Chapitre IV. L’enlisement

p. 281-354


Texte intégral

La mésentente cordiale

1Profitant du désarroi de l’ennemi, le maréchal propose, aussitôt qu’il aura pu rassembler d’autres forces, de poursuivre l’ennemi jusqu’à Blavet. Il pensait, non sans raison, que plusieurs villes de ce quartier comme Vannes et Guérande seraient si étonnées qu’elles se rangeraient aussitôt en l’obéissance du roi. Le projet, pour l’immédiat, convenait à Norreys. Mais l’armée, durement éprouvée par le siège, avait besoin de se reposer. Se posait à nouveau le problème de la ville de garnison susceptible d’accueillir le contingent anglais toujours positionné fort inconfortablement en la presqu’île de Crozon et aux alentours.

2Norreys, toujours aussi entêté, réclame de se loger aux environs de Morlaix afin d’être à même d’occuper la ville aussitôt que le roi, comme promis, la lui céderait. Dans le cas contraire, il lui faudra se retirer plus près de Paimpol pour y attendre les ordres de la reine. Il essuie un nouveau refus de d’Aumont qui prétexte, comme à l’accoutumée, n’en avoir pas reçu l’ordre formel du roi. Pourtant Henri IV déclarait aux députés des trois États de Bretagne le 10 novembre précédent :

« Nous avons été amplement informés des poursuites et instances que le général Norris fait au nom de la reine d’Angleterre, pour lui être et à ses troupes nos villes et château de Morlaix délaissés pour retraite […]. Nous voulons, comme nous en avons toujours été et sur toutes choses soigneux, que nos paroles et promesses demeurent inviolables, notre intention assurée est que ce qui a été convenu entre nous et la dite reine soit exactement suivi et observé1. »

3Quatre jours plus tard, en réponse à une nouvelle sollicitation de la reine d’Angleterre à propos de Morlaix, Henri lui répond dans le même sens :

« J’ai expressément commandé à mon cousin le maréchal d’Aumont, sur l’instance que Votre Majesté fait que les choses promises par nos traités et accords soient accomplies, d’y satisfaire sincèrement2. »

4Double langage du roi ou réelle mauvaise volonté d’Aumont ? Norreys penchait pour la seconde possibilité : « Aussitôt qu’il eut avis que le roi était disposé à remettre Morlaix entre les mains de la reine, fait-il savoir à Burghley le 10 novembre, le maréchal adressa le même Forges qui était en Angleterre, aux États et Parlement de Rennes pour les inciter à s’opposer avec force à ce projet, et à envoyer leurs députés avec ledit Forges trouver le roi dans ce but. J’ai appris que ce Forges, lors de son passage, fut fait prisonnier, mais il est certain que le maréchal poursuivra son dessein. »

5Le caractère autoritaire d’Aumont rend cette attitude possible. Sa « prompte colère, dit Montmartin qui eut à en souffrir, déplaisait quelquefois à ceux qui ne l’avaient accoutumé ». L’irascible maréchal s’était dans le même temps pris de querelle avec ses principaux lieutenants. Selon Norreys,

« il s’est élevé un grand conflit ouvert entre M. de Sourdéac et le maréchal de telle sorte que M. de Sourdéac a refusé de venir à l’armée et jure de ne jamais servir avec lui. M. de Montbarot et le Marquis de Quoesquyn agissent de même3 ».

6Cette mésentente sera cause de bien des délais et contribuera à l’enlisement du conflit, au grand détriment des populations.

7Malgré la victoire remportée en commun, l’animosité croissait chaque jour aussi entre les deux chefs alliés. Norreys jugeait son homologue totalement incompétent pour conduire une armée4. Le maréchal de son côté adresse à la reine, le 28 novembre, du camp de Locronan, une litanie de griefs à l’encontre de son général et de ses troupes5 :

« Il n’y a église en toute la basse Bretagne que [les Anglais] n’aient saccagé les ornements, même les cloches qu’ils ont envoyées en Angleterre La plus grande partie des maisons des gentilshommes ont été traitées de cette façon par ceux mêmes que le sieur Norreys envoyait pour les conserver. Il n’y a pas trois semaines qu’ils volèrent un abbé à cinq lieues d’ici et son église, et emportèrent tant en argent monnoyé qu’en autres choses la valeur de plus de quatre mille écus, dont il ne s’est fait que rire quand le sieur Maréchal lui en a demandé justice. Il n’a non plus voulu faire punir un qui a tué un sien page de bonne maison âgé seulement de douze ou treize ans, encore que le meurtrier lui fut représenté. Les chevaux desquels se servent ses boulangers ayant été volés par quelques uns des soldats du sieur Général ; encore que les couvertures où étaient peintes ses armes fussent dessus, il n’en voulut faire faire perquisition, mais qu’ayant été reconnus au passage d’une rivière, il les fit rendre sans faire châtier ceux qui les avaient volés […]. Il a fait prendre un vaisseau de Saint-Malo, nommé le Grand Charles, près du Conquet revenant de Tripoli de Syrie, au préjudice de la trêve et suspension d’armes qui était lors entre les serviteurs du Roi et ceux de Saint-Malo […], lequel il n’a voulu jamais relâcher, quelque instance et prière que le sieur Maréchal lui en ait pu faire […], il fallut que les marchands à qui il appartenait lui donnassent huit cautions bourgeoises, et en outre huit mille écus comptants […]. Depuis son retour, ses troupes ont enlevé aux évêchés de Tréguier, Léon et Cornouaille plus de vingt mille bêtes à cornes, qu’ils ont la plupart vendus comme en une foire, sans parler d’une infinité de concussions très dommageables au pauvre peuple et qui se montent à de très grandes sommes. »

8Les réponses de Norreys à ce réquisitoire ne furent pas toutes convaincantes : si des cloches ont été emportées, c’est aux mariniers qui les ont transportées d’en répondre ; l’abbaye attaquée que l’on disait être de la Ligue n’avait pas de sauvegarde et il se propose de restituer ce qui peut être récupéré. Il admet volontiers avoir dû, par manque d’argent, vivre d’expédients, et fait remarquer, ce en quoi il a raison, que les troupes du maréchal n’ont pas commis moins d’exactions. Et pour ce qui est de sa réticence à suivre aveuglément les directives du maréchal, toute la correspondance qu’il échange avec la reine et son administration prouve abondamment qu’il ne faisait là que suivre et l’esprit et la lettre des ordres reçus. Lorsqu’il les a transgressés, c’était pour atteindre des objectifs qu’il jugeait nécessaires pour la sauvegarde de son pays.

9Bien qu’il commandât des troupes auxiliaires, Norreys n’avait jamais supporté de se soumettre aux ordres du maréchal. Il se voulait au moins son égal. Les troupes anglaises après être entrées dans le fort de Crozon s’étaient emparées d’étendards ennemis. Oubliant de les remettre au général en chef, comme l’usage militaire le voulait, Norreys expédie aussitôt ses trophées à la reine, sans même en avertir d’Aumont. L’affaire créa un incident diplomatique à propos duquel Henri IV dut intervenir (mollement). Au mauvais caractère du maréchal répondait celui non moins obtus de Black John qui savait se réfugier derrière de prétendus ordres de la reine pour ne pas obéir. Cette querelle entre les deux chefs, au-delà de leur commune susceptibilité maladive, était aussi l’expression de deux cultures politiques militaires et stratégiques différentes, souvent inconciliables.

10La rancœur d’Aumont dont l’anglophobie était manifeste, retomba sur les ressortissants de cette nation au détriment de leurs intérêts économiques. Au point qu’il fallut aux deux souverains intervenir pour mettre un terme à cette querelle susceptible d’altérer gravement leur alliance. En novembre, Henri IV en adressant à d’Aumont les plaintes de la reine, doit ordonner à son lieutenant général de modérer ses représailles :

« L’agent de la Reine résidant près de moi m’a fait plainte des contraintes dont on use contre les sujets de la dite Reine, pour leur faire payer les nouveaux droits et impositions mises sur les marchandises, depuis et à l’occasion des présents troubles, au préjudice et contre même les articles et traités accordés en leur faveur sur ce sujet ; pour lequel il y en a jà été emprisonné quelques-uns dans ma ville de Morlaix : ce que je trouve fort mauvais, et m’a fait vous écrire subitement la présente pour vous mander de faire cesser promptement les contraintes, en faisant mettre en liberté ceux qui à cette occasion seraient emprisonnés, et exempter les sujets de la dite Reine de toutes levées et impositions qui se prennent sur les marchandises autres que les anciens droits et accoûtumés auparavant les présents troubles, conformément aux traités. Le dit agent m’a pareillement fait instance pour le recouvrement de deux canons qu’il m’a dit être dans Guingamp et appartenir à sa maîtresse. Je désire que les dits canons lui soient rendus6. »

11La reine de son côté soutenait son général. Dans une lettre du 5 février 1595, avec une virulence peu diplomatique, elle se livre à une critique en règle de l’action du maréchal, de son manque de parole, de son emploi des troupes anglaises qu’il a laissées seules supporter tout le fardeau de la guerre, et de son refus de les placer à Morlaix malgré les désirs et les ordres du roi. Quant à la victoire de Crozon dont il se prévalait, Elizabeth oubliait de lui en rendre grâce : « Si mon général avait suivi vos ordres, lui lance-t-elle pour dernier trait, jamais le fort n’aurait été pris7 ! »

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12La fin de cette joute était cependant annoncée. Aussitôt connue la chute de El León, la reine décide irrévocablement le départ de Norreys et de ses troupes pour l’Irlande où la rébellion s’intensifiait. Mais sa lettre du 1er décembre qui en apportait l’ordre n’arrive au Faou où se trouvait le contingent anglais que le 3 janvier. Ce retard contraria l’opération. À cela s’ajoutait une certaine mauvaise volonté de la part de Norreys. Il prend prétexte des difficultés de la navigation hivernale dans la mer d’Irlande, et de la nécessité de payer les dettes contractées en Bretagne afin d’en sortir la tête haute, pour solliciter un délai. En réalité, il se croyait victime d’une cabale de cour, et aurait préféré une course plus lucrative que cette nouvelle campagne d’Irlande où il craignait de ne pas obtenir plus de remerciements et de profits qu’il n’en avait tirés de Bretagne.

13Le maréchal était alors occupé au siège de Corlay. Malgré son animosité personnelle à l’égard de Norreys, la nouvelle de son départ le contrariait fort. Les affaires du roi s’étaient considérablement améliorées en Bretagne, mais à défaut de Montpensier que le roi retenait près de lui, M. de Saint-Luc n’était toujours pas arrivé avec ses compagnies, et de nouveaux renforts espagnols étaient annoncés à Blavet.

14Dans la première quinzaine de février, les troupes anglaises dispersées au Faou, à Brest et Roscoffsont réunies à Lanvollon et Paimpol pour un embarquement immédiat malgré les efforts tardifs du maréchal pour les retenir. Saint-Luc enfin arrivé avait pris ses quartiers à La Roche-Derrien, pour être plus proche de Norreys qu’il avait en grande amitié. Il ne désespérait pas de le réconcilier avec le maréchal. Mais ses efforts furent vains. Norreys fit voile le premier avec sept compagnies pour l’Irlande. Son frère Henry le suivit quelques jours plus tard avec les blessés et 1 304 hommes valides.

15L’intervention anglaise en Bretagne s’achevait sur fonds de querelles et de rebuffades. Elle fut chaotique, lourde d’incompréhension entre les alliés, coûteuse aussi en vies humaines, modérément utile à la stratégie globale d’Henri IV pour conquérir son trône, du moins si on ne l’examine que du point de vue français8. Elizabeth elle-même n’y trouvait pas tout à fait son compte. Elle avait paré au plus pressé. Sans doute la menace sur Brest était-elle pour l’instant levée, mais l’Espagnol tenait toujours Blavet, renouvelait régulièrement ses forces, et pouvait à tout moment lancer ses escadres sur l’Angleterre ou l’Irlande. En faisant rembarquer Norreys, elle soulageait sa conscience politique, et quittait la Bretagne avec le sentiment lancinant d’y avoir été flouée9.

Les grandes manœuvres politiques

16L’Espagnol est, en effet, bien loin d’avoir abdiqué toutes ses ambitions sur le duché et sur ses ports. Sa diplomatie secrète y est d’ailleurs de plus en plus active. Les agents de Philippe II multiplient les contacts avec des seigneurs influents pour une certaine affaire qui pourrait bien concerner Brest, et relancent à nouveau la cause de l’Infante qui ne manque pas de partisans. M. de Goulaine, en particulier se propose de réunir un régiment de 1 200 fantassins, 200 cuirasses, deux compagnies de chevau-légers, et d’entraîner au service de Sa Majesté Catholique beaucoup d’autres gentilshommes dont son frère M. du Faouët, et Rosampoul, à condition qu’on lui donne des assurances financières et un titre dans l’armée espagnole. M. d’Aradon, gouverneur de Vannes, et sa femme font acte épistolaire d’allégeance à la future souveraine, le 5 novembre 159410.

17Toutes ces tractations se déroulent naturellement dans le dos de Mercœur que les Espagnols traitent de plus en plus comme un simple auxiliaire de leur politique. Financièrement d’ailleurs, le duc venait de subir une série de graves revers. La chute de Morlaix, celle de Quimper et le soulèvement des communes léonardes signifiaient pour lui non seulement la perte d’une grande partie de la Basse-Bretagne, mais aussi celle d’une bonne part de ses ressources. Cela le détermina sans doute à reprendre les négociations d’Ancenis.

18En novembre 1594, la reine douairière avait envoyé à la cour le sieur de Migenne, son maître d’hôtel, pour informer le roi que son frère, « était prêt à traiter et envoyer à cette fin ses députés où il plairait à Sa Majesté ». Un pouvoir et des instructions sont adressés aux plénipotentiaires : le maréchal d’Aumont, l’évêque de Nantes, Philippe du Bec, MM. de Saint-Luc, de La Rochepot, Châteauneuf, MM. Herpin et de la Grée, présidents en Parlement et en la chambre des comptes. Mais la principale charge et direction, par une instruction secrète et particulière, en fut commise à M. du Plessis-Mornay. Ce dernier s’achemine à Ancenis le 12 décembre et entame les pourparlers avec les députés ligueurs, en particulier l’évêque de Saint-Malo, le président de Launay et l’incontournable Tornaboni, sans oublier Madame de Mercœur partie prenante du congrès.

19On y débattit de la religion et de la présence espagnole. Les émissaires du roi proposèrent à Mercœur le retrait des Anglais et des Suisses de Bretagne contre celui des Espagnols. Mais le duc mettait beaucoup de délai à répondre. Il est vrai qu’il jouait deux jeux11 et qu’il n’abattait pas seul ses cartes. Sa femme avait pris, durant cette seconde conférence d’Ancenis, une part importante aux débats. « Ce jourd’hui [17 février], écrit M. du Plessis, Madame de Mercœur est partie pour nous envoyer les députés. Il semble qu’elle connaisse le mal de leurs affaires et y veuille remédier. Tous ses propos ont tendu là. Je lui ai parlé fort librement, et pense même qu’elle s’en va satisfaite de moi. C’est une humeur brusque et libre et néanmoins qui se peut manier.12 »

20À cause sans doute d’un trop plein de négociateurs, joint à la force d’inertie habituelle au duc, cette nouvelle conférence se termine en mars sans résultats, au grand agacement d’Henri IV. « Quand il vous a plu prendre la peine d’entreprendre le voyage de Bretagne, écrit-il le 13 mars à la reine douairière, si j’eusse jugé que mon cousin le duc de Mercœur, votre frère, eût été aussi peu disposé à la paix comme il a fait connaître par ce qui a été traité par les siens à la conférence, je vous eusse priée instamment de ne faire ledit voyage, pour les incommodités qu’avez reçues en icelui […] L’état de mes affaires ne peut permettre que mes députés s’amusent d’avantage par delà13. » Avant même la conférence, le roi savait pourtant à quoi s’en tenir. Quinze jours plus tôt, il écrivait à son ambassadeur à Londres :

« J’ai toutefois moins d’espérance que jamais de traiter avec le duc de Mercure ; car j’ai appris par ses lettres adressées au duc de Mayenne, que j’ai prises, qu’il n’a permis la conférence qui se fait à Ancenis que pour complaire à la Reine sa sœur, donner contentement à ceux du pays, et attendre que la dite dame reine d’Angleterre eut retiré les Anglais14. »

21Pendant que de nombreux ligueurs influents suppliaient Mercœur de céder aux propositions du roi, les Espagnols, au contraire, le pressaient de les rompre et de reconnaître l’Infante pour duchesse de Bretagne. Le 21 juin 1595, Philippe lui offre une armée supplémentaire de six mille hommes, des galères, le comté de Nantes et Clisson, outre deux cent mille écus et le gouvernement de la Bretagne pour lui, avec survivance pour son fils, s’il lui en naissait un. Lors des discussions avec Don Mendo, Mercœur semble s’y résoudre. Mais il pousse les enchères : il demande que Philippe lui accorde 6 000 Espagnols et finance l’engagement de 2 000 lansquenets, 2 000 fantassins français, et 500 chevaux, qui se joindront aux 3 000 hommes des garnisons payées par la province. Il possédera le commandement suprême de cette armée. Les armées espagnoles assureront une diversion sur la Picardie et les autres provinces. Enfin, il réclame l’assentiment du pape, qui n’est rien moins que sûr, et le secret absolu sur l’accord, s’il arrive à être signé, pour ne pas changer le prétexte de la guerre, jusqu’à ce que les affaires se soient améliorées dans la province. Au total, l’estimation du coût de cette aide, hors la solde du contingent espagnol à l’entière charge du roi, s’élevait à la somme de 38 000 écus par mois15. Le duc chargeait fort la mule. Philippe, déjà au bord d’une banqueroute à laquelle il devra se soumettre quelques mois plus tard (novembre 1596), ne pouvait accepter les contreparties exigées. Tout particulièrement, l’intrusion du pape dans cette négociation indisposait Philippe et ses ambassadeurs. Mais il dissimula. Sans autres garanties, Mercœur accepta pour l’heure de reconnaître les droits de l’Infante sur le duché. Sa déclaration fut contresignée par les évêques de Saint-Malo et de Vannes, le sieur de la Ragotière et Tornaboni16. Le secret exigé par Mercœur était déjà bien éventé.

Le jeu de l’amour et de la guerre

22Le maréchal s’était attardé entre Quimper et Paimpol dans l’espoir que la reine reviendrait sur sa décision de rappeler ses troupes. Le 20 février, à Bourbriac, il ordonne d’« imposer et égailler pour la présente année sur tous et chacuns les manants et habitants des paroisses contribuables à fouages ès évêchés de ce dit pays de Bretagne, la somme de 321 500 écus pour la solde et entretient des gens de guerre en garnison17 ». Le 27 avril, il est encore à Guingamp. Il donne ordre au sieur de Plessix-Budes de faire ouvrir de tous côtés la maison de La Chesnaye, combler ses fossés et la mettre en tel état que les ennemis ne puissent l’occuper. C’était une de ces bicoques de peu d’importance qui n’abriterait que « sept ou huit chevaux », mais pouvait servir de repaire à des soldats débandés. D’Aumont attendait dans ces parages les renforts amenés par Saint-Luc. Aussitôt arrivé, celui-ci reçoit l’ordre de prendre la route de Rennes avec une partie des troupes pour purger le pays de petites places ligueuses qui l’incommodaient fort, comme La Marzelière et La Fougeray qui se rendent à la vue du canon.

23L’amour allait à cet instant changer un peu le cours des choses. Platonique ou non, une rivalité amoureuse opposait le maréchal de soixante-trois ans à M. de Saint-Luc, son cadet de vingt ans. Anne d’Allègre, jeune douairière de Laval, avait « beaucoup de pouvoir sur tous les deux » (Montmartin). Les amours de Saint-Luc avaient déjà occupé la chronique rennaise :

« Le 1er juillet (1593) la Dame douairière de Laval est en cette ville, à laquelle le sieur de Saint-Luc fait l’amour […], le 9 juillet 1593, la dame de Laval s’en va à Vitré, et fut M. de Saint-Luc la conduire, et Monsieur de Couasquen avec des troupes ; voilà bon commencement d’amour […]. Le 22 juillet 1593, M. de Saint-Luc est allé à Vitré continuer ses amours avec Madame de Laval, laquelle on croit qu’il devait épouser18. »

24Le maréchal, dans ce cas, vint tardivement se mettre sur les rangs.

25Quoi qu’il en soit de la préséance amoureuse, la belle, usant de son pouvoir, obtint de ses soupirants qu’ils mettent tous deux le siège sur son château de Comper, à Concoret, et en chassent la garnison ligueuse qui l’occupait depuis le début des troubles. Saint-Luc se rend donc avec ses troupes jusqu’à Saint-Meen, au-devant du maréchal.

26Averti de l’investissement prochain de la place, Mercœur y avait pourvu de sorte qu’« il y avait plus de quatre à cinq cents hommes de combat, entre lesquels quatre-vingt ou cent cuirasses ». Montmartin, à qui l’on doit ces précisions, jugeait l’entreprise hasardeuse. Peu de temps après le bloquement, le maréchal devait en convenir aussi. Mais la dame de Laval, « désireuse de recouvrer son bien ou mue par quelque autre considération plus légère », pressait continuellement ses soupirants de la poursuivre. « Pour plus les échauffer », elle s’était approchée en personne jusqu’à l’abbaye de Paimpont toute proche. Les assiégés se défendaient vaillamment et osaient des sorties meurtrières. Le 13 juillet, voulant lui-même reconnaître la place, le maréchal reçut une mousquetade dans le bras droit qui lui cassa les os. Il se retire à Montfort laissant le commandement du siège à son rival. Saint-Luc s’obstine encore quelques jours, hésitant à installer de l’artillerie. Apprenant que Mercœur et les Espagnols s’étaient approchés de quatre lieues, il préfère lever le siège et se retire à son tour à Montfort19.

27Pendant ce temps, le maréchal d’Aumont avait été porté à Rennes où il meurt de sa blessure le 19 août. À son retour en cette ville, Saint-Luc écrit à Elizabeth pour lui apprendre la mort de celui qu’elle avait tant voué aux gémonies :

« Nous avons ces jours passés perdu Monsieur le maréchal d’Aumont décédé le quarante sixième jour (sic) après sa blessure qui fut d’une grande mousquetade qu’il reçut au bras droit, devant une place que nous tenions assiégée, en quoi pour les remarquables qualités qui étaient en ce vieux chevalier l’on peut dire que le Roi et cet Etat ont fait une perte non commune, et en laquelle les affaires de cette province ne participent pas peu. Le Roi, occupé en tant d’autres endroits, n’y a pu jeter l’œil comme la nécessité et fortune qu’elle court le pourraient requérir, bien que sa Majesté nous fasse espérer tous les jours l’honneur de sa présence que nous tenons désormais pour un des souverains remèdes qu’il y ait à ce mal20. »

28Il en profite pour dresser à la souveraine la situation de la province après le départ des troupes anglaises, et plaider pour leur retour :

« Monsieur de Mercueur en ces entrefaites, faisant profit de notre faiblesse et de la diversion de sa Majesté, ne perd pas temps s’étant uni et étreint plus que jamais avec les Espagnols, et aidé de leurs forces, leur permet tout. Bref Madame, ils usent si bien de l’occasion que en leur faveur un nommé Fontenelles s’est emparé d’une île en la basse Bretagne nommée Douarnenez, qu’il a fortifiée et mise en tel état que si l’on lui laisse continuer, dans deux mois elle peut être rendue (selon la situation, et par main d’homme) deux fois meilleure que le fort de Crozon. Don Jouan d’autre côté avec son gros s’est parqué pour faire deux forts, l’un à l’embouchure de la rivière de Redon, et l’autre vers le Croisic, esquels si l’on leur permet de prendre pied et faire progrès ce seront autant de citadelles inexpugnables qu’ils établiront en toutes les meilleures côtes de cette Province, et par conséquent rendront interdit tout le commerce et navigation tant des pays de votre Majesté Sérénissime, de ceux de Flandres, que des nôtres. A quoi en l’état faible que nous sommes nous n’avons eu moyen d’apporter autre remède sinon que pour ne languir point en cette léthargie, nous ne nous sommes pu contenir, Madame, d’informer votre Majesté Sérénissime de ce qui nous presse et de la crainte beaucoup de pis sur l’armement et nouvelles forces que nous savons qui se préparent es ports d’Espagne pour venir encore fondre de nouveau sur nous. »

29Ce même 28 août, et sans doute de concert avec Saint-Luc, les États royalistes de Bretagne sollicitent à nouveau l’assistance d’Elizabeth afin de libérer la province de « la tyrannie espagnole ». Mais la mort d’Aumont n’avait pas apaisé le ressentiment de la reine qui tarde à répondre21, d’autant que le désastre de Doullens et le siège de Cambrai avaient dangereusement exposé la Picardie « plus proche à son œil ». Ce qu’elle ne disait pas officiellement, ce sont les raisons qui la conduisaient à rejeter désormais la Bretagne au second rang de ses préoccupations : les informations qu’elle recevait de toutes parts faisaient état d’un désaccord de plus en plus grand entre Mercœur et Philippe II, et d’une véritable paralysie opérationnelle du contingent espagnol gangrené par les désertions et bientôt par l’esprit de rébellion.

30Depuis la prise de Quimper et la chute du fort de Crozon, les affaires du parti royal n’avaient guère progressé si ce n’est du côté de Redon : son gouverneur, le sieur de Talhouët, était venu au camp de Comper, devant le maréchal, faire soumission de sa personne et de sa ville au roi. L’apport de cette place qui commandait l’unique pont en dessous de Messac sur la basse Vilaine, et de sa garnison de mille hommes n’était pas mince. Mais l’ensemble des forces royales de la province souffrait d’un commandement défaillant, d’une stratégie peu cohérente et d’un manque de moyens. La mort d’Aumont avait contribué à aggraver un laisser-aller que son successeur ne put ou ne voulut guère corriger, malgré une tournée d’inspection à travers la Bretagne en fin d’année 1595.

31Saint-Luc pourtant sillonnait désormais assez librement le pays. Pendant que « le duc était à Nantes sans rien remuer ni entreprendre, et les Espagnols à Quimperlé comme si toutes choses eussent été paisibles », il se rend à Quimper, en octobre, « pour donner ordre aux affaires qui s’y présentaient », puis à Brest où il est reçu « comme il le pouvait désirer ». Il reçoit, en ce lieu, nouvelle que le roi l’honorait de la charge de grand Maître de l’artillerie et du gouvernement de Picardie. « Dès lors, [il] ôta son affection et ses pensées de la basse Bretagne. » Il fit « quelque levée de deniers sur le pays et distribua ses commissions qui apportèrent quelques murmures dans ledit pays », en particulier en Léon, dont la mutinerie, aux dires de Sourdéac qui en la matière manie sans doute l’euphémisme, fut « apaisée du mieux que l’on put22 ».

32Après cinq jours passés à Brest, Saint-Luc se rend avec Sourdéac à Corlay, Plouguernével et Malestroit où Talhouët, nouvellement revenu au roi, leur donne avis que « le duc de Mercœur était à la Rochefort où il s’était exprès acheminé pour faire construire une forteresse sur l’embouchure de la rivière de Vilaine à un château que l’on appelait l’Isle-sur-Vilaine » et que « tous les jours il était à voir avancer cette fortification, assez mal assisté ». L’occasion pouvait être bonne de se saisir de sa personne. Mais Saint-Luc décidément « n’avait plus tant les pensées aux affaires de Bretagne » et « préméditant sa retraite, n’avait les passions de tels effets ». Il approuva sans enthousiasme cette entreprise. Le 29 octobre, il réunit ses troupes près de Malestroit, avec bien du délai, ce qui donna loisir au gibier de s’effaroucher, et reprend la route de Rennes. Après être passé par Redon « pour reconnaître l’état de la place et les fortifications qui s’y faisaient », avoir réduit quelques maisons-fortes et fait pendre quelques soldats pillards pour l’exemple, il arrive le 9 novembre 1595 à Rennes où se préparait la tenue des États.

33Pendant ce temps, à Ancenis, de nouvelles négociations aboutissaient à la conclusion d’une trêve de quatre mois qui prit effet au 1er janvier 1596, et se prolongera deux mois encore au-delà de son terme. Désormais, dans l’attente de rejoindre le roi et ses nouvelles charges, Saint-Luc réside le plus souvent à Rennes où il se donne du bon temps :

« Le dimanche 18 février (1596) il fit faire au soir chez lui un combat à la barrière par Gentilshommes et Capitaines, qui se fit à l’antiquité, fort magnifique ; et le dimanche 25, il en fit encore un au champ Jacquet environ les huit heures du soir, où il y eut un beau triomphe, y ayant un échaffaut fort grand, et un château sur le puits, qui fut pris par assaut avec force feux d’artifices et autres pompes plaisantes23. »

34M. de Saint-Luc trompait le temps. Il ne quittera définitivement la Bretagne qu’en septembre, trois semaines avant que n’y arrive son successeur à la lieutenance générale : Charles de Cossé, comte de Brissac, maréchal de France, ancien gouverneur ligueur de Paris qui livra la ville à Henri IV. Nommé le 2 juillet, le nouveau maréchal n’entre à Rennes que le 25 octobre 1596. Son retard s’explique en partie par le refus opposé à sa nomination par les officiers royaux. « Ceux de Bretagne, écrit l’ambassadeur d’Angleterre en France, ont récemment délégué à Paris afin de prier le roi de ne pas leur donner le maréchal de Brissac, car ils sont bien résolus à ne pas obéir à quelqu’un tel que lui, qu’ils pouvaient suspecter d’entretenir des complicités avec les ligueurs24. »

35Avec une grande complaisance de la part du roi et de ses lieutenants généraux, la Bretagne est maintenant livrée aux chefs de bandes.

Le bal des capitaines

36Les opérations militaires d’envergure avaient cessé au printemps 1595. Il fallait malgré tout occuper et faire vivre armées et garnisons. Les articles de la trêve prévoyaient de lever 80 000 écus au bénéfice des deux camps et répartis à parts égales. Les habitants sujets aux corvées de fortification pouvaient y être contraints par l’un et l’autre parti, et les absents taxés. Les capitaines et gens de guerre qui, profitant des trêves, fortifieraient des maisons particulières ne pourraient se prévaloir d’un parti, et chacun pourra leur courir sus « afin que le peuple reçoive plus de soulagement ».

37Il n’en fut rien. Les capitaines soudards poursuivirent leurs pillages. Les Espagnols, en rien concernés par la trêve, en profitèrent même pour s’assurer d’autres sites côtiers, conformément à leur stratégie. Après avoir établi La Fontenelle à Douarnenez, ils l’utilisent à nouveau pour s’emparer de la pointe de Primel. Durant les mois d’avril et mai, cette région du Trégor subit la violence des attaques successives, du blocus commandé par les sieurs de Coetnisan et Kergomar, et par l’arrivée d’une partie de l’armée espagnole venue de Blavet pour lever le siège de la place. L’écho des « beaux exploits de guerre » qui s’y firent arriva jusqu’aux oreilles du Rennais Pichart qui les consigne dans son journal25.

38Le collectage régulier ou non des impôts était toujours l’occasion de violentes échauffourées entre les ruraux et les soudards. Les paysans de Plufur et de Lanvellec, « sous les armes de peur des Espagnols qui étaient à Primel », s’attaquèrent aux soldats de la garnison de Tonquédec venus percevoir une taillée (11 juillet 1596). La garnison de Redon doit également user de violence lorsqu’elle vient à Couëron y chercher les fouages le 17 mars 1597. Les bandes rivales à l’occasion se disputaient le butin, les armes à la main. Le 3 juillet 1596, le capitaine Lisle et sa compagnie de Châteaubriant « chargèrent au bourg et prieuré de Moydon les soldats de Saint-Mars-La-Jaille emmenant le bestail d’Erbray26 », etc.

39La longue vacance du commandement général dans la province avait conduit les forces royales à se gouverner à leur guise. « La trêve se maintenait mieux entre les ennemis, confesse Montmartin, qu’elle ne faisait entre les serviteurs du Roi, lesquels étant sans chef entreprenaient les uns sur les autres. » Pendant qu’une partie des forces régulières soumises à la trêve s’installe vaille que vaille en ses garnisons, une autre guerre se développe en Basse-Bretagne, menée par les capitaines aventuriers contre les dernières ressources du pays. Elle ne changera rien aux positions des deux camps, mais fera cruellement souffrir les populations, les ruraux en particulier. Il ne s’agit plus ici des exactions, viols, pillages et meurtres localisés qui accompagnent habituellement le passage des troupes plus ou moins organisées. Il est question de véritables razzias menées par des capitaines pillards, sans aucun objectif militaire, hors de toute stratégie, ponctuées par des exécutions de masse, et d’une brutalité telle que les récits qui en sont donnés passeraient pour des fables si elles n’étaient attestées par des documents nombreux, fiables et convergents.

40Beaucoup de capitaines des deux camps avaient déjà largement exercé leur cruauté sur les populations sous le fallacieux prétexte de la guerre. Au début de 1592, quelques compagnies de royaux s’avancent vers Carhaix sous la conduite des sieurs de Bastenay, Liscouët et La Tremblaye. Elles se jettent sur le plat pays prétendûment du parti contraire. Dans la région qui sépare cette ville du fort du Granec, ils tuent et massacrent « plus de quatre à cinq mille paysans ». Vers la fin de cette même année, le comte de La Magnane loge son régiment de huit à neuf cents hommes en la ville du Faou, près de Locronan, vivant à discrétion sur le plat pays, tuant et massacrant toutes sortes de personnes, pillant et ravageant, faisant levées de deniers de douze à quinze écus par feu, et même davantage. Environ Pâques 1593, après que La Magnane se fût retiré, La Fontenelle, logé au Granec où il avait construit un fort, fit même route, tua et massacra au bourg de Saint-Germain deux à trois mille hommes, tant gentilshommes, bourgeois que paysans27. Peu de cantons ruraux des évêchés de Trégor, Léon et Cornouaille avaient échappé à de telles horreurs dont la fréquence et la cruauté s’accroissent à mesure que la guerre se prolonge.

41L’histoire de la Ligue en Bretagne déroule une suite d’exactions, de vilenies, de meurtres et de pilleries où l’on chercherait vainement des motivations politiques ou idéologiques. Cela est commun à toutes les guerres du temps. Mais cette violence particulière aux personnes et aux biens, hors des buts avoués de la guerre, a peut-être ici des explications spécifiques.

42Elle fut exacerbée par la richesse de cette province que les guerres du siècle avaient jusqu’alors relativement épargnée. Le petit Pérou offrait aux capitaines d’aventure un terrain de chasse giboyeux. Quoique son économie fût encore largement rurale, la Bretagne connaissait une réelle prospérité, assez équitablement répartie sur son espace, que les chroniqueurs du temps ont soulignée. Les historiens ont tardé à le reconnaître avant que les études d’André Mussat, André Lespagnol, Jean Tanguy, Alain Croix notamment fassent litière de l’image d’une Bretagne inaccessible, à peine autosuffisante, hors des circuits commerciaux nationaux ou internationaux, peu urbanisée, maigrement peuplée par des paysans écrasés sous le joug nobiliaire et croupissant dans la misère. « S’il faut aller à l’essentiel, écrit A. Croix, le bilan de l’économie bretonne aux 16e et 17e siècles est clair : une économie en expansion presque continue et presque générale28. » Cela est d’autant plus notable qu’il fait entrer dans ce presque le choc des dix années de guerre civile, qui n’arriveront pas même à casser cette croissance, seulement à la ralentir. Les prédateurs n’avaient pourtant pas ménagé leurs efforts.

43Beaucoup de ces profiteurs de guerre étaient membres de la noblesse, petite ou grande. Les études manquent pour se faire une idée précise, et d’abord quantitative, de cette classe nobiliaire bretonne au temps de la Ligue. Les travaux de Jean Meyer pour le XVIIe et XVIIIe siècle29, et ceux d’Emmanuel Salmon-Legagneur pour le XVe30 permettent cependant de réaliser un encadrement probant. Ils mettent en avant une densité nobiliaire remarquable en Bretagne, inégalement répartie, particulièrement forte dans les évêchés de Tréguier et de Saint-Brieuc. Seulement, la densité des familles nombreuses, jointe à la structure juridique régissant la noblesse bretonne favorable à l’aîné, entraînait la paupérisation de beaucoup de gentilshommes, en particulier des cadets31. Le problème était suffisamment sérieux à la fin du XVIe siècle pour motiver les conseils de René Fleuriot, lui-même cadet, à son fils aîné :

« Je vous recommande aussi l’amour de vos frères et sœurs et leur avancement […] et surtout gardez vous bien de les chasser de la maison paternelle qu’ils n’aient rencontré fortune car ce sont vos frères engendrés de même père et mère que vous et il n’y a que la primogéniture qui vous donne avantage sur eux. J’ai eu en mon voisinage deux ou trois aînés qui ont maltraité leurs cadets et même chassés de leur maison, mais Dieu qui est juste et qui voit nos iniquités ne les a pas laissés longtemps impunis et les a réduits si misérables qu’ils ont été forcés de mendier l’aide et le secours de leurs cadets. Ce pauvre misérable Runegoff traita ainsi ses frères et ses sœurs. Et n’est pas le seul de ma connaissance32. »

44On comprend que beaucoup d’entre eux aient recherché les moyens pour faire fortune et s’établir.

45Parmi les nobles trégorois, ce ne sont pas toujours les aînés qui s’illustrent dans cette guerre : ni le frère aîné de La Fontenelle, ni celui de René Fleuriot n’apparaissent dans les chroniques. Alors qu’Yves de Kerenor, chef de nom du Helloch en Bourbriac, était plus à l’aise à dresser le catalogue de ses titres qu’à monter à cheval, son cadet, René, si démuni qu’il n’était sieur de Villeneuve que par courtoisie, prend à vingt-deux ans le commandement d’une compagnie de chevau-légers et se livre au pillage. Les cadets n’étaient pourtant redevables d’aucun service armé. Jonathan de Kergariou, « pauvre cadet d’une maison où il y avait nombre d’enfants », tirait le diable par la queue avant de devenir capitaine de Coatfrec sous Kergomar33. « Quoique exempts de la faction militaire étant juveigneurs34 suivant la loi de Bretagne comme n’ayant moyens », Guillaume Berthou et son frère se présentent aussi au sieur de Kergomar armés en cheval léger et en bon équipage pour le service du roi… ou de leurs intérêts. Alain du Cambout, sieur de Botdéliau ne possédait au début des troubles « aucun bon équipage sinon comme un pauvre soldat ». Cadet de la maison de Kervinou « où ils étaient nombre d’enfants », il s’enrôla auprès du gouverneur de Guingamp, reçut de lui permission de « prendre des paysans prisonniers des environs de Pontrieux et Lanvollon, se mit en très bon équipage », et gagna tant qu’il « raquitta beaucoup de terres que son frère aîné avait vendues et en acheta d’autres jusqu’à trois ou quatre mille écus »35.

46Avant même les désordres de la Ligue, la dissipation et le dérèglement étaient fréquents dans la petite noblesse : « Ne faites pas, dit encore René Fleuriot, comme un tas de jeunes éventés que je connus, lesquels j’ai vu répandre la meilleure part de leur bien avant que de l’avoir reconnu, et après être si misérables qu’il fallait devenir sergent, tavernier ou notaire pour passer en misère le reste de leurs jours. » L’endettement pouvait conduire certains, cadets ou aînés, à profiter de la guerre. Roland Trogoff expliquera ainsi, en 1598, la hargne à combattre de Claude de Kerguezay, sieur de Kergomar :

« Il est bruit commun que le sieur de Kergomar s’était beaucoup endetté avant les troubles pour faire l’acquet de la terre de Belisle, et qu’il avait emprunté au sieur de Kerliviou […] la somme de trois mille écus, et a oui dire qu’il emprunta aussi de l’argent pour payer sa rançon à Châtillon36. »

47Comment des gentilshommes possédant énergie et force physique auraient-ils pu résister au désir de se refaire en courant la fortune de la guerre ? Comment échapper à l’attrait de la rapine quand « la solde d’un officier dépassait de très loin le revenu foncier d’un petit noble : Jean Guezille, sieur de la Barre-Chevrie, capitaine d’une compagnie de 50 hommes de guerre à pied, percevait en 1594 une solde mensuelle de 33 1/3 écus, soit cent livres, alors que sa terre de la Chevrie ne valait que 62,5 livres de rente annuelle »

48 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 141. Voir aussi le document (non daté mais d’avant juin 1591) présenté par V. Audren de Kerdrel, SHA 35, 1863, p. 296-305.

. En avril 1591, les États ligueurs de Nantes attribuaient mensuellement les soldes selon les tableaux suivants

49 Cette année-là, le montant total des soldes pour l’armée de Mercœur s’élevait par mois à 32 651 écus soit 391 812 écus par an. Les effectifs se montaient à 4 587 arquebusiers et 780 chevaux légers (AD 35, C 3192). Mais ce chiffre, s’il n’est pas volontairement majoré, va singulièrement fondre, puisque lors des États ligueurs de Vannes, en mars 1592, il n’est pris en compte que « l’entretenement de seix cens chevaux et de troys mil hommes de pied », ce qui semble être l’effectif opérationel ordinaire de l’armée de Mercœur (AD 35, C 3194).

 :

Solde des capitaines commandant une place ligueuse, selon l’importance de celle-ci (avril 1591)

Nantes, Dinan

100 écus

Vannes, Redon, Guingamp, Quimper, Concq [Concarneau]

C’est ce que touche, pour Concarneau, le sieur de Lezonnet en novembre 1591 (AD 44, B 2965).

66 écus 2/3

Pirmil [porte sud de Nantes], Suscinio

38 écus

Compagnie ligueuse d’arquebusiers à cheval (avril 1591)

Capitaine

50 écus

Lieutenant

18 écus 2/3

Enseigne

12 écus

Sergent

8 écus

Soldat

5 écus

Compagnie ligueuse de 100 arquebusiers à pied (2 novembre 1591)

50 J’utilise ici le tableau de payement arrêté par les conseillers Georges d’Aradon et Jean Fourché lors de leur tournée, effectuée entre octobre 1591 et janvier 1592, dans les évêchés de Vannes, Quimper, Tréguier et Léon (AD 44, B 2965). Les soldes promises au capitaine et à l’arquebusier sont conformes à celles indiquées par le tableau abrégé de février 1591 des AD 35, C 3192. On peut en induire les soldes des autres officiers, et en déduire que dans l’intervalle les soldes promises n’avaient pas varié.

Compagnie ligueuse de chevau-légers (avril 1591)

Capitaine

Le capitaine était rétribué en fonction du nombre d’hommes sous sa charge. Les conseillers en inspection à Vannes, en novembre 1591, attribuaient au sieur Davance, capitaine d’une compagnie de 24 arquebusiers à pied en garnison au château, la solde de 20 écus, celles de son sergent (8 écus) et de chaque arquebusier (5 écus) restant inchangées (AD 44, B 2965).

35 écus 1/3

Lieutenant

18 écus 1/3

Enseigne

12 écus

Sergent

8 écus

Caporal

7

Ampessade

Premier grade de la hiérarchie militaire, équivalent du soldat de première classe.

6 écus

Arquebusier

5 écus

Capitaine

45 écus

Lieutenant et cavalier

13 écus

51Les soldes proposées par le parti du roi étaient, semble-il, moins élevées. Le fait n’est pas sans importance. Cela mériterait d’être confirmé par une étude plus précise des systèmes de rétribution. Une analyse nécessairement insuffisante des registres relatifs aux paiements des troupes effectués37 révèle cependant que les soldes des officiers et sous-officiers pouvaient varier, selon que la compagnie était enrégimentée ou non, selon l’état de son capitaine (titulaire du brevet en charge ou un second capitaine), la présence ou non dans son effectif de la hiérarchie de commandement complète38. Les soldes attribuées, en particuliers aux simples soldats, pouvaient aussi être modulées en fonction du coût local de la vie39. On peut cependant établir ainsi le montant le plus habituel des soldes mensuelles :

Compagnie royaliste de chevau-légers (1592 et 1593)40

Capitaine

33 écus 1/3

Cornette

16 écus 2/3

Maréchal des logis

12 écus

Cavalier

8 écus 1/3

Compagnie royaliste de gens de pied français (159241 et 159342)

Capitaine

33 écus 1/3

Lieutenant

20 écus

Enseigne

18 écus

Sergent

6 écus 2/3

Soldat 3

écus

Compagnie royaliste de 100 arquebusiers à pied français en garnison à Rennes (1594)43

Capitaine44

33 écus 1/3

Lieutenant

16 écus 2/3

Enseigne

10 écus

Sergent

6 écus 2/3

Caporal

6 écus

Soldat

4 écus

Compagnie royaliste d’arquebusiers à pied (1595)45

Capitaine

33 écus 1/3

Lieutenant

18 écus

Enseigne

10 écus

Sergent

6 écus 1/3

Soldat

4 écus

Compagnie royaliste d’arquebusiers à cheval46

Capitaine

33 écus 1/3

Lieutenant

20 écus

Sergent

8 écus 1/3

Arquebusier

5 écus

Compagnie royaliste de 50 chevau-légers (février 1595)

Capitaine

50 écus

Lieutenant

25 écus

soldat

10 écus

52Mais il faut ajouter à ces soldes le casuel guerrier (rétentions de soldes par les officiers, spéculation sur les grains, rançons et pillages divers). Comment dans ces conditions un gentilhomme valide pouvait-il résister à l’appel des armes alors que, dans le même temps, le mouvement de hausse des prix accéléré dans la décennie 1550, joint à la croissance démographique, en diminuant le poids réel du fouage, alourdissait les charges nobles tandis que les impôts roturiers s’allégeaient47 ?

53Dans cette classe nobiliaire, la violence était endémique. Les petits seigneurs bretons sont bien parfois les brutes déchaînées décrites pour d’autres lieux par Lucien Febvre. Les assassinats et guet-apens mettant en cause les gentilshommes avant même les troubles de la Ligue sont monnaie courante. La liste en serait longue à établir à travers la province. Ce type de violence, patente en Trégor48, avait aussi frappé le chanoine Moreau en Cornouaille : les débauches auxquelles cette classe sociale était accoutumée

« engendraient souvent des querelles qui enfantaient des meurtres sur-le-champ, comme on voyait presque tous les jours par expérience, et je puis bien dire avoir vu depuis vingt-huit à trente ans plus de quatorze à quinze meurtres de gentilshommes de cette Cornouaille, tous chefs de maison, sans comprendre plusieurs autres de moindre qualité comme cadets, serviteurs et semblables ».

54Sur ce point les La Fontenelle, Camors, Kerandraon, Tromenec, Boiséon, de Quelen, du Liscoët, etc., pour ne parler que des capitaines originaires de Bretagne, dont les chroniques racontent les exploits de guerre comme leurs pillages, leur cruauté et leur avidité, loin d’être des exceptions ne furent après tout que des hommes de leur temps et de leur classe.

55Dans cette galerie de portraits figure Christophe d’Aradon, resté tristement célèbre sous le nom de baron de Camors. En avril 1596, avec cinq ou six cents gens de guerre, il prend par force les havres d’Audierne et de Pont-Croix, les pille et met leurs habitants à contribution. Il y séjourne plus d’un mois. Quatre ou cinq vaisseaux qui se trouvaient en rade avaient pu mettre les voiles. Mais tombant de Charybde en Scylla deux d’entre eux sont pris par les navires de La Fontenelle. Un autre, en la rivière, « n’ayant pas marée commode », est pris à son tour et sa cargaison de vin saisie.

56Délogé quelques semaines plus tard d’Audierne par le baron de Molac, Camor s’en va loger au Havre de Bénodet. Lui et sa troupe « passèrent par bateaux jusques à Saint-Moran qui est l’embouchure de la rivière de Quimper-Corentin et lors prit un navire appartenant à défunt Sébastien le Lagadec, chargé de vin ». Les gens de La Fontenelle lui succèdent à Audierne pour le reste de l’année. Jean Lohéac, sieur de Trévosec, déposera que

« durant ledit temps, non seulement le trafic de la mer leur était dévié, mais le commerce et liberté de terre par les garnisons de Créménec, Coateaudu, Pontivy, La Fontenelle, Concarneau, Tronchâteau, Troncquedec, et autres mal vivants, de façon que tous les pauvres laboureurs des champs, taverniers des bourgs et bourgades et grand nombre des habitants en sont morts de faim, mangeant des herbes, comme les bêtes brutes, et les surplus des vivants ne rapportent presque figure d’hommes par la pauvreté qu’ils souffrent49 ».

57L’évêché de Léon, qui a échappé plus que d’autres aux capitaines pillards, a subi cependant Guillaume Simon, sieur de Tromenec. Ce capitaine royaliste, salade dans la compagnie du seigneur de Sourdéac en 1595, pille et rançonne le pays sans distinction de parti ; et même encore la paix signée. Il sera excommunié par l’évêque de Léon dont il avait ravagé la terre et tué, en 1600, un certain avoué, François, juveigneur de Kermavan. Et ne rachètera ses fautes qu’en élevant à son ennemi un monument expiatoire dans sa chapelle de Tromenec, près de Lannilis50.

58Le ligueur Yves de Quélen, seigneur de Locquevel, meurt de ses blessures en novembre 1590. Il avait cependant, en une seule année de guerre, bien profité de sa situation. Dans le testament qu’il rédige « blessé au camp devant Cambout », le 26 novembre, il supplie sa femme, afin de mettre son âme en paix, de

« bailler et délivrer à Yves Tasset six escus et outre six arbres de chesne au bois de Locquevel pour lui aider à refaire sa maison et trois sommes de seigle, et c’est pour le ravaigement que on a fait de sa maison […], de payer à la femme d’un homme qui fut pris pour espion qui fut tué d’un coup d’arquebuse auprès de sa maison de Locquevel, la somme de cinquante escus […], de restituer la somme de 400 escus à la veuve de Pierre Huonnic de Pommerit, aux enfants de Guillaume Huon, la somme de 300 escus de la paroisse de Tregrom, etc. […], de faire bannir par les paroisses esquelles il auroit logé et demeuré à tous et chacuns qui auroient esté foulés de recevoir au plus près satisfaction ».

59Encore son testament ayant été amputé d’une feuille, une grande partie de ses exploits resteront sans doute inconnus51. Et que dire des Kerandraon, Boiséon, du Liscoët, etc., tous enfants de Bretagne, dont les faits et les méfaits de guerre ont été largement racontés… !

60Beaucoup d’autres capitaines étaient venus des provinces voisines profiter des richesses du petit Pérou. René de La Grézille, sieur de la Tremblaye, originaire du Poitou, arrive en Bretagne au début des troubles avec le comte de Soissons. Ce pillard émérite, nommé gouverneur de Moncontour en 1591, est fait prisonnier à la bataille de Marc’hallac’h. Enfermé pendant plusieurs mois à Nantes, il fut, dit-on, converti à la Réforme dans sa prison par un cordelier défroqué, prisonnier lui aussi. Pour le récompenser et lui permettre de payer sa rançon, le roi lui permet de percevoir les revenus de Paimpol et de Bréhat. Le capitaine normand La Croix, vaillant soldat, maître de camp dans l’armée du maréchal d’Aumont, profita de la trêve au début de l’année 1594 pour s’installer avec son régiment dans un fort sur la côte trégoroise, d’où il écume la région. Le 5 février, le recteur de Perros-Guirec mentionne sur ses registres les églises ravagées, le Saint-Sacrement jeté à terre ; puis en mars les ravages, les brûleries et les pillages causés par La Croix et ses capitaines Rondelière, Bouchardière, Simon, Perrot, La Pointe, « tous pendards », et tous, semble-il, étrangers aussi à la Bretagne. Pendant plusieurs mois, il tient le pays sous sa coupe. Au mois d’août 1594 enfin, d’Aumont, abreuvé journellement de plaintes contre ce capitaine, vint en personne le déloger. Il le somme de sortir de son fort afin de répondre des accusations dont il était l’objet. La Croix refuse d’obtempérer. Un conseil de guerre est aussitôt tenu à Guingamp, le 3 de ce mois d’août :

« Vu en notre conseil les requêtes contenant les plaintes et doléances faites par les habitans des paroisses des évêchés de Tréguier et Saint-Brieuc des violences pilleries, ravages, brûlements, rançonnements et levées des deniers faites sur le pauvre peuple, joint la désobéissance notoire faite à nos commandements par le Capitaine La Croix et ses soldats, lesquels de leur autorité privée se seraient emparés de la place de Ploumanac’h et icelle fortifiée et fait lesdites levées au grand préjudice du service du Roy, du trafic, navigation et repos du pauvre peuple. Nous avons fait et faisons commandement au dit de La Croix de quitter et abandonner dans vingt quatre heures la dite place de Poulmanac’h et nous venir trouver pour répondre aux plaintes et doléances faites contre lui. Et à faute de ce faire, l’avons déclaré et déclarons ennemi du Roi et repos de ses sujets, faisant prohibitions et défenses à toutes personnes de lui bailler aucun support, faveur et aide, ni fournir et administrer vivres, ammunitions et autres choses : Et aux Capitaines et soldats qui l’assistent à présent de le suivre, auxquels faisons commandement de nous venir trouver et se ranger à nos troupes pour le service de sa Majesté dedans le dit temps de vingt quatre heures, sur peine d’être pendus et étranglés où ils seront trouvés sans autre forme ni figure de procès. Et le dit temps passé, avons aussi promis à nos sujets et serviteurs de sa dite Majesté de courir sus lesdits Capitaines et soldats et les tailler en pièces sans qu’ils en puissent être aucunement recherchés. Et à ce que aucun ne puisse prétendre cause d’ignorance, avons ordonné que la présente ordonnance sera signifiée au dit de La Croix et auxdits Capitaines et soldats qui l’assistent par un trompette, et publié aux marchés et lieux publics de cette ville de Guingamp et Lannion et prônes des grandes messes parrochiales des paroisses voisines de Lannion52. »

61D’Aumont fit alors avancer un détachement de l’armée pour assister les compagnies formées par les gentilshommes de la région. Le capitaine La Croix ne se laissa pas intimider. Il soutint le siège et n’hésita pas, pour l’exemple, à tuer un de ses hommes qui parlait de se rendre. Mais l’audace perdit les assiégés :

« Quelques-uns de ceux du sieur de La Croix étaient allés à la picorée, lesquels furent pris par le sieur de Kermorvan, frère du sieur de Kergomar, et étaient en nombre de vingt-huit. Lesquels amenés au sieur Maréchal, faisant sommer ledit sieur de La Croix de se rendre, et n’en tenant aucun compte, les fit tous pendre la nuit sur la contre-escarpe. Ce qui étonna le lendemain ledit La Croix, de sorte que, peu de jours après, il se rendit bagues sauves53. »

62Les confins de la Bretagne et de l’Anjou eurent de même à souffrir de Pierre Le Cornu, sieur du Plessis de Cosme, d’une vieille famille du Bas-Maine. Mercœur et Boisdauphin lui avaient confié le commandement du château et de la ville de Craon. Sa défense de Craon contre les armées de Dombes et de Conti, en 1592, fut héroïque. Il fut aussi un des derniers gentilshommes de la région à se soumettre à Henri IV dans cette région frontière de la Bretagne, de l’Anjou et du Maine. Mais il joignait à ses qualités d’homme de guerre les mœurs d’un bandit sanguinaire que ne rebutait ni l’assassinat, ni le vol, ni le pillage, ni les plus infâmes trahisons. De son château de Craon, il fit régner la terreur jusqu’aux portes d’Angers, de La Guerche et de Châteaubriant. Pour connaître les crimes de du Plessis et de sa bande, il suffit de lire la liste interminable des faits de guerre ou autres dont il demande absolution et décharge dans sa supplique au roi : contributions forcées, incendies de bourgs et d’églises, rasements de châteaux, meurtres, ravages, butins, prises de personnes « de quelque qualité que ce soit, faisant la guerre ou non », vols de marchandises et de marchands sur terre et sur eau, etc.54.

63Le château ou maison forte de Québriac servit de repaire à Pierre de Fontlebon. Ce seigneur poitevin, cadet de famille ambitieux, vint en Bretagne pour en exploiter les malheurs, probablement en compagnie de Charles de Quelennec, baron du Pont, dont il était le familier comme l’était déjà son père. Quelques attaches familiales avec le futur Henri IV le conduisent à soutenir d’abord sa cause. La garde de Québriac lui est confiée en 1591 par le prince de Dombes. Cette place qui $ constitue la pointe nord d’un triangle dont Bécherel et Hédé formaient les deux autres, était entourée de murailles et d’une ceinture de douves larges et profondes. Quatre tours la flanquaient.

64Au commencement de 1593, Fontlebon fit prisonnier le marquis d’Asserac. C’est à cette occasion, et peut-être sous l’influence de son prisonnier, qu’il passe à la Ligue55. Le 18 mai de l’année suivante, il s’empare d’un capitaine de l’armée royale, le sieur de la Villebasse. Le versatile Fontlebon en profite pour changer à nouveau de parti. Appelé à Rennes par le maréchal d’Aumont afin de clarifier sa situation, il s’y présente. Mais l’accueil est différent de celui attendu. Ses créanciers et ses victimes, ayant eu vent de son voyage, le font arrêter par des sergents aussitôt passée la porte Mordelaise, et enfermer en la prison de la Feuillée. Mais le maréchal désirait peu se compromettre dans ce guet-apens judiciaire. Devant le refus des plaignants et geôliers d’élargir Fontlebon, il intervint personnellement et usa de la force pour le remettre en liberté.

65Par gratitude sans doute, Fontlebon soutint avec constance la cause royale durant quelques mois. Il résiste même à M. de Saint-Laurent qui tente de surprendre Québriac. Mais ayant appris que le capitaine du Pré, gouverneur de Hédé, avait été tué dans l’attaque de Douarnenez, et jugeant son intérêt plus crucial que son honneur, il attire dans un piège le lieutenant de Cirgaz qui commandait la place en l’absence de du Pré. Par trahison, il s’empare du château (en juillet [ ?]) 1596, et y installe son fils56, lequel y résida « avec grand nombre de soldats avec recharge et oppression du peuple57 ». Son seul recours contre les représailles du maréchal fut de se tourner à nouveau vers la Ligue et de couvrir ses méfaits d’un voile politique. Ainsi renforcé et flanqué, Fontlebon multiplie ses rapines et ses cruautés. En 1597, il réunit les hommes de ses deux garnisons et s’aventure jusqu’à Pacé et aux environs où, nous dit Me Jean Pichart, ils pillent, « brûlent quelques maisons et tuent et prennent des prisonniers ».

66Malgré les plaintes et les supplications adressées par les États au maréchal de Brissac de « faire commandement à Fontlebon et Laubertière de sortir des châteaux de Hédé et de Québriac avec leurs troupes sous peine d’être déclarés rebelles et criminels de lèse-majesté58 », les capitaines poursuivent leurs picorées. En juin 1597, Fontlebon obtient de la cour ligueuse de Dinan les revenus de la terre et seigneurie de Tinténiac saisis par les rebelles. Devant la résistance des fermiers, intendants et métayers à lui verser les rentes, il les fait saisir et emprisonner sans autre forme de procès.

67Le roi cependant s’approchait de la Bretagne : il fallait ménager l’avenir. Le temps était venu pour Fontlebon, comme pour bien d’autres, de racheter sa conscience et de faire oublier ses crimes et trahisons. Un accord est passé, le 9 mars 1598, entre lui et le lieutenant du roi en Bretagne : celui-ci promettait au père comme au fils, contre leur soumission, « des lettres d’abolition générale de tout acte d’autorité faits depuis le commencement des guerres et pour tous ceux qui les ont suivis et assistés, même pour la prise du château de Hédé ». La place de Québriac « demeurerait entre les mains du sieur de Fontlebon pour la conserver dans la servitude du Roi avec quarante arquebusiers français » et « il serait donné au sieur de Laubetière commission de trente chevaux légers ». De quoi poursuivre leurs rapines comme par le passé mais sous un autre étendard59.

68Anne de Sanzay, comte de La Magnane, autre cadet, n’avait pas attendu d’entrer en Bretagne pour exercer ses activités coupables. Lorsque le chanoine Moreau se trouvait à Paris, en 1586-1587, La Magnane traînait déjà la réputation d’un « bon et ancien voleur sur terre et sur mer » qu’Henri III, pour cette raison, avait fait embastiller. Issu d’une vieille famille du Poitou, La Magnane avait reçu son nom du connétable Anne de Montmorency qui lui-même, disait-on, le tenait d’Anne de Bretagne. Il avait d’abord choisi de connaître, sur les mers, la guerre et l’aventure. Au cours d’un combat naval contre les pirates barbaresques, il perd un bras. Fait prisonnier, il est conduit à Alger et devient propriété du grand mufti. Libéré après quelques mois de captivité, le chevalier de Sanzay, désormais surnommé, lui aussi, « Bras-de-Fer », séjourne en 1569 à la Roche-Bernard où il se montre particulièrement hostile aux protestants de la ville. De 1569 à 1575, il est à Nantes auprès de son frère René III de Sanzay, gouverneur du château60.

69Après avoir quitté cette ville, et profitant de l’insécurité ambiante, il commet plusieurs actes de brigandages. Emprisonné à nouveau sur l’ordre d’Henri III, il est remis en liberté grâce à l’intervention de M. de Molac. Pour se faire pardonner sans doute, il fait campagne en Poitou dans les forces royales durant l’année 1585. Deux ans plus tard, sa femme meurt à Lantenac, abbaye dont il avait obtenu la jouissance avant de la transformer en garnison61. Il épouse alors la veuve du seigneur de Penmarc’h, Marie de Tuomelin, dame de Bourouguel, en juillet 1588.

70Voilà tirés, au travers d’une rapide biographie, quelques fils de l’écheveau inextricable que représentaient pour une conscience, les motifs d’un engagement quand il fallait choisir un parti. Amitiés, parentèle, rancœurs, intérêts particuliers, parcours personnel, etc., cela parut sans doute confus au sieur de La Magnane, mais son changement de camp ne semble pas relever d’abord d’un choix de conscience. Il entame la campagne de Bretagne au côté du roi. En juillet 1589, le sire de Châteauneuf lui confie la mission de présenter les édits du roi aux nobles léonards, les convaincre de demeurer fidèles à la couronne, réunir le ban et l’arrière-ban et faire marcher les présents vers Rennes. Anne de Sanzay ne manquait pas d’éloquence écrite : en témoignent les lettres qu’il adresse à sa seconde épouse. Mais la harangue qu’il tint à Lesneven, le 24 juillet, devant les gentilshommes du Léon, pour la plupart déjà acquis à Mercœur, les laissa de marbre. Il obtint seulement que la publication des montres soit repoussée « jusqu’à ce que leur remontrance ait été entendue par le roi, et qu’il en soit autrement ordonné62 ».

71Fait prisonnier, sans doute en juillet 1591, par le sieur de Saint-Laurent, il obtient passeport de Mercœur afin de se rendre dans les domaines de sa femme pour réunir l’argent de sa rançon. Le 16 septembre, sur ordre du duc, Louis, seigneur de Kerjean, s’occupe de lever la saisie déjà prononcée par les ligueurs sur les biens de la comtesse de La Magnane. Sans doute y avait-il des pourparlers dans l’air. Alors qu’il courait encore la campagne pour moyenner sa liberté, La Magnane, sous prétexte que les commandants de Guingamp, Bréhat, Paimpol, empiétaient sur son autorité de capitaine de la noblesse, des ports, havres et côtes de l’évêché de Tréguier, leur suscite une querelle hors de propos. Bien que le prince de Dombes lui eût malgré tout donné raison dans cette affaire en le confirmant dans sa fonction, La Magnane se prend de querelle cette fois avec Olivier Pavic, sieur de Keralec, qui prétendait avoir obtenu un pouvoir semblable pour les villes et retenue de Tréguier. À bout d’arguments, Pavic pille et incendie le manoir de Kerousy, en Plouguiel, que La Magnane venait de fortifier. Celui-ci s’en va trouver le prince pour en obtenir réparation. Mais il fallait réunir toutes les parties en cause : cela prit plus d’un mois.

72Entre-temps, un messager de M. de Saint-Laurent était venu le trouver pour réclamer son dû et exiger la liberté d’un ligueur prisonnier. Anne de Sanzay sollicite alors une entrevue avec Mercœur pour obtenir un délai et une réduction de sa rançon. Il se rend à Vannes mais doit patienter que le duc en ait fini avec les États :

« J’ai été dix jours aux environs de Vannes pensant faire une fin à ma liberté afin de te pouvoir aller voir et être à l’assignation que j’ai fait donner à la noblesse à Guingamp. Monsieur de Mercœur est bien aise de me tenir en longueur pour m’empêcher de faire la guerre et mes charges. Ma détention m’est si ennuyeuse et me donne tous les jours tant de travail pour aller d’un côté et d’autre que je m’étonne que ne suis mort […]. Le fer s’use à la fin. Si faut-il que je trouve quelque repos. Je ne puis vivre en cette façon […]. Je serai à Rennes demain, où ne serai qu’un jour. Monsieur de Saint-Laurent me doit mander à Coatlogon ou Loudéac le temps que leurs États seront passés et le jour que pourrai parler à mondit sieur de Mercœur […]. Ils ne veulent que j’aille à Vannes, peur que je voie la négociation de leurs affaires63. »

73Rien dans cette lettre à sa femme qu’il conclut par un « prenez vous garde des ligueurs », ne permet de penser qu’il envisage de changer de camp. Mais le poids familial s’exerçait. Par une lettre à Mme de la Magnane, du 15 mai 1592, le seigneur de Kerjean, son parent et ligueur lui-même, se fait l’intermédiaire d’une forme de chantage qu’exercent sur son mari le sieur de Faouët et quelques autres, pour qu’il rejoigne leur camp64. En août suivant, c’est chose faite. Trop tributaire de sa belle-famille pour régler sa rançon, il met un terme à son épreuve en se rangeant sous la bannière de Mercœur.

74Il s’y montra fort combatif dans la mesure où il pouvait laisser libre cours, et en toute impunité, à son instinct de pillard. De la longue liste de ses forfaits, on ne peut retenir ici que les plus atroces. Sur la fin de 1593, il se loge avec un régiment de huit à neuf cents hommes en la ville du Faou qui était, disent les procès qui se rapportent à cette affaire, « auparavant opulente et riche, et de laquelle Sa Majesté retirait grande finance pour le trafic et commerce que on y faisait ». Il y fait avec ses soudards « telle ruine et désolations que en huit à dix jours il fit mourir plus de trois mille hommes, tant gents d’église, gentilshommes que marchands et paysans, pilla et ravagea tout le pays de trois, quatre à cinq lieues de la ville, de sorte que depuis le pays a été presque désert ». Après l’avoir bien fourragé, il se rend à Locronan et Pont-Croix, lève sur ces villes et le pays alentour plus de dix mille écus, sans compter les autres « ravages, voleries et rançonnements65 ». Général d’une petite armée de cinq ou six cents hommes, il « donnait sa loi partout où il passait ». Il transforme pendant plusieurs mois l’abbaye de Lantenac en garnison d’où il écumait les alentours. Après avoir semé la terreur en Léon, où il réprime dans le sang une révolte paysanne en août 1594, il se loge à Quintin et en ravage la région avant d’en être chassé par le sieur de Kergomar et un régiment de Suisses.

75Jean de La Motte dont eut à souffrir la région de Saint-Brieuc, Plérin, Pordic, était un des gentilshommes lorrains venus en Bretagne soutenir la cause de Mercœur.

« [Il] portoit sa casaque et a faict les trois à quatre ans derniers [donc depuis 1595 environ] sa continuelle résidence en la Tour de Cesson, durant son séjour en laquelle place il a commis de grandes violences, larcins et voleryes. Et se mit à faire la petite guerre, à courir la picorée, porta le feu aussy et les flammes pour embraser, brusler et ruyner tout cest estat, et des ruynes d’iceluy bastir sa fortune et en peu de temps profita si bien, et fut si diligent ménager que pour la licence du temps et du nom de garde de mondit sieur de Mercœur il exigea de toutes parts, fist magasin, remplit sa bourse et en effect, a des moyens et facultés pour en accomoder ses amys et ennemys ; le tout de la sueur, sang et substance du pauvre peuple. [Il] est estrangier, Lorrain de nation, venu en ceste province fort pauvre et nécessiteux, à présent de ses larcins, voleryes et usures est des plus riches, estimé riche de plus de douze mille escus. [Il] a tenu le peuple en subjection, estoit si craint et redoubté, avoit telle auctorité et commandement en la Tour de Cesson que aucun n’eust osé lui refuser d’obéir à ce qu’il eust voulu66. »

Le folastre Guyon

76Les plus emblématiques de ces capitaines pillards restent cependant Guy Eder, seigneur de La Fontenelle67. Il est une synthèse achevée de toutes les qualités et de tous les défauts des membres de cette petite noblesse bretonne, pauvre de biens souvent, mais pénétrée d’un fort sentiment aristocratique, lequel à force d’avoir été inemployé, va d’une façon dévoyée s’affirmer par les armes.

77Quoi qu’on ait beaucoup écrit sur lui, on n’en sait pas grand-chose, à l’exception de ses faits d’armes qui jalonnent dix ans de sa courte vie. Peut-être est-il né, vers 1572, à La Fontenelle, petite propriété familiale aux environs de Saint-Brieuc dont il portait le nom distinctif. Mais tout laisse à penser que dans sa jeunesse il fréquenta assidûment la région de Tréguier-Lannion à laquelle le liaient des attaches familiales, en particulier avec Jean et Victor de Rosmar, ses cousins et premiers compagnons d’aventure.

78C’est à Paris que nous le repérons d’abord, dans la foule bigarrée des écoliers de la Montagne Sainte-Geneviève, et plus particulièrement sur les bancs du collège de Boncourt où le chanoine Moreau le rencontre en 1587. Il montrait déjà, aux dires du chanoine qui ne l’aimait guère, « les indices de sa future vie dépravée, étant toujours aux mains avec ses compagnons de classe ». Mais sauf à croire que tous les garçons batailleurs deviennent chefs de bandes, on ne peut accorder qu’un crédit relatif à ce jugement a posteriori. On eût préféré connaître la nature des études qu’il suivit dans ce collège qui forma beaucoup de grands personnages du temps, la nature des ambitions, personnelles ou familiales, qui l’avaient conduit sur les bancs des collèges, ses contacts avec les lettrés qui hantaient ces parages, et sa présence aux sermons qui enflammaient alors Paris de haine contre les huguenots. Mais nous ne savons de plus sur lui que ce que Moreau veut bien nous dire :

« En 1589, il vendit ses livres et sa robe de chambre, et du provenu de l’argent acheta une épée et un poignard, se déroba du collège, et pris le chemin d’Orléans pour aller trouver Monsieur de Mayenne, lors lieutenant général de l’État et couronne de France, et chef du parti catholique ; mais il n’alla guère loin qu’il ne fut dévalisé et dépouillé par quelques coureurs, si bien que la nécessité le contraignit de retourner à Paris, à son premier maître de collège, où toutefois il ne tarda guère qu’il ne retourna en Bretagne68. »

79Vers la fin de cette année, ou au début de la suivante, on l’y trouve, désireux de prendre place « parmi la populace qui était sous les armes pour le parti des catholiques ». Il avait alors dix-huit ans et une envie de se battre. Il rassemble quelques domestiques de son frère aîné, et quelques gentilshommes de sa parenté ou de sa connaissance, pour la plupart trégorrois. Sa bande ainsi constituée s’étoffera tous les jours.

80De son premier repaire, le château de Kersaliou, en Pommerit-Jaudy, il mène ses premières expéditions en compagnie de son lieutenant, le redoutable Jean de La Noë. Il écume ainsi la région de Tréguier et Pontrieux, avant de se hasarder vers Callac, Châteauneuf-du-Faou et Morlaix. À la demande de quelques Lannionnais, il investit leur ville, en chasse le sieur de Goesbriand, en août 1590, s’installe à sa place et, au grand dam des bourgeois, lève des impôts pour l’entretien de sa bande : il n’en est délogé qu’un mois plus tard par les troupes de Kergomar.

81Guyon, comme on l’appelait familièrement, vient alors chercher fortune en Cornouaille où ses rapines lui valent les remontrances des états ligueurs de mars 1592. Arrêté à cette occasion, il est aussitôt relâché : Mercœur avait besoin de lui et de ses compagnies pour délivrer la ville de Craon assiégée. Son service achevé, il revient en Trégor et s’installe au château de Coatfrec. De cette solide forteresse dans la vallée du Léguer, il organise la picorée à dix lieues à la ronde, tantôt bandit tantôt ligueur. Sur l’ordre de Mercœur, il pousse avec sa troupe jusqu’à Plouégat où il s’empare du château de Guerrand, en janvier 1593. Mais peu avant Pâques, il est assiégé dans son repaire de Coatfrec par Sourdéac, Kergomar et le baron de Molac, et doit capituler vie et bagues sauves. Vers la fin de 1593, il se replie sur la Cornouaille intérieure, s’établit avec ses compagnies à Corlay que vient d’abandonner La Magnane, et installe une garnison dans le château de Callac, « vieille ruine, sans aucune maison ni apparence qu’il n’y en eût jamais », qu’il aménage pour le confort et la sécurité de ses troupes. Entre quelques actions de guerre « régulière », il met à feu et à sang la Cornouaille où l’oie, à ce qu’on disait, était grasse. L’année suivante, aux environs de Pâques, il massacre au bourg de Saint-Germain « deux à trois mille hommes, tant gentilshommes et bourgeois, que paysans qui voulurent s’opposer à ses desseins69 ». Mercœur en personne, à la demande des Quimpérois affolés, lui demande de déloger (mai 1594). Il obtempère et se replie sur son réduit de Corlay.

82Après la prise du fort de Crozon, Montmartin reçoit l’ordre du maréchal d’investir cette place avec quinze cents hommes, en janvier 1595. La Fontenelle, espérant sans doute le secours des Espagnols qui se trouvaient à deux jours de marche de là, fait traîner les pourparlers. Ce lui fut d’autant plus aisé que Montmartin ne possédait pas d’artillerie. Il laissa même espérer sa soumission au roi. Les palabres durèrent douze jours. Mais au lieu des Espagnols, c’est le maréchal qui se présente sous les murs. Persuadé que d’Aumont traînait avec lui le canon, le capitaine brigand accepte de quitter Corlay avec ses trois cents hommes, vie et bagues sauves. Le maréchal remplaça ce capitaine brigand par un autre du même acabit, le sieur La Mouche.

83Le folâtre Guyon s’empare alors de Créménec, installe ses hommes à l’abbaye de Langonnet, et continue ses pillages sans souci des affaires de la guerre ou de son parti. Sa puissance militaire était devenue telle que les Espagnols cherchent à le détourner de Mercœur et l’utiliser à leur profit. Avec leur aide, il prend possession de l’île Tristan, dans la baie de Douarnenez, en juin 1595, bientôt transformée en un camp retranché inexpugnable. Avec une grande vanité, il l’appellera de son nom l’île Guyon. Désormais à la tête d’une véritable armée de plusieurs centaines de routiers, d’une flotte de plusieurs bons navires, il traite quasi d’égal à égal avec les principaux chefs de guerre des deux camps. Les prisonniers à rançon s’entassent dans ses geôles, « traités à la turque et même plus barbarement » selon le chanoine Moreau. À en croire des soldats ligueurs arrêtés et interrogés par les Anglais, il avait cruellement massacré huit cents paysans dans cette contrée de la Cornouaille70. Il se proclame alors « capitaine de cent chevau-légers et de deux cents arquebusiers à cheval, maître de camp d’un régiment de douze cents hommes de pied, gouverneur de l’île Guyon, ville de Douarnenez et pays circonvoisins sous l’autorité de Monseigneur le duc de Mercœur, gouverneur de Bretagne ». Mais de l’autorité du duc, il usera fort à sa guise, et refusera de céder le fort de l’île au sieur de Kersalio gouverneur nommé par Mercœur.

84Au début d’octobre 1595, trahi par un complice avec lequel il envisageait de s’emparer de Quimper, La Fontenelle est arrêté. Saint-Luc lui offre le pardon et la liberté à la condition qu’il livre son île. Il refuse et est conduit à Rennes pour être jugé. Espérant que l’arrestation de leur chef amollirait le courage des défenseurs du fort insulaire, les royaux en organisent l’attaque. Le 14 octobre 1595, un conseil se tient au camp de Carhaix pour envisager les moyens de l’investir par terre et par mer. Sourdéac est chargé de l’opération, mais commandé par Saint-Luc de l’aller trouver en diligence au siège de Comper avec sa cavalerie, il laisse la conduite du blocus au sieur de Coettredrez assisté des sieurs de Cadiheuc, Molac, Bastenay, Sourdéac et de deux mille hommes. En baie de Douarnenez sont positionnées quatre barques armées à vingt hommes tant soldats que mariniers et des chaloupes armées à dix hommes chargées d’empêcher l’arrivée de renforts par mer71.

85Au bout de six semaines, fatigués par un ciel très inclément, apprenant que les bataillons espagnols se préparaient à marcher sur eux, les assiégeants abandonnent la tentative et rentrent en leurs quartiers.

86D’Aguila, lui aussi, songeait à récupérer cette place maritime qui lui avait échappé. Le 31 janvier 1596, sollicité de donner son avis, il répond à Philippe II :

« J’ai déjà écrit à V.M. de quelle importance est le fort de Fontenelle [l’île Tristan] ; je reviendrai encore aujourd’hui sur ses avantages. C’est une place inexpugnable, et qui ne pourrait se perdre que par la trahison, si elle était entre les mains de V.M. Il faudrait seulement une forte somme d’argent pour la mettre en état de perfection et pour construire des magasins en dedans, où l’on pourrait réunir en sûreté une quantité de munitions. En été, quelques vaisseaux pourraient au besoin jeter l’ancre avec peu de risques, si ce n’est en complète sécurité72. »

87Mais la garnison commandée par le fidèle La Boulle restait intraitable.

88Pendant ce temps, Saint-Luc, empressé de s’acheminer vers la cour où le roi l’appelait, organisait la libération de l’encombrant prisonnier, au grand désarroi de toutes les victimes du brigand, arguant que son arrestation, résultat d’une trahison, ne serait pas valable en droit. « Cet officier, qui devait bientôt quitter la Bretagne, ne prenait plus le même intérêt à ce qui la regardait […]. Un sordide intérêt l’emporta à cette occasion sur l’utilité publique » glose avec pertinence dom Taillandier73. Sans doute, cette affaire fit tinter les écus. Mais il s’agissait aussi de haute politique. Guyon était devenu potentiellement si puissant qu’il convenait de le ménager. D’Aguila songeait à l’utiliser encore, Mercœur le tolérait. Henri IV, qui s’intéressa fort à sa capture dont il fut informé avant Saint-Luc lui-même, pouvait bien songer à s’en faire un auxiliaire. La Fontenelle est donc relâché, le 24 avril 1596, contre une rançon de 18 000 écus outre les dépens, après la signature d’un traité selon lequel « la somme qu’il a payée pour sa rançon lui sera remboursée des deniers de Sa Majesté ». Le lieutenant général du roi accorde qu’

« il lui sera entretenu en ladite île quatre compagnies de gens de pied de cinquante hommes chacune avec sa compagnie de gens d’armes et des capitaines appointés pour servir à la marine aux gages de quatre cents livres chacun par an, avec son appointement de Gouverneur de ladite île […] ; de plus, il commandera en l’absence des Lieutenants du roi en cette province, aux navires et vaisseaux ronds qui seront entretenus pour le service de sa Majesté en la côte de Bretagne ».

89Saint-Luc lui promettait aussi d’obtenir du roi le pardon de toutes ses actions, et de n’être, à cause d’elles, aucunement recherché74. Le loup venait de revêtir la houppelande royale. Pendant tout ce temps, profitant de la trêve, et sur son ordre, ses hommes s’étaient emparés du fort de Primel avec l’assistance des Espagnols.

90De retour en son île, comme roi en son royaume, Guyon impunément poursuit ses rapines, avec l’accord tacite des Espagnols. En mai 1596, faisant fide la trève, le jeune capitaine à la tête de mille hommes de guerre avait assiégé Penmarc’h et s’en était emparé. Le lieu, « un des plus grands havres de la France », était en réalité une sorte « d’archipel terrestre » constitué « d’une grande quantité de petits bourgs chacun de soixante ou quatre-vingts maisons, lesquelles ne sont distantes les unes des autres que de la portée de l’arquebuse »75. Les habitants possédaient en leur port « plus de cinq cents navires à eux ». Il y aurait eu avant la guerre en la ville de Penmarc’h « dix mille bons mariniers ». Maître de la ville, La Fontenelle en massacre les habitants réfugiés dans l’église et le fort de Kérity, se livre au pillage des demeures, s’approprie les bateaux qu’il trouve au port et complète à bon compte sa flottille. « Après la Fontenelle, dit le chanoine Moreau, demeura telle ruine que Penmarc’h ne pourra de cinquante ans se relever, ni possible jamais. » Les bourgeois et la plupart des habitants, échappés aux guerres, s’étaient réfugiés aux villes alentour. Le commerce et l’industrie de la cité périclitèrent. Il n’y eut plus bientôt, comme le disait une expression du Cap-Sizun : « Na bag, na coquet ! ni bateau, ni canot. » En 1597, après la capitulation du fort de Kerity-Penmarc’h où se tenaient les derniers soldats de La Fontenelle, alors que la contrée reprenait vie, tous les marchands de Penmarc’h avaient déjà transporté à Audierne le siège de leurs anciennes pêcheries. Il ne resta sur les lieux que quelques familles de pêcheurs dont le poisson ne trouvait plus guère acheteurs76. La Fontenelle avait eu raison de la vieille cité.

91On lui attribue sans preuve – mais on ne prête qu’aux riches – la prise de Roscoffet une grande boucherie de paysans à Plancoët. Le bruit court à Londres qu’il se serait emparé, avec sa flotte, de dix-huit à vingt vaisseaux anglais et hollandais, et qu’il vient d’entamer en quelque crique de ses domaines la construction d’un navire de quatre cents tonneaux. En avril 1597, La Fontenelle affirme, dans une lettre à Mendo de Ledesma, possèder « huit ou dix navires de guerre bien armés », et bientôt douze qui sont, assure-il, au service de Sa Majesté catholique77. On veut bien le croire, car ses objectifs, affirme Sourdéac, sont tout à fait semblables à ceux des Espagnols eux-mêmes : Brest, l’île d’Ouessant, et « l’embouchure de la rivière de Lannion ».

92Le seul énoncé de son nom jette la Basse-Bretagne dans la terreur :

« Le sieur de La Fontenelle, lorsqu’il a été en liberté, a donné si grande licence à ses gens de guerre qu’ils ont tout réduit à rien, tué, massacré, emporté et brûlé tant en temps de guerre que en temps de trêve et en tout ledit évêché (de Quimper), les femmes et filles violé, tué les maris, pour ce faire fait loger sesdites troupes, qui étaient de plus de douze cents hommes, ès maisons des gentilshommes, icelles brûlées, démolies, et ruiné les édifices, bois et décorations, pris et emporté le bétail trouvé par tous les champs, aussi pris et mené sans en restituer aucun ; et se sont portés si insolemment en toute action que aucunes personnes ecclésiastiques, de la noblesse, du Tiers Estat et laboureurs d’aucun lieu, endroit, ni de quelque âge que ce soit, n’ont eu le moyen de se trouver ni demeurer en leurs maisons ; les champs demeurés déserts, les églises profanées, la terre sans culture, et ce qui pouvait être cultivé et semé a été par lui pris et emporté et fait rendre au fort de Douarnenez, de Cremenec, Penmarch, Coetbihan, et en plusieurs autres endroits où il établissait des garnisons ; pour cet effet aurait par département baillé à ses soldats les dîmes de bénéfices, biens et revenus, maisons et rentes des ecclésiastiques et de la noblesse et du tout indifféremment78. »

93L’affaire de l’île Tristan était devenue une guerre dans la guerre. Vers la fin janvier 1597, une nouvelle opération est préparée de Quimper par le capitaine du Pré. La Fontenelle en informe Don Juan qui lui promet son aide : « Il est mieux de le secourir, écrit celui-ci à Philippe II, le 8 février, que de le voir se donner à l’ennemi79. » Il n’en eut pas le temps. Du Pré « brave gentilhomme et vieux soldat qui avait beaucoup de courage » aux dires de Sourdéac, manquait aussi de discernement. Avec mille hommes, il attaque l’île qui abritait au moins autant de défenseurs solidement retranchés. Dès les premiers tirs de mousqueterie, le capitaine du Pré est frappé à mort. Ses gens, sans hasarder davantage, se replient. Le seul résultat de cette opération fut la destruction du grand navire de la Fontenelle encore en construction et réduit en cendre sur son ber.

94Cette fois Brest et son gouverneur se sentirent menacés par l’insolente fortune du jeune capitaine qui ne rêvait rien moins que « régir la terre et posséder la mer ». L’amiral de La Fontenelle, un certain capitaine Orange, choisit même de s’installer, en avril 1597, avec une flotte de sept ou huit navires à Camaret, à l’entrée du goulet de Brest. Sourdéac aussitôt arma autant de navires pour l’en déloger. Dans la bataille navale qui suivit, et dont mention est faite par le seul Sourdéac, la plupart des navires du sieur Orange furent coulés ou pris. L’amiral ne trouva son salut qu’en cinglant vers la haute mer.

95La Fontenelle se tourne alors vers Quimper qu’il tente en vain de forcer pour le butin, sans autre considération militaire. La résistance offerte par les habitants, assistés par la garnison de Concarneau, l’oblige à faire retraite en laissant sur la place beaucoup de morts et de blessés. Après la perte de ses navires, ce revers terrestre marque pour La Fontenelle la fin de son ascension. Mais il gardait toute sa hargne et sa capacité de nuire, d’autant qu’il se renforce de deux cents à trois cents hommes venus de Dinan et de Pontivy, attirés par la perspective du pillage.

96Pendant ce temps, la Bretagne épuisée ne pensait plus qu’à la paix. Les Espagnols eux-mêmes, peu désireux de s’écarter de Blavet, limitaient leurs opérations terrestres. Les royaux, maîtres désormais du plat pays et des principales villes, se contentaient de réduire les derniers fortins ligueurs. Le 20 mai, Sourdéac pose le siège devant Penmarc’h, un des réduits de Guyon. Deux jours plus tard, après une forte canonnade, la place est emportée par assaut. Des sept cents défenseurs « il en fut pris soixante ou quatre-vingts, et le reste sentit la rigueur de tels assauts ». La justice, délocalisée pour l’occasion et fort expéditive, entame sur-le-champ l’exécution des prisonniers, pour l’exemple. Le prévôt Fardeles, « diligent en son mestier […] n’allait en son expédition que douzaine par douzaine ». Averti qu’il en était à la troisième douzaine, et jugeant sans doute que la leçon était assez convaincante, Sourdéac mit un terme à l’enthousiasme liquidateur du magistrat. Ayant eu vent que le prévôt avait ainsi joué de ses jeux, les garnisons de Créménec, Saint-Alouarn et d’autres places des environs, « sans attendre qu’il leur fist danser le branle de son valet de chambre », évacuèrent leurs bicoques après y avoir mis le feu. L’occasion était bonne pour aller tâter les défenseurs de Douarnenez. Mais il fallut toute la force des prières de l’évêque de Cornouaille, Charles du Liscoët, et des représentants des trois ordres du diocèse pour en convaincre Sourdéac qui avait alors d’autres idées en tête. Les Quimpérois étaient prêts à engager « jusques aux calices, croix et crosses pour faire fondre, afin de les délivrer de la gueule du dragon ». L’armée de Sourdéac, remotivée par les 3 000 écus levés sur la Cornouaille, et les 7 800 autres versés par le Léon, s’ébranle donc, le 7 juin, vers Douarnenez et l’île Tristan. L’aigle était enclos dans son aire80.

97Don Juan, retenu prisonnier, comme on le verra, par les soldats rebelles de la garnison de Blavet avant de quitter définitivement la Bretagne, ne pouvait l’assister.

98Deux mois de siège n’avaient pu avoir raison de la place lorsque quatre galères espagnoles chargées de quatre cents hommes quittent enfin Nantes le 20 août pour ravitailler le fort et en renforcer la garnison. Manquant de munitions et curieusement peu pugnace en cette occasion, Sourdéac prit prétexte de ce renfort ennemi pour lever le siège. Depuis le départ des Anglais, il entretenait avec l’Espagne des relations fort suspectes. Par l’entremise de son cousin, François de Carné, sieur de Rosampoul, tout dévoué à la cause de l’Infante, il aurait même exprimé à Philippe II, par lettre du 29 avril 1596, son désir fou de servir sa Majesté catholique81.

99Deux semaines après la levée du siège de l’île Guyon, Henri IV avait repris Amiens. Le bruit courait qu’il tournait enfin la tête vers la Bretagne. L’histoire de La Fontenelle allait prendre un cours nouveau. Celle de Mercœur aussi.

Le colosse aux pieds d’argile

100Les Espagnols s’accrochaient à leur réduit de Blavet sans tenir compte des avis de Mercœur. Ils tentent même de contrôler le Vannetais et la basse Loire. En fin décembre 1594, quinze navires sous le commandement du capitaine Rodrigo de Orozco étaient sortis de Lisbonne chargés d’armes, de munitions et de vivres pour la Bretagne. Malgré les multiples plaintes formulées à l’encontre de Don Juan par Mercœur, jusqu’à la demande de sa révocation, Philippe II, par lettres du 11 janvier suivant, maintient son général dans ses fonctions. Sa Majesté catholique jouait sa dernière carte politique : faire reconnaître sa fille comme duchesse de Bretagne. Ses députés approchent de façon plus insistante le gouverneur de Vannes, René d’Aradon, et ses frères, depuis longtemps dévoués à la cause de l’Infante. Cela eut un premier effet : Don Juan est invité à entrer à Vannes et à y laisser une forte garnison. L’idée était d’étendre le réduit du Blavet jusqu’à Vannes, Hennebont, l’île de Rhuys, les châteaux de Suscinio et d’Elven tenus par les d’Aradon et les Montigny qui se disent déjà vassaux de Philippe II. Les Espagnols espéraient ainsi forcer la main du duc et le contraindre à se déclarer en faveur d’Isabelle. Peut-être d’ailleurs Mercœur était-il alors désireux de le faire, mais les lenteurs de l’administration espagnole et les difficultés engendrées par les premiers symptômes de la maladie du vieux roi, firent que l’audience demandée à ce propos par M. de la Hautière, arrivé en Espagne en février, ne lui fut accordée que le 6 octobre.

101L’Espagne n’était pas au mieux. Le colosse avait des pieds d’argile. Les frais considérables engagés depuis deux décennies s’étaient accrus considérablement après la déroute de la grande armada. Malgré la contribution dite « des millions » levée sur le pays pour palier les pertes immenses de la guerre livrée sur plusieurs fronts européens, ses finances présentaient un déséquilibre préoccupant. L’entêtement de Philippe II à reconstituer une nouvelle flotte d’invasion, le coût des troubles en Aragon, l’augmentation des frais de la guerre en Flandre et contre Henri IV, la multiplication des pensions et des cadeaux divers aux hommes et femmes d’influence avaient encore élargi le gouffre financier. Malgré un accroissement, durant ces années, des arrivées de métal précieux arraché des Amériques, la monarchie espagnole se voit bientôt dans l’incapacité de rembourser le capital et les intérêts des emprunts contractés auprès des gros banquiers italiens, mais aussi auprès de collectivités locales et de personnes privées comme c’était le cas en Bretagne.

102Le défaut de remboursement de ces prêts avait sérieusement écorné la réputation des hispaniques et de leur allié. En fin 1593, Mercœur doit calmer à ce sujet le mécontentement qui grandissait dans la province, et supplier Philippe de « vouloir commander que les forces qui sont en deçà soient payés, d’autant que l’insolence qui est grande des soldats à l’endroit du peuple s’excuse sur ce qu’ils ne sont payés ». Il s’était obligé et avait engagé sa promesse. Il se croit donc tenu d’exiger que les « deniers empruntés des villes et communautés, même des particuliers » leur soient rendus. À la fin mars 1594, l’ardoise de Sa Majesté catholique en Bretagne s’élevait à 79 000 écus pour le seul entretien de son armée. Et pourtant celle-ci manquait de tout82.

103La déliquescence du pouvoir politique et des finances espagnoles explique peut-être que l’offre de collaboration des frères d’Aradon ne reçut pas à Madrid un écho plus favorable. Elle est aussi à l’origine de la situation de plus en plus critique des troupes espagnoles en Bretagne. Mal ou pas payées, elles manquaient d’enthousiasme. Leur effectif était, à la date du 30 juillet 1595, de 4 306 hommes83, soit mille hommes de moins que le nombre enregistré lors de la revue du 27 mai 1594. La perte des défenseurs de Crozon était cause de cette diminution, mais aussi la maladie et surtout les désertions qui se multiplient. Depuis plusieurs mois, l’administration madrilène était excédée par le relâchement de la discipline militaire au sein de son armée en Bretagne, et le comportement des soldats « efféminés, ruffians, débauchés qui traînent avec eux des femmes ». Le contrôleur Pedro de Illanes propose même au roi de suivre l’avis des Pères de l’Église et d’ouvrir, pour éviter ces désordres, « des établissements publics bien signalés où des pécheresses notoires seraient employées à satisfaire les vices et la sensualité ». Beaucoup d’Espagnols esseulés, selon le contrôleur, « se résignent à épouser des Bretonnes : or elles sont toutes suspectes d’hérésie ; elles emmènent chez elles leurs nouveaux maris et, en leur reprochant de ne point toucher leur solde, les incitent à la révolte84 ». Passons sur la paranoïa manifestée par ce jugement. Mais il est vrai que de nombreux soldats espagnols désertent. Quelques cas de mariages entre Bretonnes et soldats espagnols (ou portugais) sont mentionnés à Nantes, dans les paroisses aux alentours des garnisons ; à Plusquellec, le 18 mai 1592, une demoiselle de La Garaine épouse Philippe de Azevedo, hyspania regno, et qualifié noble. Mais le phénomène ne paraît pas être d’ampleur significative85. Mendo de Lesdema, dans une lettre du 6 février 1596, avouera avec plus de bon sens que les désordres qui secouaient l’armée étaient le résultat des soldes non versées. Bientôt, les soldats attribueront la rigueur de leur sort au mauvais commandement de leur général et à ses mauvais traitements, et rumineront des idées de révolte.

104Par une lettre écrite de Rennes le 13 juin 159786, Londres apprend qu’une rébellion a éclaté à Blavet :

« Je vous confirmerai encore par ce mot la prise de Blavet sur l’Espagnol par les Italiens qui s’en sont rendus maîtres et ont pris prisonnier dom Juan. L’on tient pour assuré qu’ils ont crié « vive le Roi ». Ils demandent M. de Talhouët qui leur offre cinquante écus. M. de Mercœur a envoyé vers eux leur offrir cent écus. Il y avait force prisonniers français qui étaient dedans qui ont aidé aux Italiens à se rendre maîtres de ladite place. Bref c’est chose sûre que l’Espagnol n’y a plus de commandement et sont tous dans la ville de Blavet qui ont seulement pouvoir de contempler leur fort. Je vous supplye de croire que c’est chose toute assurée et en aurez bien tôt des nouvelles plus certaines. Dieu veuille bien inspirer lesdits Italiens. »

105« C’est chose toute assurée, écrit aussi un second correspondant deux jours plus tard, que la prise de Blavet. Ce sont les Italiens qui ont envoyé devers le Roi. L’auteur de l’entreprise est un breton nommé Villegourmil (ou Villegouveil ?). Dom Juan est prisonnier. Cela donnera la paix en Bretagne. Il n’y a plus d’Espagnols dedans. » C’est du moins ce que colportait la rumeur87.

106Les mutins de Blavet, menés par un simple sergent, avaient profité de la présence de leur général et de ses officiers dans le camp retranché pour les surprendre et les emprisonner. Ils ne demandaient rien d’autre que d’être payés. Le commandement espagnol ayant été ainsi rendu impuissant, cette situation dura jusqu’à l’arrivée au port de Blavet, le 27 septembre, de six galères apportant d’Espagne 60 000 écus, convoyées par le capitaine Vincent Hernandez et ses compagnies. Son objectif ayant été atteint, la révolte prit fin. Don Juan libéré, mais en disgrâce, s’embarque pour l’Espagne après avoir remis le commandement du fort à Hernandez, et sans qu’aucune représaille, semble-t-il, ait été opérée sur les mutins.

107Le projet si longtemps nourri par Philippe II de subjuguer toute la France était depuis longtemps une chimère. Le 9 janvier 1596, lord Snowden, de retour d’Italie et d’Espagne, écrit à lord Cecil :

« Les affaires de la France sont désespérées en Espagne, et leurs agents ne sont pas considérés, particulièrement le duc de Mayenne ; seul le duc de Mercœur a conservé son crédit. Je pense que l’objectif de l’Espagne pour ce qui est de la France est d’assister chaque gouverneur pour conserver sa province, et d’organiser la France à la manière de l’Italie88. »

108Mais depuis lors, Marseille et la Provence89 avaient échappé aux Ligueurs. Pour servir encore les desseins espagnols, il ne restait plus parmi les grands féodaux révoltés que le seul duc de Mercœur si mal suivi que Philippe II sentait la Bretagne aussi lui échapper. Il était désormais plus soucieux de s’emparer de la Picardie qu’il comptait joindre aux Pays-Bas et de conserver quelques solides réduits en Bretagne susceptibles d’offrir à ses troupes et à son armée navale des points d’appuis sur la route de Flandre, d’Angleterre ou d’Irlande dont se préparait l’invasion. Ces places pouvaient aussi servir de monnaie d’échange dans les discussions de paix qui s’ouvraient avec Henri IV. Pour mieux les tenir, les Espagnols avaient déjà comploté en sous-main pour obtenir le concours de La Fontenelle, de sa petite armée et de sa flotte de guerre.

109Henri IV, on ne peut s’en étonner, donnait la priorité au front du nord où les Espagnols venaient de s’emparer de Calais (9 avril 1596). Le 22 mai, il prend La Fère après un siège de sept mois, et chasse ainsi les ennemis du cœur de la Picardie ; et s’efforce de pourvoir à la défense de Boulogne, Montreuil, Abbeville.

110Elizabeth, elle aussi, sans sous-estimer Mercœur90, se préoccupait maintenant davantage de la Picardie. Elle n’avait digéré ni la conversion d’Henri, ni ses promesses oubliées. Depuis le rembarquement de ses troupes de Bretagne, elle n’avait reçu qu’avec froideur les sollicitations du roi de s’engager à nouveau. Mais contrainte par la menace redoutable de l’Espagnol s’établissant à sa porte et sous la pression d’une opinion publique qui avait tourné à la fermentation et presque à la sédition à cette perspective, elle doit rajuster sa politique. Par le traité d’alliance mutuelle signé le 26 mai avec les diplomates français, Elizabeth accorde au roi, afin de les engager en Picardie durant six mois, 2 000 auxiliaires et un prêt de 20 000 livres91.

111Mais elle gardait toujours un œil sur la Bretagne d’où lui venaient régulièrement les rapports de ses espions organisés en véritables réseaux92, et de ses informateurs réguliers (comme Sourdéac) ou occasionnels. Saint-Malo, Morlaix, Conquet, Roscoffsont les plaques tournantes de l’information, par où transitent les courriers. De Morlaix sont transmises à Londres, le 9 décembre 159593, des précisions sur de nouveaux préparatifs militaires en Espagne et Portugal :

« Ce jour est arrivé un navire de cette ville venant de Lisbonne ; il y a un mois qu’il en partit, lequel a bien été arrêté trois semaines, à raison de l’armée [navale] ; […] la dite armée relâcha au dit Lisbonne. Elle était de seize gros navires de Saragosse et quatorze grands bisquins que don Diego Bruchello avait amené audit Lisbonne. Il courait un bruit que les seize gros navires étaient congédiés. Ils peuvent avoir sur lesdits navires environ cinq a six mille soldats. »

112L’information était sérieuse. La rumeur insistante de la constitution d’une nouvelle flotte d’invasion préoccupait la reine et ses conseillers, d’autant que sa destination était incertaine. Le 28 juin 1597, Sourdéac informe Londres que des espions espagnols s’apprêtent à débarquer en Angleterre :

« Madame, Je viens présentement d’avoir avis qu’il est parti d’Espagne, il y a quelque peu de temps, une barque ollonnoise du port de vingt cinq tonneaux chargée d’oranges dedans laquelle il n’y a que des basques et un Espagnol aussi en habit de basque lesquels doivent aller à Londres pour, sous ombre de faire la vente de leurs oranges, épier l’état de votre armée, ce que j’ai cru être de mon devoir de faire savoir à votre Majesté94. »

113On comprend que dans cette situation, la reine se soit tenue régulièrement informée de la situation de Brest et de l’état d’esprit de son gouverneur.

114L’échec de l’expédition de Drake et de Norreys en 1589 avait permis à Philippe de reconstituer dans des délais très brefs une nouvelle force navale. Elle ne sera jamais aussi puissante que dans les années 1591-92, au moment où l’Espagne donnait des signes de déclin. Elizabeth savait que pour la sauvegarde de son pays, la mère des batailles, si elle avait lieu, serait maritime. Ayant déjà mesuré les limites d’une intervention terrestre continentale, la souveraine avait depuis quelques mois changé sensiblement sa stratégie et mettait sur pied une imposante armée navale chargée de garantir l’intégrité du homeland et de ses abords maritimes. Elle espérait en particulier, comme elle l’écrit à Sourdéac le 28 mai 1596, que cette flotte « tiendra si bien en cervelle » les Espagnols qu’ils ne chercheront plus à s’emparer de Brest95. Mais il convenait aussi d’étendre la surveillance maritime aux côtes irlandaises. Il apparaissait de plus en plus assuré que la prochaine tentative d’invasion de l’Angleterre se ferait en deux étapes, la première consistant à prendre pied dans la catholique Irlande. Depuis qu’en 1593 une révolte massive s’y était déclenchée, menée par le plus puissant des nobles irlandais, Hugh O’Neill, les insurgés ne cessaient de multiplier les appels à l’aide auprès de Philippe II.

115Elizabeth avait préféré anticiper les risques. Fin juin 1596, soixante navires commandés par Essex et l’amiral Howard transportant quinze mille hommes paraissent en rade de Cadix. Après avoir détruit une escadre espagnole, ils assiègent la ville et s’en emparent le 1er août, avec les immenses richesses dont elle regorgeait, notamment dix-huit galions chargés d’or en provenance du nouveau monde. Cela coûta 20 millions de ducats à Philippe II et causa dans ses finances déjà fragiles un tel désordre qu’il est contraint, le 20 novembre, de faire une seconde banqueroute et d’arrêter les payements aux banquiers de l’Europe avec les conséquences qu’on imagine. Cette opération combinée, géographiquement limitée mais d’une efficacité maximale, avait prouvé la vulnérabilité de l’Espagne jusque sur son sol, et la troublante apathie sénile de Philippe II.

116Malgré ce nouveau revers, l’Espagne n’abandonnait pas son projet d’envahir l’Angleterre. Les préparatifs pour une seconde expédition se poursuivent dans ses ports. Une flotte de vingt-quatre galions espagnols et portugais, et soixante autres voiles s’élance du port de El Ferrol, le 25 octobre 1596. Elle transportait plus de douze mille hommes auxquels s’ajoutèrent 6 000 autres, venus de Vigo, portés par quarante et un autres navires. Mais trois jours plus tard, la tempête, une fois encore, la disperse au large du cap Finistère : une vingtaine de navires sont coulés entraînant la mort de mille à deux mille hommes, et la perte des 60 000 ducats qui sombrèrent avec un navire. Cette nouvelle armada devait cingler vers l’Irlande pour assister les révoltés catholiques. Mais les ordres avaient été changés au dernier moment. Malgré les objections de dom Martin de Padilla Manrique l’Adelantado mayor96 navré que ces palinodies le conduisent à sacrifier O’Neill et ses Irlandais, il lui fallait désormais faire route vers la Bretagne et se saisir de Brest dans l’espoir de contraindre les troupes françaises à se replier des Flandres97. Sourdéac, concerné au premier chef, mais ignorant peut-être le danger auquel il venait d’échapper, nous a conservé les échos de ce désastre :

« La grande armée qui dès le mois de juillet et de aoust [1596] se préparoit en Espagne commandée par Lantelado (sic), soit qu’elle fust mal conduitte aiant donné dedans le sac de Portugal se perdit tout au commencement du mois de Novembre qui fut une grande perte au Roy d’Espagne. Le bruit estoit qu’elle menaçoit la Bretagne. Mais Dieu para ce coup et ne permit, si tant est qu’ils eussent ce dessaing, qu’ils missent à fin leur entreprise98. »

117On voit donc que ce naufrage, contrairement à ce que l’on en a écrit, n’est pas de l’invention de Sourdéac. Il ne le confond pas non plus avec celui de l’année suivante. Les restes de l’armada, dispersés dans les ports espagnols, attendaient un moment plus favorable. Dés septembre 1597, les nouvelles arrivent en Angleterre que 24 000 hommes sont à nouveau réunis à El Ferrol. Vingt galères sont également arrivées d’Italie à Lisbonne avec 12 000 hommes99. Le 19 octobre suivant, une nouvelle flotte d’invasion quitte en effet la Corogne. Elle est conduite à nouveau par Don Martin, et pour les forces terrestres par D. Juan de l’Águila. Les Mémoires de Sourdéac nous rapportent qu’elle avait été, elle aussi, prise dans une tempête, le 1er novembre, au large du Conquet. Cette flotte ennemie estimée par lui à cent vingt voiles100 et qu’il pensait lui être destinée, avait jeté l’alarme aux environs de Brest. Dans toute la région, le tocsin est sonné qu’en ce jour de Toussaint on confondit souvent avec la cloche de l’office. Des feux sont allumés, de trois lieues en trois lieues, le long de la côte. Sourdéac après avoir rassemblé des forces avec peine arrive sur le matin au Conquet pour assister à la destruction de deux caravelles. Livrées à la fureur des éléments, elles sombrent en moins de deux heures sous les yeux d’une foule assemblée sur le rivage.

118L’escadre faisait route vers l’Angleterre comme en témoignent les papiers saisis par Sourdéac101. L’interrogatoire d’un rescapé lui apprend que les navires abîmés faisaient partie d’un renfort de « 10 caravelles et quatre navires » transportant 2 000 soldats. « Sous la conduite en mer de dom Martin de Gorostiollas et pour la terre, sous Don Diego de Quinones », ils tentaient de rejoindre une armada de 124 navires chargés de « treize mille hommes pour mettre en terre savoir à Falmue (Falthmouth), Plemue (Plymouth) ou Dartmue (Dartmouth) en l’un des dits endroits, et incontinent s’y fortifier et renvoyer les navires, l’ordre du renfort étant semblable ». Mais des nouvelles arrivées tardivement à El Ferrol, via la Bretagne, faisaient état de fortes garnisons placées sur les côtes anglaises aux lieux prévus pour le débarquement. Les Anglais avaient eu vent de l’opération. Les plans espagnols s’en trouvèrent compromis, et la désorganisation s’ajouta à l’inclémence de la saison. Une partie des caravelles avait atteint l’entrée de Falthmouth pensant y trouver, selon les ordres, le gros de l’armée. Dans l’incertitude, les navires s’en retournèrent « pour aller vers Surlingue (Scilly), Blavet ou Belle-Isle pour en avoir nouvelles, et ne oyant rien aller en Irlande102 ». Et l’expédition fut ajournée.

119La mort de Philippe II, en septembre 1598, ne calmera pas la vindicte espagnole à l’encontre d’Elizabeth et de son royaume. En 1601, sous Philippe III, une nouvelle armada103 débarque en Irlande un corps expéditionnaire commandé à nouveau par don Juan de l’Aguila. Les Espagnols s’emparent de Kinsale avec l’assistance des rebelles irlandais, avant d’être battus par une armée anglaise commandée par sir Thomas Wingfield104.

120Aveuglés par leur rêve hégémonique et leur fanatisme religieux, les Espagnols n’avaient pas su tirer les leçons de leur échec en Bretagne. La guerre qu’y avait entreprise Elizabeth confirma au contraire l’efficacité de sa politique et de sa stratégie. Face à la puissance financière de l’Espagne, en apparence inépuisable, il lui fallait épargner les ressources matérielles, financières et humaines de l’Angleterre, et ne les employer que dans les situations extrêmes, voire désespérées, et encore pendant le temps le plus court possible105. Dans cette longue guerre de dix-neuf ans qu’elle livre à l’Espagne sur le continent européen, elle ne rechercha jamais de glorieuses victoires ou des conquêtes territoriales, mais simplement le retour au statu quo ante. La guerre à l’économie menée par elle et son Trésorier, selon le principe du risque minimum, n’était pas alors conforme à la morale militaire habituelle sur le continent. Ce refus du panache guerrier (d’autant plus beau qu’il est inutile) et de la gloire militaire indisposait même ses généraux. Le comte d’Essex en fut frustré. Sir John Norreys en souffrit lors de ses campagnes de Flandre et de Bretagne, tout comme Roger Williams en Normandie. La correspondance reçue par Norreys lors de sa charge en Bretagne et Maine témoigne de l’incessante litanie des soldats à économiser, de l’argent à ne pas gaspiller, de l’objectif unique dont il ne lui fallait jamais s’écarter, et qui le contraignait, à son corps défendant, de faire beaucoup avec peu d’hommes et peu de moyens.

121Cette tactique, sur mer comme sur terre, va pourtant s’avérer efficace. Elizabeth fera plier Philippe II, puis son fils Philippe III. L’action de ses corsaires qui harcèleront, couleront ou saisiront les riches convois venus d’Amérique, le sac de Cadix en juin-juillet 1596 par son armée et sa flotte, le dosage de ses interventions en Flandre, Picardie, Normandie ou Bretagne, la coûteuse et tragique fascination que son île causa sur le Roy catholique, contribueront lourdement à creuser les déficits d’un État espagnol dispendieux, contraignant le pays le plus riche d’Europe à la banqueroute. Elle aura ainsi mené et gagné, avec des structures encore féodales, la première guerre moderne.

La crainte du panache blanc

122Dès l’abjuration du roi, le 25 juillet 1593, et surtout après son absolution par le pape le 18 septembre 1595, quelques ralliements à son panache blanc avaient été constatés en Bretagne, mais sans caractère massif. Charles du Liscoët, évêque de Quimper, était accouru l’un des premiers à Rennes prêter le serment de fidélité et présider les états royalistes, mais il avait toujours été hésitant sur le parti à prendre. Le 19 août 1595, c’est au tour de Mgr Aymar Hennequin d’arriver à Rennes pour officialiser sa soumission au roi. Avant d’entrer en la ville, il fit avertir le gouverneur Montbarot de sa venue afin qu’il lui permît l’entrée. Elle lui fut accordée : le temps était à la réconciliation. Le 6 octobre suivant, installé à nouveau sur son siège, Monsieur de Rennes officie lors du Te Deum que l’on chante en la ville pour la levée de l’excommunication du roi106. Le 4 décembre, c’est au tour de l’alloué Raoul Martin, mis hors de la ville au début des troubles, d’y revenir.

123Mais le ralliement le plus conséquent, parce qu’il privait Mercœur d’un solide lieutenant qui le protégeait sur ses marches, fut celui d’Urbain de Laval-Boisdauphin. Approché pour le roi par Martin Ourceau et François du Breil qui reçurent pour leur peine, le premier la charge de maître de requêtes, le second celle de conseiller au parlement de Bretagne, le gouverneur d’Anjou pour la Ligue rendit en particulier les villes de Sablé et Château-Gontier. L’édit officialisant sa soumission fut arrêté à Lyon au cours du mois d’août 1595, et signé dans les premiers jours de septembre. Comme tous les chefs ligueurs, Boisdauphin avait déposé les armes moyennant récompense : une gratification de 670 000 livres et la dignité de maréchal de France.

124Dans les premiers jours de janvier 1596 paraît l’édit qui réconcilie le duc de Mayenne et le roi. Il engageait aussi le duc de Joyeuse, le marquis de Villars, et tous ceux qui voulaient profiter de cette paix. L’exécution des arrêts contre le duc de Mercœur était même suspendue jusqu’à ce que ce dernier ait fait connaître son intention d’être à son tour compris dans le traité. La Ligue perdait de ce fait tout objet, et Mercœur une première occasion de sortir honorablement du conflit. Mais il persévéra dans la révolte, s’ornant toujours du nom de chef des catholiques, contre les évêques, le légat et le pape lui-même.

125Il avait chargé son frère de soutenir sa cause auprès du Saint-Siège107. Mais sans succès. Depuis plusieurs mois déjà, son attitude agaçait le pontife : elle contrariait sa politique qui visait à dégager Rome de l’emprise espagnole en rétablissant une France forte et pacifiée sous un roi désormais catholique. Le 30 septembre 1596, le cardinal légat en France écrit au duc de Mercœur :

« J’ai vu une ordonnance de Votre Excellence, qui me laisse bien étonné que V.E., étant ce qu’elle est, ignore qu’il y a un roi très chrétien en France, puisque S.S. lui a donné l’absolution, le traite comme tel et tient un légat auprès de sa personne. S.S. veut de plus que tous le tiennent pour tel et que cette nouveauté soit admise dans la province que V.E. gouverne108. »

126On ne peut être diplomatiquement plus clair. Mercœur avait perdu le droit de revendiquer le titre de défenseur de l’Église catholique.

127Politiquement mort, moralement discrédité, militairement moribond, Mercœur n’est plus alors pour Philippe II qu’un fruit prêt à cueillir : « [Mercœur] écrit Mendo de Ledesma au roi, sait mieux que personne qu’il n’y a pour lui sécurité de vie et d’honneur par un autre chemin » que le contrat avec l’Espagne ; « il sait aussi combien il est envié par les siens et par d’autres pour avoir pris une voie différente de la leur, que lui a recueilli de l’honneur, de la réputation et du profit, tandis qu’eux se perdaient entièrement. […] Il n’a d’autre moyen pour se sauver que de servir V.M.109 ».

128La guerre de Bretagne n’était plus à ce moment, pour Mercœur, qu’une affaire personnelle de survie dans laquelle l’orgueil, voire l’amour du lucre, compte plus que les convictions religieuses. Désormais sa politique est plus erratique que jamais. Il semble prêt à se livrer au diable lui-même si le diable pouvait lui permettre de durer encore un peu. En témoigne une lettre qu’il adresse au comte de Rochepot le 22 juin 1596110. Le duc s’y déclare prêt à contrer, dans la mesure de ses moyens, les agissements espagnols contre la couronne d’Angleterre, à condition qu’il ne soit pas tenu à l’impossible :

« La Reine d’Angleterre a trop d’ennemis pour me vouloir promettre de la vouloir exempter de tous ou boucher le passage qui est trop ample et spacieux pour aller à elle. Mais que je m’assure que si elle se garantit bien de la mer, que pour les Espagnols qui sont en cette terre j’empêcherai bien qu’ils ne lui fassent mal, autrement il faudrait que je lui répondisse de toutes les armées navales de sa majesté catholique qui poussées du vent peuvent, faisant leur route, mettre l’ancre aux ports de cette province, voire quand je ne leur presterais faveur, qui serait une promesse dont l’exécution seroit trop difficile. »

129Cette collaboration avec l’hérétique resta virtuelle, mais elle traduit le désarroi de Mercœur. Il n’en poursuit pas moins la réorganisation et l’amélioration de ses défenses. En juillet 1596, il donne l’ordre de lever « quelque devoir sur les blés et froments qui seront chargés et tirés hors de Hennebont » pour réparer et renforcer les fortifications de cette ville, sous la responsabilité du gouverneur, Jérôme d’Aradon. Mais en septembre, le rembarquement de quelques compagnies espagnoles lui font penser que Philippe II s’apprête à se désengager de la Bretagne, et que de ce fait sa Majesté catholique se rend à l’idée de lui restituer sa liberté. Durant la trêve qui courait dans les derniers mois de 1597, le duc était à Nantes. Il y fait abattre une grande partie des faubourgs en prévision d’un siège, désarme une partie des habitants, et place trois galères espagnoles dans l’estuaire de Loire pour la garder111. Dans le même temps, il tentait de lever de nouvelles troupes. En novembre 1597, son frère, le comte de Chaligny112, se trouvait en Lorraine fort embarrassé des 1 200 hommes qu’il avait recrutés. Il éprouvait beaucoup de difficultés pour les transporter en Bretagne, le cardinal-archiduc ayant refusé le passage. Quelques compagnies réussiront cependant à passer pour rejoindre Dinan113.

130En janvier 1598, dans une sorte de paranoïa défensive, contrecoup des tentatives d’assassinat et d’enlèvement auxquels il aurait échappé le mois précédent114 ou crainte d’un siège prochain de Nantes après l’expiration de la trêve, Mercœur dispose deux grandes couleuvrines sur le château, du côté de la rivière, fait changer les serrures et les clefs des portes de la ville, creuser des fossés du côté des Chartreux et de Saint-Clément. Aux frais de la communauté nantaise naturellement, ce dont les ecclésiastiques eux-mêmes commencent à se lasser. Le 26 janvier, le bureau municipal accepte encore de lever 2 000 écus, mais représente au duc « que le clergé ne voulait rien payer ».

131Dans le reste de la Bretagne, sa cause perd chaque jour de précieux soutiens pendant que ses détracteurs s’imposent désormais dans la bataille de l’information. À la fin de 1596, circulait l’Advertissement à la noblesse qui tient le party du duc de Mercœur. Ce pamphlet anti-mercœurien dénonçait les derniers ligueurs bretons « demeurés opiniâtres en leur péché » :

« Avez rendu, Messieurs, le proverbe ancien véritable : adheurté comme le Breton […]. Cette Ligue a causé en ce royaume la ruine totale d’un million de familles ; mais hélas ! misérables Bretons que nous sommes, la plus grande furie et exécution d’icelle est tombée sur nostre pauvre province. Vous voyez, trois ans y a, que ces autres princes Lorrains ont reconnu leur Roi et par conséquent rendu la France en espérance de recouvrir sa première splendeur et liberté […]. Ce grand malheur nous avait été présagé par cette grande comète qui nous apparut quelques temps avant ces troubles, laquelle, comme un chacun peut lors voir, estoit passée directement sur le pays Lorrain, et jetait ses rayons sur cette pauvre province […]. Nous demeurons tous assoupis et fainéants comme si une mandragore nous avait endormis. Hélas ! Nous voyons à présent notre pays (de Bretagne) qui était anciennement si fécond et abondant en tous biens que nous n’avions aucunement besoin de nos voisins, être désert et la plus part inhabitable ; nous voyons les bêtes farouches commander aux champs, nous voyons les loups tous les jours manger les hommes, même au milieu des villes non closes115. »

132Les derniers grands nobles qui soutiennent encore Mercœur y sont nommément pris à partie :

« Vous M. de Saint-Laurent, de qui les prédécesseurs ont été si fidèles serviteurs aux feus rois, ôtez cette marque de félonnie de votre race […]. Vous messieurs de Quenepily et d’Aradon, faites votre devoir comme avez la puissance en main […]. »

133Il est difficile d’évaluer l’impact d’un tel discours. Mais assurément il touchait juste.

Les derniers soubresauts de la Ligue

134Henri IV, occupé au siège de la Fère, désirant retenir Saint-Luc près de lui, s’était enfin décidé à envoyer en Bretagne, comme lieutenant général, Charles de Cossé, comte de Brissac, qui arrive à Rennes le 25 octobre 1596. Ancien gouverneur ligueur de Paris, il était du complot qui avait livré la ville au roi. Après avoir été élevé au rang de maréchal, il obtenait en Bretagne la récompense politique et honorifique de sa trahison. Son crédit et son autorité n’en furent pas renforcés, et Mercœur n’en fut pas plus enclin au dialogue avec lui, et pas davantage les Espagnols. Il entrait en sa charge à la fin d’une trêve d’une année entamée le 1er janvier 1596. Mais lorsque les hostilités reprennent, ses troupes se révèlent peu combattives, déjà contaminées par l’esprit de paix qui se répandait irrésistiblement. Au commencement de l’année 1597, écrit Sourdéac, le maréchal expédiait journellement plusieurs dépêches « par où il criait et fulminait que l’on ne faisait rien qu’il avait commandé » et « se plaignait du peu de service que les troupes et ceux à qui il en avait baillé la charge faisaient ».

135Mais Brissac finit par en prendre son parti. Durant le Carême de 1597, avec Montbarot et la noblesse, il prenait à Rennes du bon temps :

« […] et font faire mascarades et jeux de plaisir à ce Caresme prenant, où il est despendu 1 500 ou 2 000 escus, et y avoit des échaffauts en forme d’amphithéâtres en la vieille salle du Manoir, où il y eut un combat à la barrière le jour de Dimanche gras 16 février, et le mardi gras un chasteau et combat au Champ Jacquet, où il y avait de grands chaffauts et préparatifs avec force canons et feux d’artifices […]. Je vous laisse à penser l’opinion que le vulgaire a de telles joies, estimant qu’il vaudroit beaucoup mieux employer l’argent à donner aux pauvres qui sont réduits à si grande calamité par l’injure du temps, ou bien à en payer les soldats qui par faute de paye et de règlement sont contraints s’attaquer aux plus simples pauvres paysants116. »

136Usant de leur influence sur Mercœur, les Espagnols cherchaient à prolonger cette drôle de guerre et à faire traîner les négociations d’Ancenis pour permettre l’acheminement de nouveaux renforts. Le duc, de son côté, avait adressé le sieur de la Ragotière aux négociateurs d’Henri IV et suscité d’autres délais en avançant de nouvelles exigences. À l’en croire, c’était à son corps défendant. En réalité, poursuivant ses rêves ambigus, et nanti désormais du statut de chef officieux de la Ligue, ou de ce qu’il en restait, il espérait encore recevoir d’Espagne de quoi se refaire et rebondir. Il demande à Philippe II, en contrepartie de ces délais, 5 000 hommes supplémentaires, après avoir convoqué à Châteaubriant, en novembre 1596, les gouverneurs des places ligueuses pour convenir avec eux de la stratégie à suivre.

137Depuis la soumission de Mayenne, le 31 janvier 1596, Mercœur pouvait encore espérer collecter à son profit les résurgences de la Ligue éparse dans le pays et bénéficier de l’appui renforcé de tous les ennemis d’Henri IV. Ses espions se rendent régulièrement à Paris et dans d’autres villes de province où les désillusions, attisées par une pression fiscale de plus en plus lourde, entraînent mauvaises humeurs et même révoltes comme à Poitiers en mars. Il avait, dans le même temps, adressé au cardinal-archiduc, gouverneur des Pays-Bas pour le roi d’Espagne, une demande de secours de 2 000 Wallons qui ne lui sera jamais accordé.

138Il n’avait pourtant pas lésiné sur les émissaires qui eurent, pour quelques-uns d’entre-eux, le malheur d’être arrêtés et exécutés. Leur procès met en lumière des connections opérationnelles entretenues par le duc. Un certain Des Loges, qui avait aidé à la prise d’Amiens par les Espagnols sous le nom de La Croix, avait été arrêté le 17 mars dans une hôtellerie de Saumur porteur de documents « qui révélaient des menées et des conspirations dans de nombreuses villes de France117 ». L’enquête aboutit à l’arrestation d’un honorable correspondant appelé Antoine Charpentier. Leur procès fut rondement instruit. Condamnés à la roue, ils furent exécutés le 10 avril. « Charpentier, dira P. de L’Estoile, ne parla que généralement et peu, et mourust résolu. Son compagnon au contraire mourust fort irrésolu et parla beaucoup. » Suffisamment pour laisser deviner une conspiration d’importance mettant en cause de grands noms. Nicolas Rapin, prévôt de la Connétablie, qui instruisit cette affaire, écrit à J.-A. de Thou, le 23 avril suivant :

« Depuys l’exécution de nos deux advocatz la Croix & Petit ou pour mieux dire des Loges & Charpantier, nous avons encore receu [intercepté] deux lettres de Nantes. L’une pour ledit Charpantier qu’on pensoyt encore vivant, & l’autre pour Perrel agent de Monsieur de Mercœur pres le Cardinal d’Autriche, cy devant conseiller au trésor de ceste ville [Paris], à présent surnommé la Porte, & en jargon le Roux. Vous pourrez veoyr par les dictes lettres quelle est l’intention du Seigneur avecq qui vous traictez [Mercœur] : pour laquelle esclaircir davantage nous desirerions que les executez fussent encore vivantz ou qu’on peust avoir ce seigneur de la Vannerie qu’ils nous ont dict estre le prieur de La Trinité de Nantes118. Ce sont vraiz monstres & prodiges de leurs conceptions, lesquelles on a horreur d’imaginer & qu’on n’ose interpréter & accomoder à leur chiffre, tant il semble que la qualité, & l’apparence des personnes y résiste. Je ne vous oseroy envoyer une copie d’une lettre qui a esté trouvée entre les papiers dudict Charpantier, supposé Petit, tant les discours en sont estranges & monstrueux. Vous la verrez estant par deçà, & me donnerez conseil si on la doybt fayre veoyr au Roy : car je ne l’ay encor monstrée desjargonnée [déchiffrée] qu’à ung seul homme, que pouvez bien deviner […] en fin leurs descouvertures sont grandes, mais elles sont trop générales, & n’ont confessé que ce qu’ilz n’ont pu nyer119. »

139Cette agitation souterraine ne doit pas faire illusion. Le ralliement du sieur de Boisdauphin à Henri IV avait rapproché du duc quelques irréductibles angevins comme les frères de Saint-Offange, Pierre Le Cornu ou le sieur La Perraudière120. Mais en réalité Mercœur est aux abois. Militairement et financièrement, il est désormais totalement tributaire de la bonne volonté de Philippe II qui se fait de plus en plus rétif à le soutenir, malgré les promesses répétées du duc de soutenir les droits de l’Infante, et l’activité de son émissaire particulier, Lorenzo Tornaboni, à Madrid et à l’Escurial.

140Henri IV, de son côté, quoique la trève fût à ses yeux « préjudiciable à [ses] affaires », mais désirant « continuer le traité de la paix […] pour le bien de [son] Royaume et le repos de [ses] sujets », demande à M. de Schomberg d’accorder la suspension d’armes jusqu’à la fin février, et de la continuer « avec l’avis de la Reine » jusques à la fin de mars, « s’il juge qu’il faille autant de temps pour terminer le dit traité121 ».

141La trève, vaille que vaille, se prolongea jusqu’au début de l’année 1597. Mais voyant qu’en définitive elle ne lui bénéficiait guère, et faisant désormais sur ce point une analyse différente de ses alliés, Mercœur choisit unilatéralement de reprendre les hostilités. Le 5 janvier 1597, le capitaine de Rochefort adresse à Angers un trompette, « par le commandement de M. le duc de Mercure, pour déclarer qu’ils voulloient faire la guerre, attendu que la trefve estoit finye, et qu’ils la commenceroient au seizième de ce présent mois122 ». Le duc, de son côté, tout en adressant ses députés à Angers et Ancenis pour poursuivre les pourparlers, s’empare du château de Saint-Mars-La-Jaille. La réponse des royaux est immédiate. Le sieur de Saint-Gilles, sur ordre du connétable de Montmorency, seigneur de la ville, assisté par des compagnies du maréchal de Brissac, entre le 16 avril à Châteaubriant, après que les conjurés en la place eurent assassiné le gouverneur, le sieur de Courpéan. Mais on s’en tint là. En raison d’une « disette et cherté de vivres » qui régna au printemps, Brissac fut contraint de séparer ses troupes et de les répartir « en plusieurs paroisses barricadées aux environs de Rennes ».

142La perte de Châteaubriant avait cependant fort affligé le duc de Mercœur qui menace de rompre les pourparlers123. Afin de reprendre une place si importante, à cause des secours de toutes sortes qu’il en tirait en hommes et surtout en vivres, il rassemble en juillet les garnisons de son parti. M. de Saint-Laurent avait quitté Dinan avec cent chevaux et 800 hommes de pied pour le rejoindre aux abords de Châteaubriant. Mais ayant eu connaissance de ce dessein par Messieurs de Saint-Malo, La Tremblaye marche au-devant de lui et le surprend à Messac au passage de la Vilaine, le 20 juillet. L’avant-garde des ligueurs conduite par le sieur de Trémereuc, frère de Saint-Laurent, doit se replier vers le gros de l’armée. La Tremblaye poursuit les fuyards. Une bataille acharnée se déroule près de Bovel. Les ligueurs y perdent cent cinquante hommes. Trémereuc est fait prisonnier. Saint-Laurent doit se résigner à regagner Dinan avec le demeurant de sa cavalerie. Ses fantassins rescapés n’en furent pas quittes pour autant : ils sont « mis en déroute et presque assommés par les paysans » qui trouvaient là l’occasion de se venger de bien des misères124.

143Pendant ce temps, le gouverneur ligueur de Pontivy et son frère avaient été tués par quelques soldats de leur parti, « pressés du besoin d’argent », qui s’étaient emparés de la place le 23 mai. La Basse-Bretagne se trouvait désormais totalement hors du contrôle de Mercœur. Pour l’heure il concentrait ses efforts le long de la Loire : en septembre, la place de Pouancé lui est remise sans combat par son capitaine, tandis que le sieur de Goulaine tentait, mais en vain, de s’emparer des Ponts-de-Cé.

144Les pseudo-alliés espagnols de Mercœur n’étaient pas non plus au mieux. Les soldats de la garnison de Blavet, en raison de leur abandon et de la dureté de leur général, allaient, comme on l’a dit, se révolter en juin 1597, avant d’être repris en main. Le 12 août, Rodrigo de Orozco, maître de camp, et Carlos de Ameçola arrivent au Pélerin, à quatre lieues de Nantes : de leurs sept galères débarquent mille hommes. Ces renforts inattendus contrarièrent une entreprise contre Le Croisic.

145Au commencement de 1597, si l’on en croit Mme de Mornay, La Tremblaye, commandant de Moncontour et de Paimpol, envoya vers M. du Plessis, huguenot comme lui, et gouverneur de Saumur. Il lui fit déclarer que « la connaissance qu’il avait de la vraie religion ne pouvait plus se retenir sans en faire profession et effectuer en conséquence tout ce qu’elle requéroit » et le pria de lui conseiller « comment il avait à s’y gouverner, à quoy [M. du Plessis] le conforta de tout son pouvoir, et s’employa aussi pour lui recouvrer un ministre, et remontra au synode provincial la conséquence et le bien que l’Église fût établie à Moncontour, en Bretagne, qui en était si destituée ». À cette occasion, M. de La Tremblaye lui proposa une entreprise sur le Croisic, d’importance très grande pour le service du Roy, le priant de le secourir de 800 hommes de pied par la mer, « ce qu’il lui promit, et donna ordre aussitôt qu’il ne lui fût manqué en cette bonne occasion ». La place était bonne en effet. Elle avait depuis longtemps retenu l’attention du gouverneur de Jersey, Anthony Poullet qui la jugeait « fort riche par elle-même, et de grande importance pour le duc de Mercœur en raison des grandes sommes d’argent qu’il en tire annuellement, et parce qu’elle est à l’embouchure de la rivière de Nantes ». Ce n’est cependant que le 5 août que La Tremblaye surprit la ville et l’île de Batz, de nuit, avec huit à neuf cents cavaliers125 :

« Aussi tôt que Monsieur du Plessis en eut avis par monsieur de Schomberg [il] s’en alla à Châtellerault, d’où il pourvut à lui faire acheminer douze cents hommes de pied, pour trajetter de Beauvais sur mer (sic) en la prochaine côte de Bretagne ; mais advint inopinément que l’armée navale des Espagnols vint prendre terre en la côte du Croisic, dont le sieur de la Tremblaye prit l’alarme, non sans sujet, et se résolut à la retraite. »

146La Tremblaye se replie alors sur la côte nord, afin de surveiller au plus près les activités de Saint-Laurent revenu de sa retirade de Messac. Averti par ceux de Saint-Malo qu’une garnison ligueuse barricadée en l’église de Saint-Suliac pillait la région pour ravitailler Dinan, il accepte de les assister par la terre avec huit cents hommes pendant que deux galères malouines entreprendraient le fort par la mer. L’attaque portée le 25 août fut sanglante. L’artillerie des galères foudroya les barricades. L’église est incendiée. Des deux cent cinquante défenseurs, douze hommes seulement échappèrent au massacre, mais pour peu de temps puisqu’on les pendit sur la place comme voleurs. Fort de ce succès, La Tremblaye fait route vers le château du Plessis-Bertrand, près de Cancale, dont les ligueurs relevaient les ruines et déjà s’y fortifiaient. Le canon est apporté de Saint-Malo. Au cours d’un assaut, le 8 septembre, La Tremblaye est tué d’un coup d’arquebuse à la tête. Un de ses lieutenants, M. de La Pommeraye, prend alors le commandement des troupes. Après avoir levé le siège, dans la crainte d’être pris à revers par le sieur de Saint-Laurent que l’on disait en marche pour secourir la place, les royaux se dirigent vers Pontorson. Lors de leur repli, ils surprennent la compagnie du sieur de Châteaugaillard accourue à la rencontre de Saint-Laurent, et la taillent en pièces. La dague sur la gorge, Châteaugaillard doit révéler le lieu du rendez-vous prévu avec Saint-Laurent. L’occasion était belle. Une embuscade est tendue près de Saint-Père-Marc-en-Poulet. Attaqué à l’aube, et malgré des effectifs supérieurs, Saint-Laurent doit se replier sur Dinan abandonnant sur le lieu de l’escarmouche trois cents des siens.

147Le baron de Molac, de son côté, avec huit cents fantassins et trente cuirasses livre un combat de huit heures aux quatre cents fantassins et cent cinquante chevaux du sieur de Quinipily qui tentaient de lever le siège de Primel tenu par « une troupe de paysans et de soldats de Morlaix » (fin août 1597)126.

148Sourdéac s’activait de même en sa lieutenance avec plus ou moins de bonheur. En 1597, les hommes de la Fontenelle tenaient toujours Penmarc’h. Ils avaient aussi fortifié les places de Cremenec, Saint-Alouarn et Kerbézec, à partir desquels ils ravageaient le pays jusqu’aux portes de Quimper. Sourdéac, sur l’ordre du maréchal, réunit au Faou, le 12 mai, les forces royales des évêchés de Saint-Brieuc, Tréguier et de la haute Cornouaille pour les en déloger. Après avoir fait porter le canon sous les murs, Sourdéac fait investir Penmarc’h par trois mille hommes. La ville est prise le 22 mai et sa garnison passée au fil de l’épée, comme celle de Kerbézec. Celles de Créménec et Saint-Alouarn, prises de terreur, quittèrent leurs réduits avant d’y être assiègés. À la « clameur, instance et requeste » des habitants de Quimper et de Cornouaille (et à leurs frais), Sourdéac bloque, en fin mai 1597, par terre et par mer, Douarnenez et l’île Tristan, mais sans y mettre un empressement excessif. Il ne s’agissait rien moins cependant que de mettre définitivement hors de nuire La Fontenelle, le bourreau de la Basse-Bretagne. Malgré les effectifs rassemblés et l’assistance de tout l’arrière-pays, les opérations du siège furent menées par Sourdéac avec une telle lenteur que cela devint suspect. Douarnenez qui ne fut guère défendu fut malgré tout emporté. Mais le siège de l’île Tristan dura quarante jours avant d’être, vers le 30 août, levé par Sourdéac inquiet de l’arrivée annoncée des Espagnols, ou pratiquant secrètement avec eux un jeu ambigu.

149La perspective d’une paix désormais inévitable aiguisait les derniers appétits chez les uns, amollissait le courage chez les autres, exacerbait les coquetteries politiques. Sourdéac, à en croire il est vrai son intime ennemi François de Carné qui en aurait reçu de lui la confidence, s’interrogeait sur l’avenir du royaume dans le cas où le roi, qui semblait alors désespérer d’enfants légitimes, décéderait sans autre descendant que le fils de sa maîtresse, le petit César, auquel il semblait désireux de « laisser son état », et d’établir à cette fin « des hommes au gouvernement et charges pour les laisser assurés à son dit fils » (septembre 1597). Quelques mois plus tard, le roi ayant voulu retirer le gouvernement de Brest à Sourdéac, pour le donner à son neveu, le fils de Guy de Rieux-Châteauneuf, Sourdéac en aurait éprouvé un grand ressentiment. Il le manifesta en refusant de se présenter devant le roi à sa convocation. Le bruit courut même qu’il voulait se donner aux Espagnols127. L’esprit de gentilhommerie qui avait tant contribué à l’éclosion de la Ligue reprenait le dessus chez certains seigneurs polictiques.

150Malgré ces susceptibilités aristocratiques, les affaires royales n’allaient pas si mal en Bretagne. Elles se seraient encore mieux portées si le roi s’était conduit moins légèrement avec Amiens repris par les Espagnols le 11 mars 1597. Ceux-ci, revigorés par cette surprise, pour soulager le front de Picardie semblaient désireux de procéder à d’autres coups de boutoir en Bretagne. Henri IV craignait en particulier pour Saint-Malo. Le 13 avril, il écrit au marquis de Coetquen :

« Sur les fréquents avis qui me sont donnés des desseins qu’ont mes ennemis d’entreprendre sur ma ville de Saint-Malo, j’ai estimé (maintenant que leur armée dressée en la côte d’Espagne est prète à faire voile) être nécessaire que vous teniez soigneusement la main à ce que ma dite ville ne soit dépourvue et dégarnie des hommes, vaisseaux, vivres et commodités qui peuvent servir à la défense et tuition d’icelle128. »

151C’est peut-être dans cet objectif que les Espagnols s’étaient solidement établis sur la pointe rocheuse de Primel, à l’entrée de la rivière de Morlaix. Le blocus terrestre de la place fut organisée par son ancien occupant, le sieur de Boiséon, de février à mai, auquel s’était joint le maréchal lui-même qui se trouve « au camp de Cesson » le 2 avril, et à Morlaix, les 17 et 18 avril suivants.

152La reprise d’Amiens, le 19 septembre 1597, sonna le glas des derniers espoirs de Mercœur qui en fut, dit L’Estoile, « estonné des quatre pieds ». Immédiatement La Ligue en Bretagne après, il tente de négocier le renouvellement de la trêve. Le roi l’annonce aux bourgeois de Rennes dans une lettre du 5 octobre. Après une ultime résistance royale à tout compromis, une suspension d’armes est effectivement conclue à Angers : elle prenait effet le 15 octobre 1597 et devait « finir le premier jour de janvier prochainement venant, et néanmoins après ledit temps expiré, les armes ne se pourront reprendre ni se commettre aucun acte d’hostilité qu’après le quinzième jour du dit mois de janvier129 ». Au même moment, le roi manifeste à M. Duplessis-Mornay son intention de se préoccuper de la Bretagne avec tous ses moyens militaires. « Il faut à présent recouvrer la Bretagne, lui écrit-il, et tourner de ce côté-là nos vœux, nos forces et tous nos moyens, avec notre personne et notre sang. » Il y mettra encore bien du délai, et se trouvera mille choses importantes à faire avant de mettre un terme aux souffrances de la province. Le 26 novembre, il les expose au maréchal d’Ornano :

« Je m’en vais maintenant m’enfermer à Saint-Germain pour faire une petite diète [retraite, repos], laquelle achevée je partirai aussitôt pour commencer mon voyage de Bretagne ; et fais état d’être à Noël à Blois, où je ferai un peu de séjour, pendant que les troupes que je veux mener en Bretagne se mettront ensemble130. »

153Mercœur tenait dans ce délai une nouvelle occasion de reconnaître, sans déshonneur, la vanité de son combat. Mais à son habitude, il choisit de gagner du temps et brave à nouveau. Singulier manque de clairvoyance politique, ou mise ultime d’un joueur d’hombre ? Mais l’acharnement de Mercœur à continuer la lutte, en prolongeant les souffrances du royaume comme de la province, commençait à faire naître des idées de solutions radicales à son encontre. Si l’on en croit les Mémoires de Mornay, dans le même temps que ses députés à Angers plaidaient pour une prolongation des trêves d’au moins huit mois, le roi organisait l’enlèvement du duc en sa résidence d’été de Indret. Sans doute ce projet est-il en rapport avec les informations données par l’ambassadeur Mendo de Ledesma selon qui un capitaine aurait comploté, en décembre 1597, à l’instigation des comtes de Schomberg et de Brissac, l’assassinat du duc pendant qu’il se trouvait à Ancenis. Mais le projet déjoué, le capitaine est arrêté et exécuté. Dans le même moment, on découvre que « dans une assemblée tenue par les hérétiques, on a débattu les moyens d’ôter la vie au duc de Mercœur. C’est l’un d’eux, auquel le père du duc avait fait du bien autrefois, qui lui en a donné avis. Tout cela a laissé le duc dans un grand trouble ». La duchesse aussi en avait été vivement impressionnée. Inquiète pour son époux, elle réclame en personne de nouveaux secours à Philippe II ou qu’il laisse son duc de mari, « découragé au dernier degré », libre de s’arranger avec l’ennemi131.

Un protectorat ligueur élargi

154L’entêtement de Mercœur avait aussi eu pour effet de maintenir l’esprit de la Ligue hors des frontières de Bretagne, notamment en Haut-Poitou (région de Fontenay, Parthenay, Les Herbiers). Les livres de comptes de René Grignon, seigneur de la Pellissonnière132, témoignent que les forcements de maisons, sièges de places fortes, et ravages divers y sont encore nombreux en 1597 et 1598, du fait des troupes de Mercœur qui trouvaient localement le relais de ligueurs attardés comme les sieurs de La Maronnière ou de La Corbejollière. Le château de La Flocellière tenu par Jacques de Maillé, fut « surpris par ceux de la Ligue » le 25 juillet 1597133. Sa reprise « étoit de grande importance pour le service du Roy et le bien de ceste province ». Le 2 août suivant, le sieur de Parabère, lieutenant général en Bas-Poitou, reçoit l’ordre du gouverneur, Jean de Course, seigneur de Malicorne, d’y mener deux pièces de canon. La place capitule quelques jours plus tard. Le 21 janvier 1598 encore, « le capitaine Belon fut défaict avec sa compaignie de chevaux légers, et luy prins au moulin de la Morvien » (en la paroisse de Boupère).

155Se pose ici le problème de l’étendue géographique de la zone soumise à l’autorité de Mercœur durant ce conflit. D’abord limitée à son gouvernement de Bretagne, elle déborda bien vite sur les juridictions limitrophes de Normandie, du Maine, de l’Anjou et du Poitou, pour des motifs militaires d’abord afin de contrôler certaines places fortes stratégiques, pour des raisons économiques ensuite pour protéger les approvisionnements et s’assurer les levées d’impôts. Le prolongement administratif et judiciaire, de cette expansion d’autorité est plus difficile à attester et à cerner, mais on peut affirmer qu’il exista bien même si, à défaut d’une analyse plus particulière, on n’en peut proposer que quelques indices. Mais les juges de Segré semblent être subordonnés à Mercœur. On voit également celui-ci, le 20 septembre 1591, commander au greffier de Craon d’apporter à Nantes des pièces nécessaires à un procès. Cela se comprend d’autant mieux que les tribunaux d’Angers, pour le parti de l’Union, après avoir brièvement siégé au donjon de Rochefort, s’étaient repliés sur Nantes.

156Sur le plan militaire, l’autorité de Mercœur hors des limites de son ancien gouvernement est plus indubitable, dès le début de sa révolte ouverte. Le sieur de Boisdauphin, gouverneur de l’Anjou pour la Ligue, est le plus souvent placé sous son autorité. Durant les deux premières années, il guerroie en Bretagne134 comme lieutenant général du duc, de fait sinon en titre135. Le capitaine du château de Mirebeau en Poitou, le sieur de Villebois, qui y commandait sous le sieur de Rochepot pour le roi, prend le parti de la Ligue en 1590 et se range dès lors sous l’autorité de Mercœur, jusqu’à la soumission de ce dernier136. En juillet 1591, Mayenne demande même à Mercœur de prendre sous sa protection la ville de Poitiers « et luy donner assistance en sa nécessité, en attendant qu’il luy puisse donner ordre et mesme y envoyer le comte de Challigné [Chaligny], frère dudit seigneur de Mercœur137 ». Il ressort du journal de Louvet que les frères de Saint-Offange et la garnison de Rochefort répondaient aussi aux ordres directs de Mercœur. La garnison du château de Brissac, placée par Mercœur, ne répondait qu’à lui. En janvier 1591, c’est Mercœur lui-même qui décide de rendre cette place assiégée par le prince de Conti, à madame de Brissac, à condition qu’elle y séjournerait en neutralité138. Angers, citadelle royaliste isolée dans un pays ligueur, a longtemps représenté pour le duc un objectif militaire autant qu’économique et politique justifiant de nombreuses opérations directes ou plus secrètes pour tenter de s’en emparer139. Et l’on comprend que E. Mourin ait dû concéder que « l’histoire militaire de la Ligue en Anjou n’est, en quelque sorte, que celle des avant-postes de la Bretagne140 ». En 1595, c’est sur l’ordre de Mercœur que la maison de Montguerré141, au Bas-Maine, dans laquelle « nonobstant la trève accordée audit pays » des ennemis poursuivaient la guerre des rançons, est attaquée et prise142. Cette même année, il adresse aux capitaines La Hardouinière et La Réaulté, commandant sous son autorité en l’absence du sieur de Plessis de Cosmes au château de Montjean, pays de Maine, l’autorisation de « contraindre par toutes voyes mesme celles de la guerre » les parroissiens de cette province à travailler aux fortifications de la place et à fournir vivres et provisions. Le duc s’y déclare toujours « Gouverneur de Bretaigne » mais aussi « protecteur des villes et places des provinces voysines du party de la Ste Union des Catholicques »143. Pichart écrit dans son Journal :

« L’on sçait assez que Monsieur le Duc de Mercœur uze toujours de subtilité en ses condordats et comportemens. Comme a present il a encore montré, car ayant fait treve en Bretagne, il envoye ses compagnies aux prochainnes provinces qui sont comprises, tellement qu’il fallut a ceux d’Anjou et du Maine traiter a part de luy, payer bonne somme de deniers pour avoir laditte treve. Puis il envoye le Marquis de Belisle en Normandie vers Truchebray ou il fist de grandes cruautés et ravages, tellement qu’il faillut aux normands passer par la porte ou avoient passés les angevins et manceaux. Ce que ledit Sieur Duc leur accorda, a toute peine environ la fin de feuvrier audit an 1596, et fist retirer ses compagnies par le pays Nantois144. »

157Cela ne refréna pas l’audace des mercœuriens qui n’hésitaient pas à agir, toujours plus loin de la Bretagne, contre les lois de la guerre, justifiant la lettre que M. de Schomberg écrit au sieur de La Ragotière, député de Mercœur, le 5 novembre 1596 :

« Monsieur, je vous ai faict instance à mon arrivée à Chenonceaux, de représenter à M. de Mercœur comme les gens de guerre de son parti traversoient les pays de la trefve et alloient prendre des prisonniers es provinces adjacentes, sans porter la marque et escharpe de leur parti à descouvert, comme le droict de la loi de la guerre le requiert, afin qu’il pleust à M. de Mercœur leur enjoindre très expressément ne s’oublier plus tant que d’entrer dans lesdites provinces de la trefve et moins encore adjacentes, sans porter la marque et escharpe comme dict est et à decouvert, et non pas dans leurs pochettes ou au bras, cachées soubs le manteau, comme ils ont accoustumé de faire, d’autant que le roy auroit ordonné qu’en ce cas l’on procédast contre les contrevenans comme contre gens sans adveu et voleurs145. »

158Il faut probablement voir dans l’élargissement, unilatéralement concédé en apparence, de ses attributions un effet de la soumission au roi du sieur de Bois-Dauphin, en août 1595, mais surtout de celle de Mayenne le 22 septembre suivant. Mercœur pouvait désormais revendiquer légitimement le titre de chef unique de la Ligue. Sourdéac rapporte dans ses Mémoires146 la rumeur insistante selon laquelle, dans le cas où « le duc du Mayne traittoit avec le Roy, le duc de Mercure avoit desseins de se faire général du party de l’Union et qu’il avoit envoyé traitter avec le Roy d’Espaigne pour avoir sa lieutenance générale ».

159Il ne semble pas avoir obtenu cette charge. Cela n’empêche pas le duc d’étendre encore, dans la mesure de ses moyens militaires et de son influence politique, l’assise des régions sous son obédience. Les articles X et XII de la trêve signée entre ses députés et ceux du roi, le 17 octobre 1597, reconnaissent d’ailleurs son autorité de fait sur plusieurs places sises dans les généralités de Touraine et Poitou147. Son jusqu’au-boutisme lui vaut de récupérer une nouvelle clientèle dans les derniers mois de sa révolte. La victoire finale du roi devenant imminente, plusieurs capitaines en Poitou, Maine et Anjou, qui poursuivaient de leur côté une guerre improbable sous les oripeaux de la Ligue, à l’exemple de Champagnac, gouverneur de Tiffauges, plus pillard que soldat, préférèrent prendre aveu de Mercœur pour ne pas affronter sans protection la colère royale. C’était là une tentation répandue contre laquelle l’auteur du Libre discours sur la délivrance de la Bretagne mettait en garde le roi :

« Tant qu’il y aura un lieu en France où il sera loisible de se dire vostre ennemi, et d’y fomenter des rebellions, vostre Estat ne sera point asseuré. Quand il faudra, en vous désobéissant, sortir du Royaume, et aller mendier une pension misérable des Thrésoriers de Castille, il se trouvera peu de gens qui prennent ces résolutions extrêmes ; mais lorsqu’on voit un asyle tout proche dans les entrailles de la France, où l’argent et les autres commodités abondent, cela donne grande hardiesse à ceux qui croyent, que si leur entreprise fault, ils seront toujours quittes pour se retirer en Bretagne, et qu’ils seront enfin compris en un Edict148. »

160Durant les deux dernières années de la guerre, l’autorité de Mercœur a dépassé largement les marches de Bretagne ; mais on ne cerne pas encore vraiment la nature et le caractère opératoire de cet empire. Était-il d’ailleurs aussi étendu qu’il se plaisait à le représenter ? En 1596, il accorde commission « aux capitaines La Tour, La Chapelle, La Tige, Le Pin, La Barre et La Rivière, de [sa] compaignie de chevaux legers d’aller au pays de Limozin et aultres lieux où la trefve n’auroit esté par [lui] accordée pour y faire la guerre aux ennemis de la Ste Union des Catholicques149 ». Pour beaucoup de ses contemporains, Mercœur ne poursuivait pas une guerre seulement localisée à son gouvernement d’origine. Depuis la soumission de Mayenne, il possédait une véritable autorité morale sur toutes les zones de résistance ligueuse résiduelle à travers la France. Cette autorité étaitelle aussi de nature opérationnelle et militaire ? En juin 1597, après la surprise d’Amiens par les Espagnols, et peut-être en concertation étroite avec eux, comme le suggère de Thou qui se fonde sur des courriers interceptés, le duc tenta de se rendre maître de Chinon par la corruption, avant de susciter une tentative sur Châtellerault où les députés protestants étaient réunis sous la présidence de Claude de la Trémoille150. Ce furent deux échecs, mais, en septembre de la même année, certains parlent toujours des partisans de Mercœur qui courent l’Anjou, le Maine, le Vendômois, la Touraine et font des prisonniers jusqu’aux portes de Paris151. Un livret publié à Paris par Claude de Montr’œil, parlera d’ailleurs de « la suspension d’armes accordée, par tout le royaume, par MM. les députés du roy avec ceux du duc de Mercœur ». Cette responsabilité politique élargie, moins illusoire peut-être qu’elle ne paraît, jointe aux rumeurs d’attentats contre le roi, fondées ou non mais nombreuses durant les années 1596 et 1597 encore, ce dont témoigne le journal de L’Estoile, explique aussi pour une part les manœuvres dilatoires de Mercœur durant les conférences152. L’auteur du Libre discours, qui écrivait à la fin de d’année 1597, analyse son comportement en ces termes :

« Tu t’opiniastres en ton usurpation, attendant quelque coup malheureux pour publier ton investiture de Bretagne. Car quelle autre esperance peux-tu avoir depuis deux ans ? Quoy ? Penserois tu bien que ce grand Prince achevant le cours de ses ans, & evitant le cousteau Jesuite laissast tousjours Nantes & partie de la Bretagne entre les mains d’un tel homme que toy ? Tu n’es point si despourveu de sens, il faut necessairement que tu esperes qu’il se trouvera encores un Barriere ou un Chastel. Rien autre chose ne te peut avoir faict opiniastrer depuis deux ans en ça, que tu gaignes tousjours temps153. »

161Ce que l’on sait du tempérament et du comportement de Mercœur semble donner raison au libelliste154.

Les ultimes conférences

162Les pourparlers de paix engagés depuis quelques mois entre les députés d’Espagne et de France entraient désormais dans une phase décisive. Le duc qui en avait été totalement écarté, et de plus mal informé de ce qui s’y tramait, s’en inquiétait. Il avait fait savoir à Henri IV qu’il désirait en être partie prenante. Mais le roi refusa de l’accueillir dans sa délégation arguant du fait qu’il n’était pas prince français. Mercœur ne s’inquiétait pas moins du manque de secours lui venant d’Espagne. Il manifeste son ressentiment à Mendo de Ledesma qui en informe son roi le 9 août 1597. Mais trois jours plus tard, sept galères et mille hommes débarquent opportunément à Nantes, sous le commandement du maître de camp Rodrigo de Orozco. Mercœur y trouva de nouvelles raisons pour persévérer dans sa rébellion. Mieux informé ou plus lucide, il aurait compris que ce renfort ne lui était pas d’abord destiné : il ne servait à Philippe II qu’à pousser quelques pions stratégiques et faire monter les enchères dans les négociations en cours entre la France et l’Espagne.

163La venue du roi étant tenue pour certaine, plusieurs partisans résolus de Mercœur, clairvoyants ou seulement prudents, commençaient à faire leur paix séparée. Le 27 décembre 1597, le Béarnais reçoit avis par le sieur de Roziers-Aubert que le sieur d’Aradon, gouverneur des villes et château de Vannes et Auray, le baron de Camors155 son frère qui tenait le château du Bois-de-la-Roche, et le sieur de Montigny, gouverneur du château de Suscinio, île de Rhuys, havres et côtes de Morbihan, se disaient maintenant les très-humbles serviteurs du roi, ce qu’ils n’avaient, à les en croire, jamais cessé d’être :

« Ils s’étaient conservés par les forces espagnoles, qui étaient au nombre de deux cents hommes, en garnison dans la ville de Vannes, contre les mauvais desseins du sieur duc de Mercœur qui jugeait qu’ils tenaient son parti en attendant qu’ils pussent faire quelques signalés services à leur roi. Et à la vérité, le sieur de Montigny faisait, avec une flotte de vaisseaux armés, assez ouvertement la guerre au duc de Mercœur, prenant les navires et empêchant qu’il ne leur passât des bleds156. »

164Trois jours après cet avis, le roi dépêcha le sieur de Roziers vers d’Aradon et Montigny qui lui répétèrent leur volonté de se donner au roi avec leurs places. À son retour de Vannes, le sieur de Roziers rencontrant le roi lui rend compte de la négociation. Le traité de réduction des places, îles et havres concernés est conclu et signé par le roi à Blois, le 24 février 1598, mais tenu secret : il était à craindre que les Espagnols en garnison à Vannes appelassent à leur secours ceux d’Auray et de Blavet « qui étaient encore plus de dix-huit cents ».

165Aussitôt arrivé à Angers, le roi fit repartir pour Vannes le sieur de Roziers pour y faire crier Vive le roy ! et « licentier les Espagnols avec tout l’ordre et l’honneur auquel se pourrait aviser le sieur d’Aradon ». Aussitôt que de Roziers lui eut exposé sa créance, le 12 mars, le sieur d’Aradon envoie quérir l’alferez Lopez qui commandait, en l’absence du capitaine, à la garnison espagnole. Il lui « fait entendre et à quelques officiers de la compagnie qu’il amenait avec lui, les commandements qu’il recevait du roi, et qu’il se tînt prêt dans demain, avec sa compagnie, pour sortir de la ville ». Don Lopez depêcha, en toute diligence,

« vers Vincente Fernandez de Acolla, qui était chef dans Blavet, lequel lui commanda aussi d’en sortir ; et escrivant sur ce sujet une fort courtoise lettre au sieur d’Aradon, le lendemain ils s’en vinrent au logis du gouverneur qui leur haut loua son roi parlant de ses généreux faits d’armes et surtout de sa clémence, au nom duquel il donna aux chefs de compagnie, deux payes, et aux soldats une ; leur fournit les charriots pour mener leur bagage, les fit escorter jusqu’à Auray, puis sortirent le 13 mars ».

166Le sieur d’Aradon en veine de générosité paya aux bourgeois de Vannes tout ce que les Espagnols leur devaient. Le lendemain, on chanta le Te Deum, et l’on alluma des feux de joie pour la réjouissance publique. De Roziers fut récompensé par l’office de sénéchal au présidial de Vannes. Cette décision malheureuse le mit en conflit avec François Gastechair déjà pourvu de cet office157. Ce fait du prince se multipliera désormais à l’envi avec aussi peu de discernement.

167Dès le 3 mars 1598, Henri IV pouvait écrire au connétable de Montmorency :

« Quasi tous les capitaines et gouverneurs des places de Bretagne qui reconnaissent le duc de Mercœur ont envoyé devers moi et sont entrés en traité, de façon qu’il en sera abandonné plus tôt qu’il ne pense. Sa femme est venue à Rochefort pour se trouver à Angers quand j’y arriverai, accompagnée des députés du duc et des habitans de la ville de Nantes158. »

168Aux marches de Bretagne s’opéraient d’autres ralliements au roi tout aussi préjudiciables à Mercœur. Le sieur du Plessis de Cosme, gouverneur de Craon, négociait sa soumission et l’obtention de lettres d’abolition ; ainsi le faisaient les redoutables frères Heurtaut qui tenaient Rochefort. Le gouverneur d’Ancenis, Pierre de Beauvalier, seigneur de Bourcani, par l’intermédiaire du gouverneur des Ponts-de-Cé, tentait à son tour de monnayer son retour au roi. « Voilà, conclut Montmartin, l’estat misérable de M. de Mercœur semblable à ces oyseaux désemparez qui ne peuvent plus voler pour la perte de leurs plumes et ailes. »

169À Paris, il ne semble plus être question de négociation entre le roi et les députés de Mercœur. Gilles de Bourron écrit de Paris, le 23 janvier :

« Il y a demie heure que je suis party du Louvre. Ce qui s’est passé ce matin est que le Roy dépescha le gentilhomme que La Roche des Aubiers avoit amené de la part de Monsieur de Mercœur, qui luy commenda de dire à son maistre qu’il n’envoiast point vers Sa Majesté pour traiter jusques à ce qu’il fust à Angers, où il seroit sans faillir dans le quinziesme du mois prochain, que Montmartin, qui partiroit dimanche, luy porteroit passeports pour ses députés, mais qu’il se résolust de luy rendre Nantes et les aultres places qui sont à Sa Majesté, et que de ce qui estoit à luy, il luy vouloit restituer, luy portoit en une main la paix et en l’autre la guerre. La Roche des Aubiers dit que Monsieur de Mercœur est prest à prêter toute obéissance au Roy et luy prester serment de fidélité, mais qu’il luy laisse Nantes. Sa Majesté est en aparance résolue du contraire159. »

170Désormais les royaux avaient l’initiative. Dès l’expiration de la trève, ils attaquent Dinan en fin janvier 1598. L’entreprise était sans grand mérite, tant le fruit était mûr. Le journal de Grignart nous apprend qu’une quarantaine de notables dinannais, dont le sénéchal, poussés à l’action par le baron de Molac, s’étaient résolus à se ranger au service du roi160 :

« [Ils] firent faire de fausses clefs de la porte de Saint-Malo, et s’entre entendant avec les habitants de Saint-Malo et leur gouverneur, le marquis de Coetquen, qui étaient de leur intelligence, la nuit d’entre le vendredi et le samedi dernier jour de janvier, étant le sieur de Saint-Laurent allé à Nantes, il se saisirent de la porte de Saint-Malo par où ils firent entrer quatre à cinq cents de Saint-Malo, et se rendirent maîtres de la ville. Mais le sieur de Tremereuc, frère de Saint-Laurent, et plus d’une centaine de gens de guerre se réfugièrent dans le château, d’autres encore dans les tours de l’Hostelerie et de Saint-Julien161. »

171Aussitôt connue cette nouvelle, le maréchal de Brissac part de Rennes après avoir rassemblé deux cents chevaux et trois mille hommes de pied, et vient renforcer le siège du château « par dedans et hors la ville ». Une batterie de cinq gros canons et deux couleuvrines est dressée. Après quelques coups tirés, les assiégés demandent à capituler : si dans trois jours ils n’étaient pas secourus, ils rendraient la place. Cela fut accompli le 13 février. Les soldats de la garnison sortirent avec leurs armes, sans être fouillés, le tambour battant, l’arquebuse sur l’épaule et la mèche éteinte162. Le sieur de Tremereuc et ses officiers se retirèrent à Lamballe « d’où s’était approché le sieur de Saint-Laurent pensant les secourir, ce qu’il ne put ». Le sieur d’Argentré, sénéchal de Rennes réfugié en la ville, et le sieur de Ploy demeurèrent prisonniers. Le roi donna le gouvernement de la ville et du château reconquis à M. de Molac.

172Profitant de l’élan donné et de ses troupes assemblées, le maréchal fait assiéger le Plessis-Bertrand où commandait le sieur Quillehec. Le château est bloqué le 14 février. Ce jour-là, note le curé de Saint-Méloir sur son registre,

« pour la deuxième fois le Plessis-Bertrand a été assiégé par l’armée de monsieur le maréchal de Brissac, pour le service du roi de France Henry 4e, du nom et aussi roi de Navarre, dans lequel Plessis-Bertrand commandait pour lors le sieur de Quillehec, et plusieurs autres capitaines du régiment du sieur de Tresmereuc, tenant le parti de la Ligue contre le roi. Lequel siège fut cause de la totale ruine de ce pays et Clos de Pouslet, et durant lequel siège tout le monde de ce bourg fut contraint d’abandonner ses maisons propter metum militum [par crainte des soldats], qui vexaient et tourmentaient le peuple ».

173Deux jours plus tard, il précise :

« Nota que presque toute la semaine les prêtres n’ont osé aller à l’église pour les causes prédites, et aussi qu’on ne pouvait trouver pain ni vin, chandelle ni ornement pour dire la messe, étant ainsi au dépourvu de ces choses par les soldats du baron de Saint-James, poitevin, et presque tous ses soldats huguenots, qui étaient logés dans ce bourg en nombre d’environ mille à douze cents. »

174Il faudra au brave curé être encore patient puisque la place ne cède que le 25 février. M. de Quillehec attendit que le canon fût en batterie avant de se rendre. Le capitaine et les cavaliers sortirent avec l’épée seulement, les gens de pied avec la gaule blanche en la main. Cinquante hommes y furent laissés en garnison avec la charge de procéder à la démolition du château.

175Poursuivant son nettoyage des « bicoques », Brissac s’en va attaquer Le Guildo dont les défenseurs « endurèrent être battus puis se rendirent la vie sauve seulement », selon les codes plus ou moins respectés de la guerre, et de la proportionnalité des représailles163. Il laisse au commandement de cette dernière place le sieur Laboue, capitaine de ses gardes164. Alors qu’il se dirigeait vers Moncontour avec deux cents chevaux et mille deux cents hommes de pied, le maréchal est attaqué à Plancoët par le sieur de Saint-Laurent et doit faire retraite.

176Les royaux bloquent ensuite la tour de Cesson et sa garnison d’une centaine d’hommes commandés par Christophe de Sesmaison. Le siège en fut long, dit Montmartin, « car la place était bonne ». L’armée de Cossé-Brissac investit la citadelle 10 mars, l’artillerie est présentée devant ses murs le 26 mars165. Cinq jours plus tard enfin, après avoir enduré trois cents coups de canons et brèche faite, la garnison se rend, et « le lendemain premier jour d’apvril fut la paix publiée à St Brieuc par commandement de Monseigneur le Maral de Brissac, processions faictes et feuz de joye au Pillory dud. Sct Brieuc166 ». Cesson fut donc la dernière place ligueuse à rendre les armes.

177Restaient les garnisons espagnoles dont le sort se discutait à Vervins. Dans le cadre de ces négociations, toute action militaire pouvait s’avérer décisive. Poussant son avantage, le maréchal s’avance vers l’ouest avec son armée dans l’intention d’assiéger le fort de Primel occupé par une centaine de soldats ibériques. Il arrive à Morlaix le 8 avril167.

178Sans attendre l’effet de ces négociations, les Espagnols avaient préféré concentrer leurs forces de Bretagne dans leur port-forteresse de Blavet. C’est la raison pour laquelle les 120 soldats ibériques de la garnison de Vannes acceptèrent de quitter la ville sans violence le 15 mars. Le 4 mai suivant, sur l’ordre du gouverneur Vincent Hernandez, et après avis de Orozco, le « château de Primel » est à son tour abandonné par ses cent défenseurs168. Le maréchal de Brissac fait alors marcher son armée jusqu’à dix lieues de Blavet, Mais avant d’entamer le siège de ce camp puissamment retranché, il se rend à Nantes pour recevoir les ordres du roi qui vient d’y arriver.

179Car il n’entrait pas encore dans les plans espagnols de quitter la province. Tous les avis autorisés recommandaient à Philippe II d’y conserver une entrée. « Si S.M. se décide à faire sortir son armée de Bretagne, lui écrit Gaspar de Pereda, du moins qu’elle garde la position de Blavet. » Cette place forte pouvait encore être utile à l’invasion de l’Angleterre, toujours d’actualité, et à tout le moins servir de solide monnaie d’échange dans les discussions politiques avec la France, pour grappiller quelques avantages en Picardie. La rumeur courait qu’une armée navale espagnole de cent voiles se préparait à El Ferrol pour venir au secour de Blavet169. De toute façon le siège ultime qui s’annonçait était rien moins qu’incertain. Selon les espions anglais, il y avait alors en la place « environ mille Espagnols, quatre cents Portugais, trois cents Italiens, outre les cent venus de Primel », et à moins qu’Henri IV réussisse à rassembler une force navale conséquente, ce qui s’avérait impossible, le siège pouvait se révéler désastreux même pour toute l’armée royale réunie170.

180Les rumeurs d’une paix séparée entre la France et l’Espagne préoccupaient fort Elizabeth et ravivaient les méfiances ataviques. « Que Dieu fasse que je ne voie pas la France en paix civile, déclare le capitaine Gode au comte d’Essex, car notre propre paix ne durera pas […]. Cette nation ne m’a jamais déçu, car je n’ai jamais mis en elle ma confiance171. » Depuis plusieurs mois déjà les gentilshommes huguenots sont approchés par les « aimables correspondants » anglais pour connaître leurs intentions dans le cas d’un revirement des alliances et d’un conflit ouvert entre la France et l’Angleterre172.

Le voyage de Bretagne

181Henri IV écrit à M. de Brèves, 8 février 1598 :

« Je pars aujourd’hui pour m’en aller en Bretagne, appelé par mes bons sujets du dit pays, lesquels étant las d’endurer la tyrannie et usurpation du duc de Mercure, ont volonté de se rendre en mon obéissance, comme ont commencé à faire les habitants de ma ville de Dinan173. »

182Après bien des délais, les deux adversaires en arrivaient au combat final. Comme le couplet en courut174 :

« Nous verrons, dans la fin de Mars,
Si le discord ne se termine,
Lequel des deux, Mercure ou Mars,
Portera le manteau d’hermine. »

183Le roi était encore à Chenonceaux, en Touraine. Mais au seul bruit de son armée de quatorze mille hommes s’acheminant vers Nantes, le gouverneur de Rochefort l’envoya supplier de le recevoir comme son humble sujet. Ainsi le fit Plessis de Cosme, gouverneur de Craon, lorsque le roi fut à Angers.

184Ce voyage en Bretagne, bien que préparé pendant tout l’hiver si l’on en croit Sully, se fit à l’étourdie. L’improvisation ne le céda qu’à la misère, réelle ou simulée, de l’épargne royale. La diplomatie chargée de régler l’affaire bretonne, désinvolture ou mépris de la part d’Henri IV, avait été abandonnée aux femmes depuis de longs mois, et tout particulièrement, dans les ultimes tractations, à la maîtresse royale en titre, Gabrielle d’Estrée, marquise de Monceaux. Le roi, en ce début d’année 1598, semble se soucier de la Bretagne comme d’une guigne, et ne semble guère pressé de reprendre la main. Sully en est le premier étonné :

« Je m’attendais à le trouver déjà fort avant dans la Bretagne, et ce ne fut pas sans une grande surprise que j’appris, en approchant d’Angers, que le Roi n’avait pas encore passé cette ville. Le duc de Mercœur était perdu sans ressource, sans le service que lui rendirent en cette occasion les duchesses de Mercœur et de Martigues175. »

185Ces dames, après avoir obtenu par l’entremise de la maîtresse royale qui était aussi du voyage, un passeport pour venir trouver le roi, quittent Nantes par bateau, le 23 février, pour Rochefort puis Angers. Elles y devancent le roi retardé par d’ultimes conférences avec le parti protestant. Devant le peu d’empressement des bourgeois angevins à leur ouvrir les portes, les deux femmes se retirent aux Ponts-de-Cé où elles achèvent de mettre la maîtresse du roi dans leur parti. « La duchesse de Mercœur, poursuit Sully, lui offrit sa fille unique pour en disposer en faveur de celui que sa Majesté jugerait à propos ; et sous main elle lui donna à entendre qu’il ne tiendrait qu’à elle de marier cette riche héritière avec César son fils. » Cette alliance flattait agréablement la marquise de Monceaux qui nourrissait alors l’espoir de devenir reine.

« Dès ce moment regardant l’affaire du duc de Mercœur comme la sienne propre, elle s’y employa avec ardeur, tandis que les deux duchesses mettaient en usage de leur côté toutes les soumissions, les promesses et les larmes qu’elles croyaient capables d’attendrir un prince connu pour sa complaisance et son penchant pour les Dames176. »

186Le 7 mars177, le roi arrive aux Ponts-de-Cé « où étant, Madame de Mercœur le salua, et parla à sa Majesté bien trois heures178 ». Au sortir de cet entretien, Henri ne se souvint plus de châtier le duc rebelle, comme il se le promettait, au grand déplaisir de Sully fort emporté contre ces femelles qui savaient si bien cajoler son roi179.

187La part active prise dans cette négociation par la duchesse de Mercœur et la maîtresse du roi à qui le trône était promis n’a rien de singulier. Elle avait peut-être permis de favoriser entre le roi et Mercœur des relations personnelles que cette longue guerre avait gravement envenimées. Quoi qu’il en soit de ses effets politiques, l’accord trouvé était aussi pour elles un arrangement de mères où chacune trouvait son compte. Pour Gabrielle d’Estrée, prête à accoucher d’un second bâtard royal, le parti qu’elle offrait à son petit César n’était pas sans prestige et garantissait pour lui un avenir plus assuré que celui de sa mère à qui le trône était promis, mais n’ignorait pas les traverses que pouvaient réserver le tempéremment du roi ou les négociations en cours : « Madame la duchesse de Beaufort tempéroit toujours le Roy, écrit Montmartin, car elle vouloit faire ledit mariage de mondit sieur de Vendôme avec la fille de la dite Dame180. » Quant à Marie de Luxembourg, en mariant sa fille au fils légitimé de la probable reine, elle pouvait légitimement entrevoir pour sa famille un statut inespéré. On peut de ce fait difficilement accorder crédit à la rumeur selon laquelle la duchesse de Mercœur n’avait consenti à cet arrangement qu’à regret, ne pouvant se résoudre à confondre « son noble sang avec celui d’un bâtard, fût-il de sang royal ».

188Le traité rédigé à Angers le 21 mars portait donc que le fils naturel du roi et de la favorite, âgé de quatre ans, épousera la fille de Mercœur, de deux ans son aînée181. Le duc renonce à son gouvernement de Bretagne, mais obtient en contre-partie la somme exorbitante de 4 295 350 livres182, soit près du tiers de la charge ordinaire du royaume, plus de la moitié du montant de la dette financière contractée par la France à l’égard de la reine d’Angleterre, « tant pour argent prêté que solde et entretien des troupes et vaisseaux auxiliaires », qui s’établissait, en 1595, à 7 millions 370 mille livres.

189Le texte de l’édit de pacification comportait un préambule qui mérite d’être examiné pour lui-même183, suivi de 34 articles chargés d’apurer tous les comptes, de détruire la mémoire du passé, de valider certaines promesses relatives à des restrictions à l’exercice du culte protestant, et régler la situation nouvelle des officiers et magistrats qui avaient suivi Mercœur. Il était complété par 23 articles secrets pour la plupart consacrés à la rétribution de Mercœur, la prise en charge de ses dettes et frais engagés durant la guerre : en plus de 235 000 écus « qui seront pris en deux années, par égales portions, sur les deniers des impositions qui se lèveront sur le vin qui passe par la Loire et en tous les ports et havres de la province », il recevait « une pension de 16 666 écus », pour l’indemniser de ses dépenses de guerre, à prendre sur la recette générale de Bretagne, une « contribution personnelle de 5 000 écus » qu’il pourra lever sur le ressort du duché de Penthièvre, une indemnité de 50 000 écus pour récompenser les gouverneurs des places de son parti, et 15 000 autres pour récompenser ses serviteurs. Il sera aussi remboursé d’une somme de 500 000 livres « pour laquelle son père, le duc de Vaudémont, avait servi de caution envers le duc Casimir ». Il sera payé de la valeur des pièces d’artilleries qu’il avait fait fondre, des affûts, poudres et boulets qui lui appartiennent, et disposera de tout le blé qui se trouve dans ses magasins. Les Nantais seront également tenus de payer « ce qu’ils reconnaîtront, après leur réduction, être redevable au duc ». Mercœur conservait aussi ses villes de Guingamp, Moncontour, Lamballe et l’île de Bréhat, et pour les garder, cinquante hommes soudoyés par l’état aussi longtemps qu’il plaira à Sa Majesté. À cela s’ajoutait le rétablissement de quelques magistrats ligueurs, parmi les plus engagés dans la rébellion (Fourché de la Courousserie, le sieur de la Ragotière…) dans les charges des cours souveraines. On comprend la mauvaise humeur de ces dernières au moment d’entériner la générosité royale, et tout autant les jugements sévères de Sully184.

190Ce traité avait aussi, en passant, permis de régler le conflit domestique qui s’était élevé entre la reine blanche et la favorite. Gabrielle d’Estrée, sur le chemin du trône, avait manifesté son désir d’acquérir Chenonceaux en profitant des ennuis financiers de la reine douairière, sa propriétaire, qui en faisait sa demeure habituelle depuis 1589. Le roi ne voulut pas s’y opposer. Mercœur allait venir au secours de sa sœur bien aimée en se portant garant pour une bonne partie du paiement des créances assignées sur le domaine de Chenonceaux au nom de sa sœur, et en négociant un compromis : la reine accordait le domaine à sa nièce promise à César de Vendôme, et en conservait l’usufruit185. Petite histoire familiale mêlée à celle des nations ! Ces arrangements familiaux, tout comme le rôle de la maîtresse royale, et la nécessité d’établir confortablement le royal bâtard ont été jugés sévèrement par beaucoup de contemporains, en particulier par le chancelier de Cheverny : le duc et la duchesse avaient été selon lui été récompensés « plus qu’ils n’avoient pensé », comme si la Bretagne avait été à eux « en propriété et souveraineté ». Mais, ajoutet-il agacé, « aux particularitez duquel Edict je ne m’amuseray davantage, ayant esté publié & comme tel vérifié par toutes les Cours Souveraines » (et on sait avec quelles réticences). Mais il ne peut s’empêcher d’ajouter :

« […] la plus grande facilité & faveur d’iceluy survint de ce que le Roy qui estoit bien aise de tout mesnager & ne rien perdre, accorda avec ledit sieur de Mercœur le mariage de son fils naturel, Cesar Monsieur, qu’il aimoit grandement, comme venu de Madame la Duchesse sa Maistresse, avec la fille & seule héritière dudit sieur de Mercœur, qui devoit estre grandement riche […] & par ce moyen s’allians avec le Roy, se jettans entre ses bras, garder les grands biens & argents qu’ils avoient amassés pendant les guerres, à la conservation desquels Sa Majesté se trouveroit obligée pour l’intérest de son fils ; bien que je creusse dès lors, comme nous traittasmes de toutes choses, que le dessein dudit sieur & Dame de Mercœur ne fust d’accomplir ledit mariage ains se couvrir & servir du prétexte d’iceluy, & de la faveur de madite Dame la Duchesse [Gabrielle d’Estrée], pour faire encore ce qu’ils voudroient, comme l’esprit de la dite Dame de Mercœur estoit entièrement actif et ambitieux186. »

191Le jugement que l’on peut porter sur cet accord dont l’essence est peu politique est matière à controverses, tant il laisse apparaître beaucoup d’intérêts personnels relevant du confort domestique plus que de l’intérêt collectif. Il pose aussi le problême de la part respective qu’y ont prise les principaux protagonistes, en particulier le duc et la duchesse de Mercœur. On peut naturellement envisager une coordination entre-eux, mais aussi une part de soumission de l’un à l’autre. Montmartin raconte dans ses Mémoires, avec une certaine complaisance dans la présentation de son rôle dans cette aventure, qu’il s’était rendu à Nantes pour fournir passeports aux députés de Mercœur :

« Après le souper, [le duc] parle assez longuement avec Madame de Martigues & et de Mercure sa femme, appelle ledit sr de Montmartin, le prie instamment de vouloir mener Madame de Mercœur trouver le Roy, & qu’elle traiteroit beaucoup mieux que sesdits Députez qui l’accompagneroient […]. Cette matière n’estoit pas sans difficulté, car il sembloit que mener ladite Dame vers le Roy c’estoit mettre l’Agent d’Espagne et les Espagnols en jalousie, & leur oster toute espérance d’entrer dans Nantes, à quoi ils aspiroient de tout leur pouvoir187. »

192Toutes les difficultés n’avaient sans doute pas été résolues dans l’esprit de Mercœur. Car au moment où la duchesse négociait aux Ponts-de-Cé, un visiteur de marque arrive à Nantes pour tenter de lever les derniers scrupules moraux de son époux.

193Mgr Ragazzoni, envoyé par le légat pour persuader Mercœur, au nom du pape, de rendre obéissance au roi, était arrivé, le 7 mars à Angers où se trouvait l’évêque de Nantes, conseiller du duc et de la duchesse. Il participe avec lui sans doute aux discussions et se rend à Nantes dix jours plus tard. Le 18, il y rencontre Mercœur pour lui exposer « non les censures du pape, comme le bruit en avait couru, mais de bons avis pour son bien et des exhortations à déposer les armes, car le Pape n’approuvait pas sa résistance ». Pour appuyer ses paroles, Ragazzoni présenta sa lettre de créance. Le duc en fut troublé et ne cacha pas son déplaisir : « Il avait pris, dit-il, les armes pour la religion et avec l’assentiment du Pape. Sans sa vigilance, toute la Bretagne eût été remplie de huguenots ; mais il eut reconnu le roi s’il avait eu l’honneur de savoir sur ce point la volonté du Souverain Pontife, car pour lui, avec ses quatre mille soldats, il pourrait encore se défendre. » Ultime rodomontade. Les principaux habitants de la ville, venus rencontrer Mgr Ragazzoni, lui donnèrent des renseignements bien différents. Selon eux, le duc de Mercœur était abandonné de la plus grande partie de la noblesse, il n’avait pas deux mille hommes, et les habitants désiraient, si l’accord ne se faisait pas immédiatement, voir le roi arriver à Nantes. La ville alors se soulèverait contre le duc dont la tyrannie devenait insupportable. Le duc de Mercœur, ruminant sa rancœur de se voir ainsi lâché, fit savoir au prélat qu’il était cette fois très disposé à obéir au pape. Il avait envoyé à Angers un courrier à la duchesse sa femme pour lui dire de passer par-dessus toutes les difficultés qui se présenteraient. Il parla de son profond respect pour le Saint-Siège, de son zèle pour la religion et de son désir de servir le Pape en Hongrie. Le lendemain 19 mars, Mgr Ragazzoni était de retour à Angers pour rendre compte au roi de ses entretiens188.

194La duchesse de Mercœur pouvait, ainsi satisfaite, rentrer à Nantes ce même jour189 et annoncer la conclusion de la paix. Le duc, après avoir signé le traité, non sans quelques délais supplémentaires190, prend aussitôt les dispositions nécessaires pour se conformer aux accords signés. Mais bien embarrassé maintenant par la forte garnison réunie en la ville, incapable pour l’heure de régler les soldes, malgré 2 000 écus accordés à cette fin par les bourgeois, craignant aussi que les soldats s’emparent de sa personne et pillent la ville, il choisit un peu glorieux stratagème pour s’en débarrasser à moindre frais. Si l’on en croît Piré191 à qui l’on doit ce récit qu’il faut considérer avec précaution, le duc, sous prétexte de passer les compagnies en revue et de verser les soldes, fait sortir une partie de la garnison de la ville close, dans une prairie voisine des remparts. Puis, sans en avoir l’air, se rapprochant de la porte Saint-Pierre, il rentre en la ville à bride abattue, ordonnant qu’on ferme les portes et qu’on ne laisse entrer personne après lui. De dépit, les soldats se jetèrent sur les faubourgs qu’ils pillèrent avant de se débander. Les cinq à six cents hommes qui restaient au château furent moins naïfs. Ils n’acceptèrent de sortir de la ville qu’après avoir été effectivement payés. Je ne sais quel crédit apporter à cette pantalonnade, mais le résultat en est avéré puisque M. de Villeroy écrit, le 26 mars, que « M. de Mercœur a mis hors de Nantes les gens de guerre qui y estoient, lesquels sont arrivés en l’armée du roy, après avoir juré fidélité à Sa Majesté ».

195Malgré ces petites hontes qui désormais vont s’accumuler, le duc et la duchesse avaient cependant leurs raisons d’être satisfaits devant la tournure inespérée prise par les événements. M. de Rosny en eut moins, et avec lui tous ceux qui avaient gardé bon sens et jugement : « Je n’eus pas plutôt mis pied à terre dans Angers, raconte-t-il, que j’allai saluer le Roi. Ce Prince, qui dès ma première parole, et à l’air seul de mon visage, comprit tout ce que j’avais dans l’esprit, m’embrassa étroitement, et me pressant de ses deux bras la tête contre sa poitrine : “Mon ami, me dit-il, soyez le bien-venu. Je suis très-aise de vous voir ici ; car j’y avais bien affaire de vous. – Et moi, Sire, lui répondis-je, incapable de ces lâches ménagements que la flatterie inspire, et moi je suis très fâché de vous y trouver encore. – Il y a si longtemps que nous nous connaissons, reprit ce Prince, en m’interrompant, que nous nous entendons à demi-mot l’un et l’autre. Je me doute déjà de ce que vous m’allez dire ; mais si vous saviez ce qui se passe, et combien j’ai déjà avancé les choses, vous changeriez d’opinion.” Je répliquai que quels que fussent les avantages dont il me parlait, il les aurait tous obtenus, et de plus considérables mille fois, si au lieu de s’arrêter à Angers, il se fût présenté devant Nantes, à la tête de son armée. » Le roi prétexta « le manque d’instruments propres à faire le siège de cette ville192 ».

196La situation politique intérieure et extérieure encore incertaine, avant la rédaction finale de son édit de pacification religieuse et la conclusion de la paix avec les Espagnols, a pu inciter le roi à ne pas se lancer en campagne et à régler rapidement par la négociation, même au plus fort prix, l’affaire de Bretagne. Mais on peut aussi, comme Sully lui-même, penser que le roi s’était abandonné à cette légèreté politique et à cette coûteuse transaction par crainte de désobliger sa maîtresse, et qu’il avait été la dupe des femmes. Il est difficile même de ne pas suspecter, de la part du roi, quelque mépris à l’égard d’une province où il ne prétendait venir que pour en apprendre le passe-pied193.

197Cette plaisante perspective ne possédait d’ailleurs plus aucune espèce d’urgence. Le roi s’attardait à Angers au « prétexte qu’il manquait encore quelque chose au traité du duc de Mercœur ». Il était surtout confonté aux exigeances des chefs huguenots qui tardaient à entériner certains articles de l’édit en préparation. Il devait aussi répondre aux demandes d’audience insistantes de sir Robert Cecil et John Herbert, émissaires de la reine Elizabeth inquiète devant l’imminence d’un traité négocié unilatéralement entre Français et Espagnols, et dont elle pouvait tout redouter194. Arrivés à Angers, le 27 mars, pour une première entrevue purement formelle, les deux émissaires furent reçus par le roi qu’accompagnaient « les ducs de Mercœur, d’Epernon, d’Elbeuf, M. de Montbazon, le maréchal de Retz, Lavardin et Boisdauphin ». Au château d’Angers où se tenait la cour, ils rencontrèrent Madame, « fardée à l’excès, mal fagotée et curieusement parée195, mais bien accompagnée d’un bon nombre de grandes dames : la duchesse de Mercœur, madame de Longueville, madame de Rohan, madame de Montbazon, madame de Montauban, madame de Belle-Isle et plusieurs autres ». La favorite leur fit une meilleure impression que la sœur du roi : « Nous trouvâmes [le roi] dans son cabinet en compagnie des duc. Il me pria d’entrer pour voir sa maîtresse et son fils. Elle adore son enfant. C’est une belle femme tout à fait charmante. Je n’ai parlé avec elle que quelques instants, mais j’ai pu me rendre compte combien sa conversation était agréable et que c’était une fort courtoise personne. »

198Mais ce soir-là, le roi évita de parler politique, « but only matter of sport ». Il confia cependant à John Herbert les dernières manœuvres dilatoires (brakes) de Mercœur et des Espagnols à propos de Nantes qu’ils tenaient à conserver. Les audiences suivantes furent menées pied à pied par des négociateurs anglais pugnaces face à un roi de France sur la défensive mais prompt à se sortir d’embarras à l’aide de ses légendaires réparties et de sa joviale familiarité. D’autant que des lettres, tombées aux mains des Anglais, l’avaient aux yeux d’Elizabeth importunément surpris en flagrant délit de duplicité. Peu satisfaits des réponses obtenues, les négociateurs anglais accompagnèrent le roi à Nantes où se poursuivirent les audiences auxquelles vinrent se mêler les plénipotentiaires hollandais. Mais leurs efforts conjugués pour convaincre Henri IV de continuer la guerre contre l’Espagne furent vains196.

199Sully avait reçu l’ordre de précéder le roi en Bretagne pour y faire la revue des troupes, les loger dans les cantonnements, aux environs de Rennes et Vitré, « avec des ordres étroits d’y observer une exacte discipline ». Il se rendrait ensuite à Rennes pour présider les États, surtout « pour hâter les délibérations des sommes promises et prêter main-forte à en faciliter la levée ». Le 4 avril, Albert de Gondi, duc de Retz et maréchal de France, arrive à Nantes pour officialiser, au nom du roi, la réduction de la ville et du château et y établir une garnison. Sully, lui, s’en vient coucher à Vitré. Il en profite pour « mettre une extrême police dans les logements des gens de guerre […]. Le calme fut si bien rétabli dans tout le canton, que les paysans, qui s’étaient d’abord très retranchés dans les bois, où ils étaient prêts d’en venir aux mains à chaque moment, retournèrent dans leurs maisons, et la ville de Rennes crut [lui] en devoir un remerciement ». Il logea chez Mlle de La Rivière, femme spirituelle, enjouée et galante, qui se chargea de le faire goûter aux plaisirs « qu’on trouve ordinairement dans des villes aussi opulentes et aussi polies que Rennes ». Il y séjourna six semaines et reçut la promesse des États « de rendre au Roi, sans opposition, huit cent mille écus » pour emprunt. On créa pour réunir cette somme un impôt de quatre écus par pipe de vin. Sully reçut de ces mêmes États en mal de générosité un présent de six mille écus. Il le refusa, mais le roi généreusement le transforma en un don de dix mille écus que tout aussi généreusement la Bretagne prit en charge en les ajoutant aux huit cent mille écus déjà promis.

200Le roi avait soumis le traité passé avec Mercœur à la Chambre des comptes de Rennes pour y être enregistré. Mais l’existence d’articles secrets amena cette cour à en refuser l’enregistrement à moins qu’on y apporte certaines modifications. La réplique du roi est cinglante. Il écrit à Sully pour lui communiquer les lettres de jussion qu’il adressait à la Cour,

« affin de lever les modifications qu’elle a mise au règlement des articles secrets que j’ay accordez à mon cousin le duc de Mercure. Elle s’est tant oubliée pour penser que je les envoyois pour en avoir advis et les mettre en délibération. En telles affaires, je ne communique mon pouvoir à personne, et à moy seul appartient en mon royaulme d’accorder, traicter, faire guerre ou paix, ainsy qu’il me plaira. Ce a esté une grande témérité aux officiers de ma dicte Chambre de penser diminuer d’un iota de ce que j’ay accordé ; nulle compagnie de mon royaulme n’a été si présomptueuse197 ».

201Le Parlement, qui l’avait si fidèlement servi, renâcla également lorsqu’il fut contraint de prendre en charge les frais d’entretien de l’armée du roi. Mais, sans considération pour les droits de la province et de ses cours souveraines, le roi exigea : il fut obéi.

202Les clauses matrimoniales au moins furent très tôt rendues publiques. Dès le 18 mars, le chanoine Marsac écrit de Rennes au chantre de Cornouaille à Quimper :

« On nous dit en cette ville que Monsieur de la Rochepot est allé à Nantes quérir mademoiselle de Mercœur pour les fiances entre Coesar Monsieur et elle198. »

203Douze jours plus tard, les articles de la paix et du traité entre le Roi et Mercœur sont publiés à Redon. On fait à cette occasion des feux de joie à la Croix de Saint-Sauveur et par les carrefours de la ville. Le Te Deum est chanté en présence des habitants sous les armes. Les soldats firent « plusieurs belles escopeteries » et tirèrent « force coups de canons199 ».

204Mercœur en informe Philippe II par une lettre datée de Nantes, le 24 mars :

« Eloigné de cet espoir (de secours) et d’ailleurs abandonné de tous les Français et notamment de ceux auxquels j’avais plus de confiance, et réduit à l’extrémité que Monsieur de Tornabon fera entendre à V.M., j’ai été contraint de céder à l’impétuosité et au torrent de la disgrâce, avec des conditions si désavantageuses et peu utiles que j’ose lui assurer en vérité que, pour avoir tenu ferme en ma résolution, je perds l’autorité que je m’étais acquise en ce gouvernement et la croyance de mes amis et alliés, laquelle, ayant toujours été unie à votre pouvoir, me fait craindre que son honneur et sa réputation n’y soient beaucoup engagés. C’est pourquoi, Sire, […] laissant ce qui est de mon particulier en cette province, je sois par votre faveur employé en la guerre de Hongrie, contre l’ennemi irréconciliable de la Chrétienté, où j’espère rendre preuve de l’entière volonté qui me demeure de servir Dieu en une si sainte et si juste entreprise, puisque sa divine bonté ne m’a point jugé digne de le servir en ce Royaume200. »

205Le 30 mars, Mercœur vient rencontrer le roi à Briollay, au nord d’Angers, où il était venu dîner au partir du Verger. Son arrivée suscita maints quolibets. On se racontait à Paris que lorsque le duc passa « au travers des gardes de Sa Majesté pour lui baiser les mains, il fut crié par eux tout haut : “Il a chié au lit !”201 ». Les émissaires anglais, présents à Angers, rapportent une scène similaire, mais moins scatologique : « Quand il arriva, le peuple lui cria : Voici la queüe de la Ligue : Voici le petit Roy de Bretagne202. » Le roi eut le bon goût de ne pas se souvenir de tels propos : « Comme je reçus de mon cousin toutes les soumissions que je pouvais désirer, écrit-il le lendemain au Connétable, je lui fis aussi connaître combien j’avais agréable cette reconnaissance, et la part qu’il acquérait en mes bonnes grâces par ce devoir. »

206Dans cette lettre, Henri exprime aussi son souhait de partir le surlendemain pour Nantes. Il prévoyait de n’y séjourner que quatre ou cinq jours et, « après y avoir donné l’ordre qui est nécessaire tant pour le siège de Blavet que pour les autres affaires de la province, prendre le chemin pour [s]’en retourner en Picardie ». Sa victoire sur Mercœur obtenue, rien à vrai dire n’attirait plus désormais le roi en Bretagne. De son propre aveu, « le dit Blavet [étant] compris au traité de Vervins, il sera à propos d’en attendre l’issue avant qu’entreprendre le dit siège ». Il pensait, au vrai, pouvoir échapper à ce voyage. Mais quelques délais dans la conclusion de la paix avec les Espagnols et dans la rédaction du texte final de son édit général de pacification lui en laissèrent le loisir :

« Après que mon édit fait en faveur de mon cousin le duc de Mercœur a été vérifié en mes cours de Parlements, j’ai envoyé mon cousin le duc de Retz en ma ville de Nantes pour recevoir ma dite ville et château des gens de guerre que mon cousin le duc de Mercœur y avait laissés, et y établir la garnison que j’ai ordonnée. Je partirai après-demain, et serai vendredi ou samedi en ma ville de Nantes, où je séjournerai cinq ou six jours seulement pour ordonner aux affaires du général de la province et à ce qui est nécessaire pour le siège de Blavet, où j’ai fait acheminer mon cousin le maréchal de Brissac avec les forces de Bretagne et quelques régiments de mon armée203. »

207Nantes se préparait à accueillir le roi : on chassait de la ville les mendiants qu’une famine générale y avait poussés ; on organisait les fastes coûteux d’une entrée solennelle qu’au dernier moment, comme un affront, le roi refusa. Il exigea cependant que l’on attribuât au paiement de ses gardes les 17 000 écus destinés par la ville aux festivités. En réalité, le roi forçait un peu la main des bourgeois qui n’avaient budgétisé, pour la fête et les cadeaux, que la somme de 4 000 à 5 000 écus. Les Nantais voulurent marchander, mais le roi refusa d’en rabattre, excepté « ce qu’il en avait coûté à la ville pour les réparations de son logement au château ». Louable générosité.

208Le lundi 13 avril, à six heures du soir, après avoir dîné au manoir de Chassais, maison de campagne des évêques, Henri IV entre enfin dans Nantes, à cheval, par la porte Saint-Pierre. Son arrivée dans la dernière ville ligueuse de France y avait suscité, derrière les applaudissements et les serments officiels de façade, un émoi compréhensible chez les personnalités mercœuriennes et les membres de l’ancienne administration, moins protégés des représailles que leur chef. La municipalité avait déjà brûlé, dans la cour de la mairie, les registres et les dossiers qui pouvaient la compromettre.

209Durant la première semaine, entre les multiples et ennuyeuses harangues protocolaires, le roi fut peu disponible pour les festivités, en raison des couches prochaines de sa maîtresse, et des affaires de l’État. La rédaction de l’édit de tolérance n’était pas encore achevée. Le roi recevait aussi les ambassadeurs d’Angleterre et de Hollande, Robert Cecil et Justin de Nassau, venus le convaincre de ne pas céder à l’idée d’une paix séparée avec l’Espagne, mais au contraire de poursuivre la lutte à leur côté. La personnalité de leurs plénipotentiaires manifeste l’importance accordée par l’Angleterre et les États de Hollande à cette négociation en un temps où la menace d’une nouvelle grande armada ressurgissait. L’Anglais offrit même au roi, dans la perspective d’une poursuite des hostilités, six mille fantassins et cinq cents cavaliers totalement pris en charge par la reine, et le Hollandais quatre mille fantassins, outre « un secours particulier » en argent qui « serait considérable ». Le roi resta inflexible. Cette seule négociation eût mérité que l’on conservât mémoire du séjour nantais d’Henri IV204.

210Les dames néanmoins s’empressaient de régaler le roi sans pour autant, se souvient Sully, qu’il cesse « son assiduité auprès de la marquise de Monceaux qui était fort avancée dans sa grossesse ». L’omniprésente et influente maîtresse royale était en effet de la partie et, vu son état, non sans mérites. L’influence de cette situation sur l’activité et l’action politique du roi durant son séjour à Nantes, et même sur la conclusion de l’Édit comme de son contenu, n’a guère été soulignée. Elle a pourtant frappé les délégués anglais présents, en particulier sir Thomas Baskerville. Ses lettres et rapports officiels donnent de l’ambiance qui règne à Nantes durant ces journées historiques, une description assez éloignée des images d’Epinal :

« Il y avait à la Cour trois grandes factions : les Ligueurs205, visiblement en faveur, ce qui mécontentait beaucoup les royalistes et ceux de la religion, et il se disait que ces derniers s’entre-parlaient et souhaitaient s’arranger au mieux et associer leurs forces contre les autres. Les protestants avaient formulé au roi leur désir que l’édit soit appliqué dans toute sa rigueur, que la liberté leur soit accordée d’exercer leur religion publiquement dans chaque ville ; qu’ils aient en outre accès à tous les offices et charges de l’État, judiciaires et autres. Plusieurs lettres circulent à la cour où ils déclarent qu’ils n’accepteront aucun délai supplémentaire. Cela a beaucoup préoccupé le roi, mais la crainte de perdre sa maîtresse le bouleverse beaucoup plus, de telle sorte que depuis qu’elle a dû s’aliter, il ne sort plus et ne reçoit presque plus personne, mais reste à son chevet, et chauffe les linges entre ses propres mains ; cela donna occasion aux Français de dire Nostre roy est devenu sage femme de madame la marquise ; à quoi le duc d’Espernon répondit, Tout beau, messieurs, il ne faut parler ainsi du roy. Ils parlaient de la sorte sous les fenêtres de la Marquise, de telle façon que le roi pourrait bien les avoir entendus206. »

211Mère comblée, après avoir assuré l’avenir de son petit César, la belle Gabrielle accouche heureusement, le 19 avril au château, de son second bâtard royal, Alexandre, futur chevalier de Vendôme. Le roi libéré tout autant que sa maîtresse, on put laisser libre cours aux réjouissances. Dès lors, les cloches de Nantes ne surent plus trop où donner du battant.

212Mais elles ne sonnèrent pas en l’honneur de l’édit. Négocié à Châtellerault, il n’a été signé en cette ville de Nantes, sans doute le 30 avril, jour de l’Ascension, qu’en raison d’ultimes ajustements, et dans le plus grand secret. Les Nantais, comme les Bretons n’en auront connaissance que sept mois plus tard quand le roi en sollicitera l’enregistrement par ses parlements, et encore sans les clauses secrètes207. On peut comprendre que le parlement de Bretagne, sollicité de l’enregistrer, ne cèdera aux injonctions d’Henri IV qu’en août 1600, un an et demi après celui de Paris.

213Cet édit comportait un certain nombre d’articles particuliers spécifiques à la Bretagne à propos de l’exercice de la religion réformée. Pour l’essentiel, ils entérinait des accords conclus lors de la reddition des villes :

« Ne se fera aucun exercice de ladite Religion ès villes, fauxbourgs et château de Morlaix, suivant l’édit fait sur la réduction de ladite Ville, et sera l’édit de 1577 observé au ressort d’icelle, même pour les fiefs, selon l’édit de Nantes (art. 18) ; En conséquence de l’édit pour la réduction de Quimpercorentin, ne sera fait aucun exercice de ladite Religion en tout l’évêché de Cornouaille (art. 19) ; Ne pourra être fait led. exercice [de la Religion] en la ville et fauxbourgs de Nantes, et ne sera ordonné aucun lieu de baillage pour led. exercice à trois lieues à la ronde de lad. ville, pourra toutesfois être fait es maisons de fiefs, suivant icelui édit de Nantes (art. 31). »

214Il s’agissait bien d’un édit de tolérance, et non de liberté religieuse208.

215Cette tâche achevée, louable et courageuse mais aux résultats incertains, le roi quitte la ville le 6 mai209. Nantes mesurait mal encore la gloire d’avoir été, par hasard, le lieu où furent scellées deux réconciliations : l’une provinciale et quasi familiale, l’autre générale et religieuse. Sa population tout à la joie de la paix enfin établie après vingt ans d’insécurité, faisait semblant d’oublier, pendant quelques jours, qu’elle l’avait payée au prix fort. Le roi parti, le désenchantement ne tarda pas à gagner gens d’église, de justice et de marchandise. Ils refusèrent de payer leur part des gratifications accordées au souverain. Un arrêt du Conseil, du 3 juin 1599, les y contraignit.

Le roi à Rennes

216Il tardait d’ailleurs au roi de quitter la Bretagne qui ne l’avait que trop retenu. Il ne songeait nullement à faire « le voyage de Rennes » qu’il « regardait comme inutile ». « J’insistai, écrit Sully, sur la nécessité où était sa Majesté de se montrer du moins dans la capitale de la Bretagne. » C’était la moindre des choses pour une cité constamment fidèle à qui il devait la préservation de son duché. Se rangeant finalement aux vues de son ministre, le roi entre à Rennes, le 9 mai. Le jour précédent, il avait en chemin appris la conclusion de la paix avec l’Espagne obtenue à Vervins par ses plénipotentiaires210.

217Rennes accueillit Henri IV avec faste. Les places et les immeubles avaient été ornés d’écussons aux armes de France et de Navarre. Le portrait du roi au naturel était accroché aux tours de Saint-Germain. À son entrée, la grosse horloge de la ville sonna, et l’artillerie fut « jouée et tirée ». Les clefs de la ville furent présentées au souverain par le maréchal de Brissac : elles étaient fort belles, répondit le roi à ses compliments, mais il aimait encore mieux les clefs des cœurs des habitants que celles-là. Le mot du Béarnais fut répété. Il contribua au bon effet que sa Majesté produisit sur la foule. Surtout qu’il avait réservé aux bourgeois rennais la primeur d’une information d’importance : celle de la paix générale dans tout son royaume.

218Le lendemain dimanche, après la messe, dans la cour du Manoir, le roi touche les malades des écrouelles. Les jours suivants, il passe en revue les régiments français et les milices de la ville, se rend à la chasse à la Prévalaye où sont pris un loup et « un lièvre monstre ». Il assiste aux luttes, joue à la paume, s’échauffe aux courses de bague. Profitant de quelque loisir, il règle en maître un différent l’opposant au duc de Bouillon qui était du voyage et qu’une mauvaise goutte retenait alité chez l’alloué.

219Dans cette ambiance de fête, le roi cependant paraissait rêveur, et « se livrait à quelque secret sentiment qui l’inquiétait ». Il se confie à Sully « dans un fort beau et grand jardin » : n’ayant point d’enfants de la reine Marguerite de Valois, il s’inquiétait de sa succession et du sort de son royaume à grand-peine consolidé. Il évoqua la dissolution de son mariage et procéda à un inventaire critique des princesses épousables d’Europe. Ces préoccupations dynastiques n’empêchèrent pas le Vert-galant d’entamer probablement une idylle parallèle, en l’absence de sa maîtresse restée à Nantes quelques jours pour se remettre de ses couches :

« On tient que qui l’empêcha de s’en aller ledit jour de Vendredi, fut une Damoiselle qu’il voulut voir plus près qu’il n’avait encore fait, fille de feu Maistre Jean Yger, sieur de Launay, avocat en son temps, femme d’un capitaine appelé les Fossés, auquel le roi a fait beaucoup d’avantages depuis qu’il est en cette ville, et l’a envoyé devant pour aller à Calais, dont il l’a fait Sergent-Major. »

220Perfide et bien informé, Maître Pichart a, quelque temps après, ajouté en marge de cet article : « Lorsque Madame Gabrielle fut morte [en avril 1599], ladite Damoiselle alla à la Cour211. »

221Le Vert-Galant n’avait pas perdu son temps en Bretagne.

222L’évocation de la paillardise du roi est ici plus qu’une anecdote. Elle agaçait fort certains de ses fidèles bretons. Le rédacteur de l’« Advertissement à la noblesse de Bretagne… » voyait dans l’antérieure lubricité d’Henri II la source des maux présents :

« Et pour la punition de l’adultère et paillardise de ce grand Roy Henry second, lequel pour parvenir à l’exécution de ces concupiscences charnelles octroya aux prédécesseurs de madame de Mercœur l’entrée et jouissance entière de la maison de Penthièvre, voilà la source de nos misères. »

223Il se permet de conseiller Henri IV sur ce chapitre :

« En toute humilité et obéissance, vous supplieray Roy treschrétien de regarder en conscience si vous vous sentez taché de ce péché, quoy étant, vous conjure, au nom du grand Dieu votre seigneur et maître, de chasser de votre esprit telles tentations diaboliques, car ce seul vice est assez suffisant pour offusquer un million de vertus dont (sic) Dieu vous a donné. Employez, Sire, employez ceste semence royale, à nous faire des roys légitimes, pour la conservation de cette monarchie. Ne jetez pas les marguerites aux pourceaux212. »

224Le conseil ne sera pas suivi213.

225Le 14 mai, veille de son départ, le roi prend cependant le temps d’écrire à sa maîtresse d’État pour la tranquilliser sur l’accueil fait en la province à son rejeton :

« Mes chères amours, le pouvoir de votre fils a été vérifié avec un extrême applaudissement ; un conseiller qui en a été le rapporteur a triomphé, comme aussi l’avocat qui a déclamé en sa faveur […] Il faut que je vous die que jamais Roi n’eut les cœurs des bretons comme moi, et vous assure que je les laisserai bien acquis au capitaine Vandôme. M. de Sourdéac vous a amené une très belle haquenée, et m’en donne une qui sera aussi pour vous. Je m’en vais dire adieu à ces dames, car il me faut partir demain, grand matin214. »

Les Espagnols rembarquent

226Malgré la défaite annoncée de leur allié, les Espagnols n’avaient pas relâché leur étreinte sur la Bretagne. Le contrôle de Brest représentait plus que jamais une priorité stratégique pour Philippe II. Des espions étaient dépêchés pour en estimer les capacités de défense et tenter de convertir son gouverneur à la cause espagnole. Un certain Georges de Balbes de Berton, « commandeur de Gap-Français dans l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, frère puîné du brave, et, comme lui, sieur de Crillon » avait, dès 1595, fait au roi d’Espagne des offres de collaboration en Bretagne. « Este caballero que me ha sido recomendado por el conde de Fuentes y otros ministros, écrit à Philippe II l’archiduc Albert, le 22 mars 1596, ofrece por su amistad negociar la entrega de Brest en Bretaña ya que quiere servir al rey. » Il semble bien que cette offre fut acceptée. Sourdéac fut approché215 mais résista in extremis aux sirènes espagnoles.

227Le calme revenait, après la tempête, non sans mal. Depuis la prise de Cesson, les combats avaient cessé, mais pas l’insécurité. La présence d’une « foule soldatesque » en garnisons ou aux champs entretenait une violence endémique en la province et sur ses marges. Partout rixes et pillages continuent à effrayer les populations. Le Parlement multiplie les demandes pour supprimer les garnisons et démolir les forteresses.

228Confinées dans leurs réduits côtiers, les troupes espagnoles toujours présentes en nombre posaient dans l’ensemble moins de problèmes. Selon l’article XV du traité signé à Vervins, le 2 mai 1598, Blavet et les autres places de Bretagne tenues par les Espagnols, comme Primel, devaient être rendues dans les trois mois suivants. Le roi se chargera de fournir des bateaux pour rapatrier les garnisons, leurs armes, canons et munitions. Pour s’assurer du départ des troupes, des otages seront fournis. Le fort de Primel avait semble-t-il été évacué avant même la signature du traité216.

229Les premières compagnies espagnoles quittent la Bretagne en juillet. Leur convoyage était assuré par un marin saintongeais, Guillaume Allène dit le « capitaine provençal », qui avait servi à l’occasion de pilote aux navires de Philippe II. Il était accompagné par son neveu Samuel Champlain, le futur fondateur de Québec et de la Nouvelle-France217.

230Comme bien d’autres soldats et aventuriers, la paix avait laissé Champlain sans charge et sans ressources. Il cherchait par ce moyen à courir d’autres fortunes :

« Je m’en allay à Blavet où lors il y avoit garnison d’Espaignolz, auquel lieu je trouvay ung mien oncle nommé le Cappitainne Provençal, tenu pour ung des bons mariniers de France, & qui en ceste qualité avoit esté entretenu par le Roy d’Espaigne comme pillotte général en leurs armées de mer. Mon dict oncle ayant receu commandement de monsieur le Mareschal de Brissac de conduire les navires dans lesquels l’on feist embarquer les Espaignols de la garnison dudict Blavet, pour les repasser en Espaigne, ainsi qu’il leur avoit esté promis, je m’embarquay avec luy dans un grand navire du port de cinq cents thonneaux, nommé le St-Julian, qui avoit esté pris et arresté pour ledict voiage, où estant partis dudict Blavet au commencement du moys d’aoust, nous arrivasmes dix jours après proche du cap Finneterre, que nous ne peusme reconnoistre à cause d’une grande brume qui s’éleva de la mer, au moyeu (sic) de laquelle tous nos vaisseaux se séparèrent, & mesme nostre admirande de la flotte se pensa perdre, ayant touché à une roche, & pris force eau, dans lequel navire & à toute la flotte commandoit le général Soubriago [Zubiaur], qui avoit esté envoié par le Roy d’Espaigne à Blavet pour cest effect : le lendemain le temps s’estant esclarcy, tous nos mariniers se rejoignirent ensemble, & feumes aux isles de Bayonne en Gallice, pour faire radouber ledict navire admiral qui s’estoit fort offensé218. »

231Mais le rembarquement des derniers Espagnols de Blavet n’aura lieu que le 9 septembre, bien après le terme fixé par le traité. Ce délai s’explique sans doute par la situation économique et politique confuse de fin de règne en Espagne. Philippe II, après une longue et douloureuse agonie, meurt, quatre jours plus tard. Il laissait à son fils, Philippe III, les coffres du royaume vides. Dans ces conditions, les soldats de Blavet ne purent qu’être satisfaits de l’accord ultime leur attribuant 200 000 écus s’ils quittaient les rives de leur havre sans en détruire les fortifications qu’ils y avaient construites. Nouvelle vengeance royale contre la province rebelle. Alors que l’article 14 du traité de Vervins stipule que les Espagnols devaient abandonner les places qu’ils détenaient dans le royaume « sans y rien démolir […], et sans que l’on puisse prétendre ne demander aucun remboursement pour les fortifications faites esdites places », le suivant réserve un sort particulier à la Bretagne : il accorde au Roi très Chrétien de faire démolir « les fortifications par lui [Philippe II] faites ou par les siens audit Blavet et autres lieux qui seront par lui détenus en Bretagne, si aucuns en y a ». Les 200 000 écus versés en compensation par cette province relèvent donc de cette sollicitude à rebours dont Henri IV la gratifia avec une étonnante constance.

232L’aventure espagnole en Bretagne qui s’achevait n’avait pas été un objectif en soi. Elle entrait dans le cadre d’une politique planifiée chargée d’assurer l’hégémonie hispanique sur l’Europe occidentale. Mais le soleil de Philippe II déclinait. L’ambition avait eu raison de son énergie. De banqueroute en banqueroute, les dettes de l’Espagne, malgré l’or des Indes, se montent en 1599 à plus de quatorze millions de ducats. La carte politique, stratégique et économique de l’Europe se transformait. Le sac de Cadix par les Anglais, en 1596, marquait la fin de la suprématie espagnole sur la mer au profit du royaume d’Angleterre. Philippe II, malade et vieillissant, n’aura cependant jamais abandonné son objectif quasi messianique de voir l’Angleterre revenir, au besoin par la force, dans le giron de l’Église catholique. Il transmettra cet objectif à son fils et successeur, Philippe III, qui tentera à son tour de le mener à bien, sans plus de réussite.

Notes de bas de page

1 Dom Morice, Preuves…, III, col. 1682.

2 Henri IV, Lettres…, édition Berger de Xivrey, II, 249.

3 PRO, SP 78/34, f° 217-219, doc. 87 des Preuves en annexes.

4 « He is the unfittest man to commannde an army that ever I sawe. »

5 PRO, SP 78/34, f° 256, doc. 90 des Preuves en annexes.

6 Henri IV, Lettres…, édition Berger de Xivrey, II, 269.

7 PRO, SP 78/35, f° 48.

8 C’est aussi jusqu’à présent l’opinion, implicitement et par prétérition, des historiens français. Nous verrons plus avant que cette intervention anglaise fut, au contraire, déterminante pour l’équilibre de l’Europe occidentale et pour la consolidation du trône d’Henri IV.

9 L’intervention en Bretagne avait coûté au trésor anglais plus de 2 millions de livres tournois soit la moitié de tous les frais engagés par la reine dans la campagne de France (soldes, navires, matériels, armes et munitions, prêts au roi sur obligations) de 1589 à 1597. PRO, France, Bundle 117, no 30; Calendar of State Papers, Domestic Series, Elizabeth I, 1595-1597, vol. CCLVII, 103, CCLVII, no 105, CCLIX, no 113, etc.

10 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 230, p. 54-55.

11 Il en profitait pour exercer sur Philippe II une forme de chantage. L’ambassadeur de Venise à Madrid écrit à son Sénat, le 8 janvier 1595 : « Une personne d’importance m’a déclaré que l’agent du duc de Mercœur, après avoir pendant plusieurs jours fait des demandes d’audience afin d’obtenir un soutien financier du roi, a fini par présenter aux ministres une lettre du duc (de Mercœur) déclarant que s’il n’était pas immédiatement secouru d’une grande somme d’argent, il se réconcilierait avec le roi de France, et accepterait les libérales propositions faites par ce souverain. » PRO, Cal. of State Papers, Archive of Venice.

12 Mémoires de Mme de Mornay, publiés par Madame de WITT, t. II, Paris, 1869, p. 200. Lettre de M. du Plessis à sa femme, datée d’Ancenis le 17 février 1595.

13 Henri IV, Lettres…, édition Berger de Xivrey, IV, p. 316.

14 Ibid., IV, p. 311-312.

15 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 252, p. 77-78.

16 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 254, p. 79-80.

17 A. Raison du Cleuziou, « Documents inédits… », art. cité, p. 49-50.

18 J. Pichart, Journal…, col. 1734-1735.

19 Le château de Comper tombera cependant aux mains des royaux, le 10 novembre suivant, « par l’intelligence et bonne conduite » de deux frères, les sieurs de Mesneuf d’Andigné.

20 PRO, SP 78/35, f° 213, doc. 97 des Preuves en annexes.

21 La lettre des États est du 28 août, la réponse d’Elizabeth du 9 octobre (PRO, SP 78/36, f° 24, document no 98 des Preuves en annexes).

22 Fragment des « mémoires » de René de Rieux de Sourdéac…, BnF, ms. fr. 3861, f° 257 v°.

23 J. Pichart, Journal…, col. 1748.

24 T. Birch, Memoirs of the Reign…, I, p. 301.

25 J. Pichart, Journal…, col. 1749.

26 BMS Issé.

27 « Information des désordres et cruautés des troupes dans l’évêché de Cornouaille… », A. de Barthélemy, ouvr. cité, XXVII, p. 232.

28 A. Croix, L’âge d’or de la Bretagne…, p. 209.

29 J. Meyer, La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, 1966, 2 vol.

30 E. Salmon-Legagneur, « Le manoir breton au XVe siècle », BSHAB, t. 59, 1992, p. 201-222.

31 Sur ce point, voir M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, en particulier p. 249-255 et 375-380.

32 AD 22, 2 E 310.

33 AD 29, 1 E 431.

34 Il conviendrait de préciser ce point particulier de l’obligation de service qui probablement évolua au cours du conflit : « Le huitiesme jour dudit mois d’avril audit an [1591], lit-on dans le journal de Pichart, furent publiées par les caroils [de Rennes], lettres du roi vérifiées en la cour, par lesquelles il est enjoint à la noblesse de Bretaigne sous l’âge de soixante ans et au dela dessus de vingt ans, aller à la guerre pour le service de S.M. sur peine d’estre déclarés rebelles, et de confiscations de leurs biens et roturiers eux et leur postérité. »

35 AD 29, 1 E 431.

36 Id. En 1586, Claude de Kerguezay-Kergomar pour rembourser « certaines dettes », avait dû vendre la seigneurie du Lédern pour 9 000 livres. AD 22, E. 2382.

37 AD 35, C 2912, 2913, 2914 notamment.

38 Des mentions du type « outre le pain et le vin et autres amunitions » peuvent aussi faire penser que la solde théorique pouvait être modulée selon certains critères matériels voire géographiques. Les compagnies affectées à la garde des lieutenants généraux étaient mieux soldées.

39 Les gens de pied du régiment du sieur de Corbouson, en garnison à Montfort, en janvier 1594, reçoivent 4 écus au lieu des 3 qui leur étaient attribués, « d’aultant que pour la chereté des vivres aud. Montfort lesd. soldats ne pouvoient vivre pour les iii écus qui leur avoient esté ordonnés par mois, sans toutefois tirer à conséquence pour les autres régiments » (AD 35, C 2912, f° 44 v°).

40 Compagnie en garnison à Chastillon, AD 35, C 2913, f° 304 v°. Ce sont les mêmes chiffres pour la compagnie de 38 chevau-légers du sieur de La Ménardière, en janvier 1594 (AD 35, C 2913, f° 30), à la seule différence du cavalier qui reçoit 10 écus.

41 AD 35, C 3669.

42 Compagnie de gens de pied du sieur de Bourg-l’Evesque, nov. 1593 (AD 35, C 2912, f° 37 v°). Celle du sieur de La Croix fournit cependant des chiffres sensiblement différents : « À M. de La Croix pour son état de maréchal de camp et capitaine, 100 écus ; à son lieutenant 18 écus ; à son enseigne 12 écus ; à chaque sergent 8 écus, à chaque soldat, 3 écus. » (Sept. 1593. AD 35, 2914, f° 52.)

43 Ces soldes étaient toujours attribuées aux arquebusiers à cheval en février 1595.

44 Sous la charge de Jean Jacques de Lombard, sieur du dit lieu (AD 35, C. 2914, f° 296 v°).

45 Mais une des compagnie de gens de pied du régiment de Mollac recevait à la même époque la solde suivante : le capitaine, 30 écus ; le lieutenant 16 écus ; l’enseigne, 11 écus ; un sergent 7 écus ; un caporal 4 écus ; chacun des deux « picquiers armés de corselets », 3 écus ; chacun des « cinq picquiers non armés », 2 écus 2/3 ; chaque arquebusier à pied, 2 écus 2/3 (AD 35, C 2914, f° 45 v°-46).

46 Compagnie du sieur de Berville, septembre 1593, AD 35, C 29612, f° 77. Celle de Bernardin de Chaufour, sieur de Saint-Paul reçoit, en novembre : le capitaine 33 écus 1/3 ; le lieutenant, 20 écus ; un sergent 6 écus 2/3 ; un arquebusier 6 écus (AD 35, C 29612, f° 33). Celle du sieur de Villeneuve affectée à la garde de M. de Saint-Luc est mieux rétribuée encore : le capitaine 40 écus ; le lieutenant 20 écus, un sergent 15 écus, un arquebusier 10 écus (AD 35, C 2912, fo 33).

47 M. Nassiet, Noblesse et pauvreté…, p. 146.

48 H. Le Goff, La Ligue en Basse-Bretagne…, p. 286-287.

49 D. Bernard, « Documents pour servir à l’histoire de la Ligue… », p. 289 qui publie l’enquête du sénéchal de Cornouaille en 1599.

50 Dans cette chapelle on voyait encore, lorsque Pol de Courcy la visita (« Itinéraire de Saint-Pol à Brest », RBV, t. VI, année 1859, p. 129) une statue couchée en armure portant la mention : « Tombeau de François, juveigneur de Kermavan, tué en 1600. Noble homme Guillaume Simon, Sr de Traumanec, fit faire ce tombeau. Dieu lui face pardon. 1602. »

51 AD 22, 2 E 510.

52 PRO, Londres, SP 78/33, f° 374.

53 Ibid. La Croix obtint avec tous ses hommes le pardon de ses actions passées, chacun de ses soldats perçut sa solde complète. Lui-même fut gratifié pour son retour au roi qu’il s’en alla aussitôt rejoindre avec ses compagnies. Il le servit par la suite dignement, et fut tué à la reprise de Ham.

54 « Arrêt en forme de commission, pour informer de la prise, viol et assassinat du château de Montjean, en l’an 1591, par Pierre Le Cornu, sieur du Plessis de Cosme », cité en annexe par L.-R. Duchesne, Craon et ses barons, Laval, 1836 – « Articles accordés par le Roy au S. Duplessis de Côme sur la réunion des villes et baronnie de Craon et Montjean au service de sa majesté. Angers, 1598 », BnF, Lb 35, 723-724, dom Morice, III, col. 1667-1672.

55 F. Grignart, « Journal… », p. 79.

56 Le sieur de Laubertière.

57 AD 35, C. 3230.

58 AD 35, C. 3230.

59 A. Anne-Duportal, « Hédé, le château (1000-1598) », BAB, t. XVII, 1899, p. 90-153.

60 Ils étaient fils de René II de Sanzay, gentilhomme lettré, amateur d’histoire et de poésie, et gouverneur de Nantes lui aussi.

61 BSA 29, 1892, t. 19, p. 83, et A. de Barthélemy, « Anne de Sanzay… ».

62 A. Raison du Cleuziou, « Documents inédits… », p. 30-33. Il réfutait ainsi les arguments mis en avant par les gentilshommes : « Aux guerres et tumultes présents il n’y a rien de la religion », et « ceux de la province de Bretagne […] ne se peuvent toutefois conserver qu’avec le grand [l’ensemble] de cet état duquel étant séparés ne se peuvent vivre heureusement, ains avec mille ennuis et pilleries et avec perpétuelles subjections de leurs voisins, que se remettant en mémoire par lecture ou autrement les maux qui ont accompagné cette province paravant la réunion trouveront qu’il est besoin se tenir au grand arbre de cette monarchie française sans écouter le faux prétexte de ceux qui disent autrement. » Voilà un point de vue qui prouve, s’il en était besoin, combien étaient multiples et/ou nuancées les motivations de ceux qui allaient passer à la Ligue. Il confirme aussi, que le Léon a toujours réagi lors de ces événements, de façon singulière, originale, voire autonome.

63 A. Raison du Cleuziou, « Documents inédits… », p. 43.

64 Ibid., p. 46.

65 A. de Barthélemy, Choix de documents inédits, doc. XXVII, p. 235.

66 Comptes de Plérin, Annuaire des CDN, 1878, p. 32 et 65-67. Le 2 septembre 1598, les paroisses des environs portèrent leurs plaintes devant la cour des Régaires. Les juges procédèrent à une enquête du 23 septembre au 22 décembre. Le sieur de la Motte semble cependant avoir échappé à toute poursuite. Il s’était réfugié en Lorraine, à Pont-Saint-Vincent, sous la protection de Nicolas de Lorraine-Vaudémont, comte de Chaligny, rentré lui aussi de Bretagne, et qui tente, par une lettre adressée aux paroissiens de Plérin, le 23 janvier 1599, de les intimider, en défendant la cause du « capitaine La Motte, l’un de [ses] domestiques ». Le procès était donc toujours pendant.

67 De toute la littérature qu’a suscitée ce personnage, l’ouvrage le plus fiable et le plus documenté est assurément celui de J. Lorédan, La Fontenelle, seigneur de la Ligue…

68 J. Moreau, Mémoires, éd. Le Bastard de Mesmeur, 1857, p. 315-316.

69 A. de Barthélemy, Choix de documents inédits, doc. XXVII, p. 232.

70 « Fountenella a récemment cruellement assassiné 800 paysans de ce pays, prétendant qu’il les affaiblira tant qu’ils ne pourront plus l’entraver, puis les pendra by their purse. » Interrogatoire du 4 août (25 juillet d.a.) 1595, PRO, Calendar of State Papers, Domestic Series, Reign of Elizabeth, vol. CCLIII, f° 78-79.

71 Sur les circonstances de l’arrestation de La Fontenelle et de ce premier siège de l’île Tristan, voir J. Loredan, La Fontenelle, seigneur de la Ligue…, p. 79-86.

72 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, p. 273.

73 Dom Taillandier, t. I, p. 447-448.

74 Ibid., t. II, col. 1641.

75 Sourdéac, Mémoires…, f° 269 r°.

76 D. Bernard,» Documents pour servir à l’histoire… », p. 282-290.

77 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, doc. 309, p. 121.

78 A. de Barthélémy, Documents inédits…, doc. XXVII, p. 232.

79 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 301, p. 117.

80 Sourdéac, Fragments des mémoires…, f° 269-271.

81 « Rosampoul est allé à Nantes pour remettre la lettre au duc et lui transmettre le message, qui était de lui faire connaître le désir fou dont M. de Sourdéac est animé de servir V. M. » Lettre de Juan del Aguila au roi d’Espagne, de Quimperlé le 29 avril 1596. G. de Carné, id., II, doc. 277, p. 104.

82 L’entretien du corps expéditionnaire en Bretagne coûtait au trésor espagnol 37000 écus par mois. Le duc, lui aussi, peinait à recouvrer ses propres avances aux Espagnols. En juillet 1598, Madame de Mercœur qui avait adressé en Espagne le sieur de la Chaussée-Laubier « pour poursuivre sa Majesté catholique » afin d’obtenir « le recouvrement des prêts », doit, le 15 juillet de cette même année, lui adresser un complément de huit autres cédulles non remboursées, signées du 31 juillet 1591 au 3 février 1593, dont le montant se monte à 17 000 écus, sans compter la valeur de 158 000 pains de munition dont le duc avait aussi avancé la somme (BnF, ms. fr. 18 704, doc. 56).

83 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 268, p. 100

84 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, I, p. 50 ; sur cet aspect moral de la guerre voir H. Forneron, Histoire de Philippe II, t. IV, p. 85, et I. Cloulas, Philippe II, Paris, 1992, p. 525-526.

85 D’autant que certains cas sont ambigus comme à Plufur (év. de Tréguier) En 1607 meurt Jouane Thos, du village de Kerazriou en Lanvellec. Elle était mariée à Pierre d’Orange, « qui se disoit être de Portugal et vint en ce quartier en 1597 lorsque le sieur de Goesbriand tenait garnison au château du Plessix en Ploefur, lequel d’Orange s’enfuit après avoir laissé plusieurs créditeurs ausquels il devait plus de cent écus ». Mais il n’avait fui que bien après les troubles puisqu’il est parrain à Plufur en 1598 et 1600.

86 PRO, SP 78/39, f° 278. Cette lettre et la suivante sont des copies et ne portent pas le nom de leur auteur.

87 Une lettre de William Knollys au comte d’Essex apporte quelques précisions sur cette mutinerie: « The news of Blavet is confirmed, that upon a saint’s day don Juan going on procession, two companies of Italian Albanese horsemen watching their time set upon the Spaniard, and having taken 200 and don Juan prisoner, they possessed themselves of the place, which is stored with 40 battering pieces, and great store of munition and victual; and have deputed one to go and treat with the French king. » (T. Birch, Mémoirs of the Reign…, II, p. 352.) Sur cette révolte voir aussi G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc 322 à 329.

88 30 décembre 1595, d.a. Calendar of State Papers, domestic-Elizabeth, vol. CCLV.

89 En février 1596, le duc d’Epernon accepte de libérer la Provence et de se soumettre au roi moyennant 150 000 livres prélevés sur cette province, la promesse de 496 000 livres supplémentaires, et le maintien de son gouvernement d’Angoumois et de Saintonge.

90 Elle en fera l’éloge, en décembre 1597, devant l’ambassadeur de France : « On le tenait autrefois à la cour pour un sot et il se montrait plus habile que tous les autres. » Prévost-Paradol, Elizabeth et Henri IV, p. 181.

91 PRO, SP. 78/38, f° 88.

92 PRO, SP 78/40, f° 319

93 PRO, SP 78/36, f° 97.

94 PRO, SP 78/39, f° 299.

95 PRO, SP 78/37, f° 177.

96 Le grand Amiral. Martin de Padilla avait reçu en 1596 le titre de capitaine général de la Mer Océane. Il fut chargé de prépérer le débarquement en Irlande.

97 Hernán, E. García, « Philip II’s forgotten armada », in M. Hiram (éd.), The Battle of Kinsale, Wordwell : Bray, Co. Wicklow, 2002. Voir aussi la déclaration du marchand, Walter Wirall, arrivant d’Espagne, Dublin, 23 nov. 1596, Calendar of State Papers relating to Ireland, July 1596-Dec. 1597, 173.

98 Sourdéac, Fragments des Mémoires…, f° 265 v°.

99 Sir G. Fenton, « Abstracts of three letters, dated 16 September, lately sent out of Spain », Dublin, 1er octobre 1597, Calendar of the State Papers relating to Ireland, July 1596-Dec. 1597, 411.

100 Sourdéac, Fragments des Mémoires…, f° 272. L’estimation était assez juste. L’armada comprenait 136 navires transportant 12 634 hommes et 300 chevaux. L’Invincible Armada était formée de 160 navires de tous tonnages.

101 PRO, SP 78/40, f° 240. Lettre à Elizabeth du 17 novembre.

102 Id., f° 281.

103 Il y eut peut-être une autre tentative avortée de débarquement espagnol à Brest et/ou en Angleterre en 1599. Le 6 septembre de cette année, lord Howard et sir Walter Raleigh écrivent au lieutenant du château de Douvres: « Wee have receyved letters from my Lordes of the Councell which were sent unto them from the Governor of Brest, to lett their Honors know that seaven gallies belonginge to the Spanish Fleete were putt into the harborough, and that 200 sayle of shipps were seene a sea-boord standing for our channel. Ther came also a pincke (barque) from the Governor of Callice this present Monday which wrote unto us confyrming the same intelligences. » (East Sussex Record Office, Rye/47/57/2.) On remarque qu’à cette date, Sourdéac informe toujours Londres, fort consciencieusement.

104 J. J. Silke, Kinsale, the Spanish intervention in Ireland at the end of the Elizabethan War, Liverpool, 1970. Comme à Craon, Don Juan ne put combattre John Norreys, son ennemi intime. Il s’en était fallu de peu. Black John, nommé après son départ de Bretagne président de la province irlandaise de Munster, était déjà mort, probablement le 3 septembre 1597. On prétend que ce fut de chagrin d’avoir perdu la faveur de la reine. Cette dernière cependant écrit à sa mère, le 22 septembre suivant, une touchante lettre par laquelle elle exprime sa compassion et sa douleur d’avoir perdu un si valeureux serviteur (« … so worthy a servant »). (G.-B. Harrisson, The letters of Queen Elizabeth, London, 1957, p. 250-251.)

105 W. T. Maccaffrey, Elizabeth I, War and Politics…, p. 217.

106 Tombé malade peu de temps après, Aymar Hennequin meurt dans la nuit du 12 janvier 1596.

107 « The duke de Mercoeur’s brother was said to be lately come to Rome to request the pope’s mediation in an accomodation between the French king and the duke, the latter being forc’d to it by necessity, having lost six or seven of the chiefest forts in Bretagne. » (Lettre du Dr Hawkins à Anthony Bacon, de Venise, le 1er novembre, Birch, Memoirs of the Reign…, II, p. 181.) Le cardinal d’Ossat, de son côté, écrit de Rome, le 16 octobre 1596 à Monsieur de Villeroy : « Eric Monsieur de Lorraine, Evêque de Verdun, vient d’arriver en cette ville ; je l’ai été visiter en son logis : en quoi j’ai eu plus d’égard a ce qu’il étoit frère de la Reine douairière, & cousine de Monsieur de Lorraine, & Evêque d’une ville sujette au Roi, & lui-même, comme tel, vassal du Roi, que non pas à ce qu’il étoit frère de Monsieur de Mercœur, qui n’a encore reconnu le Roi. Il m’a dit qu’il étoit très-humble serviteur du Roi, & qu’il n’étoit venu à Rome sans permission de S. M. & qu’il avoit un de ses frères, Monsieur le Comte de Chaligny, auprès d’elle. » (Lettres du cardinal d’Ossat, publiées par Amelot de La Houssaie, t. II, Amsterdam, 1732, p. 249.) Faut-il en déduire que, dès ce moment, ces deux frères de Mercœur avaient abandonné sa cause ? Un troisième, le marquis de Chaussin, était alors prisonnier du duc Charles III de Lorraine (Ch. Pfister, « La captivité du marquis de Chaussin [1594-1596] », Journal de la Société Archéologique de Lorraine, 46e année, 1897, p. 103-104).

108 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 294, p. 115.

109 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 309, p. 120. Lettre du 5 avril 1597.

110 PRO, SP 78/37, f° 205.

111 PRO, SP 78/40, f° 281. Document no 105 des Preuves en annexes.

112 Henri de Lorraine (1570-1600), comte de Chaligny et marquis de Moy, demi-frère de Mercœur, avait été fait prisonnier en février 1592 alors qu’il combattait dans l’armée du duc de Mayenne. Aussitôt libéré, il tente à plusieurs reprises de venir en aide à son frère, en recrutant des troupes. On le trouve même à ses côtés en Bretagne. Il l’accompagnera en Hongrie pour y combattre les Turcs.

113 L’ambassadeur de France en Angleterre, M. de Maisse donne un chiffre plus important pour ce contingent que les Espagnols, selon lui, s’étaient engagés à conduire par mer au duc de Mercœur, mais qui pouvait aussi débarquer sur les côtes anglaises : « Trois mille Espagnols et quatre mille lansquenets que conduiroit le sieur de Chaligny, et qui devoient s’embarquer à Dunkerque ; et qu’il falloit que Sa Majesté [Elizabeth] prît garde, et que ce pouvoit être pour ce pays comme pour la Bretagne. » (De Maisse, Journal, p. 307, cité par Prévost-Paradol, ouvr. cité, p. 181, note 2.)

114 Voir infra ce qu’en disent à ce sujet Plessis-Mornay et l’ambassadeur Mendo de Ledesma.

115 A. de Barthélemy, Choix de documents…, p. 210-213.

116 J. Pichart, Journal…, col. 1752.

117 J. Brunel, Nicolas Rapin, Honoré Champion, Paris, 2002, t. I, p. 546-547.

118 Jean Vallet, conseiller de Mercœur, était en réalité prieur de La Trinité de Fougères.

119 Cité par J. Brunel, ouvr. cité, p. 546-547. Henri IV informé écrira cependant qu’on avait là « descouvert beaucoup de choses de très grande importance ». David de Liques (Histoire de la vie de M. Philippes de Mornay…, Leyde, Elzevier, 1647, p. 237) pense que « dès lors s’y voyoient les semences de la conspiration du Mareschal de Biron ».

120 L. Bourquin, Les nobles, la ville et le roi…, p. 215-216.

121 Lettre à M. du Plessis, 26 janvier 1597. Les protestants, craignant que le traité de pacification générale qui se négociait, ne se conclurait à leur détriment, en discutaient âprement chaque terme, retardant ainsi sa rédaction finale.

122 J. Louvet, « Journal ou récit véritable… », p. 302.

123 Le 16 avril, il écrit à M. de Schomberg qu’il désire la réparation d’un tel acte commis « contre la foy publique […] auparavant que d’entendre autre traicté » (BnF, ms. fr. 18 704, doc. 52).

124 « Discours de la défaite du sieur de Saint-Laurent… » et Goulart, Mémoires…, t. VI, p. 496-497.

125 Mémoires de Mme de Mornay, t. 1, p. 315-319. « Le cinquième d’aougst dernier l’isle de Bas et ville du Croisic auroict esté surprinse de nuict par les gens de guerre du roy de Navare conduictes par le capitaine Tramblais », au nombre de 8 à 900 cavaliers, et que, pendant les quatre jours qu’ils occupèrent le pays, ceux-ci attachèrent leurs chevaux près des gerbes du prieuré de Batz, les leur donnant à manger et s’en servant pour leur litière ; trois à quatre jours après le départ de ces soldats, « les régimentz des seigneurs d’Aradon et baron de Camors, estans en pareil numbre de huict à neuf cens hommes en armes et à cheval », séjournèrent neuf jours à Batz et au Croisic, utilisant le reste des gerbes laissées par les précédents (Arch. munic. Nantes, GG 619).

126 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 338, p. 136. Lettre de Mendo de Ledesma du 5 septembre 1597.

127 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 357.

128 Édition Berger de Xivrey, II, p. 738.

129 Goulart, Mémoires…, t. VI, p. 544-546.

130 Édition Berger de Xivrey, II, p. 882.

131 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 350, p. 153. Lettre de Mendo de Ledesma à Philippe II, 20 janvier 1598.

132 Annuaire départemental de la Société d’Emulation de la Vendée, année 1860, septième année, 1861, p. 262.

133 Ce fut sur ordre de Mercœur. Le 6 juillet 1597, le duc donne commission à Jean Le Petit, sieur de la Guierche, de s’emparer de cette place. Il s’y dit soucieux de « fortifier le parti de la sainte Union de plus de places fortes que nous aurions pu, tant en notre gouvernement de Bretagne que ès provinces circonvoisines » (Archives historiques du Poitou, t. XXVII, Poitiers, 1896, p. 496).

134 Tandis que sa femme séjourne à Nantes où elle accouche même d’un fils en octobre 1592.

135 Les témoins lui attribuent cette charge lors de la bataille du Marc’hallac’h, en juin 1591.

136 Palma-Cayet, Chronologie…, t. I, livre III, p. 331.

137 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…,, I, doc. 92, p. 70. C’est le seul mandat connu qui règle l’action de Mercœur hors de son gouvernement.

138 J. Louvet, « Journal ou récit véritable… », p. 180.

139 En novembre 1591, décembre-janvier 1591, janvier 1593, L. Bourquin, Les nobles, la ville et le roi…, p. 173-174.

140 La Réforme et la Ligue en Anjou, Paris, 1856, p. 272. Il est vrai que les États (loyalistes) de Bretagne imposaient aussi à l’occasion leurs directives à la garnison de Pontorson. La carte des gouvernements en place au début du conflit avait été, par la nécessité des faits, singulièrement remodelée.

141 Près d’Ernée.

142 BnF, ms. fr. 18 704, doc. 19. Mercœur y déclare avoir donné charge de réduire cette place aux sieurs de Landeronde, Boisardières, Chevallerye, Touraille et Minotière, auxquels il accorde aveu. Claude Simon, sieur de la Saulaye, seigneur de la maison, fut grièvement blessé.

143 BnF, ms. fr. 18 704, doc. 26 (minute). Malheureusement la date de ce document, comme celle du précédent, n’est pas plus précise. Elles auraient permis d’éclairer le point qui suit.

144 Édition A. Rolland.

145 Mémoires et correspondance de du Plessis-Mornay, t. VII, chez Treuttel et Würtz, libraires, Paris, 1824, p. 22-23.

146 BnF, ms. fr. 22 311, f° 260.

147 Goulart, Mémoires…, t. VI, p. 546. Voir aussi l’accord passé par Mercœur avec le sieur de Malicorne, gouverneur et lieutenant général pour le roi, en Poitou, relativement au château de Tiffauges, BnF, ms. fr., ancien fonds, 3579-8, f° 14, publié dans les Archives historiques du Poitou, t. XXVII, Poitiers, 1896, p. 491-493.

148 F° 13, Lettre au Roy.

149 BnF, ms. fr., 18 704, doc. 32. Une commission identique est donnée, en janvier 1597, à Pierre de Quatrebarbes, sieur du Sericier, d’aller faire la guerre aux ennemis de la Sainte-Union « es pays, provinces et aultres lieux où la trefve n’auroit par nous esté accordée » (BnF, ms. fr. 18 704, doc. 48). Il faut aussi verser à ce dossier la quittance qu’il accorde, le 17 mars 1597, à Me Pierre Maret, par lui commis « à la recette des deniers provenant de la composition et traicté de la trefve du pays et duché de Normandye » pour la somme de 1 030 écus « que nous luy avons ordonné fournir et mettre en noz mains des deniers de lad. composition et traicté de lad. trefve des moys de Juing, Juillet, Aoust et Septembre de l’année dernière » (BnF., ms. fr. 18 704, doc. 50, original).

150 Les deux principaux officiers de la garnison devaient tuer le gouverneur, Hector de Préau, avant de livrer la ville aux ligueurs. Mais la conjuration fut découverte et les deux officiers exécutés (Thibaudeau, Histoire du Poitou, Robin et Cie, Niort, 1840, p. 134). J.-A. de Thou, Histoire Universelle…, t. XIII, livre CXVIII, p. 131, raconte ces deux tentatives avortées.

151 Palma-Cayet, Chronologie novenaire…, t. XLIII, p. 386.

152 La défaite de M. Saint-Laurent [en juin 1597], écrit P. de L’Estoile, « rabbastist beaucoup de l’orgueil dudit duc, qui couchoit (= se promettait) gros à ceste heure-là, à cause des affaires et empeschemens que le roy avoit de tous les costés ». Le duc de Savoie n’avait pas non plus déposé les armes en Dauphiné. Mais on n’a jusqu’à ce jour mis en évidence aucune concertation entre ces deux irréductibles pour coordonner leurs efforts.

153 Ouvr. cité, f° 9.

154 Voir aussi ce que disait James Collins lors de la table ronde consacrée à son ouvrage La Bretagne dans l’État royal…, et publié à sa suite : « En 1596, on a un roi [Henri IV], mais il n’a pas de successeur, puisque le successeur, Condé, est un tout petit enfant dont tout le monde sait qu’il n’est pas le fils de son père. » Cette singularité ne pouvait pas avoir échappé à Mercœur (p. 364).

155 Camors avait quitté le parti de la Ligue en novembre 1592, comme en témoigne le journal de son frère. Il y revint environ deux ans plus tard ; probablement après avril 1594. À cette date, il fait prisonnier, près de Pontivy, les trois députés de Quimper aux États ligueurs.

156 R. F. Le Menn, « Mission du sieur Aubert de Roziers… », art. cité, p. 200.

157 Ibid., p. 202.

158 Henri IV, Lettres…, édition Berger de Xivrey, IV, 914.

159 AnF 1 AP 346/41, cité par J.-L. Tulot, Correspondance de Gilles de Bourron, http://pagesperso-orange.fr/jeanluc.tulot/Bourron.pdf.

160 Le gouverneur de la place avait peut-être aussi déjà pris contact avec le roi. « Ceuls de Rochefort traitent, et dit hon que il y a icy un gentilhomme du gouverneur de Dinan. […] » écrit Gilles de Bourron dans cette même lettre.

161 F. Grignart, Journal…, p. 91. Sur ce siège consulter aussi la lettre du capitaine anglais Gode, doc. 106 des Preuves en annexes.

162 Goulart, Mémoires…, t. VI, p. 570-571.

163 F. Grignart, Journal…, p. 92.

164 Peu de temps, après le château sera repris par les ligueurs.

165 Edward Prynne to the Earl of Essex, Calendar of the Cecil Papers in Hatfield House, année 1598, p. 81.

166 BMS Saint-Michel. Henri IV demandera la démolition des défenses récemment édifiées comme du donjon élevé par Jean IV.

167 Lettre du capitaine Edward Prynne au comte d’Essex, 12 avril 1598, Calendar of the Cecil Papers in Hatfield House, t. 8, année 1598, p. 117-118.

168 « … parce qu’il n’a paru d’aucune importance à S. M. » (G. de Carne, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 356, p. 156, lettre de Bravo de Vuitrago à dom Martin de Idiaquez). Le capitaine Prynne, qui appartenait à l’entourage de Brissac, déclare lui (lettre citée) que la garnison de Primel accepta d’abandonner la place et de se retirer par mer à Blavet contre le versement de 4 000 couronnes (1 000 livres). Dans une seconde lettre du 17 avril, il écrit qu’elle avait déjà quitté la place.

169 Lettre du capitaine Prynne citée, du 12 avril 1598.

170 « I have written unto you since my coming to Morlaix of the going away of the Spaniards out of Prymela, and how that here we had news by the way of Brest and other ways, that the Spanish Army at Ferroll made themselves ready with all haste, supposed to be for this country to supply Bluet, where my lord the Marshal of Brisac goeth to lay the siege, having the whole commandment of the army. Since, here [Morlaix] are news come by a bark of St. Gills in Holone [Saint-Gilles-Croix-de-Vie] that comes out of “Lyxsborne” [Lisbonne] how that the Adelantado [Amiral] should be arrived to “Lyxsborne” with forty galleys, four galliases, and that the report was there he should join with the ships that are at Ferroll, in number some threescore [soixante], as we hear. Unless the French King have some strong army by sea before Bluet [Blavet] his siege will be of small effect, for that the enemy is very strong within, and having the sea to friend it will be a long and a dangerous siege. There is within the town and castle of Bluet some thousand Spaniards, four hundred Portugals, three hundred Italians, and since those that were at Prymela are gone to the number of one hundred very brave men and well armed; of the which there were some forty musketeers. » Lettre du capitaine E. Prynne à Essex, de Morlaix, le 17 avril 1598 (Calendar of the Cecil Papers in Hatfield House…, t. 8, p. 127).

171 De Saint-Malo, le 16 février 1598, Calendar of the Cecil Papers in Hatfield House, t. 8, année 1598, p. 50-51.

172 « I am acquainted with divers of the Religion, as Monsieur de la Muche [de la Mouche], governor of Viterye [Vitré], Monsieur de Bremanfanye [probablement Jean de Vauborel], governor of Chatillyon, Monsieur Dandeny, governor of Corle, Dandeny, governor of Conper [Comper. Il s’agit des deux frères Maineuf d’Andigny], Monsieur the Tenye [probablement Jean Bourdin], governor of Penpoll, and divers others; if your Honour will command anything to them I will do your command. Also […] Monsieur the Mongomerye [Montgomery], and Monsieur de la Vardine [Lavardin]. » (Lettre du capitaine Prynne au comte d’Essex, du camp devant la tour de Cesson, le 20 mars 1598.) Dans le cas présent on peut aussi se demander si le comte d’Essex ne préparait pas déjà, contre la reine, sa rebellion qui lui coûtera la vie. Trois jours plus tard, le capitaine Thomas Lappe, également au service du roi en l’armée du maréchal de Brissac au siège de Cesson, écrit au comte : « If you need me I can bring a number of brave men, French and English, who live under my command and would adventure their lives in your service. » (Id., p. 83.)

173 Le roi avait donc été très précocement averti de l’intention des conjurés dinannais, sans doute par le maréchal de Cossé-Brissac qui aurait eu une secrète intelligence avec les bourgeois de cette ville (lettre d’Edward Pryme au comte d’Essex, Calendar of the manuscripts of the Marquis of Salisbury, année 1598, p. 81).

174 Journal inédit du règne de Henry IV (1598-1602), par Pierre de L’Estoile, Paris, édition E. Halphen, 1857, p. 2.

175 Sully, Œconomies…, II, p. 269.

176 Sully, Mémoires de Maximilien de Béthune, duc de Sully, Londres, 1767, t. III, p. 366-367.

177 Dans son Journal (p. 160), Louvet fait arriver le roi aux Ponts-de-Cé, le vendredi 6 mars. Bien qu’il détaille l’emploi du temps royal, il ne parle pas de l’entrevue avec la duchesse, qu’il signale cependant être arrivé en ce lieu le mercredi 4 « pour y attendre le roy, et moïenner l’accord de M. de Mercure » (id.).

178 « Lettre adressée au chantre de Cornouailles à Quimper (Coren) tin », BSA 29, t. XIX, 1892, p. 160.

179 Sully, Œconomies…, II, p. 269. Le 22 janvier 1598 encore, le roi en écrivant aux habitants du Poitou pour en obtenir des subsides déclarait nettement que le duc de Mercœur « ayant toujours offert recevoir à recongnoissance, afin de faire cesser tant de maux et de ruines fomentées par luy-même durant nos plus grandes affaires, se serait non seulement rendu incapable de notre bienveillance, mais aurait pris le parti de l’étranger ». Cité par Thibaudeau, Histoire du Poitou, Robin et Cie, Niort, 1840, p. 134.

180 Montmartin, Mémoires…, p. cccxvj. « La maîtresse officielle, craignant sans doute un double jeu de son royal amant, exigea du roi de nouvelles preuves publiques de son intention de l’épouser. Au mois de mars 1599, la cérémonie fut fixée par le roi vers le dimanche de Quasimodo. » (F. Bayrou, Henri IV, le roi libre, Paris, Flamarion, 1994, p. 439.)

181 Du fait de l’âge des promis, le mariage n’eut lieu que le 7 juillet 1608.

182 Recherches et Considérations sur les Finances de France, Bâle, 1758, p. 15 et 28. Il faudrait peut-être minorer la part propre à Mercœur. L’Éloge de Sully, en complément de ses Mémoires, (nouvelle édition, t. 6, Paris 1827, p. 220), attribue cette même somme conjointement à « À MM. de Mercœur, Blavet ( !), Vendôme et autres, suivant leur traité pour la province de Bretagne ». Selon A. Boltanski et P. Hamon (« Le duc de Mercœur gouverneur de province… », p. 96), il conviendrait, pour la part propre de Mercœur, de réduire encore ce chiffre à un capital de 1 million 415 000 livres, lequel chiffre n’inclut pas l’apurement des dettes, prévu en partie par les articles secrets du traité, dont le montant, difficile à chiffrer, est de toute manière fort conséquent. Ces mêmes auteurs pensent aussi, avec J.-B. Collins (La Bretagne dans l’État royal…, p. 188), que le roi n’aurait que très partiellement versé les indemnités prévues. Ce manquement au traité placerait le départ de Mercœur pour la guerre contre les Turcs autant dans la perspective de récupérer son honneur perdu de Grand à cours de moyens que dans celle d’une nouvelle croisade contre les infidèles (P. Boltanski et P. Hamon, art. cité, p. 97).

183 Voir ci-après ce que j’en dis en conclusion.

184 Cette générosité est d’autant plus surprenante que deux ans auparavant, alors que Mercœur possédait encore toutes ses capacités militaires, tel n’était pas l’état d’esprit du roi. Le 5 décembre 1595, Antonio Perez, le transfuge espagnol, écrit au comte d’Essex que « Monsieur de Blegny […] lui a déclaré ce jour qu’un brave et honnête soldat de ses amis, avait été, quelques temps auparavant, fait prisonnier par le duc de Mercœur lequel, lui parlant avec une grande familiarité et en confiance, lui fit savoir son désir de se soumettre au roi, d’être rétabli en sa faveur, et de favoriser la conclusion d’une paix avec le roi d’Espagne. Ce soldat, il y a environ dix jours vint trouver le roi et lui soumit l’affaire. Ce dernier, après avoir consulté certains de son conseil, fit répondre qu’il ne traiterait pas de paix, ou de quoi que ce soit, avec un prince par l’entremise d’un vassal rebelle, ni avec un roi concernant la réduction à l’obéissance de son vassal » (Birch, Memoirs of the Reign…, I, p. 340-341). On peut d’ailleurs se demander si Henri IV n’a pas délibérément exclu Mercœur de la négociation avec Mayenne. Dans sa lettre, Perez précise, en effet, que ce même 5 décembre, une personne est venue trouver le roi de la part du duc de Mayenne afin de savoir quel jour le duc pourrait le rencontrer ; ce dernier lui proposait d’amener avec lui 500 chevaux et 1 000 fantassins ; et le duc de Mercœur a donné audit duc pleins pouvoirs pour traiter de sa soumission au roi. Quelques jours plus tard, un second correspondant parisien confirme à Essex que Mercœur fait tout son possible pour être admis dans la négociation : « Mercœur attempted by all means to be brought to a reconciliation », lettre du 21 décembre 1595 (T. Birch, ouvr. cité, I, 351).

185 Abbé Chevalier, Histoire de Chenonceau, Tours, 1869, p. 399-417.

186 Hurault, Mémoires…, p. 5-7.

187 Montmartin, Mémoires de Jean du Mats…, p. cccxv.

188 Arch. du Vatican, Lettere del Nuncio di Francia, t. XLV, f° 153, 27 mars 1598. Voir aussi Comte Henri de L’Epinois, La Ligue et les Papes, 1886, p. 643-645. Il est cependant curieux de constater que le journal de Louvet ne fait aucune mention de la présence du nonce à Angers ou dans sa région.

189 La chronologie de ces événements qui se bousculent est un peu serrée. Tous les chroniqueurs et témoins de ces événements ne s’accordent pas toujours sur la date précise de certains épisodes.

190 C’est ce que laisse entendre, M. de Bellièvre, l’un des négociateurs des accords de Vervins : « En effet, la femme de [Mercœur] avoit déjà souscrit aux articles qui portoient qu’il abandonneroit le Gouvernement de Bretagne […] Henri IV avoit déjà agréé ces articles ; il ne restoit plus que la signature du Duc de Mercœur, que l’on attendoit de jour en jour. » (Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique, 1779, p. 615.) Mercœur aurait paraphé à Nantes, le 23 mars, l’accord obtenu par sa femme. Mais cette date n’est pas assurée. Si l’on en croit de Thou (Mémoires, p. 516, n. 1), le dimanche de Pâques après l’office des vêpres, le roi se promenait dans le cloître des Jacobins de Saumur avec Mercœur « qui avoit fait sa paix depuis peu ». Or cette année-là le dimanche de Pâques tombait le 22 mars.

191 Rosnyvinen de Piré, t. II, p. 344-346.

192 Sully, Mémoires de Maximilien de Béthune…, ouvr. cité, t. III, p. 181-182.

193 Lettre à du Plessis, 8 novembre 1597 : « Je serai, le 16e du prochain, à Blois, sans faillir, bien résolu d’apprendre le passe-pied de Bretagne », Henri IV, Lettres…, édition Berger de Xivrey, IV, p. 874. Et le mot fit florès dans les milieux parisiens puisqu’il est consigné, avec la lettre de du Plessis, dans le Journal de Pierre de L’Estoile, p. 289.

194 W. T. Maccaffrey, Elisabeth I: War and Politics…, ouvr. cité, p. 200-215, 241-245.

195 « Well painted, ill dressed, and strangely jewelled. »

196 PRO, SP 78/41, f° 357; BL, Add. 45140, f° 12-35. T. Birch a également publié dans Memoirs of the Reign…, II, 375-379, le compte rendu quasi « sténographié » des différentes audiences. Il est daté de Nantes, le 10 avril (date anglaise, soit le 20 avril) 1598. Les délégués anglais quittèrent Nantes cinq jours plus tard.

197 Oeconomies Royales…, II, chap. lxxxi, p. 283.

198 BSA 29, 1892, t. 19, p. 161 et suivantes.

199 N. Le Coq, Baptesmes, mortuages…, p. 63.

200 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 354.

201 P. de L’Estoile, Mémoires…, p. 115.

202 T. Birch, An Historical view, p. 114. Plusieurs auteurs rapportent aussi « un accident ridicule » arrivé au duc quand il s’inclina devant Henri IV. M. de Saint-Foix le décrit à l’aide d’un euphémisme latin : crepitus, et prétend que cela, joint à l’humilité excessive que le duc manifesta lors des cérémonies, et « les révérences qu’il faisait au moindre valet », le rendit la risée de la cour (Œuvres complètes de M. de Saint-Foix, Histoire de l’Ordre du Saint-Esprit, t. 6e, Paris, Chez la Vve Duchesne, 1778, p. 111). Mais ses ennemis savaient aussi que le ridicule peut tuer aussi soudainement qu’une arquebusade.

203 Henri IV au Connétable de Montmorency, 5 avril 1598, Henri IV, Lettres…, édition Berger de Xivrey, IV, 948.

204 T. Birch, An Historical view…, p. 105-168. Cet auteur publie en particulier la correspondance adressée aux lords du Conseil par les émissaires anglais, sir Robert Cecil et John Herbert, et peu ou pas utilisée par les historiens français.

205 Ralliés naturellement, et certains de fraîche date.

206 T. Birch, Mémoirs of the Reign…, II, p. 193.

207 La rumeur envisageait l’existence de ces clauses secrètes, mais n’en connaissait pas le détail. Un Anglais, Robert Berty, écrit d’Orléans, le 29 mai 1599 : « L’édict [de Nantes] n’est pas encore publié aux grandes villes, mais on le vend publiquement, tel que je vous l’envoye ; on murmure toutefois de quelques conseils secrets, dont l’effect ne se voira que par quelque succession de jours. » (Lincolnhire Archives, 8ANC7/82.)

208 Que faut-il penser de l’article V stipulant qu’il « sera loisible à ceux de ladite religion, de faire ledit exercice public d’icelle à Pimpoul et pour Dieppe, au faubourg du Paulet, et seront lesdits lieux de Pimpoul et du Paulet ordonnés pour lieux de baillages » ? Pimpoul paraît ici encore être la forme bretonne pour Paimpol, en Goëlo. Le culte protestant n’a pourtant jamais été attesté en cette ville avant la Ligue, et Paimpol ne devint jamais siège de bailliage, si du moins ce terme possède ici le sens de sénéchaussée. Pourtant le choix de cette petite ville peut s’expliquer, en raison de l’influence de Charles d’Avaugour comte de Goello et de Vertus, baron d’Avaugour et d’Ingrandes, seigneur de Cargroix et Saffré. Ce gentilhomme huguenot, qui possédait la ville de Paimpol en « héritage propre », était l’époux de Renée de La Chapelle, protestante elle aussi. Capitaine de 50 hommes d’armes des ordonnances du roi, il est fait prisonnier par Mercœur en même temps que le comte de Soissons à Châteaugiron, le 1er juin 1589, et conduit à Nantes. La prise était d’importance puisque le duc décide, en avril 1591 ; d’échanger Charles d’Avaugour avec rien moins que le gouverneur de l’Anjou pour la Ligue, Monsieur de Boisdauphin (G. de Carne, Correspondance du duc de Mercœur…, I, p. 57). Les Nantais le prient cependant, le 13 août suivant, de ne consentir à l’échange qu’à condition que d’Avaugour livre Clisson et plusieurs prisonniers qu’il détenait. Libéré, Avaugour éprouva quelques difficultés pour récupérer sa ville de Paimpol. En décembre 1595, il adresse une requête aux États pour se plaindre des délais que M. de la Tremblaye (huguenot lui aussi) mettait pour vider la place de ses gens de guerre. Il est toujours, capitaine pour le roi à Clisson en février 1595. Il sera commissaire du roi pour l’exécution de l’Édit de Nantes en Bretagne (1600-1602). On lit dans les registres de Saffré : « Nota que l’église de Saffré fut polue depuis le mardi 1er janvier [1606] jusques au dimanche de Pasques 26 apvril, à raison de la présence du corps de deffuncte dame de Cargrois, huguenote, nommée Renée de la Chapelle, vivant espouse de Charles d’Avaugour, sieur de Cargrois. » La tolérance, comme on le voit, se limitait aux articles de l’Édit.

209 Gabrielle d’Estrée y demeura quelques jours de plus pour se remettre de son accouchement. Le 12 mai, elle est marraine d’un fils de Gabriel de Goulaine. Le parain n’est autre que son fils de quatre ans, César, duc de Vendôme, pair de France, et déjà « gouverneur et lieutenant général en son duché de Bretagne ».

210 Mercœur avait sans doute souhaité s’immiscer dans ces négociations de paix. Dès la première conférence de 9 février 1598, les Espagnols « comme s’ils eussent voulu traiter pour lui, & lui en donner part », demandèrent « que le duc de Mercœur eût la permission d’envoyer quelqu’un dans l’assemblée pour négocier son accomodement avec Henri IV ». M. de Bellievre refusa : « Il ne pouvoit donner aucune sûreté, ni passeport, sans la permission expresse du Roi, parce que ce Seigneur étant son vassal, il n’étoit pas de la bienséance qu’un sujet voulût traiter avec son Souverain, comme avec son égal. Cette réponse ferme étonna les Ambassadeurs d’Espagne ; il ne parut pas néanmoins qu’ils se souciassent beaucoup des intérêts du Duc de Mercœur, mais seulement qu’ils vouloient en apparence lui rendre quelque bon office. » Dictionnaire universel des sciences morale, économique, politique et diplomatique, 1779, p. 607.

211 Dom Morice, Preuves…, III, col. 1695 à 1758.

212 A. de Barthélemy, Choix de documents…, p. 216-217.

213 Un ouvrage récent (J.-Ch. Petitfils, L’assassinat d’Henri IV, Perrin, 2009), propose l’hypothèse que l’assassinat du roi pourrait bien être une conséquence indirecte de son irrépressible envie de faire des conquêtes… féminines.

214 Mémoires de Gabrielle d’Estrées, tome quatrième, Paris, Delaunay-Vallée, 1829, appendice, lettre XIX, p. 346.

215 Voir R. Descimon et J.-J. Ruiz Ibáñez, Les ligueurs de l’exil…, et G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, 105 sq. Henri IV sans doute en fut informé. Il écrit le 28 mars 1596 : « J’escris au prevost des marchands de ma ville de Paris qu’il face arrester prisonnier un laquais du commandeur de Grillon, lequel vient de Bruxelles avec plusieurs lettres et doit passer par Paris. » Henry IV, Lettres…, éd. Berger de Xivrey, IV, p. 548.

216 Voir supra. Lors des négociations de paix, les Espagnols n’avaient pas fait trop de difficulté pour accepter de rendre dans un délai de deux mois les places d’Ardres et de Calais ; ils avaient exigé un mois supplémentaire pour Doullens, le Cattelet et la Capelle, et plus encore pour restituer Blavet qui, il est vrai, devait en outre être démoli, à la demande des Espagnols eux-mêmes. Les délégués de Philippe II représentèrent qu’« y ayant dans ces places des soldats mutinés, il étoit raisonnable, pour maintenir la réputation de Sa Majesté Catholique, de les châtier en quelque manière ». Il fallait en outre, pour la démolition de Blavet, « faire venir d’Espagne les contre-seings », ce qui laisse supposer que cette garnison disposait d’un statut particulier. Pour la démolition de Blavet « on demeura d’accord pour le terme de trois mois, avec promesse qu’on l’accourciroit s’il étoit possible ». Dictionnaire universel des sciences morale…, ouvr. cité, p. 609-612.

217 Né, probablement en 1567, d’une famille protestante roturière du Brouage (mais Samuel se déclare catholique), province de Saintonge, il affirme dans le récit de ses Voyages (p. 39) que « pendant les guerres [il avait] servi sa Majesté sous Messieurs le Maréchal d’Aumont, de Saint-Luc et Maréchal de Brissac », comme maréchal des logis, avant que les Espagnols fussent partis de Blavet. Son séjour en Bretagne se situe donc entre 1592 et 1598. Plus précisément, il dût y arriver en compagnie de M. de Saint-Luc, gouverneur de Brouage. Celui-ci nommé par Henri IV lieutenant général sous le commandement d’Aumont, précède en la province le maréchal. Avec huit cents arquebusiers et cent chevaux, il entre en Bretagne, en août 1593, après plusieurs semaines de campagne en Maine. Les comptes de Gabriel Hus, trésoriers des États, indiquent que le sieur Champlain reçut « sur ses états de fourrier du corps d’armée du Maréchal, 50, 76 deux tiers et 30 écus ». Cette dernière somme est payée par ordonnance de M. de Saint-Luc. Champlain en baille quittance le 15 mars 1595. Il avait suivi d’Aumont en 1594 lors de la reprise de Morlaix, Quimper et Crozon, comme l’établit une autre quittance donnée à Quimper-Corentin par Champlain le 6 juillet 1595 (BSA 35, 1913/2, p. xlvii-xlviii). De mars 1595 jusqu’en 1598, il est « fourrier », puis « aide » de Jean Hardy, maréchal des logis de l’armée royale. Il sert aussi comme enseigne dans la compagnie du sieur de Millaubourg.

218 Œuvres de Champlain, éd. C.-H. Laverdière, université de Laval, 1870, t. I, p. 7.


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