiste, les élus s’affirment comme des relais irremplaçables. La SFIO est très tôt l’un des premiers partis d’élus locaux français : 197 maires en 1908, 297 en 1912, 532 en 1925, 1 375 en 1935 (et au moins 20 000 conseillers municipaux), 4 115 en 1945 (près de 50 000 conseillers). Sous la IVe République, la SFIO revendique, non sans fondement, le titre de « premier parti local ». « En 60 ans, elle est devenue le premier parti d’élus locaux français dépassant le parti radical » note Gilles Morin54. Le chiffre reste à peu près stable par la suite (même pendant la période des basses eaux électorales des années soixante). Ces chiffres sont considérables si on les rapporte au nombre de militants et au nombre d’employés municipaux membres du parti. Il est usuel dans les années cinquante et soixante de parler de « mutuelle des agents communaux » pour désigner la SFIO. Hugues Portelli constate que la structure du parti « où les notables et les caciques locaux disposent seuls du pouvoir est plus proche du modèle radical que des modèles socialistes55 ».
22Mais ce « pouvoir » des élus locaux est rarement décrit, explicité et analysé56. Comment se manifeste-il ? Est-il sans limites ou contraintes ? La réponse viendrait du fait que le poids des élus procéderait quasi-mécaniquement la « faiblesse » du parti. L’étude de Denis Lacorne fait exception57. Il analyse minutieusement, à partir de la question de l’application de la règle d’union de la gauche dans les années soixante-dix, la difficulté du Parti socialiste à contrôler ses élus et à lui imposer ses orientations et ses décisions. Le Parti socialiste se révèle souvent incapable d’appliquer une stratégie municipale « rationnelle » (le terme est évocateur) et impérative et est contraint d’accepter une longue liste d’exceptions qui l’amène à codifier les pratiques transgressives à la base. Reste que l’union de la gauche s’applique à la plupart des municipalités, non sans mal certes, lors des municipales de 1977, fortement « politisées » et « nationalisées ».
Une thématique au cœur de « l’exception française » Quand la faiblesse des partis renvoie à celle des corps intermédiaires
23La topique de la faiblesse des partis politiques est fréquemment rapportée aux traits réputés spécifiques de la société française. Elle ne serait qu’un symptôme d’une faiblesse plus générale des corps intermédiaires. Les facteurs avancés pour rendre compte à la fois du retard et de la faiblesse des partis renvoient à des dimensions souvent attachés à la spécificité du développement socio-économique français telle que la lenteur de son industrialisation, l’urbanisation tardive, la faiblesse de la classe ouvrière, l’isolement et l’enclavement de la population rurale et l’importance de la petite propriété. Mais l’exception partisane française trouverait plus précisément sa source dans une autre « faiblesse » structurelle, à savoir celle des « corps intermédiaires » et de sa « société civile58 ». La faiblesse des partis en serait une variante et une des manifestations. Les formations politiques seraient faibles parce que perçues comme non légitimes et non reconnues juridiquement. Le topos historique est connu : la République a longtemps refusé toute légitimité aux corps intermédiaires, au nom d’un individualisme moderne fondant la souveraineté sur la confrontation de l’électeur et de ses représentants parlementaires. Les corps intermédiaires menacent le système du gouvernement représentatif, c’est-à-dire le monopole de l’expression du collectif, autant de conditions nécessaires à l’efficacité de l’État et à son unité d’action. Yves Mény analysant en France la « persistante incapacité d’organiser et de structurer les organisations de médiation entre la société et l’État et au premier chef les partis politiques » invoque la « faiblesse de la société civile » : « la fameuse société civile dont on fait grand cas dans le discours politique ou dans les cercles restreints qui tentent de repenser la politique n’est guère qu’un ectoplasme commode qui dissimule l’incapacité des groupes, quels qu’ils soient, d’organiser de manière structurée et stable des mobilisations sporadiques et celle du milieu politique de renouveler ses idées et ses hommes59 ». L’obstacle au développement des partis est pour Serge Bernstein la tradition individualiste de la société française née en 178960.
24Les sources de cette illégitimité remonteraient à la Révolution française dont l’impact sur le destin des partis politiques en France est jugé décisif par Pierre Rosanvallon notamment : « Pour les hommes de 1789, les partis sont dans l’ordre politique l’équivalent des jurandes ou des corporations dans l’ordre économique : un écran perturbateur du bon fonctionnement social et de la poursuite de l’intérêt général61. » Pour Bernard Pudal, « l’acte de baptême des organisations politiques pendant la Révolution Française et l’octroi du suffrage universel masculin dans un contexte lui aussi qualifié de révolutionnaire (1848) ont contribué à dramatiser la vie politique et à accréditer la suspicion sur les organisations politiques, freinant ainsi leur développement et nuisant à leur reconnaissance symbolique ». La question de la légitimation des partis politiques fait donc problème. Dans Le peuple introuvable, Pierre Rosanvallon tente de répondre à cette énigme au regard de ce qu’il nomme « l’économie générale de la représentation ». Il y scrute « la critique rémanente des partis politiques qui n’a cessé de sous-tendre la culture politique hexagonale, inscrivant dans une même lignée les constituants de 1789 et les républicains de 1848, rapprochant à deux siècles de distance les imprécations de Roederer contre les factions et celles de Gaulle contre le règne des politiciens62 ». L’auteur en conclut que « la démocratie des partis n’a pas connu pour cette raison le même accomplissement que dans nombre d’autres pays ». Selon lui, ce serait le passage d’une conception individualiste-moniste du social à une vision organique qui justifierait l’existence des partis. Pour autant, la République perpétue bien en la recomposant la tradition de méfiance à l’égard des corps intermédiaires. Les explications de cette ambivalence rassemblent des chercheurs de différentes disciplines. Pour R. Huard, par exemple, l’idéal républicain sur le plan électoral est fondé « sur le libre choix du candidat par les électeurs ou leurs délégués à l’occasion de conventions temporaires et épisodiques63 ». Demeurent ainsi ce que P. Rosanvallon appelle la faible « valence sociologique » des partis, leur « faiblesse institutionnelle », leur « insuffisante légitimité ». Ce qui intéresse l’auteur c’est moins pourtant les partis politiques eux-mêmes que ce que leur perception au sein des débats et des controverses politiques révèle. La faible légitimité intellectuelle des partis est une manifestation de la culture politique française marquée par le « refus principiel de reconnaître le peuple sous un autre mode que celui de l’Un », la « permanence de la tentation illibérale liée à l’absolutisation de la souveraineté du peuple et qui souligne l’exception française64 ». Les partis politiques sont en d’autres termes étudiés dans une perspective attentive aux « antinomies constitutives du politique65 ». L’histoire conceptuelle du politique s’apparente alors à une histoire des apories démocratiques telles que les élites les formulent, les mettent en forme et en scène.
Le double étalon de la faiblesse : le parti communiste français, les partis étrangers
25La faiblesse des partis politique est relative. À quel étalon de comparaison le diagnostic de « faiblesse » se réfère-t-il ? Il s’adosse à un double référent, souvent plus implicite qu’explicite : le Parti communiste en France et les partis politiques à l’étranger.
Un comparatisme souvent rapide
26Si la référence aux partis étrangers est souvent allusive, la force des partis en Europe est pourtant présentée avec une grande constance. Certes, la comparaison a du sens dans la mesure où les développements des partis européens ont pu constituer un modèle pour de nombreux dirigeants français66. Et c’est pour cette raison qu’il est rappelé que la structuration des partis à l’étranger a été plus précoce qu’en France. Seul Pierre Avril a pu noter que le Labour Party était né en même temps que la SFIO67. Pour autant, il semble bien que l’antériorité sociohistorique des partis européens fonctionne, ne varietur, comme une cause et une conséquence de l’exceptionnalité partisane française. L’explication apportée par Pierre Rosanvallon synthétise assez bien ce qu’on peut lire des travaux historiques et sociologiques. Dans Le Peuple Introuvable, ce dernier rapporte, en effet, qu’« à l’inverse, même si c’est sur des modes différents, les régimes sociaux-démocrates (sur le mode allemand, néerlandais ou suédois) et les systèmes fondés sur la valorisation de la dynamique des groupes d’intérêts (à l’américaine) ont permis simultanément de donner toute leur place aux partis et de rendre plus opérante et visible la fonction représentative68 ».
27L’incapacité de la France à faire émerger une démocratie chrétienne organisée à l’instar d’autres pays européens est posée en énigme historique à élucider. Bernard Pudal évoque « la troublante absence à la fois d’un grand parti social-démocrate et d’un grand parti démocrate-chrétien » comme une des caractéristiques de « l’énigme, du moins de la spécificité française69 ». Les partis de droite européens, au contraire, sont présentés comme plus organisés. Colette Ysmal note que « des partis libéraux comme l’Alliance démocratique ou démocrates-chrétiens comme le Parti démocrate populaire n’auront jamais la force et le rayonnement de leurs homologues européens70 ».
28Le Parti socialiste français, quant à lui, est toujours pensé dans son écart à la norme social-démocrate. Ce prisme analytique est particulièrement prégnant et récurrent. Le socialisme français est pensé comme radicalement différent de ses homologues allemands, anglais ou scandinaves. Même si la social-démocratie est présentée comme plurielle71, le paradigme social-démocrate tend à fonctionner comme un modèle unifiant qui est souvent réifié et que la posture tend à homogénéiser. La social-démocratie est réduite à la force prétendue de son ancrage social et au souci de son organisation. En ce qui concerne le Parti socialiste français, « le compromis social-démocrate » lui serait ainsi resté étranger. Ce n’est que tardivement qu’il aurait opéré son « Bad Godesberg », et qu’il aurait renoncé, ne serait-ce que statutairement, à sa vocation révolutionnaire72.
Le parti communiste : le modèle du « parti »
29Seul, le Parti communiste fait figure d’exception dans le paysage politique français. Il est ainsi fréquemment présenté à la fois présenté comme une exception au modèle français, au sens où il serait le seul parti de masses que la France ait connu, et comme une exceptionnalité française, dans la mesure où aucun pays d’Europe occidentale n’a connu un parti communiste aussi fort. Innombrables sont les travaux, de factures diverses, qui affirment que le Parti communiste est le seul et authentique parti de masses de l’histoire de France. Daniel-Louis Seiler73 : « lorsque l’on se penche sur les faits, deux évidences se font jour. D’une part, que loin de constituer quelqu’âge d’or des partis politiques, la IVe République ne connaissait que le Parti communiste pour mériter le nom de parti. Les autres formations qui s’intitulaient ainsi ne représentaient en fait que des sortes d’ectoplasmes à l’existence souvent évanescente ». Il n’y a alors rien de surprenant à constater que le Parti communiste est de loin le parti qui a suscité en science politique surtout, et en histoire dans une moindre mesure, le plus de recherches historiques. N’appelle-t-on pas parfois le PCF « le parti » comme s’il n’y en avait qu’un ? Le Parti communiste est ainsi une référence constante des travaux sur les partis politiques. L’analyse routinisée des « fonctions » des partis politiques (encadrement, intégration, socialisation, sélection des élites, structuration de l’offre…) est le plus souvent construite à partir du cas communiste français. La « force » de l’organisation communiste ici vue comme un aspect central de la puissance communiste. L’« esprit de parti », la remise de soi à l’organisation, la discipline partisane de cette « institution totale ouverte74 », le centralisme de l’organisation et le contrôle des élus sont des aspects présentés comme puissamment « fonctionnels ». Bref, le PCF a longtemps été présenté comme un tout homogène et les militants communistes unis « comme un seul homme », derrière l’organisation et ses dirigeants. Cette vision d’un parti homogène derrière la force de l’organisation et de communistes interchangeables a été heureusement remise en cause à partir de la fin des années quatre-vingt75. Un certain nombre de travaux et de monographies portant surtout sur le communisme local et labellisés comme relevant de « l’approche sociétale » des partis politiques ont renouvelé l’intelligence historique du phénomène communiste. Ils démontrent que la force du Parti communiste n’est pas réductible à la puissance de son organisation. Les monographies exemplaires auxquelles l’ancrage municipal communiste a donné lieu ont démontré que le communisme français tire sa force dès l’entre-deux-guerres de sa capacité à épouser et/ou à constituer des collectivités ouvrières, à produire des identités sur la base de territoires locaux, à transformer des populations locales en communautés. En mettant à jour les ressorts très divers et avant tout locaux de l’affiliation au communisme, elles démontrent la variété, selon les lieux et les périodes, des engagements, des liens, des relations, subsumés sous l’adhésion formelle au communisme. Le paradoxe est donc que c’est à partir que l’organisation apparemment la plus forte que l’on parvient à la conclusion selon laquelle la force d’une organisation n’est pas forcément réductible à celle de son organisation.
Reconsidérer l’objet partisan Les limites de la problématique de la faiblesse des partis
30On le voit bien, chez les historiens autant que chez les politistes la faiblesse des partis fait l’objet d’un fort consensus. Sans vouloir réfuter point par point l’ensemble des points de vue qui ont affermi cette vision politologique et historienne, nous voudrions, dans cette seconde partie, discuter quelques-unes des problématiques pour en montrer les limites conceptuelles et méthodologiques. Il ne s’agit pas de nier les arguments mobilisés à l’appui de cette thèse qui apparaissent pour beaucoup guère contestables ou de proposer un modèle d’analyse historique alternatif mais de montrer que l’analyse historique des partis a été prisonnière d’une conception souvent trop restrictive de la notion de parti.
Tropisme organisationnel et vulgate duvergérienne dans l’analyse historique des partis politiques
31Les travaux qui mettent en avant la faiblesse des partis s’adossent à une théorie des partis politiques, plus ou moins explicite, le plus souvent impensée. Historiens comme politistes, même s’ils s’en défendent souvent, activent toujours, ne fût-ce inconsciemment, des cadres cognitifs et conceptuels pour décoder la réalité historique dont ils rendent compte. Comme le dit justement Antoine Prost, « l’histoire n’est pas une pêche sans filet76 ». On veut ici émettre l’hypothèse que les schèmes d’analyse historiens ont été à la fois fortement marqués par les travaux pionniers de Maurice Duverger et par la force prêtée au Parti communiste, dont l’âge d’or est contemporain de l’émergence et de l’affermissement de l’histoire politique française.
32On le sait, l’approche des partis a longtemps été marquée par un fort tropisme organisationnel, et la force de la vulgate duvergérienne, longtemps dominante, a pesé de manière décisive sur la constitution du lieu commun de « la faiblesse des partis ». Cette influence, mais aussi, dans une certaine mesure, celles de M. Ostrogorski et de R. Michels, ont fortement orienté la plupart des travaux d’historiens, de sociologues et de politistes. La dichotomie proposée par M. Duverger entre « partis de masse » et « partis de cadres » a été un puissant analyseur à partir duquel les formations politiques en France ont été jugées faibles. Cette approche a connu un succès considérable, y compris lorsqu’il s’est agi de remonter aux origines ou de la « naissance » des partis politiques.
33Tout dans le maître-livre de M. Duverger portait, il est vrai, à considérer les partis politiques français à l’aune d’une de ces deux catégories-clés qu’est le concept de « parti de cadres » : l’influence des parlementaires, la création des structures partisanes non pas de « l’extérieur » mais à partir du jeu parlementaire, le faible nombre d’adhérents qu’ils pouvaient revendiquer, l’articulation incertaine entre les niveaux nationaux et locaux des organisations et enfin l’indiscipline apparente des élus par rapport à la ligne prônée par les bureaux exécutifs des partis. Autant d’indices incontestables de la prétendue exception partisane française et plus particulièrement de sa résistance au développement des organisations modernes de masses. L’accueil qui a été réservé au livre de M. Duverger et les critiques tardives dont il a fait l’objet, n’ont pas freiné, loin s’en faut, la tentation du formalisme. La notion de parti de cadre, de notables ou d’élus, dans le cas de la France, s’est routinisée. Et son usage s’est généralisé et diffusé parce qu’elle a longtemps semblé particulièrement ajustée à une réalité partisane passée ou présente qui faisait ressortir le rôle prépondérant des parlementaires et des élus locaux. La relation entre la définition des partis de cadres et la faiblesse constatée des partis politiques français est alors automatique et frappée du sceau de l’évidence.
34Les travaux historiques tendent à la fois à être prisonniers du parti comme un tout homogène et d’un prisme souvent exclusivement organisationnel. L’efficacité de l’organisation est présentée comme nécessairement liée à la force des règles internes. La fluidité des partis n’est pas considérée comme un gage de force. Serge Berstein, par exemple, s’étonne que les fondateurs du Parti radical et donc « du premier parti politique moderne » ne cherchent pas à « mettre de l’ordre » dans ce « fatras » que constitue cette tendance républicaine, et qu’ils fassent « triompher la souplesse à la clarté77 ». En ne s’aventurant pas au-delà des frontières strictes de l’organisation, les historiens et les politistes, victimes d’une vision restrictive des partis, se sont souvent interdits d’analyser les réseaux, les milieux, les configurations sociales qui conditionnent le rayonnement des partis et donc leur puissance sociale. L’analyse, longtemps centrée sur l’organisation stricto sensu, a laissé dans l’ombre un certain nombre de réalités sociales qui participent de la construction et de la consolidation des entreprises partisanes même si elles sont parfois détachées de l’organisation. C’est au fond le déficit, longtemps manifeste, d’analyses sociétales des partis politiques qui est ici en cause. Nombre d’entre elles, en détachant le parti de son « environnement social », se sont dès lors polarisées sur les arènes centrales, sur les débats de la « vie politique nationale » et, de fait, ont fait l’impasse sur l’analyse de l’implantation de ces institutions, c’est-à-dire des réseaux familiaux, amicaux, syndicaux, associatifs ou encore professionnels qui définissent leur milieu d’influence78. L’histoire des partis politiques français a sans doute sous-estimé « la force » que représente la porosité des formations politiques, leurs enracinements dans des sites territorialisés, la spécificité de leurs réseaux sociopolitiques. Ce travers est d’autant plus dommageable que trop souvent les analystes figent une particularité organisationnelle sans se montrer sensibles aux phénomènes de changement qui traversent constamment les partis par-delà la permanence des sigles.
35Les milieux partisans ont été peu étudiés ou renvoyés aux marges de l’objet partisan. C’est à l’aune de cette perspective qu’il faudrait sans doute relire un certain nombre de travaux historiques. Les historiens se réclamant de l’histoire sociale font souvent de l’analyse sociétale sans la formaliser ou la typifier comme telle79. Au-delà des limites formelles de l’organisation, les partis politiques doivent être analysés dans les systèmes d’action, les réseaux, les groupements divers, les institutions, les lieux de pouvoir où ils s’inscrivent. Les organisations partisanes n’existent que parce qu’elles prennent appui et entretiennent des oppositions sociales et par-delà mobilisent des groupes sociaux bien spécifiques. L’analyse sociétale n’est pas pour autant sans risques. Ceux qui s’appliquent à montrer qu’une formation politique s’enracine dans telle ou telle région, dans telle ou telle ville ou campagne, peuvent se montrer peu attentifs à la « centralité partisane » au sein des communautés d’implantation80.
36Les choix théoriques opérés par les historiens de la droite apparaissent ainsi liés par ces héritages disciplinaires. Il n’est alors pas étonnant que l’Histoire des droites en France, dirigée par J.-F. Sirinelli, respecte un découpage qui oppose « les cultures », « les sensibilités » et « le politique ». Aussi, dans la partie consacrée à l’histoire politique des droites en France, on perçoit que les auteurs peinent à prendre en charge la question des frontières du parti avec « la société civile ». Dans ce chapitre, Gilles Le Béguec se doit d’insister sur le fait que « l’essor des formations organisées a été contrarié par l’extrême difficulté à établir une correspondance stable entre les structures partisanes et les courants de l’opinion profonde ». Un peu plus loin, il avance l’idée que les partis de droite n’ont pas pu croître comme ils auraient dû le faire à cause justement de la grande fluidité des luttes politiques et sociales du moment, de l’autonomie des parlementaires et de l’existence de groupes nationaux et locaux concurrents. La conclusion qu’il avance est révélatrice de l’approche qu’il a privilégiée. La force de la droite tiendrait d’une part à sa densité hors des frontières du parti grâce aux ligues, aux courants intellectuels et aux groupes de presse qui l’ont suppléée, et sa fragilité, d’autre part, à son incapacité à se doter de solides structures partisanes du fait de la concurrence qu’elle a subie avec ces mêmes groupements parallèles. Bien que l’auteur ait fait état avec justesse de la consistance sociale des droites françaises sous la IIIe République, il reste prisonnier d’une approche très formelle de l’organisation politique telle que l’a défini M. Duverger, laquelle exclut de penser tout à la fois le « parti » et le « hors-parti » ainsi que leurs rapports interstructurels.
Pour une complexification de la question de la place des élus dans les partis et le rapport des notables à l’organisation
37Fréquemment, les analyses qui ont été faites sur les partis politiques ont mis en avant, on l’a vu, l’omnipotence des élus comme étant la cause principale de leur faiblesse. Il ne fait certes guère de doute qu’une des particularités du système politique français tient au poids des élus, c’est-à-dire d’abord, relativement aux autres pays, à leur nombre. La multitude de trophées politiques qu’offrent les innombrables collectivités locales a pesé sur la structuration des partis français. Sur ce point, on ne peut que rejoindre Gilles Le Béguec lorsqu’il explique que « la pression directe ou indirecte des élus locaux a vidé d’une grande partie de son sens la distinction classique, chère aux politistes des années cinquante/soixante-dix entre partis de cadres et partis de masse. Si l’on excepte le parti communiste et les mouvements portés par une grande vague de mobilisation nationale (Le parti social français du colonel de La Rocque ou le Rassemblement du peuple français du général de Gaulle), les partis du XXe siècle français ont toujours été, peu ou prou, des partis d’élus. C’est-à-dire que les élus locaux en place, les anciens élus, les candidats plus ou moins déclarés à l’exercice de ce type de mandats, les conjoints, parents ou affiliés d’élus ont constitué le principal réservoir d’adhérents engagés de façon durable81 ». Cependant, le temps du constat mérite d’être dépassé. Les relations et interactions entre « élus » et « partis » méritent d’être complexifiées. À cet égard, M. Offerlé a ouvert une voie féconde pour sortir de cette double réification « élus/parti ». La solution, si on le suit, est dans un outillage notionnel de type dialectique où il est possible de penser « la rencontre des capitaux collectifs partisans et des capitaux sociaux individuels produit trois types de relations – toujours mouvantes – dans lesquelles les hommes politiques sont soit redevables de leurs ressources à leur parti, soit relativement indépendants par rapport à lui, soit ont su accumuler, grâce à lui, un capital propre qui fonde leur propre autonomie82 ».
Revisiter la question des « notables »
38La notion de notable pose un certain nombre de problèmes liés à son usage souvent relâché et à la dilution de son sens. On est ici en présence d’un concept écran qui désigne plus des phénomènes qu’il ne les explique. Ainsi, à propos de la droite modérée, pour ne prendre que cet exemple, de nombreux manuels et de travaux de science politique ou d’histoire contemporaine l’ont décrite comme un univers constitué de notables. Malheureusement, l’absence de définitions précises et la rareté des exemples fournis par ces auteurs ne permettent pas de savoir ce qu’on entend par-là. En général, à travers cette métaphore du notable, est développée l’idée que la fortune exonère ses détenteurs de l’obligation d’accumuler des ressources d’ordre partisan. Mais aucune étude, à notre connaissance, n’a démontré que cette relation de cause à effet avait sa pertinence. De même, bien souvent, le terme de notable a été utilisé invariablement à propos d’organisations politiques très éloignées les unes des autres dans le temps. Quoi de commun en effet entre les prétendus « notables » de l’Alliance républicaine démocratique et ceux du CNIP ? Certes, on perçoit bien de légers glissements sémantiques chez certains spécialistes. Lorsque Jean-Claude Colliard parle des « notables modernes » à propos des élus locaux qui se sont ralliés à l’entreprise giscardienne dans les années 1960, on mesure l’effort accompli pour recontextualiser la figure du notable. Mais force est d’admettre, malgré tout, qu’il reste à affiner cette définition. Malheureusement, à aucun moment la plupart des auteurs qui ont étudié la droite modérée n’ont cru devoir s’engager dans une sociologie plus approfondie de ces groupes élitaires.
39Le recours à la catégorie de notable qui recoupe souvent celle de l’élu local induit d’autre part que les dirigeants de droite comme ceux du Parti socialiste auraient pu mener une carrière politique sans avoir eu à dépendre de telle ou telle organisation politique. Les relations entre élus et partis ont tendance à n’être analysées que sur le mode de la dépendance ou de l’indépendance alors qu’elles apparaissent plus complexes et moins univoques. Des travaux récents apportent des éclairages nouveaux. Plus exactement, ces études ont mis en lumière le fait que l’entretien de ressources notabiliaires n’excluait pas l’accumulation d’un capital partisan. L’ouvrage d’Éric Phélippeau83 marque une profonde remise en cause des approches habituelles. L’auteur montre en effet que le baron de Mackau, dans les années 1860-1870, a été amené à se professionnaliser pour préserver ses titres électoraux, soit en rationalisant ses activités de propagande, soit en s’alliant avec d’autres élus au sein de groupes parlementaires et/ou d’organisations politiques telle que l’Action libérale populaire84 ou l’Union des droites. Bref, il démontre que le notabilisme n’est pas incompatible avec le travail proprement partisan.
La production partisane du notabilisme
40Pour avoir trop facilement opposé les grands élus ou les notables aux structures des partis politiques, on a oublié également de considérer que les partis eux-mêmes avaient eu – et ont encore – tendance à privilégier le recrutement de ces prétendus notables dans le but de s’implanter localement. Le notabilisme peut être une rationalité partisane comme le montre la conversion des partis de gauche au cumul des mandats dans les années vingt et trente. À gauche comme à droite, les instances partisanes, pour élargir leur audience dans les différents territoires, n’ont pas hésité en effet à s’appuyer sur les notabilités locales susceptibles de relayer leurs discours et de prendre en charge le fonctionnement local du parti. L’exemple nous en a été donné au moment où Valéry Giscard d’Estaing a voulu fonder les Républicains indépendants. C’est après avoir envoyé un courrier à l’ensemble des maires de France pour leur demander de rejoindre l’organisation85, qu’il a pu mettre en place les fédérations départementales et régionales. Autrement dit, constater que les organisations politiques sont sous la tutelle des élus ne doit pas nous détourner du fait que la notabilisation résulte tout autant de mécanismes de production partisane du notabilisme.
41On retrouve à l’œuvre dans l’histoire du Parti socialiste ces logiques de production partisane du notabibilisme, quoique différenciées. Cette histoire peut être lue comme une série de tentatives pour contrôler des élus qui tendent à s’autonomiser et à se notabiliser. Mais la légitimité acquise à l’extérieur du parti tend à devenir centrale à l’intérieur de l’organisation. De maillon interchangeable, l’élu socialiste devient un rouage indispensable. Le capital politique accumulé par les maires, notamment, les conduisent à se soustraire au parti mais il amène aussi, de manière tout aussi décisive, le parti à s’appuyer sur les maires. Reste que les contraintes partisanes pesant sur les élus socialistes sont fortes. Elles consistent à les amener à se plier à une multitude de rituels, à porter avec virtuosité les emblèmes du parti, à savoir gérer à la fois la distance qu’un élu se doit d’adopter pour exhiber sa grandeur et la proximité sociale, affective et symbolique qu’attendent les militants pour s’en remettre à leurs mandataires. Les militants socialistes s’accommodent de la pente notabiliaire des entreprises locales à la condition que celles-ci administrent du « sens partisan ». Nul ne peut s’improviser dirigeant socialiste dans tel ou tel département s’il n’a pas su se conformer – ou se rendre compatible, pour reprendre la formule de P. Bourdieu – à un ensemble de règles et de pratiques légitimes qui font le parti. Lorsque l’on aborde la question de la faiblesse du parti, on risque ainsi d’occulter ces mécanismes d’acculturation partisane qui n’épargnent aucun élu, fût-il local et socialiste de surcroît. Le Parti socialiste a sans conteste contribué à asseoir la position institutionnelle du maire et à consolider sa prééminence dans le système politique. Loin de pouvoir toujours les contrôler, il s’est adossé à ses élus locaux. Il a d’autant moins cherché à s’appuyer sur une organisation solide qu’il a pu précocement compter sur ses positions électives. Dans les fédérations socialistes ouvrières du Nord-Pas-de Calais, le PS apparaît à la fois comme un parti de militants et d’élus (catégories d’ailleurs qu’il faut dépasser). Les militants constituent un aspect essentiel de la notabilité socialiste. Ce constat invite à remettre en cause ou à nuancer l’idée couramment défendue selon laquelle les élus sont d’autant plus autonomes que le nombre de militants est faible.
42De manière plus générale, pour les partis politiques français, comme le note Jacques Lagroye, « la grande affaire des instances nationales c’est bien de conserver et de multiplier les implantations locales sûres86 ». Et par manque de travaux, on sait encore trop peu de chose sur le rôle des instances dirigeantes dans les logiques d’implantation locale. Il est hautement probable que ces dernières interviennent régulièrement non seulement sur le choix des candidats mais aussi sur celui des « notables ». Notre travail sur la sélection des candidats de l’UDF dans la période récente, montre par exemple que, le plus souvent, c’est « l’administration du parti » qui fait le tri entre les nombreux candidats locaux au métier politique.
L’indiscipline des élus
43Enfin, il nous semble que l’équation qui a été établie entre le notabilisme – ou l’omnipotence des élus – et leurs comportements d’indiscipline vis-à-vis du parti comme étant le signe incontestable de la faiblesse des organisations politiques françaises est partiellement irrecevable. Faire acte d’indépendance au niveau local, se désolidariser de la ligne officielle du parti ou faire prévaloir une logique parlementaire sur une décision prise par les instances exécutives des formations politiques ne peuvent pas seulement être entendus comme une preuve supplémentaire de l’atrophie des partis politiques français, à moins de définir l’organisation comme un tout unifié et cohérent, comme une « machine dont tous les rouages sont agencés les uns par rapport aux autres et [qui obéiraient] tous à une rationalité unique87 ». On voit bien ici que les promoteurs de la thèse de la faiblesse des partis politiques ont cédé aux tentations de la réification ou de l’anthropomorphisme. Constater l’apparente « liberté » des élus par rapport au parti ne doit pas en effet conduire à affirmer que les partis n’ont pas de prise sur leurs dirigeants ou sur leurs représentants. Nous voudrions avancer deux arguments pour relativiser la question de l’indiscipline partisane. D’une part, la plupart des travaux d’histoire et de science politique ont montré que les parlementaires que l’on oppose aux dirigeants des partis étaient bien souvent les mêmes. Du coup, on est en droit de se demander s’il ne faut pas plutôt prendre le problème sous un autre angle et voir comment les dirigeants politiques sont parvenus, du fait de leurs intérêts, de leurs ressources différenciées mais aussi du fait des stratégies d’alliance qu’ils ont poursuivies au sein d’équipes morales ou contractuelles88, à dissocier les différentes arènes dans lesquelles la lutte pour le monopole des positions de pouvoir a lieu. Voter « en conscience » au Parlement au mépris des consignes adressées par le parti apparaît alors bien plus comme une réponse tactique de quelques-uns dans une structure générale de jeux emboîtés que comme le geste purement individualiste de la liberté parlementaire. D’autre part, l’indiscipline dont feraient preuve les élus – qui a été souvent compris comme le fruit de leur penchant naturel et/ou « bourgeois » pour l’autonomie de soi – a été trop longtemps vue comme la caractéristique des dirigeants qui, du fait d’un capital personnel important, n’auraient pas eu besoin des ressources offertes par le parti. S’il n’est pas question ici de nier l’idée selon laquelle la possession d’un capital personnel incline certains dirigeants à se comporter comme s’ils ne devaient rien au parti – contrairement à ceux qui leur doivent tout à l’image des dirigeants communistes –, et qu’ils entretiennent de ce fait « des rapports très différents avec le corps collectif qu’est le parti89 », il faut cependant évoquer ici l’idée que la conquête de son indépendance d’élu exige un constant travail de persuasion et de manipulation du « militorat ». Ce rappel permet d’entrevoir que les notables ou les élus sont bien plus liés au parti qu’on ne le pense. De la même manière, la centralité de la figure de l’élu dans le parti ne signifie pas que « les notables » sont réfractaires principiellement et définitivement à l’organisation et plus particulièrement à la présence – importante parfois – des militants. Dans certaines régions ouvrières, les élus de la droite modérée ont pu s’appuyer sur des organisations partisanes très structurées pour faire face à la concurrence des « nouveaux entrepreneurs politiques » ouvriers. C’est le cas d’Eugène Motte, patron textile à Roubaix qui prend la tête de l’opposition aux Guesdistes qui ont remporté la mairie en 189290. En 1895, les forces patronales se dotent d’une organisation, l’Union sociale et patriotique (l’USP). « Anti-collectiviste », l’organisation fédère ses membres avec un objectif unique : s’opposer aux candidats du parti ouvrier à toutes les élections, quelle qu’elles soient, où ils sollicitent à Roubaix le suffrage des électeurs. Elle revendique 6 000 adhérents en 1896. La mise au point qu’a faite Michel Offerlé sur l’aversion supposée de la droite pour la forme partisane classique prend ici tout son sens : « l’aversion organisationnelle à droite n’est pas systématique : elle tient moins à une répulsion politique ou éthique qu’à une propriété de situation91 ».
Revisiter l’histoire des élus locaux
44Au final, force est d’admettre que les élus locaux ont été peu étudiés historiquement, et leur apolitisme a été plus postulé que démontré. L’histoire des élus locaux reste un domaine encore largement en friche92. L’étroitesse clochemerlesque, stigmate longtemps associé au local, a sans aucun doute nui à sa mise en histoire. Construit par l’État comme le lieu de l’archaïsme et de l’inertie, étudié principalement pour ses capacités homéostatiques de résistance au changement, considéré comme un objet plus que comme un sujet de l’action publique, le local est analysé de manière souventa-historique. Sa contribution, décisive, à la construction de l’État social n’a été que récemment reconsidérée et réévaluée. Dans ce contexte, les relations entre partis politiques et élus locaux ont été tout particulièrement négligées et donc parfois caricaturées. L’absence de tradition d’analyse sur ce point est indéniable. Les variables partisanes et politiques sont systématiquement sous-évaluées ou jugées secondaires ou résiduelles dans l’analyse du pouvoir local, considéré souvent comme spontanément et « naturellement » apolitique. L’essence de la vie politique locale serait à chercher dans le refus des divisions nationales et des catégories symboliques partisanes. Il ne va pas pourtant de soi que « la politique » sous sa forme partisane n’ait eu aucun impact sur le plan local. Les partis politiques, de gauche mais aussi de droite, ont très tôt été engagés sur le plan local, tout particulièrement en milieu urbain. Ils ont contribué à la sélection du personnel politique et aux mobilisations électorales de manière décisive parfois. Certaines élections municipales ont été très « politisées » comme celles de 1935 et de 1947 par exemple. Il est probable que l’empreinte très forte des analyses du Centre de Sociologie des Organisations (CSO) en science politique n’a pas encouragé la prise en compte de ces questions et a conduit à postuler l’apolitisme sans vraiment l’interroger93. Elles ont accrédité une vision très stéréotypée et uniformisante des réalités politiques municipales. Dans ces travaux, les règles du jeu politique municipal sont souvent présentées comme immuables et purement formelles. L’attention, exclusivement centrée sur les interactions au sein du système politico-administratif et l’interdépendance des jeux inter-organisationnels, neutralise la variable politique et partisane. Lorsque les variables partisanes sont étudiées sur le plan local, elles sont analysées au prisme de la nationalisation de la vie politique, de l’unification tendancielle des marchés électoraux et de l’intégration des marchés périphériques94. Le caractère « local » des élections tendrait à régresser, les élus seraient « de plus en plus liés à un parti ». Par son caractère évolutionniste et par trop univoque, cette thèse est contestable et contestée. Faute de mise en perspective historique, ce modèle postule que les campagnes furent un temps « exclusivement locales95 », ce qui est peu convaincant.
La délimitation de l’objet partisan : effets de sources, contraintes d’archives et subjectivisme historique
45Une réflexion sur les manières dont les travaux historiques se sont saisis de l’objet partisan ne peut faire l’économie de la question du rapport aux sources et la manière dont elle conditionne l’appréhension des réalités partisanes. Les matériaux de l’historien, principalement les archives, « informations vestigiales solidaires de contextes non directement observables96 » exercent des contraintes spécifiques sur la saisie de l’objet partisan. La recherche historique est très fortement dépendante des sources disponibles et de ce qu’elles donnent à voir de la réalité à saisir. L’analyse historique des partis politiques est dépendante dans une large mesure des sources que les organisations ont produites, laissé « derrière elles » et donc de l’activité formelle de ces organisations. Plus un parti est organisé, plus son fonctionnement institutionnel est formalisé, codifié, ritualisé, plus il tend à produire des traces, des sources qui sont plus que des indices. De ce point de vue, il est beaucoup plus aisé de travailler historiquement sur les partis de gauche que sur les partis de droite. Même si l’accès aux sources a longtemps pu poser d’importants problèmes, l’étude du Parti communiste a pu s’appuyer sur des sources substantielles. Il est plus facile de travailler sur des partis « contre-société » que sur des relations ouvertes et peu codifiées en apparence. Les analystes, faute de sources, ont du mal à repérer à droite autre chose que des groupes parlementaires ou des clientèles réunies autour de leaders. Il est en effet hautement probable que compte tenu des spécificités bureaucratiques de ces formations, l’archivage n’ait pas été une routine d’institution. Ce problème se pose encore aujourd’hui – et en cela, on perçoit bien des continuités structurelles dans l’histoire des droites –, où rares sont les organisations modérées ou centristes qui possèdent une bibliothèque, des lieux où s’entreposeraient des documents officiels. Comment dès lors travailler historiquement sur le « liant invisible » qui associe des agents dans une coopération concurrentielle, sur les réseaux constitutifs de l’influence partisane, sur les matrices d’adhésion partisanes ? Les études historiques sur les partis s’appuient sur des sources souvent identiques : rapport de congrès, discours politique, organigramme partisan, profil des dirigeants les plus notoires, électorat, presse partisane. L’analyse des partis classés à droite est souvent d’autant plus difficile que ces derniers tendent à récuser toute organisation trop formelle et répugnent à donner à voir la force de leurs réseaux et tout ce qui pourrait s’apparenter à une structuration trop forte. S’ils sont faibles, n’est-ce pas dans une certaine mesure qu’ils se donnent à voir comme faibles ?
Illégitimité de la forme partisane et déni du partisianisme
46On voudrait enfin examiner la question de la faiblesse des partis entendue comme variante de celle des corps intermédiaires. On l’a vu, la thèse de l’illégitimité des partis dans la « culture » politique française est fortement mise en avant pour justifier leur faiblesse. Cette question mériterait à elle seule une analyse approfondie que l’on ne peut conduire ici. C’est la question des liens entre représentations et pratiques, entre histoire sociale et histoire intellectuelle ou culturelle qui est ici en jeu. On se bornera ici à quelques hypothèses et remarques. Il n’est guère douteux qu’un répertoire symbolique hostile aux partis politiques, né sous la Révolution, ait pesé sur le cours des choses et la structuration des partis politiques97. Le groupement politique apparaît sous la Révolution et « cette préhistoire pèse lourd : pendant le XIXe jusqu’à la fin des années 1860, pas un débat sur le droit d’association politique ne se déroule sans que le souvenir des clubs révolutionnaires ne soit évoqué » par les orateurs républicains autant que par les conservateurs98. Les débats à la Libération sur la reconnaissance juridique des partis étudiés par Pierre Rosanvallon illustrent bien la vigueur de la culture d’hostilité aux partis99. La droite dans son ensemble a toujours eu beaucoup de réticences à utiliser et à brandir le vocable de parti auquel elle a préféré les expressions d’alliance, de fédération, de mouvement, de centre, de rassemblement ou d’union… Ces contournements sémantiques ne sont pas insignifiants. Mais il n’est pas évident que « la péjoration du politique » soit un trait structurel véritablement spécifique de la vie politique française comme l’écrit Bernard Pudal100. On la retrouve à l’œuvre dans de nombreuses autres démocraties représentatives européennes101. Il est vrai que dans le cas de la France, les partis ne sont reconnus constitutionnellement qu’en 1958102. Mais il faut se garder de tout fétichisme constitutionnel. La vérité des pratiques, on le sait, ne se loge pas dans les textes officiels.
47Par ailleurs, la thématique de la faiblesse des corps intermédiaires ne peut manquer de susciter de nombreuses réserves. Ne surestime-t-on le caractère matriciel de la Révolution française en la matière ? Dans son dernier ouvrage103, Pierre Rosanvallon marque une prise de distance critique à l’égard de cette topique qui participe selon l’auteur d’une « vulgate tocquevilienne » (omnipotence de l’État administratif, atomisation de la société, passion de la généralité, état-instituteur de la société…), à laquelle paradoxalement, par de nombreux ouvrages antérieurs, il a contribué. En combinant histoire sociale et histoire intellectuelle, l’ouvrage se donne pour objectif de scruter « l’écart de la France réelle à sa caricature tocquevilienne » et d’analyser la genèse de « la recomposition libérale du jacobinisme » au XIXe. Il s’agit de porter « attention à l’existence concrète de corps intermédiaires intellectuellement récusés ». Mais traiter des corps intermédiaires et nuancer les représentations sociales qui les caractérisent c’est encore reprendre à son compte une certaine représentation de l’État, et notamment celle de la coupure entre pouvoirs publics et « société civile », sans montrer qu’elle est enjeux de luttes symboliques et qu’elle est surtout un discours d’acteurs104. Cette représentation est marquée par un très fort objectivisme. « Opposer corps intermédiaires et République, c’est unifier les premiers105. » C’est aussi durcir excessivement la catégorie « État » figée dans une théorie moniste et non pluraliste. La représentation d’un État français « Leviathan dévorant sa société » relève très largement du mythe politique. Cette représentation socio-historique a néanmoins pesé sur l’agenda historique et a borné un certain nombre de possibles en délégitimant certains objets. Les schémas, « postulant l’absence de corps intermédiaires en France » ont longtemps « stérilisé la recherche historique dans ce domaine106 ».
48L’évolution de la Ve République et la place qu’elle accorde aux partis politiques invite à prendre de la distance par rapport à la force des représentations négatives des partis. Le régime s’est en effet construit contre le rôle néfaste des partis politiques alors que jamais ceux-ci n’ont joué un rôle aussi essentiel.
« La force des partis faibles »
49L. Wittgenstein, dans l’un de ses « Carnets », expliquait : « Ma méthode ne consiste pas à séparer le dur du mou, mais à voir la dureté du mou. » Dans le même esprit, il avançait, à propos des mots qui n’ont pas de sens très précis et dont on a l’habitude de déplorer la lâcheté tant sémantique que métaphorique, que « croire que c’est un défaut, ce serait à peu près comme si je vous disais que ma lampe de chevet n’est pas une vraie lampe parce que je suis incapable de dire avec certitude où s’arrête l’orbe de sa lumière ». Il nous semble que ces mises en garde méritent d’être prises en compte dans l’analyse des partis politiques. Aussi, plus que de nous indigner sur l’usage peu contrôlé de ces termes irrésistiblement objectivistes, il nous paraît judicieux de rénover quelques-uns de nos instruments d’analyse. À cet égard, et ce constat vient après que nous ayons effectué des recherches sur des formations politiques où notre préoccupation a été de casser certaines dichotomies en cours, comme celle par exemple qui oppose l’approche dite « organisationnelle » et l’approche dite « sociétale », penser le fonctionnement des partis politiques comme relevant de l’institutionnalisation de pratiques sociales spécifiques semble plus fécond. Il semble indispensable de comprendre de quelle manière, et par quels investissements variés, qu’ils se réalisent d’ailleurs dans le mouvement ou en dehors, ces groupements « font système ». Il convient aussi de se demander qu’elles sont les pratiques partisanes qu’autorise l’appartenance ou la dépendance à ce type d’institution. Se donner cet objectif, c’est alors saisir ce qui résulte d’une série d’enrôlements, d’interactions routinisées, d’ajustements et d’investissements incessants dans des territoires variés, sans oublier bien entendu ce qui relève de la « gouverne » dont ces pratiques sont l’objet. L’objectif dès lors, n’est plus de jauger la force intrinsèque de ces institutions, mais de les penser comme autant de configurations partisanes où chaque membre est à la fois acteur du jeu et tributaire des jeux dans lesquels il est pris. De cette façon, on voit bien plus d’institution qu’il n’y paraît, c’est-à-dire de contraintes affectant tous ceux qui sont dans le parti. Ainsi, on n’est plus tenté de déplorer la faiblesse supposée des structures partisanes car ce qu’on appelle « le parti » est entendu comme un champ de luttes, constitué d’espaces d’interactions instituées, et non pas comme une armature dont on pourrait vérifier la solidité apparente ; on n’est plus tenté de penser de manière binaire l’élu et le parti, car on considère que la latitude dont le premier peut éventuellement jouir n’est permise que par un travail d’autonomisation dans et par le parti.
Notes de bas de page
1 Sur un autre terrain, Brigitte Gaïti a bien montré que la critique de l’instabilité de la IVe République, présentée comme le « régime des partis » par les historiens, s’adosse souvent à une conception des régimes politiques qui voit dans le parlementarisme « un régime dévoyé, forcément faible, inefficace, peuplé d’acteurs incompétents, préoccupés de leurs seules combinaisons », B. Gaïti, « Les manuels scolaires et la fabrication d’une histoire politique. L’exemple de la IVe République », Genèses, 44, 2001, p. 72.
2 On ne prétend pas ici faire la généalogie précise de la « naissance » de ce lieu commun et analyser sa routinisation. Notre approche pourra être jugée ainsi par trop fixiste.
3 Pour autant, travaux de politistes et d’historiens seront traités ici le plus souvent indistinctement, leurs approches présentant souvent de fortes similitudes. Notre conception des « travaux historiques » est large. Les travaux de politistes anciens et parfois non « historiens » le deviennent avec le temps.
4 B. Gaïti, « Les manuels scolaires et la fabrication d’une histoire politique. L’exemple de la IVe République », op. cit., p. 75.
5 Voir par exemple, P. Avril, Essai sur les partis politiques, Paris, LGDJ, 1986, p. 181.
6 M. Duverger, Les partis politiques, Paris, Armand Colin, 1951.
7 Ibid., p. 214.
8 Michel Offerlé, Les partis politiques, Paris, PUF, 1997, coll. QSJ. Voir aussi « Qu’est-ce qu’un parti politique en France au XIXe siècle ? » in Anne Marie Saint-Gille (dir.), Cultures politiques et partis aux XIXe et XXe siècles : l’exemple allemand, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2007.
9 B. Pudal, « Les partis », in V. Duclert, C. Prochasson, Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 753.
10 R. Huard, « Aboutisssements préparés et cristallisations imprévues : la formation des partis », in Pierre Birnbaum, La France de l’Affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994, p. 88.
11 M. Ostrogorski, La démocratie et les partis politiques, Paris, Le Seuil, 1979, p. 102.
12 R. Huard, La naissance des partis politiques en France, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
13 A. Siegfried, Tableau des partis en France, Paris, Grasset, 1930.
14 F. Goguel, La politique des partis sous la IIIe République, Paris, Le Seuil, 1946.
15 Il semble qu’à chaque fois une définition sociale du militant nous soit proposée. Le summum bonum étant représenté par le militant discipliné, dévoué, actif et corvéable à souhait.
16 Y. Mény, « La faiblesse des partis politiques français. Une persistante exceptionnalité », F. D’Arcy, L. Rouban (dir.), De la Ve République à l’Europe, Paris, Presses de Sciences Po, 1996.
17 Idem, p. 81.
18 P. Avril, Essai sur les partis politiques, op. cit., p. 194.
19 « Écrire que la droite a toujours montré une inaptitude à l’organisation partisane est un lieu commun de l’histoire politique », E. Duhamel, O. Forcade, Histoire et vie politique en France depuis 1945, Paris, Nathan, 2000, p. 178.
20 R. Sanson, L’Alliance républicaine démocratique. Une formation de centre (1901-1920), Rennes, PUR, 2003. p. 246. Jean-Marie Mayeur (La vie politique sous la IIIe République (1870-1940), Paris, Points-Seuil, 1984), ne dit pas autre chose, voire accentue cette critique : « Une formation de ce type ne se préoccupait guère de se doter d’une organisation : tel n’était pas son objectif. Elle donne simplement des investitures aux élections […] En fait, l’Alliance se définit d’abord par ses hommes », p. 198.
21 M. Bernard, La dérive des modérés. La Fédération républicaine sous la IIIe République, Paris, L’Harmattan, 1998. p. 12.
22 P. Levêque, Les forces politiques en France, Paris, Colin, 1997, 2 tomes.
23 La droite en France de 1815 à nos jours, Paris, Aubier, 1954. Cet auteur peut être considéré comme un passeur essentiel entre monde des politistes et monde des historiens dans la problématique des usages croisés précédemment évoquée.
24 Ibid., p. 249.
25 J.Chapsal, La vie politique sous la Ve République, 2 vol., Paris, PUF, 1987. Colette Ysmal (Les partis politiques sous la Ve République, Paris, Montchrestien, 1989) ne dit pas autre chose à propos du CNIP, du PR, de l’UDF et de ses composantes. Toutes ces formations sont dépeintes comme « des structures légères », « des comités de notables » et « des partis unifiés mais faibles ».
26 L’exposé de ces diverses caractéristiques est systématisé dans A. Bergounioux, G. Grunberg, Le long remords du pouvoir, le parti socialiste français 1905-1992, Paris, Fayard, 1992.
27 C. Ysmal, « Les partis politiques et leur rôle » in Institutions et vie politique, La Documentation française, 2003, p. 94.
28 A. Bergounioux, B. Manin, Le régime social-démocrate, PUF, 1989.
29 G. Moschonas, La gauche française (1972-1988) à la lumière du paradigme social-démocrate, thèse de doctorat de science politique, Paris II, 1990.
30 L. Olivier, Un exemple de social-démocratie dans le socialisme français : la fédération du Nord de la SFIO de 1944 à 1958, thèse de doctorat de science politique, Lille II, 1992.
31 H. Portelli, Le socialisme français tel qu’il est, PUF, 1980. Dans un ouvrage plus récent, l’auteur défend une thèse très proche (H. Portelli, Le parti socialiste, Paris, Montchrestien, 1992).
32 H. Portelli, op. cit., p. 32.
33 A. Bergounioux, B. Grunberg, Le long remords du pouvoir, op. cit., J. -P. Brunet, Histoire du socialisme en France, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1989, J. Moreau, Les socialistes français et le mythe révolutionnaire, Paris, Hachette, 1998 et M. Sadoun, De la démocratie française, essai sur le socialisme, Paris, Gallimard, 1993.
34 Ibid., p. 170 et 175.
35 Le socialisme français tel qu’il est, op. cit., p. 143 et 195.
36 C. Prochasson, « L’introuvable social-démocratie », in J. -P. Rioux, J. -F. Sirinelli (dir.), La France d’un siècle à l’autre, 1914-2000, Dictionnaire critique, Paris, 1999, p. 426.
37 S. Berstein, « Naissance des partis politiques modernes », in S. Berstein, M. Winock (dir.), L’invention de la démocratie, 1789-1914, Paris, Le Seuil, 2002, p. 425.
38 Y. Mény, La corruption de la République, Paris, Fayard, 1992, p. 68.
39 Y. Mény, art. cité, p. 80.
40 Voir sur ce point D. Gaxie, « Les structures politiques des institutions. L’exemple de la IVe République », Politix, 20, 1992. Pour une critique de cette approche entre partis faibles et types de régimes, voir B. Gaïti, « Les manuels scolaires et la fabrication d’une histoire politique. L’exemple de la IVe République », Genèses, 44, 2001, p. 50-75.
41 F. Sawicki, « La faiblesse du clientélisme partisan en France », in J. -L. Briquet, F. Sawicki (dir.), Le clientélisme dans les sociétés contemporaines, Paris, PUF, 1998.
42 Voir comment Michel Denis (« Que faire de la révolution française ? », in J. -F. Sirinelli (dir.), L’histoire des droites en France, 3 vol., Paris, Gallimard, 1992) conjugue ces deux éléments pour définir le substrat politique et sociale de la droite française à la veille de la IIIe République.
43 J.-C. Petitfils, La droite en France. De 1789 à nos jours, Paris, PUF, 1989.
44 A.-J. Tudesq, Les grands notables en France (1840-1849), Paris, PUF, 1964.
45 G. Le béguec, « Le parti », in J. -F. Sirinelli (dir.), L’histoire des droites en France, op. cit., p. 19.
46 Ibid.
47 R. Sanson, op. cit., p. 276.
48 S. Berstein, « Naissance des partis politiques modernes », in S. Berstein, M. Winock (dir.), L’invention de la démocratie (1789-1914), Seuil, 2002.
49 G. Le béguec, « Le parti », in J. -F. Sirinelli (dir.), op. cit., p. 20.
50 P. Lévêque, Les forces politiques en France, op. cit., p. 319. Dans son étude sur le CNIP et l’entreprise giscardienne ayant abouti à la création du Parti des Républicains indépendants (RI) à la fin des années 1970, Jean-Claude Colliard (Les Républicains indépendants. Valéry Giscard d’Estaing, Paris, PUF, 1971) apportera un léger bémol en ne parlant plus, à propos de ces dirigeants modérés, que de « notables modernes », « réunis autour d’une personnalité » à l’image des « petits partis ».
51 P. Letamendia, Le mouvement républicain populaire. Le MRP, histoire d’un grand parti français, Paris, Beauchesne, 1995.
52 Dans son manuel sur les partis politiques sous la Ve République (Les partis politiques sous la V République, op. cit.)
53 B. Denni. « Les partis du centre et de la droite libérale : attachement à la démocratie des notables », in P. Bréchon (dir.), Le discours politique en France, Paris, Les Études de la Documentation française, 1994. p. 59-74. Voir aussi P. Bréchon (dir.), Les partis politiques français, Paris, Les Études de la Documentation française, 2001 ; F. Platone, Les partis en France, Toulouse, Édition Milan, 2003.
54 G. Morin, « Jalons pour l’établissement d’une prosopographie des élus socialistes (1905-1971) », in J. Girault (dir.), L’implantation du socialisme en France, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000.
55 H. Portelli, Le socialisme tel qu’il est, op. cit., p. 32. « Le parti socialiste est avant tout un parti de pouvoir, peuplé de notables » note le même auteur, p. 207-208. Pour Yves Roucaute, « le corps des élus » est « le grand corps du parti ». Il est crédité d’un grand « pouvoir » sans qu’il soit vraiment analysé (Y. Roucaute, Histoire des socialistes de la Commune à nos jours, Paris, Éditions Le drapier, 1987, p. 31).
56 Voir néanmoins T. Judt, La reconstruction du parti socialiste (1921-1926), Paris, Presses de la FNSP, 1976.
57 D. Lacorne, Les notables rouges. La construction municipale de l’union de la gauche, Paris, Presses de la FNSP, 1980. Voir aussi S. Dion, La politisation des mairies, Paris, Economica, 1986.
58 Pierre Rosanvallon donne une définition des corps intermédiaires : « cette expression désigne de façon générale les diverses formes sociales ou politiques entre L’État et les individus (associations, syndicats, partis, collectivités locales, institutions diverses d’autorégulation de la société civile…) », P. Rosanvallon, Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, Paris, Seuil, 2004, p. 11.
59 Y. Mény, « La faiblesse des partis politiques français. Une persistante exceptionnalité », op. cit.
60 S. Berstein, « Naissance des partis politiques modernes », in S. Berstein, M. Winock (dir.), L’invention de la démocratie, 1789-1914, Paris, Le Seuil, 2002, p. 437.
61 P. Rosanvallon, « Partis », in P. Raynaud, S. Rials, Dictionnaire de philosophie politique, PUF, 2000, p. 450.
62 Ibid., p. 167.
63 R. Huard, « Aux origines des cultures d’organisation en France : les premières incarnations du “parti politique” au XIXe siècle », in D. Cefaï (dir.), Cultures politiques, Paris, PUF, 2001, p. 228.
64 P. Rosanvallon, Le peuple introuvable, op. cit., p. 168.
65 P. Rosanvallon, Pour une histoire conceptuelle du politique, Paris, Seuil, 2003, p. 27.
66 Raymond Huard note par exemple que Waldeck Rousseau tenait pour modèle au début du XXe les grands clubs anglais et le parti conservateur britannique vainqueur aux élections de 1895, que les socialistes enviaient le parti social-démocrate allemand unifié depuis 1875. Les catholiques aspiraient à suivre l’exemple de leurs homologues belges qui s’opposaient aux libéraux ou du Zentrum allemand vainqueurs finalement des persécutions bismarckiennes. Pour l’auteur, seuls les radicaux, « peut-être parce ils incarnaient une spécificité française », semblaient échapper aux influences étrangères. R. Huard, « Aboutisssements préparés et cristallisations imprévues : la formation des partis », in Pierre Birnbaum, La France de l’Affaire Dreyfus, Paris, Gallimard, 1994, p. 92-93.
67 P. Avril, Essai sur les partis politiques, op. cit., p. 194.
68 P. Rosanvallon, Le peuple introuvable, op. cit., p. 310.
69 B. Pudal, « Les partis », in V. Duclert, C. Prochasson, op. cit.
70 C. Ysmal, « Les partis politiques et leur rôle » in Institutions et vie politique, La Documentation française, 2003, p. 94.
71 Alain Bergounioux et Gérard Grunberg distinguent trois sous-modèles au sein du socialisme européen : le social-démocrate, le travailliste et le socialiste (le socialisme français comme les pays d’Europe du Sud se rapportant au troisième). Voir A. Bergounioux, B. Grunberg, L’utopie à l’épreuve. Le socialisme européen au XXe, Paris, Éditions de Fallois, 1995, p. 13. Sur le socialisme européen, on se reportera aussi à M. Lazar, « Invariants et mutations du socialisme en Europe », in M. Lazar (dir.), La gauche en Europe depuis 1945, op. cit.
72 A. Bergounioux, B. Grunberg, Le long remords du pouvoir, op. cit., L’aggiornamento idéologique est pensé dans cette perspective très évolutionniste comme une nécessité historique.
73 D. -L. Seiler, De la comparaison des partis politiques, Paris, Economica, 1986.
74 Voir J. Verdes-Leroux, Au service du parti : le parti communiste, les intellectuels et la culture (1944-1956), Paris, Fayard-Minuit, 1983.
75 Voir l’analyse pionnière de J. Girault, Sur l’implantation du PCF dans l’entre-deux-guerres, Paris, Éditions sociales, 1977.
76 A. Prost, Douze leçons sur l’histoire, Paris, Seuil, 1996, p. 75.
77 S. Berstein, « Naissance des partis politiques modernes », in S. Berstein, M. Winock (dir.), L’invention de la démocratie, op. cit.
78 On renvoie ici aux travaux de Frédéric Sawicki, Les réseaux du parti socialiste, Paris, Belin, 1997.
79 De nombreux travaux pointent ou esquissent une analyse des milieux qui débordent le nucleus partisan. La manière dont est présentée la naissance du parti radical est assez éloquente à ce sujet. Dans de nombreuses études, on met en effet l’accent sur la faiblesse des règles que se donnent les Radicaux tout en faisant remarquer que le parti dispose de soutiens considérables (78 sénateurs, 201 députés, 476 comités, 155 loges maçonniques, 215 journaux républicains y adhèrent, 1 132 délégués sont présents).
80 Voir sur ce point l’intéressante contribution de J. Mischi, « La centralité partisane dans les communautés d’implantation communiste », communication au colloque de l’AFSP sur « Les tendances récentes de l’étude des partis politiques dans la science politique française : organisations, réseaux, acteurs », janvier 2002.
81 « L’élu local », art.cité, p. 197.
82 M. Offerlé, Les partis politiques, op. cit., p. 48.
83 E. Phélippeau, L’invention de l’homme politique moderne, Mackau, l’Orne et la République, Paris, Éd. Belin, Socio-histoire, 2002.
84 Voir B. -F. Martin, « The création of the Action Libérale Populaire : an exemple of party formation Third Républic France », French historical studies, 4, Fall 1976, p. 689. Selon l’auteur, l’Action libérale populaire est « dans la France d’avant-guerre, la première expression d’un parti de masse qui atteignit un degré de développement et de permanence auparavant inconnu des groupes politiques français ».
85 Selon Jean-Claude Colliard (Les Républicains indépendants, op. cit. p. 299-315), à peu près 3 000 élus locaux auraient répondu favorablement à l’appel de Valéry Giscard d’Estaing.
86 J. Lagroye, « De l’objet local à l’horizon local des pratiques », in A. Mabileau (dir.), À la recherche du local, Paris, L’Harmattan, 1993, p. 179.
87 E. Friedberg, Le pouvoir et la règle, op. cit., p. 66.
88 F.-G. Bailey, Les règles du jeu politique, Paris, PUF, 1971. L’auteur fait bien de rappeler que quelle que soit la forme prise par les groupements politiques, il est important de comprendre que tout jeu génère des règles qui sont constitutives d’un ordre particulier. Cet ordre encadre et codifie la compétition politique entre les joueurs. Autrement dit, si l’on suit Bailey, toute organisation politique se caractérise par l’existence de règles – normatives et pragmatiques – qui sont le résultat et le produit de l’appartenance des membres à un groupe donné. Ce sont ces « effets d’institution » qu’il faut analyser lorsque l’on étudie les partis politiques – fussent-ils réputés « faibles » – plutôt que de s’en détourner après avoir cru percevoir les signes de leur faiblesse.
89 M. Offerlé, Les partis politiques, op. cit., p. 53.
90 R. Lefebvre, Le socialisme saisi par l’institution municipale, op. cit., thèse de science politique, Lille 2, 2001.
91 M. Offerlé, Les partis politiques, op. cit.
92 Voir les constats déjà anciens de Jean-Yves Nevers, « Du clientélisme à la technocratie : cent ans de démocratie communale à Toulouse », RFSP, 33 (3), 1983, p. 428.
93 Voir notamment, P. Grémion, Le pouvoir périphérique, Paris, Le Seuil, 1976 et J. -P. Worms, « Le préfet et ses notables », Sociologie du travail, 3, 1966.
94 D. Gaxie, P. Lehingue, Enjeux municipaux, Paris, PUF, 1984 et D. Gaxie, La démocratie représentative, Paris, Montchrestien, 1996.
95 D. Gaxie, « Le maire entre disciplines et libertés », Politix, 28, 1994, p. 141.
96 J.-C. Passeron, Le raisonnement sociologique. L’espace non-poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1992, p. 69.
97 Il faudrait de manière systématique analyser la manière dont le discours anti-partisan a pu être mobilisé par les organisations partisanes elles-mêmes. Les débats historiques sur les modes de scrutin peu étudié pourraient être aussi une piste d’analyse féconde.
98 B. Pudal, « Les partis », in V. Duclert, C. Prochasson, op. cit.
99 Voir Le Peuple Introuvable, op. cit., p. 312.
100 B. Pudal, « Les partis », in V. Duclert, C. Prochasson, Dictionnaire critique de la République, Paris, Flammarion, 2002, p. 753.
101 Sur la Grande-Bretagne, voir la thèse récemment soutenue de P. Vervaecke, Dieu, la couronne, l’Empire. La primroseleague (1883-2000). Culture et pratiques politiques d’un mouvement conservateur, thèse de civilisation britannique, Lille 3, 2003.
102 Dans le texte de 1958, les partis contribuent à l’expression des suffrages. Selon Yves Mény, « tout est dit. Nulle autre fonction n’est prévue pour eux et l’on est aux antipodes du Parteienstaat ou de la Partitocrazia ». La vérité de la Ve République est tout entière dans cet article 4 : « les partis ne sont pas davantage que des instruments utiles pour le processus électoral » commente Yves Mény (art. cité, p. 87).
103 P. Rosanvallon, Le modèle politique français. La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours, op. cit.
104 L’auteur constate néanmoins qu’il est forcé de « constater que la singularité française est beaucoup plus marquée dans les représentations que le pays se fait de lui-même que dans sa marche effective », p. 12.
105 A. Chatriot, C. Lemercier, « Les corps intermédiaires », in V. Duclert, C. Prochasson, Dictionnaire critique de la République, op. cit.
106 Idem.
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