Introduction
p. 9-18
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1L’étudiant est trop souvent réduit à un cliché. Que les souvenirs s’orientent, par exemple, vers la génération dite « sacrifiée » (confrontée au Sida, inquiète de ses conditions d’emploi et de retraite) des années 1990 ou vers la « bôf génération » stigmatisée au lendemain des seventies (voire vers les « héritiers » décrits dans les années 1960), le discours apparaît fréquemment réducteur et l’impression laissée schématique, voire caricaturale. Il faut dire que, malgré les efforts entrepris depuis près d’une vingtaine d’années, l’Université française elle-même connaît mal ses étudiants. D’abord parce que, traditionnellement, ils ne sont guère au centre effectif de son attention. La hiérarchie établie entre les nobles activités de recherche et les triviales charges d’enseignement est encore sensible dans certains secteurs de l’institution. Et la considération des pairs ainsi que les promotions s’obtiennent, pour l’essentiel, on le sait bien, grâce à la notoriété et la fréquence des publications.
2La mission d’enseignement paraît ainsi, à certains égards (en fait sinon en principe), d’ordre relativement secondaire, en particulier aux premiers niveaux du cursus. Le premier cycle a longtemps été vu comme un sas nécessaire, avant que les choses vraiment utiles ne commencent. La diversification des formations et la prise en compte croissante du souci de l’insertion professionnelle n’ont que partiellement transformé cet état de fait. Quant à la vie quotidienne des étudiants, elle échappe très largement à des établissements jugeant parfois encore leur responsabilité limitée au strict plan intellectuel, d’autant que le modèle français est censé s’équilibrer grâce aux opérateurs spécialisés que sont les Centres régionaux des Œuvres. La situation nationale s’avère ainsi tout à fait différente de ce qui s’observe ailleurs en Europe, dans un vaste ensemble allant de l’Autriche à l’Irlande en passant par la Scandinavie, où, de façon bien sûr variée, s’est mieux affirmée l’idée de campus et de vision globale de la communauté universitaire et de ses besoins.
3Cette méconnaissance est aussi celle de la société française. Pas à l’identique, bien sûr, puisque la démarche académique n’y est pas centrale ; elle y serait même plutôt négligée et incomprise. Mais là encore, entre un effet loupe qui prétend généraliser des situations marginales (voir par exemple la médiatisation périodique de la prostitution étudiante) et la myopie qui conduit à ignorer et maltraiter des enjeux majeurs (comme le caractère anti-redistributif du système d’aide sociale dans sa globalité), la connaissance des véritables conditions de vie des étudiants reste trop peu partagée. Il est pourtant raisonnable de supposer un lien entre celles-ci et les chances de poursuivre et de réussir les parcours dans l’enseignement supérieur. Degré de confort du logement, niveau et régularité des ressources, volume de temps disponible pour les études (i. e. libéré des contraintes de transport, des charges domestiques, des activités salariales parallèles) gagnent évidemment à être examinées au regard des exigences du parcours académique.
4C’est pour travailler à ce type d’interrogation qu’a été fondé l’Observatoire de la vie étudiante en 1989 et qu’il a conduit, à partir de 1993, des études originales dont les enseignements manquaient, même aux acteurs les mieux informés. Ce faisant, et d’autant que son apparition survenait au moment de la prise de conscience d’une étape décisive d’accroissement des inscriptions dans l’enseignement supérieur, l’OVE s’est naturellement intéressé aux évolutions de la condition étudiante. à partir de ses travaux, et bien sûr de façon rétrospective. Car en un demi-siècle d’observations plus ou moins parcellaires, les profils et les trajectoires vers l’autonomie adulte des étudiants ont été largement bouleversés. Le fait le plus marquant réside peut-être dans l’allongement de la jeunesse et la place centrale endossée désormais par l’étudiant au sein de sa classe d’âge. Il y a cinquante ans, on dénombrait moins de 300 000 étudiants. à cette époque rayonnaient, aux côtés des fameuses Jeunesses étudiants chrétiennes des jeunesses ouvrières ou rurales au moins aussi influentes, tandis qu’étaient fondés les Foyers de jeunes travailleurs. Aujourd’hui, même dans une petite ville dépourvue du moindre site d’enseignement supérieur (il en reste), la soirée ou le tarif réduit pourront être « étudiants », comme si s’affirmait ainsi désormais le cœur de l’identité juvénile.
5La multiplication par sept des effectifs étudiants s’est accompagnée d’une mutation profonde de leurs situations de vie. S’il fallait, là encore, retenir une seule idée à ce stade de notre propos, c’est bien sûr la diversification des conditions qui s’impose immédiatement. à la relative homogénéité de ces vies de jeunes bourgeois des grandes villes auparavant constatée a succédé désormais une différenciation décisive. Il était déjà réducteur, au milieu des années 1960, de dresser un portrait de l’« étudiant moyen ». La tâche a aujourd’hui perdu tout son sens. Un étudiant ressemble bien peu à un autre étudiant, surtout si le premier est un élève à peine majeur inscrit en section de technicien supérieur, résidant chez ses parents dans une ville moyenne, et l’autre un doctorant étranger dans une grande métropole universitaire, travaillant à temps plein pour assumer une indépendance acquise depuis plusieurs années et éventuellement en charge de famille.
6C’est pour prolonger ces constats, en tirer pleinement les leçons, que l’Observatoire de la vie étudiante a conçu-en se fondant à la fois sur les résultats de ses propres enquêtes et sur les principales observations recueillies antérieurement ou parallèlement à ses travaux-le présent ouvrage, à la fois chronique d’un demi-siècle de vie étudiante et essai sur une nouvelle condition sociale de la jeunesse.
L’ENQUÊTE TRIENNALE DE L’OVE
7Notre principale enquête est notre première source. Cet important panorama a été conçu à partir de trois hypothèses. D’abord la prise en compte de la pluralité des catégories étudiantes, ce qui implique qu’une enquête visant à décrire l’ensemble des effectifs inscrits à l’Université (puis, progressivement, l’ensemble des étudiants et élèves relevant des diverses institutions d’enseignement supérieur), doit interroger un échantillon suffisant pour qu’y soient convenablement représentées les principales sous-populations étudiantes. Ensuite, le fait qu’il importe de s’interroger sur les contraintes extérieures aux obligations studieuses. Le questionnaire adressé aux étudiants doit non seulement permettre une information précise sur les cursus mais aussi sur les ressources et les dépenses, l’agencement de l’emploi du temps et les modalités de la transition entre la jeunesse et l’âge adulte ; en outre, l’échantillon gagne à ne pas se limiter aux étudiants régulièrement présents au cours, autrement dit à inclure les non assidus, quels que soient les motifs de leurs absences. Enfin, la diversification croissante de l’enseignement supérieur et sa sensibilité particulière aux changements économiques et culturels affectant la condition étudiante. La réitération périodique de l’enquête vise précisément à établir, au-delà de l’information ponctuelle, une véritable chronique.
8Les caractéristiques de notre enquête sont dès lors les suivantes : elle a été réalisée cinq fois, tous les trois ans, en 1994, 1997, 2000, 2003 et 2006, le questionnement demeurant stable pour l’essentiel, afin d’autoriser les comparaisons chronologiques. Quelques améliorations de formulation ont cependant été apportées au fil du temps et certaines demandes d’informations devenues inutiles ont été remplacées par des questions devenues plus opportunes, par exemple relatives aux technologies de l’information et de la communication ou à la vie associative. Deux cent cinquante questions permettent ainsi de recueillir, des opinions et surtout une information détaillée et objective sur le milieu d’origine, les conditions de vie, les manières précises d’étudier et les parcours suivis. Dans les types d’établissements où l’assiduité n’est pas impérative, la procédure d’interrogation adoptée est l’envoi postal à l’adresse personnelle ou familiale.
9Depuis 1994, l’enquête est conduite auprès d’au moins un vingtième des inscrits en Université, en sections de techniciens supérieur et en classes préparatoires. En 2006, la proportion a été portée à un quinzième. Bien entendu, tous les étudiants interrogés ne répondent pas, mais le nombre de questionnaires correctement remplis a toujours été très sensiblement supérieur à vingt mille. Il s’élève approximativement à 25 000 en 2006. Pour que l’échantillon final soit aussi représentatif que possible, un redressement se référant aux proportions réelles d’étudiants de tel sexe, telle classe d’âge, tel type d’études, etc., permet de moduler les poids statistiques des réponses afin de neutraliser autant que possible le fait que les catégories d’enquêtés répondent de façon inégale. Ces procédures réduisent la médiocre représentation de certaines sous-populations, en particulier celle des inscrits de 25 ans et plus, à l’emploi du temps souvent très contraint, moins souvent présents sur les campus, et, de surcroît, moins incités symboliquement à répondre parce qu’ils sont moins enclins à faire coïncider leur statut étudiant et leur identité sociale.
10Enfin l’enquête est intégrée au projet Eurostudent mis en place en 1993 par l’European Council for Students Affairs (ECStA). Les participants à ce projet (initialement, quatre pays : Allemagne, Autriche, France, Italie, aujourd’hui près d’une vingtaine) acceptent d’inclure dans chaque enquête nationale un noyau de questions identiques et adoptent un minimum de normes méthodologiques communes afin de rendre possibles des comparaisons internationales.
UN PREMIER BILAN
11Jusqu’à présent, les commentaires se référant à une comparaison entre les résultats obtenus au cours des diverses éditions ont été délibérément limités. En effet, il suffit parfois d’un accident méthodologique – une modification infime dans la façon de poser ou présenter une question, l’incidence subtile d’une conjoncture sur la structure de l’échantillon final, etc. – pour provoquer l’illusion d’un changement. Seule l’accumulation dans le temps de données comparables peut assurer la robustesse des analyses. L’option dominante a donc été, dans une première phase, la prudence. Il n’y a eu d’annonce d’augmentation, diminution ou stabilité de telle opinion, telle ressource, tel comportement que dans quelques domaines où la célérité de l’information était requise par le calendrier des politiques publiques et où les tendances observées apparaissaient suffisamment nettes pour être soulignées sans manquer à la rigueur convenable. Pour réduire les risques de confusion interprétative, être en mesure de distinguer nettement les évolutions durables de variations fugitives, le choix a été fait, en règle générale, d’attendre l’exploitation de l’enquête 2006. Cette patience nous a paru s’imposer d’autant plus que l’enquête 1994 avait un caractère expérimental, « pionnier », et que dans certains domaines il a fallu disposer des données de 1997 pour obtenir des premières observations pleinement intégrables à des traitements comparatifs.
12Cependant si, avant la parution de cet ouvrage, l’Observatoire a peu mobilisé les « ressources chronologiques » de son enquête Conditions de vie, il a en revanche exploité autant que possible ses autres propriétés d’exception : la taille de l’échantillon, la possibilité de croiser les trajectoires scolaires avec les cartes d’identité sociodémographiques et des observations précises sur tous les aspects de la vie quotidienne, enfin l’intégration à un processus de comparaison périodique des observations à l’échelle européenne.
13C’est ainsi que l’OVE a pu apporter plusieurs contributions spécifiques :
- une description inédite et précise de nombreux aspects de la vie étudiante, depuis le mode et le temps de transport jusqu’à l’usage des équipements scolaires en passant par le type de loisirs, le recours aux soins médicaux, les dépenses et les genres d’alimentation, les relations avec la famille, etc.
- une contribution à l’éclairage des types d’études comme « matrices socialisatrices » se distinguant par leur recrutement social et sexuel, leur rang dans les échelles de prestige scolaire et professionnel, les types de trajectoires et de sorties envisageables, les valeurs respectivement concédées aux traditions académiques et à la vie mondaine, et peut-être surtout par le degré de proximité entre vie étudiante et vie studieuse (de la quasi coïncidence en classes préparatoires à la superposition très partielle dans certaines formations universitaires) ;
- un renouvellement de l’approche des « budgets » étudiants soulignant l’importance de la distinction entre le budget stricto sensu correspondant aux ressources monétaires collectées et dépensées par les étudiants eux-mêmes et le budget d’entretien de la vie étudiante géré en partie (fréquemment prépondérante) par la parentèle et l’État ; – un affinement de la typologie des activités rémunérées exercées en cours d’étude et une évaluation de l’incidence des divers types d’activité sur les performances académiques ;
- une contribution à la compréhension des différences de parcours masculins et féminins dans l’enseignement supérieur, à partir de la mise en relation des observations recueillies sur le cursus et des données relatives à l’univers extra-académique (charges domestiques, calendrier conjugal et parental, anticipation des relations entre vie privée et vie professionnelle) ;
- des indications inédites sur la dimension internationale de la vie étudiante, dans trois registres distincts : celui des profils et trajectoires des étudiants étrangers en France, celui de la mobilité des étudiants français, et enfin celui de la comparaison européenne des populations étudiantes, de leurs conditions de vie et de leurs cursus.
L’ENJEU D’UNE CHRONIQUE
14Il est aujourd’hui en notre capacité d’étendre nos analyses à travers le temps. Alors que l’époque est marquée par l’immédiateté et son corollaire, l’oubli, préciser la nature et l’intensité des évolutions s’avère absolument salutaire. Tantôt, l’intuition les exagère, tantôt, la force du présent les rend invisible. S’abstraire des premières impressions, revenir aux faits, organiser méthodiquement leur comparaison est un exercice aussi délicat qu’indispensable pour dégager une vision lucide. En mobilisant les plus sérieuses garanties d’objectivité, en prenant le temps de multiples précautions et vérifications, nous avons ainsi engagé l’examen longitudinal de l’ensemble des données collectées dans le cadre de notre enquête triennale. Et nous l’avons fait en décidant d’aller voir aussi au-delà de nos propres informations, de croiser nos résultats avec les observations collectées et les savoirs élaborés en-dehors de l’OVE. De nombreuses monographies territoriales ou thématiques paraissent chaque année. Des ouvrages plus généraux, sur l’enseignement supérieur, la jeunesse ou la situation économique croisent largement nos problématiques. Et bien sûr, avant et pendant la réalisation de nos propres enquêtes, des organismes tels que l’INSEE, la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) au ministère de l’éducation Nationale ou encore le Centre d’Études et de Recherches sur les Qualifications (CEREQ) ont produit des séries de mesures statistiques indispensables à la connaissance de l’enseignement supérieur et de la place des étudiants dans la société française. Nous avons donc tenu compte du fait que la production spécifique de l’OVE s’insère dans un univers éditorial où elle figure, selon les aspects étudiés, parfois comme élément majeur, parfois comme très modeste composante.
15L’ouverture à des études et recherches débordant les limites de l’enquête OVE s’est manifestée ici dans trois directions : attention portée à des travaux ayant pour objet des populations échappant à notre investigation triennale, par exemple les étudiants qui ont cessé de l’être pour entrer dans le champ de l’insertion professionnelle ; recueil d’observations issues d’approches disciplinaires ou de dispositifs méthodologiques inhabituels à l’OVE ; enfin engagement dans l’analyse d’informations relatives à des périodes antérieures aux travaux et même à la création de l’Observatoire. Le rapport aux dates clés de la démographie étudiante nous taraude depuis longtemps. En effet si on peut grossièrement constater une stabilité des effectifs depuis l’époque de notre première enquête, on ne peut oublier que les 15 années précédentes avaient au contraire vu le nombre d’étudiants accueillis dans les universités passer de 860 000 à près de 1,5 million ; or une telle mutation démographique s’accompagne nécessairement d’une profonde évolution du profil social et du rapport à la tradition académique, de bouleversements socioéconomiques et socioculturels dont il importe de saisir, autant que possible, les processus et les conséquences. En définitive, il nous a paru judicieux de revenir près de cinquante ans en arrière, de mener l’exploration du début des années 1960 à aujourd’hui. Les sixties correspondent en effet à une phase importante dans l’élargissement de l’accès à l’Université, la population étudiante triplant en une décennie. Ces années ont été, chacun le sait, le cadre de mouvements qui ont bouleversé l’Université et la société toute entière. Et c’est dans cette période qu’ont été publiées les enquêtes pionnières sur la condition étudiante, dont naturellement Les Héritiers, premier ouvrage de référence sur le monde étudiant en France, cosigné par Pierre Bourdieu et par celui qui deviendra le premier président du comité scientifique de l’OVE : Jean-Claude Passeron.
16Bien sûr, lorsqu’on remonte assez loin en amont, il faut composer avec des observations moins complètes et des séries statistiques parfois moins stables que celles relatives à la période la plus récente ; les comparaisons précises sont de ce fait plus délicates, les difficultés d’interprétation plus accentuées. Mais la richesse du matériau accessible, la qualité de l’héritage théorique et empirique légué, enfin la compétence et la générosité des chercheurs qui ont bien voulu s’associer à notre entreprise, nous ont permis d’engager et de mener jusqu’au bout ce « chantier » de synthèse pluridisciplinaire couvrant approximativement un demi-siècle.
UN DEMI-SIÈCLE DE VIE ÉTUDIANTE
17L’ouvrage est divisé en deux parties. La première est consacrée au monde étudiant, et à ses relations avec la société française, du début des années 1960 au milieu des années 1990, c’est à dire, schématiquement, jusqu’à la fin d’une période de forte croissance des effectifs et jusqu’à la veille du lancement de l’enquête triennale de l’OVE. Les deux événements ne sont d’ailleurs pas sans liens : l’importance prise par la population étudiante a contribué à stimuler les études la concernant et on peut d’ailleurs rappeler que les premiers travaux de l’Observatoire ont été contemporains de ceux inspirés par un important appel à projet lancé par le ministère chargé de l’enseignement supérieur sur le thème L’Université et la ville.
18Retraçant une première phase, de la fin des années 1950 au début des années 1970, l’historien Didier Fischer insiste en premier lieu sur le bouleversement démographique que connaît l’Université. Tout change. La carte universitaire est transformée. Les pratiques pédagogiques mises en question. Dans une société à la rigidité persistante, le décalage avec l’état d’esprit de la jeunesse stimule une contestation bouillonnante, dont l’acmé révélatrice est Mai 68.
19La transition des années 1970-1980 que décrit la sociologue Valérie Erlich est d’une toute autre nature. La France est frappée par la crise économique. Le chômage devient un phénomène massif. La prolongation des études s’affirme comme une forme ambivalente de réponse, en même temps qu’elle entraîne ce qui sera plus tard qualifié « d’allongement de la jeunesse ».
20Au lendemain du mouvement étudiant de 1986, la France paraît redécouvrir ses universités, nous expose le politiste Olivier Rey. La massification de l’enseignement supérieur franchit un nouveau seuil, quoique de façon différenciée suivant les filières. Le profil des étudiants se diversifie davantage, renouvelant les questionnements sur l’apprentissage de ce « métier » spécifique, sur l’échec en premier cycle et sur le risque de déclassement social des nouveaux diplômés. De nouveaux territoires universitaires émergent, confortés par le plan Université 2000.
21Cette première partie est complétée par une interview de chercheurs apportant, en se référant aux chapitres précédents, un éclairage particulier dans leur domaine d’excellence : les mouvements étudiants, et par des tableaux et graphiques résumant les principales évolutions statistiques identifiées au cours de la période étudiée (et présentant d’ailleurs leurs prolongements dans la décennie suivante, objet de la seconde partie).
22La seconde partie de l’ouvrage se focalise sur une période plus récente et plus brève, du milieu des années 1990 à nos jours. Elle analyse diverses dimensions de la condition étudiante, en privilégiant les approches sociologiques et socioéconomiques, mais, elle n’est indifférente ni au contexte institutionnel, restitué dans son premier chapitre, ni aux mouvements étudiants, éclairés à nouveau par une interview placée en fin de partie.
23Au milieu des années 1990, le pic des effectifs paraît atteint. Un léger fléchissement est même perceptible, relativement compensé par la hausse du nombre d’étudiants étrangers accueillis. Les sociologues Marie Duru-Bellat et élise Verley décrivent les éléments saillants du nouveau contexte. Le « surchômage » des jeunes se confirme, tandis que la nature des emplois évolue sans que ne se réduisent les inégalités. L’allongement de la jeunesse se poursuit, le rôle des familles est conforté. L’offre de formation se diversifie et s’inscrit même, dorénavant, dans un espace européen de l’enseignement supérieur. Les étudiants se « provincialisent » et leurs préférences en termes de cursus évoluent. Mais la massification demeure inégalitaire. La démocratisation de l’enseignement supérieure est ségrégative.
24Ouvrant une série de trois chapitres consacrés à la « vie matérielle » des étudiants, Louis Gruel détaille ensuite les spécificités de l’économie étudiante, qu’il est inapproprié d’aborder suivant les procédures et indicateurs habituels. Quatre types de profils peuvent être distingués. Ceux qui vivent au sein de leur famille sont le plus souvent économiquement dépendants (29 % du total), mais une minorité dispose des ressources personnelles (8 %). Un gros tiers des étudiants réside dans un logement autonome, mais reste financièrement sous la tutelle familiale. Les « émancipés », enfin, représentent 28 % du total. Au-delà sont à prendre en compte les revenus des activités rémunérées et leur incidence sur la réussite studieuse. Si la proportion d’étudiants très pauvres apparaît limitée, parce que les plus pauvres des jeunes accèdent rarement à l’enseignement supérieur, le niveau de vie est sous tension, en raison, notamment, de la hausse du coût des loyers.
25Le logement est le premier sujet développé par Ronan Vourc’h, ingénieur de recherche à l’OVE, à travers, notamment, la distance aux lieux d’études, qui sont inégalement distribués sur le territoire national. C’est à travers notre enquête triennale qu’il a été possible, pour la première fois, d’identifier précisément et d’évaluer la variété des modes de logement étudiants. La décohabitation (le départ du domicile parental, qui concerne plus de 60 % des étudiants) peut se traduire dans un logement privé individuel ou en couple ou en cohabitation. L’habitat peut être loué ou appartenir à la famille ou à un proche voire à l’étudiant lui-même. La résidence collective prend aussi des formes variées. Quant aux modes de transports utilisés, ils sont bien sûr très différents suivant la taille de la ville considérée ou l’âge des étudiants.
26À rebours des idées reçues, les comportements alimentaires des étudiants s’écartent peu des normes traditionnelles, montre Sandra Zilloniz, ingénieur d’études à l’OVE. Comme l’ensemble des Français, les étudiants privilégient massivement le repas à domicile, en semaine comme le week-end. à l’extérieur et notamment à la mi-journée, 60 % des repas sont pris sur des lieux très liés aux études ou au travail, restaurant universitaire, cafétéria ou cantine. Les étudiants qui sautent des repas mènent globalement une vie moins régulière et se sentent moins intégrés à la vie studieuse. Quant à la santé, après avoir rappelé le privilège en la matière de la jeunesse et la situation avantageuse des étudiants au sein de leur classe d’âge, Sandra Zilloniz rapporte les enseignements de notre enquête en matière de consommation d’alcool et de tabac aux variables socioéconomiques et à la situation studieuse. Et elle présente les différences de fréquence de consultations des professions médicales en fonction des mêmes variables.
27Ronan Vourc’h précise ensuite ce qui est su de l’organisation du temps studieux. Les différences suivant les filières apparaissent très marquées. Heures de cours et de travail personnel sont très inégalement accumulées. L’absentéisme se révèle pour sa part en baisse, la motivation des étudiants en hausse. Si le jugement sur les cadres de travail offerts par les établissements apparaît globalement favorable, l’accès à l’information, notamment sur l’orientation et les débouchés, et la disponibilité des personnels administratifs préoccupent cependant les étudiants inscrits à l’Université.
28Les pratiques culturelles et de loisirs ont peu varié depuis 1995, indique le sociologue Philippe Coulangeon. Mais on observe une confirmation du déclin de la lecture et de la culture lettrée traditionnelle par rapport à la télévision et, plus généralement, aux médias de masse dont les étudiants font cependant un usage différencié. Distinctions par l’origine sociale et par les filières d’étude (particulièrement influentes dans un univers où la frontière entre travail et loisir est poreuse) se conjuguent d’ailleurs pour donner à voir des comportements très hétérogènes non seulement en ce qui concerne le type de loisirs culturels mais aussi en ce qui concerne leur place dans l’agenda des étudiants.
29Les parcours académiques des étudiants sont l’objet de la contribution du sociologue Pierre Cam, qui revient sur les phénomènes de réorientations et d’évaporations en premier cycle, et souligne l’attention qu’il faut accorder aux parcours non linéaires. Il rappelle aussi que le poids du passé lycéen pèse très fortement sur les chances de succès à l’Université, d’autant que certaines inscriptions sont effectuées par défaut. Enfin, tout en prenant en compte l’élévation tendancielle du niveau de diplôme, il met en évidence le contraste entre les filières sélectives favorisant l’insertion professionnelle et les filières communes accueillant comme par accident retardataires et refusés.
30Cet éclairage des parcours dans l’enseignement supérieur est logiquement suivi par un regard sur les conditions d’insertions professionnelles. Venant de rejoindre l’IREDU après avoir officié au CEREQ, l’économiste Jean-François Giret rappelle la force du lien avec la conjoncture d’emploi. Mais les retournements ne frappent pas tous les diplômés. Et la réussite académique reste un atout majeur pour signer un CDI. Les étudiants semblent tout à la fois lucides et relativement optimistes quant à leur avenir.
31Dans un dernier chapitre, Olivier Galland, qui préside le comité scientifique de l’OVE, offre une lecture souvent inédite des observations recueillies par l’OVE depuis 1997. En se fondant sur des procédures de construction de variables synthétiques et de traitements multivariés, il montre comment s’articulent conditions de vie, opinions et attitudes, et plus particulièrement comment les étudiants tendent à se caractériser à la fois par leur degré d’intégration à l’institution scolaire et leur degré d’autonomie à l’égard de la famille. Sa conclusion souligne que l’autonomie est associée à de meilleures chances de réussite sous réserve qu’elle ne soit pas dépendante d’un travail rémunéré incompatible avec la disponibilité requise par les études, autrement dit à condition qu’elle soit favorisée par un soutien familial ou public. On pouvait le supposer mais il n’est certainement pas vain de le rappeler, chiffres à l’appui : pour les étudiants issus des classes populaires et de la frange la plus modeste des classes moyennes, plus généralement pour les étudiants qui (fût-ce pour des motifs accidentels) ne reçoivent pas une aide matérielle suffisante de leurs parents, bénéficier ou non d’une bourse est, au moins en début de cursus supérieur, un facteur décisif de réussite ou d’échec.
32Cette seconde partie est, comme la première, suivie d’une interview, en l’occurrence d’Olivier Rey, traçant un aperçu synthétique des relations sociales et politiques nouées entre les étudiants et la société française au cours de ces dernières années.
33Enfin, en guise de conclusion, Louis Gruel retrace les principales lignes de clivage qui traversent désormais la population étudiante, en soulignant en particulier les mécanismes et processus de différenciation associés au type d’études suivies.
Auteurs
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