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Chapitre III. Le combat du bout du monde
p. 241-280
Texte intégral
À Paimpol enfin
1Après avoir réduit Laval et donné ordre pour maintenir la ville, le maréchal était retourné à Rennes. Il avait bien l’intention cette fois de porter en personne la guerre en Bretagne lorsque la trêve s’achèverait. Il donne l’ordre à M. de Saint-Luc de s’acheminer avec ses régiments vers la Basse-Bretagne pour les placer en garnison. Cette mesure devait aussi permettre de prélever sur cette région les impôts perçus à leur profit par les ligueurs, ou que retenaient indûment certains percepteurs peu scrupuleux. Par ordonnance du 5 septembre, les États de Bretagne chargent Me P. Gouault d’accompagner l’armée au pays bas afin « d’esliger et recueillir » dans les formes légales, les deniers dus à l’administration provinciale « pour l’entretènement des gens de guerre1 ».
2Saint-Luc et Norreys, avec leur seule cavalerie, se dirigent donc vers Paimpol qu’ils atteignent le dimanche 12 septembre. Ce même jour, ils inspectent la ville et les villages environnants pour organiser l’hébergement des troupes anglaises dans l’attente de leur embarquement. Le lendemain, ils procèdent de même à Bréhat. La mise à disposition de la ville n’offrait apparemment aucun problème, il fut même établi un inventaire des taxes perçues localement sur les vins entrant et sortant du port, afin de dédommager les Anglais comme l’espérait Norreys. Mais pour ce qui est de l’île, Saint-Luc refusa au dernier moment de la leur remettre. La Tremblaye, gouverneur de Bréhat, en avait obtenu la charge pour l’aider à payer sa rançon et le maréchal ne voulait pas l’en priver « avant que le roi l’ait dédommagé », d’autant qu’« il avait beaucoup dépensé pour la réparation du château ».
3Malgré ces restrictions, Norreys signe, le 16 septembre, les articles réglant le séjour de son armée à Paimpol et dans sa région. La « ville close, port et havre de Paimpol » étaient remis à Norreys pour le logement de l’armée ; mais non l’île de Bréhat. Aucune troupe anglaise n’y devra entrer avant que le roi et la reine en aient délibéré. Néanmoins « tous vaisseaux anglais pourront rader aux baies et rades de ladite île et y séjourner sans être molestés ni inquiétés par les troupes françaises qui commandent et commanderont audit Bréhat ». La ville de Paimpol ne pouvant suffire au logement des troupes, le bourg de Lanvollon, distant de quatre lieues, leur sera aussi accordé
« pour y vivre de leur bourse et payer toutes denrées de gré à gré […]. L’exercice de la religion catholique, apostolique et romaine sera maintenue, les prêtres, clercs d’églises et ornements d’icelles conservées audit Pempoul2, Lanvollon et environs comme au passé sans aucune altération ni empêchement. Les Anglais jouiront des devoirs et coutumes anciennes seulement qui se prenaient et levaient audit Paimpol à cause du commerce lors de la date dudit contrat3 ».
4La valeur de ces droits devait venir en décharge des sommes dues par le roi à Elizabeth au titre des aides de guerre. En réalité, aucune suite ne sera donnée à cette clause.
5Le refus de se voir remettre l’île de Bréhat, malgré les promesses du roi, provoqua la colère de la reine. Elle avait accepté le logement de Paimpol – et encore sans enthousiasme – à cette seule condition. La ville, bien que close, n’était pas assez forte et son port n’était accessible qu’à marée haute. L’île pouvait cependant être un bastion avancé et offrir un bon abri temporaire à ses escadres. Sans doute Elizabeth pensait-elle aussi au rôle joué par l’île de Wight pour les ports de Southampton et de Portsmouth, et à l’importance de détenir de tels points d’appuis insulaires4. En raison de l’amélioration de la puissance et de la portée de l’artillerie, la maîtrise d’un port nécessitait, pour se pérenniser, le contrôle d’une série de points d’appuis côtiers ou insulaires. Durant la Ligue, l’île de Cézembre joua cette fonction pour Saint-Malo, le Taureau pour Morlaix, l’Île Verte et celle de Batz pour le port de Roscoff, Belle-Isle et Groix pour le Blavet, l’île Tristan pour Douarnenez. Ouessant qui avait prudemment été réduite en l’obéissance du roi dès 1592 par Sourdéac5 jouait un rôle semblable par rapport à Brest. Cette île était cependant trop éloignée du continent et surtout d’un abord trop dangereux pour servir d’avant-poste, ou même de zone régulière d’escale pour le regroupement des navires, le stationnement des troupes et le ravitaillement, comme le furent Jersey et Guernesey pour les Anglais, Noirmoutier et Belle-Isle pour les Espagnols. La seule possibilité de bloquer efficacement le passage de Brest était l’occupation des pointes de Roscanvel et du Conquet-Saint-Mathieu. Cette dernière position permettait en outre de contrôler le chenal du Four, lieu de passage habituel du cabotage : « Le Conquet, écrit Montmartin, est une pointe en la mer, par où tous les vaisseaux qui vont charger du vin en Guyenne et du sel en Brouage, sont contraints de passer et mouiller l’ancre, et y a quelques fois plus de quatre cents voiles sur tous lesquels ils eussent pu imposer un grand tribut, car les Anglais, Flamands, Écossais et toutes les villes maritimes d’Allemagne, et bien souvent les Moscovites qui vont vendre leurs cires à La Rochelle, sont contraints de passer audit Conquet pour attendre les vents favorables pour passer le raz. »
6On comprend ainsi pourquoi Bréhat devient l’enjeu d’un ballet diplomatique, entre Elizabeth et Henri IV, qui mènera plusieurs fois les relations entre les deux souverains au bord de la rupture. Il avait été prévu dans leurs premiers accords que les Anglais recevraient, pour prix de leur intervention en Bretagne, la libre disposition d’un port devant servir à la sécurité de leur corps expéditionnaire, avec la jouissance des taxes et droits perçus localement. Le choix de Paimpol comme lieu de débarquement avait été celui de l’opportunité. La ville, trop exiguë et mal fortifiée, et son port ne convenaient guère à Elizabeth. Elle eût préféré Saint-Malo, Morlaix ou Brest. Mais après bien des emportements contre l’inertie du roi de France et son manque de parole chronique, elle se serait contentée de Paimpol, à condition naturellement qu’on lui cède aussi Bréhat. Les États (royalistes) de Bretagne eux-mêmes l’y poussaient :
« La Sérénissime Reine ne doit refuser les places que le Roi lui offre et desquelles sa Majesté a fait faire expresses demandes par le sieur de Wilkes, et qui en était par ci devant contentée par les contrats qui en ont été passés […] ; les places de Paimpol et Bréhat tiendront St-Malo et toute la côte de Bretagne en perpétuelle crainte, et qu’étant fortifiées comme il est chose facile et de petite dépense, tout ce qui voudra venir et trafiquer en la côte de Bretagne faut qu’il passe sous le joug des deux susdites places, étant entre les mains des courageux Anglais6. »
7Norreys n’était pas d’un autre avis :
« Paimpol est sans doute une petite place, et nouvellement fortifiée, mais elle est déjà suffisamment forte pour que M. de Mercure n’ait pas cherché à l’attaquer après la prise de Cesson. Le port est meilleur que tous ceux de Normandie et la rade de Bréhat est capable de recevoir la plupart des navires de Sa Majesté ; la place est tout à fait adaptée pour interrompre tout le trafic que l’Espagne peut faire avec cette partie de la Bretagne et toute la Normandie, et si l’on en juge par l’attitude de la flotte espagnole l’an passé sur cette côte, ils vont chercher à s’emparer de cette place au printemps, si on ne les en empêche7. »
8À l’intérêt militaire s’ajoutait un intérêt financier :
« En une année ou moins, [Paimpol et Bréhat] pourront être mis en un tel état de défense qu’ils seront très difficilement prenables, et constitueront ainsi un gage suffisant pour couvrir les frais engagés par Sa Majesté8. »
9Mais la possession d’un port sous contrôle convenait peu à Norreys, et pas du tout à Elizabeth qui se dit « grandement offensée d’une si rigoureuse procédure envers son peuple, autre que ses services n’ont mérité ». Le refus de Bréhat et le choix de Lanvollon « à trois lieues loin de Pempoul, place ouverte et nullement défensive », livraient ses troupes « à la miséricorde de l’ennemi ». Ne pouvant plus supporter « tels traictements et si grande foule de son peuple, joint avec tant de manquements des promesses », elle se dit une nouvelle fois résolue de rappeler ses forces incontinent9.
10Pourtant, une fois de plus, elle n’en fera rien, sachant qu’à la pointe de Bretagne se jouait une rude partie dont dépendait le sort de son royaume : « Il ne sera rien arrivé de plus dangereux pour le destin du royaume de votre majesté, lui écrit Norreys le 28 mai, que la mainmise espagnole sur la Bretagne. Cela se révélera aussi préjudiciable à l’Angleterre que si les Espagnols avaient conquis l’Irlande. » Elizabeth en tombe d’accord et décide de se débarrasser une fois pour toutes de ces dangereux voisins, dût-elle agir seule, sans l’appui ou l’accord de son bon cousin Henri. Mais elle réserve sa décision afin de maintenir le roi sous pression.
11Aussitôt installé à Paimpol, et à défaut d’ordres nouveaux, Norreys agit dès ce moment comme s’il devait se maintenir en ce lieu. Les bastions qui cernaient la ville n’étaient qu’à moitié achevés, mais la place pouvait être en peu de temps rendue plus solide. Il recrute donc des maçons. Pour s’attirer la sympathie du gouverneur, il lui offre de la part de la reine « deux cents couronnes pour une chaîne » parce qu’il l’avait trouvé tout disposé à se mettre au service des troupes de Sa Majesté, « quoiqu’il eût ainsi perdu une bonne place dont il faisait son profit ». Le 17 septembre, il demande à Burghley l’autorisation d’adresser trois cents hommes à Sourdéac, comme celui-ci le demandait.
12Il ne restait plus qu’à attendre la décision finale de la reine. L’évolution du conflit lui donnerait peut-être l’occasion de conserver ses troupes en Bretagne sans perdre la face, et même de les renforcer jusqu’au nombre prévu de quatre mille, le roi ayant de son côté, en apparence et avec bien de la peine, réuni dans la province un effectif équivalent à celui promis. Du moins Norreys, en tirant sur les chiffres, cherche-t-il à en persuader sa hiérarchie.
13La reine avait protesté contre ce fait accompli mais plus mollement qu’à son ordinaire. Dans sa lettre au Conseil du roi, en début octobre, elle envisage même de ne pas rapatrier ses troupes si le roi accepte de les prendre à sa charge. Bientôt elle acceptera de les y laisser jusqu’à la fin de la trêve fixée au 31 octobre. La longue lettre de Norreys10 reçue par le Lord Trésorier à la mi-octobre marque sans doute le début du revirement anglais. L’analyse des événements passés semble en effet donner tort à ceux qui, à Londres, voulaient hâter le rembarquement. Les derniers succès (deux mille ennemis mis hors de combat au cours des actions des derniers mois en Maine), la perspective de bénéficier des taxes sur les vins à Paimpol, et d’autres prélèvements sur les évêchés de Saint-Brieuc et Tréguier, firent pencher la balance.
Drôle de trêve
14À la fin de l’année 1593, la trêve se poursuivait vaille que vaille. « Le trente [décembre], écrit le notaire Pichart, ceux de la ligue de Dol ou de Quebriac, prindrent prisonnier monsieur de la Ville esblanc, gendre du sieur de la Gaudinais, deux grands huguenots. Ensemble ont pris un autre, la Porte du pré de Becherel, on dit que c’est en revange de ceux de Pontorson qui avoient le senechal de Dol. Ainsy on commence à faire la guerre avant que les trefves soit faillies. Et ont les gens de guerre sy grand peur qu’il y ait continuation de trefves qu’ils en tremblent jusques aux ongles11. »
15Mais les pourparlers avec Mayenne s’enlisaient. Aux dires de Saint-Luc, le roi qui « veut la paix ou la guerre ouverte » penchait vers une reprise des hostilités. Sa lettre du 4 octobre à Norreys12 annonce même une reprise prochaine des combats.
16La reine tardant à se prononcer, Norreys attendait chaque jour les navires qui devaient le rapatrier. L’annonce de l’arrivée prochaine d’une escadre espagnole chargée de bloquer Brest ou d’attaquer Paimpol, rendait cependant bien périlleux ce rembarquement.
17Chacun se prépare à une reprise des hostilités. En fin septembre 1593, des compagnies de Lorrains se sont installées à Saint-Brieuc et Lamballe, avec quelques régiments français. Les Espagnols positionnés à Pontivy paraissent n’attendre que la fin de la trêve pour marcher sur Paimpol. M. du Liscoët, avancé en observation à Châtelaudren, prévient Norreys, le 7 octobre, que « les Espagnols ont fait montre et sont un gros avec les troupes qui sont à Saint-Brieuc et autres de cavalerie qu’ils ont mandé à Quintin ou autres lieux en ces quartiers13 ». Six jours plus tard, Norreys reçoit une information anonyme :
« Monsieur, étant hier par pays, je rencontre un capitaine de la Ligue qui est des favoris de Monsieur de Saint-Laurent, et d’avec lequel il venait. Or pour ce qu’il est de mes amis nous conférâmes longuement ensemble, et entre autres choses il m’a assuré qu’il n’y aurait point de prolongement des trêves, et que quatre jours auparavant le finissement dicelles les Espagnols seront rendus à Saint-Brieuc pour le lendemain de la trêve aller charger les Anglais. Cela est résolu. Et même toutes les troupes viennent par-deçà et y seront dix ou douze jours après la trêve pour le plus tard14. »
18À Rennes, d’Aumont reçut sans doute les mêmes informations ; il prévient Norreys des dangers et lui donne, dans l’urgence, le commandement des troupes française de son quartier :
« J’écris à Monsieur de Kergomar, gouverneur de Guingamp, que s’il en a nouvelles certaines et bien assurées qu’il assemble aussitôt les régiments qui sont aux environs dudit Guingamp comme celui de Monsieur de Sourdéac et ceux de La Croix et Romégou, pour vous aller joindre incontinent et faire ce que vous aurez à leur commander. Je mande à Monsieur de Liscoet qu’il en fasse autant avec sa compagnie, le régiment du chevalier de Potonville et les autres compagnies qui sont autour de lui, et que pareillement ils vous obéissent.
Je viens de recevoir des lettres du Roi par lesquelles il me contremande (car il m’avait écrit que je l’allasse trouver pour assister à son sacre) et me commande de ne bouger d’ici que je n’aie eu d’autres nouvelles de lui. D’autant que son dit sacre est différé jusques à ce qu’il en ait eu de Rome. Quant à la paix ou la continuation de la trêve, il me mande que cela est encore incertain et que l’on attend le retour de Monsieur de Villeroy15. »
19La trêve cependant est reconduite jusqu’à janvier 1594, et le peuple se prend à réclamer publiquement la paix. À Guingamp, pendant que madame de Kergomar tient salon, joue au mal-content avec M. de Rosmadec, et que les hommes de La Tremblaye soupent à la Teste noire, des bourgeoises vont « questantes les aumônes pour dire une messe du Saint-Esprit afin d’obtenir la paix16 ». Le bruit court même qu’elle est conclue. En novembre précédent, un texte manuscrit reproduisant les articles de cette paix circulait à Rennes, que Pichart consigne dans son Journal. Certains opposants commencent à envisager d’opportuns ralliements.
20Les événements politiques des premiers mois de 1594, le sacre d’Henri IV à Chartres le 27 février, la soumission de Villars-Brancas qui livre Rouen et la Normandie en mars, puis celle de Brissac qui permet l’entrée d’Henri IV à Paris le 22 mars, avaient assurément troublé les esprits. L’effet en Bretagne avait été grand : « Et pour le regard des habitants des villes de la Bretagne, c’est à savoir Nantes, Vannes, Dinan et autres, écrit le protonotaire du Vineau au roi d’Espagne, sur la triste nouvelle de l’abominable trahison exécutée à Paris par le comte de Brissac et ses confédérés, en sa lâche méchanceté, avaient de primeface pris un si grand effroi qu’elles avaient déjà commencé à murmurer contre [le duc de Mercœur] et proposer accord avec les ennemis. » Mais, ajoute de Vineau, ce qui avait conduit la noblesse, le peuple et « même quelques ecclésiastiques des principaux » à se comporter ainsi était « le mauvais comportement des gens de guerre, qui journellement se fait sur le plat pays, et spécialement sur les personnes et biens des meilleurs, plus zélés et mieux mérités catholiques en notre saint parti. Et les actes commis à Landerneau et autres endroits de la Basse-Bretagne, en sont des plus récentes occasions. Ce qui fait augmenter le murmure du peuple contre mon dit seigneur et contre l’armée espagnole17 ».
21Malgré les remontrances des États ligueurs de la province qui lui demandaient d’« embrasser les occasions et occurrences qui se pourront présenter d’assurer le repos et tranquillité de cette Province, à ce que, (la religion conservée), elle puisse se remettre des ruines souffertes de la guerre », Mercœur restait imperturbable dans sa révolte. Il n’en allait pas de même de Boisdauphin, son principal lieutenant, qui vient fort honnêtement le trouver à Nantes pour lui exposer son désir de prolonger la trêve dans son gouvernement d’Anjou et de négocier la paix. Mercœur l’en avait détourné, du moins en apparence et pour quelques mois seulement.
22Selon une lettre d’Henri IV à M. du Plessis, le duc de Retz était prêt, lui aussi, à livrer Belle-Isle contre « récompense raisonnable ». Le marquis de Belle-Isle avait, de son côté, pris contact avec le roi qui l’assura de ses bonnes grâces et lui fit savoir que leurs effets se feront sentir aussitôt qu’il verra le marquis disposé à le reconnaître et à le servir18. En juillet 1594, le sieur de Lezonnet en arrive même à sommer presque Mercœur de mettre bas les armes. Mais « ne pouvant vaincre son ambitieuse obstination », il députe au roi Jean de Jégado, son neveu, pour lui offrir sa soumission19. Le Roi accepta ces ouvertures, les premières qui lui vinssent de Basse-Bretagne ; et dès le 11 juillet, il accorde à Lézonnet un don de 4 000 écus.
23À travers le pays, beaucoup d’autres gentilshommes, selon Norreys, étaient enclins à suivre leur exemple avec moins d’exigences, mais plus de prudence. Il se devait de les ménager et de les assister :
« Le samedi 30 avril [10 mai, date française], M. de Coetnisan, l’un des principaux gentilshommes de ces quartiers, m’a fait savoir que par ses interventions, divers gentilshommes de ses voisins qui avaient suivi le duc de Mercœur, voyant les délais qu’il apporte pour se mettre dans l’obéissance au roi, et lui-même mieux disposé à être Espagnol que Français, se sont déclarés serviteurs du roi, parmi lesquels les principaux sont MM. de Coatredrez et de Goesbriand. Goesbriand a un château, à l’entrée de la rivière de Morlaix, sur une pointe de terre en face d’un fort dans une petite île appelée le Taureau qui est gardé par les habitants de Morlaix, laquelle pointe il a fortifiée20. Cette place commande complètement le trafic vers Morlaix. Pour cette raison les Morlaisiens insistent auprès du duc pour qu’il assiège la place. Et devant leur insistance, le comte de La Magnane, Fontenelle, Rostin et quelques autres forces de ce quartier ont été désignés pour mener l’entreprise. De telle sorte que ce même samedi, j’ai reçu une autre lettre de Monsieur de Coetnisan disant que Goesbriand était investi dans son fort par le comte de La Magnane avec huit cents arquebusiers et cent cuirasses, et que la place n’était pas encore assez approvisionnée en munitions et nourriture pour soutenir ce siège, et me demandait de disperser ces troupes qui avaient fait cette première approche, et dans un temps très court, car il ne fait aucun doute que les Espagnols ne vont pas tarder à venir les soutenir ; et si ce gentilhomme est perdu, étant devenu serviteur du roi, ce serait un grand découragement pour tous ceux qui sont prêts à suivre son exemple. Cela m’a décidé à essayer de lui porter secours. Pour cela j’ai appelé les troupes dimanche à la première heure pour marcher avec moi jusqu’à cette place, avec trois cents hommes et ma cavalerie. On s’est avancé jusqu’à Lannion où j’avais donné rendez-vous au reste des troupes françaises qui pouvaient être de deux cents chevaux et cinq cents arquebusiers. Lannion n’étant qu’à quatre lieues du fort assiégé, les assiégeants eurent vent de notre arrivée et à deux heures du matin ce lundi ils levèrent le siège21. »
24Pendant ce temps se préparait un ralliement autrement plus important. Dès les premiers mois de 1594, les bourgeois de Saint-Malo, ayant pris goût à la liberté du trafic retrouvée et, pour leur intérêt bien compris aspirant à la paix, avaient entamé des pourparlers avec le maréchal pour se soumettre à l’autorité du roi. La menace que les Espagnols faisaient peser sur eux hâta leur décision. Cherchant à profiter de quelques complicités en la ville, les hispaniques avaient, au mois de juin, « surgi à vue avec nombre de vaisseaux22 ». Mais l’action, sans doute éventée, ne fut pas exécutée. Les députés de Saint-Malo arrivent à Rennes le 16 juillet pour conclure avec d’Aumont une trêve particulière de deux mois, pendant laquelle la ville enverra devers le roi pour négocier sa réduction à son obéissance.
« – Je veux la paix ! – Moi non plus ! »
25Pour Henri IV dont la situation dans le reste du royaume s’était considérablement raffermie, le temps de négociations générales avec Mercœur était peut-être venu. Au début du mois de mars 1594, il accepte que la reine Louise, douairière de France, se rende à Ancenis, lieu de neutralité, pour y rencontrer son frère, en compagnie de Philippe de Mornay, sieur du Plessis.
« Mais parce que [la reine] n’avait vu depuis six ou sept ans ledit sieur duc son frère, elle pria M. du Plessis de ne s’y acheminer point pour le premier voyage, jusques à ce qu’elle eût sondé et apprivoisé son humeur, ce qu’il estima à propos, nonobstant le commandement qu’il avait du Roi23. »
26Le 1er avril suivant, le roi adresse au maréchal d’Aumont des instructions afin de « continuer à traiter avec le sieur duc de Mercœur » sur les bases suivantes : Sa Majesté aura agréable que le maréchal promette à Mercœur, pour récompense, les terres d’Avaugour, Clisson, l’ensemble des villes de Sarlat et Murat en Auvergne, comme Mercœur lui-même le désirait ; il sera rétabli et maintenu en la jouissance de la ville de Berre en Provence pour en jouir librement ; le roi assure aussi le duc « de la bonne volonté qu’il a de le gratifier et de l’employer pour son service, ainsi que ceux qui sont auprès de lui aussitôt qu’il aura donné assurance à sa Majesté de l’affection qu’il aura à son service ». Quant à Madame de Mercœur, le roi demande à être informé de ses désirs « tant en avancement qu’en moyens ». Il lui fera connaître « de quelle affection [il] chérit et embrasse ceux qui sont affectionnés à son service ». C’est là « tout ce que le roi peut à présent déclarer de sa volonté et intention ». Afin de faciliter les négociations, le roi demande au maréchal d’accorder une nouvelle trêve ou suspension d’armes en tout le duché de Bretagne pendant trois mois ou tel temps que le maréchal avisera24. Le 19 avril, le sieur de la Grée part de Rennes à son tour pour aller trouver Mercœur et « conférer avec lui pour tâcher à faire la paix en Bretagne, car il n’y a quasi plus de guerre en France25 ».
27Avant de s’engager d’avantage, le duc convoque les États ligueurs « afin de sonder de plus près les intentions du général, et de le maintenir en son entier, si faire se peut ». Norreys a consigné les rumeurs qui témoignent de l’esprit public :
« J’ai appris que le duc de Mercœur doit arriver le 14 avril à Dinan en compagnie de Boisdauphin et des principaux gentilshommes de son armée, pour y tenir ses États. Ils doivent y décider s’ils choisissent de traiter avec le roi ou de devenir espagnols. Mais chacun pense que cette assemblée se tenant où commande M. de Saint-Laurent qui est tout à fait Espagnol, va avancer les affaires espagnoles, ce qui est fort à craindre car il est assuré que les principaux chefs de ce parti ont reçu de l’argent du roi d’Espagne26. »
28Le bruit court cependant que Mercœur a fait officiellement allégeance au roi d’Espagne et qu’il commande désormais comme son vice-roi. « Le roi d’Espagne se constituant juge de la cause de sa fille, écrit Henri IV à son ambassadeur M. de Beauvoir, le 17 mars 1594, l’a déclarée duchesse de Bretagne, y faisant à présent traiter les affaires sous son nom par officiers espagnols, là où ils sont les maîtres, jusques à avoir déclaré le gouverneur de Hennebont criminel de lèse-majesté envers elle, pour ce qu’il ne fait service, selon ce que de là il a été écrit au sieur de Saint-Luc27. » À Morlaix et dans les villes qui tiennent pour la Ligue, les prêtres et les moines, si l’on en croit Norreys, soutiennent dans leurs prêches qu’ils ne seront les sujets d’autre souverain que le roi d’Espagne. Mais ces rumeurs ont pour effet de précipiter le ralliement de plusieurs gentilshommes à la cause d’Henri IV, et d’apporter beaucoup de confusion dans le cours des derniers États ligueurs de la Province.
29Effectivement convoqués dans un premier temps à Dinan, ils siègent en définitive à Vannes à partir du 11 avril. Pour l’essentiel, les députés se contenteront officiellement de protester contre la construction du fort de Roscanvel, et la conduite des soldats espagnols qui pillent et ravagent indifféremment les biens des hérétiques et des catholiques, de la noblesse de l’Union, des ecclésiastiques et du pauvre peuple. Ils renouvellent leur obéissance au duc de Mercœur et au saint Siège, « de laquelle ils ne veulent jamais se départir, non plus que de la couronne de France », et manifestent à nouveau leur refus de l’exercice d’une autre religion que la catholique en la province. Ils demandent qu’aucune atteinte ne soit portée aux libertés et franchises de la Bretagne. Enfin, ils prient le duc d’« embrasser les occasions et occurrences qui pourront se présenter d’assurer le repos et tranquillité de cette province », et de ce fait de poursuivre les pourparlers engagés à Ancenis28.
30Voilà pour le communiqué final. Mais dans les assemblées, on parla plus du roi d’Espagne pour s’en plaindre que du roi de France même pour le vouer aux gémonies. Il se disait que Mercœur y aurait proposé à sa noblesse de devenir espagnole. La rumeur prétendait même que M. de Goulaine ayant répondu qu’il ne pensait pas que les gentilshommes de Bretagne refuseraient de suivre leur duc sur cette voie, fut poignardé. Il est probable, se contente d’en conclure prudemment Norreys, que « la plus grande part de la noblesse est au désespoir de souffrir l’Espagnol, mais ils voient bien que le Roi n’a aucune force pour les défendre ». La lettre que le général anglais adresse à son frère en Angleterre, le 17 mai29, éclaire les débats véritables de ces États ligueurs : ils confirment le retournement de l’opinion que Mercœur feint à peine d’accompagner :
« J’ai appris de façon certaine que le duc de Mercœur, aux États qui se sont tenus à Vannes, a montré un grand désir de faire la paix. A cette fin des députés ont été nommés pour aller traiter avec le roi, qui sont, selon ce que l’on m’a dit, Saint-Laurent, l’évêque de Saint-Brieuc et Ragotière, tous réputés être favorables aux Espagnols. »
31Norreys craint cependant que cela ne soit qu’une gesticulation (« a florish ») de la part du duc
« pour gagner du temps, dans la crainte de voir certains gouverneurs de villes, à l’exemple de quelques-uns, entrer en traités particuliers. Il les retient ainsi avec ce traité général jusqu’à ce qu’il ait définitivement conclu avec le roi d’Espagne, et que ce dernier lui ait adressé de plus grandes forces. C’est dans ce but que son premier secrétaire se trouve en Espagne. Et l’accord donné aux Espagnols de fortifier Saint-Nazaire sur la Loire fait aussi à bon droit douter de sa volonté de paix ».
32Son analyse était clairvoyante.
33Malgré quelques nouveaux ralliements à la cause royale, l’humeur n’était pas sereine dans le camp des royaux du fait de mesquines jalousies entre les principaux chefs. Une délégation bretonne adressée en Angleterre pour y demander du secours devait être conduite par Montmartin, gouverneur de Vitré, dont la réputation outre-Manche était grande. Mais le maréchal l’a remplacé au dernier moment par MM. de Liscoët et de Mesneuf parce qu’il était trop proche de Montpensier. Montmartin est cependant, selon le commentaire de Norreys, « un très honnête et suffisant gentilhomme » qui a accordé de nombreuses faveurs aux sujets de la reine. Il a seul maintenu la Religion dans son gouvernement. Le maréchal d’ailleurs ne s’entend pas mieux avec Montbarot, gouverneur de Rennes. Une altercation s’était élevée entre eux au point qu’ils auraient mis tous deux la main à l’épée30.
34Les États royalistes de Rennes, livrés à eux-mêmes pour organiser et financer la guerre, après avoir quémandé une nouvelle fois la bienveillance de la reine d’Angleterre décident d’adresser également des députés aux Provinces-unies des Pays-Bas pour solliciter leur aide. À cette occasion, Henri IV écrit de sa main à la princesse d’Orange et au prince Maurice de Nassau, et leur demande d’appuyer la requête31. C’est à ce soutien épistolaire que se limitera, pendant plusieurs mois encore, l’action du roi en faveur de la Bretagne. Ses partisans dans cette province étaient en droit de s’inquiéter, car dans le même temps, à Londres, ordre avait été donné de préparer une flotte pour se rendre en Bretagne afin de rapatrier les troupes de Norreys32. À contretemps peut-être, car en dépit de la trêve, les Espagnols poursuivaient le débarquement d’hommes et de munitions. À la mi-décembre, dix-huit compagnies arrivent à Blavet avec cinquante chevaux, au total deux mille hommes33, avec des provisions pour la guerre, grand nombre de pièces d’artillerie et toutes sortes de travailleurs et de pionniers pour les fortifications. En apparence n’avaient débarqué que de pauvres bougres malades de contagion, affligés du mal de mer et bien incapables d’être engagés immédiatement. En réalité venaient d’arriver des troupes aguerries qui avaient été employées pour mater les rebellions d’Aragon et de Valence. Elles portaient ainsi les effectifs espagnols à 5 500 hommes, et l’on disait que D. Juan de Lunà, qui commandait les vingt-deux flibotes et petites barques de transport, escortées du gallion Le Brute, s’en était retourné chercher un complément de deux mille fantassins et cinq cents chevaux.
35Devant ce mouvement militaire de grande ampleur qu’il n’avait pas précisément souhaité, et qui dans une certaine mesure constituait une entorse à la trêve, Mercœur s’empresse de manifester son mécontentement. Il n’avait été ni consulté, ni informé « comme gouverneur de la province, contrairement à ce qui fut toujours fait par son propre roi », et demande expressément qu’on ne lui adresse plus de renforts. Le duc a même cru bon de se disculper auprès du maréchal d’Aumont de l’arrivée du nouveau secours espagnol. À Philippe, il réclame l’autorité totale sur Don Juan et menace sans cela de pas se mettre en campagne34. Son ego a été atteint, ses relations avec son allié n’en trouveront un peu plus dégradées encore.
36On peut même penser qu’à cet instant, se sentant de plus en plus isolé, il doute de son combat. Les délais qu’il met en tout sont le signe de son désarroi. Le pape, qui prend de plus en plus de distance avec l’Espagne, ne se décide pas à valider ses accords politiques en cours avec Philippe II établissant l’autorité de l’Infante sur le duché. Selon Mendo de Ledesma, des dissensions sont mêmes apparues à ce propos entre Mayenne et Mercœur : ce dernier aurait reçu en secret un émissaire du Béarnais et lui aurait fait dire que lui et sa femme ne seront jamais espagnols. Cela est bien possible. Le 17 juillet, Mercœur est à nouveau à Ancenis où la reine Louise sa sœur venait d’arriver pour les conférences de paix. À la veille de son départ, le duc avait promis à l’ambassadeur espagnol qui doute de sa sincérité, « de ne faire aucun traité avec l’ennemi pendant un certain temps, le temps requis pour que Votre Majesté envoie le secours ». Ce langage est plein de duplicité. Les missives que Mercœur adresse en Espagne sont à cette époque chargées de ressentiments. Leur lecture attentive atteste de la fracture irréductible qui s’est opérée à cette époque entre lui et le roi d’Espagne, envenimée en particulier par l’affaire de Roscanvel dont nous reparlerons. Cela rend encore plus étrange son obstination à poursuivre un combat dès lors mal engagé, mais permet de comprendre que dans cette affaire de Bretagne, face à un partenaire aussi peu fiable, Philippe II désormais joue en solo. Don Juan, déjà réticent lors du siège de Moncontour, désormais refuse ouvertement au duc ses services et ne fait « que ce que bon lui semble ».
37Malgré les pressions et avis divers qui l’invitent à la paix, Mercœur désire rester ferme et ne rien conclure sans ordre du pape ou de Philippe II. Il avait adressé à Rome M. Le Bossu et multipliait les lettres au légat dans lesquelles son anxiété est manifeste, dans l’attente des résolutions du Pontife. La lettre du légat du 8 juillet 1594 lui annonçant la mission de pacification du cardinal de Gondi en France, ne pouvait, malgré le scepticisme du scripteur, que renforcer ses craintes. Le pape se rapprochait d’Henri IV et s’engageait résolument dans les négociations qui aboutiront à l’absolution pontificale en septembre 1595. Une lettre interceptée de Le Bossu à Mercœur montre que ce dernier s’efforçait, avec beaucoup de difficulté, de se faire entendre du Pape pour en obtenir les directives, et que parallèlement il faisait en cour de Rome avancer l’idée d’en obtenir l’assentiment pour devenir duc de Bretagne35. La réponse du pape par son neveu interposé, lui aurait laissé quelque espérance. Mais sans doute ne reçut-il jamais cette lettre36. Si Mercœur eut un jour l’ambition de devenir duc de Bretagne, c’est assurément à ce moment précis où s’entamaient des négociations entre Henri IV et Rome, et où se rompaient progressivement les liens qui le rattachaient à Philippe II. Il a pu alors entretenir l’espoir d’entrer dans cette négociation avec le soutien du souverain pontife, en récompense de ses loyaux services pour la cause catholique. Dès lors il prend de plus en plus ses distances avec les prétentions de Philippe sur le duché : « Le temps n’est plus à de telles ouvertures, écrit-il, ceux du pays ne sont disposés pour en ouïr parler. »
38L’élection de Clément VIII, en janvier 1592, contre le candidat soutenu par l’Espagne, avait mis fin à l’emprise de Philippe II sur la papauté durant les règnes de Sixte-Quint (mort en août 1590), et ceux éphémères d’Urbain VII (douze jours), Grégoire XIV (10 mois), Innocent IX (2 mois). Le nouveau pontife voyait en l’hégémonie européenne de Philippe la perte assurée de l’autorité de l’Église romaine. Il était résolu à contrebalancer ce pouvoir hispanique en aidant le royaume français à rétablir sa puissance. Il fallait pour cela éviter d’abord qu’il se morcelle en multiples principautés, ensuite qu’il se réunifie derrière son roi, à condition que celui-ci devînt catholique, ce qui était déjà obtenu de fait par son abjuration en juillet 1593. À ce moment, rien ne pouvait conduire le pape à soutenir les ambitions personnelles de Mercœur à devenir duc de Bretagne, ni à permettre à Philippe II d’obtenir cette couronne pour sa fille. On comprend ainsi le refus de Philippe de subordonner le serment tactique de Mercœur fait à la couronne espagnole, à l’approbation papale qu’il savait ne pas obtenir.
39Les contacts avec la cour espagnole sont aussi devenus difficiles en raison de la maladie du roi. Les rares visiteurs admis au chevet de Philippe II sont alors frappés par sa décrépitude. Le roi souffre d’une fièvre qui lui occasionne de douloureuses crevasses et gerçures. Il ne quitte plus guère son cabinet. Ses ministres eux-mêmes hésitent à le déranger. Il prend ses décisions seul et ne communique plus guère que par les notes inscrites en marge des dépêches qu’on lui apporte. Philippe semble détaché du monde. De ce fait, les audiences des ambassadeurs bretons se font rares, malgré l’insistance de M. du Vineau présent à Madrid d’octobre à décembre 1594. Est-on d’ailleurs sûr que le vieux roi gouverne encore ? Des rumeurs circulent. Le capitaine anglais Latham, libéré de Blavet où il était prisonnier, rapporte, en janvier 1594, qu’il se disait chez les Espagnols que le roi d’Espagne avait transmis la couronne à son fils et que tous les ordres et commandements arrivant à Blavet étaient signés du successeur.
40Cette quasi-vacance du pouvoir espagnol ne fut pas sans effet sur l’attitude de Don Juan. Un certain sentiment d’abandon joint à une autonomie de fait résultat d’une absence d’ordres clairs et suivis, le rendent de plus en plus arrogant, conscient d’une certaine impunité : « Toutes les fautes qu’il a faites n’ont été simplement excusées, mais du tout couvertes, et, qui pis est, contre raison rejetées contre le duc », écrit l’ambassadeur de Mercœur en Espagne. Le duc, privé du soutien officiel de Philippe ou de ceux qui assurent pour lui le gouvernement de l’Espagne, est alors en quasi-disgrâce. L’administration espagnole ne s’applique plus qu’à le ménager. Dans les faits, la diplomatie espagnole en Bretagne, secrète ou moins secrète, et l’action militaire menée par Don Juan le laissent hors du coup, avec un mépris de fond et de forme à la limite de l’insulte qui nuit encore à la dignité aristocratique du duc. Ses doléances maintes fois répétées restent sans réponse. Il en arrive à réclamer, dans le cas où sa Majesté catholique ne souhaiterait pas poursuivre son engagement militaire, de répondre vite afin d’éviter une intrusion massive des troupes royales en Bretagne, et d’entrer « en quelque avantageux traité pour la conservation de la religion et des catholiques, auparavant que d’être contraints de recevoir telle composition que l’ennemi la voudra bailler ». Ce mémoire, rédigé sans doute en septembre 1594, envisage pour la première fois la possibilité d’un traité séparé.
41Avant même de marcher vers Morlaix pour tenter d’en faire lever le siège tenu par les royaux et les Anglais, Mercœur fait état de rumeurs selon lesquelles d’Aguila avait reçu l’ordre de Philippe II de ne pas l’assister dans ses opérations, de ne pas s’écarter de Blavet et de garder son armée unie. Il tentera, par l’intermédiaire de l’évêque de Vannes, le très hispanophile Mgr d’Aradon, de convaincre le général espagnol de lui apporter son concours actif. Mais celui-ci se contentera toujours d’un service minimum pouvant aller même jusqu’au refus de s’engager comme le prouvera à nouveau l’affaire du Relec37.
42Le 17 octobre 1594, Philippe II cherche cependant à relancer les négociations sur la possession du duché, interrompues par Mercœur depuis quelques mois. Il fait savoir à Mendo de Ledesma qu’on offrira à Mercœur le comté de Nantes pour lui et ses successeurs, sous la suzeraineté de l’Infante, et la ville de Dinan, en reconnaissance de la même suzeraineté38. L’offre était plus généreuse que celle de 1591, mais la crainte de ce qui pouvait sortir des conférences d’Ancenis, obligeait Sa Majesté à hâter les choses. Mercœur en profite pour subordonner la reprise des négociations à un engagement militaire et financier massif des Espagnols, avec pour lui le commandement plein et entier sur toutes les troupes. Il laissait le souverain pontife juge des difficultés qui pourraient survenir, ce qui au vu de l’attitude du pape ne satisfait que modérément l’Espagnol. Le protocole d’accord conditionnel que Mercœur signe alors solennellement39, par lequel il reconnaissait la suzeraineté espagnole sur la Bretagne, chef-d’œuvre de duplicité, n’engageait guère son signataire.
La menace est au bout du monde
43L’hiver 1593-1594 avait été éprouvant pour les Anglais toujours dans l’expectative. Ils manquaient de ressources, d’équipements et d’armes. Le peu d’argent que leur avaient avancé quelques gentilshommes et marchands du pays suffisait à peine à leurs besoins élémentaires. Le maréchal les avait quasiment abandonnés à leur sort, refusant même de donner commission au pays pour les aider aux fortifications de Paimpol. Norreys, étant donné l’importance de cet objet, doit user de son autorité pour entamer la réalisation des indispensables travaux, ce qui lui attire la colère de d’Aumont.
44Moralement touché, Norreys aurait souhaité quitter la scène durant la trêve, sans déshonneur. Mais les caprices de la saison, les vents contraires et le mauvais temps qui régna durant tout le mois de décembre, le renforcement des escadres ennemies en Manche et les humeurs de la reine ne l’avaient pas permis. Alors que la guerre semble à nouveau inévitable, il serait dangereux désormais, et peu glorieux, de rembarquer en ayant l’ennemi sur les talons. Car il ne faisait aucun doute que le premier objectif de Mercœur après la trêve serait d’attaquer Paimpol et les Anglais.
45Elizabeth persiste cependant dans sa volonté de mettre ses troupes à l’abri. Le 24 janvier, Norreys reçoit la nouvelle par sir Thomas Leighton que les navires chargés de le rapatrier sont arrivés à Jersey. Il se trouvait alors à Tréguier cherchant un endroit d’embarquement plus commode que le port de Paimpol accessible seulement à marée haute. L’ordre était de se replier sur Jersey et Guernesey et d’y attendre l’opportunité d’une nouvelle action sur le continent.
46Pendant ce temps, les événements se précipitaient, obligeant la reine à opérer une nouvelle volte-face. Les nouvelles qui lui arrivent à Londres de toutes parts, et notamment de Sourdéac, l’ont convaincue d’une action imminente des Espagnols contre Brest : ils venaient d’entreprendre la construction d’un fort sur la presqu’île de Crozon, à l’entrée de la grande rade. L’affaire était sérieuse. Il ne s’agissait plus seulement dans ce cas d’un risque majeur pour la Bretagne, mais d’une menace directe contre le royaume anglais. « Vous serez mieux occupé à protéger cette place, écrit la reine à Norreys, qu’à séjourner dans les îles. Car vous n’ignorez pas combien il est essentiel de préserver cette place de l’ennemi, quand bien même il posséderait le reste de la Bretagne, non seulement parce que ce serait le moyen de reconquérir la Bretagne, mais aussi d’éviter à notre royaume tous les dangers venant de la mer40. » Elle espère prendre pied dans la place et, si possible, y commander pleinement. Aussi est-elle cette fois encline à répondre favorablement à la demande faite par Sourdéac de lui adresser un fort contingent d’hommes. Norreys négociera puis choisira ou d’aller directement soit par la voie terrestre soit par la mer de Paimpol à Brest, ou de transiter par Jersey en y laissant les contingents non retenus.
47Mais les négociations entamées avec le maître des lieux se révèlent difficiles. Sourdéac ne semble plus très pressé de faire entrer le loup dans sa bergerie. Certains indices font penser qu’Henri IV n’était pas étranger à ses réticences. Mais il faut aussi envisager une certaine duplicité de la part du gouverneur car les membres de son conseil étaient régulièrement approchés par les envoyés de Mercœur. « Pour ce qui concerne Brest, écrit Norreys aux Lords, le 21 janvier, je puis assurer vos seigneuries que M. de Sourdéac ne recevra jamais plus de trois ou quatre cents Anglais, et encore seulement en la ville qui est une place peu fortifiée, mais pour ce qui est du château, il ne permettra d’y entrer qu’à des hommes de son choix ; et si les forces de sa Majesté s’en vont d’ici, il n’aura pas un Anglais près de lui. Il préférerait entrer en composition avec le duc de Mercœur, avec lequel certains pensent qu’il est déjà en négociation ; néanmoins je vais le plus rapidement possible lui adresser un messager et j’informerai vos seigneuries de sa réponse41. »
48De son côté, Elizabeth adresse à Sourdéac, en début février, un de ses gentilshommes pensionnaires, le sieur de Saint-Jean, pour le sonder et conférer avec lui de « la manière et moyen plus expédient » de le secourir.
49Une partie d’échecs était engagée. Ce n’est pas la première fois que le sieur de Sourdéac recevait des envoyés spéciaux de la reine. Depuis son entrée en la ville, il entretenait avec la cour de Londres une véritable diplomatie parallèle qui ne semble jamais transiter par l’ambassade de France. Elizabeth, de son côté, poursuivait toujours son rêve de disposer, à défaut de la ville mythique de Calais, ou de Saint-Malo désormais hors de portée, d’un pied-à-terre continental.
50Sans attendre, et pour parer à toute éventualité, Sourdéac renforce sa garnison ordinaire de Français et de Suisses en faisant entrer en la ville son régiment stationné en Trégor et quelques compagnies venues de Haute-Bretagne. Il adresse des émissaires à La Rochelle et à Bordeaux pour hâter le retour des capitaines qu’il y avait envoyé durant la trêve pour refaire leurs troupes. Un de ses navires chargé de soldats, en route vers Brest, fait escale à Perros-Guirec, le dimanche 27 mars. Les soudards en débarquent pour piller cette paroisse et ses alentours.
51Afin d’accueillir au château et en ville une garnison de plus de mille hommes, il fallait disposer de très grands magasins de vivres. Les celliers ordinaires de la forteresse ne pouvaient suffire, outre que vivres et futailles y étaient « incontinent gâtés » à cause de « la grande humidité des voûtes ». Il fallut au gouverneur en construire de nouveaux de ses propres deniers « n’ayant jamais été aidé du pays ni de aucun denier du Roi42 ».
52Mercœur pendant ce temps, malgré sa rancœur à l’égard des Espagnols et les remontrances qu’il leur adressait, semblait soutenir leur action contre Brest en disposant ses effectifs en protection du nouveau fort et de ses bâtisseurs. Dès le commencement de la trêve, il répartit son armée en Basse-Bretagne : il fait avancer jusqu’au Faou et Châteauneuf, en décembre, la compagnie du comte de La Magnane logée à Callac, celle du sieur de Goulaine en garnison à Morlaix, les arquebusiers français de Saint-Brieuc, les cuirasses et arquebusiers de La Fontenelle et les chevaux légers de Rostin, au total huit à neuf cents hommes à pied et cent chevaux auxquels viendront se joindre bientôt huit à neuf cents Lorrains et quinze cents arquebusiers français.
53Cette concentration militaire inquiétait les populations. Aussitôt arrivé au Faou, gros bourg non fermé distant seulement de quatre lieues de Brest, le comte de La Magnane fait retrancher, s’y fortifie et ordonne la construction de « très grands magasins tant de blés que de vins ». Le voisinage de ce capitaine chef de bande inquiéta la noblesse et les paysans de la région. Craignant d’être pillés par cette nouvelle garnison, ceux du Léon « voulurent s’émouvoir et armer contre eux ». Le sieur du Faouët, commandant pour la Ligue en cet évêché, les en empêcha. Lors d’une assemblée de la noblesse qu’il fit pour ce sujet à Lesneven, il leur remontra qu’ils étaient « commandés du duc de Mercœur de se tenir là pour faciliter le passage de son armée lors qu’il assiégerait Brest, [ce] qui serait dans peu de temps ». Et prêchant d’exemple, il fait saisir deux navires de Roscoffpour les armer en guerre et les joindre aux deux dont il disposait déjà pour participer au blocus naval du grand port. Il y eut cependant au moins quelques combats entre les troupes ligueuses et les communes léonardes puisque, le 15 mai 1594, des paysans de Lanty (Landivisiau) apportent à Guingamp des ligueurs faits prisonniers43.
54En réponse à cette posture guerrière, une nouvelle délégation des États de Bretagne se rend à Londres en mars. Elle obtient que la reine, « pour la commisération qu’elle a de la province », conserve ses troupes encore quelques temps. Elizabeth le fait savoir, du bout de la plume, au maréchal d’Aumont le 1er avril, en posant deux conditions : que son général, en son jugement, pense pouvoir les y tenir sauves, et que le roi, son lieutenant général et le pays alentour manifestent une réelle volonté de les seconder. Cette réponse ne l’engageait guère.
55Ainsi sollicité pour devenir l’arbitre des hésitations de sa souveraine, Norreys lui répond fort honnêtement :
« [Paimpol] ne peut pas être rendue plus forte car d’un côté il n’y a ni rempart ni flanquements (flanks) de quelque nature. Elle est seulement défendue par un mur guère épais et la mer qui monte jusqu’à elle et qui, dans presque tous les endroits, n’offre guère de profondeur : on en aurait seulement jusqu’aux genoux. Mais si nous pouvions avoir deux ou trois cents pionniers, on pourrait rapidement creuser les abords pour renforcer les défenses. Nous avons déjà commandé à plusieurs hommes de travailler aux fortifications, et bien qu’ils n’aient encore beaucoup avancé, on en parle déjà beaucoup chez les ennemis44. »
56Confronté à l’indécision calculée de la Reine, Norreys se trouvait dans une situation embarrassante. Il risquait indifféremment de se voir accusé de ne pas obéir avec suffisamment de promptitude, ou s’il obéissait à des ordres qui lui semblaient peu en rapport avec la situation du terrain, de fuir devant l’ennemi et d’abandonner la Bretagne aux Espagnols. À la cour de Londres, des jaloux font courir bien des bruits sur son compte. Pour tenter d’y couper court, il choisit d’y adresser son frère Henry pour recevoir enfin des ordres clairs et fermes. En particulier, il demande instamment la permission d’envoyer à Sourdéac les deux cents hommes que celui-ci demandait. « Il ne les acceptera pas dans le château, prévient-il, et la ville ne peut endurer une armée huit jours. Mais si sa majesté envoyait le secours demandé, et si l’on pouvait disposer de Landerneau, on pourrait s’arranger avec lui, car cette place de Landerneau n’est pas à plus de cinq lieues de celle que les Espagnols fortifient. Elle se trouve dans un très bon pays et très apte au secours de Brest, la mer remontant jusqu’à elle. Elle est fermée de murs en une partie et pour le reste de barricades selon la façon légère dont on fortifie en ce pays. Elle assurerait au roi un grand revenu tiré des évêchés de Léon et Cornouaille45. »
57Norreys espérait de toutes ses forces pouvoir continuer la lutte en Bretagne. Mais des relations de plus en plus conflictuelles avec d’Aumont le conduisent à suggérer à la reine d’user de son influence auprès du roi pour limoger le vieux maréchal : « Si sa Majesté veut poursuivre son action dans ce pays, écrit-il à son frère, il est nécessaire que le Maréchal soit remplacé dans ses fonctions, car il est notre ennemi, porte des jugements sévères sur l’action de sa Majesté, et en outre est incapable d’une telle charge étant trop sujet aux passions, de telle sorte qu’il est en conflit avec tout le monde et ne sera suivi par aucune personne qui compte. Le duc de Montpensier sera bien plus propre pour ce commandement. Maintenant que presque toute la Normandie est rendue à l’obéissance du roi, lui sera capable de faire venir de bonnes troupes46. »
58Le 17 avril, quatre heures après l’embarquement de son frère, Norreys est averti que Mercœur était à Josselin où il avait donné le rendez-vous à toute son armée, et que les Espagnols étaient attendus ce même jour à Pontivy. Le duc avait fait de grandes provisions pour le train de son artillerie, dans l’intention de s’avancer vers la côte nord et d’attaquer Paimpol. Norreys trouva dans cette information une raison supplémentaire pour ne pas s’en aller. « Il est préférable, écrit-il ce même jour à Lord Burghley, de tenir cette place plutôt que l’abandonner, tant pour l’honneur de Sa Majesté que pour le préjudice qu’en auraient les États de ce pays47. »
59Mais Mercœur, préoccupé par la tenue des États et par les tensions qui s’y étaient manifestées, changera son dessein. Il n’aurait d’ailleurs pu compter sur l’appui espagnol. Don Juan n’avait retiré son armée à quatre lieues de Guéméné que pour y attendre de nouveaux renforts et « favoriser soit leurs fortifications près de Nantes [Saint-Nazaire], soit celles près de Brest si quelque action était entreprise contre elles ».
60Norreys en aurait bien profité pour attaquer Morlaix. Il était assuré de l’appui d’un parti dans la ville bien décidé à se ranger à l’obéissance du roi dès que l’occasion s’en présenterait. Le château ne lui semblait pas de taille à résister trois jours à trois canons. Mais pour l’heure, le général anglais manquait d’artillerie, ses provisions étaient épuisées, les caisses étaient vides, et il ne pouvait espérer aucune assistance du roi. Ce dernier qui après avoir donné ordre à M. de Saint-Luc de partir pour la Bretagne avec de bons contingents, les avait en définitive retenus près de lui. Il se contenta, comme il l’écrit aux députés de Bretagne, le 28 mai 1594, d’adresser M. de Montmartin en Angleterre
« afin d’avancer et arrêter le secours que la Royne nous promet d’envoyer en notre dit pays de Bretaigne […] et faire que le dit secours puisse suivre de près celui que vous envoyerons de deçà ».
61Curieux exercice d’auto suggestion, de menterie politique, de naïveté feinte ou réelle de la part du roi, car Elizabeth qui ne s’était jamais écartée d’un iota des accords signés avec lui, était bien éloignée – et à cette époque plus que jamais – de lui octroyer des troupes sans un appui effectif préalable de sa part au moins équivalent.
Le fort de l’Aigle
62L’unique souci des Espagnols était désormais de s’assurer au plus vite des bords maritimes, et au besoin par leurs seules forces. Après la victoire de Craon (mai 1592), les troupes ligueuses assistées des « tercios » espagnols auraient pu, profitant de leur avantage et de la désorganisation de l’armée royale tenter de s’emparer de Rennes et de la plupart des villes royalistes de Bretagne, de Maine et d’Anjou. Mercœur l’envisageait. Mais telle n’était pas l’intention d’Aguila. L’objectif de ce dernier était de renforcer les défenses de Blavet, de s’y installer durablement, et de contrôler une à une les îles et les ports de Nantes à Brest. Le 6 novembre 1592, il écrit à son souverain :
« Il faut que votre Majesté s’empare du château de Brest ou alors que l’on construise deux forts à l’entrée de la rade. Cette place est bien pourvue de tout ce qui est nécessaire pour la sûreté des navires. On pourra construire un fort, y placer six canons pour répondre aux Anglais qui viendraient au secours des assiégés. Il faudra écrire au duc de Mercœur pour empêcher le soupçon de naître dans les esprits du fait de la construction de ce fort. Il faudra lui dire que pour l’opération d’Angleterre, rien n’est possible sans la possession de Brest48. »
63Philippe II suivit l’opinion de son général. Dans sa réponse, il lui fait savoir qu’un nouveau renfort de deux mille hommes était en route :
« Sans donner l’éveil à l’ennemi, avec toute la rapidité possible, je veux que vous vous empariez de Brest. Brochéro attaquera cette place par la mer, tandis que vous l’assiégerez par la terre. Si vous ne pouvez y entrer de force, vous le ferez au moyen de ce fort que vous avez projeté de construire pour l’obliger à se rendre. Et si Dieu m’accorde que vous vous empariez de cette place, vous n’y mettrez d’autres garnisons qu’espagnoles49. »
64Les espions que Sourdéac entretient tant en Espagne que dans l’entourage de Mercœur lui communiquent, fin janvier 1594, des informations concordantes qu’il s’empresse d’expédier à l’ambassadeur de France à Londres :
« La grande armée des Espagnols, composée de plus de soixante voiles qui est au passage près Saint-Sébastien n’a autre dessein pour le présent que de venir à ce printemps assiéger Brest lequel ils espèrent bien n’emporter pas incontinent, attendu la force de la place et qu’ils n’ont aucune intelligence avec celui qui y commande, mais veulent bâtir dés le commencement deux forts sur les deux pointes de l’entrée du goulet afin que la place ne puisse, par après, être secourue par mer […]. La conséquence de la prise de cette place par un si puissant ennemi comme l’Espagnol est telle que d’icelle dépend entièrement tout l’état de Bretagne mais aussi des deux États et de France et d’Angleterre considéré le lieu auquel elle est sise qui est en l’entrée de cette mer étroite et sur l’un des meilleurs havres de toute la Chrétienté50. »
65Dès la fin de l’année 1593 est entreprise la construction d’une puissante forteresse – « El Leòn » – sur la presqu’île de Crozon. Un rocher qui s’avance en aplomb dans la mer, à Roscanvel, lui sert d’appui. Douze navires y débarquent ouvriers et matériaux venus d’Espagne. Malgré l’ampleur de la tâche, la main-d’œuvre locale ne sera pas sollicitée. Aucun Breton ne devait pouvoir vérifier la nature et l’état des défenses. Aucun soldat étranger n’y entrera. Ce fort s’établit, en effet, contre la volonté de Mercœur qui, naïveté feinte ou réelle, semble à ce moment découvrir les intentions réelles de Philippe II, comme il le lui écrit :
« Don Juan d’Aguila ayant entrepris de dresser un fort en Basse-Bretagne, sans me communiquer autre chose de son dessein, m’a fait dire que l’intention de votre Majesté était qu’on employât les dites forces à la fabrique de ce fort. J’aurais argument de me mécontenter si je pensais que tel mépris procédait du consentement de votre Majesté51. »
66Les nobles du pays et les communautés de villes virent dans cet établissement non seulement une atteinte à la trêve et aux règles en usage entre alliés, mais surtout une injure aux droits de la province. Il était à craindre que « se voyant, au lieu d’être secourus contre leurs ennemis, ainsi mal traités et maniés à la baguette, comme ils disent, et contre les libertés du pays52 », ils en viennent à se tourner vers le roi.
67Il fallut à Mercœur déployer bien de la diplomatie pour les apaiser. Le 11 avril 1594, il fait savoir à Don Juan qu’il y a des actions à mener bien plus urgentes et opportunes que
« de vouloir entreprendre ce fort, étant très certain que, si vous y continuez, ce sera sujet, à ceux qui d’ailleurs ne demandent qu’un prétexte de faire quelque chose mal à propos, de mettre en plus grand péril notre religion et nos forces. C’est pourquoi, je vous prie de toute affection de désister de votre entreprise, en laquelle je ne puis en aucune façon vous assister ».
68Resté sans réponse de sa part, Mercœur réitère ses doléances dix jours plus tard, avec plus de vigueur :
« [Il faut] que vous ayez à délaisser ce fort où vous êtes ; car je vous puis assurer que toute la province s’en émeut et s’étonne tellement que, connaissant ce qui peut arriver, je suis tenu et obligé vous le dire53. »
69Les États ligueurs de Bretagne, à leur tour, s’adressent à Don Juan, le 10 mai, pour le prier « de s’en désister comme de chose qui donne défiance et jalousie à ceux du pays », et s’il ne le peut,
« de différer la continuation du fort jusques à avoir su la volonté de la Majesté Catholique, laquelle ayant fait cet honneur à la province que de la secourir contre les hérétiques aura toujours agréable que l’on lui représente l’importance dudit fort […] qui ne peut être qu’à la foule et incommodité grande du pays, auquel n’y a que trop de garnisons et citadelles, joint que c’est contre les droits accoutumés entre les alliés et auxiliaires que de faire des forteresses sans le consentement de ceux du pays54 ».
70Le « castillo del Leòn » valait d’abord par sa situation. Si l’on en croit une lettre du 29 avril55 de Cristobal de Rojas qui dirige en personne les travaux, il avait été construit en vingt-six jours sur une pointe escarpée proprement inaccessible du côté mer, poussée à l’extrême bord de la roche afin de profiter au mieux des fossés maritimes. Mais si pour l’essentiel le fort disposait alors de ses remparts, faits de terre et de fascines, ceux-ci furent par la suite renforcés et complétés. Au mois d’août suivant, les travaux semblent cette fois achevés. Les deux bastions flanquant la porte principale, et peut-être la porte elle-même, ainsi qu’une muraille protégeant une batterie sur le flanc ouest avaient été remparés de pierres maçonnées. Le reste des éléments de défense était toujours constitué par des buttes de terre et des fascines. Un plan levé par John Norreys montre quatre redoutables lignes de défense successives : le glacis précédant la contrescarpe, d’approche très difficile par le moyen de tranchées, en raison de la nature rocheuse du sol ; la contrescarpe ; le rempart frontal, long de plus de cinquante-cinq mètres, large de douze mètres au sommet56 ; sa porte protégée par les deux bastions ; enfin un retranchement intérieur de terre renfermant l’arsenal voûté de briques, les corps de garde, la chapelle et les différentes maisons. Cette forteresse était munie, si l’on en croit le plan de Norreys, de sept pièces d’artillerie de fort calibre. Son plan de feu avait été soigneusement étudié par Rojas, selon les règles euclidiennes et conformément à la topographie du lieu. La place avait été bien approvisionnée en vivres et munitions pour soutenir un long siège. Malgré l’escarpement, des moyens avaient été imaginés pour permettre un approvisionnement direct de la place par la mer.
71Don Juan avait positionné son armée pour protéger les bâtisseurs. Il devait par la suite, à l’aide d’avant-postes, disposer une première ceinture avancée pour prévenir une attaque terrestre. Il se méfiait en particulier des Anglais et cherchait avec son gros à les provoquer dans leur réduit trégorois. Le sieur de Plessé arrive à Tonquédec, le 16 février, à l’heure de midi. Par courrier, il informe aussitôt Norreys que les Espagnols sont logés à Carhaix. Ils disposent de cent chevaux, de mille arquebusiers à cheval, et de quatre mille hommes de pied. Le bruit court qu’ils vont marcher vers Paimpol. Cette nuit-là des éléments avancés de l’armée de Mercœur sont également signalés à six lieues de Pontrieux. Norreys envoie à Guingamp les régiments français placés sous ses ordres, et se replie à Paimpol57. Mais l’ennemi, n’ayant pu surprendre Norreys, se retire à Carhaix.
72Cette agitation de l’armée espagnole avait jeté Brest dans la crainte d’être bientôt investi. Sourdéac adresse à Paimpol son secrétaire pour demander le renfort de deux cents arquebusiers. Mais Norreys manque de navires pour leur transport, d’équipement et de victuailles pour leur entretien. Surtout, il ne veut plus prendre aucune initiative susceptible de déplaire à la reine. Il se contente de l’informer de la demande formulée par Sourdéac puis attendra sa réponse avant d’envoyer des troupes à Brest.
73Il lui fallait d’ailleurs songer à sa propre sauvegarde, car l’Espagnol tournait toujours la tête de son côté. « Nous recevons journellement des informations selon lesquelles l’ennemi se prépare à entreprendre contre cette place, fait-il savoir à Lord Burghley le 28 février. Aujourd’hui j’ai appris que le château de Tonquédec, qui appartient à un jeune comte qui se trouve en Angleterre58, [craint] d’être pressé bientôt ; et ce château, à seulement une journée de marche d’ici, est incapable de tenir longtemps devant cette armée qui, selon ce que l’on a entendu, arrive bien munie. Le maréchal doit exécuter une entreprise dans trois jours contre Redon qui est une place de grande importance, et si elle réussit séparera grandement les forces ennemies59. »
74La gesticulation des Espagnols se révéla plutôt défensive pour permettre à la garnison du fort de s’y établir sans danger. Le 25 avril, la construction d’« El Leòn » est suffisamment avancée pour que Don Juan, avant de se replier avec le gros de ses troupes vers Blavet, y fasse entrer quatre cents hommes sous le commandement du capitaine Tomas Paredes. La garnison pouvait aussi compter sur la présence de galères armées positionnées dans la baie.
75Sourdéac, comme on s’en doute, suivait de près la progression des travaux. Il en rendait régulièrement compte à Londres dans l’espoir de hâter l’intervention d’Elizabeth :
« Les Espagnols avancent infiniment le fort qu’ils ont commencé à la vue de cette place et comme aussi tout présentement il leur vient d’arriver en la rade de cette baie une armée de mer de douze vaisseaux dont les deux plus grands sont de quelque deux cents tonneaux, et le reste de quarante, cinquante et soixante tonneaux, ce qui vous serait très aisée d’emporter avec ce que vous avez de forces ayant la faveur de cette place comme vous aurez quand il vous plaira de faire cette entreprise, à l’exécution de laquelle je vous assisterai de quatre bons vaisseaux bien équipés et bien armés, me faisant sur ce entendre quelle sera votre volonté si cette défaite se pouvait faire, Monsieur, par autre moyen comme il vous sera très aisé. Ce ne serait pas faire un petit service au Roi et à la Majesté de la Reine votre maîtresse60. »
76Quinze jours plus tard, les ambassadeurs anglais font savoir à Henri IV que la reine ayant fait reconnaître par Roger Williams l’état de Brest, et devant le risque de voir ce havre tomber entre les mains de l’Espagnol, se résoud à envoyer « un bon nombre de ses meilleurs vaisseaux, et jusques à sept mille hommes, ou plus s’il est besoin, pour empêcher l’achèvement des forts que les dits Espagnols y font et les en chasser, pourvu que le roi veuille envoyer en Bretagne, le duc de Montpensier, avec mille ou douze cents chevaux, deux mille hommes de pied, outre les forces qui sont dans le pays ». La reine offre même, après cet exploit qu’elle espère se pouvoir faire en deux mois, d’y entretenir jusqu’à la réduction de la province en l’obéissance du roi, « autant de force qu’il y en aura de sa part ». L’attitude d’Henri à l’égard de cette offre ne manque pas d’étonner :
« L’avantage qu’il y a pour mon service à cette proposition me doit assez mouvoir d’y apporter tout ce qui peut dépendre de moi pour l’effectuer […]. Mais je me trouve assailli en même temps par trois divers endroits avec grandes forces, le roi d’Espagne s’étant obligé à cela par promesse envers le Pape, pour le tenir toujours plus bandé à favoriser ses desseins ; et d’autant que, ne pouvant résister assez puissamment partout, il me serait moins difficile de pouvoir recouvrer avec le temps ce qu’il aurait occupé en la Bretagne, où il me fait la guerre, que par les forces d’Espagne, dont les embarquements et passages peuvent avoir des incommodités, que ce qu’il avait gagné du côté de Picardie et de mes frontières d’Italie, pouvant toujours faire venir en chacun des dits endroits des forces d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne, de Suisse, et de ses Pays-Bas et Franche-Comté, pour y conserver ses conquêtes ; pour ces considérations je résolus à faire le plus fort tête où je voyais le péril plus grand pour l’avenir, avec beaucoup de regret néanmoins d’être contraint me mettre sur une faible défensive en Bretagne, pour ne pouvoir mieux, puisque je me voyais comme abandonné et hors d’espérance du secours de la dite dame61. »
77Comme en témoigne cette lettre, l’agitation militaire en ce bout du monde ne modifie en rien la doctrine du Béarnais en matière de stratégie. Que la reine ne compte pas sur son assistance en Bretagne. Il ne fera pour cette province que ce qu’il pourra, c’est-à-dire peu de chose. Il promet de se priver du duc de Montpensier qu’il attendait en son armée « avec les forces qu’il [lui] pouvait amener de Normandie après la réduction de Honfleur et Tancarville ». Mais il gardera les forces auprès de lui, et enverra le jeune duc « avec une troupe de cavalerie seulement pour la sûreté de son voyage », et rien de plus. Dans cette situation, le contingent de sept mille hommes promis sub conditione par la reine, lors des précédentes négociations, n’est plus qu’un projet d’état-major avorté. Elle en tirera plus de raisons encore de poursuivre sa propre stratégie du confinement, avec le moins d’hommes et le moins de dépense qu’il sera possible.
78Norreys reçoit enfin un courrier de Londres lui donnant l’ordre de rembarquer ses forces. Il en est fort chagriné mais prend ses dispositions pour obéir sans faire courir trop de risques à ses troupes, une telle opération étant toujours périlleuse lorsque l’ennemi est dans le dos. Il écrit le 27 juin :
« A la réception des lettres de Sa Majesté demandant notre retraite vers les Iles, j’ai assemblé à Lannion toutes les forces françaises qui se trouvaient dans ce quartier avec quelques unes de Sa Majesté pour empêcher l’armée espagnole62 d’avancer par ici, laquelle assiégeait alors un fort nommé Primel à l’entrée de la rivière de Morlaix. Le siège se prolongeant, cela me permet de prendre toutes les dispositions pour stationner ici quelque temps où je me prépare à obéir aux ordres de la reine le plus rapidement possible. J’ai déjà averti le Maréchal de la volonté de la reine afin qu’il puisse prévoir une garnison pour cette place […] et je m’efforce de faire en sorte que notre départ soit le moins préjudiciable possible au pays. Je ne crois pas qu’il faille le quitter dans la confusion, surtout quand nous ne sommes pas menacés. Les Espagnols qui se sont retirés à Blavet, nous craignent plus que nous ne les craignons, et les Lorrains et autres qui étaient à Saint-Brieuc ont quitté leurs garnisons et se sont repliés à Dinan63. »
79Il ajoute, comme pour se justifier par avance d’un délai possible, que son argent étant épuisé et les autorités de Jersey incapables pour l’heure d’assurer le ravitaillement de ses troupes, il serait urgent de ne pas précipiter l’embarquement et de vivre encore un peu aux dépens du pays. Bref, une nouvelle fois, il se hâte avec lenteur.
80Les Espagnols pendant ce temps poursuivaient avec obstination leurs travaux d’étranglement de Brest, cette fois sur la rive nord du goulet. Le 30 juin, Norreys informe la reine qu’il vient de recevoir un avis certain que Don Juan doit commencer dans peu de temps un autre fort devant le port de Brest en face du premier : « J’en ai aussitôt discuté, lui écrit-il, avec le capitaine Turner envoyé avec Sr Roger Williams pour relever les informations sur ce havre afin d’estimer quel préjudice la construction de ce fort apporterait pour le secours de Brest64. » Turner lui a assuré que « si les Espagnols font ce fort, il sera impossible de secourir le château par la mer ». Norreys, dès lors, pense à anticiper les ordres de la reine, laquelle décidément tarde à s’engager, en recherchant le meilleur moyen pour s’opposer à cette entreprise espagnole qui signifierait à coup sûr la perte de Brest. Il décide de faire avancer ses hommes par la voie terrestre, « la plus sûre et la plus rapide », car « la flotte espagnole est déjà en mer, et les vents sont bien orientés d’ouest ». « Rien ne pourra empêcher que nous y allions, promet-il à sa souveraine, si ce n’est l’arrivée de l’armée d’Espagne que l’on attend. J’irai si près d’eux que je saurai la vérité sur leur état et leurs forces avant de m’aventurer. Si l’armée espagnole s’est déjà emparée de cette place, alors je reviendrai ici où j’attendrai les ordres de sa Majesté65. »
81Fort opportunément, ce même 30 juin débarque à Paimpol Thomas Baskerville avec un renfort de six cents hommes. Sans avoir reçu l’ordre formel de Londres, Norreys se prépare aussitôt à marcher sur Brest. Le maréchal, apprenant son intention et poursuivant cette stérile guérilla qui l’oppose au général anglais depuis sa prise de commandement, interdit aux troupes françaises présentes dans la région d’accompagner les Anglais. Mais tous les capitaines, désireux d’accomplir ce service, font la sourde oreille et s’engagent dans l’expédition66.
82Norreys fait alors avancer ses régiments jusqu’à La Roche-Derrien le 12 juillet. Ce soir-là, il apprend que Don Juan avait logé des troupes à Landerneau. Brest ne pouvait donc être atteint sans hasarder le combat contre toute l’armée espagnole. Avant de s’engager plus avant, Norreys fait marcher huit cents hommes à pied et quelques chevaux pour vérifier l’information sans prendre trop de risques. Ces éclaireurs lui apprennent que l’Espagnol, informé de l’arrivée d’un renfort anglais à Paimpol mais ignorant sans doute son importance, avait préféré faire repasser à ses troupes la rivière Elorn et se replier d’abord sur Crozon pour y renforcer la garnison, avant de se positionner dans le gros bourg de Carhaix à sept lieues de la route de Brest.
83Le passage pouvait être forcé, non sans risques. Mais il apparaissait aussi que ce repli de l’ennemi repoussait l’échéance de la construction du second fort. Norreys n’insista donc pas et, dans l’attente d’une réponse de la reine, décidément « bien longue en ses desseins », il ramène ses troupes en leurs garnisons, et les tient prêtes à embarquer pour les Îles ou à marcher sur Brest. Dans le même temps, il multiplie les avertissements :
« Si votre Majesté trouve nécessaire d’empêcher les Espagnols de posséder le port de Brest, plus votre Majesté tardera plus il sera difficile de les en déloger. »
84La saison, favorable à une attaque, l’est tout autant pour continuer les travaux de fortification :
« Si sa Majesté trouve bon de continuer son aide au roi, il est nécessaire que les troupes qui viennent des Pays Bas et celles qui sont déjà ici soient employées pendant qu’elles sont en bon état et capable de servir, car le temps les affaiblira et les consumera comme les précédentes. Le Maréchal ne veut pas croire que votre Majesté a l’intention de retirer ses troupes, et cependant il ne donne aucun ordre concernant Paimpol ni pour une autre place où vos gens puissent tenir garnison67. »
85Le 17 juillet arrive enfin un courrier de la reine lui ordonnant de revenir à Londres pour consultations. Prétextant les retards dans les communications et les difficultés rencontrées dans ce pays de Bretagne, Norreys traîne les pieds : il craignait que son retour ne précède que de peu le rapatriement des troupes ; mais suspectant quelque intrigue de cour, il se décide enfin à se rendre en Angleterre.
86Le 28 juillet, il débarque à Plymouth. Ses arguments en faveur d’une intervention massive en Bretagne qu’il expose à nouveau sont singulièrement renforcés par les informations venues de toutes parts à Londres signalant une activité navale espagnole fébrile. Des rumeurs persistantes font état d’une concentration, dans les ports de Biscaye, de huit mille hommes prêts à s’embarquer pour la Bretagne, probablement un positionnement d’attente pour une expédition outre Manche. Les défenses de Portsmouth et de l’île de Wight sont renforcées, les milices du Somerset et de Cornwall sont à nouveau réorganisées pour prévenir une nouvelle invasion. Toutes affaires cessantes, Elizabeth se trouve contrainte d’organiser le retour de son général en Bretagne et de lever de nouvelles troupes pour l’y accompagner.
87Le séjour de Norreys en Angleterre n’avait donc pas été inutile, d’abord pour se purger d’un certain nombres d’accusations, mais aussi pour faire entrer la reine dans ses vues, et obtenir le renfort qu’il réclamait depuis si longtemps. Le 9 août dans un conseil de guerre réuni à propos de la situation en Bretagne, il obtient qu’un substantiel renfort de deux mille hommes lui soit accordé ainsi que cinquante mineurs du Cornwall, cent chevaux et quelques canoniers. Sir Martin Frobisher est chargé de réunir une flotte importante pour protéger le débarquement et soutenir l’attaque du fort de Crozon. Elle comprendra six navires de guerre de la City de Londres, six autres navires de guerre venant des Flandres, chargés de poudres et munitions, et huit navires de la reine : le Vaungarde (250 hommes), le Rainebowe (250 h.), le Swiftsure (200 h.), le Dreadnaught (200 h.), le Crane (100 h.), le Quittance (100 h.), le Charles (50 h.) et le Bloone (40 h.). La mission de cette flotte chargée d’assurer le blocus maritime du fort de Crozon et d’appuyer l’attaque terrestre était programmée pour une durée de trois mois. Celle de Norreys était claire aussi désormais : son objectif unique sera la destruction de ce fort du bout du monde, de sauver Brest, avec ou sans l’appui du maréchal d’Aumont, et de causer le plus de mal possible aux troupes espagnoles, avant de rembarquer aussitôt cet objectif atteint68.
88Contrairement à ce qu’Henri IV pouvait désormais prétendre, il ne devait ce renfort ni à la valeur de sa cause, ni à l’efficience de sa diplomatie. La reine, sans négocier, consulter ou informer le parti français, n’avait considéré en la matière que la défense de son propre royaume et ses intérêts stratégiques.
89À peine Norreys avait-il embarqué pour Londres, laissant ses troupes sous le commandement de Thomas Baskerville, le maréchal d’Aumont arrive à Guingamp avec trois cents chevaux. À Baskerville venu le rencontrer pour recevoir les ordres, le maréchal demande que les troupes anglaises avancent jusqu’à Lannion. Il jugeait la place très commode pour être en mesure d’apporter un soutien aux communes de Léon et Cornouaille qui venaient de se révolter contre les garnisons ligueuses, et pour accueillir les renforts que la reine pourrait faire venir69.
90Les paroisses de l’évêché de Léon depuis plusieurs semaines déjà avaient, en effet, manifesté leur lassitude de la guerre et des pilleries qu’elle engendrait. Elles venaient à nouveau de se soulever en masse, mais cette fois contre la Ligue. L’abjuration du roi avait ôté aux ultra-catholiques tout prétexte à la poursuite de la guerre. L’entêtement de certains à poursuivre malgré tout la révolte devenait de plus en plus suspect aux yeux des masses paysannes qui en étaient les premières victimes. Les communes léonardes avaient ainsi tué trois cents à cinq cents ligueurs près de Lesneven. Appelés à la rescousse par le capitaine du Léon inquiet devant la tournure prise par les événements, La Magnane et son terrible régiment, après avoir taillé en pièces un gros de cinq à six mille paysans, avaient pillé une dernière fois le pays avant de se retirer quelque temps à l’abri des murs de Morlaix et de repartir vers d’autres lieux de rapines. Le sieur de Sourdéac en avait habilement profité pour réduire le Léon en l’obéissance de sa Majesté. Après avoir fait sortir de Brest le canon et des troupes, il assiège plusieurs places comme les châteaux de Kerman et Pencoët70 dont les garnisons se rendent le 9 août. À cette même date, au bourg du Folgoët, les habitants du Léon « tant noble que partables » avaient reconnu l’autorité du roi. Ils n’avaient agi, prétendaient-ils, que par crainte de l’hérésie, et la conversion du roi les rassurait sur ce point71.
91La nouvelle descente anglaise et l’imminence d’une action d’envergure contre le fort de Crozon s’était vite répandue. Don Juan aurait souhaité prendre des mesures de protection, mais les suspicions qu’il nourrissait depuis longtemps à l’égard de Mercœur le plaçaient dans une situation inconfortable. Ses craintes venaient d’être ranimées par une intense activité politique qui pouvait s’avérer décisive. Montbarot, accompagné de quarante gentilshommes, avait quitté Rennes le 14 juillet pour rencontrer la reine Louise et la supplier d’amener son frère à consentir à une paix générale. Trois jours plus tard, Mercœur rejoignait sa sœur pour de nouvelles conférences. Les Espagnols étaient alors convaincus que le duc s’apprêtait à traiter avec Henri IV. Ils avaient de bonnes raisons de le penser car durant les conférences les attitudes et les paroles de Mercœur leur étaient fidèlement transmises par Jean Vallet, prieur de La Trinité, l’un des députés du duc, qui reçut deux cents écus pour ses « très bons et sûrs avis72 », et par l’incontournable Tornaboni que Mendo de Ledesma avait soudoyé, moyennant la promesse de deux mille écus de pension, de l’honneur d’un ordre de chevalerie et d’une rente viagère dans son pays d’origine, l’Italie, si les négociations tournaient au bénéfice de Sa Majesté catholique.
92L’ambassadeur espagnol peut ainsi écrire à son roi, le 18 août, qu’il n’y avait d’autre remède pour sauver la position hispanique « que de recourir à la force, parce que l’on sait que le duc de Mercœur est résolu à traiter avec l’ennemi ».
93Malgré les démentis de Mercœur et ses promesses de ne « faire aucune trève avec l’ennemi », d’Aguila en s’éloignant de Blavet pour s’avancer vers Roscanvel pouvait craindre d’être pris à revers par l’armée de Mercœur positionnée sur ses arrières. Cette crainte n’était pas nouvelle. Lors du siège de Primel, le général espagnol « qui s’y était rendu quelques jours auparavant », s’en était retiré
« à l’instant qu’on était près de l’emporter, laissant le reste en danger d’une totale ruine, si Dieu n’y eut donné son aide, de quoi s’est ensuivi un merveilleux dégoût et fort grand scandale. Du depuis icelui de Laguila, tâchant de s’en disculper, mit en avant que mondit seigneur (de Mercœur) l’avait engagé audit siège expressément pour le livrer entre les mains des Anglais, et pour lui faire perdre son nouveau fort73 ».
La prise de Morlaix
94Sans attendre le débarquement de Norreys annoncé avec de nouveaux renforts, le maréchal d’Aumont s’était résolu à s’emparer de Morlaix. Pendant que les derniers contingents de son armée rejoignaient Guingamp, lieu fixé pour le rendez-vous, il purge le pays de quelques garnisons ligueuses ou incontrôlées. Puis, s’acheminant au plus près de la côte avec 3 000 hommes de pied français, 700 Anglais et 300 chevaux74, il fait halte à Trégastel. C’est de ce lieu que, pour la première fois des contacts directs sont pris avec les bourgeois morlaisiens et leur gouverneur. Le maréchal les sommait de se rendre et de se soumettre à l’autorité du roi. Mais sans attendre leur réponse, il lève le camp et pousse ses troupes sur Lanmeur d’où il écrit derechef aux Morlaisiens en leur adressant un sauf-conduit pour garantir à leurs députés totale sûreté s’ils venaient à lui.
95Dans la ville, à mesure que l’armée franco-anglaise approchait et que l’inquiétude des habitants croissait, les divisions intestines s’aggravaient. Depuis plusieurs mois déjà, Morlaix, travaillé par des forces antagonistes mais encore tenu d’une main de fer par le Conseil de l’Union et par le gouverneur, le sieur de Carné-Rosampoul, de plus en plus impopulaires, inclinait vers la soumission au roi. L’aura de Mercœur n’y avait pas résisté aux maladresses de Rosampoul et aux brimades qu’il faisait subir, en particulier, au vénérable et très respecté sénéchal Le Bihan. L’évêché lui-même était secoué par la révolte des communes. Ce mouvement populaire entraîna celui d’une bonne partie de la noblesse léonarde. Cette dernière avait, dès 1591, passé un traité avec Sourdéac,
« au moyen duquel, et de certaines sommes de deniers, qu’ils poyèrent annuellement tant au Roy que audit seigneur de Sourdéac, ils devoient vivre en toute assurance, sans pouvoir estre prins prisonniers de guerre, ravaigés, ny souffrir aucuns actes d’hostilité75 ».
96Au printemps 1594, les opinions favorables à un ralliement autorisèrent Sourdéac, à exiger du pays une soumission totale et à accorder un délai jusqu’au 1er août suivant. « De sorte que plusieurs se réduirent et firent serment de fidélité au Roy entre les mains des officiers royaux des juridictions dudict évesché commis à la dicte fin76. » La soumission au roi d’une grande partie des nobles du Léon est entérinée à Lesneven le 9 août77.
97Malgré une ultime correspondance adressée par Mercœur aux habitants de Morlaix, le 30 juillet, pour tenter de conserver à sa cause une place aussi importante, l’agitation gagnait du terrain en la ville et les esprits s’échauffaient. À l’annonce faite par le gouverneur, devant l’assemblée tenue à la chapelle Saint-Jacques, du retour imminent de La Magnane et de ses troupes rappelés pour renforcer les défenses de la ville, la majorité des édiles refusa qu’on ouvrît les portes à ces soudards dont le pays léonard venait d’éprouver l’aveugle brutalité. Le ton était alors monté entre le gouverneur et les bourgeois. Ces derniers imposèrent finalement leur point de vue. Lorsque La Magnane se présente du côté du Marc’hallac’h, il trouve la ville close et est contraint avec son régiment de prendre ses quartiers au faubourg des Brebis.
98Au sortir de cette houleuse assemblée, douze ou treize bourgeois, favorables à la reddition, se rassemblent secrètement en l’église Saint-Melaine et délibérèrent des termes d’une capitulation acceptable. Le sénéchal Le Bihan propose de députer vers le maréchal. Quatre émissaires sautent aussitôt à cheval et piquent des deux vers Lanmeur. Mis au courant de cette ambassade, et flairant le piège, le gouverneur lance dix cuirasses à leur poursuite. Ils battent l’estrade en vain.
99Les quatre députés se présentent, au soir du 23 août, au camp de Lanmeur. Les clauses d’une reddition sont discutées et arrêtées. Certaines d’entre elle, plus secrètes, seront cause de dissensions entre d’Aumont et les Anglais : il ne sera fait aucun exercice de la Religion Prétendue Réformée ni dans la ville ni dans son bailliage78 ni dans celui de Lanmeur. Le gouverneur de la ville ne pourra être que catholique et du pays. Les habitants seront maintenus dans leurs privilèges ; ils obtiendront mainlevée de tous leurs biens saisis en la main du roi ; le fort du Thoreau79 sera placé sous leur commandement, selon les anciens usages. Quand le château sera tombé, les habitants choisiront de le démolir ou de le conserver80. Ces articles manifestent une clémence et une générosité de la part du maréchal à la mesure de sa satisfaction et de sa hâte de faire tomber vite et sans combats cette importante ville.
100Pendant que deux des députés restaient au camp des royaux comme garants, les autres retournent en la ville plus discrètement encore qu’ils en étaient sortis, et rendent compte de leur mission devant les conjurés. Afin que les troupes royales investissent la ville sans livrer combat et sans causer de ruines, il fallait dérober leur progression à la vue du château avant de leur ouvrir les portes. On fit courir le bruit que le Maréchal avait accepté, sur la promesse de dix mille écus, de faire retraite à son armée, et que de ce côté il n’y avait plus rien à craindre dans l’immédiat, mais que le gouverneur, pour se venger du refus opposé par les bourgeois à l’entrée de La Magnane, venait fondre sur eux. La milice bourgeoise se concentra donc du côté des faubourgs riverains de la citadelle et délaissèrent les portes des Vignes et de Notre-Dame auxquelles furent affectés les hommes de la conjuration.
101Le lendemain au point du jour, les premiers éléments royaux se présentent au haut du faubourg des Vignes, se faufilent hors de la vue des guetteurs du château jusqu’à la porte de Notre-Dame qui donnait accès à la ville close dont le pont était levé. Les clefs étaient au corps de garde. Mais on trouva un orfèvre qui passa la rivière, abattit le pont et crocheta le guichet. Ainsi « les compagnies entrèrent doucement dans la ville et se rangèrent dans les rues sans faire de mal à personne ».
102Le maréchal accompagnait les premières troupes. Il s’arrêta un instant sur la place des Jacobins où les notables l’accueillent. « Messieurs, leur dit-il, je suis le maréchal d’Aumont dont vous avez tant ouï parler. Prenez tous des écharpes blanches ou du ruban à vos chapeaux, et ceux qui n’en avez, mettez-y vos mouchoirs ! » Il se tenait à cheval au milieu de sa cavalerie, l’écharpe et la plume au vent, appuyé sur le bâton insigne de sa charge81.
103Aussitôt la ville totalement sous contrôle, d’Aumont prit ses dispositions pour entamer le siège de la citadelle. Le comte de La Magnane, averti à temps, avait réussi à introduire dans le château quatre cents hommes supplémentaires. Ils venaient s’ajouter, si l’on en croit Montmartin, à la garnison forte des quatre-vingts chevaux de Rostin, et de plus de cinq cents hommes de pied, outre les réfugiés qui pour toutes sortes de raisons avaient fui la ville lors de l’arrivée des royaux. Autant de bouches à nourrir nécessitaient, on s’en doute, des provisions que nul avait envisagé de faire entrer en la place. Le temps travaillerait pour les assiégeants, à condition que Mercœur le leur accorde.
104Pour hâter le découragement des défenseurs, l’artillerie est présentée avant d’ouvrir le feu le dimanche 28 août. Les assiégés répliquent en pointant leur unique canon et quelques autres bouches à feu sur la tour de Notre-Dame du Mur, d’où une compagnie de mousquetaires les harcelait. Ils en détruisent les clochetons. Une brèche ouverte entre les bastions des Fossés et de Montrelaix donna l’occasion aux troupes royales de se lancer dans quelques vaillants assauts et d’y « faire de belles armes », mais sans pouvoir profiter de cet avantage.
105Une course contre la montre s’engage alors. Les renforts anglais ne sont toujours pas arrivés. Baskerville multiplie les courriers à Norreys et à l’amiral Leighton pour tenter de les localiser et d’en hâter la venue. Le siège du château avance néanmoins. Le 5 septembre, les royaux sont déjà logés dans un de ses bastions, et se rapprochent de l’autre. Mais ils manquent de canons de siège. « La place n’est pas très forte, écrit Baskerville. Il suffirait de cinq canons pour battre le vieux château, et cela ne tardera pas si l’ennemi nous en donne le loisir. »
106À ce moment précis, les renforts anglais n’étaient pas arrivés à Guernesey comme l’espérait Baskerville. Le 6 septembre, Norreys se trouvait encore à Portsmouth ennuyé par les désertions de ses recrues (plus de trois cents à son estimation), et même par une mutinerie de certains soldats. Il demandait à Frobisher de lui fournir des pilotes capables de conduire les navires jusqu’à Morlaix, pour leur éviter quatre jours de marche (selon son estimation) pour venir de Paimpol. La difficulté venait du fort du Taureau, dans la baie de Morlaix :
« Bien que son gouverneur ait semblé montrer quelques dispositions pour se ranger à l’obéissance du roi, il pourrait bien ne se découvrir que lorsqu’il verra le château enlevé. C’est pourquoi, il serait préférable de débarquer à Primel, dont je vous ai envoyé le plan du fort, et qui n’est qu’à un demi mile anglais à l’est de la rivière de Morlaix ; ou bien alors à une autre place appelée Pempoull à un quart de lieue de Saint-Pol de Léon, et deux lieues à l’ouest de la rivière. Si le vent le permet, et si l’on trouve ici des pilotes, il serait bon de venir directement de Plymouth, sinon il faudra toucher Guernesey où à coup sûr on trouvera des pilotes82. »
107Il suggère aussi à Martin Frobisher que si la flotte était dans ces parages, elle pourrait auparavant réduire le fort du Taureau.
108Mercœur, empêtré dans ses négociations avec la reine Louise, était hors d’état d’intervenir rapidement. De Redon où il se trouvait à la campagne83, il se hâte de rassembler des troupes pour venir au secours de Morlaix et fixe son rendez-vous à Josselin. Le 5 septembre, les Espagnols sont déjà au Faouët. « On dit que dans trois jours ils se seront réunis, pense Baskerville. S’ils avancent nous sommes résolus à leur livrer bataille car nos forces sont au moins de 3 600 fantassins et 500 chevaux ce qui est je crois plus qu’ils n’en envoient84. » Mais Mercœur n’arrive que le 14 septembre à Carhaix d’où il adresse un héraut à d’Aumont pour l’inviter à consentir à une trève de trois mois : telle était, prétendait-il, la volonté du roi que sa sœur lui avait fait connaître. En cas de refus, il donnerait bataille.
109Conscient du caractère dilatoire de la manœuvre, et surtout peut-être pour ne pas abandonner aux représailles une ville qui s’était rendue librement au roi – attitude qui aurait eu un fâcheux effet sur les villes encore à soumettre –, le maréchal refuse la trêve85. Ce fut cependant contre l’avis de ses conseillers qui jugeaient leurs troupes trop peu nombreuses, en l’absence des renforts anglais. Si Mercœur attaquait avant la reddition du château, la position des royaux serait difficile à tenir.
110Après quatre jours de mer dans un vent contraire, Norreys aborde enfin à Paimpol, le dimanche 11 septembre : mais avec 1 200 hommes seulement : six de ses navires se sont égarés. Il envoie aussitôt à leur recherche son navire d’escorte, le Vangard. Le 13, il est toujours à Paimpol, se plaignant qu’en son absence, le ravitaillement n’ait pas été prévu, ni les charrois nécessaires. Il doit user de son autorité pour réquisitionner dans les campagnes environnantes avant de faire mouvement.
111Il n’arrive à Morlaix que le 15, rejoint le lendemain par les dernières compagnies enfin débarquées. Ce jour-là, Mercœur avait approché son armée du Relec, à deux lieues. Mais le 18, il la fait inexplicablement reculer. Pour s’informer de sa route, le maréchal envoie sur ses arrières, les cavaliers de Bastenay et Kergomar, les chevaux légers de la Bouteillerie, au total cent salades et cent cinquante arquebusiers à cheval. Après cinq lieues, ils rencontrent une compagnie de chevaulégers ennemie et la mettent en déroute. Mais un fort parti les attaque, semant la confusion. Kergomar et La Bouteillerie sont faits prisonniers et cinquante gentilshommes sont tués. Bastenay à qui l’on attribua la débâcle, pour n’avoir pas voulu charger les ennemis quand il en était encore temps pour dégager Kergomar et La Bouteillerie, ne dut son salut qu’à la vélocité de son cheval. Mercœur devant ce succès sembla vouloir arrêter son armée et retourner au combat ; mais entretemps les royaux s’étaient encore renforcés par l’arrivée du marquis de Coetquen, de Monbarot, du sieur de Corbouson et de la Tremblaye à la tête de cent soixante salades et douze cents arquebusiers86.
112Alors que le siège du château se prolongeait depuis cinq semaines à la grande douleur des assiégés réduits, pour survivre, à manger chiens, chats, rats, chevaux, et encore, ajoute cruellement le chanoine Moreau, « petitement, sans un morceau de pain », Mercœur trouva enfin l’opportunité de se porter au secours de Rosampoul. Mais il lui fallait le concours des troupes espagnoles.
« Ayant rassemblé ses capitaines et ceux de d’Aguila en l’abbaye du Relec, Mercœur leur remontra ce qu’un bon chef a accoutumé de faire en ces occasions ; et trouvant les Français disposés à bien faire et près d’obéir à ses commandements, et puis s’adressant à Don Juan lui demanda s’il n’était pas d’avis de donner sur l’ennemi. Don Juan lui réplique : “Non, Monseigneur ! Comment voudriez-vous donner ?” Le duc lui répond : “Je me mettrai à pied, à la tête de trois cents gentilshommes qui tous, la pique à la main, donneront tête baissée, et nous suivrez seulement avec les vôtres.” Et Don Juan lui dit : “Ma troupe ne donne pas tête baissée, mais piane-piane.” Et quelque raison que lui proposa son Altesse, il ne put le résoudre à faire autre chose, comme s’il eut des défiances, craignant que les Français, le voyant engagé, ne les eussent abandonnés. Ce fut, à ce que j’ai appris depuis, une ruse du Maréchal d’Aumont qui trouva moyen, par gens intéressés, de faire entendre à Don Juan qu’il ne se fiât pas trop aux Français ni en Monsieur de Mercœur qui avait promis au roi de se défaire des Espagnols de Bretagne pour faire la paix avec sa Majesté. Ce qui n’était pas sans apparence combien que faux. »
113Rien ne permet d’attester de ce dialogue que l’on doit à la plume fertile du chanoine Moreau. On peut admettre seulement qu’il restitue les rumeurs largement répandues au sujet des dissensions, déjà anciennes, entre les deux chefs. Don Juan, comme on l’a vu, n’avait d’ailleurs nul besoin d’un avis de d’Aumont pour se méfier de Mercœur et refuser de le suivre.
114Les Espagnols s’étant donc repliés sur Crozon, Mercœur se trouvait bien en peine d’affronter seul d’Aumont et les Anglais. Il se retire piteusement à Nantes.
115Pour s’en assurer, le maréchal avait commandé au sieur de Coattredrez d’aller avec quatre-vingts salades reconnaître l’ennemi. L’ayant repéré dans sa retraite à Huelgoat, il se garde bien de le provoquer et s’en retourne faire son rapport. Sur quoi
« quelques capitaines qui se trouvaient présents dirent que si Coattredrez eût été homme de courage, il les aurait attaqués, et demandèrent congé de leur aller donner sur la queue ; ce qu’ils obtinrent par importunité, et sortirent le même soir au nombre de soixante cuirasses. Le lendemain matin, ils découvrirent l’armée du duc dans laquelle s’étant fourrés trop avant, ils furent enveloppés de toutes parts et tous tués ou faits prisonniers. Entre autres y mourut le marquis de Lesmes, lequel ayant été pris vif, deux cavaliers disputant à qui il serait, l’un d’eux dit à l’autre : « Or il ne sera ni à toi ni à moi. » Et ce disant, il lui donna du pistolet par la tête et le tua raide mort. Le seigneur de Mercœur renvoya tous les prisonniers sur leur foi, excepté les chefs, et manda au maréchal que tel traitement il ferait aux assiégés du château de Morlaix, tout tel ferait-il aux prisonniers qu’il tenait87 ».
116Le château, mal informé sans doute de ces péripéties, ne demandait toujours pas à parlementer. L’artillerie anglaise nouvellement débarquée est apportée et présentée. Le matin du 22 septembre, les défenseurs affamés capitulent. Les conditions étaient rudes : le gouverneur, le comte de La Magnane, tous les officiers et gentilshommes du pays seront faits prisonniers, l’artillerie et les munitions, les armes, chevaux et bagages seront remis au maréchal. Les soldats sortiront sans tambours ni enseignes, l’épée au côté, après avoir juré de ne porter les armes pendant trois mois.
117La victoire obtenue, Norreys fait savoir au Maréchal que la volonté de la reine était de ne pas voir désormais ses troupes affectées à d’autres tâches qu’à la prise du fort de Crozon, et le presse de préparer les provisions pour cette attaque. Le maréchal le lui promet, mais prétend ne pouvoir apporter d’autres pièces d’artilleries que les deux pièces anglaises entreposées à Guingamp, à moins qu’on puisse en récupérer à Brest. Ce manque d’artillerie risque de retarder le moment d’attaquer le fort. Martin Frobisher, la semaine précédente avait déjà fait une incursion avec sa flotte dans la baie de Brest et avait échangé avec la garnison espagnole plusieurs canonnades. Il pourra utilement informer sur l’état de leur artillerie.
118Mais les relations entre d’Aumont et Norreys s’envenimaient de plus en plus, augurant mal de la suite. Conformément à un accord passé naguère avec le duc de Montpensier, puis avec M. de Saint-Luc, Norreys réclamait pour lui et ses troupes la ville de Morlaix et la moitié des prises. Le maréchal refusa88. Sa position était préméditée. Alors qu’il avançait encore sur Morlaix, il avait exprimé ses craintes que le roi cède aux exigences anglaises d’être mis en possession de cette ville-port : « Il perdrait 50 000 écus de rente, écrit-il le 18 août à l’abbé de Saint-Melaine, et le meilleur et plus beau havre de toute la Basse-Bretagne89. » Les Espagnols portaient sur la ville un jugement similaire. « C’est pour le jourd’hui, écrivait-on au roi d’Espagne en 1591, une des meilleures villes de Bretagne, et pourrait valoir 200 000 livres par chacun an. Et quiconque sera maître de ladite ville et château sera maître du Taureau qui est dans la mer, place imprenable. » Quant aux clauses secrètes de reddition de la ville, elles rendaient de facto caduque toute visée anglaise sur la ville reconquise. Le maréchal eut beau jeu, devant le fait accompli, d’opposer à tout parjure politique l’effet désastreux que pourrait avoir sur les villes encore ligueuses l’abandon d’une ville à des troupes étrangères, hérétiques de surcroît. Norreys dut se contenter de ruminer sa colère et d’avertir la reine.
Sur la route de Roscanvel
119Morlaix tombé, d’Aumont envisageait d’y séjourner avec ses forces quelque temps pour se rafraîchir, assurer sa conquête90 et celle de l’arrière-pays, et surtout récupérer les impôts dus et les rançons promises. Norreys qui ne songeait qu’au fort de Roscanvel ne goûta guère ce nouveau délai. Il menace de quitter l’armée si elle ne marche pas aussitôt vers la presqu’île. Là-dessus arrive à Morlaix le sieur de Talhouët, gouverneur de Redon et lieutenant de Mercœur. Sous prétexte d’échange de prisonniers, il était venu négocier une trêve de six semaines, au cours de laquelle le duc allait probablement se ranger à l’obéissance au roi. Dans le cas contraire, lui, Talhouët, comme la plupart des gentilshommes abandonneraient sa cause. Du moins le prétendait-il91.
120Chacun pensa qu’il s’agissait là d’un leurre – un de plus – pour gagner du temps dans l’attente de renforts espagnols. Les articles en furent néanmoins âprement discutés en particulier par Norreys. Il n’apparaît pas que cette trêve ait été effectivement signée, mais ces négociations expliquent sans doute l’extrême réserve de Mercœur à s’engager lorsque le fort de Crozon sera attaqué. D’autant que les renforts espagnols, s’ils arrivaient en effet, ne semblaient être que de 1200 hommes au lieu des 3 000 annoncés.
121Toujours confronté aux désertions, Norreys réclame à la reine cinq cents hommes supplémentaires qu’il n’obtiendra pas. Déjà, il a fait partir par mer son artillerie à Brest. De son côté, le maréchal attendait, mais sans grand enthousiasme, le retour annoncé du duc de Montpensier que le roi, pour de spécieuses raisons, retenait toujours près de lui, ainsi qu’il l’écrit à son ambassadeur à Londres, le 7 octobre :
« J’ai continuellement travaillé à trouver des moyens de faire partir mon cousin le duc de Montpensier pour le faire aller en Bretagne avec les gens de guerre destinés pour cet effet […] mais il ne m’a été jusqu’à présent possible de vaincre les difficultés qui s’y sont présentées, qui ne procèdent, je vous assure que de faute d’argent, tant pour faire les dites forces (entre lesquelles est le régiment de Suisses du colonel Heit, composé de mille ou douze cents soldats, lesquels veulent être, selon la coutume de cette nation, assurés de leur solde devant que de partir) que pour servir aux dépenses de la personne et suite de mon dit cousin, lequel les a faites si grandes durant tous ces troubles et incommodités, desquels ses biens se sont ressentis comme les autres, qu’il ne peut de lui-même y fournir, et faut par raison et nécessité que je lui aide. Pour ce faire, il a été mis en avant certaines inventions de faire des deniers, lesquelles comme elles ne peuvent qu’elles n’apportent quelque surcharge et incommodité à mes peuples, et qu’il faut aussi qu’elles soient approuvées et autorisées par mes cours de parlement […] je y ai trouvé plus de longueur et de peine que je ne m’attendais […]. Joint qu’il m’a fallu que je me sois chargé de payer plusieurs grandes sommes de deniers pour acquérir et contenter les villes et gouverneurs qui ont abandonné mes ennemis et se sont rangés à mon service. Au moyen de quoi, j’ai avisé, pour ne retarder davantage l’acheminement des dits gens de guerre, Suisses et Français, destinés pour aller servir au pays de Bretagne, qui sont tous prêts (comme je serais forcé de faire si j’attendais le partement de mon cousin le duc de Montpensier), de les renvoyer devant sous la conduicte du sieur de St-Luc, pour le voyage duquel, comme il faudra moins d’argent que pour celui de mon cousin, il sera plus facile aussi d’y fournir que à l’autre92. »
122Après maintes sollicitations de la part de Norreys, d’Aumont accepte enfin, le 2 octobre, de faire avancer les arquebusiers à cheval de M. du Liscoët et du baron de Molac pour bloquer le fort en attendant que le gros de l’armée fasse mouvement. Ils furent rejoints sur site par quatre cents Anglais débarqués des navires de Martin Frobisher déjà positionnés dans la rade.
123Cinq jours plus tard toute l’armée quitte Morlaix et campe à Locronan. Cette nuit-là, le maréchal marche avec huit cents hommes sur Quimper, s’empare des faubourgs et commence le siège de la ville. Il avait reçu plusieurs courriers des bourgeois et de l’évêque de Cornouaille lui faisant savoir que la ville était dans les meilleures dispositions pour se ranger à l’obéissance du roi.
124Quimper, jusqu’alors, avait vécu tous ces événements sans excès sous le gouvernement d’un gentilhomme sage et pondéré, Jean du Quellenec, qui avait su conserver les habitants en bonne concorde. La ville n’était pourtant gardée que par une faible garnison de quinze à vingt hommes. La plupart des portes avaient été maçonnées. Les habitants avaient même refusé pour gouverneur le sieur de Goulaine, lieutenant de Mercœur. Ils préféraient un homme du pays parlant breton, et se sentaient de taille à se défendre seuls.
125La ville de Quimper était cependant travaillée par quelques royalistes influents, surtout depuis que le sieur de Lezonnet, gouverneur de la ville voisine de Concarneau, changeant de casaque, était revenu au roi. Au début du mois de septembre 1594, il avait tenté vainement avec l’aide de huit cents hommes des garnisons de Concarneau, Guingamp, Corlay, Quintin et Comper de s’emparer de la ville. Mais il fut repoussé par les habitants eux-mêmes qui avaient bordé leurs murailles de mille ou douze cents arquebusiers, aux dires de Moreau, témoin oculaire. Ils tinrent deux jours et deux nuits avant d’être secourus par la garnison ligueuse de Hennebont, sans que les conspirateurs de la ville, menés par l’avocat Yves Allanou, aient eu l’opportunité d’intervenir. Les assaillants qui ne disposaient pas d’artillerie, avaient dû se replier non sans avoir perdu cinquante hommes93.
126En dépit de ses espérances, le maréchal n’eut pas droit à plus d’égards. Quand il se présente sous leurs murs avec son armée, les Quimpérois l’accueillent à coups de mousquet et de canon, et acceptent d’endurer le siège. Ce contretemps était de trop pour Norreys. Après avoir rappelé à d’Aumont que la reine lui avait donné comme seule mission la prise du fort, il quitte les faubourgs de la ville pour se rendre à Crozon à la tête de deux mille hommes et renforcer le siège de la citadelle déjà posé par Molac et du Liscoët. Considérant malgré tout que la prise de Quimper était importante pour la suite des opérations afin de se protéger des Espagnols et Mercœur, il avait laissé à la disposition du maréchal son frère Henry, Thomas Baskerville et le reste des compagnies.
127L’impatience de Norreys était cependant un peu prématurée car le fruit était mûr. Quimper se rend le 11 octobre après trois jours de siège seulement, sans véritables combats et sans que le canon batte les murailles. La ville et ses habitants bénéficièrent de la mansuétude du maréchal. Celui-ci s’opposa même aux Anglais, « gens fort cupides » dit le chanoine Moreau, qui réclamaient leur droit de pillage : « le roi n’avait que faire de villes désertes ».
128Comme pour Morlaix, l’acte de reddition garantissait que l’exercice de la religion catholique serait seul toléré en la ville, et les charges d’officiers réservés aux seuls catholiques. Les officiers en place garderont leurs charges, les actes de guerre seront apurés, les impôts payés à Mercœur seront acquittés par le roi ; les gens de guerre sortiront « avec leurs armes et équipages, bagages et chevaux, la mèche allumée, leurs tambours et enseignes, lesquels néanmoins ils pourront arborer et battre le tambour à demi-lieue de ville ». Aucune garnison ne devait être placée en la ville, à la grande colère de Norreys. Cela n’empêcha pas le maréchal, malgré ses promesses, de lui en imposer une quelques jours plus tard, et de taxer les habitants de 17 000 écus, y compris les ecclésiastiques, malgré les protestations de l’évêque du Liscoët. « Bref, le maréchal fit tel ménage en ce quartier, dira le chanoine Moreau, qu’on le nomma le Guéret de la Cornouaille ; aussi appelait-il lui-même le pays son Pérou, où il avait trouvé des mines d’or et d’argent. »
129Pendant ce temps, Norreys renforçait le blocus du fort et organisait le déchargement de l’artillerie apportée dans la baie par la flotte anglaise : quatorze canons s’ajoutèrent aux deux couleuvrines fournies par le maréchal. L’opération, rendue difficile par le mauvais temps et la configuration de la côte rocheuse, prit trois jours. Mais l’ennemi restait étrangement passif et ne semblait pas en mesure d’intervenir rapidement.
130Mercœur et d’Aguila étaient encore éloignés de la Cornouaille, empêtrés dans leurs querelles. Après la retraite du général espagnol devant Morlaix, Mercœur s’était résolu à le « laisser faire à sa tête et pure volonté, ainsi qu’il avait accoutumé », et s’était retiré à Nantes pendant qu’on assiégeait Crozon. Passant néanmoins par-dessus ces querelles, et à l’en croire, il avait adressé un gentilhomme à d’Aguila pour trouver le moyen de se remettre ensemble aux champs et faire lever le siège. Mais l’ombrageux hidalgo qui à n’en pas douter, craignait une trahison du duc, préféra ne pas quitter Blavet94. Le maréchal de son côté avait repris avec Mercœur les négociations dans l’espoir d’une trêve déjà proposée et refusée devant Morlaix. Mais cette fois, d’Aumont souhaitait fort la hâter, pense Norreys, afin de rendre inutile le voyage de Montpensier dont il était fort jaloux et que l’on annonçait toujours en route pour la Bretagne.
131Après avoir laissé Quimper à la garde de ses habitants et d’une forte garnison, et renforcé les défenses de la ville, d’Aumont peut rassembler son armée aussi benoîtement que lion en sa tanière pour venir enfin à Roscanvel y diriger le siège. L’opération quimpéroise, menée sans véritables assauts, avait cependant été meurtrière pour la population et la soldatesque. L’armée du maréchal avait, semble-t-il, apporté avec elle une épidémie indéterminée mais particulièrement mortifère si l’on en croit les registres de la ville :
« Depuis le 11 d’octobre que le maréchal entra en cette ville, jusques au mois suivant, on enterra dans la ville et fauxbourgs dix-sept cents, tous de cette maladie […]. Cette maladie fut encore plus cruelle sur les Anglais que sur les autres, qui, étant logés en la rue Neuve et aux Régaires, mouraient en si grand nombre que leurs gens les enterraient à monceaux dedans les jardins, et n’allaient chercher églises ni prêtres95. »
La mort d’« El Leòn »
132Le fort de Roscanvel était désormais hermétiquement bloqué par terre et par mer. Le temps néanmoins était nécessairement mesuré pour l’armée royale qui opérait dans un environnement encore largement hostile. Elle ne pouvait compter sur l’aide du pays pour réaliser des travaux d’approche mal aisés en raison de la nature du terrain, des éléments de défense de la redoute et de la puissance de feu des assiégés. « C’était une plaine rase où l’on se voyait depuis la tête jusqu’aux pieds, se souvient Montmartin, la difficulté était aux tranchées, car il n’y avait pas plus d’un pied et demi de terre. » Les soldats creusèrent eux-mêmes les tranchées dans un sol pierreux, malgré des sorties meurtrières. Barriques et gabions confectionnés à grand-peine furent les premiers jours très insuffisants pour couvrir les pionniers. Les averses incessantes, la boue des tranchées épuisaient des assiégeants éprouvés par ailleurs, en particulier du côté anglais, par une maladie épidémique. Les désertions se multipliaient. Norreys doit écrire à Burghley pour réclamer une centaine de mineurs et des renforts suffisants pour remplacer cinq cents de ses hommes qui ont déserté depuis le dernier débarquement.
133Après bien des efforts et beaucoup de victimes dans les rangs alliés, les seize pièces d’artillerie sont montés sur leurs plateformes. Elles donnent le 2 novembre à 9 heures. Mais après trois cents coups, le rempart de terre renforcé de « petits et grands bois » résistait toujours. On concentra donc les tirs sur les bastions qui flanquaient le fort. Huit cents autres coups furent tirés sans plus d’effet. Les assauts lancés ces jours-là furent meurtriers pour les assiégeants. Le maréchal donna l’ordre d’entreprendre une mine. Pour tenter d’en ralentir les travaux, les Espagnols, avec un courage et une résolution qui étonna les assaillants, multipliaient les sorties : au cours de l’une d’elle, ils tuent et blessent une cinquantaine d’Anglais, détruisent un canon, et prennent un gentilhomme français qu’ils pendent comme deux autres enlevés auparavant. Une de leurs sorties coûta la vie au sieur du Liscoët96.
134Tandis que d’Aguila et ses galères demeurent à Blavet dans une incompréhensible inaction, l’escadre anglaise de Frobisher constituée de vingt vaisseaux (avec deux mille hommes d’équipage qui constitueront une force terrestre d’appoint), assistée des navires de Sourdéac, resserre son blocus et concentre sur le flanc maritime du réduit le tir de quelques pièces d’artillerie. Mais un fort vent d’ouest obligeait les navires à opérer à distance et à limiter leur canonnade.
135Mieux informé peut-être des intentions de Mercœur, Don Juan se décide enfin à venir au secours de Crozon. Sa passivité pouvait aussi s’expliquer par l’absence de forces navales ibériques suffisamment opérationnelles, voire par une mauvaise volonté de sa troupe mal payée et démunie de ressources. « Les affaires par ici sont en grand péril, faute de subsides » écrit à Philippe II Mendo de Lesdema qui avoue aussi trouver le temps bien long en Bretagne : « un dia es un año ». Les défenseurs du fort étaient assurément de son avis.
136Le 21 octobre, Don Juan se trouve à Auray. Il écrit au roi son maître pour lui annoncer le siège de Crozon, et lui demander des renforts sans lesquels il ne voyait aucune possibilité de secourir la garnison97. Il promet malgré tout à son roi qu’il fera l’impossible pour secourir le fort. Mais le 8 novembre, il n’est encore qu’à Quimperlé. Ses effectifs, cinq mille hommes de pied et deux compagnies de cavalerie98 pouvaient lui permettre de tenter seul la levée du blocus. Il juge cependant plus prudent, et sans doute plus politique, d’appeler Mercœur à l’aide. Ce dernier, loin d’avoir oublié la déconvenue de Morlaix et de plus en plus méfiant, lui aussi, à l’égard des Espagnols dont il découvre jour après jour les véritables desseins, tarde à son tour à engager ses troupes. Mais averti que les défenseurs du fort de Crozon étaient fort pressés, oubliant ses ressentiments, le duc adresse finalement un de ses gentilshommes à Laguila afin de se concerter et trouver le moyen de se remettre ensemble aux champs. Pour l’y convier d’avantage, il lui envoie trois cents cavaliers pour l’assister. Mais ces derniers, voyant la froideur de l’Espagnol « qui ne faisait cas d’eux et qu’il ne prenoit aucune résolution » se retirèrent « pour la plupart, fort mécontents de lui ».
137L’attitude du général espagnol paraît, elle aussi, incompréhensible, et marque la profondeur des griefs entre les deux alliés. Deux mois plus tôt, Mercœur dans un rapport à Philippe II accusait déjà Aguila d’être entièrement responsable de cette situation et demandait au roi « de faire exprès commandement au dit Laguila de changer ses étranges façons de faire et de payer ses soldats mieux que le temps passé ; afin de faire cesser les murmures et malveillances qui procèdent des grands excès et ravages, lesquels il laisse exercer d’heure en autre sur le pauvre peuple ». Après avoir tergiversé, d’Aguila doit se résoudre à marcher seul au secours de son fort qui pendant tous ces vains palabres tenait toujours.
138Mais le 17 novembre, la mine creusée à grand-peine était prête à jouer. L’assaut final se préparait pendant que les canons donnaient toujours. Le temps pressait. La nouvelle que Don Juan marchait sur Locronan à cinq lieues de là aurait même conduit le maréchal à vouloir lever le siège. Mais à en croire l’intéressé lui-même, parfois prompt à s’attribuer le beau rôle dans ses rapports, Norreys ayant manifesté une volonté inébranlable de lancer l’assaut convenu, quoi qu’il en coûte, le maréchal se laissa convaincre. Parce que le maréchal ce jour-là était souffrant et alité, il lui aurait même confié le commandement de toutes les troupes. Mais au vu de leurs relations du moment cela paraît peu probable. Quoi qu’il en soit, le siège est maintenu et le canon continue à battre.
139Prévenu de l’arrivée du renfort espagnol à Locronan, d’Aumont charge Montbarot de lui barrer la route. Ce dernier le bloque à Plomodiern. Les alliés ignorent encore que durant la canonnade, le capitaine Parédès a été tué. Le 17 novembre, vers midi, la mine saute avec un résultat suffisant : l’attaque finale est aussitôt ordonnée. La garnison repousse trois premiers assauts, sauvages et sanglants. Au quatrième, qui dura bien cinq heures, les Gascons de Roumégou entrent en la place, en même temps que les Anglais. Tous les défenseurs du fort sont taillés en pièce, ou se noient en se jetant à la mer. Des trois cent cinquante Espagnols, treize seulement réchappèrent, dit Montmartin, « dont neuf étaient blessés, et les autres cachés contre le précipice ». En marque de respect pour leur courage, le maréchal adressa les rescapés à Don Juan, et fit embaumer le capitaine Parédès avant de l’enterrer avec beaucoup d’honneur. Les Franco-Anglais avaient à déplorer au total entre quatre et cinq cents morts au combat. Du seul côté anglais, on comptait cent vingt à cent trente tués dont cinq capitaines, et près de mille blessés.
140Le maréchal pouvait maintenant se tourner vers Don Juan et lui offrir la bataille. À cette fin, il regroupe ses forces à Crozon. Mais le 20 au matin, il apprend que l’ennemi, refusant le combat, s’est retiré de trois lieues99 avant d’entamer son repli vers Blavet.
141Don Juan tentera maladroitement d’attribuer la responsabilité de cette défaite aux galères qui seraient parties sans vouloir intervenir, et surtout à une erreur de jugement du capitaine Paredès : le fort, tombé quelques heures avant l’arrivée de l’armée espagnole, aurait été perdu par manque de balles et de boulets que le capitaine aurait gaspillés inconsidérément, sans se réapprovisionner en un temps où cela était encore aisé. L’accusation manquait d’élégance, mais était plausible. Moreau se fait aussi l’écho des « balles et munitions qui faillirent aux assiégés […] contraints de faire des carreaux ou quartiers de verges de fer, de pierres, de pièces d’argent de huit réales et autres choses, pour mettre en leurs arquebuses ». Mais l’accusation portée contre ce vaillant capitaine, cachait mal la volonté de Don Juan de minorer les conséquences de son propre manque de décision ou d’audace. Sa remontée vers Crozon avait, il est vrai, été retardée plus de dix jours par la crue des rivières qu’il passa « presque à la nage » et en « construisant des ponts » lorsque les eaux baissèrent. C’est du moins ce qu’il déclare dans une lettre à Philippe II100.
142D’Aumont, qui avait beaucoup à se faire pardonner par Elizabeth, s’empresse de lui annoncer l’heureuse nouvelle, et de louer la vaillance dont ses troupes avaient fait preuve :
« Je ne puis au demeurant, Madame, vous celer le mérite et la valeur des vôtres et combien ils firent vaillamment à l’assaut, pouvant dire avec vérité n’avoir jamais vu soldats aller avec plus de courage et de résolution ni opiniâtrer si long temps sur une brèche, car ils y furent cinq grandes heures toujours aux mains avec les ennemis sans respirer ni prendre haleine. De sorte qu’il ne se saurait mieux faire au monde. Les Français firent aussi fort bien de leur côté qui m’a depuis fait penser mille fois que si ces deux Nations étaient jointes et bien unies ensemble, elles seraient capables d’assujettir tout le reste de l’Europe. Je ne passerai aussi sous silence, Madame, combien nous avons reçu d’assistance et par mer et par terre de Monsieur Le Fourbisseur (Frobisher), Amiral de votre armée navale, tant pendant le siège que le jour même de l’assaut où il fit si bien qu’il était impossible de plus. Il y fut un peu blessé, mais ce ne sera rien101. »
143Après avoir donné ordre de faire raser le fort, d’Aumont retourne à Quimper pour rafraîchir ses soldats. Faisant fi de ses promesses, il en profite pour entreprendre la construction d’une citadelle, au haut de la ville, autour de la tour Bihan. Norreys avait logé une partie de ses troupes au Faou : « Nous avons eu quelques difficultés à les y faire venir en raison de leur faiblesse, écrit-il. Nos malades et blessés qui ont été envoyés à Brest et Conquet reçoivent si peu d’assistance du pays que, aussitôt qu’ils se seront un peu remis, j’ai l’intention de les envoyer chercher pour les accueillir où nos moyens nous le permettront afin qu’ils y soient mieux traités. Mais notre besoin d’argent et de vêtements est extrême102. »
144Don Juan, marri de sa défaite, tentait de s’en consoler en constatant que l’ennemi n’avait pas réutilisé la place à son profit. Il espérait toujours y revenir et reconstruire le fort plus solide encore. Il envisageait aussi d’en construire un second de cette nature à Saint-Nazaire pour apposer définitivement sur la Bretagne le sceau espagnol, ainsi qu’il l’écrit à son roi. Il lui fallait pour cela attendre l’armada et les renforts promis.
145Quant à Mercœur, il dira avoir profité que l’armée franco-anglaise était occupée à Crozon pour « se donner loisir de rassurer le reste de la province (qu’encore se conserve au parti), lequel était prêt de se soulever par ses inconvénients et quasi tous disposés d’entrer en traité avec les ennemis, même pour être cette ville (de Nantes) la principale et qui avait autant besoin de [sa] présence que pas une des autres103 ». C’est ce qu’il fait savoir à Philippe II, de Nantes, le 21 novembre en oubliant volontairement de lui parler de la perte du fort, car celui-ci étant tombé le 17 précédent, il est difficile d’imaginer que Mercœur n’en avait pas encore été averti104.

Plan du fort de Crozon et disposition des forces*, relevés par les soins de sir John Norreys, PRO, 78/34, f° 278 A
* En endossement : novembre 1594, Plan of the ffort uppon the haven of Brest.
Texte des annotations : Inglish trenches/The Batterie/The french trenches/french trenches/The counterscape/A/Inglish trenches/The mounte. - This peece playith on the french trenches/B/37 foot thik in the topp/toe pikes large/The entrenchments/the corps de garde/the Howse/the munition house. - The Bastion marked with A is 27 passes in the front. - The Bastion B is tenn passes. - The mayne Courtayne is about 30 passes. - The assault was at the Bastion A.
Notes de bas de page
1 A. de Barthélemy, Documents inédits…, p. 152.
2 Forme bretonne de Paimpol.
3 BL, Stowe 166, f° 124.
4 Elle n’avait pu oublier le péril qu’avait fait courir à son père, Henri VIII, le débarquement de troupes françaises sur cette île de Wight en 1545.
5 Sourdéac, Fragments des Mémoires…, BnF, fr. 3861, f° 263 v°.
6 BL, Stowe 166, f° 51, doc. no 41 des Preuves en annexes.
7 PRO, SP 78/30, f° 15, id., doc. 39.
8 PRO, SP 78/33, f° 98.
9 PRO, SP 78/32, f° 191.
10 PRO, SP 78/32, f° 178, lettre du 8 octobre. Doc. 61 des Preuves en annexes.
11 J. Pichart, édition A. Rolland.
12 PRO, SP 78/32, f° 168.
13 Ibid., f° 177.
14 Ibid., f° 192.
15 Ibid., f° 185. Lettre du 10 octobre.
16 AD 22, 2 E 530.
17 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 202, p. 24-27. Mémoire à Philippe II, non daté (fin avril).
18 Henri IV, Lettres…, éd. Berger de Givrey, t. IV, 146-147.
19 Montmartin, « Mémoires de Jean du Mats… », p. ccc.
20 La pointe de Primel, en Trégor, où un fortin avait été aménagé à l’entrée de la rivière de Morlaix.
21 PRO, SP 78/33, f° 214, doc. 67 des Preuves en annexes.
22 Lettre de d’Aumont au roi, 3 juillet 1594. Bibliothèque de l’Institut, fonds Godefroy, vol. 262, f° 131.
23 Du Plessis-Mornay, Mémoires…, p. 174.
24 J. Raison du Cleuziou, Documents inédits…, p. 112-113.
25 J. Pichart, Extraits du Journal…, col. 1739-1740.
26 PRO, SP 78/33, f° 183.
27 Henry IV, Lettres…, éd. Berger de Xivrey, t. IV, p. 117.
28 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 207, p. 30, et abbé Ch. Robert, « Les États de Bretagne à Vannes », BAB, t. XVII, 1899, p. 180-181.
29 PRO, SP 78/33, f° 236.
30 PRO, SP 78/33, f° 7, 56. Jean Pichart a détaillé cette querelle qui se déroule à Rennes, les 23-24 janvier 1594. Elle est différemment rendue dans Dom Morice et dans l’édition A. Rolland. Ni l’un ni l’autre n’évoque la main à l’épée, mais la pique avait été violente. Malgré une certaine volonté de Montbarot de dramatiser le différent en se retirant du conseil avant de donner « ordre d’avertir tous les capitainnes cinquantainniers et dixainniers de faire tenir leurs gens sur leurs gardes, et tous prests avec leurs armes », cela n’avait pas exagérément ému l’opinion rennaise : « Mais pour tout cela, conclut Pichart, le monde ne s’en soucia pas beaucoup n’y ne s’emeut. » (édition A. Rolland.) Sans doute parce que le sénéchal Le Méneut, qui était en tiers, s’était rangé du point de vue du maréchal. Le conflit semble pourtant récurrent puisqu’en avril 1595 « courut un bruit en cette ville [Rennes], que monsieur de Montbarot avoit esté tué à Paris en duel, par monsieur de Chappes fils de monsieur le mareschal d’Aumont » (Journal de Pichart).
31 Lettres du 20 et 21 novembre, Henri IV, Lettres…, éd. Berger de Xivrey, IV, 57-59.
32 Instructions données, le 20 décembre 1593, à John Troughton chargé de préparer une flotte pour se rendre en Bretagne y embarquer les troupes de Norreys, PRO, SP 78/32, f° 366.
33 PRO, SP 78/32, f° 376.
34 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 193, p. 9. Lettre de Mercœur à Philippe II du 14 janvier 1594. Voir aussi la lettre de Minucci à Philippe II, id., doc. 195, p. 11, et le mémoire remis par M. du Vineau, id., doc. 196, p. 15.
35 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 210 et 211, p. 33-35.
36 Mercœur se voit dans le même temps refuser par le pape la nomination de George d’Aradon à l’abbaye Saint-Sauveur de Redon, attribuée à « M. Serafin […] afectionné au service du Roi ». Amelot de La Houssaye, Lettres du cardinal d’Ossat, t. II, Amsterdam, 1732, Lettre LII, à M. de Villeroy, 10 mars 1596.
37 Les doléances de Mercœur à ce propos se multiplient. Voir G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 225, 226, 227, 235, etc.
38 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 228.
39 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 233 (fin novembre 1594).
40 PRO, SP 78/32, f° 392.
41 PRO, SP 78/33, f° 22.
42 PRO, SP 78/33, f° 68-69, doc. no 63 des Preuves en annexes. Mémoire adressé par Sourdéac à l’ambassadeur de France en Angleterre. L’administration anglaise l’a reçu le 26 janvier 1593, style anglais, soit le 5 février 1594. Les affirmations de Sourdéac y sont assez spécieuses.
43 AD 22, 2 E 530.
44 PRO, SP 78/33, f° 185. Instructions à son frère, 14 avril 1594.
45 Instructions données à son frère allant en Angleterre, 14 avril 1594, PRO, SP/33, f° 186 v°.
46 Ibid., f° 184.
47 Ibid., f° 191.
48 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, I, doc. 168, p. 160.
49 Ibid., I, 168, p. 160.
50 PRO, SP 78/33, f° 68, doc. 64 des Preuves en annexes.
51 G. de Carné, ouvr. cité, II, doc. 208, p. 31-32, lettre du 15 mai 1594, après la tenue des États et la réception des « remontrances », ibid., doc. 207, p. 30.
52 Ibid., II, doc. 201, p. 19.
53 Ibid., II, doc. 199 et 200, p. 18-19.
54 G. de Carné, ouvr. cité, II, 204, p. 28.
55 Archivo general de Simancas, Estado-K, legajo 1591, f° 156.
56 Norreys avait levé un premier plan aussitôt qu’arrivé devant le fort. BL, Cotton, Caligula, E IX, f° 276.
57 PRO, SP 78/33, f° 79, 80.
58 Dans une autre lettre, Norreys précise : « Ce matin, j’ai reçu une lettre d’un gentilhomme de la Religion (un certain Queste) qui commande un château [Tonquédec] appartenant au jeune Comte qui est à South Hampton. » PRO, SP 78/33, f° 80. La lettre de Queste est au PRO, SP 78/33, f° 79.
59 PRO, SP 78/33, f° 98.
60 Ibid., f° 198. Lettre du 27 avril 1594. Destinataire non désigné, probablement Lord Burghley.
61 Henry IV, Lettres…, éd. Berger de Xivrey, p. 171. Lettre à M. de Beauvoir, du 17 juin 1594.
62 Il s’agissait seulement de quelques compagnies.
63 PRO, SP 78/33, f° 298.
64 Ibid., f° 309 et 311.
65 Ibid., f° 309.
66 Ibid., f° 331-333.
67 PRO, SP 78/33, f° 331.
68 Ibid., f° 379-380, doc. 72 des Preuves en annexes, et f° 386.
69 Ibid., f° 369.
70 Probablement les châteaux de Carman (ou Kermavan) en Kernilis, et Penhoat en Saint-Thégonnec.
71 Dom Morice, Preuves…, III, col. 1597.
72 Le compte de l’ambassadeur espagnol Mendo de Ledesma, du 30 novembre 1594, porte : « A M. de La Trinité, deux cents écus en plusieurs fois. C’est la personne qui avise S.M. et dont le mémoire contient beaucoup de choses importantes, aussi bien en général qu’en ce qui touche les affaires particulières d’ici », et en marge : « C’est celui qui donne de très bons et très sûrs avis, et nous rend de bons offices auprès du duc dont il est le conseiller. » G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, I, p. xxii.
73 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, I, doc. 222, p. 45-46.
74 Baron de Molac, Fragments d’une histoire du baron de Molac… Voir les Preuves en annexes, doc. 107.
75 AD35, 23 J 57. Un document de cette liasse détaille la quote-part de chaque noble léonard.
76 Requête du seigneur de Mézarnou, RBV, 1860, t. VII, p. 402-403. Elle nous apprend que le sieur de Sourdéac « imposoit quelques dures conditions aux gentilshommes qui l’alloient trouver pour estre receus au service de Sa Majesté ».
77 Dom Morice, III, col. 1598-1601, qui fournit le texte de l’accord et la liste des 75 signataires.
78 Se terme n’est probablement pas ici équivalent à celui de sénéchaussée, qu’on lui attribue souvent. Il semble plutôt désigner une forme de juridiction, ou de droit de police, dont dispose la ville sur ses faubourgs.
79 La forteresse du Taureau commandait l’accès maritime à la ville. Il avait été bâti en 1542-1544 sur la rivière, à l’entrée de la rade, à la suite d’une attaque de la flotte anglaise. Le roi en avait attribué le gouvernement aux Morlaisiens.
80 Dom Morice, Preuves…, III, col. 1601.
81 AD 22, 35 J 27.
82 PRO, SP 78/34, f° 74.
83 Ici le sens est militaire. J. Pichart, Journal…, col. 1742.
84 PRO, SP 78/34, f° 73.
85 Le roi avait reçu de Mercœur une demande en ce sens : « Il m’a fait demander une trefve par la Royne ma belle-sœur et la sienne, qui est par delà, que j’ay refusée. » Henri IV, Lettres…, éd. Berger de Xivrey, 7 octobre, IV, 222-225.
86 PRO, SP 78/34, f° 112, doc. 79 des Preuves en annexes.
87 J. Moreau, Mémoires…, éd. Le Bastard de Mesmeur, p. 215.
88 PRO, SP 78/34, f° 115.
89 Dom Morice, Preuves…, III, col. 1613-1616.
90 Après le départ de l’armée, il y eut quelques « désordres à Morlaix tant en la ville que au chasteau » (AD 35, C 2914, f° 289), sur lesquels nous ne sommes guère informés.
91 PRO, SP 78/34, f° 129. Doc. 80 des Preuves en annexes.
92 Henri IV, Lettres…, édition Berger de Xivrey, IV, 223.
93 Le chanoine Moreau a raconté en détail ce siège, ouvr. cité, p. 220-267.
94 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, doc. 225, 226, 227, 240.
95 BMS Quimper.
96 La correspondance de Norreys permet de suivre ce siège quasi jour par jour. Voir notamment en annexes les documents no 84 à 88.
97 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 226, 229.
98 Au mois de mai 1594, ces compagnies de cavalerie (180 hommes) apparaissent pour la première fois dans les effectifs, signe d’un changement de stratégie chez les Espagnols et la volonté d’une plus grande autonomie par rapport à l’armée de Mercœur.
99 BL, Stowe 166, f° 159-162.
100 Archivo general de Simancas, GA, leg. 406, f° 109.
101 PRO 78/34, f° 254. Son diagnostic était trop optimiste. Frobisher devait décéder peu de temps après le retour de son navire, le Vanguard, à Plymouth.
102 PRO, SP 78/34, f° 272.
103 G. de Carné, Correspondance du duc de Mercœur…, II, doc. 235, p. 59.
104 À cette époque, Mercœur avait dû recevoir le bref du 9 septembre 1594 par lequel Clément VIII après l’avoir loué pour sa piété, sa dévotion à l’égard du Saint-Siège, et sa résolution à défendre la religion catholique, l’assure de son assistance pour lui et les siens (BnF, ms. fr. 18704, doc. 19). Les relations de Mercœur avec la papauté sont encore mal connues, mais un tel encouragement ne pouvait qu’influencer d’une façon ou d’une autre le comportement du duc dans la conduite de sa guerre, et dans ses relations avec les Espagnols.
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La Ligue en Bretagne
Ce livre est cité par
- Beuchet, Laurent. (2017) Le cheval au Moyen Âge. DOI: 10.4000/books.pufr.14976
- Micallef, Fabrice. (2014) Un désordre européen. DOI: 10.4000/books.psorbonne.63487
- Aubert, Gauthier. (2015) Révoltes et répressions dans la France moderne. DOI: 10.3917/arco.auber.2015.01.0223
- Beuchet, Laurent. (2015) Le cheval dans le château. Archeopages. DOI: 10.4000/archeopages.951
- Beuchet, Laurent. (2014) De la motte du comte à la forteresse ducale : le château de Guingamp (Côtes-d’Armor). Archéologie médiévale. DOI: 10.4000/archeomed.8224
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