Propos liminaire
p. 53-54
Texte intégral
1« L’Enquête », les « Enquêtes de Plozévet », l’« Enquête pluridisciplinaire de Pont-Croix », l’« Étude d’ethnologie globale de Goulien » : ce sont là autant d’appellations couramment utilisées pour désigner la démarche initiée dans le Finistère, entre 1961 et 1965, par la Délégation à la recherche scientifique et technique (DGRST), dans le cadre d’une Recherche coopérative sur programme (RCP), à moins qu’il ne s’agisse d’une Action concertée (AC)… Ce flou que l’on peut percevoir dans la manière de désigner l’opération illustre les incertitudes existant à son sujet. Il était donc légitime, dans cet ouvrage consacré aux enquêtes interdisciplinaires lancées en France à partir des années 1960, de présenter ce que fut la première d’entre elles, à la pointe de Bretagne. Si son existence est connue par les traces qu’elle a laissées, les raisons de son montage, le choix de sa localisation et la manière de son déroulement le sont beaucoup moins.
2L’objectif du travail présenté ici est d’apporter quelques éléments d’éclairage sur l’opération qui fut alors menée : en amont, pour tenter de découvrir les motivations qui la firent naître, lors de son déroulement pour connaître quelques modalités de sa mise en œuvre, en aval enfin pour montrer son actualité à travers quelques prolongements qui ont pu lui être donnés.
3Il revenait à Bernard Paillard qui, depuis une dizaine d’année contribue à mieux faire connaître ces enquêtes, de proposer au préalable un état des lieux : de dire les attendus d’une telle démarche, d’en narrer le développement tout en rappelant que des zones d’ombre subsistent, que, par exemple, la raison d’un « tel choix [de Plozévet] demeure encore assez énigmatique ». À cet égard, des arguments ont été évidemment avancés : l’intérêt de l’anthropologie physique pour la luxation congénitale de la hanche observable au pays bigouden, les caractéristiques géographiques et sociales de la commune de Plozévet, les ressources offertes par des archives locales abondantes et bien tenues… Il est vrai que pour en savoir plus, les archives font défaut, ce qui oblige à recourir aux témoignages de ceux qui, à l’époque, participèrent à l’enquête. Pourtant, les décideurs manquent désormais à l’appel pour donner à connaître, au-delà de l’énoncé du projet scientifique et de sa mise en œuvre institutionnelle et administrative, ce qui présida effectivement au choix de Plozévet. Peut-être faudrait-il interroger les manifestations d’intérêt de Robert Gessain, l’initiateur de l’enquête, pour le pays bigouden puisqu’il en fit dès les années 1940, un objectif pour des missions diligentées par le Musée national des arts et traditions populaires (MNATP) ; se demander également si l’exemple ne fut pas donné par l’anthropologie sociale britannique qui, à cette même époque et même avant, se mettait à examiner « les marges celtes – notamment au pays de Galles et en Irlande –, considérées comme relativement isolées et peu développées1 », selon une conception qui ne va pas sans évoquer l’intérêt manifesté par Robert Gessain pour les « groupes homogènes de population qui ont conservé un mode de vie quelque peu ancestral ».
4Si les « patrons » ne sont plus directement accessibles, nombreux sont encore ceux qui travaillèrent à leur instigation : quelques-uns ont accepté de faire un retour sur expérience, de se livrer à l’exercice difficile de l’ego-histoire, d’expliciter rétrospectivement leur démarche du moment, de répondre à des interviews. Ils nous font connaître l’enquête de l’intérieur : certains (Nicole Mathieu, Edgar Morin) devaient assumer la responsabilité de petites équipes de recherche, beaucoup étaient simplement débutants (Solange Skinner-Petit, Alexandre Albenque, Françoise et Donatien Laurent, Bernard Paillard et Christian Pelras), parfois recrutés au hasard d’une relation pour un boulot estival d’étudiant. Les uns et les autres livrent leur expérience du « terrain », entre une mise à distance (à l’hôtel Poupon – chauffé ! – à Pont-Croix) et des efforts d’« intégration » à la société d’accueil du moment, à Plozévet ou à Goulien ; ils disent leurs incertitudes, leurs doutes, leurs difficultés, leurs enthousiasmes ; ils racontent aussi bien les contingences matérielles que les velléités épistémologiques, aussi bien les connivences que les animosités, bref tout ce qui fait la vie ordinaire de la société de chercheurs qui fut constituée pour l’occasion. Ils s’accordent tous pour dire que la démarche leur fut initiatique (Edgar Morin excepté) et que les « observés » furent constamment au centre de leurs préoccupations, une manière peut-être de se dédouaner a posteriori d’un certain nombre de reproches qui furent faits à l’ensemble des enquêteurs. Ce sont là, de toute façon, des matériaux qui s’avèreront utiles pour mieux connaître l’histoire de ces enquêtes…
5Il faut dire qu’elles se terminèrent dans le trouble tant chez les « observateurs » que chez les « observés », un trouble qu’il faudra un jour chercher à mieux cerner. En attendant, et peut-être à la suite d’un exemple venu du Japon (Masahiro Ogino), ces enquêtes recommencent à interroger et leurs résultats, tels qu’ils sont actuellement accessibles, inciter à la réflexion : quatre contributions (François Ploux, Jean-François Simon, Guillaume Sabin et Laurent Le Gall) attestent que le propos est désormais devenu d’actualité.
Notes de bas de page
1 Chevalier S., Edwards J., Macdonald S., « L’Anthropologie de la Grande-Bretagne : une discipline en plein essor », Ethnologie française, volume 37, no 2, 2007, p. 197-212, p. 200.
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