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L’élevage bovin

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Florian Reynaud

Deuxième partie. La pensée agronomique de l’élevage bovin

Chapitre VI. Les produits de l’élevage

Texte intégral

1Après le grand rôle reproducteur des vaches, outre l’utilité de ces femelles dans les travaux des champs, complémentaire, la littérature agronomique se soucie de la production laitière et de l’utilisation du produit laitier, dans les dictionnaires encyclopédiques et dans 28 titres répertoriés entre 1700 et 1850, en particulier après 1820, avec des considérations sur le lait et sa transformation en beurres, en fromages. De même, on se penche sur la diversité des produits de l’élevage, sur l’importance des engrais pour les cultures, sur la production et le commerce de la viande, sur le cuir, le suif et quantité de parties animales que les éleveurs et bouchers récupèrent après l’abattage de la bête.

Du choix des vaches laitières à la commercialisation des beurres et fromages

  • 1 Fanica O., in Ethnozootechnie, Hors-série no 4, 2003, p. 14 et p. 6-7

2Comme le souligne Parmentier dans l’article « Lait » du Nouveau Cours complet de 1809, le commerce du lait se développe à partir du moment où le chocolat et le café sont introduits en Europe, mais avec un accès difficile pour l’ensemble de la population avant la fin du XVIIIe siècle, avec un ajustement à la demande au cours de ce siècle, d’après Olivier Fanica. Les invendus de lait sont transformés en fromage blanc, consommé avec des fruits, des fines herbes, du sucre, de la crème, les restes étant donnés aux cochons1.

3Outre le caractère alimentaire, les publications ont tendance à souligner l’intérêt médical du lait ou du beurre, le premier servant aussi à blanchir les toiles, ou encore, comme l’indique l’article « Lait » de l’Encyclopédie méthodique (1801), à faire de la colle, mêlé avec de la chaux & du blanc d’Espagne, « pour recevoir les substances colorantes destinées à peindre les murs de maisons, les lambris des appartemens, &c. » C’est aussi, présentée dans la Bibliothèque des propriétaires ruraux en 1803 et 1804, dans un long article du chimiste Cadet-de-Vaux, la peinture au lait, à base de lait écrémé, de chaux vive, d’huile de lin, de blanc d’Espagne, le mélange obtenu permettant de garder une certaine propreté, sans problème de détrempage, de mauvaise odeur (t. iii, p. 238-247).

Des critères de Louis Liger à la « méthode » de Guénon

4Les critères donnés à propos des vaches laitières par Liger en 1700 sont les mêmes que pour les bœufs de travail, en posant qu’elles aient des pis gros et grands, avec de grosses et longues têtes, mais en ajoutant, en 1708, que les vaches ne donnent pas forcément moins de lait si elles ont des pis petits. On précise que le meilleur lait se distingue par sa blancheur et son odeur agréable, avec de l’épaisseur.

5En 1721, le « laitage », terme absent des deux premières éditions, apparaît dans un chapitre séparé de celui des bêtes à cornes, même si l’on ne parle quasiment que des vaches. L’approche est plus scientifique, déjà dans la mention des trois substances du lait, « la grasse ou butireuse, l’épaisse ou la caséeuse, & la séreuse ou lymphe ». On préfère le lait produit en mai, puis celui de l’été, et on ajoute que celui d’une vache en pleine vigueur, à savoir ni trop jeune ni trop vieille, est encore le meilleur, comme celui des vaches qui se trouvent en altitude, contre celles « qui paissent dans des lieux aquatiques », comme celui des vaches en bonne santé ou qui ne sont pas pleines, comme celui de celles qui font de l’exercice.

6En juillet 1770, le Journal œconomique donne un article sur les vaches de Suisse, de Gruyère, canton de Fribourg, amenées à Paris, avec ici l’avis de la Faculté de Médecine de Paris, du 17 février 1770, favorable vis-à-vis de l’hygiène, de la nourriture, de la méthode : on trait les vaches matin et soir et on conserve le lait dans des vases en fer blanc battu, matière la plus propre pour empêcher l’altération.

7Le Cours complet, en 1782, sans beaucoup de considérations sur le secteur laitier, revient sur la réputation des différentes espèces de vaches laitières, dans l’article « Bœuf & Vache », au sujet de la quantité seulement, les meilleures étant les vaches de Flandre, de Bresse, de Suisse et de Hollande, avec les vaches flandrines importées en Poitou, en Aunis, dans les marais de Charente. On récuse par ailleurs le sieur Liger, en n’acceptant pas le critère du gros pis. Tessier ajoute aussi, par rapport à la Nouvelle Maison Rustique, que le lait qui tire sur le jaune, sur le bleu ou sur le rouge, ne vaut rien.

8En 1798, la publication des Précis d’Expériences et Observations sur les différentes espèces de Lait (in-8°, 420 p.), rédigés par l’agronome Antoine-Augustin Parmentier et le chimiste Nicolas Deyeux, marque une étape nouvelle dans la connaissance de ce produit, avec des recherches scientifiques majeures sur les parties du lait, de la crème, du beurre, plus précisément sur la coagulation du lait, sur la matière caséeuse, sur le sérum, sur la fermentation du lait, sur ses vertus purgatives, sur les influences morales et physiques, du fait qu’il ne faut pas être brusque avec les vaches. On voit encore l’altération qui peut venir de la transition du fourrage sec au fourrage vert. Dans la conclusion de l’ouvrage, on revient sur les caractères généraux extérieurs du lait, à savoir l’odeur, volatile, soluble dans l’air et dans l’eau, avec des propriétés médicinales, la saveur, toujours très différente, la couleur, encore avec des différences notables, d’un blanc mat, mais encore jaunâtre, légèrement bleu, teinté de rouge, et la consistance, qui augmente à mesure que la femelle s’éloigne de la période du part.

9Les deux auteurs donnent des critères quelque peu différents de ce que l’on trouve dans les descriptions classiques de Liger et de Buffon, au sujet de la vache laitière : « Ces qualités sont un beau cou, un petit fanon [et pas pendant jusqu’aux genoux], la tête un peu allongée [courte et ramassée chez Buffon], la corne fine et pointue, l’œil vif, un poil fin, les jambes courtes et déliées [et pas grosses et nerveuses], les côtes élevées et rondes, le corps gros, les reins forts, les hanches quarrées et égales [longues chez Buffon], la queue haute et pendante au-dessous du jarret ; la mamelle fine, ample, bien faite, peu charnue, ni trop blanche ; la peau douce et moëlleuse ; les veines bien prononcées aux deux côtés du ventre, et faciles à sentir sous les doigts. » (p. 284).

10À la fin des années 1830, apparaît la méthode de Guénon « pour connaître, à la seule inspection de l’animal, quelle quantité de lait une vache quelconque peut donner par jour, quelle est la qualité du lait, et combien de temps la vache le maintient pendant la gestation nouvelle », avec une 1re édition de ce Traité des vaches laitières en 1838, de grandes discussions dans les années 1840, des traductions anglaise et allemande en 1838 et 1839, et de nouvelles éditions en 1851, 1861, 1899, entre autres dates.

11Il est question de cette méthode dans les Annales de l’agriculture françoise dès décembre 1837, d’après un rapport de l’auteur au Comice agricole de Bordeaux, encore en août 1847, puis de septembre à décembre 1850, avec un article de N. Évon, qui reprend ce même système pour l’approfondir. On apprend, par le Moniteur agricole, en 1848, que François Guénon, marchand de vaches en Gironde, développe sa méthode dès 1828, avant d’obtenir une médaille d’or de la part du Comice agricole de Bordeaux en 1837 : c’est sur la relation entre la sécrétion du lait et les épis que se fonde cette méthode, avec un classement des vaches en huit classes différentes selon la disposition des épis, ensuite en trois sections selon le poids (100, 200, 300 kilos), puis encore en huit ordres selon l’étendue de l’épi, donnant ainsi selon ces classes les quantités de lait et la durée de lactation. Mais, nous dit l’article, Guénon voit une insuffisance dans sa méthode initiale et crée de nouvelles classes, pour un système plus complexe encore, si bien qu’on en vient à dire qu’il faudrait, pour un système parfait, presque autant de classes qu’il y a d’individus. On ajoute qu’en dehors de la complexité, le résultat est aussi inexact, comme la production dépend aussi de la santé de l’animal, des affections de la mamelle, de l’embonpoint, de la fatigue, des pâturages, de la nourriture, de l’étable, des soins, de l’habitude de traire ou de faire téter les veaux, du climat, de la saison, du tempérament, du volume et de l’énergie des organes, de la capacité de la poitrine, de l’influence de l’appareil génital. On vient ainsi fortement relativiser l’efficacité de cette méthode.

  • 2 Bernard D., in Traditions agronomiques européennes…, 1998, p. 223-237.

12Dans le Journal d’agriculture pratique (1837-56), on réfléchit aussi au système Guénon, avec une défense du principe par MM. Lefevre, Villeroy, Jamet, contre le rapport officiel, négatif, d’une commission scientifique dans laquelle siège Yvart. Pour autant, l’enthousiasme se calme quand François Guénon rend son système trop complexe, même si sa méthode n’est pas totalement remise en cause, dite intéressante2. Pour Magne, dans le Moniteur agricole, s’il y a sans doute des races bovines qui donnent plus de lait que d’autres, on doit surtout s’en tenir à l’hygiène, trouver un bon appareil digestif et une poitrine ample, en indiquant que l’observation de grosses veines, sur les mamelles, peut être un bon critère, mais non exclusif (6e livraison, p. 161-8).

Le lait : de la traite à la conservation

La traite

13Si le fermier ou le vacher peut s’occuper de mener les vaches au pâturage, de leur donner la nourriture, c’est à la femme que reviennent les tâches relatives à la traite et les occupations de la laiterie. En 1838, à l’article « Vache » du Nouveau Cours complet, Bosc limite à 12 le nombre de vaches dont une servante peut s’occuper, pour avoir de bons résultats. La taille du troupeau est d’ailleurs pour lui une préoccupation majeure, comme il estime qu’il n’y a ni perte ni profit quand on élève deux vaches dans un ménage et que la perte est là dans tous les autres cas, conseillant finalement de laisser l’activité à de grands fermiers spécialisés, comme pour l’engraissement autour de Paris.

14Chez Liger, en 1700, la traite se fait deux fois par jour en été, et une fois en hiver, principe suivi tout au long de la période, du fait que l’alimentation est moins importante dans la saison froide. Selon Bosc, en 1809, dans l’article « Vache » du Nouveau Cours complet, « le nombre des traites se règle sur la saison et l’usage auquel on destine le lait : si on veut le vendre en nature, on trait souvent pour le rendre plus abondant ; si on veut faire du beurre ou du fromage, on mettra plus d’intervalle entre les traites, pour donner le temps à sa partie aqueuse de se réabsorber. »

15Si l’on doit prendre garde de ne pas traire la vache après le 6e ou le 7e mois de grossesse, il faut aussi rejeter le lait après le vêlage, avec des divergences à ce sujet, et des durées qui paraissent particulièrement longues quand on regarde l’usage du début du XXIe siècle. Liger, en 1700, indique qu’on ne doit pas faire de beurre ou de fromage depuis le lait d’une vache qui a vêlé depuis moins d’un mois, la matière étant réservée aux domestiques, et seulement cuite. Par contre, Lalauze, en 1792, estime qu’on peut commencer à les traire 8 ou 10 jours après le vêlage, avec un lait qui est bon et encore meilleur après 3 semaines (chap. VI, art. VIII). Bosc, en 1809, trouve le lait meilleur après 4 mois seulement (article « Beurre »).

16Dupuy-Demportes, en 1764, fait quelques remarques sur la fréquence de la traite, considérant que l’usage d’une troisième traite n’est pas nécessaire, rejetant cette erreur de penser que les animaux mangent plus pendant le jour, qui fait que certains veulent y tirer deux fois du lait. Il précise en outre que le lait du soir est meilleur que le lait du matin, et qu’on ne doit pas les mêler (t. viii, p. 93-97). Enfin, contre le mauvais goût que l’on trouve parfois dans le lait, qui se communique ensuite au beurre, il préconise l’usage d’une boîte en fer blanc trouée, avec un couvercle et un tuyau, pour souffler ce lait (t. viii, p. 119-122).

17Tessier, en 1782, à l’article « Bœuf & Vache » du Cours complet, souligne que certaines nourritures permettent d’accroître la production de lait par individu, avec de la bonne herbe, de la paille d’avoine, du foin, du trèfle, du sainfoin et de la luzerne, tandis que les pâturages donnent un mauvais goût au produit, si ce n’est dans les bas-fonds (chap. IV, section II). En 1791, à l’article « Bêtes à cornes », il discute de certaines difficultés dans la traite, ainsi quand le pis est chatouilleux, ou douloureux, et quand la vache retient son lait, par exemple après la perte d’un veau. En 1798, Parmentier et Deyeux indiquent qu’il est bon de manier les génisses assez tôt pour les habituer à ce qu’on leur touche les pis (p. 295-304).

  • 3 L’abbé Tessier s’oppose aux dires de Chabert et Fromage de Feugré, « savoir, que le lait qui doit (...)

18Les Annales de l’agriculture françoise, en 1804 et en 1806, publient les « Observations sur le laitage bleu », dans le pays de Caux, par l’abbé Tessier, qui part des remarques de Reynier, dans l’Encyclopédie méthodique, de Parmentier et Deyeux, puis de Serain, membre de la Société d’agriculture de Caen et de celle des Sciences et Arts de Lyon, le premier à avoir parler du phénomène, dans le Journal de physique, en l’an VI. Dans ses réflexions, Tessier se dit d’accord sur l’essentiel avec Serain et s’oppose aux écrits de Chabert et Fromage de Feugré, sans les citer directement, D’une altération du lait de vache, désignée sous le nom de lait bleu, « brochure imprimée en l’an XIII » (1805, 34 p.)3. Ces deux auteurs citent de nombreux observateurs (p. 5-6), également les expériences de Parmentier et Deyeux, et ils expliquent le phénomène d’après certains d’entre eux, en interrogeant différents facteurs, à propos des étables, des laiteries, des vases, de la nourriture, en concluant en faveur d’une abondance de sucs nourriciers, d’un affaiblissement des bestiaux, avec le fait d’une grande chaleur, mais sans donner de raison bien précise, en se perdant plutôt dans une vague complexité. Tessier recherche davantage les causes exactes, et pense, contre Serain, que la nourriture y est pour beaucoup, mais en attendant finalement de nouvelles observations et expériences de Serain, dans les environs de sa ferme, dans ses contrées, pour venir expliquer le phénomène.

19La Maison rustique du XIXe siècle parle aussi du lait piqué, du lait jaune, puis du lait rouge, à cause d’une nourriture ou d’un filet de sang provenant d’une piqûre d’insecte. Et l’ouvrage revient sur le phénomène du lait bleu, précisant qu’on n’en a toujours pas trouvé la raison, malgré les travaux de Parmentier et Deyeux, de Chabert, de Bremer, de Germain et Hermnstaedt, en oubliant de citer Serain, Tessier et Fromage de Feugré (t. iii, livre iv, titre 1er, chap. 1er).

La laiterie

20Liger, en 1700, insiste déjà sur la propreté de la laiterie et des ustensiles qu’on y emploie, dans un souci d’hygiène qui ne cesse de se développer, en termes de contenu rédactionnel, tout au long de la période. Qu’il s’agisse de la fermière elle-même, ou d’une servante, l’activité à charge des femmes, il faut convenir des manières les plus soignées, en se méfiant des « salopes », un terme que l’on ne trouve que dans les 1res éditions de la Nouvelle Maison Rustique (1700) et du Dictionnaire œconomique de Chomel (1709), pour désigner la fille très sale, sans la connotation sexuelle qui apparaît au début du XXe siècle, mais en rapport avec le cycle menstruel.

21En 1721, on retrouve en somme les mêmes préceptes, le remaniement de la Nouvelle Maison Rustique donnant sans doute plus de respect aux femmes, dans les termes, et avec plus de précisions quant aux façons de tenir la laiterie et les instruments dans la propreté. D’autre part, on précise ici les instruments que l’on doit trouver dans la laiterie. En 1723, Liger, explique que la laiterie doit être voûtée, blanchie, fraîche en été et chaude en hiver, afin de rendre plus de crème, avec de grands soins de propreté, de grands lavages à l’eau (p. 42).

22En 1801, l’article « Laiterie » de la section « Architecture » de l’Encyclopédie méthodique montre bien que la laiterie indépendante est un ouvrage relativement rare, comme on a plus souvent à faire à un petit local dans les fermes et maisons de campagne, ou à une pièce d’agrément dans les exploitations importantes. En 1797, parmi ses expériences avec Deyeux (p. 271-281), et en 1809, dans le Nouveau Cours complet, à l’article « Laiterie », Parmentier fait aussi part de la réalité, soulignant que, dans beaucoup d’endroits, les transformations du lait ne se font pas dans un local particulier, mais seulement dans une petite pièce ou dans une armoire ou un coffre nommé « huche », dans l’habitation principale. Dans la vallée d’Auge, en Normandie, l’auteur observe un autre usage, avec « une salle située communément sous un hangar, à proximité du centre du ménage et à l’abri des vents froids », avec un certain soin pour parvenir à de bonnes températures, selon les saisons, et pour garder une hygiène convenable. Ce peut être une cave voûtée, dans certains cas. Finalement, Parmentier donne un type idéal classique de la laiterie, en convenant que son établissement n’est pas aisé. Il développe enfin le sujet des ustensiles, en particulier sur les vases ou terrines qui contiennent le lait, « de faïence, de porcelaine, de bois ou de fer-blanc, vernissés ou non », et sur les instruments qui servent à battre le beurre, en terre ou en bois, dont la baratte et la « sérenne », ou moulin à beurre employé dans les grandes fabriques.

23Après l’entrée « Laiterie », l’article « Laiteries » du même ouvrage, rédigé par le baron de Perthuis de Laillevault, suit une démarche plus technique, et distingue trois types de bâtiments, « les laiteries à lait », « celles destinées à une fabrication de fromages », avec laiterie, vestibule et chambre aux fromages, enfin « les laiteries disposées pour la fabrication du beurre », avec laiterie, vestibule et pièce à battre le beurre. La Maison rustique du XIXe siècle reprend cette division en trois types, en Angleterre, en Hollande, mais aussi en Normandie (Pays de Bray, régions d’Isigny, de Livarot), en Bretagne (dans la Prévalais), et en Brie, Haute-Marne, Côte d’Or, Nord, Vosges, Jura, Cantal ou Bresse pour les fromages. L’hygiène, l’entretien, la propreté sont toujours des critères majeurs, jusqu’à la fin de la période et au-delà, en insistant toujours sur la température, sur la nécessité de lavages fréquents et abondants, sur le soin de ne pas intégrer d’éléments étrangers malsains.

Conservation : les progrès de la chimie

24Au début du XVIIIe siècle, la conservation dépend encore essentiellement d’éléments extérieurs, climatiques, la chaleur estivale limitant le repos du lait à une journée seule. Si l’automne pose moins de problème, du fait d’une certaine tempérance, le printemps, et l’hiver surtout, présentent de réelles difficultés, comme on doit tenir le lait chaudement pour éviter qu’il ne caille trop vite.

  • 4 Fanica O., op. cit., p. 16.

25La conservation par stérilisation, ou appertisation (terme attesté en 1928), est connue dès le début du XIXe siècle, mais sans grande utilisation avant les années 18604. Dans les années 1830, la Maison rustique du XIXe siècle développe le thème du contenant pour garder le lait, en préférant le bois, mais aussi la terre, en signalant les fabriques de Martin-Camp près de Neuchâtel dans le Pays de Bray, de Sartpoterie dans le Nord et de Moulet près de Charolles en Saône-et-Loire. Il est aussi question du fer blanc, en réservant le marbre aux laiteries luxueuses d’Angleterre et de Hollande. On bannit par contre l’usage de l’ardoise, du plomb, du cuivre, du laiton, sans réserve au sujet de la fonte (en Angleterre) ou de l’étain (dans le Gloucestershire), le zinc paraissant enfin comme la matière de l’avenir (t. iii, livre IV, titre 1er, chap. 1er).

26En 1849 et 1850, le Moniteur agricole (16e livraison, p. 506-510) et les Annales (t. xxi et xxii) présentent le procédé de conserves de M. Martin de Lignac, propriétaire à la Moulerade, près Guéret (Creuse), avec un bon rapport sur le lait ainsi conservé, par MM. de Kergolay, Louis Vilmorin, Payen, Chevreul.

Le commerce du lait : la lutte contre les abus

27En 1791, l’auteur de l’article « Laitière », dans la section « Jurisprudence » de l’Encyclopédie méthodique, s’intéresse moins à la marchande qu’aux abus connus dans la vente du lait, comme on y ajoute parfois de l’eau, en plus ou moins grande quantité, le danger, hors l’abus flagrant de falsification, se trouvant dans la qualité de cette eau, et dans les produits introduits pour garder une blancheur au liquide, avec des farines plus ou moins faciles à digérer, selon la quantité et la qualité. On s’oppose aussi à l’usage des pots de cuivre, matière qui semble ici, d’après l’article, appartenir au passé, comme la police a fait le nécessaire, après, par exemple, des empoisonnements importants en 1775 à Paris, avant un rapport de Cadet-de-Vaux et une déclaration du roi en 1777. Ordinairement, on utilise des pots de terre ou de faïence. En 1787, après s’être opposé à la tenue du lait dans des pots de cuivre, Cadet-de-Vaux présente à la Société royale d’agriculture de Paris un « Mémoire sur les Inconvéniens qui peuvent résulter de l’emploi du cuivre à la préparation du Beurre dans le Bessin » (automne 1787, p. 86-94). Le tome X des Annales, en 1802, propose la retranscription d’une ordonnance du préfet de police du 26 ventôse an X (17 mars 1802), concernant la vente du lait, avec l’interdiction, renouvelée donc, d’utiliser des vases de cuivre et la défense d’exposer du lait de mauvaise qualité ou mélangé, en exigeant des inspections chez les nourrisseurs de vaches (p. 409-410).

28Le galactomètre, instrument qui permet de mesurer la part d’eau dans le lait, apparaît dans la Bibliothèque des propriétaires ruraux, en 1804, comme invention de Cadet-de-Vaux. L’instrument est disponible à Paris, et on parle en 1806 de son adoption dans les fruitières et fromagères des environs de Gruyère (t. vi, p. 275-278 et t. xiii, p. 159). Selon le Nouveau Cours complet de 1809, à l’article éponyme, l’instrument vient d’Angleterre.

  • 5 Ibid., p. 5-10 : il cite Briand J., Manuel complet d’hygiène…, 1832, et Toussenel, « La vache et l (...)
  • 6 Ibid., p. 31-33.

29À Paris la consommation du lait des animaux domestiques augmente avec l’usage du café et du chocolat, mais aussi avec l’allaitement artificiel des nourrissons, chez les nourrices, du lait de vache mêlé avec du lait d’ânesse. Joseph Briand donne son opinion en 1832, estimant que le mieux serait que l’enfant s’allaite directement au pis de l’animal, ce que les chèvres et ânesses laissent faire, mais rarement, sinon en donnant le biberon de lait d’ânesse, ou d’un lait de vache avec deux tiers d’un autre liquide, toujours avec une préférence pour le lait d’ânesse en 18445. Cette augmentation de la consommation fait accroître la production, là encore avec certains abus, dès le XVIIIe siècle, au niveau de l’élevage même, avec des témoignages de maltraitance, ainsi de la part de Jean-Baptiste Huzard en 1813, dans des étables vétustes, trop petites, avec des conséquences sur la qualité du lait, avec une nourriture de mauvaise qualité, parfois l’usage des drêches. En 1807, Chabert et Huzard conseillent l’usage de tourteaux, rejettent les feuilles de maïs séchées, tandis que Bosc, en 1822, conseille également les tourteaux, excellents, dit-il, quand ils sont mêlés avec d’autres nourritures6.

  • 7 BnF, coll. Joly de Fleury, cote 235, dossier 2423, fol. 394 et suiv.

30Sur le support manuscrit, la question de l’alimentation des enfants par le lait est présente dans la collection Joly de Fleury7. Ainsi, malgré le coût élevé, selon les mémoires, vers le milieu du XVIIIe siècle, à partir de 1746, on voit un avantage à la nourriture au lait de vache ou de chèvre, par rapport au lait de femme, avec des exemples de pays du Nord, ainsi en Russie et en Moscovie où l’usage se fait avec le lait des animaux : on en est plus fort, dit-on, on en soutient mieux les fatigues au travail ou à la guerre, d’autant que certaines maladies peuvent passer de la nourrice à l’enfant par le lait, que la nourrice qui donne son lait peut avoir plus facilement l’impression que l’enfant est le sien, et d’autre part qu’elle se trouve affaiblie quand elle doit allaiter beaucoup de petits, tandis qu’une vache peut nourrir plusieurs enfants sans souci.

Beurres et fromages

31« Le lait qui donne le plus de crême, est celuy qui rend le plus de beurre, & qui fait les fromages les moins bons ; au lieu que celuy qui n’en rend gueres, & qui par consequent conserve sa graisse, est meilleur pour les fromages, que pour le beurre. » Ainsi s’exprime Liger en 1700, dans une démonstration des plus simplifiées, reprise par Chomel en 1709 (t. I, p. 297-298). En 1721, on précise que ce sont les parties butireuses qui font la crème et le beurre, que ce sont les parties caséeuses qui font le fromage, dans une approche plus scientifique, déjà, reprise par le Dictionnaire de Trévoux dans l’édition de 1767, à l’article « Lait ». Ces composants sont étudiés dans le Cours complet, en 1782, à l’article « Bœuf & Vache », en regardant surtout l’apparence du lait : « Le lait trop clair est celui qui abonde en parties séreuses. Le lait trop épais est celui qui en manque, & le lait trop sec n’a pas assez de parties butireuses & séreuses » (chap. iv, section iii).

32Au début de l’Art de faire le beurre et les meilleurs fromages (1828), ouvrage collectif de référence, l’éditeur précise que le volume contient surtout « la pratique la plus suivie et la plus fertile en résultats avantageux », contre un ouvrage de Parmentier et Deyeux (1798) qui serait plus théorique. Pour autant, on reprend beaucoup d’éléments de ce dernier ouvrage, sans remise en question des considérations chimiques. On établit une différence importante selon que les produits sont destinés à une conservation courte ou longue, en particulier au sujet du fromage.

Le beurre

33En 1700, Liger donne la manière de faire prendre le beurre, dans la baratte, et il s’oppose à certaines superstitions, qui veulent que l’on jette une pièce d’argent dans l’instrument ou que l’on marmotte des paroles au-dessus. À la suite d’Olivier de Serres, on insiste toujours sur la propreté, en faisant attention, en particulier, à ce que le beurre repose loin des chats et des autres animaux. Il faut attendre 1708 pour voir des précisions sur la baratte et sur son origine étymologique, « de l’Espagnol Barattus, qui signifie broüiller ». On y ajoute, en 1721, « un petit baril de forme cylindrique, posé horizontalement sur deux pieux de bois, qu’on tourne avec une manivelle de fer, dont la branche traverse & porte tout le baril », d’usage dans les pays de pacages où l’on fait beaucoup de beurre. En 1782, dans le Cours complet, l’abbé Rozier donne des détails sur la constitution de la « baratte » ordinaire, ou batte-beurre, et présente deux autres types de cet instrument, dont un de Flandre. En 1830, les Mémoires de la Société d’agriculture et des arts de Seine-et-Oise présentent une nouvelle baratte à beurre, celle de M. de Vindé (p. 31-32).

  • 8 Appelé encore « lait Ribotté, ou simplement Babeurre ou Mégue » (édition de 1721).

34Dans la Nouvelle Maison Rustique, on tient le beurre jaune pour le meilleur, mais avec une certaine méfiance dans la coloration artificielle de ce produit, ainsi à l’aide de barbotes (1700) ou de safran (ajouté en 1721). Le jaune pâle et le blanc, sans graisse, ne sont pas rejetés, mais de moins bonne qualité. On conseille, de toute façon, de goutter le produit plutôt que de s’en tenir à la couleur. Par ailleurs, on estime davantage le beurre du mois du mai, avant celui d’été, comme Olivier de Serres et tous les agronomes qui écrivent ensuite. Enfin, Liger précise, en 1700, que l’on donne le lait de beurre, ou « battis’8, « au commun », pauvres gens, ou encore pour la nourriture des animaux domestiques d’après l’édition de 1708.

35Le Journal œconomique prend le modèle de la fabrication des beurres frais et salés dans le Pays de Bray pour discuter de la « meilleure manière de gouverner les Laiteries », d’après Jore, en août et septembre 1763, la même contrée paraissant de nouveau comme référence en septembre 1769 pour l’ensemble de sa production laitière, ainsi qu’en 1798 chez Parmentier et Deyeux (p. 316-349), toujours d’après le mémoire de Jore, de la Société d’agriculture de Rouen, en 1763, inséré dans le Journal de l’Agriculture, du Commerce, des Arts et des Finances en avril 1769 (p. 63 et suiv.), reproduit en 1828 dans l’Art de faire le beurre et les meilleurs fromages.

36En 1806, dans L’Ami des cultivateurs, Poinsot souligne que le beurre est mauvais presque partout, du fait que l’on garde trop longtemps la crème pour la battre et que les laiteries ne sont pas assez propres et tempérées, des critiques sous-jacentes dans les écrits du XVIIIe siècle. Comme le Journal œconomique et le Cours complet, l’auteur développe le modèle du Pays de Bray (t. i, p. 217-231).

37Il faut attendre l’édition de 1721 de la Nouvelle Maison Rustique pour lire des considérations sur la conservation du beurre, d’abord en le salant, de sel gris ou blanc, ou en le fondant, de préférence aux mois de mai et de septembre, avec des modes que l’on trouve déjà chez Olivier de Serres (4e lieu, chap. viii). Les « beurres fins se mettent dans des petits pots de grès, & les beurres de provisions dans des longs pots aussi de grès, qu’on nomme tallevannes [de 6 à 40 livres], ou dans des tinettes [de 20 à 200 livres], qui sont des vaisseaux de douves faits exprès, qui sont plus larges en haut qu’en bas », ainsi pour transporter les beurres de Bretagne, de Normandie et de Flandre, vers Paris. En 1723, le Dictionnaire universel de Commerce donne la préférence au sel gris, pour la conservation, tout comme l’édition de Bastien, en 1798.

38Le mode de garde dépend de la commercialisation, comme le précise le même Dictionnaire universel de Commerce, avec un beurre frais proposé en livres autour de Paris, en mottes quand il provient « d’Isigny, de Gournay, de la Louppe », seulement l’hiver pour les lieux les plus éloignés de la capitale. Les beurres salés proviennent de Bretagne (Prévalais), de Normandie (gros beurres et beurres fins ou d’herbe), du Boulonnais, mais aussi des Flandres, de Hollande, d’Angleterre, d’Écosse, et d’Irlande (qui arrivent par Le Havre ou par Rouen, en barils). On retrouve les modes de transport en « tallevannes » et « tinettes », pour la Normandie et le Boulonnais, à l’article « Beurre ».

39À l’article « Beurre » du Nouveau Cours complet, pour ce qui est de la coloration, Bosc indique, en 1809, en plus du safran, la fleur de souci, le coqueret, la graine d’asperge. En 1813, il ajoute encore les baies d’asperge, le suc des carottes rouges, les décoctions de rocou et d’orcanette, la cochenille, le suc de betterave, dans l’article « Lait » de l’Encyclopédie méthodique. Mais son article « Beurre » est surtout intéressant au sujet du beurre de la Prévalais, de Bretagne, dans la recherche des raisons de sa différence avec les autres beurres : en effet, l’auteur, d’après ses observations, remarque que les particularités du beurre ne viennent pas de la nourriture des vaches, mais d’un mode de fabrication spécifique, qu’il développe à l’aide d’un mémoire de l’abbé Tessier, cité. Bosc s’étonne de ne pas avoir trouvé lui-même l’explication plus tôt, d’après l’aspect.

Le fromage

40Liger, en 1700, s’en tient au fromage commun, en expliquant comment se servir de la présure, « acide » que l’on trouve dans l’estomac des veaux, avec, en 1708, comme pour la baratte, un souci de donner une définition approfondie, ainsi que l’origine étymologique, « du Latin Pressura, parce qu’il presse, épaissit, & caille le lait ». On met de la présure dans le lait chaud de la vache, puis on en tire le caillé, que l’on met dans des « éclisses, formes, ou chaserons », selon les pays, pour laisser égoutter le petit lait dont on tire le fromage, avec diverses manières de faire coaguler le lait, la possibilité de saler après l’égouttement et de sécher et serrer, pour les fromages de garde, ou encore sans ôter la crème. On donne encore une méthode pour faire un fromage à consommer dans les 24 heures.

41Là encore on insiste sur la propreté, en précisant, à propos des femmes qui s’occupent de ce secteur, que la période de la menstruation, à cause de l’air infecté qui l’accompagne, doit les tenir éloignées du lait, comme, dit-on en 1708, « une fille ou une femme en cet état n’est guére propre à rien qui vaille ». L’idée que cet état fasse tourner le lait, mais aussi le vin, reste présente dans les mentalités du début du XXIe siècle.

42Pour la conservation, l’édition de 1700 conseille d’enfermer les fromages dans un endroit sec, loin des nuisibles, et propose « de les tremper dans de l’eau salée, de les envelopper dans des feüilles d’orme, ou d’ortie, & les mettre dans quelque vaisseau, afin qu’il se communiquent leur humidité », ou encore de les envelopper de paille d’avoine, ou « foarre », et dans des armoires ou sur des tablettes. Les usages ne sont pas très différents en 1721, mais la Nouvelle Maison Rustique donne plus de détails sur la salaison et les moyens de conservation, en précisant les différentes étapes, journalières.

43On préfère, dans l’édition de 1721, le printemps et le mois de septembre pour la confection des fromages. On s’en tient surtout aux fromages communs mais on prend le temps de présenter différentes variétés, de Brie, de Grenoble en Dauphiné (Sassenage), de Roanne en Forez (fromage de Roche), de Franche-Comté (Vachelins, contrefaçons de Gruyère), d’Auvergne (Quantal ou Tête de Moine, et copies des fromages de Hollande), de Flandre (Marolles et Dauphins), de Normandie (« les Ponts-l’Evesque, les Ponteaux-de-mer, & les Angelots du pays de Bray »), ou encore de l’Italie (Parmesans et Bressans), de la Suisse et de la Hollande, sans rien, donc, pour l’Angleterre.

44Dans cette édition, la fabrication en elle-même est sujette à quelques détails supplémentaires, techniques, et on explique aussi, en outre le « fromage commun », la confection du fromage de Bresse, et d’autres avec des pommes de pin, des pignons, ou encore du thym, enfin les simples « jonchées » de Paris, fromages égouttés dans des paniers d’osier ou de jonc. Ensuite, on ne voit aucun changement jusqu’à l’édition de 1775. En 1798, l’édition de Bastien reste très proche, mais avec des détails supplémentaires dans la fabrication des fromages communs, dans la technicité.

45Le Dictionnaire universel de Commerce, en 1723, à l’article « Fromage », se soucie de présenter les fromages étrangers, pour un débit important en France, d’Italie, de Suisse, de Hollande, mais aussi d’Angleterre, puis on regarde les spécialités françaises, avec, à base de lait de vache, les fromages de Grenoble en Dauphiné, de Roche en « Forest », de Quantal en Auvergne, avec un grand commerce de ce dernier.

  • 9 Texte de Desmarets repris en 1828 dans l’Art de faire le beurre et les meilleurs fromages.

46En 1784, la section « Arts et Métiers mécaniques » de l’Encyclopédie méthodique, dans un article de 23 pages, « Fromages (Art de faire les) », très détaillé quant aux techniques de fabrication, distingue les fromages faiblement cuits, à savoir les fromages d’Auvergne (1 100 lignes) et les fromages de Hollande (225 lignes9), des fromages cuits, avec le fromage de Gruyère (350 lignes), et les fromages italiens de Milan, de Lodi ou de Parmesan (200 lignes), sans grandes considérations pour les productions françaises, certainement d’après leur commerce encore faible.

47Dans les Annales de l’agriculture françoise, les fromages apparaissent dans deux mémoires, l’un « sur la fabrication du Fromage dans les départements du Jura et du Doubs », par M. Droz, secrétaire de l’Académie de Besançon (1803), l’autre « sur les moyens d’améliorer la fabrication du Fromage du Cantal », par M. Boyssou, membre de la Société d’Agriculture, Arts et Commerce de ce département (1810). L’Art de faire le beurre et les meilleurs fromages, en 1828, s’intéresse en particulier à la fabrication des fromages du Mont-Cénis, de Gruyère, à la Voivre, près de Vaucouleurs, dans la Meuse (par M. Bonvié), de Parmesan, de Neufchâtel. L’introduction au mémoire de M. Bonvié propose un grand travail sur les études déjà effectuées quant à la fabrication des fromages de Gruyère, pour vérifier que la méthode n’est pas nouvelle, d’après les lectures de MM. Tessier, Huzard, Bosc et Huzard, au service de la Société royale et centrale d’agriculture.

48Bosc précise, à l’article « Fromage » du Nouveau Cours complet de 1838, que la spéculation sur le beurre et le fromage ne peut se faire que quand on ne peut vendre le lait en nature, comme c’est le cas autour de Paris et des villes de province. On insiste, comme dans l’édition de 1809, sur le fait que la nourriture ne dirige pas la qualité du fromage, loin de là même, avec une grande importance pour la fabrication même, pour la méthode et pour les soins pris, l’édition de 1838 donnant plus de détails, et plus de méthodes locales, contre un intérêt très marqué pour le Cantal et la Hollande en 1809.

49Au début des années 1840, d’après des avancées indéniables en chimie, le Cours de multiplication et de perfectionnement regarde les circonstances qui modifient les qualités des fromages, dans l’organisation particulière de chaque vache, la réunion du lait de plusieurs individus, dans l’état de l’atmosphère, la disposition de la laiterie, la nature des vases où l’on fait cailler le lait, la force et la manière de la présure, les différentes opérations sur le caillé pour enlever le petit-lait. Puis on parle des fromages frais, des fromages à croûte dure, de longue conservation, des insectes qui attaquent le fromage, des fromageries où la pression seule est employée (dans celles de Hollande et du Cantal, avec des méthodes différentes dans ces deux régions), des fromageries où l’on emploie l’action de la presse et celle du feu (pour des fromages cuits, dont ceux de Gruyère, du Parmesan, de quelques contrées de l’Angleterre), des avantages des fruitières d’association :

  • pour ceux qui n’ont qu’un petit nombre de vaches, sans pouvoir tenir de laiterie par eux-mêmes ;
  • pour un meilleur beurre, et à moindre frais ;
  • pour produire du « serai », ou sérac, ce qui n’est pas possible en petit ;
  • pour des économies de temps, de matières et de main-d’œuvre ;
  • pour davantage de propreté, dans une surveillance plus importante du fruitier.

50On termine par les produits d’une bonne fruitière d’association, d’après un état dressé par Bosc, sous forme de tableau, qui indique une grande amélioration dans l’aisance des cultivateurs et dans la nature des bestiaux, avec pour seuls frais de fabrication, les frais de la fruitière, qui montent dans l’exemple donné à un peu plus d’un dixième du produit (p. 524-542).

Les autres produits de l’élevage : les fumiers, la viande, le cuir, le suif, etc.

51En 1721, la Nouvelle Maison Rustique précise, pour le bœuf, que,

« quand il est usé à force de servir, on l’engraisse pour la boucherie ; ou s’il se casse quelque membre, on le tuë & on en fait des provisions fraîches ou salées ; sa peau, ses cornes mêmes, sont d’un bon débit ; sa graisse est le suif dont on fait de belle chandelle, ainsi que celui de Mouton avec lequel on le mêle. Le suif sert aussi à beaucoup d’autres usages, c’est pourquoi il est d’un grand commerce, il s’endurcit & se romp facilement quand il est fondu & refroidi, au lieu que la graisse ordinaire reste toûjours molle & huileuse. Le fiel de bœuf sert à jaunir les cuirs & l’airain [et aux enlumineurs, dit-on dans l’édition de 1749] ; & sa moelle, ses cornes, sa fiente même, servent à quantité de choses […] ».

52Mais l’ouvrage, essentiellement soucieux d’économie rurale, ne développe pas vraiment l’usage de ces différents produits.

53Buffon, en 1749, ne s’attarde pas sur la question, comme, le dit-il élégamment, « l’histoire naturelle doit finir où commence l’histoire des arts ». Pour autant, les autres productions de l’élevage bovin méritent ici quelque égard, du fait que bien souvent elles entrent en compte dans l’économie rurale, dans le revenu des exploitations.

Les engrais animaux : une matière essentielle pour un contenu rédactionnel faible

54Dans la Nouvelle Maison Rustique, il est pas question des fumiers dans le chapitre sur les terres labourables ou à grains. De 1721 à 1768, les considérations sont les mêmes (document 10). On retrouve ces remarques chez Buffon en 1749, chez Alletz en 1760, à l’article « Fumier » de L’Agronome, chez Tessier en 1791, à l’article « Bouse » de l’Encyclopédie méthodique, avec quelques développements de Bosc en 1796, dans le même esprit, à l’article « Fumier ».

55En 1723, dans son Nouveau théâtre d’agriculture, Liger met le fumier de vache au second rang, derrière celui de mouton (p. 338-339). Pattullo, dans l’Essai sur l’amélioration des terres, en 1758, met en avant l’usage de l’urine du bétail, aussi important que le fumier pour l’engraissement des terres, avec la méthode anglaise de récupérer ce liquide dans des citernes (p. 18). On donne toujours de l’importance aux lieux consacrés aux fumiers, en creux et pavés pour en retenir la graisse, d’après Olivier de Serres (1804-1805, lieu 1er, chap. V). De 1759 à 1761, deux articles du Journal oconomique mettent en avant la supériorité des excréments des chevaux sur ceux des bêtes à cornes, en précisant que le fumier des bœufs est préférable à celui des vaches, en distinguant celui des vaches qu’on engraisse pour la boucherie, meilleur que le fumier des vaches à lait, « le plus pauvre de tous » (oct. 1759, oct. 1761). En accord avec un usage différent selon la qualité des terres, Thomas-François de Grace, en 1770, ajoute qu’il vaut mieux utiliser ces fumiers au début ou au cours de l’hiver (p. 22-58).

Document 10.
Le fumier (1768).
Source : Nouvelle Maison Rustique, éd. de 1768, 2e partie, livre 1er, chap. VII
« Le fumier de vache, qui est le plus commun de tous, est aussi le meilleur quand il est bien pourri, parce que comme il est le plus gras & rafraîchissant, il corrige davantage le défaut le plus ordinaire des terres, qui est d’être séches & maigres : il se conserve long-tems dans la terre ; & comme il n’a pas trop de chaleur, il le faut porter & l’enterrer avant l’hiver, qui est la meilleure saison pour fumer, […]. Le fumier de vache s’employe principalement pour les terres séches & sabloneuses ; & il est bon de ne l’y mêler que par un tems sombre & humide, pour que les sels du fumier & le peu d’humidité de la terre sur laquelle on le répand, se dissipe moins. »

  • 10 Meuvret J., 1977, chap. 2, « Les engrais et les amendements », p. 121-143.

56Peu avant la Révolution, François-Hilaire Gilbert estime qu’il faut une tête de bétail pour amender un hectare de terres, et il pense qu’on n’en dispose pas de la moitié, avec de grandes différences selon les régions, seulement un cinquième de tête par hectare en Champagne selon La Salle de l’Étang, des insuffisances encore dans la généralité de Paris, d’autant que l’on manque cruellement de litières, comme la paille sert aussi à couvrir nombre de bâtiments, ainsi qu’à nourrir les bestiaux10. Les différences se font encore d’après les autres matières à disposition des cultivateurs, distinctes selon les régions, à base de varechs en Cotentin, à base de tourteaux dans le Nord, sans que les pratiques soient aisément exportables, d’après la qualité des sols, la conservation des éléments et l’ancrage des traditions.

57La fin de l’Ancien Régime voit le développement des engrais salins et terreux dans la littérature agronomique, engrais déjà fortement utilisés dans la pratique, mélangés avec les engrais animaux. Plusieurs agronomes reprochent aux cultivateurs, en fait, de ne pas bien recueillir et préparer leurs fumiers : Louis Rose, en 1767, donne une grande importance à la production de fumiers et à l’endroit où on les dépose, au milieu de la cour, avec des citernes en brique et ciment pour recevoir les urines ; le fumier des vaches est particulièrement bon, selon lui, pour les terres chaudes et légères (éd. de 1769 : p. 48-143, p. 307-308, p. 322-396). Poinsot, en 1806, indique qu’il faut garder le fumier en tas pendant une année avant de le répandre sur les terres (t. II, p. 15-38).

58Le médecin Jean Gottschalk Walerius se démarque, en 1793, préconisant le parcage des bestiaux dans les champs, la nuit, pour engraisser les terres, en couvrant le sol de paille pour éviter l’évaporation. Il s’oppose par ailleurs à Duhamel du Monceau, même si l’on peut douter des mots qu’il prête à ce dernier, que le fumier même serait nuisible aux végétaux, qu’il constituerait un danger pour la santé des hommes, avec des animaux vénéneux, du chiendent, de mauvaises herbes. Il estime que ces défauts proviennent plutôt d’une mauvaise manière de culture, ainsi en 1793 dans ses Principes raisonnés de l’agriculture (p. 121). Il est suivi en 1806 par Étienne Chevalier qui défend également, dans la Bibliothèque des propriétaires ruraux (t. xiii et xiv), le parcage des troupeaux et du gros bétail, contre les tas de fumiers des cours de ferme qui séjournent pendant des mois entiers, perdant de leurs substances.

  • 11 Usage des cornes comme engrais aussi noté par le Nouveau Cours complet (1809, « Corne »).

59Le sujet de l’engrais profite, tout comme dans le secteur laitier, des avancées scientifiques, en termes de chimie, de physique. En 1834, par exemple, la Maison rustique du XIXe siècle met en avant l’usage, à l’engrais, des tendons, à trancher en morceaux, des sabots, ergots, onglons, cornes, qui donnent l’un des plus riches engrais azotés, mais coûteux et surtout réservés à d’autres industries, comme la tabletterie11. C’est aussi la viande des animaux morts, le sang desséché, dont l’effet est reconnu pour les cannes à sucre, puis les issues, vidanges et déchets des boyaux, les os et tous les engrais liquides, urine et sang, en particulier quand ils sont mêlés avec des eaux savonneuses et ménagères, avec encore l’avantage de la poudrette, du noir animal (t. i, l. 1er, chap. iv, section iii, art. ii). Ces engrais peuvent déjà être utilisés dans la pratique par les cultivateurs, mais les ouvrages agronomiques de ce nouveau siècle précisent la capacité de chaque élément, en indiquant des mélanges bénéfiques, toujours avec des engrais salins et terreux.

60La Maison rustique du XIXe siècle donne aussi des conseils quant à la nourriture qui permet de se procurer des fumiers de vache plus profitables, avec les betteraves et leur pulpe, la pomme de terre et les marcs de ces tubercules, laissant davantage d’eau aux fumiers, qui entretiennent alors une certaine fraîcheur aux terres. Le fumier doit être tenu en partie basse, dans son eau, qui ne doit pas s’échapper, et toujours à l’ombre des bâtiments ou des arbres, avec un arrosage fréquent. Il est bien question du parcage, surtout au sujet des bêtes à laine, mais en soulignant qu’il est combattu par nombre d’agronomes, la pratique convenant plus pour les champs éloignés de la ferme (t. i, l. 1er, chap. iv, section iii, art. iii). On discute aussi du coût du fumier, d’après les calculs du comte d’Angeville, propriétaire à Lompnès, dans l’Ain : on obtient 5 070 kg de fumier pour 2 350 kg de foin, pour une recette annuelle, par tête, de 102,42 f., contre une dépense de 144,87 f., les 100 kg de fumiers revenant à 84 centimes, ce qui est relativement cher, sauf si l’on prend aussi en compte les autres produits de l’animal, ce qui n’est pas le cas ici (t. i, l. 1er, chap. iv, section iv).

61En 1844, Girardin consacre un ouvrage aux fumiers, dans une approche avant tout chimique, en classant les animaux, des carnivores aux herbivores, en passant par les granivores et oiseaux, puis en hiérarchisant ainsi les herbivores, de la fiente de porc, de la bouse de bœuf et de vache, du crottin de cheval et de la fiente de mouton, dans l’ordre croissant, en accord avec la plupart des agronomes, si ce n’est peut-être dans l’avantage des bêtes à cornes sur les ovins. Avant de donner le détail des compositions chimiques de chaque espèce, et des urines, l’auteur précise que le fumier des bovins a l’avantage de pouvoir accepter plus facilement l’apport d’autres matières, en mélanges, du fait de sa mollesse. On retrouve l’influence de la nourriture, en ajoutant la carotte aux aliments cités par la Maison rustique du XIXe siècle. Girardin reproche aux cultivateurs français de mal employer ces matières, sans distinguer les espèces de fumiers, en les entassant de façons inadaptées, les dépouillant des parties solubles ou leur faisant corrompre les puits et mares souvent trop proches et à des niveaux inférieurs. Il ne s’oppose pas, avec l’allemand Schwerz, au séjour des fumiers dans les étables, comme on peut profiter de leur fermentation, mais il signale le risque d’infection pour les bestiaux. Enfin, avec Mathieu de Dombasle, il dit l’avantage de nourrir les bestiaux à l’étable tout au long de l’année pour récupérer le plus d’engrais possible, tant que la nourriture et la litière sont suffisantes. Girardin cite de nombreux agronomes européens, anglais, allemands, surtout français, comme Boussingault, sur les recherches en cours sur la composition des fumiers, leur emploi le meilleur, selon les espèces, selon les terres, selon les différents états de fermentation, pour une science qui ne cesse de se développer et de se perfectionner dans la seconde moitié du XIXe siècle.

62D’autre part, selon le Dictionnaire de Trévoux, en 1767, la « Bouse » sert, dans la médecine humaine, contre les piqûres de « mouches à miel », et pour résoudre les apostèmes. D’après le Nouveau Cours complet de 1809, la « Bouse » desséchée des vaches peut servir « de combustible dans les pays où le bois est rare » ; « on l’emploie, en la mélangeant avec moitié de terre franche, pour recrépir les murs, former l’aire des granges, enduire les ruches, recouvrir les plaies des arbres : dans ce dernier cas on l’appelle l’onguent de St.-Fiacre. […]. On en couvre quelquefois aussi les caisses ou les pots de la terre desquels on craint le trop prompt dessèchement ».

Le commerce de la viande

63En termes de revenus, les profits que l’on retire de la viande bovine rendent cet élevage particulièrement prolifique, d’autant plus que la consommation de viande est en croissance au cours de la période, surtout chez les classes urbaines aisées au XVIIIe siècle, les populations rurales profitant davantage elles-mêmes de cette production après la période révolutionnaire, tandis qu’elles en consommaient déjà des quantités importantes jusqu’au XVIe siècle.

La boucherie au XVIIIe siècle

  • 12 Abad R., Le grand marché…, 2002, introduction et chap. 3.

64La plupart des dictionnaires proposent des articles sur le boucher et la boucherie, en revenant sur l’historique de la corporation parisienne, en termes de jurisprudence et d’organisation syndicale, depuis le début du XVe siècle, sur les évolutions de l’apprentissage et de la tenue des étaux, ou des inspecteurs aux boucheries, offices créés en février 1704, supprimés en 1717 et rétablis en 1722, prorogés de 1767 jusqu’à la Révolution. Ces mêmes dictionnaires parlent des foires grasses, mais jamais de manière approfondie, avec quelques énumérations de places d’importance, ainsi dans le Dictionnaire universel de Commerce, en 1723, à l’article « Foires grasses, foires de bestiaux, foires de chevaux, & c », où l’on ne parle que de foires du Grand Ouest, de l’Auvergne ou des environs de Paris. Il est rarement question des marchés parisiens de Sceaux et de Poissy, sans rien sur les luttes de pouvoir qui ont mené au transfert du marché de Bourg-la-Reine à Sceaux, de 1667 à 1673, et qui ont fortement affaibli celui de Poissy, qui se restaure à partir de 169012. Si, dès le début du XVIIIe siècle au moins, la profession s’oppose aux droits de marché prélevés à l’entrée de Sceaux et de Poissy, le mécontentement n’apparaît pas dans la littérature agronomique avant 1755.

  • 13 Encyclopédie méthodique, section « Arts et Métiers mécaniques », 1782, « Boucher ».

65De plus en plus, on s’intéresse aux tueries, surtout à partir de 1780, quand se pose la question de les éloigner du centre des villes, pour des abattoirs isolés, d’après des soucis d’hygiène, avec une translation vers les faubourgs, déjà par des arrêts à Lyon, Moulins, Tours, Laval, Nantes, au début de la décennie13. On pose aussi la question de l’établissement même des boucheries, comme les tueries y restent liées depuis l’origine, comme déjà les emplacements sont sujets à des autorisations dûment contrôlées au Siècle des Lumières. L’architecte Coquéau, en 1788, appuie le projet d’éloigner les tueries, en rejetant le problème des transports, d’après l’exemple convaincant de la Flandre autrichienne qui parviendrait à approvisionner les centres urbains sans souci, même l’été, comme déjà certains bouchers parisiens ont des tueries éloignées de leurs étaux. Si l’auteur ne prend pas au sérieux la simple incommodité des plus riches à côtoyer les tueries urbaines, il met par contre en avant la souffrance des habitants des quartiers concernés (document 11).

66En août 1761, le Journal œconomique propose une « Observation sur la meilleure manière de nourrir les Bœufs pendant le temps consacré à les engraisser pour les boucheries […] », en mettant en avant le fait que le transport fait fondre la graisse dans les chairs, ce qui rend la viande plus tendre. On remarque, d’après la multiplication des publications, qu’on se penche davantage sur la question des transports, des intermédiaires, marchands, bouchers, du fonctionnement général de ce commerce, avant l’examen collectif plus précis de la Caisse de Poissy.

  • 14 Weulersse G., 1950, p. 37-38, p. 89, p. 201.

67Fondée par un édit de décembre 1743, après des constitutions proches en 1690 et en 1707, supprimée par Turgot par édit du 9 février 1776 et rétablie par Necker en 1779, cette Caisse de Poissy fait couler beaucoup d’encre, perçoit de nombreuses critiques, comme elle oblige tous les bouchers à passer par elle pour acheter des bestiaux sur le marché parisien, à crédit donc, avec la raison sociale d’aider le commerce entre des marchands et des bouchers qui souffrent d’un manque de liquidités, mais en augmentant les prix avec des taux non négligeables. Si les articles de dictionnaires ne font que définir la Caisse de Poissy, on voit une multiplication d’ouvrages et d’opuscules, en particulier de 1755 à 1791, avec 13 références, seuls deux auteurs venant défendre cette fameuse Caisse, Vauverte en 1775 et Raymond de Sèze, avec un avis nuancé, en 1790. L’opposition de l’abbé Baudeau, dans un mémoire de 1768, trouve un relais dans les Éphémérides du citoyen, dont il reprend la direction en janvier 1775, jusqu’en juin 177614. La Caisse est supprimée par l’Assemblée constituante, mais rétablie ensuite par décret du 6 février 1811. Cette décision provoque une nouvelle salve de critiques, en particulier dans un Mémoire des propriétaires Cultivateurs, herbagers, nourrisseurs et marchands forains de bestiaux, fréquentant habituellement les marchés de Sceaux et de Poissy, la halle aux Veaux et aux Vaches grasses, destinés à l’approvisionnement de la Ville de Paris, du 22 décembre 1818, en 38 pages, disponible à Paris chez Mme Huzard et chez Delaunay dès janvier 1819.

68Le sujet de la Caisse explique l’augmentation de l’édition sur la boucherie dans les années 1770, tandis que c’est du fait des soucis de subsistance, de la question du Maximum des prix, dont ceux de la viande et autres produits alimentaires issus de l’élevage bovin, que cette édition se maintient sous la période révolutionnaire, dans les années 1790, avec un regard parfois très négatif sur l’approvisionnement des armées et la spéculation des marchands, deux phénomènes qui privent la population de larges subsistances. L’abbé Coupé met en avant, en 1793, la nécessité d’abandonner la loi de l’offre et de la demande et de fixer aux marchandises un prix maximum laissant cependant au commerce légitime une certaine liberté d’action.

Document 11.
Éloigner les tueries et fonderies (1788).
Source : Coquéau, Réflexions sur le projet d’éloigner du milieu de Paris les tueries de bestiaux et les fonderies des suifs, Londres, 1788, p. 6-9
« Ce projet est-il de commodité simple, d’utilité ou de nécessité ? Les traces de barbarie, qui, malgré les rafinemens successifs du luxe & les recherches voluptueuses de nos Sybarites, subsistent de toutes parts dans nos usages, sont, je le sais, plus anciennes & plus solidement établies que toutes nos modernes délicatesses. L’habitude de rencontrer sur sa route les objets les plus désagréables, semble en amortir la sensation ; la répugnance même qu’ils inspirent fait qu’on ne veut les voir qu’en courant, & qu’on les oublie le plutôt que l’on peut. Qu’une voiture élégante, égarée dans un quartier de boucheries, y roule dans des flots de sang & de boue, qu’elle couvre les passans de ce mélange infect & dégoûtant ; qu’un rapide wiski heurte dans sa course un sâle tombereau chargé de hideuses vidanges, & mené par un conducteur plus sâle & plus hideux encore ; que les plaisirs d’un concert ou d’un bal soient troublés un instant par les hurlemens des bestiaux qu’on égorge dans la maison voisine ; tout cela n’est qu’une incommodité simple & passagère. Elle n’est pas plus insupportable, & s’oublie tout aussi vîte que les haillons de la misère, ou que ces aveugles qui, sollicitant dans des postures aussi recherchées qu’avilissantes une pitié qu’il seroit aisé de suppléer, semblent accuser la Police qui permet que des hommes osent offrir à l’homme le spectacle si fréquent de sa nature dégradée. Il est d’ailleurs si aisé de s’épargner ces importunes sensations. On peut éviter de passer dans ces quartiers, en éloigner sa demeure, & les abandonner au peuple qui, comme on sait, doit tout souffrir & ne se plaindre de rien. Mais que ce même peuple soit dévoué à la contagion qui, surtout pendant les chaleurs, émane de ces maisons de carnage & des ruisseaux de sang putréfié qui s’en écoulent ; que des familles nombreuses soient condamnées à habiter ces maisons, & à ne pas respirer d’autre air que les exhalaisons corrompues dans lesquelles elles plongent ; que l’aliment le plus ordinaire du pauvre & du riche cuve dans une atmosphère étroite, humide, échauffée par la fermentation même des substances qui y séjournent ; qu’il s’y charge & s’y imprègne à loisir des principes les plus insalubres ; que des troupes de bestiaux viennent plusieurs fois par jour augmenter & rendre plus périlleux les embarras des rues ; que les citoyens soient d’un moment à l’autre exposés au danger terrible de rencontrer un bœuf manqué, échappé & furieux ; que des fontes de suifs infectent les environs, & menacent à chaque instant les maisons voisines de l’incendie le plus difficile à éteindre ; voilà, ce me semble, plus que de simples incommodités ; voilà des abus intolérables, trop longtemps soufferts, & qu’un Gouvernement sage ne peut désormais différer de proscrire. »

La boucherie dans la première moitié du XIXe siècle

  • 15 Billaud J., in Ethnozootechnie, 1991, no 48, p. 57-66.

69Après le long débat sur l’éloignement des tueries, depuis 1780, c’est en 1810 que Napoléon Ier décide la suppression des abattoirs particuliers à Paris. Dès 1818, on crée cinq abattoirs dans l’enceinte de la capitale, qui fonctionnent jusqu’en 1867, jusqu’à l’inauguration du grand abattoir de La Villette15.

  • 16 Nombre que l’on retrouve chez Costaz en 1843 (24,676 millions d’habitants en 1785 ; t. i, p. 241)  (...)
  • 17 Le recensement de 1836 donné par Costaz (1843, p. 242-251) compte 33,54 millions habitants.
  • 18 Sauvegrain parle même, pour le « carême civique » de la Révolution, sans production de viandes, d’ (...)

70En 1806, le boucher Sauvegrain publie ses Considérations sur la population et la consommation générales du bétail en France, et en particulier à Paris, en constatant d’abord les difficultés de ce secteur depuis la veille de la Révolution, avec des insuffisances, au début du XIXe siècle, l’auteur se demandant si les éleveurs ne sont pas refroidis par la situation économique, s’ils n’élèvent pas moins de bêtes, ou alors si les problèmes découlent d’une augmentation de la consommation, en relevant une croissance importante de la population, de 25 millions avant la Révolution16 à 32 en 180617, en exécrant par ailleurs la mesure de Turgot, en 1775, qui supprimait le privilège du carême et faisait alors dangereusement accroître cette consommation18. L’auteur met aussi en exergue les grandes crises climatiques qui ont poussé à la dépopulation du bétail, en comptant 11 sécheresses entre 1777 et 1803, et la disette de fourrages en 1784 et 1785, sans agriculture suffisamment avancée pour pallier à ces faiblesses. Il s’attaque aussi à la classe politique qui s’est imposée sous la Révolution, incapable selon lui de prendre les bonnes mesures, avec un morcellement des terres qui n’aurait fait qu’affaiblir l’activité.

71Sauvegrain dénonce le principe d’interdire la vente de jeunes bestiaux à la boucherie, défendu par des administrateurs et des agronomes qui insistent sur le renouvellement des troupeaux, sur l’augmentation du cheptel français. L’auteur craint des abus à ce principe, comme certaines régions, en particulier la Normandie et le Maine, font des bénéfices importants de ce commerce, traditionnellement. Même dans les pays d’élève, l’auteur ne désire pas que l’on prohibe toute vente de veau, mais souhaite que les autorités contraignent à la production d’élèves, rejetant la politique de primes, trop corrompue d’après lui.

72Selon des principes autarciques, Sauvegrain s’oppose à la liberté du commerce avec l’extérieur, reprochant à l’ouverture européenne d’avoir déréglementé dangereusement le marché intérieur de la France. Si déjà on connaissait un commerce militaire et frontalier de bovins, de l’Est de l’Europe vers la France, le gouvernement décide, en 1784, de charger une Compagnie de l’approvisionnement de l’étranger pour approvisionner Paris et d’autres grandes villes, mais les résultats de cette Compagnie sont très mauvais, et l’État choisit alors, depuis l’an XII (1803-04), de laisser se développer la concurrence. Sauvegrain demande à ce que l’on cesse ces échanges, comme la crise s’éloigne et que le pays n’a plus besoin, depuis l’abondance de 1804, du soutien étranger, l’auteur craignant pour le commerce intérieur. Si cette rétroaction n’est pas possible, il conseille alors de n’acheter que des bœufs maigres, bien moins chers.

73Sur le marché français, il souhaite que le gouvernement garantisse un équilibre des prix, dans l’intérêt des marchands et des consommateurs. Contre les libertés obtenues depuis le début de la Révolution, contre des démarches purement spéculatives. Il désire finalement « le rétablissement de l’organisation originelle de la boucherie », pour une gestion raisonnée de ce commerce et de l’usage des divers produits issus des bovins.

74Par ailleurs, il propose une analyse comparative sur la France et l’Angleterre, sur l’importance de la production de viande outre-Manche, en observant un système efficace dont la France pourrait se servir afin de régénérer ses troupeaux. Mais il reconnaît que son pays semble peu enclin à prendre cette voie, vers un développement de l’élevage bovin, du fait que l’activité peut paraître risquée, et surtout parce que les Français, d’après lui, sont essentiellement préoccupés par les grains, tandis que les Anglais sont résolument carnivores. Les paragraphes du document 12, en miroir, précisent l’attente principale de Sauvegrain, à savoir un enthousiasme français pour la production carnée. Dans un bon contexte climatique, il souhaite que l’on multiplie les troupeaux, qu’on les améliore. Il conseille la culture des prairies artificielles, des légumineuses et des plantes charnues, en encourageant les sociétés et propriétaires qui œuvrent à la diffusion de ces nourritures alternatives.

75Dans les années 1820, les prix baissent fortement, et Paul Mollard, dans des Réflexions sur le commerce des bestiaux (1824), accuse l’introduction des bestiaux étrangers et le monopole du commerce de la boucherie de Paris, en mettant davantage l’accent sur le deuxième phénomène, sans remettre en question la liberté du commerce avec l’extérieur. En 1826, la capitale est encore pointée du doigt, par Pinteux, qui, dans des Réflexions sur la production et la population des bestiaux en France, regrette que le système de surveillance et d’inspection des viandes mortes ne soit pas encore assez efficace.

76Les Annales de l’agriculture françoise traitent beaucoup de la boucherie, sur les taxes, droits d’importation et d’octroi (1828-30, 1840-43, 1846-49), sur les concours, à Bordeaux (1847) et à Lyon (1848), et avec la « Manière de se servir de la mesure à ruban calculée pour connaître le poids net de la viande, ou des quatre quartiers, d’un bœuf ou d’une vache en vie, soit maigre, soit gras », par Mathieu de Dombasle (1833), une « Note sur le pesage des animaux », par Gasparin (1850), une « Circulaire du ministre du commerce sur la garantie et vices rédhibitoires dans le commerce des animaux » (1834).

Document 12.
L’Anglais et le Français selon Sauvegrain (1806).
Source : Sauvegrain, Considérations sur la population et la consommation générales du bétail en France, Paris, 1806, p. 85-88
« L’Anglois est carnivore ; la viande est pour lui l’objet de première nécessité, le pain, l’objet secondaire. Avec du pain et moins de viande, l’Anglois ne seroit pas nourri suffisamment. Ses craintes sont toujours d’en manquer ; il emploie tous ses soins, et fait tous ses efforts pour se procurer une quantité surabondante de bétail ; et pour donner une idée pour juste de la haute importance qu’y ont attachée les législateurs de ce pays, je dirai qu’une loi constitutionnelle prononce la peine de mort contre tout individu convaincu d’exportation du bétail de consommation.
En Angleterre, le bétail rouge, le bœuf, est considéré plus comme objet de consommation, que comme animal domestique, quoiqu’en certains cantons on l’employe aussi à la culture. Mais le produit de son travail est estimé peu de chose ; et sa valeur se trouvant presque toute entière dans le produit des objets consommables, tels que viandes, cuirs, suifs, etc., on fait tout pour l’augmenter. Le bœuf est nourri, en tout temps, comme s’il devoit être livré à la boucherie, et il y arrive indistinctement à tout âge, s’il a atteint la maturité convenable […].
Le François est panivore ; pour lui le pain est de première et absolue nécessité. Le plus grand nombre, les habitans des campagnes surtout, ne faisant que peu ou presque point d’usage de la viande de boucherie, cette partie des subsistances n’est, en quelque sorte pour eux, qu’un objet accessoire. Avec moins de pain et plus de viande, le François vivroit mal. Le pain occupe toutes ses pensées ; la crainte d’en manquer absorbe toutes ses facultés : aussi tous ses soins, tous ses efforts tendent-ils perpétuellement à étendre la culture des grains qui doivent le lui fournir. Bien moins inquiet au sujet de la viande, il s’occupe peu, même pas assez, des moyens d’augmenter son bétail ; et si l’on en excepte quelques-unes de ses provinces, il ne fait en général presque rien pour l’améliorer.
En France le bétail rouge, le bœuf, est considéré toute sa vie comme animal domestique, comme instrument, non-seulement utile, mais nécessaire, indispensable à l’agriculture. On ne commence à le regarder comme un objet de consommation, que quand sa lenteur naturelle, augmentée par l’âge, ne permet plus d’en tirer les mêmes services ; alors seulement on prend les soins convenables pour le rendre propre à cette dernière destination. Avant cet instant, la subsistance qu’il reçoit, suffit à peine à soutenir ses forces pour le travail. On craint toujours qu’une nourriture abondante ne le rende trop lourd, trop paresseux, et que l’on ne soit forcé de s’en défaire avant le temps. »

77En 1841, on diffuse une quantité importante d’observations ou rapports, à l’échelle locale, sur les droits d’octroi levés sur les bestiaux, à Lyon, Nantes, Paris, en Haute-Garonne. Ce sont par exemple les Nouvelles considérations sur l’abaissement des droits à l’entrée des bestiaux étrangers, par la Société royale d’émulation et d’agriculture de l’Ain [présidée par M.-A. Puvis], suivies des observations […] sur la perception des droits d’octroi au poids ou par tête, en insistant sur la nécessité de lier pesage et perception des droits pour favoriser la concurrence entre les riches éleveurs et pour créer une taxe plus raisonnable sur les bestiaux de taille moyenne, essentiels à la boucherie. Dans La Question des bestiaux considérée sous ses divers points de vue, Mathieu de Dombasle met le doigt sur les droits d’octroi de Paris pour expliquer l’augmentation du prix de la viande, souhaitant une libre concurrence entre les bouchers, qui font selon lui trop d’excédents.

78En 1841 et 1842, on lit également plusieurs rapports et des essais sur les droits de douane, d’entrée, sur l’importation de bestiaux. François et Auguste Bella, respectivement professeur et directeur à l’Institut agronomique de Grignon, refusent la condamnation du droit d’entrée, en 1841, sur les Questions des bestiaux et de la boucherie. Ils désirent que l’on baisse les droits d’octroi pour que tous les éleveurs puissent approvisionner les villes, pour que certains résistent mieux à la concurrence étrangère. Ils souhaitent également qu’on interdise le commerce de la viande à la main qui se fait dans Paris, dans un souci de santé publique et de respect d’une organisation règlementaire plus stricte, sous la responsabilité de la Caisse de Poissy. À propos « De la question des bestiaux et des intérêts vinicoles », dans les Annales, Mathieu de Dombasle analyse les intérêts réciproques qui existent avec l’Allemagne, contre l’abaissement des droits d’entrée sur les bestiaux et des droits de sortie sur les vins, contre une déréglementation du marché existant, qui porterait des conséquences néfastes à des branches solidaires de l’industrie nationale.

79Finalement, on ne remet pas en question le principe du droit d’entrée, chez ces agronomes, mais on veut pour autant favoriser le développement de l’agriculture française, afin que celle-ci puisse mieux se subvenir et résister à une nouvelle concurrence, étrangère, que l’on souhaite pouvoir équilibrer, selon les intérêts de chaque pays et malgré les tensions internationales. À l’intérieur, ces auteurs proposent une libre concurrence entre bouchers parisiens, et la diminution des droits d’octroi, établis sur le poids des bestiaux, pour relancer l’activité par une baisse des prix et pour accompagner le développement de l’engraissement.

  • 19 Halle aux veaux sise sur le quai des Ormes, puis transférée sur le terrain des Bernardin par lettr (...)

80Du côté des instruments liés à la boucherie, la Maison rustique du XIXe siècle présente une balance recommandée par Bixio pour peser les bestiaux de leur vivant, mais aussi d’une méthode de Mathieu de Dombasle pour connaître le poids selon la circonférence de l’animal, à l’aide d’une corde garnie de nœuds indicatifs, sans forcément que ces idées puissent remplacer le fameux coup d’œil de l’éleveur ou du boucher (t. ii, livre iii, chap. xiv, p. 532-541). Le même chapitre donne des précisions sur les marchés d’approvisionnement de la capitale, à Poissy le jeudi, à Sceaux le lundi, à la Chapelle-Saint-Denis le mardi pour des vaches grasses et des taureaux réformés (également à Neuilly, au moins au début du siècle), et à la halle aux veaux le mardi et le vendredi pour les jeunes bêtes, depuis 177419, avec des règlements spécifiques, un privilège spécial dans les 20 lieux qui entourent Paris, par arrêté des consuls du 30 ventôse an XI (21 mars 1803), avec droit aux bouchers d’acheter ou de vendre au-delà de ce rayon si les bêtes sont amenées sur les marchés susdits pour vérification. On revient sur la difficile période révolutionnaire, sur les rapports établis alors avec la Suisse, Bade et la Franconie pour approvisionner les marchés urbains de France.

Les chiffres du commerce

  • 20 Lachiver M., in La France d’Ancien Régime…, 1984, t. i, p. 345-354.
  • 21 Données du Conseil des Cinq Cents délivrées par Lachiver M. (in La France d’Ancien Régime…, 1984, (...)

81D’après les recherches de Marcel Lachiver et de Bernard Garnier, on amène à Paris, en 1737, 105 000 bœufs et vaches20. L’état des bestiaux à pieds fourchus entrés à Paris de 1697 à 1790, présenté par Marcel Lachiver d’après l’article « Fourchus (Pieds) » de l’Encyclopédie méthodique, fait apparaître une croissance séculaire de 23,5 % pour les bœufs, avec une période très favorable de 1711 à 1719, puis des cycles, de 52 000 à 74 000 bœufs par an. La situation est très différente pour les vaches, dont les entrées à Paris fluctuent de 4 700 à 12 700 entre 1697 et 1711, avant une envolée progressive, jusqu’à 27 774 en 1748, en stagnant autour de 23 000 jusqu’en 1766, avant de baisser à 10 000 individus par an avant la Révolution. La réception de veaux connaît des fluctuations, de 98 000 à 140 000 d’après une moyenne mobile sur 5 années, avec des pointes en 1719, en 1722 et en 1738, pour une baisse séculaire, jusqu’autour de 100 000 jeunes bestiaux par an de 1770 à 1790. Globalement, on enregistre de 150 000 à 200 000 bestiaux à pieds fourchus, chaque année, à l’entrée de Paris, les grandes augmentations ponctuelles concernant les veaux. De 1768 à 1790, on fluctue de 180 000 à 200 000 têtes. Les chiffres donnés par le Conseil des Cinq Cents le 2 fructidor an VI (19 août 1798), à l’occasion du rétablissement de l’octroi, sont une moyenne des données de l’article « Fourchus (Pieds) », de 1781 à 178621.

  • 22 Cité par Lachiver M., op. cit., t. I, p. 345-354.

82En 1793, l’Encyclopédie méthodique avance certains chiffres précis pour l’année 1788, avec une consommation totale de 188 712 bêtes à cornes, à savoir de 74 589 bœufs de 600 livres pesant, de 13 823 vaches de 350 livres, de 100 300 veaux de 75 livres, nombres supérieurs au nombre d’entrées. L’article « Consommation de Paris » compare ces données avec le dénombrement du cardinal de Richelieu, effectué en 1637, avec alors environ 40 000 bœufs et vaches et 67 800 veaux à l’année. En 1791, Lavoisier compte, à l’entrée de Paris, 208 000 bêtes à cornes, à savoir 70 000 bœufs de 700 livres, 18 000 vaches de 360 livres, 120 000 veaux de 72 livres22, mais sans savoir quel nombre est réellement consommé.

83En 1806, Sauvegrain s’appuie sur le Journal de Paris du 6 vendémiaire an XIII (28 septembre 1804) pour compter 6 084 650 bœufs et vaches en France, avec une consommation annuelle de 760 570 bestiaux, l’usage agricole et rural de 3 194 394 individus, et avec 2 129 596 jeunes (jusqu’à 3 ans). En province, le poids moyen est estimé à 400 livres, à 550 pour les bœufs et 250 pour les vaches, et dans Paris à 600 livres par tête, un poids plus important du fait du commerce et de la plus grande consommation de bœufs (14 pour une vache). Pour les veaux, on passe de 55 livres en province à 90 dans Paris, pour plus de 32 millions de livres de veaux qui sont consommées chaque année. De plus, on récupère 20 livres de graisse chez les adultes, et 2 livres chez les veaux. Selon le même auteur, on compte, en 1806, 500 bouchers parisiens, contre 200 auparavant. La consommation de viande est pourtant en baisse, et la profession particulièrement taxée. La Maison Rustique du XIXe siècle compte, pour le mois de mai 1837, 501 bouchers à Paris, contre une limite de 400 selon l’ordonnance du 12 octobre 1829. On précise comment ces artisans s’organisent, avec les garçons bouchers, et quels sont les instruments qu’ils utilisent, à la recherche des meilleures méthodes (t. ii, livre iii, chap. xiv, p. 537-539).

84Pour l’année 1839, Mounier, « d’après les documents officiels », recense 9 883 050 bêtes à cornes, dont 394 166 taureaux, 1 950 702 bœufs, 5 481 026 vaches, 2 057 156 veaux. Entre le Nord et le Midi, on passe de 5 948 831 à 3 934 219 bovins, avec davantage de bœufs et de taureaux dans le Midi, plus de vaches et de veaux dans le Nord, en proportion. En moyenne, le taureau vaut 85 francs, le bœuf 154, la vache 89, le veau 26, taureau et bœuf valant plus cher dans le Midi, vache et veau plus dans le Nord. Le revenu moyen est estimé à 24,35 francs par taureau, 31,85 par bœuf, 39,1 par vache, 12,2 par veau, contre 5 francs pour une bête à laine, 95 francs pour un cheval, 77 pour une jument, 57,2 pour un mulet. Par an, on consomme 3,7 millions de bêtes à cornes, dont 13 % de bœufs, 19 % de vaches et 67 % de veaux, pour, en poids brut (entier) et poids net (viande), 417 et 250 kg pour les bœufs, 240 et 144 kg pour les vaches, 48 et 29 kg pour les veaux, en dessous des valeurs parisiennes des années 1788 et 1791.

85Pour l’année 1840, Mathieu de Dombasle compte 8,67 millions de bovins, d’après les estimations du Ministère de l’Agriculture et du Commerce, contre 6,69 millions en 1819, d’après Chaptal (1841, p. 14-23). En 1841, Pouchet recense, d’après un relevé statistique, 9 130 633 individus, dont 391 151 taureaux, 1 720 143 bœufs d’agriculture, 312 848 bœufs à l’engrais, 3 671 347 vaches d’agriculture, 156 970 vaches à l’engrais et 2 078 174 veaux ; par rapport à Mounier, ce sont 2 millions de vaches de moins, un peu plus de bœufs et un peu moins de veaux. Selon Pouchet, la consommation parisienne annuelle est de 193 000 bêtes, dont 20 000 vaches et 100 000 veaux (p. 217-229).

  • 23 Demonet M., 1990, p. 136-144, 176-181, 183-185.

86L’enquête de 1852, analysée par Michel Demonet en 1985, évalue le nombre de bovins à 14 millions, les trois-quarts des adultes étant des femelles, avec une progression positive depuis le début du siècle, qui paraît bien plus importante entre 1840 et 1852 (+ 5 millions) qu’entre 1806 et 1840 (+ 3 millions). La consommation de viande serait en 1852 de 8,931 kg pour le bœuf (38,34 %), de 3,077 kg pour le veau (13,21 %), la part du bœuf étant globalement forte dans le Centre, du Berry au sud de la Flandre, en passant par l’Île-de-France. On consomme plus de viande de veau dans le Nord que dans le Sud, et l’usage du lait, annexe, est surtout important en Bretagne, en Vendée, de l’Alsace à la Franche-Comté, à l’est du Massif Central et dans les Alpes23.

La conservation des viandes

87Pour ce qui est de la conservation des viandes, les méthodes de salage et de fumure de l’étranger sont connues au Siècle des Lumières, avec déjà des remarques sur ce sujet chez Buffon, en 1749, à propos de l’Irlande, de l’Angleterre, de la Hollande, de la Suisse, dans le Journal œconomique en janvier 1757 sur le salage et la saumure, d’après les travaux de M. Hales. Le commerce des chairs salées transite surtout par Saint-Malo et Nantes, d’après l’article « Bœuf » du Dictionnaire de Commerce de 1723, avec des exportations importantes vers la Martinique et les îles françaises du continent américain.

88En 1809, l’article « Viande » du Nouveau Cours complet présente quelques méthodes de conservation : la viande confite dans la graisse, la viande marinée (application d’acides, et d’acides minéraux), la viande boucanée, la viande cuite, la viande altérée, et la viande desséchée d’après le procédé de Cazalet, professeur de physique et de chimie à Bordeaux, inventé 30 ans avant la publication du dictionnaire.

89La Maison rustique du XIXe siècle (1834-37) présente plusieurs méthodes (t. iii, livre iv, chap. vi, p. 109-119), pour la salaison des viandes, d’après les usages irlandais donnés par le danois Christian Martfeld en 1821, comme on explique que la France n’a pas atteint la perfection des pays étrangers en ce domaine, en conseillant de saler surtout la viande des bœufs engraissés dans de bons pâturages, qui ne doivent pas avoir souffert, et en enlevant les os, d’après des principes de Parmentier. Il est aussi question du boucanage des viandes, toujours d’après Martfeld, sur la viande de Hambourg, et aussi d’après des exemples allemands et anglais. Enfin, on indique l’usage de l’acide pyroligneux, de la saumure faite à partir de suie brillante (méthode de Sanson, en 1824), de la dessiccation (méthodes de MM. Frichou et Decheneaux), de l’eau bouillante (selon M. Murloye), de boîtes hermétiques (chez M. Derosne) ; on présente rapidement le procédé d’Appert, en renvoyant à son ouvrage, Le livre de tous les ménages de 1810.

90En 1837, dans son Petit Cours d’agriculture, Mauny de Mornay regarde le moyen de conservation par le petit-lait, par le charbon végétal et animal, réduit en poudre fine, et par la glace, pour conserver les viandes jusqu’à un mois (t. vii, p. 154-169, dans l’édition de 1842). Pour tenir le produit au-delà d’un an, il faut saler, avec un sel pur et cristallisé, seulement du 1er septembre au 1er janvier, mais avec une altération du goût, comme avec la dessiccation ou l’immersion dans la saumure de suie brillante, l’auteur préférant finalement la méthode de Nicolas Appert, consistant à placer des vases pleins en fer blanc ou en étain dans un grand bain-marie, à haute température, pour réduire le volume d’air et fermer le tout hermétiquement.

Le travail du cuir, une activité en déclin

91Sans aller dans les détails de la transformation des cuirs, d’après les diverses industries, donnons ici seulement les grandes lignes de réflexion des agronomes et économistes au sujet des peaux, dans les domaines de l’économie rurale et du commerce, des éleveurs aux boucheries, des boucheries aux tanneries et autres artisanats, jusqu’à la consommation finale de ce produit.

92En 1758, dans son Dictionnaire de la police, La Poix de Fréminville fait référence à des textes de 1738 et 1739, à l’article « Tanneurs », pour exprimer le fait que les tanneurs ne peuvent s’installer que dans des zones précises, en raison de la puanteur de leur métier. La question des exhalaisons animales revient dans l’article « Air » du Dictionnaire universel de police de Desessarts, en 1786, concernant également les boucheries, d’après des textes législatifs de 1697 et de 1700.

93Sur l’artisanat du cuir, on retient quatre titres importants avant 1780, les Descriptions des arts et métiers, à partir de 1761, deux dictionnaires de Philippe Macquer, en 1766 et 1773, et L’art d’apprêter et teindre toutes sortes de peaux, par le teinturier Quemiset en 1775. Notons que les éditions successives du Cours complet, ainsi que l’Encyclopédie méthodique, donnent des développements plus ou moins complets sur la manière de travailler les cuirs, pour un lectorat certainement peu au fait des techniques, et sans que ces dictionnaires aient des perspectives explicatives importantes en ce domaine, si ce n’est par le biais des sections « Arts et Métiers mécaniques » (1782-91) et « Manufactures, Arts et métiers » (1785-90), un peu plus précises.

  • 24 Delsalle P., 1993, p. 36.

94Au niveau international, le Dictionnaire de Commerce, en 1723, à l’article « Bœuf », précise que l’on va chercher des cuirs dans les Indes, à Saint-Domingue, au Pérou, en Barbarie (Amérique du Sud), à Madagascar, au Cap vert, au Sénégal, à Constantinople, en Moscovie, en Irlande. Au milieu du siècle, on estime que les meilleures tanneries de France sont celles de Paris, Troyes, Coulommiers, Reims, Mézières, Laon, Soissons, Rouen, Caen, Bayeux, Nonancourt, Verneuil, Mantes, Vernon, Chartres, Orléans, Tours, Provins et Beauvais, essentiellement dans le Nord donc24. À Paris, le commerce des peaux se fait dans la halle des cuirs, rue Mauconseil, au centre de la capitale, depuis le début des années 1780.

95Le sujet des cuirs, traité de manière exclusive, apparaît de nouveau à la veille de la Révolution, mais surtout au sujet de leur commerce, en particulier d’un impôt, la « Marque des cuirs » instituée en août 1759. Cet impôt, d’après Rubigny de Berteval, est venu anéantir l’artisanat et le commerce des peaux dans le royaume. Il appuie ce constat sur la diminution, entre 1759 et 1775, de 622 à 198 tanneries dans un ensemble de 40 villes, avec des faillites, des ruines, des émigrations (vers l’Angleterre, la Suède, l’Espagne), et l’obligation d’importer des cuirs anglais, de moins bonne qualité, l’incapacité d’en exporter, comme les droits ont été supprimés dans les autres pays, en Prusse en 1761, en Toscane en 1765, en Hongrie en 1766, pays qui ont par contre institué des droits d’entrée importants, comme le Portugal en 1783 ou 1784. L’auteur, lui-même tanneur depuis 1762, est d’autant plus acerbe que, selon lui, ce nouvel impôt a diminué les revenus de la nation, du fait des nombreuses faillites, qu’il a renchéri les cuirs, moins bons, ce qui en a diminué la consommation : en 1789, il propose la suppression de la Régie des Cuirs, contre un nouveau droit, moins onéreux, et une augmentation de la capitation, plus juste. Joseph-Antoine Bosc d’Antic fait le même constat sur les grands défauts de cette Marque des Cuirs, en 1799 (p. 57). Les dictionnaires encyclopédiques occultent le sujet.

96En 1815, dans l’Examen des principes les plus favorables aux progrès de l’agriculture, des manufactures et du commerce en France, par Legrand de Boislandry, par contre, il n’est plus question d’une supériorité de la France sur l’Angleterre, au niveau de la qualité. Au contraire, l’auteur conseille de faire venir des ouvriers anglais pour améliorer la production française. Il estime un produit total de 60 à 70 millions de francs, de peaux de toutes espèces, dont 24 millions pour les peaux françaises et 5 pour les étrangères, avec un bon développement et quelques perfectionnements depuis l’affranchissement des droits sous la période révolutionnaire, avec d’importants établissements en Flandre, en Picardie, en Normandie, en Dauphiné (t. i, p. 239-241).

97Selon A.-Menut Dessables, en 1824, dans L’Art de fabriquer et d’améliorer les cuirs, les meilleures peaux viennent du Limousin, de l’Auvergne, du Berry, du Poitou, les cuirs de Normandie étant généralement plus grands mais aussi plus minces et d’une qualité inférieure, à cause d’une nourriture trop abondante et trop succulente, qui rendrait les peaux molles et dépourvues de nerfs (p. 246-248). Pour autant, on ajoute que le bœuf du Limousin qui a séjourné en Normandie, après avoir été acheté sur le marché parisien, donne le meilleur de tous les cuirs, dans un cas rare où la capitale joue le rôle de plate-forme entre deux régions. On précise que les seules peaux de l’étranger viennent du Brésil et de l’Argentine, parfois de la Suisse pour une qualité supérieure. Les peaux de vache sont considérées comme les meilleures, loin devant celles de bœuf et de taureau, contre l’avis de Delalande qui estimait que ces dernières étaient supérieures.

98Il est difficile, d’après les seuls écrits consacrés aux cuirs, d’estimer les répercussions de la Marque des Cuirs de 1759, comme on se retrouve devant un débat passionné, mais les sources manuscrites, administratives viennent confirmer le déclin d’un grand nombre de tanneries. Pour ce qui est de la qualité des différentes peaux, la question est réelle dans la pratique, avant la Révolution, mais elle est davantage développée ensuite dans la littérature, du fait d’une ouverture du marché européen et d’un souci d’optimiser la production par le choix raisonné des cuirs et par le perfectionnement des techniques.

Le suif, un produit rarement estimé

  • 25 Bourde A. J., op. cit., 1967, chap. XI.

99On développe brièvement le sujet du suif dans les traités d’agriculture et d’économie rurale, alors que c’est un troisième produit important des bêtes à cornes, bien estimé au XIXe siècle dans le rendement des bovins, avec la viande et le cuir. Francourt, en 1789, est l’un des premiers, dans ses « Observations sur la population des Bestiaux et leurs différentes espèces », à prendre en compte ces produits dans le spectre de l’économie rurale25. À la fin de l’Ancien Régime et au début du XIXe siècle, il est toutefois question du suif dans plusieurs articles de dictionnaires, ainsi dans le Cours complet qui, en 1809, à l’article « Chandelle », note l’importance de cette matière pour la confection des chandelles, avec une préférence pour le suif d’hiver, encore meilleur quand il est vieux.

100L’édition de 1838 du Cours complet précise des avancées scientifiques récentes, d’après les expériences de Braconnot, qui explique que le suif se trouve dans la plupart des corps gras comme les huiles, les beurres, tandis qu’on croyait auparavant qu’on n’en voyait que dans les animaux, avec en outre des travaux chimiques de M. Chevreul sur cette même matière, en reprenant les préférences pour le suif de la vache et pour l’engrais au grain, et en indiquant que sa grande consommation demande des importations non négligeables depuis l’étranger.

Des produits variés

  • 26 Dictionnaire de Commerce, 1723, t. i, « Bœuf », c. 378-382.

101En 1721, au sujet du « Commerce des bêtes à cornes », la Nouvelle Maison Rustique relève d’autres produits des bovins, comme « on vend jusqu’à leurs cornes, parce qu’elles servent à differents usages, surtout aux Ouvriers qui travaillent en cornes, comme Peigners, Tabletiers, aux Corroyeurs, aux Taneurs & autres », comme « on en fait aussi de la collefort » (1re partie, livre 6e, p. 458-459). C’est encore la corne que Buffon met en avant en 1749, comme ce produit, dit-il, « est le premier vaisseau dans lequel on ait bu, le premier instrument dans lequel on ait soufflé pour augmenter le son, la première matière transparente que l’on ait employée pour faire des vitres, des lanternes, et que l’on ait ramollie, travaillée, moulée, pour faire des boîtes, des peignes, et mille autres ouvrages » ; on s’en sert aussi pour fabriquer des écritoires de poche, des étuis à cure-dents26.

  • 27 Dictionnaire de Trévoux, 1767, t. iv, « Fiel », p. 139-140.

102« On se sert en Peinture d’une pierre qu’on appelle pierre de fiel, & qu’on trouve dans les fiels ou amers des bœufs. Elle fait un jaune doré très-beau27. » Les os servent aux tourneurs, tabletiers, couteliers, patenôtriers, fabricants de chapelets, et on les brûle « pour faire ce qu’on appelle du noir d’os, qui sert à la peinture, & à faire l’encre pour imprimer en taille-douce » ; « le nerf qui se tire de la partie génitale du Bœuf, étant sec & préparé en manière de filasse, s’employe par les Selliers, & Faiseurs de battoirs de jeu de paume, qui l’achettent des Marchands Quinquailliers » ; « les boyaux de Bœuf bien dégraissez & préparez, s’appellent Baudruche ; ils servent à faire des moules pour battre l’or & l’argent, pour le réduire en feüilles propres à la dorure », selon l’article « Bœuf » du Dictionnaire de commerce (1723). D’autre part, « le long poil de la queuë après avoir été cordé & boüilli pour le friser, fournit aux Tapissiers & Selliers une partie du crin qu’ils employent ; & avec le plus court on fait la bourre dont on rembourre les selles de chevaux, les basts de mulets, & les meubles de peu d’importance », et « l’on fait aussi entrer le poil de vache dans la fabrique des tapisseries que l’on appelle Bergame, qui se font particulièrement à Roüen & à Elbeuf en Normandie », selon l’article « Vache » du même dictionnaire.

103Le Nouveau Cours complet donne plusieurs articles sur ces autres produits de l’élevage, ainsi sur la « Colle-forte », faite à partir des nerfs, des cartilages, des rognures de peaux, et des pieds de bœufs et de tous les animaux, « qu’on fait macérer, bouillir dans l’eau, jusqu’à ce que le tout devienne liquide », ce qu’on retrouve à l’identique dans l’article « Bœuf » du Dictionnaire de commerce de 1723. Parmentier précise, dans l’édition de 1838, qu’on fabrique de la bonne « Colle-forte » en France, et que celle-ci est d’autant meilleure qu’elle est vieille. Ce produit sert à coller le bois et le carton, par exemple chez les menuisiers. Il est aussi question du « Poil », ainsi en 1809, des poils qui s’emploient, « sous le nom de bourre, à garnir les chaises, les fauteuils, les selles, les colliers ; à consolider la chaux ou la terre dont les maisons rurales sont bâties ».

104En 1830, le chimiste Anselme Payen publie une Notice sur les moyens d’utiliser toutes les parties des animaux morts dans les campagnes, un mémoire couronné par la Société royale et centrale d’agriculture dans sa séance publique du 18 avril 1830. Le texte est repris par la Maison rustique du XIXe siècle, et l’on met en avant l’absence de dangers dans le dépeçage des animaux morts, contre les préjugés.

  • 28 Maison rustique du XIXe siècle, 1834-37, t. iii, livre iv, titre 1er, chap. ii, p. 63-77, section (...)

105On donne ainsi l’usage de la chair, du sang, des os, qui, en Suède, donnent un pain nutritif, mais encore des poils et de la bourre pour la sellerie grossière ou la fabrication de feutres qui viennent doubler les vaisseaux. On préconise la récupération des fers et clous, l’usage des cornes, ergots et onglons pour confectionner des peignes et divers objets, en en faisant de la poudre ou de la râpure pour la tabletterie. Les boyaux, le caecum, première partie du gros intestin, servent à faire des boyaux insufflés, de la baudruche, des cordes, les pis servent à fabriquer des biberons, et les tendons et rognures de peaux donnent de la colle-forte28. Le sang sert également à faire de la sauce, les os à tirer de la graisse pour les machines et essieux, d’après Mauny de Mornay, en 1842 (t. vii, p. 169-177).

106Si les auteurs mettent en avant la richesse des bovins dans les produits qu’ils procurent aux éleveurs, aux cultivateurs, dans leur participation à la marche économique, il faut aller surtout dans les courts articles de dictionnaires pour comprendre la diversité de ces produits, comme les grands traités du XVIIIe siècle, ainsi la Nouvelle Maison Rustique et l’Histoire naturelle, ne développent pas ce domaine. À partir de la Révolution, les auteurs se penchent davantage sur le sujet, le contexte difficile poussant à mieux profiter des divers revenus possibles de l’élevage, de l’utilité de toutes les parties des animaux. La première moitié du XIXe siècle vient confirmer cette tendance, sans véritablement de progrès, d’innovations, quant aux usages, quant aux techniques relatives à la transformation de ces produits annexes, mais avec un réel souci de compter systématiquement ces autres profits, aux côtés des cuirs et du suif, en complément du commerce des engrais et de la viande, en particulier autour de Paris, et dans les espaces urbains, là où les bestiaux sont de moins en moins considérés pour leur travail aux champs.

*

107Les agronomes cherchent des réponses aux carences réelles de la transformation du lait, en termes d’hygiène, de conservation, de structures de production, de commercialisation, en insistant toujours sur la nécessité de propreté. Avec plus ou moins de réalisme, les auteurs donnent des conseils nombreux quant au bâti, quant aux laiteries, mais en en revenant toujours au souci de propreté des pièces vouées à cet usage, contre le coût trop important de dresser un bâtiment spécifique dans la plupart des exploitations, trop petites.

108On trouve certes davantage de détails, avec le temps, sur les ustensiles utiles à la transformation du lait en beurre, en regardant surtout du côté de la Hollande, mais ce sont en particulier les méthodes de fabrication des fromages qui retiennent l’attention, avec l’envie d’accroître une production française de qualité, en allant chercher à l’étranger de meilleures méthodes de travail, en souhaitant que le commerce des fromages français se développe au détriment des fromages hollandais, italiens et suisses, très en vue dans la littérature du XVIIIe siècle.

109Les problèmes de la commercialisation, avec les abus sur le lait, mêlé d’eau, sur le beurre, coloré, rejoignent les soucis de conservation, sur la garde des produits, mais aussi sur les matières qui les contiennent, avec une condamnation unanime du cuivre et la mise en avant de la terre et du fer blanc, d’usage, et quelques tentatives d’amélioration par la conserve, en profitant des avancées scientifiques, en particulier en chimie, et d’après des expériences répétées et critiquées. Les progrès de conservation sont liés au développement des infrastructures de transport, de la voierie, avant l’arrivée de chemins de fer qui désenclavent certains espaces, au détriment d’autres.

110Le souci de progrès est constant parmi les agronomes au sujet des produits et profits de l’élevage bovin. Les avancées scientifiques permettent de mieux connaître les engrais, mais aussi de reléguer de plus en plus les fumiers derrière les engrais salins et terreux et les matières artificielles comme la marne et la chaux, avec des mélanges bénéfiques. Contre l’engraissement qui ne vient qu’en réforme des bêtes de travail, la précocité est mise en avant, d’après des pratiques existantes et qui se développent au XVIIIe siècle, en Normandie, dans le Charolais, mais aussi à l’étranger.

111Sans rechercher la rentabilité absolue de l’élevage, on réfléchit aux moyens d’une efficacité des manières, des soins, de l’utilisation des parties des bestiaux, moins pour dégager d’importantes liquidités chez les grands propriétaires que pour augmenter les revenus relativement faibles des fermiers de petites ou de moyennes exploitations.

Notes

1 Fanica O., in Ethnozootechnie, Hors-série no 4, 2003, p. 14 et p. 6-7

2 Bernard D., in Traditions agronomiques européennes…, 1998, p. 223-237.

3 L’abbé Tessier s’oppose aux dires de Chabert et Fromage de Feugré, « savoir, que le lait qui doit avoir des changemens fâcheux, est terne peu de temps après avoir été trait ; qu’il se développe dans les taches bleues de la crême, une grande quantité de vers blancs semblables à ceux qui éclosent dans la viande ; que quelquefois toute la surface du vase devient bleue subitement ; que le lait, qui éprouve cette coloration, est plus long-temps à se coaguler qu’un autre ; qu’il est dégoûtant ; qu’on ne peut qu’avec peine en tirer le sérum, que le beurre qu’on fait avec sa crême est mauvais, huileux, et exhale une odeur de pourri ; enfin que les vaches qui donnent ce lait en maigrissent. Nous sommes disposés à ne point ajouter foi, d’après notre examen, à la plupart de ces assertions, et à croire que les autres n’ont été suggérées que par des observations faites sur du laitage aigri. » (1806, t. xxviii, p. 62-63).

4 Fanica O., op. cit., p. 16.

5 Ibid., p. 5-10 : il cite Briand J., Manuel complet d’hygiène…, 1832, et Toussenel, « La vache et l’ânesse de Paris », in Journal d’agriculture pratique, nov. 1844, p. 202.

6 Ibid., p. 31-33.

7 BnF, coll. Joly de Fleury, cote 235, dossier 2423, fol. 394 et suiv.

8 Appelé encore « lait Ribotté, ou simplement Babeurre ou Mégue » (édition de 1721).

9 Texte de Desmarets repris en 1828 dans l’Art de faire le beurre et les meilleurs fromages.

10 Meuvret J., 1977, chap. 2, « Les engrais et les amendements », p. 121-143.

11 Usage des cornes comme engrais aussi noté par le Nouveau Cours complet (1809, « Corne »).

12 Abad R., Le grand marché…, 2002, introduction et chap. 3.

13 Encyclopédie méthodique, section « Arts et Métiers mécaniques », 1782, « Boucher ».

14 Weulersse G., 1950, p. 37-38, p. 89, p. 201.

15 Billaud J., in Ethnozootechnie, 1991, no 48, p. 57-66.

16 Nombre que l’on retrouve chez Costaz en 1843 (24,676 millions d’habitants en 1785 ; t. i, p. 241) ; mais Emmanuel Le Roy Ladurie estime, d’après l’historiographie, qu’on a 25,7 millions d’habitants en France en 1760, 26,6 en 1770, 27,55 en 1780, 28,1 en 1789 (2002, p. 475).

17 Le recensement de 1836 donné par Costaz (1843, p. 242-251) compte 33,54 millions habitants.

18 Sauvegrain parle même, pour le « carême civique » de la Révolution, sans production de viandes, d’une punition divine pour avoir transgressé le carême catholique.

19 Halle aux veaux sise sur le quai des Ormes, puis transférée sur le terrain des Bernardin par lettres patentes d’août 1772 (ouverture le 28 mars 1774).

20 Lachiver M., in La France d’Ancien Régime…, 1984, t. i, p. 345-354.

21 Données du Conseil des Cinq Cents délivrées par Lachiver M. (in La France d’Ancien Régime…, 1984, t. I, p. 345-354) : 72 258 bœufs, 13 345 vaches, 97 188 veaux.

22 Cité par Lachiver M., op. cit., t. I, p. 345-354.

23 Demonet M., 1990, p. 136-144, 176-181, 183-185.

24 Delsalle P., 1993, p. 36.

25 Bourde A. J., op. cit., 1967, chap. XI.

26 Dictionnaire de Commerce, 1723, t. i, « Bœuf », c. 378-382.

27 Dictionnaire de Trévoux, 1767, t. iv, « Fiel », p. 139-140.

28 Maison rustique du XIXe siècle, 1834-37, t. iii, livre iv, titre 1er, chap. ii, p. 63-77, section iii.

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