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L’élevage bovin

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Florian Reynaud

Deuxième partie. La pensée agronomique de l’élevage bovin

Chapitre VII. Alimentation, médecine vétérinaire et législation de l’élevage

Texte intégral

1Si Louis Liger traite de la nourriture dans le chapitre consacré aux bêtes à cornes, ce sujet demande une analyse isolée, du fait de la grande variété des fourrages. Il en est de même pour la médecine des animaux domestiques, souvent le sujet de paragraphes isolés, d’ouvrages spécialisés. De même, ce troisième et dernier chapitre consacré à l’étude des enjeux de l’élevage bovin dans la littérature agronomique française apporte une analyse sur les textes relatifs à la législation dans ce secteur, en comparant l’écrit avec la réalité des textes de loi et la pratique.

Une volonté de rompre avec la routine : la nourriture des bestiaux

2L’amélioration de l’alimentation des animaux est une nécessité pour tous les agronomes, et cette idée progressiste n’est pas l’apanage du XVIIIe siècle : on la retrouve dans les grands traités des XVIe et XVIIe siècles, chez Charles Estienne et Jean Liébault (1564), chez Olivier de Serres (1600), qui cite beaucoup les auteurs antiques.

3Caton, au IIe siècle av. J.-C., conseille de donner aux bestiaux des feuilles d’orme, de peuplier, de chêne, de figuier, par ordre décroissant (§. 33), comme Varron, entre 116 et 27 av. J.-C. (1, 15), et Columelle un peu après (6, 3, 7), ce dernier classant le frêne juste après l’orme, Varron défendant la pâture en forêt. Caton conseille l’usage de fève, de vesce, de lupin, en plus du foin et de la paille, et avec un peu de sel sur les réserves de litières (§. 63). Columelle, vers l’an 42 de notre ère, cite les pailles de millet, d’orge, d’avoine, dans l’ordre, et énumère, comme plantes fourragères, la luzerne, la vesce, la dragée mêlée d’orge, le fenugrec, l’ers et la gesse, la meilleure étant la luzerne d’après lui (livre II, chap. XI). Chez Palladius, au IVe siècle, la luzerne sert à l’engraissement des animaux maigres et à la guérison de ceux qui sont malades. Olivier de Serres consacre un long chapitre à l’établissement et à l’entretien des « prés et herbages francs et artificiels » (4e lieu, chap. III), un autre au sainfoin, un dernier aux vesces et « farrages », mélanges de grains.

  • 1 Moriceau J.-M., « L’alimentation animale sous l’Ancien Régime… », 2000, p. 3-11.

4Pour autant, si la culture des légumineuses annuelles, pois, fèves, vesces, s’est développée dès le XIIIe siècle, omniprésente au XVIIIe siècle, avec l’extension parallèle des cultures de lentilles et de féveroles, et avec la confection de « dragées », de mélanges, la culture des prairies artificielles, elle, reste très limitée au Siècle des Lumières. Elle tend à se développer ensuite, mais encore bien lentement avant la seconde moitié du XIXe siècle, que ce soit dans des cultures exclusives ou dans des soles d’assolements complexes1. Les agronomes continuent d’insister sur la nécessité de ces cultures, surtout après 1750. Le développement de l’édition vient couvrir des sujets plus précis, avec des ouvrages spécialisés sur les prairies, mais aussi sur les racines et autres nourritures alternatives, dans des attentes différentes selon les régions et les usages, selon qu’on utilise les bœufs au travail, plus de vaches à la production de lait et d’élèves, selon qu’on engraisse les bestiaux pour la boucherie.

5Au-delà des aliments, le thème rejoint des soucis de santé, sur le mode d’administration de la nourriture, sur les transitions saisonnières, sur le choix et la qualité des produits, selon la nature des sols, l’hygiène des étables…

6La richesse agronomique nous conduit à partir des différents supports, en suivant au mieux un parcours chronologique global, en analysant les éditions successives de la Nouvelle Maison Rustique, les traités d’agriculture, ouvrages spécialisés et articles de périodiques du Siècle des Lumières, les dictionnaires encyclopédiques, et enfin la littérature agronomique du premier XIXe siècle.

Dans la Nouvelle Maison Rustique : une diversification lente, mais réelle

7Liger, au sujet des bœufs de travail, s’en tient à la paille et au foin, en ajoutant un picotin de son sec ou deux bonnes jointées d’avoine avant d’atteler à la charrue. En été, on leur donne de l’herbe fraîche coupée et des feuilles d’orme, ou encore, ajoute-t-on en 1721, des feuilles « de fresne, d’érable, de chêne, de saule & de peuplier ». La nouvelle édition se penche sur d’autres usages, à base de lupins, « de raves & navets, de joncs marins, d’écosses de pois ou de féves, & de marc de raisin sec ou trempé », d’orge bouilli, de gerbes de froment et de seigle ; les bœufs vont à l’herbe vers la mi-mai, et reviennent à l’étable en octobre, sans transition trop brutale entre les deux types de fourrages, verts et secs. Si on ne le précise pas là, il semble évident qu’on ne doit pas laisser les bestiaux manger les feuilles dans les taillis, d’après les principes d’Olivier de Serres (1600) et la législation de Colbert sur les Eaux & Forêts (août 1669).

8Pour les bestiaux à l’engraissement, Liger reprend la plupart des principes d’Olivier de Serres (4e lieu, chap. IX), conseille d’alterner le pâturage sur les herbes fraîches du matin et du soir en profitant au mieux de la rosée, et le séjour au gîte ou à l’étable où les bestiaux continuent de manger. On n’hésite pas à donner à boire, en mêlant parfois l’eau, toujours claire, avec de la farine d’orge, pour faciliter la prise de graisse et préserver la santé, et on donne aux bêtes du bon foin et de l’herbe fraîche à l’étable, sur une litière de qualité. Le soir, on distribue « des pelotes faites de farine de seigle, d’orge, ou d’avoine, mêlées ou séparées, & qu’on aura paitri avec de l’eau tiède, en y mêlant un peu de sel », l’auteur doutant qu’on puisse engraisser les bêtes seulement avec ce qu’on trouve dans les champs (1700). Par ailleurs, on donne des grosses raves, hachées et crues ou cuites. On doit éviter que bœufs et vaches se lèchent, comme cela « dissipe » la graisse.

9Dans l’édition de 1708, on donne une autre méthode d’engraissement, avec des choux en morceaux dans le vinaigre, au retour du pâturage, accompagnés de paille de froment, puis de picotins d’orge au bout de 6 jours, avec du froment et du son, toujours avec beaucoup de boisson. On conseille aussi de bien « ménager les pâturages », en proportionnant le nombre de bêtes aux surfaces, en changeant souvent d’espaces, et de proposer des ombrages aux bestiaux, ou encore des pieux espacés, afin qu’ils s’abritent eux-mêmes de la chaleur et qu’ils se frottent en cas de démangeaisons persistantes.

10La nourriture des vaches est plus légère, mais le son, l’avoine et la farine sont parfois très utiles pour fortifier les femelles, ainsi pendant la chaleur, après le part. En 1721, on leur accorde aussi la paille de méteil ou d’avoine, le sainfoin, la luzerne, en ayant soin que les fourrages ne soient « ni moites ou humides, ni poudreux ». On cite aussi l’usage en Flandre de donner du « drac » ou marc de grain d’où vient la bière, et des tourteaux de colza et de navette. On peut parquer les bestiaux dans des herbages et vergers, dans des terres en labour, de la mi-mai à la mi-septembre, mais en ayant soin de déplacer régulièrement, toutes les nuits, ces zones de pâture et d’amendement, et en prenant le temps de répandre le fumier sur ces parcelles, les bêtes préférant occuper les espaces les plus herbeux.

11L’édition de 1721 parle de « nourriture extraordinaire » pour défendre le développement des cultures de grosses raves et « naveaux », donnés crus, à demi cuits, et meilleurs cuits, ou de jonc marin, dit « sain-foin d’hiver », ou de pois, fèves et lupins, fourrages nécessaires en hiver, surtout en cas de disettes de pâturage. L’usage des raves, en Limousin, Auvergne et Savoie, et des « naveaux », était déjà mis en avant en 1600 par Olivier de Serres (6e lieu, chap. VII).

12Pour les veaux, on précise que les usages diffèrent, comme on laisse téter les jeunes bêtes de 15 à 60 jours selon les régions, selon les types d’élevage, de 30 à 40 jours dans les environs de Paris pour la boucherie, jusqu’à 60 jours si on veut élever le veau. Les jeunes bestiaux passent le plus grand de la journée au pâturage, séparés de leurs mères, et on insiste sur la multiplicité des soins à prendre en hiver, dans des étables chaudes, sur des litières de qualité, et devant de bonnes nourritures. L’édition de 1721 suit Olivier de Serres et conseille l’usage de jaunes d’œuf crus, et de farine d’orge et de seigle, pour compléter l’alimentation des veaux quand on veut ménager une bonne laitière ou quand on ne dispose pas de suffisamment de lait.

13En 1700, au 7e chapitre du 2nd livre de la Nouvelle Maison Rustique, au sujet des prés secs et humides, on disserte sur la façon de les semer, sur les soins à leur apporter, avec un développement important de ces sujets à partir de 1768 (p. 361-376). Il est aussi question des regains (17 lignes), du sainfoin (74 lignes), de la luzerne (274 lignes). En 1721, dans le 1er chapitre du livre III, on traite « Des prez cultivez, ou du sain foin de la luzerne, de l’esparcet, du sennegré, de la dragée et du jonc marin », avec peu d’éléments sur les deux derniers (p. 629-638). Le trèfle apparaît dans l’édition de 1740, à côté du sainfoin, de la luzerne, de l’esparcet (sainfoin), du « senegré ou fénu-grec », du jonc marin, « jân » ou lande, et du cytise ou trèfle odorant (livre III, chap. III, p. 735-746), avec 50 lignes pour le trèfle, 145 pour le sainfoin, 190 pour la luzerne, de 15 à 40 lignes pour les autres plantes, ce d’après les éditions de 1755 ou de 1768 qui ont exactement le même contenu.

14L’édition de Bastien, en 1798, reprend les éléments des éditions précédentes, mais il développe le sujet des cultures fourragères (t. I, p. 629-671), sur les prés à foin, sur les prairies flottantes, sur les regains, sur les clôtures, la vaine pâture, le parcours, sur les pâturages humides et secs, sur les prés artificiels, comprenant l’ajonc, la betterave, le blé noir de Tartarie, la carotte, la chicorée sauvage, le « chou turnep », le chou à vaches, le cytise ou trèfle odorant, la luzerne (185 l.), le maïs, la pimprenelle, la pomme de terre, le turnep, le ray-grass d’Angleterre, le ray-grass de France, le sainfoin (150 l.) et le trèfle (60 l.). à côté du jonc marin cultivé, des pois, des fèves et des lupins, on conseille la culture des « turnipes ou turneps d’Angleterre », appelés raves, navets ou panais, crus, coupés par tranches et cuits.

Dans la littérature du XVIIIe siècle : redécouverte des plantes et racines

  • 2 Ainsi, Olivier de Serres, en 1600, confond les deux plantes, avec le terme de « sain-foin » pour l (...)

15On perçoit quelques confusions, sur les termes, sur les espèces : en 1723, Liger reproche aux anciens auteurs d’avoir confondu le sainfoin ou foin de Bourgogne avec la luzerne2, alors que le premier est un trèfle, que la seconde est d’un autre caractère (livre III, chap. XIII). Il conseille par ailleurs la culture de l’esparcet, de Die en Dauphiné, qui peut être ici un sainfoin ou une luzerne. Le sainfoin convient aux terres pierreuses, et, selon Liger, il donne davantage de lait aux vaches ; la luzerne, cultivée dans le Midi, en Languedoc et en Provence, redonne des forces aux bestiaux et augmente le lait, mais elle doit être donnée avec d’autres fourrages, et sèche, pour éviter les risques d’indigestion.

16En 1751 paraissent les Prairies artificielles, de La Salle de l’Étang, surtout consacrées au sainfoin, rééditées en 1756 (in-8°, 124 pages), augmentées en 1758 (in-12, 207 p.), et de nouveau en 1768 par l’ajout d’un traité sur la culture de la luzerne, du trèfle et du sainfoin et d’une dissertation sur l’exportation du blé (in-12, 330 p.). L’auteur situe sa recherche sur les terrains secs et stériles dans la Champagne et dans les autres provinces du Royaume, pour la fertilisation de ces sols et la multiplication de l’élevage, avec une défense de la jachère. Son initiative est couronnée, en 1758 par Pattullo, qui demande tout de même une méthode plus rapide dans l’introduction de son Essai sur l’amélioration des terres. Il précise qu’il faut destiner les fourrages à la seule nourriture des bestiaux et ne pas les vendre, si ce n’est fort cher près des grandes villes pour acheter du fumier à bas prix (p. 70-75). Soucieux de la rentabilité des systèmes de culture, il appuie ses assertions de calculs, d’après la durée des cultures, leur produit fourrager, la surface et le nombre de bestiaux à nourrir, conseillant d’alterner herbage et labour, afin d’élever plus de bêtes et de produire davantage d’engrais. Pattullo souligne que certains des principes qu’il met en avant sont déjà présents chez Olivier de Serres, en 1600, mais que « le Livre est un in-folio de plus de mille pages, qui n’a point été lu ; & on feroit des bibliotheques de tous ceux de ce genre, qui sont pareillement restés inutiles ; car les Cultivateurs ne lisent guère, & ce n’est pas de gros Livres qu’il leur faut : c’est un inconvénient qu’on a cherché à éviter, & qui fait supprimer tous les détails que quelques personnes pourroient désirer » (p. 125). Pattullo ne rejette pas les jachères et donne la manière de s’y prendre pour les intégrer dans l’assolement, avec deux jachères sur cinq années de labours, alternant navets, légumineuses annuelles, grains, trèfle accompagné d’orge ou d’avoine, avant cinq années d’herbage artificiel (p. 135-149).

17Peu après, au début des années 1760, Dupuy-Demportes discute longuement des prairies artificielles, et en particulier du « trèfle rouge ou mielleux, appellé clover » ou du trèfle houblonné (t. v, livre vii, p. 48-118), comme Despommiers, en 1762 et 1770, qui propose des expériences et qui insiste sur l’importance des grains, de leur enveloppe, pour augmenter la nourriture des bestiaux, tandis que Lelarge de Saint-Fargeau met en avant, en 1762, les herbes et les feuillages. Dans les années 1760 et 1770, l’amélioration des prés et l’établissement de prairies artificielles sont des soucis récurrents parmi les agronomes les plus diffusés, comme Miroudot du Bourg (1762), Despommiers (1763), Sarcey de Sutières (1765), Ferrand et Rigaud de Lille (1769), De Grace (1770), De Mante (1778). Mais Louis Rose (1767), s’il renvoie à la lecture raisonnée de Duhamel du Monceau, de La Salle de l’Étang et de Pattullo, ne traite que des légumineuses annuelles, des mélanges, des foins et de l’avoine, des racines (carottes, navets, navettes, pommes de terre, topinambours), des haricots, des grands choux, de la garance (p. 214-321). L’opposition aux jachères et aux droits communaux se développe dans l’édition, surtout dans les années 1770 et pendant la période révolutionnaire. En parallèle, on trouve d’autres remarques nutritionnelles, au sujet du vin, du vinaigre, du sel, pour l’appétit, au sujet des aliments de base, du foin, de la paille, avec en outre des titres particuliers pour la garance (1757, 1768, 1772), l’ajonc (1757, 1806), le chou (1775, 1788), la châtaigne (1780), les feuilles (1785, 1847).

  • 3 Bourde A. J., op. cit., 1967, chap. X (les cultures). Le terme de « ray-grass » apparaît en France (...)

18André J. Bourde discerne une querelle du ray-grass, vers 1760, déjà dans une difficulté quant à la nomenclature et quant à la traduction3. Delisle en importe d’Angleterre et en cultive entre 1755 et 1758, sans que les bestiaux s’y accoutument, si bien qu’il s’y oppose, dans son Mémoire sur le ray-grass publié en 1761, lu à l’assemblée de la Société royale d’agriculture de la généralité de Paris. Mais la culture fourragère du ray-grass est défendue par Dom Miroudot du Bourg, de Lorraine, en 1761, par la Société d’agriculture de Bretagne, par le Journal œconomique en 1762, par Valmont de Bomare en 1764. Le terme de ray-grass, en fait, recouvre plusieurs réalités, précise André J. Bourde, surtout le ray-grass et la fausse ivraie, que l’abbé Rozier confond encore dans les années 1780 ; Cretté-Palluel, en 1801, d’après Gilbert, distingue le ray-grass anglais et le fromental de Dom Miroudot.

19Plus du quart des articles touchant à l’élevage, dans le Journal œconomique (1751-72) concerne l’alimentation des bestiaux, sur l’avoine (avril 1753), les pailles (août 1757), la vesce (déc. 1758 et fév. 1763), le regain (oct. 1760), la paille d’avoine (oct. 1761), sur le trèfle et la luzerne, d’après une méthode de culture observée à Alais, dans le Languedoc (sept. 1757), sur le sainfoin (nov.-déc. 1764, et oct. 1769), sur les pommes de terre (1753-69), les tiges du maïs que l’on cultive dans les provinces méridionales de la France (juil. 1753 et juil. 1758), les carottes et panais (oct. 1760), les navets ou raves (avril 1761), ou encore sur le genêt épineux (fév. 1763) ou les « Gâteaux salés pour les Troupeaux », par M. Leblanc, qui propose un mélange de farine de froment et de farine d’orge, à cuire (« fougasses »), comme le sel est trop cher (mai 1770). Les prairies à regain sont le sujet d’un long article de 21 pages, distribué dans les numéros de février à mai 1759, avec en outre des soucis d’amélioration des bas prés, par le desséchement, l’irrigation (déc. 1752 et juil. 1763). Contre une approche libérale, le Journal œconomique défend l’usage de la vaine pâture, nécessaire pour les pauvres (mai 1767), mais aussi pour les éleveurs les plus riches (1768), les auteurs prenant position juste après l’enquête de 1767 auprès des Sociétés d’agriculture, des intendants et des notables, lors de la première offensive contre le parcours et la vaine pâture et avant la parution du traité du comte d’Essuile (1770), résolument opposé aux droits communaux.

20Si les racines apparaissent dans la littérature agronomique avant le XVIIIe siècle, dans les traités d’agriculture, on observe une multiplication d’ouvrages et de brochures spécialisés, depuis 1767, depuis les travaux de François-George Mustel sur la pomme de terre, dans les années 1770, et en particulier à propos des turneps.

21La disette de 1785 ouvre des discussions nombreuses sur les moyens de trouver des nourritures alternatives en cas de crise, ainsi la betterave, la pomme de terre, d’autres plantes encore, comme le maïs, avec 6 références de 1785 à 1833. Chabert, qui accompagne la distribution de vaches aux familles pauvres, cite une grande diversité de plantes, de feuillages, de racines, meilleures cuites, de mélanges de paille avec le foin (avec le regain dans l’édition de 1807). La diminution des fourrages fait craindre une crise de l’élevage, dans le nombre et la qualité des bestiaux, alors que ceux-ci sont toujours nécessaires à l’amendement des terres, tandis que la consommation de viande s’est accrue et que les Arts & Métiers dépendent parfois de cette production. Dans ce contexte, le thème domine parmi les Mémoires de la Société d’agriculture de Paris, dès 1785 avec le maïs, les turneps, le trèfle, le sainfoin, en 1786 avec le chou-navet, la lupuline, l’herbe de Guinée, en 1787 avec les pommes de terre, la chicorée, les plantes aquatiques, le fromental, le marron d’Inde, les graines du Tournesol, la pimprenelle, la « Cytise des Anciens » ou « Luzerne arborescente des Modernes », avec beaucoup de contributions de Cretté de Palluel ; en 1788, ce sont les vesces, la gesse, les racines potagères, qui sont à l’honneur. À l’hiver 1786, on discute de l’entretien des prairies. La culture du trèfle revient régulièrement dans les mémoires publiés, ainsi que l’ensemble des prairies artificielles, surtout en 1787 et 1788 avec l’insertion du Traité des prairies artificielles de François-Hilaire Gilbert, couronné en 1787 pour le prix proposé par la Société royale d’agriculture le 30 mars 1786, édité en 1789, analysé dans la Feuille du Cultivateur en 1793, réédité six fois jusqu’en 1826.

22L’abbé de Lalauze, en 1789, défend les prairies artificielles, mais en conseillant d’être prudent, de faire des expériences avant de suivre une culture en grand, et de bien tenir compte du climat (t. IV, p. 56-62). Il souligne par ailleurs que « la bonté & l’abondance [du lait d’une vache] dépendent de la qualité des pâturages dont elle est nourrie », discours relativement rare dans le corpus, mais avec une dichotomie simplifiée entre bas-fonds et herbes savoureuses (t. v, p. 122-138, art. viii). En 1793, Préaudeau-Chemilly met lui aussi en avant la culture des prairies artificielles et s’attaque à la longueur des baux, trop courte selon lui pour permettre l’établissement de telles cultures, qui durent longtemps, de 6 à 10 ans pour le sainfoin et la luzerne ; il souhaite également que les clôtures se généralisent, pour protéger ces plantes. Ces deux facteurs dépassent selon l’auteur l’ignorance que l’on impute aux cultivateurs pour expliquer les retards de l’agriculture. En effet les agronomes désignent généralement la routine des laboureurs et le défaut de prairies pour signifier les causes d’une agriculture mauvaise, mais aussi les impositions et charges qui pèsent sur les cultivateurs et éleveurs, et de plus en plus la trop courte durée des baux qui les empêche de prendre des risques, d’oser des changements de culture.

23D’après les travaux du botaniste Linné, d’autres auteurs désignent les plantes qui conviennent aux bêtes à cornes et celles qui leur déplaisent, comme Buc’hoz en 1778, avec 286 plantes qui conviennent, 184 qui déplaisent (t. ii, ch. iv, p. 43-52). Il donne par ailleurs un tableau établi par la Société d’agriculture de Bretagne, qui recense 42 plantes propres aux bestiaux, et 15 qui sont spécifiques à l’élevage de la Prévalais, d’où le beurre est très réputé (t. ii, ch. iv, p. 143-145).

  • 4 Roger J., Les Sciences de la vie dans la pensée française…, 1993, 2e part., chap. I et II.

24Les agronomes et spécialistes du XVIIIe siècle connaissent l’anatomie des animaux4, le système de rumination et le fonctionnement des différentes parties de l’estomac, mais on ne trouve pas de grands développements sur le sujet, si ce n’est chez Buffon (1749), qui précise que les bestiaux, quand ils mangent, cassent les herbes suffisamment haut pour ne pas les détruire, ce qui a son importance dans le débat sur les avantages et inconvénients du pâturage.

Dans les dictionnaires : une compilation des connaissances

25Dans le Dictionnaire universel du Commerce, en 1723, on se penche à l’article « Veau » sur l’alimentation des jeunes bestiaux, du veau de lait au veau « brouttier », à l’herbe et au foin, en passant par les veaux de rivière, dans les bons pâturages des environs de Rouen, mais aussi sur l’engraissement des bœufs, avec trois picotins de farine d’orge et de l’eau pendant les huit premiers jours ; on alterne entre pâturages et étable, en donnant parfois des raves fraîches, du marc de raisin avec du son et de l’eau chaude. En 1751, Chesnaye des Bois, pour ce qui concerne la « mangeaille », renvoie à la lecture de Chomel, proche de l’œuvre de Liger, dont on reprend les grandes lignes : on recense quelques racines et beaucoup de plantes, mais il est rarement question de leur usage pour les bestiaux dans les articles spécifiques, le « fourrage » se limitant à la paille, au foin, à la luzerne et au sainfoin, aux « cossats » de lentille. Le Dictionnaire de Trévoux, dans l’édition de 1771, renvoie à la Nouvelle Maison Rustique et au Dictionnaire économique, pour le sujet de l’engraissement, mais propose également des articles courts sur la luzerne, le pâturage, les regains, le sainfoin, le trèfle.

26En 1760, Alletz donne une énumération des plantes « classiques », mais il insiste, dans l’article « Prairies artificielles », sur la culture du trèfle, un peu moins sur la luzerne et sur le sainfoin, même si les articles, ici, ne sont jamais très longs, rarement au-delà de trois pages.

27En 1782, le Cours complet de Rozier commence l’article « Bétail, Bestiaux » par les végétaux propres à leur nourriture, avec les feuillages, les herbes et racines. Puis il s’intéresse de près à l’usage du sel (chap. III), avec 7 méthodes détaillées pour en donner aux bestiaux, qu’on en place dans un poteau creusé et planté au milieu de l’étable, qu’on en donne une poignée tous les 15 jours, qu’on en répande auprès des râteliers, qu’on suspende quelques sacs au-dessus ou qu’on le mêle au fourrage. Dans l’article « Bœuf et Vache », la question de l’alimentation apparaît dans le 5e chapitre, avec une attention sur les dangers de la luzerne donnée en trop grande quantité, avec différentes méthodes d’engraissement, à base de foin, de paille, de farine de seigle, d’orge ou d’avoine, avec de l’eau tiède et du sel, de grosses raves, des carottes, des navets, des feuilles et des graines de maïs, du vin dans une eau chaude qui contient beaucoup de son, mais encore avec des tourtes de chènevis et du suif, comme il est d’usage dans le pays messin, ou « du foin de haut-pré & du marc d’huile d’olive, mêlé avec de gros navets & de la farine de seigle » en Auvergne et en Limousin, avec aussi l’importance de l’exercice. L’usage des feuilles de la betterave champêtre est conseillé pour les vaches laitières, celui de la racine, coupée et hachée, pour les bœufs à l’engraissement (« Racine de disette »). On remet par ailleurs en question le droit de parcours et la pâture des regains.

28L’édition de 1809 met en avant la « Carotte », nourriture alternative en cas de sécheresse, d’après le modèle anglais, en citant un mémoire de Robert Billing, mais aussi le « Chou », là encore en citant les anglais Badders et Whanton. C’est aussi le « Tourteau », en 1838 le « Foin brun », d’après l’allemand Albert Thaër, la « Pimprenelle », d’après les anglais Wych et Rocques. On voit apparaître un article en 1809, « Engrais, Engraissement des bestiaux », auquel on ajoute, en 1838, l’observation d’exemples anglais et français.

29On distingue trois types d’herbages, ceux des bas-fonds, marécageux, les prairies de Normandie et de Hollande et les herbages des hauts sommets. Les prairies artificielles sont très appréciées mais on souligne les risques d’accidents, de météorisation, de tympanite, de tranchées, de colique venteuse, et le souci de la santé revient contre les pommes de terre crues et pour l’usage du sel. Dans ce Cours complet, « Parcours & vaine pâture » sont clairement condamnés, comme dans l’Encyclopédie méthodique, afin de favoriser les cultures ; Bosc, tout de même, préfère que l’on ne supprime pas totalement ces pratiques là où les populations retirent un certain profit de l’élevage de quelques bêtes, sans possession propre de terres pour les faire pâturer (1813).

30En 1791, la section « Arts & Métiers » de l’Encyclopédie méthodique propose un article sur le « Trèfle », mais l’avantage de cette plante pour l’alimentation des bestiaux est aussi plusieurs fois mis en avant par la section « Agriculture », dont 20 % des articles retenus touchent à la nourriture des bêtes à cornes. Cette section, avant le Cours complet, reprend le mémoire de Robert Billing, de Weasenham, dans le Norfolk, inséré dans les Mémoires de la Société Économique de Berne de 1767, sur la « Carotte », sans oublier les raves, panais, betteraves, topinambours et pommes de terre, les feuilles et jeunes tiges du maïs, la luzerne, le sainfoin, le trèfle, particulièrement cultivé dans les départements voisins du Rhin (1816). Dans l’article « Nourriture des animaux », Bosc souligne qu’il y a eu de nombreux échanges entre agronomes anglais, allemands, suisses et français sur la nourriture à l’étable, mais il renvoie chaque éleveur à ses propres calculs, à ses terres, pour décider de ce qui est le mieux, en insistant plutôt sur les nécessités de propreté, de bonne aération (1813). Enfin on donne autant voire plus d’importance aux prairies naturelles qu’aux prairies artificielles, d’autant que l’établissement de ces dernières coûte cher, et qu’il vaut donc mieux parfois améliorer ses prairies que de risquer de nouvelles cultures (1816).

31À propos de la nourriture des vaches, dans l’article « Bêtes à cornes » de l’Encyclopédie méthodique, l’abbé Tessier distingue les « vaches qui restent aux étables une partie de l’année & vivent dans la montagne en plein air, une autre partie », ainsi en Auvergne et en Suisse, les « vaches, qui sont presque toute l’année à la pâture, mais couchent toutes les nuits dans les étables », dans les pays de forêt ou de communes, les « vaches qui sont toujours à l’étable, exceptés quelques mois de l’année, pendant lesquels elles sont à la pâture, le jour seulement », dans les environs de Paris, d’après Madame Cretté de Palluel, et enfin les « vaches qui ne sortent de l’étable que quelques heures, certains jours d’été » : la nourriture diffère essentiellement dans sa quantité, selon que l’on donne plus de vert ou de sec selon les régions. Pour les bœufs, on reconnaît qu’eux-mêmes ne font pas d’excès en foin ou en paille, mais qu’il faut bien gérer ce qu’on dispense en luzerne et en trèfle, comme ils peuvent facilement en savourer et s’en incommoder. En cas de disette, on a recours aux feuillages, aux plantes potagères, aux tiges de maïs, au sorgho, au sarrasin, à la spergule, aux graines, aux racines ou fruits, au marc des huiles d’olive, de navette, de colza, de noix, en pains. On distingue trois manières d’engraissement, au seul pâturage, dans les herbages du Cotentin et du Pays d’Auge, au pâturage et à l’étable, dans le Limousin, l’abbé Tessier citant des passages du mémoire de M. Desmarets, de 1787, sur cette méthode, et à l’étable seulement autour de Cholet, dans le bas Poitou, parfois dans le Limousin et en Normandie. L’abbé Tessier reprend les arguments de Tschiffeli, de Berne (1775), au sujet des avantages de la nourriture à l’étable, et il met en avant l’usage du sel pour ouvrir l’appétit et préserver la santé des bestiaux.

32Valmont de Bomare, en 1791, dans le Dictionnaire raisonné d’histoire naturelle, définit un bon nombre de fourrages, des prairies artificielles aux racines, en traitant par exemple de la pomme de terre et du topinambour, d’après Mustel (1770), et sans aucune référence à Parmentier (t. ii, p. 101-108). On parle de la « Façon de préparer les Marons d’Inde pour engraisser le bétail », avec la retranscription d’une lettre de M. Bon, de Montpellier, insérée dans le Journal œconomique en octobre 1751. Il est aussi question de la feuille d’acacia du Canada, qui serait un excellent fourrage pour les bestiaux, fraîche ou sèche, plus nourrissant que le trèfle et le sainfoin, donnant beaucoup de lait aux vaches, ce d’après le mémoire en allemand de M. Bohasdch, professeur de médecine et d’histoire naturelle à Prague (t. i, p. 90-92).

33On retrouve le souci d’augmenter le lait dans Le Parfait Agriculteur de Cousin d’Avalon, en 1810, qui conseille l’usage, à leur article, des carottes, de la chicorée, de la garance, du gland, de la feuille et de la tige du haricot, de la lentille, du marron d’Inde, du panais ; pour l’engraissement, on indique la carotte, le gland, le marron d’Inde, le navet, le panais, la pomme de terre, la betterave champêtre.

Dans la littérature du XIXe siècle

34L’édition stagne jusqu’en 1820 et connaît une baisse importante dans la décennie 1830, toujours avec beaucoup d’ouvrages sur les prairies artificielles (21), d’après des expériences et observations locales, de l’Est, du Nord-Ouest et de la région parisienne, mais aussi avec le développement d’ouvrages consacrés à l’entretien, à l’amendement, à l’amélioration et à l’irrigation des prairies et herbages, surtout dans les années 1830 et 1840, depuis le Traité général des prairies, et de leurs irrigations, par Charles d’Ourches, en 1802-03, et surtout le Mémoire sur l’amélioration des prairies naturelles et sur leur irrigation, par le baron de Perthuis de Laillevault, en 1806. Une vingtaine de titres s’occupe exclusivement des racines, surtout en pommes de terre et betteraves.

35Dans les traités d’agriculture et d’économie rurale, les prairies artificielles sont toujours au premier plan, chez Jacques Isoré (1802), le baron de Pradt (1802), Charles d’Ourches (1802-03), Poinsot, qui loue aussi la culture du ray-grass ou fromental, de la pimprenelle et de la chicorée sauvage, et qui insiste sur l’entretien des praires naturelles (1806), puis chez Thiébaut-de-Berneaud (1820), Mathieu de Dombasle (1821), dans la Maison rustique du XIXe siècle (1834-37), chez Mauny de Mornay (1837), également dans les Annales de l’agriculture françoise. La plupart des auteurs s’opposent à la jachère, mais on voit des exceptions, ainsi chez Chrétien de Lihus, qui l’estime nécessaire (1805). Au même titre que les sainfoin, luzerne et trèfle, les racines apportent beaucoup à l’élevage, pour d’autres raisons, sans fertilisation des sols mais pour un engraissement hivernal important.

36De 1798 à 1817, les Annales proposent 70 articles relatifs aux fourrages, soit plus de 30 % du corpus établi, avec 19 textes génériques, 23 sur les racines, dont 12 sur les seules pommes de terre, puis 9 sur les prairies artificielles, 7 sur le maïs (1807-17), 5 sur l’engrais et l’entretien des prairies (1798-1806). Le thème de l’alimentation domine toujours dans le périodique entre 1818 et 1850, avec davantage de textes sur l’engraissement et l’amélioration des bestiaux. De même la Bibliothèque des propriétaires ruraux (1803-13) consacre plusieurs articles aux prairies artificielles (1803), aux racines, dont le rutabaga ou navet de Suède (1804), aux marrons d’Inde (1805), au sel (1806), à la préservation des bois (1807). L’intérêt est moindre parmi les Mémoires de la Société d’agriculture de la Seine, qui traitent surtout des pommes de terre (1800-50), ou parmi les articles du Moniteur agricole (1848-50), qui s’attarde davantage sur l’amélioration par le choix des reproducteurs, par les croisements.

37La Maison rustique du XIXe siècle, parmi d’autres ouvrages spécialisés, insiste sur l’amélioration des terres, des prés marécageux, et sur l’irrigation des prairies. L’ouvrage, au sujet des pâturages, concède l’avantage « de la nature » et du coût, mais voit l’inconvénient d’une fertilité inconstante, de l’insalubrité, de la rosée, se posant en faveur des pâturages artificiels tels qu’ils sont usités dans le Mecklembourg, le Holstein et le Pays de Bray, en faveur des clôtures qui protègent les bêtes ou en faveur du pâturage au piquet, usité au Danemark, en Angleterre, dans le Pays de Caux, avec l’idée de mieux contrôler les rations. On souligne qu’il n’y a pas assez de prairies artificielles en France, qui permettraient pourtant de développer la stabulation avec l’apport parallèle des racines.

  • 5 Denis B., « L’alimentation des animaux dans le Journal d’Agriculture pratique (1837-1856) », Ethno (...)

38Parmi les articles du Journal d’agriculture pratique, étudiés par Bernard Denis en 2000, dont nous intégrons ici l’analyse, Mathieu de Dombasle se prononce pour la stabulation permanente et l’affouragement à l’herbe coupée en vert, pour une optimisation des parcelles et une meilleure récolte des fumiers (1841-42, p. 193-194), tandis que Villeroy (1841-42, p. 462-467) se soucie du coût de la stabulation pour mettre en avant le pâturage, à la portée du plus grand nombre. Rieffel, lui, est favorable au pâturage au piquet, tel qu’il se pratique en Normandie (1848, p. 324-325)5.

39Le périodique présente divers aliments susceptibles de nourrir les bestiaux, dans l’esprit d’éviter les disettes de fourrage par des alternatives, avec, dans la même perspective, le sujet de la conservation et du traitement des fourrages (1848, p. 545-548), en reprochant aux cultivateurs de mal s’y prendre. On met en avant la meilleure valeur nutritive des foins après le fanage, d’après les travaux de Boussingault, membre de l’Académie des Sciences et de la Société centrale d’agriculture (1845-1846, p. 540-541). On parle aussi beaucoup du sel, que Boussingault considère comme indispensable, mais en suivant Mathieu de Dombasle quand ce dernier estime qu’il y en a assez dans la ration usuelle que l’on distribue aux bestiaux (1846-1847, p. 97-100) ; l’usage du sel est traité par Barral (1846-47, p. 708-734), par Baudement, qui souligne qu’il sert principalement à faire accepter des fourrages avariés aux animaux, sans nécessité donc (1849, p. 117-123). Comme dans les ouvrages agronomiques du 2e tiers du XIXe siècle, il est beaucoup question des meilleures manières d’engraisser les bestiaux, avec ici des travaux comparatifs, dès 1837, avec des tourteaux de lin, du grain, des turneps, seuls ou associés à d’autres aliments, avec une attention certaine pour les exemples anglais (1849, p. 216-218) et allemands (1841-42, p. 251-259).

*

40La réalité connaît quantité de nourritures que l’on peut dispenser aux bestiaux, selon la capacité des éleveurs de soustraire certains aliments de l’alimentation humaine. La théorie fait la promotion des plantes et racines qui complémentent la paille et le foin, en particulier dans les périodes de disette fourragère. La lecture des ouvrages agronomiques donne parfois l’impression de nouveautés, ce qui est le cas pour le trèfle, mais souvent l’usage fourrager des « nouveautés » est bien connu, les auteurs insistant surtout sur leur valeur en cas de crises, sur la nécessité de leur culture en grand, ainsi pour les prairies artificielles, les pommes de terre, les betteraves, et sur l’apport de la diversité alimentaire pour l’élevage, plus particulièrement pour l’engraissement.

41La réalité peut aussi rattraper les agronomes quand ils font la promotion des prairies artificielles, dans un engouement qui naît dans les années 1750, certains en revenant aux prairies naturelles dont l’établissement et l’entretien sont plus à portée d’une majorité de cultivateurs, en reconnaissant la difficulté d’une extension de cultures alternatives. Certains auteurs n’hésitent pas à accuser les mauvaises habitudes et la fâcheuse routine des paysans, en plus d’un système locatif qui semble proposer des baux trop courts pour supposer des investissements et des risques. Déjà en 1761 le Journal œconomique suscite de l’intérêt pour les prairies naturelles améliorées, mais le principe reparaît surtout après 1802 dans la littérature spécialisée.

La médecine des animaux domestiques : vers l’essor de l’art vétérinaire

42L’édition vétérinaire se distingue en plusieurs catégories, que la publication réponde à une urgence épizootique ou que l’on traite de toutes les maladies des bêtes à cornes, avec leurs remèdes, que l’auteur propose une nomenclature traditionnelle ou qu’il intègre les leçons des crises épizootiques ou fourragères pour apporter de nouveaux éléments, enfin que l’on s’en tienne à une description extérieure, pragmatique, ou que le discours revête une forme plus scientifique, en estimant les effets internes des infections, en recherchant et/ou en précisant davantage les causes des différentes maladies. Certes, il y a une évolution chronologique, dans les éditions de la Nouvelle Maison Rustique et dans les recherches et synthèses effectuées au XIXe siècle, mais le changement théorique ne touche pas forcément l’éleveur, qui veut surtout des remèdes efficaces, avec à ce sujet des éléments déjà nombreux chez Olivier de Serres (1600, 8e lieu, ch. VI). L’hippiatrie connaît beaucoup plus de publications, d’autant plus au début de la période, avec davantage d’efforts au sujet des bovins à partir des années 1760, parmi une nouvelle vague épidémique (1763) et la fondation des Écoles vétérinaires de Lyon (1762) et d’Alfort (1765).

43Chesnaye des Bois, en 1751, souligne que les maladies des bêtes à cornes viennent souvent d’une surcharge de travail et de mauvaises conditions climatiques, d’un trop grand froid ou de la chaleur. L’alimentation peut constituer une autre cause d’infection, si l’herbe est de mauvaise qualité, si les bestiaux mangent de mauvaises plantes, ou encore si les transitions entre fourrage vert et fourrage sec sont trop brutales.

Dans la Nouvelle Maison Rustique : l’intégration des crises épidémiques

44Les considérations médicales de Liger, en 1700, sont d’abord anatomiques, au sujet des dents, des cornes, par lesquelles on peut calculer l’âge des bestiaux. Les dents du devant tombent d’abord à 10 mois (à 6 mois à partir de l’édition de 1708), puis encore à nouveau 6 mois plus tard ; à l’âge de 3 ans, les dents des bœufs sont égales. Les cornes, elles, permettent de connaître le nombre d’années, par le nombre d’anneaux visibles sur ces excroissances, à partir de 3 ans, précise-t-on dans l’édition de 1721, quand de nouvelles cornes remplacent celles qui viennent de tomber. On énumère les différentes parties du bœuf, dans la description de l’idéal, et on donne quelques méthodes pour corriger les défauts du bœuf rétif, du bœuf peureux, du bœuf furieux, du bœuf sujet à se coucher en travaillant, le jeûne et l’aiguillon servant à dissiper la colère ou la nonchalance de l’animal.

45Mais l’ouvrage propose aussi une liste des maladies des bœufs avec leurs remèdes, à savoir le jeûne, le repos, des mélanges (avec des farines, du sel…) et des boissons (vin, vinaigre, huile…), parfois la saignée. Ce sont le dégoût, la langueur, le mal de cœur, la colique, l’enflure, l’avant-cœur (ou an-cœur en 1721), le flux de ventre, la paresse de ventre (ou constipation en 1798), le pissement de sang, les barbillons, la fièvre, la toux, l’enflure du cou, la maigreur, l’enflure des pieds, l’enclouure (ou chicots en 1721), la rétention d’urine, les étranguillons, la douleur de tête, la gale, les battements de flanc, les testicules enflées, les yeux malades, les poux. Déjà le nombre de maladies est plus grand que dans le Théâtre d’agriculture (1600), où l’on ne trouve par ailleurs qu’un faible nombre de remèdes.

46La rage paraît dans la liste de la Nouvelle Maison Rustique en 1708, avec deux remèdes, sans rien sur les causes et symptômes de la maladie. Il faut attendre 1721 pour que l’ouvrage donne davantage d’éléments sur cette maladie contagieuse.

47Dans l’édition de 1700, on a toujours un seul remède par maladie. En 1708, on en ajoute quatre contre la colique, trois contre la fièvre, deux contre le pissement de sang, contre la gale, et un contre l’enclouure, contre le dégoût, le flux de ventre, la rétention d’urine, la douleur de tête, l’inflammation des yeux. L’édition de 1721 développe les causes et symptômes pour la plupart des maux, et on ajoute des remèdes contre le dégoût, contre la colique, contre l’an-cœur, le flux de ventre, la boiterie, les étranguillons. L’indigestion apparaît, ainsi que l’enflure du palais, les duretés au chignon, les barbes, le poumon ulcéré, le chignon blessé ou enflé, les blessures aux pieds, l’épaule disloquée et la corne rompue, les piqûres de bêtes vénéneuses, la sangsue avalée, la lente. On donne une « Figure d’un Bœuf & des veines dont on le saigne », en précisant à la suite le rapport entre l’organe au niveau duquel on saigne et la maladie concernée. La surcharge de travail et les grands chauds, grands froids et pluies froides sont les principales causes des maladies. À partir de cette date, la liste établie, avec seulement le scorbut ajouté en 1749, on ne voit plus grand changement dans ce domaine, si ce n’est au sujet des épidémies.

48D’autre part, dans les paragraphes consacrés à la reproduction, Liger s’en tient à la pratique, aux soins du vacher, sans considérations scientifiques sur l’accouplement, sur la grossesse, sur le part, mais tout de même avec quelques remarques sur les signes de chaleur, sur l’impuissance du mâle et le moyen d’y remédier. Les maladies des veaux sont mises à part, spécifiques, fréquentes : ce sont les poux, les barbillons, la gale. Au-delà des remèdes spécifiques aux différents maux, l’ouvrage défend constamment l’hygiène des étables, des laiteries, le bon choix des nourritures, la propreté et la qualité devant diminuer les risques de maladie et de contagion.

49L’édition de 1721 présente un « Remede specifique contre la maladie des Bestiaux », après la vague épidémique de 1714, un sujet développé dans l’édition de 1749, qui met en avant les dangers de la sécheresse. En 1740, on parle de la « Maladie [un bouton sur la langue] qui a attaqué les Bêtes à cornes & les Chevaux dans la Généralité d’Auvergne, & qui s’est introduite sur la fin du mois d’Avril 1731. dans l’Élection de Gannat, Généralité de Moulins », puis en 1749 de la « Maladie [“une fièvre maligne, pestilentielle & pourpreuse”] qui regne en Europe parmi les Bestiaux depuis 1740 », en Hongrie et en Bavière, puis dans le Tyrol, l’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté et différentes provinces de France. Les nouvelles éditions intègrent chaque fois les crises, de 1714 et de 1744, dans le propos, et les textes sont longs, avec les symptômes et quantité de remèdes.

50En 1775, les modifications relèvent seulement du vocabulaire : la « sqinancie » devient ainsi l’esquinancie ; en 1798, dans l’édition de Bastien, les maladies apparaissent dans l’ordre alphabétique. On introduit les épidémies par les « Maladies épizootiques ou contagieuses, et mortalité des Bestiaux », en généralisant les symptômes, « toujours perte d’appétit, tristesse, larmoiement, diminution et cessation de lait ; enfin cours de ventre et déjection sanguinolentes », avec quelques remèdes. On retrouve les mêmes textes sur les crises de 1731, 1744-48, 1770-71, en précisant seulement que l’on n’a pas fait beaucoup de remèdes spécifiques en 1776, en préférant alors le grand nettoyage des étables. Cette nouvelle édition développe le sujet de la rage, des dangers de sa contagion, en indiquant les symptômes et remèdes, d’après ce que l’on connaît et ce que l’on fait pour les chiens, particulièrement exposés.

Dans la littérature du XVIIIe siècle : leçons du passé et synthèses pour l’avenir

51La liste des maladies établie par la Nouvelle Maison Rustique en 1721 est longue, elle n’est pas reprise dans sa totalité dans les autres traités d’agriculture, les auteurs opérant des choix. Notons tout de même que l’ouvrage garde une portée jusqu’au début du XIXe siècle, Cuisin, dans son Manuel du parfait bouvier, en 1822, recensant quasiment les mêmes maux, ajoutant seulement la maladie du sang, les vers, la jaunisse.

Vers un souci de synthèse, de recul

52Dans les années 1760, Dupuy-Demportes traite aussi de la fièvre, des maux de ventre, du pissement de sang, des maux de pieds, de tête, des yeux, de la peste, mais encore de l’obstruction dans le foie, des vers, des ulcères, de la maladie des poumons, de la saleté de la peau, de la chute de la luette, de l’halètement, de la jaunisse, du mal au fanon (t. ii, p. 221-244). D’autres publications insistent sur le rôle de l’alimentation dans la naissance des épizooties et contagions : c’est le cas de Thomas-François de Grace, en 1770, qui, d’après des exemples de 1742-51, 1762, 1764, pris chez Sarcey de Sutières, précise que les maux viennent des mauvaises pâtures, des terrains humides, une erreur de jugement selon François Vallat.

53Les considérations sur la connaissance de l’âge par les dents et les cornes sont régulièrement reprises, sans changement, ainsi par le comte de Buffon en 1749, qui précise en addition que la corne ne tombe pas complètement au bout de trois ans, mais subsiste en une simple exfoliation sur laquelle pousse la nouvelle corne, puis aussi par Pellet de la Bonneville en 1773, par l’abbé Rozier en 1782, à l’article « Bœuf & Vache » du Cours complet, et par l’abbé Lalauze en 1791 (t. v, chap. vi, art. v), qui ajoutent des remarques scientifiques sur les dents, sur leur nombre, leur rôle, ou encore par Poinsot en 1806, par la Maison rustique du XIXe siècle en 1834-37.

54Comme dans la Nouvelle Maison Rustique, l’hygiène est bien présente dans les traités d’agriculture et d’économie rurale du Siècle des Lumières, logiquement plus palpable après 1760 avec le développement de l’édition vétérinaire. En 1785, dans son instruction sur les vaches laitières, Chabert insiste sur la nécessité d’étriller et de panser les bêtes, fréquemment, de laver les pis, afin de prévenir les infections, la propreté des étables et des laiteries étant aussi exigée. La brochure se termine par une liste « des signes généraux auxquels on reconnoît que les vaches sont malades », quand les moyens préventifs se sont avérés insuffisants. On ajoute en 1807 des considérations sur les dangers de la luzerne donnée en vert, avec des risques de tranchées, de météorisation.

55Les premiers travaux de synthèse sur les maladies épidémiques paraissent dans les années 1760, ainsi dans le mémoire du docteur Barberet, dont les observations pratiques sont couronnées par la Société d’agriculture de Paris en 1765, avant publication en 1766. L’auteur donne une description d’épidémies animales qui ont sévi depuis 1690, en se référant aux témoignages d’époque, pris au sérieux seulement à partir de cette date, depuis Ramazzini et ses éclaircissements sur l’épizootie de Modène. Barberet analyse les maladies, les classe, en se reportant aux exemples concrets, en Hesse en 1693, en Italie, en Allemagne et en Basse-Hongrie en 1711 et 1712, en 1730 dans l’Europe médiane, de 1740 à 1750 dans toute l’Europe avec une fièvre putride proche du cas de 1711, puis en 1756 et de 1762 à 1765. Il détaille les remèdes qui lui paraissent les plus appropriés pour chaque cas. Le mémoire, d’abord publié pour les seuls propriétaires, connaît une nouvelle édition en 1808 pour le commerce, sous forme de recueil, avec des notes de Bourgelat, qui choisit parfois d’autres moyens de guérison, et avec des textes de Buniva sur l’épizootie bos-hongroise, dans le Piémont en 1793, sur la nécessité de tuer les animaux attaqués.

56La publication de 1766 paraît dans un contexte de crise épizootique, mais le souci de synthèse, lui, est original : on met en avant les dangers d’une mauvaise alimentation, d’une eau corrompue, et les risques liés aux déplacements de bestiaux contagieux, de l’est vers l’ouest avec les campagnes militaires. Contre les avis du marquis de Courtivon et de Vicq d’Azyr, Buniva estime que les cuirs des animaux malades présentent un risque, que les tanneries sont un véritable foyer de contagion. De juin à août 1766, le Journal œconomique se fait le relais de la publication de Barberet, avec des comptes rendus et extraits, ainsi sur les causes des maladies, la constitution de l’air, la qualité des aliments, les traitements. Le même périodique condamne, en juillet 1771, le moyen de l’inoculation pour combattre les épizooties, d’après des expériences infructueuses en Hollande, pays qui connaît une crise majeure depuis le début de 1769.

  • 6 Pinault L., « La pharmacopée vétérinaire dans les premiers traités d’élevage en France », Ethnozoo (...)

57Selon Louis Pinault, Bourgelat « révolutionne » la question des remèdes, en 1765, avec une Matière médicale raisonnée parue à Lyon (239 p.), avec un souci critique à l’égard des recettes « extravagantes » que l’on peut trouver dans les ouvrages du XVIIIe siècle, comme dans la Nouvelle Maison Rustique, avec l’idée de proposer de nombreuses préparations, 534, d’après une centaine de substances qui ont de bons effets sur les animaux6.

  • 7 Comptes rendus du Dictionnaire vétérinaire et des animaux domestiques de Buc’hoz, en avril 1771, d (...)

58À côté des grandes crises épizootiques, les cas de contagion sont légion, et, si l’on peut penser que leur nombre n’augmente pas au cours du XVIIIe siècle, on constate qu’ils sont bien plus abordés dans la littérature agronomique, vétérinaire, depuis 1765 et dans les années 1770, à côté d’ouvrages génériques également plus nombreux, de Buc’hoz entre 1770 et 1775, de Vitet en 1771, avec trois dictionnaires consacrés à la médecine vétérinaire en 1771 et 1772, sujets de critiques sévères dans le Journal œconomique7, puis un Essai de bibliographie vétérinaire par Amoreux en 1773, une méthode à devenir de Guyton de Morveau pour désinfecter les étables, en 1773 également. La synthèse de Paulet sur les maladies épizootiques est publiée, « par ordre du Roi », en 1775, au cœur d’une nouvelle crise, essentiellement localisée dans le Sud-Ouest, mais efficiente dans toute la France et dans l’Europe septentrionale, crise dans laquelle se distingue Vicq d’Azyr, commandité par le gouvernement, qui va observer, proposer des moyens de prévention, de non-prolifération, de désinfection, des moyens curatifs, et qui va citer les arrêts et ordonnances du gouvernement, en revenant, en 1776, sur les épizooties similaires de la fin du XVIIe siècle et du début du XVIIIe siècle, en Italie, dans l’Europe médiane et en France, avec des références aux auteurs antiques (Végèce, Columelle), aux Italiens (Ramazzini, Lancisi…), à Helvétius (1714), Barberet et Le Clerc (1766), Bourgelat (1770), Augier du Fot et Vitet (1771), Paulet (1775). Vicq d’Azyr conseille différents remèdes, d’après les expériences de vétérinaires, avec 36 références précises et nombre d’anonymes.

  • 8 En décembre 1768 (p. 558), dans le Lyonnais et le Dauphiné, on indique que l’appel au secours aupr (...)

59Le Journal œconomique propose un article sur la rage (oct. 1754), M. le Camus, docteur en médecine, mettant en avant l’usage du sel, mais aussi sur la chaleur animale (mai 1755), sans être exclusivement consacrés aux bêtes à cornes, et on observe les épizooties, avec 5 articles entre 1766 et 1771, dont trois sur le Lyonnais8, une autour de Paris. On étudie « le fer qui se trouve dans le sang de la plûpart des animaux » (avril 1753), la « formation des cornes des animaux » (mai 1756), mais également quelques maladies, comme le chancre (août 1751 et juin 1768), l’enflure (mai et oct. 1770), la « Tumeur maligne & contagieuse sur la langue » (juil. 1763), les maladies à la tête (sept. 1767), en proposant des remèdes ou traitements.

60Dans les années 1780, on continue d’éditer des ouvrages généraux de médecine vétérinaire, de Vicq d’Azyr en 1781, de De Villaine et de Tessier en 1782, de nouveau de Buc’hoz en 1785, de Robinet en 1789, toujours avec des écrits sur les épizooties. La nouveauté vient de brochures consacrées à des maladies spécifiques, sur le charbon en 1779, sur les maladies vermineuses ou sur la gale et les dartres en 1782, sur la morsure des animaux enragés et des vipères en 1785, ou encore sur la digestion en 1787, en particulier de la part de Chabert, professeur très actif de l’École royale vétérinaire d’Alfort depuis 1766, après avoir été à Lyon à partir de 1763, seul à faire publier des textes sur les épizooties parmi les Mémoires de la Société d’agriculture de Paris en 1790 et 1791. En 1785 paraît à Genève une traduction française de l’abbé italien Lazzaro Spallanzani sur des essais de fécondation artificielle, dans des Expériences pour servir à l’histoire de la génération des animaux et des plantes.

Une publication collective de référence : les Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques

61Avec Pierre Flandrin et Jean-Baptiste Huzard père, Chabert publie, à partir de 1782, l’Almanach vétérinaire contenant l’histoire abrégée des progrès de la médecine vétérinaire des animaux, depuis l’établissement des écoles vétérinaires en France, recueil périodique qui prend le titre plus large d’Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques à partir de 1808. On lutte alors contre le charlatanisme, pour le développement de la médecine vétérinaire, pour les éleveurs et contre les lacunes de la législation commerciale (document 13).

62Dans le 2e tome, on donne une trame « de la manière de rédiger les observations de Médecine-Vétérinaire » (p. 232-241), pour ceux qui voudraient contribuer à la rédaction, en demandant des précisions, dans l’ordre sur les influences, les causes, les types exposés, l’évolution de la maladie, la nature et l’administration des remèdes, leurs effets, les accès ou redoublements, intercessions, mouvements critiques et récidives, et surtout sur les influences géographiques et climatiques au sujet des maladies enzootiques, ou sur l’influence des saisons et de l’alimentation pour les épizooties.

Document 13.
Contre le charlatanisme (1809).
Source : Instructions et observations…, t. I, 4e éd., 1809, p. 8-10
« La jurisprudence de la médecine vétérinaire est encore plongée dans les ténèbres de l’empirisme et de l’ignorance ; la garantie à laquelle la loi soumet, dans certains cas, ceux qui font le commerce des chevaux et de bestiaux, n’est le plus souvent fondée, ni sur la raison, ni sur la justice ; les vices dont ils peuvent être affectés, et qui donnent lieu à cette garantie, sont arbitraires dans les différens tribunaux, comme le temps prescrit pour la rédhibition. Les vétérinaires et les maréchaux sont néanmoins requis journellement pour éclairer la religion des juges sur tous ces points, comme sur la cause de la mort des animaux, et sur la nature de leurs maladies. Les sources où ils pourroient puiser les connoissances dont ils ont besoin pour cette fonction importante ne sont point à leur portée, ou sont isolées et absolument méconnues du plus grand nombre. Comment, d’ailleurs, seroient-elles connues des vétérinaires quand elles sont souvent ignorées des juges eux-mêmes ? Nous rassemblerons tous ces matériaux épars ; nous ferons connoître les nombreux abus auxquels cette partie de la législation françoise donne continuellement lieu ; nous indiquerons aux experts la marche qu’ils doivent suivre entre tous ces écueils ; et nous nous empresserons de faire connoître les réformes avantageuses que nos législateurs ne manqueront pas de faire cet objet.
Les charlatans sont un fléau aussi désastreux dans la médecine vétérinaire que dans la médecine humaine, et ils renaissent par-tout de leurs cendres ; c’est sur-tout dans les cas d’épizooties qu’on les voit pulluler davantage, et ils sont souvent plus à redouter que la maladie même. Nous leur déclarons une guerre ouverte, et nous les poursuivrons jusque dans leurs repaires les plus obscurs et les plus cachés. Nous regretterons d’autant moins le temps que nous emploierons à arracher le voile dont ils enveloppent toujours leurs opérations ténébreuses, que par-là nous rendrons un véritable service à la société.
Nous invitons les vétérinaires, les maréchaux, et toutes les personnes instruites, à être nos coopérateurs, en continuant de nous envoyer le détail des maladies qu’ils auront traitées, et les observations qu’ils auront faites dans leur pratique ; ce sera pour nous un moyen de rendre justice à leurs talens, en les faisant connoître ; et cet ouvrage sera le résultat de leurs travaux. »

63Il est question, dans ces Instructions et observations, du développement de l’art vétérinaire en Europe, de ses règlements, du devenir des élèves des écoles françaises, des maladies épizootiques traitées par ces élèves de 1780 à 1790, des difficultés du contexte révolutionnaire. On s’intéresse aussi aux cas rédhibitoires que constituent le charbon, la péripneumonie épizootique, les fièvres malignes pestilentielles, la dysenterie épizootique, la rage, le mal caduc, mais sans que les maladies contagieuses soient prises en considération par la loi, ce que les auteurs condamnent, estimant par ailleurs que le délai de recours devrait être le même dans toutes les provinces, alors que les coutumes s’opposent à cette unification.

64L’ouvrage comprend un texte de Chabert sur le charbon, édité sept fois de façon indépendante entre 1779 et 1790, un autre sur la rage, avec des ajouts par rapport à l’article paru dans le Journal d’agriculture en décembre 1778, d’autres sur la gale épizootique, sur les maladies vermineuses, deux textes de 1782, sur la péripneumonie, texte de 1793, mais aussi avec des écrits originaux du même auteur, sur la fourbure, sur le fic, sur la taupe, sur la saignée, sur l’indigestion, sur les vaches rongeantes, sur le mal de bois. Et on ouvre les pages à d’autres rédacteurs, sur une maladie épizootique en Picardie, par Vicq d’Azyr (1779), mais aussi sur un albugo épizootique dans le Pays de Bray, par Coquet (1785), sur des charbons enzootiques, en Auvergne, dans le Quercy (1786), sur une péripneumonie gangréneuse dans l’Allier (1788), sur la désinfection des étables, d’après Guyton de Morveau (t. ii, p. 335-338), sur un remède contre la maladie du sang (t. iii, p. 350-352), parmi quelques observations anatomiques singulières, d’une vache qui rend les os d’un veau par l’anus (t. ii, éd. de 1808, p. 306-310), d’un veau qui est resté plus de 18 mois dans la matrice (t. iv, éd. de l’an X, p. 265-268), parmi d’autres études sur l’avortement, sur le part (t. vi).

65On reprend l’article de Jean-Baptiste Huzard sur les amulettes, composé pour la section « Médecine » de l’Encyclopédie méthodique, sans changements sur le fonds. L’auteur distingue plusieurs types d’amulettes, d’abord « profanes ou médicamenteux », à base de solutions salines ou aromatiques, « surnaturels ou occultes », et enfin « sacrés », en souhaitant que les artistes vétérinaires parviennent à persuader les habitants des campagnes de ne pas écouter les banquistes, charlatans, devins, mages ou sorciers (t. iv, éd. de l’an X, p. 188-206). Le même auteur regroupe plusieurs mémoires sur la salamandre terrestre, dont trois du Journal de Normandie, de 1788 et 1789, pour montrer que son venin n’est pas dangereux (t. iv, p. 226-251). À partir du 4e tome des Instructions, Huzard remplace en quelque sorte son confrère Chabert dans la publication d’articles, avec un texte sur l’apoplexie dans le 5e tome (p. 148-167), la reprise de son texte sur « la péripneumonie chronique ou phthisie pulmonaire qui affecte les vaches laitières de Paris et des environs » (1800), en soulignant les problèmes du voyage des bestiaux et de leur régime sous un climat nouveau et dans de mauvaises étables.

66La 4e et dernière partie de chaque volume des Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques consiste en comptes rendus d’ouvrages de médecine vétérinaire, en particulier de l’étranger, avec trois ouvrages d’Allemagne, un de Hollande, un de Suède, un d’Italie, mais aussi avec le poème de Rosset sur L’Agriculture (1774), une nouvelle traduction de l’Histoire des animaux d’Aristote, par l’avocat M. Camus (1783), en soulignant que le fait d’une traduction par un non spécialiste se ressent dans la lecture. Parmi les publications françaises, on présente l’œuvre de synthèse de Paulet sur les épizooties (1775), celle de Vicq d’Azyr sur la crise de 1774-75 (1776), les Observations sur plusieurs maladies de bestiaux par l’abbé Tessier (1782), au sujet des étables, essentiellement, et le Tableau des maladies aiguës et chroniques qui affectent les bestiaux de toutes espèces par De Villaine (1782), puis l’édition de 1783 de la Médecine vétérinaire de Vitet, sans différence avec la première édition, de 1771, l’ouvrage ayant profité très tôt des éloges de Rozier (1771), d’Amoreux (1773), de Delafont (1775), de Vicq d’Azyr (1776), en particulier avec un important tableau des épizooties après l’historique effectué par le docteur Barberet en 1765 et avant la synthèse de Paulet en 1775. Vitet a de plus le mérite d’analyser les auteurs qui ont écrit sur la médecine vétérinaire, depuis Végèce, avec 56 études (« seulement », d’après le compte rendu), et la citation de 140 auteurs ou ouvrages, avec plusieurs extraits. On reproche le langage de l’Instruction sur la manière de conduire et de gouverner les vaches laitières de Chabert (1785), en admettant la qualité des préceptes mais en souhaitant une nouvelle édition plus abordable pour les individus concernés, avec des ajouts, ainsi au sujet des vaches transplantées ; pour autant, cette brochure sera recopiée à l’identique dans l’article « Vache » du Cours complet (1801).

67D’autre part, les rédacteurs des Instructions rejettent Le Médecin des campagnes (1791), avec le même article proposé de Jean-Baptiste Huzard dans les Annales de l’agriculture françoise en 1802 (t. X, p. 121-130), parlant d’un « véritable escamotage », d’une « vraie charlatennerie ». On commente aussi la parution d’une Liste chronologique des Ouvrages publiés par M. Buc’hoz en 1786, avec 82 ouvrages, 260 volumes, depuis 1758 (54 in-folio, 7 in-4°, 56 in-8°, 129 in-12, 14 in-18) : loin d’être impressionné par cette fécondité, l’auteur du compte rendu explique qu’il y a surtout beaucoup de nouvelles éditions, mais avec des changements de titres qui font croire à la nouveauté, et que la plupart des textes, dit-on, sont extraits ou recopiés d’autres publications, Buc’hoz lui-même admettant « prendre la quintessence des ouvrages », selon l’avertissement du Catalogue de sa bibliothèque, vendue en 1781.

68De par son caractère généraliste, les Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques, publiées et rééditées de 1782 à 1809, forment une transition importante entre deux périodes, coupées par un contexte révolutionnaire rude dans ce domaine. Ainsi, au développement de l’art vétérinaire, va succéder son affirmation, dans la 1re moitié du XIXe siècle, avec un soutien accru de l’État et une lente et difficile évolution des mentalités dans les campagnes. Du point de vue théorique, l’observation scientifique a peu à peu pris le pas sur le regard pragmatique et impuissant, avec un souci de synthèse affirmé dans les années 1770.

Dans les dictionnaires : un souci de prévention et d’hygiène

69En matière vétérinaire, les dictionnaires d’économie rurale et d’agriculture du XVIIIe siècle ne font que reprendre les éléments de la Nouvelle Maison Rustique, en tout cas jusqu’au début des années 1780, le Cours complet de l’abbé Rozier proposant des textes originaux sur la question, le contenu évoluant dans chaque nouvelle édition.

70Dans le long article « Bétail, Bestiaux », c’est d’abord au sujet de la vaine pâture que l’on met les éleveurs en garde, contre des pâturages presque nus, contre une nourriture indigeste des haies et broussailles qui, avec les gelées, le vent, le froid, puis les grandes chaleurs, développent des maladies, d’autant que souvent, dit-on, les eaux sont de très mauvaise qualité, dans ces espaces, avec beaucoup d’insectes qui incommodent et blessent les bestiaux affaiblis. Le tableau des droits communaux est très noir : ils participent ici directement à la « dégénération des espèces », ce contre la volonté de multiplier le bétail. L’auteur poursuit son article par une défense de la nourriture des bestiaux à l’étable, d’après les théories et expériences du suisse Tschiffeli, dont les Lettres paraissent en 1775 et 1777 à Berne. En 1793, dans l’Encyclopédie méthodique, l’abbé Tessier est aussi sévère au sujet des « Communaux, Communes », défendant leur partage et l’amélioration de leur culture.

71Au-delà de la qualité des aliments et de l’eau, on insiste sur l’hygiène, sur les soins quotidiens, sur le renouvellement fréquent de la litière, sur la prévention des maladies, en particulier par l’usage du sel, l’auteur remarquant « que les épizooties étoient plus fréquentes dans les provinces où l’usage du sel étoit inconnu, que dans les autres », en tout cas pour ce qui concerne le foyer du mal. L’article « Bœuf & Vache » du Cours complet contient une explication du fonctionnement de la rumination, suivie d’un chapitre sur l’influence de la nourriture et du climat sur le bœuf (chap. vii), soulignant que les changements d’atmosphère conduisent à des inflammations, mais aussi à des fièvres, parfois gangréneuses. À la fin du même article, on distingue les maladies internes et externes : cette liste renvoie, plus ou moins directement, aux 125 entrées consacrées aux maladies spécifiques, avec 76 articles de plus de 50 lignes, aux remèdes, avec 23 articles généralement courts, et à la médecine vétérinaire, avec 29 articles qui traitent de l’anatomie, des traitements et opérations.

72L’ensemble de la médecine vétérinaire reste le thème dominant dans la 2nde édition, de 1793 à 1802, pour environ 65 % des articles et près de 40 % du contenu, comme en 1781. On recense 160 termes relatifs aux maladies, synonymes compris. Ce sujet regroupe moins d’entrées en 1809, avec des textes plus courts ; on observe que les articles « Gangrène », « Inflammation », « Péripneumonie » et « Fièvre » sont deux à trois fois plus courts qu’avant. On peut être surpris que Bosc renvoie, dans l’article sur les « Aphtes », à un « excellent » mémoire de Jean-Baptiste Huzard sur le sujet, « inséré dans le cinquième volume de la Feuille du Cultivateur, p. 217 » ; le reste de l’article est identique au contenu de l’édition de 1781, le lecteur étant naturellement censé accéder au célèbre périodique.

  • 9 L’abbé Tessier estime que le mal ne vient pas des étables, ou des soins, que cela agit plutôt par (...)

73On connaît les risques liés à la grossesse, au part, chez les vaches, dans la littérature du XVIIIe siècle, mais les nouvelles connaissances médicales viennent développer certaines réflexions, ainsi en ce qui concerne l’avortement : le Cours complet de 1809 affirme que le mal n’est pas épidémique, contre ce que pensent certains, dont l’abbé Tessier en 1787 à l’article éponyme de l’Encyclopédie méthodique, et que la cause se trouve dans les étables malsaines et les fourrages « détériorés »9. Les écuries « basses et fangeuses » sont pointées du doigt pour nombre de pertes et l’on recommande de multiplier les fenêtres, ce dans l’article « Bœuf ».

74Le Cours complet de 1809 voit par ailleurs l’apparition de l’article « Hygienne vétérinaire », rédigé par Parmentier, auteur en 1802 d’Observations sur les moyens de maintenir et de rétablir la salubrité de l’air dans la demeure des animaux domestiques, insérées dans le tome VIII des Mémoires de la Société d’agriculture de Paris, et qui parle de l’habitation, avec des références au Traité des constructions rurales traduit de l’anglais par le comte de Lasteyrie (1802), au Mémoire sur l’art de perfectionner les constructions rurales du baron de Perthuis de Laillevault (1805) et à son article dans ce Cours complet (« Étables »), contre la saleté, l’air vicié, les insectes. Perthuis traite des proportions de l’étable, de la nécessité des ouvertures, et des moyens de purifier, d’après la méthode de Guyton de Morveau (1773 et 1801). Parmentier s’intéresse ensuite de près à la nourriture des bestiaux, en insistant sur les précautions à prendre dans l’emploi des aliments, puis aux boissons médicamenteuses, aux avantages du sel, aux soins quotidiens à dispenser, ainsi en nettoyant et en lavant les bêtes qui reviennent des labours, en les familiarisant par des caresses et attentions ; il se penche aussi sur les remèdes dits « spécifiques », sur les épizooties, en insistant sur les moyens de précaution.

75On confère une grande responsabilité aux gardiens des troupeaux, qui doivent être très attentifs, pour éviter les comportements dangereux, qui doivent même savoir lire et écrire, pour noter les saillies afin de préparer les accouchements. Le croisement des races est considéré ici comme un moyen de procurer des bestiaux moins faibles, moins sujets aux maladies. L’article se termine par des considérations sur les artistes vétérinaires, en souhaitant qu’on en compte un par arrondissement, pour qu’ils aient l’aisance de prodiguer les soins nécessaires, pour qu’ils puissent conseiller les propriétaires et gardiens de troupeaux, en insistant sur l’inutilité des brutalités envers les bestiaux, pour qu’ils puissent participer à la prévention des maladies, auprès des éleveurs, avec des connaissances en histoire naturelle afin de mieux connaître la botanique des régions dans lesquelles ils exercent. Parmentier regrette, malgré les travaux de Jean-Baptiste Huzard sur les vétérinaires et sur les vaches laitières, que l’on ne trouve pas d’ouvrage complet sur la question, pour « diffuser les bonnes méthodes » (art. « Hygienne vétérinaire », p. 197-198).

76Dans le corpus de l’édition de 1838 du Cours complet, avec 165 entrées désignant des maladies et 59 autres articles en médecine animale, la diversité des maux et le sérieux scientifique sont respectés. Un nouvel article, « Vétérinaire », parcourt l’histoire de cet art depuis le XVIe siècle, l’hippiatrie restant très dominante, base du développement des études sur les autres animaux domestiques aux XVIIIe et XIXe siècles, en France, en Europe. L’auteur, Huzard fils, revient sur la période révolutionnaire, avec le projet de Lafosse, favorable à l’abandon des Écoles vétérinaires pour le seul développement de l’hippiatrie, jusqu’à la création de nouvelles chaires à Alfort en 1813, qui donnent à l’établissement une supériorité par rapport à l’École de Lyon, pourtant pionnière, avec des études allongées pour les élèves de la capitale.

77Les volumes de la section « Agriculture » de l’Encyclopédie méthodique, publiés de 1787 à 1821, sont également riches de considérations vétérinaires, qui dominent notre corpus, avec 301 articles sur 675, pour seulement 17,5 % du contenu, avec près de 200 entrées pour définir des maladies, seuls 42 % des textes dépassant 50 lignes, en particulier au sujet des maladies pulmonaires, charbonneuses, des maladies du sang, des inflammations, des insectes, des blessures, de la gale. En médecine vétérinaire, 30 % des articles ont pour sujet les remèdes, avec des plantes et racines utiles, mais aussi la mise en valeur de l’« Onguent » et du « Purgatif », tandis que ce qui concerne les préparations, boissons et opérations vient nourrir des textes assez courts : 45 % du contenu pour les remèdes, contre 7,8 pour l’anatomie, matière plus développée dans les articles généraux sur les bêtes à cornes que dans des textes spécifiques.

78Comme dans le Cours complet, on traite des épizooties, avec les mêmes soucis de prévention, de précaution. Le médecin Gruvel reprend les moyens proposés par Vicq d’Azyr en 1775 pour guérir les bestiaux, en nettoyant et en purifiant les étables avec du vinaigre, de l’acide vitriolique et du sel, avec du soufre, de la poudre à canon, ou par le feu, puis la chaux, en recouvrant la terre meublée, à l’article « Désinfecter ». On ne fait pas référence à Guyton de Morveau, qui, s’il a commencé ses recherches au début des années 1770, ne trouve un écho qu’après sa publication de 1801, dans laquelle il démontre que « les fumigations aromatiques, celles faites avec le vinaigre, les combustions du soufre, la détonation de la poudre à canon, des lotions d’eau de chaux, etc., sont et doivent toujours être insuffisantes, parce que jamais elles ne détruisent les miasmes putrides », et conseille l’acide muriatique simple, l’acide muriatique oxygéné, ou encore l’acide nitrique.

79En 1791, l’abbé Tessier, dans l’article « Bêtes à cornes », reflète, par exemple au sujet de la reproduction, le développement d’une approche plus scientifique, plus approfondie, à côté d’un souci de détailler les argumentations économiques par l’insertion des calculs de dépenses et de recettes, ce dans des ouvrages que l’on dit destinés au public le plus large, quand on revendique une intention pratique, simple. Comme dans le Cours complet, et contre le schéma de la Nouvelle Maison Rustique et des traités d’agriculture et d’économie rurale, les remarques sur les maladies ne sont pas intégrées aux chapitres sur les bêtes à cornes, mais on ne propose qu’une liste, en renvoyant à chaque article y consacré du dictionnaire.

80Avant le Cours complet de 1809, l’Encyclopédie méthodique crée une entrée « Hygiène vétérinaire » (1796), dans laquelle Bosc développe les principaux préceptes hygiéniques qu’il faut observer au contact des bestiaux, avec l’idée constante de prévenir le mal, en s’adaptant au sol, en utilisant des étables suffisamment spacieuses, en choisissant les races selon le contexte climatique, en faisant attention aux temps et aux heures de la pâture, à l’emploi de la nourriture, aux traitements, au rapport affectif à entretenir avec les animaux.

Au XIXe siècle : des recherches plus précises

81Au début du XIXe siècle, on peut lire des rapports sur la vaccine, surtout connue en Angleterre et en Allemagne, de 1800 à 1802, plusieurs ouvrages sur les écoles vétérinaires, sur les maladies épizootiques, mais aussi des textes sur la désinfection des étables (Guyton de Morveau en 1801, Parmentier en 1802), sur l’anatomie (Girard en 1807), sur l’art vétérinaire (Chabert et Fromage de Feugré en 1805, Noyez en 1807), sur les remèdes (Lebas en 1809), et des ouvrages généraux de médecine vétérinaire, par Aygalenq (1801), par Gondinet (1808). De 1798 à 1817, sur 43 articles des Annales de l’agriculture françoise en médecine vétérinaire, 27 concernent les épizooties, dont 12 de 1814 à 1817, lors de la vague épidémique.

  • 10 Avec l’existence d’un appareil mélangeur « que l’on trouve chez M. Dumotiez, ingénieur en instrume (...)

82François-Hilaire Gilbert revient sur la maladie contagieuse qui règne à la fin des années 1790, avec des remarques sur le fléau qu’elle a ramené avec elle, dans la nuée de guérisseurs, de mages, de sorciers, de charlatans, tandis que des individus très instruits peuvent être capables de résultats (an VI, t. III, p. 333-357). En l’an X, Deyeux présente et défend la méthode de Guyton de Morveau pour désinfecter les étables (t. IX, p. 417-422), tout comme Cadet-de-Vaux dans la Bibliothèque des propriétaires ruraux en 180410. Ponctuellement, la rédaction des Annales propose des recherches anatomiques, quelques études sur les maladies, en particulier d’après les observations locales de correspondants. Les Annales donnent par ailleurs les rapports et procès-verbaux des Écoles vétérinaires de Lyon et d’Alfort, très régulièrement.

83La médecine vétérinaire est un sujet rarement abordé dans les Mémoires de la Société d’agriculture de la Seine (1800-1850) ou dans les Mémoires de la Société d’agriculture et des arts de Seine-et-Oise (1809-1850), si ce n’est dans des articles sur l’élevage en général, en particulier dans le souci constant d’hygiène, de propreté, sur la prévention plus que sur les guérisons, tout de même avec deux longs articles, de la 2e publication, sur les égagropiles par M. Berger-Perrière en 1836 (p. 97-107), et sur la météorisation en 1838 (p. 73-94).

  • 11 Il n’est pas question du louvet dans la Nouvelle Maison Rustique, mais J.-F. Reynier, auteur de pl (...)

84Dans L’ami des cultivateurs, en 1806, huit années après l’édition de Bastien de la Nouvelle Maison Rustique, Poinsot donne une nouvelle liste de maladies des bestiaux, avec des remèdes souvent différents : apparaissent l’abattement, les aphtes, l’apoplexie ou assoupissement, la perte d’appétit, la bleime (inflammation au niveau des ongles), la brûlure, le chancre volant, le charbon, le chênon ou fanon endurci (qui vient d’un travail trop soutenu), le chênon ou fanon enflé, le chênon ou fanon pelé, le clou ou piqûre de clou ou d’épine, la contagion, la courbature, la dysenterie, l’effort de la cuisse, les efforts des reins, la fracture des cornes, des côtes, l’hydropisie du bas-ventre, la jambe rompue, la jaunisse avec chaleur, la jaunisse froide, la perte de lait, le louvet (« lovet11 »), la loupe, la « mémarchure » ou entorse, les ongles éclatés, blessés, ou qui se séparent, la « pulmonie », la tétine, les taons, la tumeur, le diabète, les vers ; on oublie la langueur, les barbillons, la maigreur, les battements de flanc, les testicules enflées, les yeux malades, les poux (t. I, p. 231-254). L’auteur donne par ailleurs les précautions à prendre pour éviter les maladies contagieuses, en séparant les bêtes saines et malades, en n’utilisant pas les ustensiles qui ont servi pour les animaux atteints, en prenant garde à l’ouverture des cadavres, à l’usage des peaux, en évitant les rapports avec les autres animaux de la ferme, en nettoyant les étables, en diminuant la nourriture des bêtes malades, en donnant des préservatifs, des décoctions spécifiques (t. I, p. 319-324).

85Dans la décennie de 1810 à 1819, le nombre de publications augmente encore, avec des ouvrages de médecine vétérinaire par Nysten et Capuron en 1810, par Richelet en 1811, par Gohier en 1813, puis 13 publications relatives à la crise épizootique des années 1814 et 1815. En 1817 et en 1818 paraissent le Manuel d’art vétérinaire du comte de Gasparin et le Cours théorique et pratique de maréchallerie vétérinaire de Jauze, seul le second bénéficiant d’observations de Jean-Baptiste Huzard dans les Annales de l’agriculture françoise (1818, 2e série, t. i, p. 99-119).

86Dans les années 1820 et 1830, on observe une baisse de l’édition vétérinaire, mais avec certaines évolutions, des mémoires au sujet de parties anatomiques plus précises, comme les poils (1821), les yeux (1824), ou avec des détails sur l’enflure occasionnée par les trèfles et luzernes (1824), sur des mesures d’hygiène (1828), sur la rage (1830-1834), sur l’indigestion (1835), sur la clavelée (1835 et 1836), parmi la parution régulière d’ouvrages plus généraux, réédités ensuite, par Hurtrel d’Arboval en 1826-1828, par Rodet de 1827 à 1829, par Vatel en 1828, par Delaguette en 1830. Thiébaut-de-Berneaud, en 1820, s’inquiète de l’effet des maladies contagieuses sur l’homme, par la consommation du lait, du beurre et du cuir des vaches attaquées, lors de la fièvre de 1764, de l’épizootie de 1770, ou encore en 1804, 1809 et 1811, aux environs de Lyon, et dans le commerce des peaux entre la Hollande et la France en 1774 et 1775 (t. i, chap. xvi, p. 340-347). D’autre part, au nombre des maladies spécifiques aux bovins, il cite la phtisie pulmonaire, la gastro-entérite (typhus contagieux qui a frappé en 1714 et en 1815-1816), le fic ou fourchet, à cause de tiges dures mal digérées, et les égagropiles ou boules de poil (t. ii, chap. v, §. 7, p. 276-284).

87Depuis Lyon, Grognier publie, en 1833, ses Cours d’hygiène vétérinaire (427 p.) et Cours de zoologie vétérinaire (594 p.), réédités en 1837 (512 et 272 p.). Dans les Annales, la médecine vétérinaire occupe moins d’espace, du fait de l’absence de grandes épizooties, avec surtout 7 articles entre 1830 et 1850, centrés autour de l’anatomie, du fonctionnement interne des animaux, de la castration (1834, t. xiii, p. 177-181), le dernier repris du numéro de février 1834 du Recueil de médecine vétérinaire pratique.

88Dans la Maison rustique du XIXe siècle (1834-1837), les premiers textes relatifs à la médecine vétérinaire donnent la part belle au cheval. Eugène Renault, dans un chapitre de chirurgie, détaille 14 opérations que l’on peut appliquer aux bovins, mais en prenant le cheval pour exemple et modèle. Contre la férocité des bestiaux, on conseille de poser un anneau de fer au nez, d’après le schéma d’Auguste Bella, directeur de l’Institut agricole de Grignon (t. ii, p. 237-289). Le docteur Beugnot, ancien chef de service à l’École d’Alfort, classe les formes de médicaments, solides, mous, liquides, en « émolliens, tempérans, stimulans, toniques, astringens, purgatifs, vomitifs, diurétiques, emménagogues ou utérins, narcotiques, fondans, sudorifiques et diaphorétiques, rubéfians et caustiques, vermifuges », dans une « Pharmacie vétérinaire » (t. ii, p. 289-298), avant de donner une liste des maladies, classées par organe, avec davantage de distinctions par rapport à ce que l’on trouve au siècle précédent, ainsi au sujet des yeux, et avec plus d’éléments pour ce qui concerne le tube digestif (indigestions), les systèmes séreux et cellulaire (pleurésie, hydropisie), le système nerveux (convulsion, paralysie). On écarte les maladies particulières aux seules bêtes à cornes, qui sont la « pommelière » (phtisie tuberculeuse, phtisie calcaire), la maladie des bois (mal de brou), la météorisation (gonflement, indigestion gazeuse, tympanite), le pissement de sang, le tournis (lourd, lourderie, tournoiement), la limace, l’engravée, la fourbure, la vaccine (picotte, cowpox), rarement observée en France (t. ii, p. 298-346).

89En 1837, paraît la 3e édition du Manuel du bouvier de Robinet, revu, corrigé et augmenté de notes traduites de l’anglais par Huzard fils, et suivi d’un Traité de l’engraissement des veaux, des bœufs et des vaches, par Grognier, et de l’engraissement des bêtes à cornes, traduit de l’allemand de Pabst par Moll. L’ouvrage est annoncé par les Annales en avril (1837, t. xix, p. 256). Robinet appuie ses propres travaux sur les études qui lui paraissent les meilleures, de Chabert, Huzard, Lafosse, Sauvages et Paulet. Son ouvrage est structuré en 5 parties, avec des considérations générales sur l’hygiène et la santé, sur certaines opérations fréquentes, avec une liste de formules médicinales, puis « la description et le traitement de toutes les maladies externes », suivis d’observations sur les maladies internes et les moyens de guérir les bestiaux, sur le dégoût, et pour finir sur les maladies épizootiques, essentiellement d’après Paulet (1775). On compte 75 formules médicinales, numérotées, avec des renvois depuis la description des différentes maladies externes, divisées entre tumeurs et autres maux, et maladies internes.

90Dans les années 1840, on retrouve un nombre d’éditions comparable à celui des années 1810, et on suit toujours les progrès de la médecine, de la science, avec des remarques plus précises, plus souvent locales, avec des connaissances anatomiques approfondies et une meilleure approche des maladies animales et de la médecine, ainsi sur le cœur (Leblanc en 1840), sur le vomissement (Girard en 1841), sur la poitrine et sur le sang (Delafond en 1844 et 1848), sur le part (Rainard en 1845), sur la castration (Prangé en 1850). À côté de considérations sur les épizooties, sur les Écoles vétérinaires (Jauze en 1840), on continue d’éditer régulièrement des ouvrages généraux de médecine animale, ainsi les Principes d’agriculture et d’hygiène vétérinaire (1842, 608 p.) et le Traité d’hygiène vétérinaire appliquée (1843, 2 vol. in-8°), de Jean-Henri Magne, ou encore avec le Traité des maladies des grands ruminants, suivi de l’amélioration et l’hygiène de ces animaux (1843, 728 p.), par Lafore, professeur à Toulouse.

  • 12 Denis B., in Traditions agronomiques européennes, 1998, p. 223-237.

91Le Journal d’agriculture pratique donne une place importante à la médecine vétérinaire, et surtout aux professeurs de l’École d’Alfort, notamment à MM. Delafond et Bouley, rédacteurs réguliers, avec beaucoup d’articles sur la péripneumonie bovine, puis une mission et un gros rapport d’Yvart à ce sujet. Les auteurs réfléchissent aux échecs chirurgicaux de la castration des vaches, à l’empirisme et au manque de vétérinaires dans les campagnes, avec une ligne éditoriale favorable à la profession mais qui peut critiquer les coûts des prestations12. De 1848 à 1850, le Moniteur agricole donne peu de place à la médecine vétérinaire, tout comme les Annales de l’agriculture françoise, avec seulement des articles sur la castration et sur la tympanite ou météorisation (1849, 20e livraison, p. 618-623).

*

92De textes peu détaillés au début du XVIIIe siècle, tout de même avec un effort scientifique, déjà, relevé par les agronomes et vétérinaires de la 2nde moitié de ce même siècle, on passe à des études toujours plus précises, vers le milieu du XIXe siècle, avec des rapports également plus sérieux au sujet des épizooties, avec un mouvement qui connaît plusieurs temps forts, dans les années 1760 avec une crise épizootique et la création des Écoles vétérinaires de Lyon et d’Alfort, puis en 1775 et 1776, avec des synthèses importantes dans les deux décennies. À la veille de la Révolution avec la parution des Instructions et observations sur les maladies des animaux domestiques, l’art vétérinaire continue de se développer et de s’étendre, avec l’appui du gouvernement, avec une multiplication des brochures spécialisées et des ouvrages généraux dans la 1re moitié du XIXe siècle, qui n’hésitent pas à faire référence aux travaux plus anciens.

93On tire des leçons d’observations locales beaucoup plus nombreuses, en croissance dès les années 1760, avec des connaissances abouties au milieu du XIXe siècle, ainsi au sujet de la prévention, de l’hygiène, des différents risques et des remèdes, mais avec une diffusion encore limitée, la distribution spatiale des connaissances vétérinaires restant bien perfectibles, dans la pratique, jusqu’au début du XXe siècle. À partir de 1850, les recherches s’intensifient, notamment sur la fièvre charbonneuse et la péripneumonie contagieuse bovine, avec un développement spatial dans l’exercice de l’art vétérinaire.

Jurisprudence et littérature agronomique : une préoccupation croissante

L’âge des bestiaux

94Par arrêt du Conseil d’État du 4 avril 1720, on défend « de vendre, acheter ny tuer les veaux et génisses qui seront âgez de plus de huit ou dix semaines, ny aucunes vaches qui seront encore en état de porter des veaux ». L’arrêt du Conseil d’État du 14 novembre 1723 précise que « les veaux, génisses, taureaux, bouveaux, jeunes vaches, Aummailles, seront réputés bœufs ou vaches à l’âge de six mois ; et comme tels, payeront les droits de trois livres, à l’entrée des trente une villes principales du royaume et deux livres dans les autres villes et bourgs […] ». À Paris, une sentence de police, le 9 décembre 1724, vient défendre « de vendre, d’acheter et de tuer des vaches appellées génisses et torailles, qu’elles ne soient de l’âge de huit ans et au-dessus, ni pareillement aucuns veaux ou taures au-dessus de l’âge de trois mois », pour préserver le cheptel. Le Parlement de Metz, au 26 novembre 1744, défend de tuer les jeunes femelles, au début d’une vague épizootique qui fait aussi prendre des précautions de la part du Parlement de Paris, en avril 1745.

95On ne lit aucune considération législative dans le chapitre sur les bêtes à cornes de la Nouvelle Maison Rustique. Seules les remarques sur l’âge auquel on doit mener les vaches au taureau peuvent poser des interrogations sur l’écart entre l’élevage même et la fiscalité : en 1723, le Conseil d’État estime que les jeunes bestiaux deviennent des bœufs ou vaches à l’âge de six mois, ce qui suppose une augmentation des droits, par tête, mais aussi une préservation des jeunes bêtes, comme il devient plus rentable pour les éleveurs de vendre les bestiaux les plus âgés, les plus lourds. Les agronomes, eux, se relaient tous pour conseiller d’attendre deux ans et demi ou trois ans pour commencer la reproduction, estimant la maturité des animaux à cet âge seulement.

Le lait et le beurre : contre l’eau et le cuivre

96Des ordonnances de police de Paris, du 7 octobre 1701 et du 6 octobre 1702, défendent de mêler de l’eau au lait. Une Déclaration royale du 13 juin 1777 interdit l’usage des vaisseaux de cuivre chez les laitières et autres artisans ; le 10 avril 1778, le nommé Hourselle et sa femme sont condamnés à 12 livres d’amende pour ne pas avoir respecté cette décision. La Nouvelle Maison Rustique conseille l’utilisation de contenants en terre cuite, mais sans allusion aux ordonnances de 1701 et 1702 contre le mélange avec de l’eau ou à la déclaration de 1777 contre les vaisseaux de cuivre.

97Dans la section « Jurisprudence » de l’Encyclopédie méthodique, l’auteur de l’article « Laitière », en 1791, traite du problème des eaux que l’on mêle au lait, « souvent des eaux dures & crues, par conséquent très-indigestes, sur-tout pour les femmes, les enfans, dont la constitution est plus délicate, & qui sont habitués à boire de l’eau de la Seine, douce, de la plus grande légèreté ». Dans le même article, on s’oppose à l’usage du cuivre, cette fois en faisant référence à la déclaration de 1777, rédigée après l’alerte donnée par Cadet-de-Vaux.

98La Nouvelle Maison Rustique de 1798 veut « bannir » les ustensiles en bois de la laiterie, comme « ils finiroient à la longue, malgré la plus grande propreté, par contracter un goût désagréable et nuisible au lait », alors que l’édition de 1775, en particulier au sujet des cuillers qui servent à lever le lait, défend le bois contre l’airain ou le fer : aucune législation ne vient résoudre le débat. Cuivre et plomb constituent un poison, selon Parmentier, dans la conservation du lait, et il regrette que le règlement de 1777 contre les vaisseaux de cuivre, repris dans une ordonnance de police du 7 pluviôse an XII (27 janvier 1804), ait finalement disparu, l’auteur réclamant son rétablissement, pour l’intérêt général, dans l’article « Laiterie » du Cours complet de 1838.

Une revendication constante : augmenter la durée des baux

  • 13 Fortunet de Loisy F., in La Révolution française et le monde rural…, Paris, 1989, p. 153-165.

99Sans changements depuis le siècle précédent, la question du bail à cheptel, qui concerne un tiers des bêtes à cornes à la fin de l’Ancien Régime selon Françoise Fortunet de Loisy, n’est pas développée dans la Nouvelle Maison Rustique ou dans le Dictionnaire économique de Chomel13. On ne s’en tient qu’à la définition des usages ou à l’étude étymologique, effectuée dans le Dictionnaire de Trévoux, l’auteur désignant le « chatal, vieux mot celtique, ou bas-breton, qui signifie un troupeau de bêtes », à l’article « Chepteil ou Cheptel », contre l’étymologie du « capital » selon Du Moulin et Du Cange. On précise les clauses, en droit, dans deux traités consacrés à la question, par Pothier en 1764, par Colas en 1765. La législation sur les baux à cheptel de l’Ancien Régime est largement commentée par l’Encyclopédie méthodique en 1783, à l’article « Cheptel » de la section « Jurisprudence ». Elle est comprise dans les articles 1800 à 1831 du Code civil, au XIXe siècle, en reprenant les principes déjà suivis au siècle précédent, tout de même avec davantage de risques pour le bailleur à partir des lois de l’an II, du 15 germinal an III et du 2 thermidor an VI, la dernière donnant plus de souplesse aux contrats, d’après Fortunet de Loisy. On distingue toujours le cheptel simple et ordinaire, le cheptel à moitié et le cheptel de fer, qui peuvent être passés sous seing privé ou devant notaire, mais la pratique voit la disparition progressive des deux premiers types, si ce n’est pour de très petits troupeaux, avec une survivance des cheptels attachés aux baux de métairie, nous dit l’historienne.

100On ne traite pas dans la littérature spécialisée, mais bien dans le Dictionnaire de Trévoux, du vol de bestiaux ou « abigeat », du droit de « cornage » ou de « colage », parfois dû au seigneur, « principalement dans le Berri, pour chaque bœuf qui laboure la terre dans leur Seigneurie, par ceux qui sèment du blé l’hyver », ou encore du droit de pâturage. On trouve par contre davantage d’éléments sur le bail à ferme, dans lequel peut être inclus le cheptel de fer, et en particulier sur sa durée, que l’on trouve généralement trop courte, quand on donne un avis sur la question, une plus longue durée pouvant permettre au fermier de cultiver des prairies artificielles et d’en profiter, ce qui n’est pas possible quand les baux font 3, 6 ou même 9 ans. Pattullo, en 1758, souhaite que l’on aille jusqu’à 15 ou 20 ans (p. 191-193).

101Un arrêt du Conseil du 8 avril 1762 exempte le bail à longues années ou emphytéotique, de 9 à 27 ans, de l’insinuation, centième, demi-centième et francs-fiefs, mais La Salle de l’Étang, en 1764, doute d’une telle mesure (p. 1-6). L’Encyclopédie méthodique, en 1791, préfère des baux de 18 ans, d’après des observations comparatives dans des fermes bretonnes et normandes, données à l’article « Bail ». En 1793, Préaudeau-Chemilly, cultivateur dans l’Oise, estime que la trop courte durée des baux est la principale raison des difficultés que connaît l’élevage en cette période mouvementée, et les promoteurs des prairies artificielles font le même constat, comme des contrats trop courts ne profitent pas à la mise en valeur de ces cultures, pourtant encensées par la majorité des agronomes et des gouvernants.

102En 1840, Roncière, depuis Saint-Brieuc, propose l’insertion de différentes clauses dans les baux à ferme, ainsi que les fermiers envoient leurs enfants à l’école primaire, que le propriétaire choisisse les successeurs parmi les enfants et la veuve, que le personnel soit limité en nombre, que toutes les terres soient cultivées, sans pâtures, avec aussi des remarques au sujet de la voierie, de l’utilisation des engrais, marne et chaux. Roncière veut que l’on fixe certains projets, comme le défrichement des landes, l’établissement de cultures sarclées, de cultures fourragères, l’amélioration des bestiaux.

Les dictionnaires de jurisprudence : de Lamare (1705) à Desessarts (1790)

103C’est surtout dans les ouvrages spécialisés du Siècle des Lumières que l’on trouve des éléments sur l’élevage, ainsi dans le Traité de la Police de Nicolas de Lamare, édité en 1705-1710, puis entre 1719 et 1738, ou encore en 1750. On y trouve quelques remarques, courtes, dans le livre 4e, sur la santé, avec un souci d’hygiène pour la viande, chez les bouchers, « chaircutiers » et rôtisseurs, ou pour le beurre et le lait. La majeure partie du corpus touchant à l’élevage bovin se trouve dans le livre 5e, qui traite des vivres, et l’on peut résumer son contenu en lisant directement les titres : on parle du commerce de la viande, en boucherie, des marchands forains de bestiaux, des jurés-vendeurs de bestiaux, des bouchers. Pour ce qui est du commerce de la viande, on s’intéresse à la nourriture et à l’engrais des bestiaux (12 pages), donc au pâturage et aux problèmes qu’il peut poser dans certaines paroisses. Cinq pages sont ensuite consacrées aux divers pays de France et à leur commerce de viande.

104Enfin, le traité donne d’importantes explications sur les marchés aux bestiaux en général (3 p.) et surtout sur les marchés de Poissy et de Sceaux (21 p.), avec une histoire racontée par le biais de lettres patentes et d’arrêts qui font partie du texte, qui sont parfois entièrement recopiés. Les titres portant sur les marchands forains et les jurés-vendeurs occupent respectivement 12 et 16 pages, avec là encore un nombre important de textes de loi rapportés. Dans un schéma qui devient ensuite classique, on donne l’histoire de la boucherie, de son fonctionnement, de ses règlements. Suivent, toujours pour les bouchers, des règles sur les tueries et abattis, avec essentiellement des remarques sur les différents transferts de bâtiments, déjà, vers des endroits plus isolés, pour un souci d’hygiène. Enfin, il est question de la vente, de celle des chairs d’abord (20 p.), avec des précisions sur l’exposition de la viande, sur les prix, sur les règles à suivre concernant par exemple les horaires de fermeture. Puis il est question de la vente du suif (5 p.), des peaux et cuirs (19 p.), aux artisans chandeliers ou aux artisans du cuir, enfin de la vente des intestins ou tripes, en une page, aux tripiers et tripières.

105On n’apporte rien de plus, si ce n’est dans la mise à jour législative, dans le Dictionnaire de droit et de pratique de Claude de Ferrière, paru en 1717, en 1734, en 1740, avec des éditions augmentées par Boucher d’Argis en 1749, 1755 et 1771, puis dans le Recueil des principales questions de droit, par Bretonnier, paru en 1718, en 1742, en 1752-1753, en 1756, en 1769 et en 1783.

106La période prérévolutionnaire voit la parution du Dictionnaire universel de police de Desessarts, avocat à Paris, entre 1786 et 1790, en 8 volumes in-4°, jusqu’au terme « Police », avec 23 articles touchant aux bêtes à cornes, dans une collection d’arrêts. L’auteur recopie le Traité de la Police de Nicolas de Lamare, sans s’en cacher, avec des guillemets continués sur 100 pages dans l’entrée « Boucher, Boucherie ».

Le mouvement physiocratique et l’extension des clôtures

107Olivier de Serres défendait l’établissement des clôtures en 1600. Pattullo, en 1758, parle de l’usage anglais et indique qu’on y gagnerait aussi en France, en augmentant la location des terres et les récoles de grains et de fourrages (p. 30-35). Il est suivi par Desplaces en 1762, qui souligne tout de même une perte de rendement à proximité des haies (p. 185-195). La loi du 28 septembre 1791, sous l’Assemblée constituante, donne, à la section IV de l’article 4, le droit de clore, en s’appuyant sur le droit de propriété, si ce n’est quand on réclame un droit de passage ou quand le parcours et la vaine pâture ont encore lieu sur les héritages concernés, d’après des titres précis et non selon le seul usage. En 1808, le Code civil confirme ces textes et précise que celui qui clôt perd son droit de parcours et de vaine pâture sur les autres terrains, en proportion (art. 648) ; la clôture n’est obligatoire que dans les villes et les faubourgs (art. 663).

108Labergerie, en 1788, puis Gruvel, à l’entrée « Clôture » de l’Encyclopédie méthodique en 1793, mettent aussi en avant l’exemple anglais des clôtures, alors que, selon le dernier, l’usage est rare en Toscane et en Lombardie, que le propriétaire n’a pas la décision en Suisse, que plusieurs coutumes empêchent leur extension en Allemagne. Avec la Flandre, le Suffolk et le Norfolk sont considérés comme des modèles en la matière, contre le dommage des bestiaux sur les cultures, pour une augmentation des fourrages, contre les droits communaux qui mènent à la détérioration des terres. L’auteur, en désaccord avec Despommiers, qui estime que les clôtures sont meurtrières, concède tout de même que l’on peut s’en passer quand les frais sont trop élevés, quand le terrain est trop inégal, quand on a besoin d’air, dans les bas-fonds, quand les haies peuvent cacher les brigands sur les grandes routes, quand on craint la détérioration de ces routes, ou encore quand on avoisine des villes fortifiées. En 1809, à l’article « Clôtures, Enclôtures » du Cours complet, d’après Perthuis de Laillevault, les meilleures clôtures françaises se trouvent en Normandie. On retrouve en outre régulièrement le problème de la dépense, important pour nombre de cultivateurs, ainsi chez Deschartres en 1812.

109Réticent à l’égard de la suppression de la jachère, Chrétien de Lihus s’oppose également, en 1805, à la clôture de tous les héritages, avec des pertes de terrain, davantage d’insectes et moins de circulation d’air, nécessaire aux blés d’après lui.

110Dans la Maison rustique du XIXe siècle (1834-37), Labbé estime que les clôtures présentent des « avantages incontestables », malgré la place qu’elles occupent, malgré les nuisibles qu’elles accueillent, malgré l’entrave aux labours et la coupure forcée des champs qu’elles impliquent : l’abri des autres animaux, du vent et du froid, des pillards suffisent à la défense de cet établissement. La conclusion du chapitre, tirée des écrits de l’allemand Albert Thaër, insiste sur les avantages des clôtures dans les terrains secs et élevés et quand on y propose des pâturages ou des prairies artificielles (t. i, p. 357-365).

Poussée de l’individualisme et lutte contre les droits communaux

111Pour ce qui est des pâturages, des droits communs, les textes législatifs se multiplient à partir de la fin des années 1750, bien après l’interdiction de pâture en forêt, de 1669, et avant les politiques de suppression et de partage qui débutent au milieu des années 1760. Ainsi, au sujet des chemins, il est fait défense, par une ordonnance de la voierie du 23 août 1743, de laisser brouter les arbres plantés sur le bord des sentiers, à peine de 30 livres d’amende, et par arrêt du Conseil d’État du 16 décembre 1759, « à tous pâtres et conducteurs de bestiaux, de les conduire en pâturage ou de les laisser répandre sur les bords des grands chemins plantés d’arbres et de haies d’épines, à peine de confiscation des bestiaux et de cent livres d’amende ». On contrôle aussi la fauchaison des prés, sainfoins et luzernes, en tout cas dans la généralité de Paris, avec une ordonnance de l’intendance en 1775, une autre du lieutenant général de police en 1782 sur les prairies naturelles et artificielles, qui autorise cette fauchaison dès le 15 juin de chaque année.

112Dans les années 1760, le mouvement s’intensifie contre les communaux, contre les terres vaines et vagues et les landes qui pourraient être cultivées continuellement, ainsi chez Despommiers en 1762. C’est aussi contre l’immobilité des terres marécageuses, contre les jachères, que l’on écrit, pour une culture améliorée de toutes les terres. La Salle de l’Étang estime que les jachères sont nécessaires, s’opposant ainsi à Duhamel du Monceau, Pattullo, en 1764, auteurs rejoints par Thomas-François de Grace (1770), l’abbé de Commerell (1788). En 1805, Chrétien de Lihus souhaite que l’on mesure l’intérêt de la jachère avant d’en permettre la suppression, demandant au gouvernement de ne pas favoriser de nouveau système sans en mesurer les conséquences.

  • 14 Vivier N., Propriété collective et identité communale, 1998, chap. 1.

113En 1767 et 1768, après l’enquête de 1767 auprès des Sociétés d’agriculture, des intendants et des notables, avant la parution du Traité des communes du comte d’Essuile (1770)14, le Journal œconomique met en avant l’importance des droits communaux pour la subsistance des pauvres (mai 1767), la nécessité de la vaine pâture pour les riches comme pour les pauvres (mars 1768, juin et juillet 1768), en se positionnant donc contre l’approche libérale, physiocratique, qui veut individualiser l’usage de toutes les terres. Pour autant, les auteurs publiés dans le périodique s’opposent généralement aux jachères et défendent régulièrement la culture des prairies artificielles.

114En 1782, le Cours complet condamne les communes ou communaux, où la nourriture disponible est insuffisante, sans protection contre les aléas climatiques et contre les insectes nuisibles, sans capacité de multiplication du cheptel, au contraire, selon l’auteur de l’article « Bétail, Bestiaux ». « Parcours ou Vaine pâture » reçoivent les mêmes critiques, assimilés aux communes (1786), tout comme le « Regain », que l’on souhaite protégé de la libre pâture (1789, 1809). Labergerie, en 1788, reprend la même argumentation et doute de la nécessité de ces pâtures pour les pauvres, qui trouveraient plus d’avantages à garder leurs bestiaux constamment à l’étable (p. 71-87). Pour l’abbé Tessier, à l’article « Communaux, Communes » de l’Encyclopédie méthodique (1793), si les communes sont tout de même très utiles aux plus pauvres, leur permettant de nourrir quelques individus, un petit troupeau, on y perd par contre beaucoup en bonnes cultures ou en bonnes prairies, avec un souci, partagé avec l’abbé Rozier, d’installer des pâturages de qualité en lieu et place des terres vaines et vagues. On se prononce ici pour leur partage, avec des références aux agronomes suisses, avec « l’Extrait de treize Mémoires qui ont concouru pour le prix proposé par la Société économique de Berne, en 1762, sur l’abolissement des Communes, & sur la manière de les partager », et au sujet des montagnes à un mémoire de Jean-Jacques Dick, de 1771, mais aussi au Traité des communes (1779).

115Dans la section « Jurisprudence » de l’Encyclopédie méthodique, dont les 10 volumes paraissent entre 1782 et 1791, le sujet des pâtures concerne près de 30 % du corpus relatif à l’élevage, de même dans le Répertoire de jurisprudence de Guyot, en 17 volumes de 1784 et 1785, avec beaucoup d’articles courts, de simples définitions, souvent de termes locaux, mais aussi quelques développements sur les communes, les regains, la vaine pâture, le pacage. Dans l’Encyclopédie méthodique, le vain pâturage est considéré comme une « servitude », en termes juridiques, avec des différences importantes selon les coutumes, et on affirme le droit des propriétaires sur leurs héritages (1789).

116Entre 1802 et 1811, les Annales de l’agriculture françoise proposent cinq articles sur les communaux, dont trois en rapport avec la confection d’un Code rural, puis un sur le défrichement des terres incultes et un sur les clôtures, par Bosc (1807). La destruction des bois par les bestiaux est un thème qui revient ponctuellement dans la Bibliothèque des propriétaires ruraux, ainsi en 1807, dans un mémoire de M. Belgrand, conservateur des eaux et forêts pour les départements de l’Aube, de la Marne et de l’Yonne (t. XVIII, p. 61-67), qui préférerait que l’on développe des prés artificiels afin de protéger les bois et d’améliorer l’alimentation.

117En 1809 et 1813, Chassiron et Bosc se chargent de condamner les droits communaux dans les articles « Parcours & Vaine pâture » du Cours complet et de l’Encyclopédie méthodique. Ils font référence à la loi du 28 septembre 1791, qui « autorise à s’y soustraire par la clôture de sa propriété ; chose qu’on ne pouvoit pas faire autrefois dans beaucoup de lieux », tandis que le projet de Code rural en propose la suppression. Sous l’Assemblée constituante, la loi du 10 juin 1793 autorise le partage, la jouissance collective restant permise par le décret du 9 brumaire an XIII (31 octobre 1804).

Les débats sur le commerce

118En 1723, le Dictionnaire de Commerce de Savary des Brûlons donne, à la fin des articles « Beurre », « Cuirs », « Fromages », les tarifs aux entrées et aux sorties, et à l’intérieur du royaume, tarifs établis en 1664, confirmés ou modifiés en 1692 et en 1699. Pour le « Bœuf », on met l’ouvrage à jour, d’après l’arrêt du Conseil d’État du 14 novembre 1723, et avec des tarifs encore différents pour la « Vache » et le « Veau ». Les tarifs sont les mêmes dans la section « Commerce » de l’Encyclopédie méthodique (1783-1784), si ce n’est pour la « Vache » et le « Veau », suivant l’arrêt du 17 avril 1763 qui libère la circulation intérieure de toute taxe, tandis qu’on lève cinq livres par vache et un sol et six deniers par veau, à l’entrée et à la sortie.

  • 15 Hamchari M.-C. et al., in État, finances et économie…, 1991, p. 487-493.

119Après la disette de 1785, dans une agriculture où l’on favorise le partage des communaux, où l’on s’oppose de plus en plus aux droits de parcours et de vaine pâture, afin d’encourager l’extension des productions céréalières, on crée de nouveaux obstacles, sans prairies artificielles et bestiaux suffisants, donc sans les engrais nécessaires aux rendements souhaités, et avec une baisse dans l’approvisionnement des villes en consommations carnées, les prix augmentant en conséquence. Marie-Claude al Hamchari, dans une contribution de 1991, étudie les propositions et décisions économiques prises pendant la période révolutionnaire, d’après le tableau sombre qui précède15. Ainsi Vergniaud, le 17 avril 1793, souhaite un carême civique, surtout pour préserver les veaux, mais le projet est enterré par le Comité d’agriculture. Le prix de la viande continue de monter, et le même projet est présenté en juin par le député Thuriot pour effet pendant le mois d’août, mais sans que l’Assemblée ne donne suite. Un arrêté du Comité de salut public, du 28 août 1793, met en place une très grande réquisition des bœufs pour l’armée. Puis Lecointre veut pousser les propriétaires à vendre leurs bêtes, il désire donc inclure la viande et le bétail dans le Maximum général des prix, d’après les conséquences de consommations plus grandes, d’une sécheresse qui a empêché tout repeuplement et des réquisitions nombreuses ; l’Assemblée ne suit pas son projet.

120Viande et bétail sont inclus dans le Maximum dans la loi du 29 septembre 1793, avec le beurre, les chandelles, les cuirs. Mais le bétail sur pied échappe aux dispositions du Maximum dès le 23 octobre, si bien que les plaintes affluent de la part des bouchers, comme la viande prend de la valeur dans les mains des marchands forains, alors qu’elle reste soumise au Maximum à la vente aux particuliers. Le débat reprend le 6 février 1794 à la Convention, et le bétail sur pied est de nouveau concerné par le Maximum, du moins en théorie, ce que l’on réaffirme dans un arrêté du Comité de salut public du 14 avril 1794, mais sans que ce soit le cas en pratique.

121En échappant à la règle du Maximum, les prix du bétail viennent modifier les rapports entre propriétaires et métayers, les derniers préférant vendre les bêtes au prix fort, tentés de rembourser les bailleurs en assignats dévalués. À ce sujet, Isoré fait un rapport favorable aux propriétaires, pour une restitution du nombre de têtes, et non pas de la valeur initiale du cheptel, ce qui constitue l’arrêté du Comité de salut public du 20 juillet 1794, mais sans rien au sujet des bénéfices engendrés pendant la durée du bail. L’arrêté du 3 septembre étend la mesure aux baux à ferme, incluant les instruments de travail, les propriétaires tirant avantage de la Révolution, les mesures permettant d’éviter l’abattage massif des troupeaux français.

122Sauvegrain, en 1806, dénonce le principe d’interdire la vente de jeunes bestiaux à la boucherie, défendu par des administrateurs et des agronomes qui insistent sur le renouvellement des troupeaux, sur l’augmentation du cheptel français. Il s’oppose par ailleurs à la liberté du commerce avec l’extérieur, reprochant à l’ouverture européenne d’avoir déréglementé dangereusement le marché intérieur de la France. Il demande à ce que l’on cesse ces échanges, comme la crise s’éloigne et que le pays n’a plus besoin, depuis l’abondance de 1804, du soutien étranger, l’auteur craignant pour le commerce intérieur. Sur le marché français, il souhaite que le gouvernement garantisse un équilibre des prix, dans l’intérêt des marchands et des consommateurs. Contre les libertés obtenues depuis le début de la Révolution, contre des démarches purement spéculatives, l’auteur désire « le rétablissement de l’organisation originelle de la boucherie », pour une gestion raisonnée de ce commerce et de l’usage des divers produits issus des bovins. Bréchot, en 1826, estime que l’interdiction de débiter, à Paris, des veaux de moins de 6 semaines ou de plus de 8 à 10 semaines est d’une part facilement contournée, d’autre part à l’origine de fâcheuses conséquences, sur la qualité du lait, de la viande. Comme Sauvegrain, il veut que l’on ressuscite les anciens règlements, pour éviter la pénurie, avec des commissaires chargés de surveiller ce commerce, Pinteux, la même année, soulignant l’incompétence des surveillants existants.

123Ensuite, c’est surtout dans les années 1840 que la question des droits revient à l’ordre du jour, avec quantité d’observations ou de rapports locaux, en 1841, sur les droits d’octroi, à Lyon, à Nantes, à Paris, en Haute-Garonne, dans l’Ain, etc., sur les droits d’entrée et de sortie, parfois dans les mêmes rapports, parfois dans des rapports indépendants. Le président de la Société d’émulation et d’agriculture de l’Ain, Puvis, constate par exemple que l’on élève plus de bestiaux en 1840 qu’au début des années 1830 (+13 %), et qu’on les nourrit mieux grâce à l’extension des prairies artificielles, de la culture des pommes de terre. Il s’oppose à la suppression des droits d’entrée, à 50 francs par tête depuis 1822, comme il en résulterait une croissance trop importante des importations, du Nord-Est au Sud-Est, croissance qui ferait baisser la valeur des bestiaux d’au moins 20 %, de 230 millions de francs, et le revenu de l’élevage d’au moins un tiers, avec des conséquences terribles quant à la production d’engrais, dans un élevage national bien moindre, alors que la baisse du prix de la viande serait bien faible par rapport à la hausse de celui du pain. Puvis souhaite donc que l’on maintienne les droits d’entrée à 15 % pour défendre l’activité intérieure.

  • 16 Opinion exprimée dans les Annuaires de Normandie (1842, p. 553), citée dans Bourdon J.-P., 1993, p (...)
  • 17 Denis B., op. cit., 1998, p. 223-237.

124Mathieu de Dombasle, en 1841, estime que la diminution ou la suppression du droit d’entrée de 55 f. par tête ne ferait pas baisser les prix en proportion sur le marché, comme on aurait des compensations quant au coût de transport, en particulier vers Paris, pour une baisse estimée de 15 f., insignifiante au kilo (2 c. par livre), d’autant que la diminution ou suppression des droits pourrait impliquer une baisse des taxes à la sortie des vins français, ce dont d’autres doutent, comme les Allemands seraient plutôt consommateurs d’eau de vie et de bière16. Le problème du commerce de boucherie viendrait essentiellement des droits d’octroi, ainsi à l’entrée de Paris, et des prix trop élevés de la viande, la grande différence entre Paris et les autres villes de France ne pouvant être raisonnablement expliquée par les frais supplémentaires des bouchers de la capitale, Mathieu de Dombasle voyant surtout là un abus. François et Auguste Bella suivent le même raisonnement et désirent une réforme de fonds de la boucherie parisienne, contre le commerce de la viande à la main, remplacé par une boucherie spéciale, réglementée. Le Journal d’agriculture pratique, étudié par Bernard Denis, rejoint le courant d’opinion en faveur de la baisse des droits d’entrée et donne une grande place aux propos protectionnistes tenus par M. Moll, du Congrès central d’agriculture, et par Gasparin et Mathieu de Dombasle17.

125Jean-Charles Herpin se place d’un autre point de vue, en estimant le coût et le produit d’un bœuf, de 169 f. en 1830, à l’achat, non engraissé, un coût de 305,25 f. pendant trois ans, mais sans donner le prix de revente ; le profit reste de toute façon très faible, ou bien négatif, selon ses calculs, et il insiste aussi sur les charges, impôts, taxes et octrois qui pèsent sur l’éleveur.

126D’autre part, d’après une opinion unanime, Puvis désire que les droits d’octroi soient levés au poids, et non pas par tête, pour ne pas favoriser uniquement les bestiaux très gras, qui ne sont pas la production majoritaire, dans la réalité, la perception au poids permettant à tous les éleveurs d’approvisionner les marchés ; tout de même, on veut encore garder la levée par tête pour les veaux, afin de ne pas hâter leur consommation.

L’emplacement des tueries : une préoccupation tardive des auteurs

127L’emplacement des tueries, mais aussi celui des vacheries, pour des questions de salubrité, est réglementé par une ordonnance de police du 23 prairial an X (12 juin 1802), retranscrite dans l’édition de 1807 de l’Instruction sur la manière de conduire et de gouverner les vaches laitières de Chabert et Huzard père, et dès 1802 dans le tome XII des Annales de l’agriculture françoise.

Les cas rédhibitoires

128Dans le ressort du Parlement de Paris, le délai de garantie, en cas de vente abusive de bêtes malades, est de 40 jours pour le mal caduc et la pommelière, seules maladies citées dans l’arrêt du 14 juin 1721. Ce règlement est suspendu par un autre arrêt du Parlement de Paris, du 7 septembre 1765, qui pose un délai de seulement 9 jours ; la mort de l’animal, dans ce délai, est également à la charge du vendeur, d’après une loi du 13 juillet 1699. Le délai de recours est de 30 jours en Normandie, de 8 dans la coutume du Bourbonnais, de Sens, de 40 jours dans celles de Cambray, de Péronne, de Bar… Un arrêt du 25 janvier 1781 montre que certaines circonstances permettent une action tardive, exceptionnellement, dans le ressort du Parlement de Paris.

129La législation change après la Révolution, avec le Code Napoléon, ou Code civil, cité par Desplas dans le Cours complet en 1809 : l’article 1641 déclare que « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l’usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet objet, que l’acheteur ne l’auroit pas acquise, ou n’en auroit donné qu’un moindre prix, s’il les avoit connus » ; la mort et la cessation du lait sont aussi prises en considération, toujours dans un délai de neuf jours, en Île-de-France, mais on doit encore se référer aux usages locaux, sans unification.

130Le Projet de Code rural rédigé par Huzard et Tessier (page 15, section 5), renferme d’autres remarques : sont réputées maladies rédhibitoires, les maladies contagieuses (claveau, rage, morve, farcin, gale), le cornage, l’immobilité, l’épilepsie ou mal caduc, la boiterie de vieux mal, la fluxion périodique, la phtisie pulmonaire (pommelière chez les vaches) ; le délai ordinaire de la garantie est de 9 jours, mais il est porté à 20 jours pour la boiterie de vieux mal, à un mois pour la fluxion périodique et l’épilepsie ; on précise enfin qu’il faut que la bête coûte plus de 50 francs pour qu’une action soit engagée contre le vendeur.

131La question des cas ou vices rédhibitoires est traitée par les agronomes, qui recherchent un perfectionnement du système existant. Chabert pense que le charbon, la péripneumonie épizootique, les fièvres malignes pestilentielles, la dysenterie épizootique et la rage devraient aussi être considérés comme rédhibitoires, comme ce sont des maladies graves, cachées, contagieuses, l’auteur accusant la loi d’être « une des principales causes de la circulation dans le commerce d’animaux affectés de vices rédhibitoires ». Il souhaite un même délai sur tout le territoire, en général de 20 jours, et de 40 jours pour la rage et le mal caduc ou épilepsie, l’acquéreur ayant l’obligation de prouver que le défaut vient du vendeur, afin d’éviter les abus. L’application de ces principes, selon lui, doit conduire à l’amélioration du cheptel. Le vétérinaire Desplas, dans le compte rendu des travaux publiés en 1804 de Chabert et Fromage de Feugré, reproche la complexité des propositions, avec des cas trop étendus et des délais trop différents d’après lui ; il souhaite que Jean-Baptiste Huzard père rédige un ouvrage sur la question, et ce sera le fils qui s’en chargera, en 1825, en 1834, en 1838.

132Sous Louis-Philippe, la loi du 20 mai 1838 réforme la législation des cas rédhibitoires : pour l’espèce bovine, on comprend la phtisie pulmonaire ou pommelière, l’épilepsie ou mal caduc, les suites de la non-délivrance, le renversement du vagin ou de l’utérus si le part s’est fait chez le vendeur, avec un délai de 30 jours pour l’épilepsie, de 9 jours dans les autres cas ; l’acheteur ne doit rien faire d’une bête dont il a des doutes, il ne doit ainsi pas la faire travailler, et un procès-verbal doit être dressé par des experts. Parmi une douzaine de publications au sujet de cette nouvelle loi, jusqu’en 1850, Jean-Baptiste Huzard fils et Adrien Harel, dans leur commentaire, soulignent qu’on a voulu diminuer le nombre de procès en supprimant certains cas et sans comprendre les maladies contagieuses ; on reproche au texte, par ailleurs, de ne plus protéger les bouchers qui peuvent recevoir des bestiaux fortement affaiblis par les longs voyages vers Paris.

Une nouveauté, la Marque des bestiaux

133En 1821, le supplément à la section « Agriculture » de l’Encyclopédie méthodique traite de la « Marque des bestiaux », signe de reconnaissance et de signalement en forme de matières colorantes, en soustractions de poils, peu durables, ou encore en « des mutilations, des empreintes d’un fer rouge figuré sur les cornes, sur la peau », perpétuelles. D’après Bosc, dans le Cours complet de 1838, ce sont les soustractions de poils qui sont les plus fréquentes pour les bœufs que l’on mène en foires, mais on peut aussi couper une oreille, ou les deux, ou encore la queue, parfois aussi avec une marque de fer, en forme de lettre, le plus souvent sur la cuisse, mais aussi aux oreilles, aux jambes, aux joues, au front, avec des précautions pour ne pas blesser la bête, ainsi en faisant attention à ce que le fer ne soit pas trop chaud à l’application.

Protection des animaux et des biens d’autrui

  • 18 Nouza A., in Ethnozootechnie, 1991, no 46, p. 85-91.

134C’est pendant la Révolution française et dans la première moitié du XIXe siècle que se développe la législation concernant la protection des animaux, après les premières lois du 28 septembre et du 6 octobre 1791, étudiées par Annick Nouza18, jusqu’à 6 mois de prison pour celui qui blesse ou tue un animal sur le territoire d’autrui, avec par ailleurs des peines pour les bêtes trouvés en des lieux non sujets au parcours ou à la vaine pâture. D’après le Code pénal, on encourt une amende de 11 à 15 francs si on blesse ou tue des animaux appartenant à autrui par l’effet de la divagation d’animaux malfaisants (art. 475). L’empoisonnement des étangs, viviers ou réservoirs est puni de un à cinq ans de prison, avec une amende de 16 à 300 francs (art. 452). Si on tue des animaux sans nécessité, on encourt un emprisonnement de six jours à six mois, selon les circonstances (art. 453-454) ; pour des dégâts causés par les bestiaux, la victime peut saisir les bêtes fautives et doit les conduire sous 24 heures au lieu indiqué par la municipalité, étant alors satisfait aux dégâts par la vente de ces bestiaux s’ils ne sont pas réclamés ou si le dommage n’a pas été payé dans la huitaine.

135Dans le 4e tome de la Maison rustique du XIXe siècle (1837, p. 284-304), Léopold Malepeyre traite des dommages aux clôtures, du délit de passage et de pâturage des bestiaux sur le terrain d’autrui : selon la loi du 28 avril 1832 et du nouveau Code pénal, l’interdiction vaut si l’on ne jouit pas d’un terrain ou d’un droit de passage, si le terrain est préparé ou ensemencé, à peine de un à cinq francs, le délit s’avérant plus grave si le terrain est chargé de grains ou autres fruits mûrs ou presque, les prairies étant considérées à fruits en tout temps, à peine de six à dix francs.

136La simple négligence est condamnée, ainsi le simple abandon, selon divers arrêts de la Cour de cassation, de 1811 à 1822, avec paiement des dégâts s’il y en a. En plus de l’abandon, il est question de la dépaissance ou pâturage sur les terrains d’autrui, infraction selon les mêmes premiers textes cités, ou encore du passage, d’après la loi du 28 septembre 1791, de la coupe ou de la destruction de grains et de fourrages appartenant à autrui, et de la dévastation de récoltes, des dommages aux animaux, des épizooties, avec des démarches précises à suivre, et des peines en cas d’épizooties et de non-respect des règles administratives (de 100 à 1 000 francs d’amende et 2 à 5 ans d’emprisonnement). On a aussi obligation d’enfouir les bêtes mortes à 1,25 mètres de profondeur, avec des peines indiquées dans la loi du 28 septembre 1793. Si l’on trouve des animaux en délit dans les bois, l’amende est de 5 francs par bête à corne, avec une circonstance aggravante si les bois ont moins de 10 ans, selon la loi du 21 mai 1827.

137La loi du 24 avril 1832 ajoute au Code Pénal un article 479 qui prévoit une peine d’amende pour ceux qui auront occasionné la mort ou la blessure des animaux ou bestiaux appartenant à autrui par l’effet de la divagation des fous ou des furieux ou d’animaux malfaisants ou féroces ou par la rapidité ou la mauvaise direction ou le chargement excessif des voitures, chevaux, bêtes de trait, de charge ou de monture, ou par l’emploi ou l’usage d’armes sans précaution ou avec maladresse, ou par jets de pierre ou d’autres corps durs. Au milieu du XIXe siècle, le courant humanitaire s’intéresse aux animaux ; en 1845 est créée la Société Protectrice des Animaux après la fondation d’un premier établissement de ce type en Grande-Bretagne en 1824. Le 2 juillet 1850, le général de Grammont fait adopter une loi relative aux mauvais traitements infligés aux animaux domestiques, publiquement et abusivement, constituant une brèche dans le droit de propriété, avec, pour la première fois, des peines en cas de mauvais traitements envers son propre animal, nous dit Annick Nouza.

  • 19 Hubscher R., Les maîtres des bêtes…, 1999, p. 49-52 et p. 187-190.
  • 20 Histoire des services vétérinaires français, 2006, p. 35-36.

138Le souci de protéger les animaux domestiques et de rationaliser les soins qu’on leur procure, pousse l’État à prendre des mesures législatives en matière vétérinaire, par décret du 15 janvier 1813, les seuls artistes vétérinaires pouvant intervenir en cas d’épizooties, mais en laissant une certaine concurrence avec les autres praticiens, avec les maréchaux non diplômés, pour le reste des soins19. La responsabilité de la surveillance des viandes est confiée aux municipalités, et donc aux vétérinaires, après la suppression des corporations en 1791, responsabilité affirmée dans le décret de 1813, mais sans que le service soit acceptée avant la seconde moitié du XIXe siècle20.

De l’observation législative à l’engagement politique

139Les liens entre la littérature théorique et la législation relative à l’élevage, au commerce des bestiaux et au débit des produits, ne sont pas particulièrement étroits pendant une grande partie du XVIIIe siècle, avec le souci de présenter le droit, plus que de le commenter, dans les dictionnaires de police, de jurisprudence, plus rarement dans les traités d’agriculture et d’économie rurale. Cela change à partir des années 1750 et 1760 au sujet des droits communaux, de la permission de clore les héritages, de la nécessité d’augmenter la durée des baux, dans le développement du mouvement physiocratique, puis dans les 1780 pour d’autres domaines, avec la parution du Cours complet, et surtout à partir de 1789. Les troubles politiques et les soucis législatifs qui les accompagnent donnent un rôle plus important aux agronomes et aux économistes dans la reconstitution de cadres juridiques, dans la réflexion sur le Code civil, et sur un Code rural dont l’élaboration s’avère bien difficile.

140Les idées émises par les théoriciens sont plus ou moins assimilées par les législateurs, au début du XIXe siècle, de même que le principe de protection des animaux, en développement, est rarement relevé par les agronomes. On discute beaucoup des tueries et boucheries, puis du commerce intérieur et extérieur, en 1806 avec l’ouvrage de Sauvegrain, puis dans les années 1840, toujours avec des incompréhensions et des agacements sur les droits d’entrée et de sortie, sur les octrois, sur la boucherie parisienne, ou encore sur la question des cas rédhibitoires.

*

  • 21 Roger J., 1993, 2e partie, chap. i, ii, conclusion, et 3e partie, chap. ii et iv.

141Comme le souligne Jacques Roger en 1963, l’approche en histoire naturelle et en économie rurale est plus rationnelle au début du XVIIIe siècle, avec une première transition qui s’opère entre 1660 et 1745, certes davantage à propos de phénomènes plus complexes que la reproduction dans l’élevage bovin, par exemple sur la génération des ovipares, des vivipares, mais avec une approche scientifique qui se généralise. La nouvelle philosophie scientifique se heurte à l’esprit déiste, qui perd peu à peu du terrain, avec une nouvelle étape dans la parution de l’Histoire naturelle de Buffon en 1749, dès avant la multiplication de l’édition de la littérature agronomique et le développement du mouvement physiocratique21.

142En adéquation avec les enjeux relevés par les historiens de l’élevage, les agronomes des XVIIIe et XIXe siècle étudient beaucoup la médecine vétérinaire et l’alimentation fourragère, en particulier dans des ouvrages dits de vulgarisation. Les soucis de l’hygiène, qui semblent bien de plus en plus présents dans cette littérature, la volonté de développer la culture, en grand, des prairies artificielles ou des racines, ou l’intérêt pour les techniques de transformation du lait en beurre ou en fromage, pour les techniques artisanales en général, n’ont pas forcément d’échos en pratique, selon les régions, selon des habitudes, peut-être, selon des résistances, encore, à un esprit théorique qui ne serait pas assez au fait des réalités. Par ailleurs, la réflexion critique, en termes de droit, apparaît relativement tardivement dans les écrits, alors qu’elle est réelle dans les campagnes, ainsi au seul sujet de la vaine pâture, des clôtures, ou encore, à un autre niveau, au sujet de la Caisse de Poissy, thème absent de la littérature généraliste du XVIIIe siècle, ce qui peut ajouter une certaine distance entre les acteurs et les auteurs de l’élevage et de ses activités annexes.

143Tous les conseils et principes mis en avant par les agronomes et autres auteurs de l’agriculture ne sont pas, loin sans faut, acceptés tels quels par les praticiens qui en ont connaissance, et les critiques ou adaptations ne peuvent toutes être formulées. La connaissance historique des pratiques et de leurs évolutions viennent relativiser tous les discours étudiés ici. Cette remarque rejoint le débat vaste sur la notion de progrès, de révolution agricole, contre la théorie trop isolée du champ d’activité, mais aussi contre des expériences qui ne peuvent être normalisées. On peut se demander si le développement de l’édition depuis le milieu du XVIIIe siècle, avec une multiplication du support papier dans toute la période envisagée, malgré quelques soubresauts, si ce développement participe à l’accroissement d’une influence théorique sur la pratique, et de quelle manière, à cerner quels discours sont les plus diffusés et les plus distribués sur le territoire français.

144Le discours agronomique dépend des connaissances des auteurs, du public visé, avec un souci de vulgarisation dans la Nouvelle Maison Rustique, mais de plus en plus un fonds scientifique assumé, au détriment peut-être d’un cultivateur qui sait lire, cas déjà rare, et qui se retrouve devant un niveau de langage qui n’est pas le sien, si bien que l’alphabétisation et la compétence de lecture peuvent s’opposer à la prise en considération d’ouvrages contemporains aux éleveurs, si l’on estime que le discours le plus progressiste devient de plus en plus scientifique, en termes de réflexion mais aussi plus simplement en termes de vocabulaire employé. Cette évolution peut être observée dans une première analyse lexicologique, comparative, en complément de l’analyse de la pensée agronomique proposée dans les trois chapitres précédents. Cette analyse porte sur de grands textes, en particulier du chapitre sur le bœuf dans les éditions successives de la Nouvelle Maison Rustique (1700-98), ou encore du chapitre « Bœuf » de Buffon (1749), de l’article « Observations sur le gouvernement du gros bétail » publié dans le Journal œconomique de février 1751, des chapitres consacrés aux bêtes à cornes dans l’Almanach de Pellet de la Bonneville (1775, p. 172-208), l’article « Bœuf & Vache » du Cours complet de 1781, l’article « Bêtes à cornes » de l’Encyclopédie méthodique (1791), l’article « Bœuf » du Cours complet de 1809, de l’abbé Tessier, jusqu’au chapitre consacré aux bêtes à cornes dans le Guide des propriétaires de biens ruraux affermés de Gasparin, publié dans un tome entier des Mémoires de la Société d’agriculture du département de la Seine en 1828 (t. ii, p. 279-290).

145Le discours est différent selon les auteurs, mais il est résolument moderne, déjà dans le fait de ne pas recourir aux pratiques anciennes, de ne pas se rattacher aux usages, aux habitudes, avec un souci de remettre en question les méthodes observées (surtout chez Tessier), sans pour autant les condamner toutes. La translation entre deux priorités, le rôle aux labours et la production de viande, se distingue parmi l’ensemble des textes, depuis le propos de la Nouvelle Maison Rustique, qui reste attaché au rôle traditionnel des bêtes à cornes au fil des éditions du Siècle des Lumières, alors que les autres textes insistent davantage sur les moyens de parvenir à une meilleure production de viande, même si tous les auteurs n’oublient pas l’intérêt de l’élevage bovin pour le travail de la terre, encore évident dans une majorité de régions françaises au milieu du XIXe siècle.

146On observe un enrichissement du vocabulaire, avec des termes spécifiques, dans l’art vétérinaire, timidement, et au sujet de la laiterie et des transformations en beurres et fromages. La notion de progrès apparaît peu dans ces textes mais certains auteurs se distinguent dans la volonté d’amélioration, de multiplication, ainsi Pellet de la Bonneville (1775), Tessier dans l’article « Bêtes à cornes » (1791) et Gasparin (1828), tandis que l’article choisi du Journal œconomique insiste davantage sur les défauts observés dans la pratique (1751). Globalement, le souci de l’observation, de l’expérience, de l’argumentation, se développent surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle chez les agronomes, avec un souci croissant, surtout visible au XIXe siècle, de préciser la réflexion par l’emploi d’un vocabulaire affiné, davantage dans la littérature spécialisée que dans les textes généralistes, le choix effectué ici, volontairement restreint à des articles accessibles, ne reflétant pas l’ensemble des évolutions, en particulier pour l’art vétérinaire et les travaux qui se développent au sujet des engrais, de la valeur nutritive des différents aliments qu’on présente aux bestiaux.

147En conséquence, et parce que la transmission des réflexions et conseils du lecteur à l’éleveur n’est pas évidente, beaucoup d’éléments des ouvrages agronomiques n’ont quasiment aucun impact sur la pratique, ainsi quand il est question des types idéaux, si ce n’est chez de grands éleveurs qui se soucient d’une sélection réfléchie, et même là sans forcément que les critères mis en avant puissent avoir un intérêt. De même, on peut s’interroger sur une double approche des agronomes :

148– la démarche d’urgence, lors des crises épizootiques, de la disette de fourrages de 1785, par exemple, dans un désordre évident au XVIIIe siècle, sans que l’on parvienne à résoudre ces crises, malgré des efforts de diffusion par le biais des administrations locales auprès des propriétaires et éleveurs ;

149– et la démarche atemporelle, réflexive, qui intègre les crises du passé, qui apparaît au sujet de la médecine vétérinaire dans les années 1760, qui prend en considération les facteurs qui peuvent faire obstacle aux changements.

150C’est encore la question de la prise en considération des travaux d’autres agronomes, avec des délais différents selon les parutions, des décalages, le développement des périodiques favorisant la réactivité, l’immédiateté, dès les années 1750 avec le Journal œconomique, mais surtout à la fin du siècle avec les Annales de l’agriculture françoise. Cet aspect n’est pas sans une possible influence sur les lecteurs, d’autant que l’augmentation du nombre d’observations locales, mises en valeur par ces publications périodiques, donne plus de profondeur aux écrits réflexifs qui s’appuient sur des éléments concrets contemporains.

  • 22 Moriceau J.-M., in Annales. Histoire, Sciences sociales, jan.-fév. 1994, 49, no 1, p. 27-63.

151On constate finalement que l’étude de la littérature agronomique à l’échelle nationale ne suffit pas, qu’il y a nécessité d’une étude approfondie des relais théoriques, au niveau local et régional, d’un travail sur les écrits et sur les usages régionaux, locaux, sur les influences entre pratiques et réflexions théoriques. Cette recherche nécessite une analyse des transferts qui s’opèrent avec l’évolution de la société, sa libéralisation, le progrès du capitalisme, avec le relais des sociétés locales, de l’administration, des individus, dans des espaces toujours plus rapprochés du fait de la révolution des transports et de la communication, comme le souligne Jean-Marc Moriceau dès 1994 quand il parle d’une « transition » agricole, dans un mouvement sans doute accéléré par l’agronomie et par la diffusion de l’écrit22.

Notes

1 Moriceau J.-M., « L’alimentation animale sous l’Ancien Régime… », 2000, p. 3-11.

2 Ainsi, Olivier de Serres, en 1600, confond les deux plantes, avec le terme de « sain-foin » pour la France et celui de « luzerne » pour la Provence et le Languedoc (4e lieu, chap. IV).

3 Bourde A. J., op. cit., 1967, chap. X (les cultures). Le terme de « ray-grass » apparaît en France en 1758 (d’après Bourdon J.-P., 1993, p. 513).

4 Roger J., Les Sciences de la vie dans la pensée française…, 1993, 2e part., chap. I et II.

5 Denis B., « L’alimentation des animaux dans le Journal d’Agriculture pratique (1837-1856) », Ethnozootechnie, 2000, no 66, p. 13-18.

6 Pinault L., « La pharmacopée vétérinaire dans les premiers traités d’élevage en France », Ethnozootechnie, 1984, no 34, p. 13-18.

7 Comptes rendus du Dictionnaire vétérinaire et des animaux domestiques de Buc’hoz, en avril 1771, du Nouveau Dictionnaire […] de médecine, de Chirurgie, & de l’art vétérinaire en mars 1772, dans un format que l’on critique sévèrement, en déplorant l’évolution corrompue de l’édition, qui veut vendre plutôt que proposer des ouvrages de qualité.

8 En décembre 1768 (p. 558), dans le Lyonnais et le Dauphiné, on indique que l’appel au secours auprès de l’École vétérinaire de Lyon, qui a envoyé des élèves, a permis le traitement de 378 bêtes malades, pour seulement deux qui sont mortes.

9 L’abbé Tessier estime que le mal ne vient pas des étables, ou des soins, que cela agit plutôt par contagion, en partant d’une cause inconnue pour la première vache, une contagion bornée à l’enceinte de l’étable, selon l’activité du virus, à cause des cotylédons qui se putréfient et répandent une mauvaise odeur, qui peut-être est infectieuse.

10 Avec l’existence d’un appareil mélangeur « que l’on trouve chez M. Dumotiez, ingénieur en instruments de physique, 12, rue du Jardinet, division du Théâtre français » (t. v, p. 154-159), ou encore avec des « réservoirs de désinfection, créés par M. Boullay (pharmacien au 33, rue des Fossés Montmartre) et des flacons portatifs (t. vi, p. 282-283). L’année suivante, on trouve une recette pour la fumigation, toujours d’après Guyton de Morveau.

11 Il n’est pas question du louvet dans la Nouvelle Maison Rustique, mais J.-F. Reynier, auteur de plusieurs articles pour l’Encyclopédie, consacre un ouvrage à cette maladie, en 1762 (paru à Lausanne, avec un compte rendu de la 2e édition dans le Journal œconomique en février 1768).

12 Denis B., in Traditions agronomiques européennes, 1998, p. 223-237.

13 Fortunet de Loisy F., in La Révolution française et le monde rural…, Paris, 1989, p. 153-165.

14 Vivier N., Propriété collective et identité communale, 1998, chap. 1.

15 Hamchari M.-C. et al., in État, finances et économie…, 1991, p. 487-493.

16 Opinion exprimée dans les Annuaires de Normandie (1842, p. 553), citée dans Bourdon J.-P., 1993, p. 385-396.

17 Denis B., op. cit., 1998, p. 223-237.

18 Nouza A., in Ethnozootechnie, 1991, no 46, p. 85-91.

19 Hubscher R., Les maîtres des bêtes…, 1999, p. 49-52 et p. 187-190.

20 Histoire des services vétérinaires français, 2006, p. 35-36.

21 Roger J., 1993, 2e partie, chap. i, ii, conclusion, et 3e partie, chap. ii et iv.

22 Moriceau J.-M., in Annales. Histoire, Sciences sociales, jan.-fév. 1994, 49, no 1, p. 27-63.

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