Chapitre IX. Du Dahomey et d’ailleurs : géographie du recrutement
p. 101-109
Texte intégral
« Elles venaient du Dahomey, du Togo, de la Côte d’Ivoire, de Guinée, du Sénégal, de Dakar. Le Soudan était représenté par une unité. Le lointain Niger attendra trois ans avant de prendre part au concours1. »
1Rassembler dans les écoles fédérales des élèves venues des quatre coins de l’Afrique de l’Ouest, de Mauritanie comme du Dahomey, des capitales comme du plus modeste village, afin de les former puis de les envoyer exercer leur métier dans leur région d’origine : tel était le dessein de l’administration. En théorie, l’École de médecine et l’École normale recrutent dans les huit territoires de l’AOF ainsi qu’au Togo, sous mandat de la SDN. À partir de 1944, des candidates d’Afrique Équatoriale Française et du Cameroun sont autorisées à tenter le concours de sages-femmes mais, officiellement, pas celui de l’École normale2. Dans la pratique cependant, des Camerounaises, boursières de leur territoire, deviennent normaliennes : la première, Tristia Eteki, en 1940 ; la dernière, Sarah Kutta, en 1946. La présence des « Aéfiennes » et des Camerounaises renforce, malgré leur petit nombre – vingt admises à l’École de médecine et dix à l’École normale de 1938 à 1957 – le caractère composite des promotions. La diversité est cependant très relative, d’autant que les listes de promotions, qui précisent le territoire dans lequel a été passé le concours, ne livrent que des données partielles.
2En 1935, Suzanne D. entre comme « Ivoirienne » à l’École de médecine. Née dans la petite localité de Diébougou, scolarisée au foyer des métisses de Ouagadougou dans le sud de la Haute-Volta, elle n’a pas connu son père français et porte le nom de sa mère, d’origine peule du Soudan. Suzanne est devenue « ivoirienne » par le rattachement d’une partie de la Haute-Volta à la Côte d’Ivoire en 1932. Cette étiquette informe donc très imparfaitement sur son histoire3. Quant au lieu de naissance mentionné par l’administration, à supposer qu’il soit exact, il ne correspond pas toujours au berceau familial4. Il peut s’agir, par exemple, du poste d’affectation d’un père fonctionnaire comme ce fut le cas pour deux Dahoméennes, nées à Douala parce que leur père travaillait au Cameroun. Dans ces conditions, les entretiens sont une source indispensable pour tenter une géographie du recrutement.
3Il apparaît alors que cinq territoires sur huit – le Dahomey, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Soudan et la Guinée – fournissent l’essentiel des élèves. Bien plus, les jeunes filles du Dahomey sont largement majoritaires sur l’ensemble de la période. Le Soudan, la Côte d’Ivoire et la Guinée participent de façon ponctuelle et irrégulière au recrutement. Le Togo envoie un nombre modeste mais non négligeable de jeunes filles relativement à sa population. Les élèves de Haute-Volta sont peu nombreuses – mais certaines sont reçues au titre de la Côte d’Ivoire ou du Soudan – tandis que le Niger fournit péniblement une petite vingtaine de jeunes filles en quarante ans. Quant à la Mauritanie, elle ne peut s’enorgueillir que d’une sagefemme métisse, Renée Sangaré, diplômée en 1942. Des inégalités profondes existent entre les territoires, qui se réduisent mais ne se comblent pas au fil des années5.
Un « Quartier latin » au féminin6
4Des lendemains de la Première Guerre mondiale à l’indépendance des colonies, la supériorité numérique des Dahoméennes est constante. Ces jeunes filles représentent à elles seules près de 40 % des promotions à l’entrée comme à la sortie des écoles. Cette affluence, très nette dès l’entre-deux-guerres – les Dahoméennes représentent plus du tiers des effectifs –, se confirme dans les années quarante et cinquante. Alors que dans les années vingt les promotions d’élèves-médecins sont composées de contingents équilibrés de Dahoméens, Soudanais, Sénégalais et Ivoiriens, les jeunes filles du Dahomey dominent la section sages-femmes. Elles ne représentent jamais moins de 20 % des admises chaque année, à quatre exceptions près (en 1923, 1930, 1936 et 1954) ; leur part se situe régulièrement entre 30 et 40 % et peut dépasser la moitié d’une promotion comme en 1953 (65 %), ou en atteindre les trois quarts comme en 1927. Une fois admises, dans près de 80 % des cas, elles obtiennent leur diplôme. À la sortie des écoles, si l’on rapporte les effectifs à la population totale des territoires, les Dahoméennes diplômées sont cinq fois plus nombreuses que les Sénégalaises dans l’entre-deux-guerres et encore deux fois plus nombreuses après l’ouverture de l’École normale7. La capacité du système scolaire du Dahomey à produire des sages-femmes et des institutrices, nettement plus importante que celle des autres colonies, s’explique partiellement par l’offre scolaire missionnaire ancienne qui a amorcé de façon significative l’éducation des filles dans ce territoire et par la présence des familles eurafricaines précédemment évoquées.
5Nombreuses et bonnes élèves, les Dahoméennes sont remarquées par les directrices qui les jugent plus mûres, plus assurées, plus organisées dans leurs études. Elles auraient une « personnalité déjà forte », une « assurance », un « je ne sais quoi déjà femme8 ». Mlle Condo, surveillante d’internat dans les années trente, « nomme les Dahoméennes plus souvent que les autres », non seulement « parce qu’elles sont plus nombreuses, offrant ainsi un champ d’observation plus étendu permettant la généralisation », mais aussi « parce qu’elles ont vraiment un caractère typique9 ». Confrontée à cet afflux, l’administration tente de contrôler les candidatures, sans grand succès.
6En 1934, dans le contexte du développement des écoles rurales en AOF, le gouverneur général demande que soit étendue l’éducation manuelle et restreinte la formation des fonctionnaires : « Le Dahomey arrive déjà à une pléthore de candidates pour les rares fonctions ouvertes aux femmes indigènes10. » Ces recommandations visent surtout à contrer les revendications des lettrés dahoméens qui, entre 1927 et 1934, ont réclamé par le biais d’une presse active « des écoles, encore des écoles, toujours des écoles » ainsi que l’équivalence effective des programmes et des diplômes entre colonies et métropole11. La répression fut menée par le lieutenant-gouverneur Jules de Coppet. Des mesures limitant la formation des garçons comme des filles furent décidées, parmi lesquelles le renforcement de l’enseignement ménager. Les effectifs de Dahoméennes admises baissent alors pendant trois années jusqu’au chiffre symbolique d’une reçue en 1936. Ils remontent toutefois l’année suivante, sous le Front populaire. Parallèlement, le jury du concours procède à des redistributions au moment d’établir les listes définitives d’admises, indépendamment des résultats des épreuves12. En l’absence de variation significative du nombre de places au concours, cette politique est justifiée par la volonté de faciliter le recrutement de jeunes filles des autres territoires et de pratiquer ainsi une forme de discrimination positive.
Venues d’ailleurs
7Les Sénégalaises représentent 19 % des admises et 17 % des diplômées des deux écoles sur toute la période. Au début des années vingt, l’administration compte sur les cinq écoles de filles des Quatre Communes pour le recrutement : « L’attention des autorités et du personnel a été appelée sur la nécessité de faire une active propagande auprès des familles pour susciter des candidatures à la section des élèves sages-femmes à l’École de médecine de Dakar13. » La propagande n’est sans doute pas inutile car, pendant les trois premières années de recrutement, le Sénégal n’envoie que deux élèves. L’accès des Sénégalaises est ensuite irrégulier même s’il tend à augmenter. La possibilité pour les filles d’occuper une plus grande variété d’emplois dans cette colonie où se trouvent les services administratifs mais aussi la population européenne la plus importante de la fédération, explique peut-être l’investissement relativement faible dans les études de sage-femme. Par la suite, les Sénégalaises se présentent plus volontiers au concours de l’École normale. Elles contribuent à hauteur de 24 % des admises et de 21 % des diplômées. L’investissement dans les études d’institutrice a pu être motivé par la proximité comme par la personnalité de G. Le Goff, connue des familles de Saint-Louis et de Dakar où elle a enseigné dans les années trente. Et, si le nombre des normaliennes sénégalaises tend à diminuer, c’est en conformité avec l’évolution générale du recrutement14. Pour les Sénégalaises, la poursuite des études représente un choix qui porte beaucoup moins à conséquences que pour les jeunes filles venues du reste de la fédération. Elles sont quatre Soudanaises reçues en moyenne chaque année sur toute la période et proportionnellement aussi nombreuses que les Ivoiriennes, mais l’histoire des élèves de ces deux colonies est très différente.
8Dans l’entre-deux-guerres, avec environ 20 % des admises et des diplômées, le Soudan français se situe loin devant la Côte d’Ivoire qui ne représente qu’un dixième des effectifs à l’École de médecine. La proportion des Soudanaises est singulière car, à la même époque au sein de William Ponty, les garçons du Dahomey et du Sénégal sont, en proportion, nettement plus nombreux que ceux du Soudan et des autres territoires15. Cependant, à y regarder de plus près, les Soudanaises ont un profil bien particulier. Elles viennent en nombre de l’orphelinat de métisses de Kayes, transféré à Bamako en 1923 : 56 % des 91 métisses recensées à l’orphelinat de 1918 à 1934 sont devenues sages-femmes ou infirmières16. Ces jeunes filles sont performantes : 88 % d’entre elles obtiennent leur diplôme au terme de leur scolarité. Le recrutement est cependant très irrégulier et tend à diminuer. Les écoles autres que l’orphelinat peinent à former en continu des candidates susceptibles de réussir le concours. Surtout, rapporté à la population du territoire, le nombre de sages-femmes reste dix fois moins important que pour le Dahomey et cinq fois moins que pour le Sénégal.
9À partir de 1938, les Soudanaises ne représentent plus qu’un dixième des promotions. Elles intègrent alternativement l’une des deux écoles car le système scolaire ne permet pas d’investir simultanément dans les deux institutions. À partir de 1949, les réformes entraînent un tarissement des effectifs de normaliennes. Parce que la scolarisation des filles au Soudan est fragile, la raréfaction des métisses et le relèvement des exigences scolaires font obstacle à la formation de sages-femmes et d’institutrices en grand nombre. L’évolution est inverse en Côte d’Ivoire. Limitée pendant l’entre-deux-guerres et équivalente à cette époque à celle de la Guinée, la présence des Ivoiriennes s’intensifie dans les années quarante.
10Au début des années vingt, 172 jeunes filles en Côte d’Ivoire et 123 en Guinée sont scolarisées au niveau primaire17. Dans ce contexte, l’admission de deux Ivoiriennes et deux Guinéennes à Dakar en 1918 relève de la performance. En l’occurrence, toutes quatre sont métisses. Par la suite, le recrutement est tendanciellement croissant dans le cas de la Côte d’Ivoire, cependant qu’il reste stable pour la Guinée.
11En Côte d’Ivoire, le nombre de fillettes scolarisées au niveau primaire est multiplié par sept entre 1921 et 193418 : ces chiffres rendent possible chaque année la présence à Dakar de quatre à huit élèves, de 1931 à 1935. L’augmentation des admises résulte aussi du rattachement de la plus grande partie de la Haute-Volta à la Côte d’Ivoire en 1932 car ce territoire a multiplié par près de cinq le nombre de filles à l’école primaire entre 1921 et 1925. En 1936, la chute brutale du nombre d’admises (aucune jeune fille n’est reçue cette année-là alors qu’elles étaient huit en 1935) ne correspond pas à une faiblesse du système mais au contraire à l’organisation d’une meilleure formation en amont.
12En effet, un cours d’enseignement primaire supérieur de filles est créé à Bingerville en 1937 pour préparer les candidates à l’École de médecine ainsi que des monitrices de l’enseignement primaire. Les élèves sont recrutées pour deux ans d’études après l’obtention du CEP19. Cet investissement local se retrouve dans les promotions de jeunes filles dans les écoles fédérales pendant les années quarante. La Côte d’Ivoire figure alors en troisième position avec 12 % des admises et 14 % des diplômées. Les Ivoiriennes réussissent aussi en plus grand nombre à l’entrée de l’École normale, sans doute parce que l’EPS de filles de Bingerville, qui a remplacé le cours supérieur en 1939, s’est spécialisée dans la préparation des candidates institutrices20. En 1943, l’EPS présente dix jeunes filles à l’École normale, dont six sont admises.
13D’autres établissements de ce type préparent aux écoles fédérales. Trois des onze premières normaliennes en 1941 sont d’anciennes élèves du Cours supérieur de Lomé21. Frida et Hélène Lawson, Marguerite Thompson sont rejointes quatre ans plus tard par Angèle Venance et Berthe Mensah. Cependant, la rentabilité des EPS dépend elle-même beaucoup du développement de l’enseignement primaire. Ainsi, les EPS de Koulikoro au Soudan, de Conakry en Guinée, de Niamey au Niger ou de Ouagadougou en Haute-Volta pâtissent d’un enseignement primaire embryonnaire. De fait, elles intègrent moins d’élèves dans les écoles fédérales.
14Avec 8 à 9 % des admises et des diplômées sur l’ensemble de la période, la Guinée contribue modestement au recrutement. Surtout, le nombre de reçues est très irrégulier. Les années « grasses » – six élèves reçues en 1932, douze en 1940 –, sont immédiatement suivies d’années « maigres » – aucune admise en 1933, trois en 1941. À partir de 1952, si la Guinée maintient sa position à l’École de médecine, elle n’envoie plus aucune jeune fille à l’École normale. Trois des quatre élèves admises cette année-là à Dakar viennent du Collège moderne de jeunes filles de Conakry qui a succédé à l’EPS en 1949 et devient l’antichambre guinéenne de la section sages-femmes. Les autres territoires – la Haute-Volta, le Niger, la Mauritanie – ne représentent que 2 % des effectifs totaux. Les jeunes filles qui en sont issues et réussissent le concours sont de véritables exceptions.
15Ainsi, l’inadéquation est réelle entre les ambitions affichées et les potentialités locales en matière de scolarisation et de formation professionnelle des filles, plus encore que des garçons22. Le système de recrutement se voulait un moyen de contrôler la production des auxiliaires africains. Or, cette ambition se heurte à la capacité des territoires à préparer puis à rémunérer des diplômées. Si l’on exclut la Mauritanie et le Niger, la progression globale des effectifs dans les années quarante ne permet pas de véritable rattrapage du Dahomey par les autres colonies. L’investissement de proximité des Sénégalaises au sein de l’École normale confirme les potentialités anciennes de cette vieille colonie ; la relative réussite de la Côte d’Ivoire traduit le développement du système scolaire dans les années vingt ; enfin, la Guinée et le Soudan, qui sont aussi les colonies les plus peuplées avec le Niger et la Haute-Volta, révèlent la fragilité de leurs structures scolaires. Non seulement les différences ne se comblent pas à l’échelle de la fédération mais elles se dessinent aussi à l’intérieur de chaque territoire.
Des filles de la côte et du chemin de fer
16Les futures sages-femmes et institutrices font partie des « privilégiées de la ville coloniale » où se concentre le pouvoir et l’activité économique, lieu de vie de la majorité des Européens, qu’ils soient une quinzaine comme à Abomey, un millier comme à Bamako ou plus de 6 000 comme à Dakar dans les années trente23. Les premières fonctionnaires africaines sont nées dans les capitales, dans les villes côtières ou dans les agglomérations situées le long des voies ferrées. Rares sont celles qui viennent de petits villages24. Elles sont familières de la vie citadine depuis leur enfance même si leur naissance dans telle ou telle ville a pu être liée à un séjour temporaire ou à la volonté maternelle d’accoucher sous surveillance médicale25. Si l’accroissement des effectifs entraîne une diversification des lieux de naissance des jeunes filles, la tendance est au renforcement du poids des capitales, des grandes villes et plus généralement des régions côtières.
17Plus du tiers des admises sont nées dans les capitales : à Abidjan ou Bingerville, Porto-Novo, Dakar-Gorée, Bamako, Conakry, Ouagadougou, Lomé, Douala, Brazzaville ou Libreville. La moitié des Ivoiriennes, 40 % des Guinéennes, Sénégalaises, Soudanaises et Togolaises, 30 % des Dahoméennes viennent des capitales. Ces villes ont connu une croissance accélérée dans la première moitié du XXe siècle. Bamako, petit bourg de quelques 400 habitants dans les années 1880, en abrite près de 20 000 en 1933 et environ 70 000 à la fin des années cinquante. Aoua Keita évoque déjà une « petite ville de huit mille habitants » pendant son enfance dans les années vingt26. Près de 40 % des élèves sages-femmes dans l’entre-deux-guerres sont nées dans des villes de plus de 10 000 habitants, dotées des infrastructures scolaires et administratives les plus développées. Les grandes villes côtières sont les principales pourvoyeuses de futures diplômées.
18Près des trois quart des Dahoméennes viennent des villes littorales de Grand-Popo, Ouidah, Cotonou et Porto-Novo. En 1938, onze des douze dahoméennes admises sont nées dans ces agglomérations (mais aussi à Agoué) qui sont les plus importantes du pays (Porto-Novo compte 25 000 habitants en 1934) mais ne représentent en 1937 que 4 % de la population totale du territoire27. Près de 90 % des Dahoméennes sont nées dans la partie Sud du territoire, la plus densément peuplée. Les infrastructures et le contact avec les Européens depuis le XIXe siècle y ont favorisé la scolarisation des filles28. En Côte d’Ivoire, près de 70 % des élèves sont nées sur le littoral lagunaire à Grand-Bassam, Bingerville ou Abidjan, capitales successives de la colonie. Les jeunes filles viennent aussi de villes de moindre importance (Addah ou Grand-Lahou implantées le long de la lagune Ebrié) ou encore d’Aboisso, à 90 kilomètres vers l’est29. Au Sénégal, les trois quarts des effectifs sont nés dans les Communes de plein exercice de Dakar-Gorée, Rufisque et Saint-Louis et sont donc citoyennes françaises.
19Celles qui ne viennent pas des espaces côtiers sont nées pour 12 % d’entre elles à proximité des infrastructures ferroviaires, le long des lignes de chemin de fer ou dans les « cercles de la voie ferrée30 ». Sur la ligne Dakar-Koulikoro au Soudan, Kaolack, Kayes et Bamako sont les villes de naissance les plus importantes, Gossas, Koungheul au Sénégal, Toukoto et Koulikoro au Soudan font figure de centres secondaires. Mahina, localité de naissance d’une jeune fille, est une petite ville tout près de Bafoulabé, proche de la voie ferrée. En Guinée, près de 30 % des élèves sont originaires du Fouta Djalon dont presque la moitié de Mamou ou Dabola, traversées par le chemin de fer. Les Guinéennes sont aussi nées à Kouroussa et Kankan, deux grandes villes de Haute-Guinée situées le long de la ligne achevée en 1913. En Côte d’Ivoire, les élèves viennent aussi d’Agboville ou de Dimbokro, sur la ligne Abidjan-Bobo-Dioulasso. Les autres jeunes filles sont originaires de lieux plus excentrés, d’anciennes cités prestigieuses, capitales commerciales ou politiques des royaumes anciens (Tombouctou, Djenné, Ségou, Nioro, Sikasso au Soudan, Savalou au Dahomey), qui restent des villes moyennes dotées du statut de chef-lieu de cercle et donc de classes ou d’écoles de filles31 ; elles viennent aussi de villes de moindre importance qui concentrent cependant des infrastructures : Koutiala au Soudan, Dédougou et Fada N’Gourma en Haute-Volta, Abengourou en Côte d’Ivoire, Macenta en Guinée forestière, Ziguinchor au Sénégal. Quelques-unes sont nées dans des localités secondaires ou des villages : Diébougou ou Tenkodogo en Haute-Volta, Fatick au Sénégal, Yambering au nord de la Guinée, Tarambali ou Diari dans le Fouta Djalon, Bouna dans l’extrême nord de la Côte d’Ivoire ou Danané à la frontière ouest avec le Libéria. Au Soudan, un quart des jeunes filles sont nées à plus de 300 kilomètres de la capitale. Six d’entre elles ont vu le jour loin du Soudan « utile » : à Néma (aujourd’hui en Mauritanie) Mopti ou Goundam. Les Soudanaises sont ainsi issues d’un milieu plus éloigné des lieux centraux de la fédération que leurs camarades dahoméennes ou sénégalaises. Cependant, les deux Mauritaniennes de Néma sont métisses, ce qui relativise une fois encore la singularité de leur scolarisation.
20Nées en majorité au Dahomey, secondairement au Sénégal, en milieu urbain, sur les littoraux et le long des lignes de chemin de fer, dans des régions relativement « connectées » au monde occidental, les futures auxiliaires africaines avaient plus de chances que d’autres de rejoindre l’école française. Mais le prolongement des études au-delà de l’école primaire requiert par la suite obstination et persévérance pour traverser chaque année l’Afrique de l’Ouest en direction du Sénégal et résister à la formation en internat.
Notes de bas de page
1 Le Goff G., « L’éducation des filles en AOF », Oversea Education. A Journal of educational experiment and research in tropical and sub-tropical areas, vol. XVIII, no 4, juillet 1947, p. 547-563, p. 556.
2 Arrêtés du 11 août 1944, du 21 juillet 1938 instituant une École normale de jeunes filles de l’AOF et du 17 septembre 1940 réorganisant l’École normale de jeunes filles. L’AEF se compose du Congo français (Congo-Brazzaville), de l’Oubangui-Chari (République de Centrafrique), du Gabon et du Tchad. Une candidate camerounaise a été exceptionnellement admise à l’École de médecine en 1937.
3 Suzanne D. (SF 1935-1938), Bamako, 25 mai 2000.
4 Le lieu de naissance est précisé dans les États de filiation, disponibles pour les années 1941 à 1950, à l’exception de l’année 1946 ; dans les dossiers de candidature des élèves et, pour les normaliennes, dans le répertoire des anciennes élèves.
5 Un tableau synthétique des origines géographiques des élèves figure en annexe.
6 L’expression est employée par Mounier E., op. cit., p. 171, pour rendre compte du développement de la scolarisation au Dahomey qu’il visite au printemps 1947.
7 Les populations estimées des différents territoires sont en 1934 : Dahomey : 1,1 million ; Sénégal : 1,6 million ; Niger : 1,8 million ; Guinée : 2,1 millions ; Soudan : 3,7 millions ; Côte d’Ivoire : 3,9 millions. Le Dahomey représente donc environ 8 % de la population totale de la fédération. Gouvernement général de l’AOF, Annuaire statistique de l’AOF 1933-1934, op. cit., p. 19. Les populations de Haute-Volta sont réparties à cette date entre la Côte d’Ivoire, le Niger et le Soudan.
8 Mme Nogue, art. cit., p. 337.
9 Mlle Condo, Rapport cité.
10 Le gouverneur général au directeur des affaires politiques et administratives à Porto-Novo, le 12 juin 1934, AS, O24 (31).
11 La Voix du Dahomey, novembre-décembre 1932, in Coffi Bellarmin C., op. cit., p. 224. Ces revendications ont été portées dès le début du XXe siècle par les « Originaires » des Quatre Communes du Sénégal. Voir Jézéquel J.-H., « Grammaire de la distinction coloniale. L’organisation des cadres de l’enseignement en Afrique occidentale française (1903-fin des années trente), Genèses, no 69, 2007, p. 4-25.
12 Voir le chapitre iv.
13 Rapport à l’appui des statistiques de l’instruction publique, 1920, AS, O30 (31), p. 2.
14 Les élèves qui intègrent le cours normal annexé à l’École normale ne sont pas comptabilisées. Elles sont dans leur quasi-totalité originaires du Sénégal.
15 Bouche D., op. cit. et Jézéquel J.-H., op. cit., p. 42.
16 White O., op. cit., p. 68.
17 La population de la Côte d’Ivoire est estimée à 1,5 million d’habitants en 1920, celle de la Guinée se situe entre 1,8 et 2 millions. La Côte d’Ivoire scolarise donc davantage de filles relativement à sa population mais les effectifs sont, de toute manière, dérisoires.
18 Desalmand P., Histoire de l’éducation en Côte d’Ivoire, des origines à la conférence de Brazzaville, Abidjan, CEDA, 1983, 456 p., p. 268.
19 Gouverneur de la Côte d’Ivoire, arrêté créant à Bingerville un cours d’enseignement primaire supérieur de filles, Abidjan, 17 novembre 1937 et Akoto P. Y., Chroniques ivoiriennes : cent ans d’enseignement en Côte d’Ivoire, Abidjan/Paris, NEA/Nathan, 1987, 2 vol., 256 et 222 p.
20 Desalmand P., op. cit., p. 176 et 298-301. En octobre 1942, un nouvel arrêté mentionne la formation, en 3e année, de monitrices d’enseignement général et ménager, d’infirmières et de dactylographes. AS, O501 (31).
21 Marguerat Y., art. cit., p. 404.
22 J.-H. Jézéquel traite de ce déséquilibre territorial du recrutement au sein de l’École William Ponty. Op. cit., p. 34-55.
23 Kipré P., Les Villes coloniales de Côte d’Ivoire. Économie et société, 1893-1940, Abidjan, NEA, 1985, 2 vol. , 238 et 290 p., t. 2, p. 170-188 et Gouvernement général de l’AOF, Annuaire statistique de l’AOF 1933-1934, p. 21.
24 Le lieu de naissance est connu pour 36 % des admises sur l’ensemble de la période, mais certaines promotions et certains territoires sont mieux renseignés que d’autres : l’information existe pour 80 à 90 % des élèves reçues en 1933 et 1938 ; pour les trois quarts en 1943, 1944 et 1945 et pour 50 % de la promotion entrée en 1934. Après 1948, les renseignements se raréfient, à l’exception de l’année 1952. Sur l’ensemble de la période, les lieux de naissance sont connus pour 46 % des Soudanaises, pour près de 40 % des Sénégalaises et des Ivoiriennes et pour un tiers des Guinéennes et des Dahoméennes.
25 Esther K. (SF 1952-1955) fille de Jeanne K. (SF 1925-1928) précise qu’elle est née à Conakry parce que les sages-femmes avaient la possibilité de se rendre dans la capitale pour accoucher. Conakry, 23 janvier 2002.
26 Keita A., op. cit, p. 15.
27 La population totale de Cotonou, Ouidah, Grand-Popo et Porto-Novo est estimée à 51 000 habitants en 1937 pour un territoire de 1,3 million d’habitants. Annuaire statistique de l’AOF, 1936.
28 Jézéquel J.-H., op. cit. p. 50, évalue à 63,3 % le nombre d’instituteurs diplômés originaires des quatre grandes villes côtières du Dahomey. Les informations sont cependant disponibles pour davantage d’élèves (93 % des 2 200 diplômés) et portent sur une plus longue période (1903-1947).
29 Kipré P., op. cit., p. 173.
30 Les Pontins originaires de ces cercles représentent 41 % du total des diplômés. Jézéquel J.-H., op. cit., p. 51.
31 À l’exception de Djenné, progressivement supplantée par Mopti, privilégiée par les colonisateurs, sur la route qui relie Bamako aux cités de Gao et Tombouctou.
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