Chapitre II. « Le fascisme ne passera pas. » Février 1934, naissance de l’antifascisme
p. 43-64
Texte intégral
1La manifestation émeutière des Ligues de droite, au cœur de Paris, au soir du 6 février 1934, marque, on le sait, un tournant dans l’histoire politique de la IIIe République1. La démission, le 7 février, du gouvernement Daladier et son remplacement par un gouvernement Doumergue d’Union nationale qui annule, de fait, la majorité de gauche issue des élections législatives de 1932 marque l’abdication du régime parlementaire devant une pression de la rue et révèle la crise profonde du parti radical. La violence des affrontements entre les manifestants et le service d’ordre (18 morts au total), l’origine politique des premiers, le contexte international, un an après l’accession de Hitler à la chancellerie allemande, sont autant d’éléments qui, à gauche, font croire à une version française de la « Marche sur Rome » de Mussolini.
2Les « journées républicaines » des 7 au 12 février 1934, où se multiplient, en réplique au 6 février, les manifestations de rue avec, comme point d’orgue, la grève générale et le défilé parisien du lundi 12 février du cours de Vincennes à la Nation, marquent incontestablement la naissance, à une échelle de masse, de « l’antifascisme » en France. Celui-ci s’affirme vite comme une composante majeure des cultures politiques de gauche, en particulier, mais pas seulement, socialiste et communiste. Une formule, appelée à un grand avenir et scandée par des générations successives de manifestants, le résume tout entier « Le fascisme ne passera pas ». Émise par Léon Blum sur les bancs de l’Assemblée au soir du 6 février (« La réaction fasciste ne passera pas »), reprise dans son allocution improvisée le 12 place de la Nation (« La preuve est faite. La province soulevée tout entière, Paris rassemblé dans cette manifestation signifient aux hommes du fascisme et du royalisme que la réaction ne passera pas. Vive la république des travailleurs. Vive la liberté. Vive l’unité prolétarienne sans laquelle aucune victoire n’est possible. Vive le peuple ouvrier de Paris2 »), elle barre la « Une » du Populaire le 13 février, donne le titre d’un tract de la Ligue communiste (trotskiste) et d’un appel de Victor Basch « aux ligueurs »3. Dès l’année suivante, elle illustre une « carte souvenir » de la manifestation éditée par la « Librairie populaire » de la SFIO4, avant de connaître en 1936, après le fameux No pasaran de la Pasionaria5 un succès général auquel la référence (consciente ?) à l’esprit de Verdun n’est sans doute pas étrangère. La célèbre formule « Verdun. On ne passe pas ! » ou « Ils ne passeront pas », attribuée à Pétain en 1916, se trouvait déjà dans une iconographie patriotique antérieure à 1914. Elle est reprise par la masse des combattants, par l’artisanat de tranchées et la chanson populaire, et largement diffusée pendant puis après la Grande guerre6. Son succès dans un autre contexte, en 1934, et son application par la gauche à des manifestants « nationaux » qui se veulent, sans doute davantage qu’elle, les héritiers de Verdun, n’est pas sans signification. Comme en 1916 contre l’envahisseur allemand, il faut cette fois faire barrage à un ennemi menaçant la République française, un ennemi à double visage, l’un des deux, tel Janus bifrons étant tourné vers l’extérieur, l’Allemagne du IIIe Reich, bien plus menaçante que l’Italie de Mussolini dix ans plus tôt.
3Les manifestations républicaines de février 1934 s’intègrent d’emblée au patrimoine mémoriel des gauches françaises, dans la diversité de ses composantes. Commémorées dès l’année suivante, et pour longtemps, en tout cas fortement jusqu’en 1964, elles ont pris au fil du temps et des réécritures successives, une valeur mythique, illustrée par la fiction littéraire et le film documentaire. C’est surtout vrai dans les années 1970, où, à l’ombre du « Programme commun », paraissent les films d’Henri de Turenne et de Claude Santelli et Françoise Verny, ainsi que les témoignages de Clara Malraux, Lucie Mazauric et Fred Zeller7. Les romans autobiographiques de Jean-Pierre Chabrol et André Wurmser contribuent à cette lecture, dont ils sont une composante à part entière8. Socialistes, communistes, trotskistes, s’ils divergent dans l’attribution de l’initiative, voient dans cette mobilisation l’incarnation des vertus de l’unité, positive comme telle, et l’illustration de la dynamique de « l’antifascisme », comme mythe mobilisateur. La scène matricielle de l’unité antifasciste se tient à Paris, place de la Nation où les cortèges des deux frères ennemis, socialiste et communiste, sont censés fraterniser dans une embrassade aussi fraternelle qu’inattendue et maintes fois décrite. Jean-Louis Bory, alors au sommet de sa notoriété de critique, commente ainsi, en 1970, pour Le Nouvel Observateur le documentaire d’Henri de Turenne :
« Une manif’, c’est d’abord une foule à sens unique, elle sourit parce qu’elle se sent foule et unanime, elle avance entre la double haie des maisons et (parfois) des arbres, en lançant en l’air des mots qui se collent aussi sur des pancartes pour continuer à flotter au-dessus des têtes. Un beau jour, à Paris, une foule comme ça descendait par une avenue ; une autre exactement pareille descendait par un boulevard. Ces deux foules se haïssaient l’une l’autre. Du moins, les dirigeants de chacune d ‘ elles avaient décidé qu’elles se haïssaient. D’un côté les communistes, de l’autre, les socialistes (à l’époque, c’était quelque chose). Ils manifestaient chacun de son côté contre les fascistes. Ils se rencontrent ! Vont-ils se sauter dessus ? Quelques secondes de flottement – et puis la base se rue, elle crie “unité d’action !” Les deux foules s’embrassent, les dirigeants se décident à sourire, à se tapoter les omoplates, les deux foules n’en font qu’une et cette unique foule avance. Voilà. C’est très beau. C’est ainsi que, ce jour-là, à ce carrefour de Paris, est né le Front populaire. C’est la séquence la plus émouvante du film de Turenne9. »
4Six ans après, dans le film de Claude Santelli, la voix off qui commente des images de la manifestation, ménage un instant de suspense dramatique : « Ils sont là, de chaque côté de la place. Ils montent les uns vers les autres… Ils vont peut-être s’affronter. » Mais, en l’absence de correspondance entre les images et le commentaire, la seule référence du propos est le témoignage de Charles-André Jullien qui relie les embrassades à « l’impératif catégorique que nous imposait le peuple ».
5L’historien se doit, pour dégager le contenu et le sens de ces démonstrations, gratter le palimpseste des réécritures successives et tenter de retrouver, dans une démarche positiviste qui fonde la possibilité même de l’écriture historique, la réalité des événements. Il ne part pas de rien, même s’il n’existe pas d’étude spécifique de la manifestation parisienne, en-dehors du livre contemporain de l’écrivain Marc Bernard et des quelques pages que nous lui avions consacrées dans un ouvrage antérieur10. Dès 1966 cependant, les manifestations en province faisaient l’objet de l’étude pionnière d’Antoine Prost, qui en dégageait les principales caractéristiques11. L’historien en concluait que ces retrouvailles « à la base » marquent bien « la naissance du Front populaire dans les masses, sinon parmi les hommes politiques ». Plus récemment, Danielle Tartakowsky s’est attachée à inscrire cette séquence comme une charnière dans la longue série des manifestations de rue en France au XXe siècle : moment de manifestations nationales, et plus seulement parisiennes, les journées de février influent directement, et pour la première fois, sur la chronologie du politique12. En s’appuyant sur ces travaux, il s’agira ici de s’interroger sur le type d ‘ antifascisme qui se fixe pendant ces quelques journées de « Grande peur des républicains », et sur le contenu qu’il revêt13.
Prodromes de 1934 : la montée d’une « demande » antifasciste
6Un des éléments majeurs qui explique la rapidité de la cristallisation antifasciste de février 1934 réside dans l’attention, l’émotion et la peur qui saisissent de larges segments de l’opinion devant la poussée du parti nazi, révélée aux élections allemandes de septembre 1930. On sait les difficultés d’une étude de l’opinion, particulièrement avant l’existence de ces instruments indispensables que sont les sondages et autres enquêtes statistiques. La question, sans avoir donné lieu à la grande synthèse nécessaire, a fait l’objet de nombreux travaux partiels, centrés sur la presse et insistant sur ses erreurs d’analyse14.
7En l’absence d’une telle étude, on peut déjà relever quelques indices quantitatifs. Les éditeurs publient en 1930 treize ouvrages sur l’Allemagne, huit en 1931, onze en 1932, trente en 1933, pour l’essentiel des récits de voyage, parfois signés par des « plumes » de l’époque : André Chamson, Philippe Barrès, Henri Béraud, Raymond Recouly ou Jérôme et Jean Tharaud15. Mein Kampf est présenté et longuement cité dans le livre de Charles Appuhn, bibliothécaire au Musée de la Guerre (future BDIC de Nanterre), Hitler par lui-même d’après son livre Mein Kampf16.
8Les grandes revues du moment, mensuelles ou bimensuelles, consacrent à l’Allemagne 36 articles en 1932 et 17 en 1933, pour l’essentiel dans des revues « de droite » Mercure de France, Revue de France, Revue universelle ou Revue des deux mondes17. À gauche, Europe publie onze articles en 1932, trois en 1933, Vu un numéro spécial en avril 1932 sur « L’énigme allemande » et la Nouvelle revue française, l’important article de Brice Parain et Georges Blumberg « Documents sur le national-socialisme », en août 1933. Le quotidien socialiste Le Populaire publie du 25 juin au 13 juillet 1933, avec l’accord de Léon Blum, une série d’articles de Daniel Guérin, « Après la catastrophe », issus de son voyage d’avril-mai 1933 en Allemagne18. La presse régionale « couvre » également les événements d’Allemagne, parfois de façon remarquable comme dans Le Progrès de Lyon, seul quotidien régional à disposer d’un correspondant sur place19.
9Il est difficile de déduire des conclusions définitives de cet état de fait : presse quotidienne, revues et maisons d’éditions ont publié une quantité importante d’analyses et informations sur le mouvement nazi, qu’on ne peut, sauf anachronisme, rejeter comme non pertinents. L’article de la NRF, qui s’efforce d’analyser « ce problème pour le moins étrange… du point de vue classique de la lutte des classes » – « comment les masses prolétarisées ont donné leurs voix à un parti présenté comme à la solde de l’industrie lourde ? » – cherche une réponse dans « l’anti-industrialisme du mouvement », qui permet d’associer paysans, employés, chômeurs contre le « système » : « Un terme qui englobe à la fois le régime qui applique le traité de Versailles, le marxisme, l’organisation financière liée au capital étranger qui secrète le chômage. » Daniel Guérin, témoignant sur la « peste brune », insiste sur la puissance de la vague hitlérienne, « surgie du fond du peuple allemand ». De manière générale, la presse française, à l’image du Progrès de Lyon, qualifie systématiquement de « raciste » le parti, puis le gouvernement hitlérien, un qualificatif qui porte un jugement implicite, mais juste, sur le mouvement, mais fait aussi la rime avec « fasciste »20.
10De la même façon, les rapports des préfets et les sources policières montrent la multiplication dans le pays de réunions publiques sur « le fascisme ». Les plus nombreuses sont, sans conteste, à l’initiative de la Ligue des droits de l’homme, associée à sa consœur italienne en exil, la LIDU (Lega italiana dei Diritti dell’Uomo) plus rarement à la Ligue allemande. On trouve dans les archives de la Ligue un état précis des tournées organisées de 1932 à 1934 pour Luigi Campolonghi, secrétaire de la LIDU et franc-maçon, qui témoigne d’un quadrillage serré du pays, spécialement dans les départements ruraux et les petites localités, privilégiées par rapport aux préfectures21. On mentionnera, à titre d’exemple, le calendrier pour la seule année 1933 : douze localités visitées en Ardèche du 12 au 21 janvier, cinq en Dordogne du 8 au 12 février, suivies de huit en Charente du 13 au 19, onze en Ariège du 18 au 26 mars, neuf en Gironde du 10 au 17 juin, neuf dans les Landes du 19 au 25 juin, cinq dans le Doubs du 5 au 9 juillet (mais pas Besançon), treize dans les Vosges du 28 septembre au 8 octobre (mais pas Épinal), neuf en Charente Inférieure du 18 au 25 octobre, neuf dans les Basses-Alpes du 8 au 15 novembre, douze dans l’Allier du 2 au 11 décembre. Les thèmes sont toujours « Fascisme et démocratie » ou, moins fréquemment, « Le problème franco-italien », sujet d’un livre de Campolonghi. Une autre tournée, plus restreinte, est organisée avec Helmuth von Gerlach, de la Ligue allemande, sur le thème « France, Allemagne et paix européenne », ce qui permet à l’orateur, ajoute la circulaire, « d’aborder toutes les questions qui, à l’heure actuelle, inquiètent l’opinion républicaine » : dix réunions dans les Bouches-du-Rhône du 21 au 29 octobre 1933, onze dans la Manche du 9 au 17 décembre, dix dans la Loire du 6 au 14 janvier 193422. Il faut décompter aussi, en plus de ces tournées, des meetings de plus grande envergure : 400 personnes à Nice le 8 avril avec Émile Kahn et Luigi Campolonghi, 1 200 à Amiens le 13 mai « contre tous les fascismes » avec Kahn encore, l’Allemand von Gerlach et l’Italien Mario Pistocchi, autant à Bordeaux le 15 octobre « pour la paix, contre le fascisme » avec Victor Basch, von Gerlach et Luigi Campolonghi, 2 000 à Valence le 23 septembre sous la présidence de Jules Moch et avec le soutien du PCF et des radicaux23.
11D’autres initiatives, en provenance du PCF et de ses organisations satellites (CGTU, Secours rouge, « comité d’aide aux victimes du fascisme hitlérien ») sont centrées sur la dénonciation du procès de Leipzig contre les « incendiaires du Reichstag », Dimitrov et ses compagnons. L’épais dossier de rapports de police conservé aux Archives nationales à cette question signale une audience supérieure à celle des réunions communistes « habituelles »24.
12Reste à se demander quels sont les liens et corrélations établis entre le triomphe nazi et la situation intérieure française ou, plus directement, entre « racistes » allemands et « Ligues » françaises, amalgamés dans un « fascisme » plus redoutable que dans les années 1920, à la fois pour des raisons externes (l’ennemi héréditaire allemand, avant même d’être nazi, est bien plus redoutable que l’italien, fût-il fasciste) et internes (la poussée des Ligues en 1933-1934, par-delà son ampleur, intervient dans un contexte de crise multiforme).
13Les réponses sont diverses. Si Léon Blum est l’un des rares à affirmer explicitement que le « racisme hitlérien » est « l’arme de toutes les réactions dans notre pays », Daniel Guérin conclut sa chronique du Populaire par un avertissement à ses lecteurs français : la peste brune n’est pas une affaire de « boches », mais une idéologie et un système international : « Si nous ne pénétrons pas jusqu’au fond de ses redoutables doctrines, si nous n’apprenons pas à lui répondre, nous subirons le sort des Italiens et des Allemands25. » Quelques rapports de police, comme à Lens (Pas-de-Calais) indiquent que « la classe ouvrière suit avec la plus vive attention et non sans inquiétude la politique du gouvernement Hitler » : « Au cours du meeting tenu le premier mai, quelques orateurs, inquiets de l’anéantissement du socialisme et du syndicalisme en Allemagne, demandèrent à l’orateur confédéré si le même sort ne leur était pas réservé un jour en France ; il leur fut répondu que le régime fasciste ne pourrait s’implanter dans notre pays26. » Mais, de manière plus générale, l’ensemble des rapports préfectoraux insistent sur « l’émoi » (février 1933, Doubs), la « préoccupation » (mars 1933, Drôme), « l’attention » (avril 1933, Finistère) que suscite la situation en Allemagne27. Aux deux extrémités du pays, dans deux départements aussi rural pour le premier que le second est urbanisé, le rapport du préfet de Dordogne fait écho à celui du commissaire de Feignies (Pas-de-Calais)28 :
« Ce sont toujours les événements qui se déroulent en Allemagne qui retiennent toute l’attention du public et l’on peut dire que tout ce qui s’y passe est aussitôt commenté par tout le monde… L’incendie du Reichstag est mis sur le compte des nazis qui ont profité de cette catastrophe pour sévir contre les républicains, les socialistes et les communistes. Bien que la population s’attende à tout de la part d’Hitler et de ses troupes d’assaut, les arrestations en masse ont provoqué un mouvement d’indignation à l’égard des dirigeants du Reich »
14écrit le premier le 4 avril, alors que le second constate le 31 mai :
« Pendant le mois écoulé, l’attention du public a été plus particulièrement retenue par les événements de politique extérieure et principalement par ceux qui se déroulèrent en Allemagne. Les manifestations tapageuses de ces derniers mois auxquelles la majorité de ce peuple exalté a pris part, n’ont pas manqué de laisser une profonde impression et le récent discours du chancelier Hitler a été très commenté. »
15Dans la presse des partis de gauche, particulièrement à l’échelle locale, plus sensible aux aspirations et inquiétudes des militants, plusieurs articles vont dans le même sens. Un éditorial du Travailleur de l’Ain, hebdomadaire socialiste, souligne ainsi que « depuis l’avènement de Hitler, l’hypnose du fascisme se répand dans tous les esprits, surtout en France29 ». « Les fascismes varient : raciste, brutal, à base socialiste en Allemagne. Corporatif, plus modéré, réactionnaire économiquement, antisocialiste en Italie. Le cachet fasciste porte des initiales différentes. » En France, où « le dégoût de l’hitlérisme a imprégné tous les cœurs », l’impuissance gouvernementale, l’hostilité envers les fonctionnaires, le désarroi des esprits font peser le risque d’une « dictature pacifique ». Le Travailleur alpin, hebdomadaire communiste de la région de Grenoble, publie en décembre 1933 une « Lettre ouverte et anonyme à Paul Faure et Maurice Thorez » signée « d’un de ces nombreux prolos qui ne veulent pas être fascistes ». L’auteur en appelle à l’unité devant la menace d’un fascisme qui vient « soit à faisceaux découverts, soit – et c’est bien pire – enveloppé dans le néo-socialisme30 ».
16La mesure de ces différents éléments, même s’il n’est pas possible d’en proposer une évaluation quantitative plus précise, montre bien la poussée dans l’opinion, par de multiples canaux, d’une « demande » antifasciste, qui associe préoccupations nationales et transnationales. Les journées de février 1934 marquent le point de rencontre entre cette demande et une « offre politique » antifasciste, elle-même différenciée.
« Le grand coup », la manifestation parisienne du 12 février : légende et réalité
17Parce qu’elle prend place dans la capitale, parce qu’elle implique les états-majors nationaux des partis et des syndicats, parce qu’elle apparaît comme la réplique directe à l’émeute du 6 février, la manifestation parisienne du 12 février, « le grand coup » qui ordonne la conclusion du roman autobiographique d’André Chamson31, acquiert immédiatement une importance particulière.
18Celle-ci ne tient pas à la célèbre « rencontre » place de la Nation des cortèges de frères ennemis qui communient dans la surprise joyeuse de l’unité retrouvée. Comme nous l’avons déjà montré32, cette rencontre, sous la forme mythifiée que lui a donné la légende, est largement une construction mémorielle. Les sources policières sont muettes sur « l’événement » supposé33, comme l’ensemble de la presse quotidienne d’informations ainsi que L’Humanité qui parle d’une « énorme colonne » tournant autour de la place. Seule la « une » du Populaire décrit une descente parallèle du cours de Vincennes (deux voies séparées par un terre-plein central), socialistes à gauche, communistes à droite, puis un contournement dans les deux sens de la place de la Nation, suivi d’une fusion « l’un dans l’autre aux cris mille fois répétés de Unité ! À bas le fascisme ! » Pour autant, le récit détaillé de la manifestation, publié par le quotidien socialiste en pages intérieures, confronté avec les autres relations contemporaines, fait apparaître clairement que se sont succédés plusieurs croisements de cortèges. Un premier prend place cours de Vincennes, quand les manifestants communistes remontant de la Nation pour rejoindre leur point de rassemblement à la hauteur de la rue des Pyrénées, rencontrent le cortège socialiste en formation à la hauteur de la rue Marsoulan, bien décrit par Le Petit Parisien34 :
« À l’angle de la rue Marsoulan et de la rue des Pyrénées, des groupes de manifestants commencent à se former. M. Paul Faure, quelques parlementaires et conseillers municipaux socialistes sont déjà là. Et à 14 heures, un cortège de 5 000 communistes appartenant pour la plupart aux cellules des XV et XX arrondissements débouchent de plusieurs rues et se groupent à proximité de la porte de Vincennes. Des socialistes SFIO surviennent à peu près au même instant. Ils se placent en tête du cortège qui, tout à l’heure, va se mettre en marche vers la Nation. Dans ce coin, on peut évaluer à 15 000 les manifestants. Et, déjà, la place de la Nation se trouve complètement envahie par la foule, comme d’ailleurs le cours de Vincennes. Au reste, elle continue, la foule, de déboucher par tous les boulevards… Un long cortège, en effet, arrive de la Nation, vient prendre la tête de la manifestation. Aussi bien, y a-t-il, en plus, beaucoup de curieux – et, nous l’avons dit, de curieuses – qu’il va falloir faire se masser sur les côtés du large cours avant que s’ébranle, vers la Nation, le si long cortège. En tête des deux groupes qui bientôt n’en feront plus qu’un, l’on distingue des parlementaires communistes et SFIO, des conseillers municipaux munis de leur écharpe… L’Internationale retentit. Et, à quinze heures, le cortège se met en marche. »
19Même relation dans Excelsior :
« Le point de rassemblement est fixé à l’intersection de la rue des Pyrénées et du cours de Vincennes. Sur cette large voie, des groupes formés autour de drapeaux rouges ou de pancartes, se trouvaient dispersés entre la place de la nation et le cours de Vincennes. Les nouveaux arrivants, de plus en plus nombreux, à mesure que l’heure avançait, venaient sans cesse grossir les groupes et bientôt le cours de Vincennes tout entier fut empli par une foule considérable… À quinze heures précises, le cortège s’ébranle. »
20De son côté, l’écrivain Marc Bernard, qui écrit quelques semaines après les événements, décrit en des termes usuellement réservés à la « rencontre » de la Nation, la première fraternisation cours de Vincennes :
« Mais, soudain, un vaste remous agite l’avant-garde de la manifestation. Voici que, venant de la place de la Nation, une foule imposante monte le cours de Vincennes en chantant l’Internationale, précédée de drapeaux rouges. Et à mesure que les arrivants s’avancent on peut distinguer la faucille et le marteau entrecroisés, d’un métal étincelant qui surmontent la hampe de leurs emblèmes. Les chants peu à peu s’éteignent pour cesser tout à fait en arrivant à la hauteur du groupe socialiste. Il y a un instant de silence, dominé faiblement par des voix lointaines qui viennent du milieu et de la fin du cortège, où les uns et les autres paraissent s’observer. Les passions vont-elles l’emporter une fois de plus ? Les Guelfes et les Gibelins du prolétariat, oubliant la gravité de l’heure, le péril commun, vont-ils reprendre aujourd’hui encore leur lutte fratricide ?… Mais voici que, rompant enfin cette angoisse, un poing se dresse, non pas pour frapper mais pour saluer par ce geste de volonté de lutte contre l’ennemi commun… une formidable clameur monte, monte sans arrêt, arrachée aux entrailles mêmes de ceux qui scandent avec une sorte de foi sauvage, farouche : Unité ! Unité d’action ! Elle gronde dans l’avenue qu’elle emplit jusqu’au ciel d’une rumeur d’océan ; elle remonte de rang en rang jusqu’à la fin du cortège, elle s’étend et gagne avec une rapidité de flamme la porte de Vincennes.
C’est fini. Les uns et les autres se précipitent dans l’espace resté vide, roulent en avalanche, se mêlent, et bientôt il n’y a plus là qu’une seule masse confondue35. »
21Une seconde rencontre a lieu sur la place de la Nation, quand les cortèges qui contournent la place avant de fusionner, mélangent déjà des militants de toutes tendances, y compris les nombreux « curieux » signalés par la presse. Là encore, les comptes-rendus, même s’ils divergent dans le détail, ne distinguent pas particulièrement « l’événement » passé dans la légende. Excelsior, comme le Petit Parisien, voient un cortège indifférencié contourner la place, avant d’écouter les harangues, qui de Léon Blum, qui de Duclos et Vaillant-Couturier, avant de refluer cours de Vincennes et de se dissoudre. Seul Le Journal, repris par Marc Bernard, signale un contournement différencié de la place selon l’appartenance partisane (socialistes à gauche, communistes à droite) mais fixe la rencontre des têtes de colonnes après le discours de Blum, au moment où le gros du cortège, emmené par les socialistes, rebrousse chemin cours de Vincennes :
« M. Léon Blum s’avança au milieu d’un cercle de militants faisant la chaîne. Devant un micro installé à la hâte, d’une voix hachée et sifflante le leader SFIO fit une brève allocution. Le cortège, qui avait poursuivi sa marche, emplissait maintenant de sa masse tumultueuse, la place entière et une partie du cours de Vincennes, noirs d’une foule que certaines évaluations chiffrent à plus de 250 000 personnes. La tête de la colonne communiste… arrivait à toucher celle de la colonne socialiste, tandis que de petits détachements cherchaient à la tourner et à l’entraîner vers le boulevard Voltaire, aux cris de “à la République, à la République”… Cependant les socialistes avaient fait demi-tour et redescendaient calmement vers la porte de Vincennes, sans souci des tentatives… de quelques communistes mêlés à eux36. »
22Quant au Populaire, sa relation se contente de quelques modestes lignes pour rendre compte de ce qui n’apparaît pas encore comme un fait majeur : « Le cortège communiste, un peu avant d’atteindre la place de la Nation, rejoint le cortège socialiste. L’un prend à droite, l’autre à gauche, puis, s’étant rejoints, ils fusionnent en un meeting autant monstre que symbolique. »
23La conclusion semble claire : c’est bien la mémoire collective qui a retenu, pour la magnifier à jamais, la séquence de la Nation en la transformant en « scène primitive » de l’unité retrouvée et surtout « imposée » par les masses. Le cadre majestueux d’une des plus vastes esplanades de la capitale, le poids symbolique de son appellation et du nom (« le Triomphe de la République ») du groupe sculpté par Dalou en 1899 au pied duquel l’embrassade collective est censée prendre place, expliquent aisément pourquoi le souvenir s’est fixé sur ce moment et cet emplacement. La manifestation parisienne importe essentiellement par son sens : elle anticipe sur les grands défilés unitaires de 1935 et 1936, « aux jours ensoleillés du Front populaire »37.
24Son contenu est plus difficile à évaluer, en l’absence de préparation commune des différentes organisations et d’ordre du jour adopté par les manifestants. Les photographies et les films d’actualité38 donnent à voir une foule essentiellement masculine, l’inexistence de banderoles confectionnées, peu de drapeaux et de poings levés (contrairement à ce qui s’écrira plus tard), l’abondance en revanche de pancartes manuscrites où l’on peut lire : « Il faut choisir : socialisme ou fascisme », « L’Ordre, c’est le socialisme », « L’unité ouvrière, c’est la paix », « La liberté ou la mort », « Le Bloc national, c’est la guerre », « Face à la dictature, l’insurrection est un devoir, « Quand le peuple croise les bras, le fascisme est vaincu » « Tous les noms, tous les coupables », « Nous exigeons la publication des chèques Stavisky ». La bande sonore des documentaires laisse entendre des bribes d’Internationale et de Jeune garde, et des mots d’ordre où reviennent « Chiappe en prison », « Les voleurs à la guillotine », « À bas le fascisme, à bas le fascisme, à bas » sur l’air des lampions, « Unité d’action », sans compter, dans les rangs communistes, « Les soviets partout ». Le Petit Parisien note que le texte des pancartes et les mots d’ordre sont majoritairement « inspirés de l’affaire dont on ne saurait oublier qu’elle fut la cause de tant de drames39 », c’est-à-dire l’affaire Stavisky et ses conséquences directes, révocation du préfet Chiappe et émeute du 6 février. En fait, les mots d’ordre, qu’ils soient scandés ou affichés, conjuguent essentiellement les références explicites à la version jacobine de la tradition républicaine40 et l’appel au châtiment des « vrais coupables » : « Chiappe en prison », comme le signalent tant L’Humanité que Le Populaire, fait l’unanimité des manifestants, quelle que soit leur préférence politique. La perspective politique dessinée reste cependant dans le registre de l’abstraction. On ne peut opposer au « fascisme » qu’un « socialisme », parfois identifié à « l’ordre », mais désincarné. Ce sont les manifestations en province qui vont donner à l’antifascisme de février 1934 son contenu spécifique et le constituer en mythe mobilisateur pour l’ensemble de la période.
Les manifestations républicaines en province : un antifascisme jaurésien
25On sait, depuis l’étude d’Antoine Prost, que ces manifestations furent nombreuses (346 localités concernées le 12 février), précoces (une trentaine dès le 8 février, 63 le dimanche 11), le plus souvent à l’initiative de la CGT, fréquemment unitaires (11 sur 30 le 8 février, 161 sur 346 le 12), alors même que le PCF, rallié dès le 9 février à la grève générale, n’appelle à manifester que la veille41. L’historien concluait que ces retrouvailles « à la base » marquent bien « la naissance du Front populaire dans les masses, sinon parmi les hommes politiques ».
26L’agencement des manifestations de l’époque met à notre disposition une source supplémentaire de connaissance, peu exploitée jusqu’ici : les « ordres du jour » votés par acclamation en début (rarement) ou en fin (plus fréquemment) de manifestation. Les courts textes adoptés dans cette séquence initiale ou finale du « moment manifestant »42, dans la rue, sur une place ou dans une enceinte fermée (théâtre, salle des fêtes…) témoignent, par leur vocabulaire, leurs références historiques et politiques, leurs revendications immédiates, leur horizon d’attente, d’une culture politique souvent bien identifiable. Ils fournissent, en association avec d’autres indications, des éléments d’interrogation et de compréhension sur l’antifascisme, au moment même où se cristallise ce qui devient une composante majeure des cultures politiques de la gauche française, voire même une culture politique à part entière, hybride et « transversale » aux différents courants tout à la fois.
27Du 7 au 12 février 1934, nous avons recensé 453 manifestations, dans 356 localités différentes, un quadrillage exceptionnel, qui touche l’ensemble des départements français43. Sur ce nombre, nous possédons le texte de 49 « ordres du jour », auxquels s’ajoutent, dans les différents comptes-rendus, d’autres indications44. Dans cette masse, nous avons cherché à identifier les textes qui correspondent aux topoi et au vocabulaire des trois grandes cultures politiques de gauche de l’époque, socialiste, communiste et républicaine45.
28Bien entendu, il existe des zones de recouvrement entre ces différentes cultures : depuis la « synthèse jaurésienne », les socialistes lient leur acceptation et leur défense de la « République politique » à la perspective de « République sociale », dont la première fournit à la fois le socle et le tremplin46. De la même façon, les radicaux, et les groupements qui leur sont liés, n’excluent pas de leur culture « républicaine » une dimension sociale, une référence au « peuple » et, en province, particulièrement dans les petites localités, le « bloc des rouges », ou plutôt des « rouges-bleus », reste une référence inclusive de toutes les gauches47. Quant aux communistes, on sait que leur orientation politique du moment, dictée par l’IC, exclut toute référence républicaine au profit de références purement « classistes » ou « prolétariennes », rejetant d’ailleurs les socialistes. Les représentants du PCF à la tribune du « meeting antifasciste » de Carpentras (Vaucluse), le 18 février, incarnent parfaitement cette orientation, lorsqu’ils profèrent que « les membres du parti ne sont pas des démocrates, que la démocratie n’a jamais rien donné de tangible » et qu’« on n’a pas à défendre une République qui a fait fusiller les manifestants du 6 février »48. Pour autant, l’importance de la dynamique qui entraîne organisations et militants communistes dans le courant « antifasciste » invite à s’interroger sur le degré d’acculturation de ce type de propositions, et, a contrario, sur la pérennité de l’imprégnation républicaine ou « jaurésienne », dans leurs rangs.
Les ordres du jour « républicains »
29L’idéaltype de l’ordre du jour « républicain » est bien représenté par la motion votée le 9 février au théâtre de Bourg-en-Bresse (Ain) :
« 800 citoyens réunis au théâtre de Bourg, indignés du véritable attentat contre le suffrage universel que constitue la démission imposée sous la menace fasciste à un ministère investi de la confiance massive du Parlement, affirment leur attachement indéfectible aux institutions républicaines, se déclarent décidés à les défendre par tous les moyens en leur pouvoir49. »
30En mettant l’accent sur la démission contrainte du cabinet Daladier, le 7 février, le texte indique que l’essentiel réside dans la défense des « institutions républicaines », telles qu’elles sont, dans leur essence comme dans leur fonctionnement. Gouverne qui est investi de la « confiance du Parlement », lui-même fondé sur le libre suffrage du peuple.
31De tels ordres du jour sont rares. On peut citer dans le même registre les motions de confiance et d’hommage à Eugène Frot, ministre de l’Intérieur du gouvernement Daladier et l’une des cibles favorites des Ligues, que l’on rencontre dans quatre localités. À Montargis (Loiret), terre d’élection du ministre, à l’issue d’une « manifestation en l’honneur de M. Eugène Frot », une motion de la fédération locale de la Ligue des droits de l’Homme est adoptée, qui assure : « M. Eugène Frot de son estime pour le courage avec lequel il a su s’acquitter de sa lourde charge de ministre de l’Intérieur au moment où les ennemis de la République livraient au régime un assaut décisif les armes à la main, le félicite de sa clairvoyance d’homme d’État républicain et lui exprime… son cordial attachement et sa sympathie profonde50. » Des textes semblables sont votés à Carmaux (Tarn)51, Commentry (Allier)52 et Vesoul (Haute-Saône), où un télégramme félicite Frot pour avoir « déchiappé [sic] Paris et sauvé la République »53. Il faut y ajouter bien sûr les lettres directement adressées à Daladier et les prises de position d’organismes du parti radical, comme à Vincennes, où le comité local adresse « aux citoyens Daladier et Frot menacés brutalement par les fascistes et les Camelots du Roy, l’assurance de sa sympathie » ou dans la fédération du Vaucluse qui « félicite le président Daladier de son attitude courageuse » et… « invite expressément le parti radical à exclure de son sein tous les parlementaires qui se sont adonnés à de coupables tractations54 ». Parfois, comme à Saillans (Drôme), le texte adopté se prononce en négatif contre le parti radical, « incapable de sauvegarder les institutions républicaines », mais c’est pour mieux féliciter l’élu local, « le citoyen Lisbonne, sénateur de la Drôme » pour « son acte d’indépendance » envers son parti55. À Neuville-sur-Saône (Rhône), les « citoyens organisés », constatant « le déchaînement des forces réactionnaires, même dites républicaines », « regrettent la capitulation du ministère Daladier, qui donne des forces nouvelles à la réaction »56.
32On peut ranger aussi dans la même catégorie, dans un registre plus « socialisant » les textes adoptés à Château-Thierry (Aisne) où les manifestants affirment que « le pays de 89 luttera par tous les moyens pour conserver les libertés chèrement acquises », réclament une République « probe et sévère qui, appuyée sur le monde des travailleurs honnêtes, sera pacifique et invincible »57, à Langeac (Haute-Loire) où « tous les rouges » sont unis pour la République, « paysans des montagnes de Haute-Loire, classe ouvrière, élus et citoyens républicains… autour des associations de liberté et de progrès social et de notre ami Maurice Thiolas », à Brioude (Haute-Loire) où l’ordre du jour affirme que « le pays, la démocratie, la République, tout cela se confond du berceau au tombeau » et que « le sang versé depuis le 14 juillet 1789 jusqu’à 1919 sur les barricades… est celui de la classe laborieuse58 ». Au total, nous dénombrons une dizaine d’ordres du jour « républicains », tous, au-delà de leurs inflexions particulières, partageant un attachement commun non seulement aux libertés publiques, mais au régime qui les fonde et les autorise, sans avancer la perspective de son dépassement. La relative faiblesse de ce chiffre est corrélée par d’autres indices : pas d’attestations de Marseillaise chantée, de drapeau tricolore brandi, très peu de « Vive la République »59, alors que la présence officielle des radicaux aux manifestations est signalée dans une trentaine de villes.
33Sur un autre plan, mince quant à l’importance numérique, mais décisif quant aux conséquences politiques, les journées de février marquent la radicalisation et l’engagement sans retour à gauche d’une partie de la nébuleuse réformatrice des « Jeunes Turcs » du parti radical60. C’est vrai pour Pierre Cot, pour lequel Sabine Jansen a bien montré le caractère « déclencheur » des événements de février, où sa découverte de la haine que voue la droite extrême au « galopin sanglant » accentue son orientation à gauche61. C’est sous son impulsion que la fédération radicale de la Savoie appelle à constituer des « groupes de défense » contre le fascisme affiliés au parti radical62. C’est vrai aussi pour Jean Zay, jeune élu du Loiret en 1932, pour qui le 6 février confirme ses analyses sur le nécessaire positionnement à gauche du parti radical et qui appelle dès le 17 février à une « union des militants, avant les chefs »63. C’est vrai enfin pour Pierre Mendès France, qui s’alarme d’un « réel péril fasciste en France » auquel il faut « répondre par une politique de défense républicaine ». Le jeune député de Louviers ajoute néanmoins que si le peuple, à l’issue d’une dissolution de l’Assemblée qu’il appelle de ses vœux, et « malgré les événements récents qui ont précisé, de manière sanglante, le péril fasciste » votait à droite, « nous devrions nous incliner : le pays irait alors vers une sorte de dictature camouflée »64. Trois semaines après, il demande au président Doumergue, « dont les intentions personnelles sont d’une bonne volonté incontestable », de « pratiquer une vigoureuse politique de défense républicaine, celle qu’a faite autrefois Waldeck-Rousseau », qui passerait par « le désarmement des ligues politiques fascistes », qualifiées ailleurs de « partis révolutionnaires de droite »65. Il reprend l’idée, « intolérable à l’immense majorité des républicains français sans distinction », que « la résistance à main armée contre un gouvernement est exactement le contraire de l’application normale des lois républicaines ».
Les ordres du jour communistes
34Comme pour les radicaux, l’ensemble du corpus montre le faible nombre de motions ou d’ordres du jour inspirés de l’orientation du parti communiste. La ville de Montluçon (Allier) fait exception avec un texte particulièrement explicite et unique dans son illustration parfaite de la « ligne » :
« Les travailleurs de Montluçon, réunis le 12 février, acclament le front unique de lutte qui a permis de réaliser la grève générale à 100 % dans la localité. En saluant ce résultat magnifique, ils s’engagent à conserver l’unité d’action, soudée dans la bataille contre le fascisme sanglant, pour arracher demain leurs multiples revendications.
À cette manifestation d’aujourd’hui, ils donnent comme objectifs :
la dissolution des ligues fascistes
le départ immédiat du gouvernement antiouvrier d’union nationale
l’arrestation de Chiappe et la dissolution du corps de la police parisienne dévouée au fascisme.
Ils se séparent aux cris de “À bas la dictature sanglante du capital”, “Vive le gouvernement ouvrier et paysan”, “Vive l’action commune révolutionnaire des ouvriers”66. »
35On retrouve des segments ou des bribes du discours communiste dans d’autres localités de l’Allier, dans le Cher, le Gard (Alès et Nîmes), à Ussel (Corrèze), Pertuis et Carpentras (Vaucluse)67. Il est cependant difficile d’établir un état plus précis. L’Humanité ne reproduit (est-ce un hasard ?), à la différence du Populaire, que peu de textes d’ordres du jour et ses comptes-rendus, toujours triomphants, sont souvent sans relations avec la réalité des faits. Même les rapports des responsables régionaux doivent être examinés avec précaution et recoupés. On peut cependant affirmer que les organisations locales et régionales du PCF sont rarement à l’initiative des manifestations et marquent encore plus rarement de leur empreinte le contenu politique de celles-ci. Certains responsables le reconnaissent avec lucidité, tels Charles Doucet, le secrétaire de la région Drôme-Ardèche qui parle le 15 février de la « disparition complète de la région communiste dans les événements qui se sont déroulés entre le 5 et le 12 février68 » ou « Nallier » de la région de Clermont-Ferrand qui reconnaît que le rassemblement du 11 à Clermont-Ferrand est « avant tout » l’œuvre de la CGT et « l’énorme faiblesse et même l’opportunisme flagrant » envers la SFIO69.
36Même constat sur les mots d’ordre. Si « Chiappe en prison », largement repris dans tout le pays, semble d’origine communiste70, il est plus délicat d’attribuer exclusivement au PCF « Unité d’action ! », qui jaillit de l’ensemble des cortèges et réunions. En revanche, les mots d’ordre purement « classistes » ou qui tentent de lier, comme le suggèrent les communistes, « l’antifascisme » aux revendications ouvrières, ont peu d’écho. On relève quelques rares « du travail ou du pain », comme à Elbeuf (Seine inférieure) ou Moulins, « du travail » à Cognac (Charente), un « cahier de revendications » à La-Motte-D’Aveillans (Isère)…
Des ordres du jour « jaurésiens » ?
37Ni purement « républicaines », encore moins « communistes », les manifestations « antifascistes » de février 1934 peuvent-elles être qualifiées de « socialistes » ? La réponse est délicate et suppose deux précisions préalables. D’abord, il est préférable de parler de « nébuleuse socialisante » plutôt que de parti socialiste stricto sensu. Cette nébuleuse inclut, aux côtés des organisations socialistes, la CGT, la Ligue des droits de l’Homme (LDH), qui joue souvent un rôle moteur dans les contacts unitaires, ainsi que des groupements moins représentatifs tels la Libre pensée, la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP) ou la Fédération nationale des combattants républicains (FNCR). Parfois, la présence des « néos » du Parti socialiste de France (PSDF) est signalée comme à Avignon, Cahors, Douai, Mont-de-Marsan, Nice, Valence71. Celle du Parti d’unité prolétarienne (PUP) à Douai, Nevers, Roanne et Troyes72. Mais il faut signaler aussi, à l’extérieur de cette nébuleuse, la présence de la Jeune République à Flers (Orne), Mâcon et Châlons-sur-Saône (Saône et Loire). L’orientation portée peut être, au vu des textes et des discours, qualifiée de « jaurésienne » ou de « socialiste-républicaine », car elle associe défense républicaine (les principes républicains davantage que le régime républicain) et perspective de transformation sociale. C’est cette orientation qui domine très largement les journées de février, et que l’on retrouve dans la plupart des ordres du jour.
38Celui de Marseille, adopté à l’issue d’une manifestation qui a rassemblé, au dire des organisateurs « 100 000 travailleurs de tous les partis… confédérés, unitaires, autonomes, anarchistes libertaires, communistes, socialistes ou tout simplement républicains73 », est particulièrement significatif de cette orientation :
« Le peuple marseillais épris de liberté, répondant en masse à l’appel des organisations ouvrières, déclare que plus que quiconque la classe ouvrière exige que soient poursuivis sans répit et impitoyablement frappés les bandits de l’épargne et du crédit public, mais il ne saurait admettre que les récents scandales soient exploités par les bandes fascistes pour justifier une agression contre la République… Le peuple marseillais entend dire au gouvernement quel qu’il soit que Paris n’est pas la France entière, il approuve la grève générale décrétée par la CGT et considère ce mouvement comme le dernier avertissement aux tenants de la dictature. Il se déclare prêt à défendre par tous les moyens les conquêtes du prolétariat et à opposer aux tentatives d’instauration du fascisme la volonté inébranlable d’une classe ouvrière éprise de liberté. »
39Ici, le « peuple », qui répond à l’appel des « organisations ouvrières », présentées comme la force motrice du rassemblement, défend une « liberté » qui n’est jamais, (comme la République ?), qu’une « conquête du prolétariat ». On relève dans l’affirmation que « Paris n’est pas la France », la méfiance envers une capitale qui n’est plus, depuis la Commune, le centre d’impulsion du progrès social, et, à l’inverse une fierté « provinciale » qui ne relève pas seulement du répertoire « anti-parisien » traditionnel. Cette promotion de la province comme recours de la République devant une possible défaillance parisienne se retrouve dans d’autres motions. À Grenoble surtout, où dès le 8 février, « le comité de vigilance des travailleurs de Vizille et Grenoble croit nécessaire de rappeler que Paris n’est pas la France entière » : « La République est peut-être faible à Paris, mais la République est forte en Province et les travailleurs de Vizille et Grenoble… sont prêts à sonner le ralliement de la Province unanime et à restituer au mot « révolution » ses mobiles nobles et ses buts généreux74. » Selon Le Droit du Peuple, l’hebdomadaire socialiste local, le texte de ce télégramme à Albert Lebrun, œuvre des élus socialistes de Grenoble et de deux professeurs d’histoire à l’université, proches des radicaux, dont l’historien Edmond Esmonin, est aussitôt envoyé à toutes les unions locales CGT du sud-est, de Marseille à Lyon75, ce qui peut expliquer la reprise de ses termes à Marseille, mais aussi à Chambéry, Valence et dans l’Ardèche76.
40Mais on les rencontre aussi, en dehors de ces départements, à Carmaux (« Paris n’est pas la France entière ») et Cherbourg (Manche) où « un message, rappelant au Président de la République que l’opinion de Paris (opinion truquée par ailleurs) n’était pas celle de tout le pays et que la démocratie avait encore bon pied bon oeil a été remis à la sous-préfecture77 ».
41On trouve enfin dans plusieurs ordres du jour ou motions, plus fortement appuyée qu’à Marseille, l’idée que la défense de la République n’est pas exclusive de son dépassement. À Aurillac (Cantal), où est actif le jeune enseignant socialiste Maurice Deixonne, le texte stipule que la « population » entend « rester unie, non pour défendre un régime de corruption et de scandale, mais pour faire de la République, conformément à la pensée de ses créateurs, le gouvernement des travailleurs78 ». À Carmaux où on se dit « décidé à lutter par tous les moyens pour la défense du régime républicain actuel, encore qu’il ne répond pas aux sentiments qu’ils ont de ce qu’il devrait être79 ». À Pont-l’Abbé (Finistère) où, « décidés à opposer une digue infranchissable à la vague déferlante du fascisme oppresseur et meurtrier », les présents ne se prononcent pas moins « pour la conquête de libertés nouvelles et l’instauration d’un régime basé sur le travail souverain80 ». À Privas (Ardèche), les participants au meeting du 11 février, « opposés catégoriquement et par tous les moyens » à toute restriction des libertés, sont « convaincus que les travailleurs n’ont à compter que sur eux-mêmes et sur leur union étroite pour réaliser leur émancipation, pour s’affranchir du joug capitaliste et réduire à néant les menaces de fascisme et de guerre81 ». À Mulhouse, l’affiche « élaborée en commun » par CGT, CGTU, PS et PCF du Haut-Rhin relie les menaces de « dictature fasciste » à la « sauvegarde d’une société capitaliste complètement pourrie » et la défense « de la démocratie et de la République » à celle de « toutes les libertés péniblement acquises par la classe ouvrière82 ». Si, comme on l’a vu, « Vive la République ! » à peu de succès, on adopte davantage des formules plus marquées à gauche telles que « Vive la République sociale » (Carmaux, La Voulte, Nevers), « Vive la République des travailleurs » (Aurillac, Privas), « Vive la République laïque, démocratique et sociale » (Royan). Internationale et drapeaux rouges sont présents presque partout. À noter enfin, dans plusieurs localités, la présence de références aux combats du passé, « 1789 » à Vizille et Grenoble « qui sauront encore donner l’exemple », « 1851 » à Digne (Basses-Alpes) où le meeting est placé « sous la présidence d’honneur des insurgés bas-alpins de 1851 »83, 1789 et 1851 à Valence où l’on rappelle la naissance de la révolution « avant même la convocation des États provinciaux du Dauphiné » et l’insurrection contre le coup d’État du 2 décembre84, 1789, 1848 et 1871 dans le discours de Léo Lagrange le 11 février à Fourmies85, 1789, 1830, 1848 et 1871 dans le Calvados86. Enfin, la revendication unitaire est presque partout explicitement présente, sous des vocables divers, de « l’union des rouges », comme à Langeac, à l’unité « des prolétariats » [sic], comme à Bergerac (Dordogne).
42À l’issue de ce tour d’horizon, il est possible d’établir quelques conclusions et de formuler des propositions. Tout d’abord, il est clair que l’hypothèse d’Antoine Prost sur les particularités du « février antifasciste » en province sont confirmées. On assiste à une puissante poussée unitaire, provoquée par la « grande peur » d’un « fascisme » considéré comme le dernier avatar en date du « Blanc » éternel. De ce point de vue, si la caractérisation des « Ligues », du moins de la majorité d’entre elles, comme « fascistes » est erronée pour l’historien, elle est cohérente avec la vision du « fascisme » comme une forme de « réaction sociale » qui est partagée alors par les gauches françaises. Comme l’écrit la revue catholique Études, « le mot “fascisme” tend à remplacer celui de “réaction” et, comme l’on dit, il “fait plus riche”87 ». Autre élément de certitude, ces manifestations, dont l’élément moteur est constitué par la nébuleuse associant, dans des proportions variables selon les localités, CGT, LDH et SFIO, expriment une sensibilité « jaurésienne » mariant République et socialisme. Ce sont bien « l’unité » et la « République sociale » qui en sont le trait d’union. Mots d’ordre et thématiques communistes restent très minoritaires, de même que, à une échelle cependant bien moindre, ceux qui relèvent d’une culture républicaine stricto sensu, telle qu’elle peut être incarnée par les radicaux. C’est ce mariage entre cultures républicaines et socialistes, déjà esquissé théoriquement par la synthèse jaurésienne, qui définit l’antifascisme et dessine par anticipation, avec la proclamation unitaire, le visage du Front populaire, y compris dans la dynamique de ses rapports de force, qui déclasse les radicaux au profit des socialistes88.
43Notre conclusion est claire : l’antifascisme, dans la forme et au moment où il se cristallise en France dans la rencontre entre une « Grande peur » et une offre politique structurée, n’est ni une « invention communiste », ni même ne relève de la « culture communiste » classiste du moment. Il reste à étudier par quels mécanismes les communistes français, prenant le train en marche, s’assurent rapidement une place hégémonique et vont dominer un processus qui est né sur des bases qui n’étaient pas les leurs.
Notes de bas de page
1 Sur celle-ci, voir Serge Berstein, Le 6 février 1934, Paris, Gallimard/Julliard, « Archives », 1975 et Pierre Pélissier, Le 6 février 1934, Paris, Perrin, 2000.
2 Journal officiel du 7 février 1934, repris dans Cahiers Léon Blum, 34, automne 2003, « Naissance d’une coalition antifasciste », p. 36-39. Les propos de Blum le 12 février, filmés et enregistrés pour les Actualités, sont repris dans P. Gavarry, D. Bollinger, La France des années trente, documentaire du CNDP destiné aux élèves du secondaire. Ils diffèrent complètement de la version publiée le lendemain dans le Populaire et reproduits dans les Cahiers…, p. 41-42.
3 « Aux Ligueurs ! le fascisme ne passera pas ! », Cahier des Droits de l’homme, mars 1934.
4 Catalogue de la Librairie populaire du Parti socialiste SFIO, septembre 1935, Fonds Fernand Rude, Bibliothèque municipale de Lyon, dossier 249. La carte souvenir est titrée « Le fascisme ne passera pas ». On trouve aussi au catalogue, à la rubrique « chansons diverses », « Le fascisme ne passera pas » par Marchand. Nous n’avons pu retrouver le texte de cette chanson.
5 L’appel du 19 juillet 1936 prononcé à Madrid au nom du PC espagnol par Dolorès Ibarruri, au lendemain du « putsch » franquiste, se conclut par « Les fascistes ne passeront pas ! Ils ne passeront pas », cité par Manuel Vasquez Montalban, La Pasionaria, Le Seuil, 1998, p. 369-370.
6 On trouve, au refrain de la chanson de J. Cazol et E. Joulot, Verdun, on ne passe pas ! :
« Et Verdun la victorieuse
Pousse un cri que portent là-haut
Les échos des bords de la Meuse
Halte-là on ne passe pas ! »
Sur la mémoire de Verdun, voir Pierre Guibbert, « Verdun une vitrine républicaine », Traces de 14-18. Actes du colloque international de Carcassonne, Carcassonne, 1997.
7 Henri de Turenne, 36. Le grand tournant, film, 1970 ; Claude Santelli et Françoise Verny, 1936. La mémoire du peuple, Antenne 2, 1976, vidéocassette INA. Clara Malraux, Le bruit de nos pas. IV Voici que vient l’été, Paris, Grasset, 1973 ; Lucie Mazauric, Vive le Front populaire, Paris, Plon, 1976 ; Fred Zeller, Trois points c’est tout, Paris, Robert Laffont, 1975.
8 Jean-Pierre Chabrol, La Gueuse, Paris, Plon, 1966, réédit. Presses Pocket, 1978 ; André Wurmser, Un homme vient au monde, Paris, Messidor, 1982. Le roman de Chabrol se distingue par sa mise en scène de manifestations en province.
9 Jean-Louis Bory, « Les bégaiements de l’histoire », Le Nouvel Observateur, 9 février 1970, repris dans L’Écran fertile, Paris, UGE, 10/18, 1974, p. 31-32.
10 Marc Bernard, Les journées ouvrières des 9 et 12 février 1934, Paris, Grasset, 1934 ; Gilles Vergnon, Les Gauches européennes après la victoire nazie. Entre planisme et unité d’action. 1933-1934, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 401-406.
11 Antoine Prost, « Les manifestations du 12 février 1934 en province », Le Mouvement social, 54, mars 1966, réédit. dans Antoine Prost, Autour du Front populaire. Aspects du mouvement social au XXe siècle, Paris, Le Seuil, 2006.
12 D. Tartakowsky, Les manifestations de rue en France, op. cit., p. 291-305.
13 L’expression « Grande peur des républicains » est due au syndicaliste André Delmas, alors secrétaire général du SNI, cité par Jean-François Sirinelli, Intellectuels et passions françaises. Manifestes et pétitions au XXe siècle, Paris, Fayard, 1990, p. 91.
14 Voir les études d’Alfred Grosser, Hitler, la presse et la naissance d ‘ une dictature, Paris, Armand Colin, coll. « Kiosque », 1959, réédit. 1983 et Hans Hörling, « L’opinion française face à l’avènement de Hitler au pouvoir », Francia, III, 1975, p. 587-639.
15 André Chamson, Tyrol, En cordée avec la jeunesse allemande, Grasset, 1930 ; Philippe Barrès, Sous la vague hitlérienne, Plon, 1933 ; Henri Béraud, Le feu qui couve, Éditions de France, 1933 ; Jérôme et Jean Tharaud, Quand Israël n’est plus roi, Plon, 1933 ; Raymond Recouly, Où va l’Allemagne, Éditions de France, 1932.
16 Le livre paraît chez Jacques Haumont en 1933.
17 Les revues suivantes ont été dépouillées de 1930 à 1934 : Europe, Mercure de France, Nouvelle revue française, Revue d’Allemagne, Revue de France, Revue de Paris, Revue des deux mondes, Revue universelle.
18 Ces articles sont rassemblés dans une brochure publiée en septembre 1933 (plusieurs éditions successives) par la Librairie du Travail sous le titre : La peste brune a passé par là. À bicyclette à travers l’Allemagne hitlérienne. Ils sont réédités, accompagnés d’articles antérieurs et postérieurs, par François Maspero en 1965 et 1983. Nous utilisons cette dernière édition.
19 Voir le mémoire de Samuel Pellissier, Le Progrès de Lyon et l’Allemagne (1933-1938), IEP de Lyon, septembre 2000.
20 Selon la remarque de Leo Spitzer, « La vie du mot “nazi” en français », Le français moderne. Revue de synthèse et de vulgarisation linguistique, 1, juin 1933.
21 ALDH, F delta rés. 798/193. La tournée, débutée en 1932 (Vaucluse, Gard, Hérault, Corrèze, Basses-Pyrénées et Creuse) se poursuit en 1934 (Deux-Sèvres et Calvados du 13 au 25 février…) et, à un rythme ralenti, en 1935.
22 ALDH F delta rés. 798/192. Les réunions portent sur « La France, l’Allemagne et la paix européenne ».
23 AN F7 13252.
24 AN F7 13432. Le dossier rassemble aussi les copies des milliers de télégrammes envoyés aux autorités allemandes.
25 Léon Blum, Le Populaire, 17 mai 1933.
26 Rapport du commissaire de Lens au préfet du Pas-de-Calais, 31 mai 1933, AN F7 13038.
27 Rapports mensuels sur l’état de l’opinion février-avril 1933, AN F7 13033.
28 Rapport du préfet de Dordogne, 4 avril 1933 et du commissaire spécial de Feignies, 31 mai 1933, AN F7 13033 et 13038.
29 M. Pinard, « Républicains, socialistes, garde à vous ! », Le Travailleur de l’Ain, 25 novembre 1933.
30 Le Travailleur alpin, 23 décembre 1933.
31 André Chamson, La Galère, Paris, Gallimard, 1939.
32 G. Vergnon, Les gauches européennes…, op. cit., p. 398-406.
33 La synthèse de la Sûreté générale sur « Les manifestations de février à Paris et en province » chiffre le nombre de manifestants à 50 000, mais ne comporte aucune relation détaillée de la manifestation, à la différence de celle du 9 février, AN F7 13309.
34 Le Petit Parisien, 13 février 1934.
35 M. Bernard, Les journées ouvrières des 9 et 12 février 1934, op. cit., p. 87-89.
36 Le Journal, 13 février 1934.
37 Titre du tome II (1935-1939) des Mémoires de Jacques Duclos, Paris, Fayard, 1969. Le premier tome (1896-1934), Le chemin que j’ai choisi, Fayard, 1973, ne contient aucune indication de l’auteur sur le 12 février.
38 Consultation du fonds photographique Roger-Viollet, de la presse quotidienne, de L’Illustration du 17 février qui publie un cliché-plan d’ensemble de la « manifestation socialo-communiste » quand elle débouche sur la place de la Nation.
39 Le Petit Parisien, 13 février 1934.
40 Le projet de constitution de juin 1793 affirme ainsi dans son article 35 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » « Vivre libre ou mourir » est aussi une grande devise républicaine.
41 Un « ordre » de grève générale pour le 12 février est télégraphié dans l’après-midi du 7 février aux unions départementales par la Commission administrative de la CGT ; L’Humanité s’y rallie publiquement le 9. La manifestation parisienne Cours de Vincennes, lundi 12 à 15 heures, est annoncée par Le Populaire, le samedi 10. Le quotidien socialiste reproduit le même jour une circulaire aux fédérations envoyée la veille, appelant à organiser partout « de grandes démonstrations populaires ». Le dimanche 11, L’Humanité appelle à manifester cours de Vincennes. En Province, les premières manifestations ont lieu le 8, même si, dans quelques rares endroits (Dijon, Lyon), on manifeste dès le 7.
42 Pierre Favre, « Manifester en France aujourd’hui », in Pierre Favre (dir.), La manifestation, Paris, Presses de Sciences Po, 1990, p. 11-65.
43 Chiffres proches de ceux d’Antoine Prost, qui en dénombrait 439 en intégrant la Seine-et-Marne. Notre décompte exclut les trois départements de la région parisienne (Seine, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne), ainsi que les départements français d’Algérie, où se déroulent des manifestations (Alger, Bône, Constantine, Oran). Nous n’avons pas trouvé trace de manifestation en Lozère, ce qui ne signifie pas qu’il n’y en a pas eu !
44 Les principales sources utilisées ici sont : L’Humanité et Le Populaire (principale source pour les ordres du jour) ont été dépouillés pour les mois de février et mars 1934 ; « Récapitulatif des manifestations depuis le 1er janvier 1934 ; réponses des préfets à un questionnaire du Ministère de l’Intérieur du 23 juin 1934 », in « Manifestations diverses 1934-1935 », Archives nationales (AN) F7 13 320 ; « Sûreté générale : les manifestations de février à paris et en Province. Notes et rapports », AN F7 13 309 ; « Les manifestations du 12 février 1934 », Commission d’enquête chargée de rechercher les causes et les origines des événements du 6 février 1934 et des jours suivants, Bibliothèque nationale 4° L6 57 19181 (4), p. 16-84 ; « Coup de main fasciste, riposte républicaine », Cahiers des Droits de l’Homme, mars 1934. Des recherches ont également été effectuées aux archives départementales de l’Ain, de l’Ardèche, de la Drôme, de l’Isère, du Rhône et du Vaucluse ainsi que dans les fonds de l’OURS et de l’ex Institut de recherches marxistes (IRM). Le corpus des 49 ordres du jour que nous avons constitué n’est évidemment pas exhaustif. Il est aussi déséquilibré, les départements du Sud-Est étant surreprésentés. Il nous paraît cependant suffisant, complété par d’autres données, pour formuler des premières conclusions.
45 Voir l’ouvrage dirigé par Serge Berstein, Les cultures politiques en France, Paris, Le Seuil, 1999, en particulier les contributions de Serge Berstein, « Le modèle républicain : une culture politique syncrétique ? » (p. 113-144), Marc Lazar, « La culture politique communiste » (p. 215-242), Michel Winock, « La culture politique des socialistes », (p. 179-214).
46 M. Winock, ibidem. Voir aussi Madeleine Rebérioux, Jaurès et la classe ouvrière, Paris, François Maspero, 1976 et Jean-Pierre Rioux, Jean Jaurès, Paris, Perrin, 2005.
47 Voir Maurice Agulhon, « Les couleurs de l’histoire récente » et « Le PCF et la tradition politique française », in Histoire vagabonde. III. La politique en France, d’hier à aujourd’hui, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1996.
48 Interventions de Perron, du « comité antifasciste » et de Girard (PCF) le 18 février, archives départementales du Vaucluse (ADV), 1 M 819.
49 Le Populaire, 11-02-1934. Le préfet de l’Ain fait savoir que la réunion a été convoquée à l’initiative de la Ligue des droits de l’Homme et des « groupements de gauche », AN F7 13320.
50 Ibidem, 14 février 1934.
51 L’ordre du jour est voté lors d’un meeting préparatoire à la grève générale. On y lit que « les travailleurs du carmausin »… « tiennent à rendre un vibrant hommage à l’attitude énergique du ministre Frot, qui a tout fait pour ne pas céder au fascisme, et dont le geste courageux a sauvé le régime républicain », Ibidem, 14 février 1934.
52 Ordre du jour adopté à l’unanimité le 11 février lors d’un meeting (CGT, SFIO, LDH, CGTU) préparatoire à la manifestation, Ibidem, 24 février. Il exprime au « citoyen Frot toute sa sympathie pour son esprit de décision et de fermeté ».
53 Ibidem, 26 février.
54 255 lettres personnelles et 136 lettres de collectivités, Elizabeth du Réau, Édouard Daladier, Paris, Fayard, 1993, p. 138.
55 Le texte est signé d’un « groupe de républicains et de socialistes réunis à Saillans le 11 février », Sud-Est, 16 février. Émile Lisbonne (1876-1947), sénateur radical de la Drôme, est brièvement ministre de la Santé, du 26 octobre au 25 novembre 1933.
56 Ordre du jour adopté le 10 février par « les sections de la LDH, les pacifistes, les syndicalistes (CGT et CGTU), les sections socialistes SFIO, les militants de gauche et d’extrême gauche, union prolétarienne, communistes, libertaires, groupant plus de 1 000 citoyens organisés des communes de Neuville-sur-Saône, Albigny, Saint-Germain-au-Mont-d’or, Rochetaillée, Fleurieu, Genay et Montaney » L’Avenir socialiste, hebdomadaire de la fédération socialiste du Rhône, 17 février 1934.
57 Le Populaire, 20 février. Selon le journal socialiste, l’ordre du jour est approuvé par 1 200 personnes et les organisations PCF, PS, LDH, radicaux, syndicats et Jeunesses laïques.
58 Ibidem, 10 et 21 février 1934. La manifestation de Langeac est appelée par la SFIO, les « divers partis de la démocratie républicaine », la CGT, la LDH. À Brioude, sections socialistes et « groupes républicains » se réunissent en commun le 12 février, avant d’adopter l’ordre du jour cité.
59 Nous n’avons rencontré sa mention que dans les comptes-rendus émanant de Haute-Loire.
60 Voir Serge Berstein, Histoire du parti radical ; et Antoine Prost (dir.), Jean Zay et la gauche du radicalisme, Paris, Presses de Sciences Po, 2003.
61 Sabine Jansen, Pierre Cot. Un antifasciste radical, Paris, Fayard, 2002, p. 200 sq.
62 Ibidem, p. 232.
63 Pierre Girard, « Jean Zay, les années de formation et l’engagement en politique », Jean Zay et la gauche…, op. cit., p. 121.
64 Pierre Mendès-France, « Pour la dissolution de la Chambre », La Dépêche de Louviers, 23 février 1934, Œuvres complètes. I. S’engager 1922-1943, Paris, Gallimard, 1984, p. 211-212.
65 Pierre Mendès-France, « L’immense gravité du péril fasciste », La Dépêche de Louviers, 16 mars 1934, ibidem, p. 215-217.
66 « Délégation dans la 27e Union régionale CGTU. Grève générale du 12-2-1934 », Rapport d’Adrien Langumier, Archives Institut de recherches marxistes (IRM), bobine 708. Le dirigeant communiste affirme que la manifestation de Montluçon du 12 février « fut entièrement sous notre direction ».
67 Dans cette ville, du fait de la présence à la fin du texte de revendications « classistes » comme « la défense énergique des chômeurs et des travailleurs de toutes catégories ». À Pertuis, le « comité antifaschiste » [sic] appelle dans son texte constitutif à « un large front unique d’action » et à « l’unité du prolétariat ouvrier et paysan » (Rapport du sous-préfet d’Apt au préfet du Vaucluse, 13 février 1934), ADV 1 M 813.
68 Lettre de Doucet à Thomas et Thibon, du Teil (copie à Frachon et Duclos), 15 février 1934, IRM 708.
69 Lettre au secrétariat du parti, 5 mars 1934, IRM 705.
70 Il est scandé le 31 janvier au meeting organisé salle Wagram pour la libération de Dimitrov (« Chiappe en prison ! Libérez Dimitrov ! ») et fait la couverture de L’Humanité le 4 février : « Plus que jamais, Chiappe en prison ! »
71 Le PSDF est créé en décembre 1933 à l’initiative des « néo-socialistes », l’aile « droite » expulsée de la SFIO en novembre avec Marcel Déat, Adrien Marquet, Pierre Renaudel. Il emmène avec lui 27 députés et 7 sénateurs. Rappelons qu’il est toujours, à ce moment, considéré comme un parti « de gauche ».
72 Créé en décembre 1930, le PUP regroupe plusieurs strates de « dissidents » du PCF. Il occupe une place intermédiaire entre PCF et SFIO, dont il réclame l’unification. Le PUP a huit députés à l’issue des élections législatives de 1932.
73 Le Populaire, 14 février. Le rapport du préfet fait état de « 25 à 30 000 » manifestants, « de tous partis politiques » (AN F7 13 320).
74 Le Populaire, 9 février.
75 Le Droit du Peuple, 10 et 11 février. Voir aussi, sur février 1934 à Grenoble, Lucienne Gosse, René Gosse. 1883-1943. Chronique d’une vie française, Paris, Plon, 1963, réédit., Grenoble, PUG, 1994, p. 209 sq.
76 Voir notre article, « Les mobilisations républicaines de février 1934 dans l’Ardèche et dans la Drôme », Revue du Vivarais, octobre-décembre 1994, p. 273-284.
77 Le Populaire, 11 février.
78 Ordre du jour voté au meeting (PS, CGT, CGTU, LDH, autonomes) précédant la manifestation du 12 février L’Avenir du Cantal, 15-2-1934, Archives OURS, Fonds Deixonne, 1 APO 3.
79 Ordre du jour voté au meeting organisé par la CGT le 8 février, Le Populaire, 10 février.
80 Ibidem, 20 février.
81 ADA, série 8 J, Fonds Elie Reynier, G. Vergnon, « Les mobilisations républicaines… », art. cit.
82 Le Populaire, 16 février.
83 Ibidem, 17 février.
84 G. Vergnon, « Les mobilisations républicaines… », art. cit.
85 Cité dans J.-L. Chappat, Les chemins de l’espoir ou Combats de Léo Lagrange, Éditions de la Fédération Léo Lagrange, 1983, p. 118.
86 Affiche de la CGT, D. Tartakowsky, Les manifestations…, op. cit., p. 301.
87 Études, 20 juin 1934.
88 Est absente cependant la pierre de touche du Front populaire dans sa dimension de stratégie d’alliances : la main tendue, puis l’alliance communistes-radicaux par dessus la tête des socialistes, cf. sur ce point les remarques de Serge Berstein, « Front populaire et antifascisme en débat », in S. Wolikow et A. Bleton-Ruget (dir.), Antifascisme et Nation. Les gauches européennes au temps du Front populaire, op. cit., p. 253-254.
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