Le commerce triangulaire vers les Isles d’Amérique, depuis La Rochelle et par le Canada ou Terre-Neuve, dans le dernier quart du XVIIe siècle
p. 139-173
Texte intégral
Un projet prématuré
1Jacques Mathieu a mis en évidence que, suite à « des conversations » entre le lieutenant général de l’Amérique Alexandre de Prouville, marquis de Tracy, et l’intendant Jean Talon, a émergé l’idée d’un commerce direct entre le Canada et les « Isles ». Tracy a la connaissance de ces deux régions antinomiques et par conséquent complémentaires. Nommé gouverneur général de l’Amérique méridionale et septentrionale, il a longuement inspecté les Antilles avant de débarquer à Québec le 30 juin 1665, suivi, à deux mois d’intervalle, du nouvel intendant1. Il n’y a pas de trace d’un état des besoins que pourraient avoir les Isles pas plus que des avantages qu’en retirerait la Nouvelle-France. Au XVIIIe siècle, les marchandises embarquées au Canada pour les Antilles sont avant tout des farines, vendues moins cher que celles de France et celles en provenance des Middle colonies britanniques. Dans une moindre mesure se trouvent des pois. La morue sèche est toujours présente, au regard de la morue verte. Elle vient combler les cargaisons en période de mauvaise récolte ou de disette. Le bois joue également ce rôle, vendu en planches et en madrier, ou sous forme de petits bois (merrain, bardeaux ou essentes). Les compléments sont composés d’huile de poisson, d’huile à brûler, de carreaux, de briques, de charbon et de bestiaux. Ces derniers, tout comme le bois, occasionnent de réelles difficultés de transport2. En 1665, les conditions sont-elles réunies pour la mise en place d’une telle liaison ?
2Le Canada n’est à cette époque pas capable d’offrir régulièrement aux Antilles une partie de ce qui leur est nécessaire. La paix n’est conclue avec les Iroquois qu’en 1667. L’enfant du pays, Pierre Boucher, rappelle que « la farine est à beaucoup meilleur marché en France et même n’est assuré d’en trouver toujours ici pour son argent ; car s’il venait grand monde de France sans en apporter et qu’il arrivât une mauvaise année pour les grains, comme Dieu nous en garde, ils se trouveraient bien empêchés »3. J. A. Dickinson le confirme, depuis le début de la précédente décennie, le Canada arrive « tant bien que mal à se nourrir sans, toutefois, être à l’abri de disettes »4. Il est illusoire d’imaginer un commerce régulier tant que le pays ne dégage pas de surplus agricoles.
3L’Acadie est restituée à la France au traité de Breda, en 1667. Cependant les Anglais ne quittent les lieux que trois ans plus tard, à l’arrivée d’Hector d’Andigné de Grandfontaine, qui décide de valoriser le site de Pentagoët5. Ouvrir un chemin vers Québec par les rivières Kennebec et Chaudière serait une bonne chose, mais ce lieu est à l’écart d’une route directe. Même chose avec le choix de Beaubassin, sis au fond de la Baie française, à l’époque du gouvernement de Jacques de Chambly, en 1673. Dans un placet adressé à Colbert, les Acadiens proposeront Chedabouctou pour charger le poisson et compléter les cargaisons : « Cette habitation servirait aussi d’entrepôt pour les vaisseaux qui vont de Canada aux Isles de l’Amérique et qui en reviennent parce qu’ils viennent tous reconnaître le cap Canceau qui en est tout proche6. » Le recensement de 1671 souligne la faiblesse du peuplement : 440 habitants7. Or l’Acadie est une pièce importante de ce dispositif. Alors que l’île du Cap-Breton a été abandonnée, essentiellement à cause de l’éloignement de la morue des côtes, obligeant à envoyer des embarcations de fort tonnage ; qu’il en est de même pour le Labrador du fait de l’insécurité qu’y font régner les Esquimaux, seules les côtes acadiennes autorisent, sur le chemin, la pêche sédentaire. C’est déjà un Rochelais, le sieur Bergier, en 1645, qui y avait entrepris un établissement. Jean Talon accorde la concession de l’île Percée en 1672 à Pierre Denys de La Ronde, de Québec, renouvelée en 1676, concession dite « la Grande Barbe ». Elle englobe toutes les côtes depuis le cap des Rosiers jusqu’à Canceau en Acadie (Gaspé, île Percée, île Bonnaventure et baie des Chaleurs). Apparemment, Denys s’associe à Charles Aubert de la Chesnaye pour faire la pêche à la morue, aux marsouins et loups de mer. Il s’agit de relancer la pêche sédentaire, mais l’établissement ne connaît pas un franc succès, ne procure pas de résultats immédiats : en 1678, ne se trouvent à l’île Percée que 5 habitants, 3 à la baie des Chaleurs et autant à Nepisiguit8. Que La Rochelle soit quasiment le seul port à assurer le ravitaillement de l’Acadie n’est pourtant pas indifférent.
4De l’autre bord, les Petites Antilles éprouvent-elles un sentiment de dénuement tel que la solution vienne du Nord ? Hors la sucrerie modèle, si l’on peut dire, de Poincy, qui emploie en 1660 un atelier de 246 Noirs, la population servile reste limitée. En 1664, il y a autant d’esclaves à la Martinique que d’habitants dans la Nouvelle-France, un peu plus de 3 0009. La morue pour les esclaves n’est pas encore au goût du jour. Ceux-ci se nourrissent de cassave avec le manioc, d’ignames, de patates douces, de giraumons ou citrouilles, de pois (fèves) et de viande, ayant pu à certaines époques élever des porcs. D’ailleurs, les planteurs français ont voulu imiter leurs homologues hollandais au Brésil en leur laissant une pièce de terre à cultiver le samedi10. Sans atteindre le niveau de la Barbade, le déboisement a été très précoce. À propos de bois de charpente, « on en a fait une si prodigieuse dissipation, écrit Labat, qu’ils sont à présent très rares, et que ceux qui en ont sur leurs terres les gardent avec soin, ou les vendent bien cher »11. Cependant, avant de faire venir du Canada, il reste à piller les îles voisines, le dominicain montre une expédition en 1700 à la Dominique qui poursuit cet objectif12. Et puis le pétun demeure la culture peuplante par excellence, dont les installations sont sommaires. Si la Guadeloupe connaît un essor rapide des sucreries, la Martinique est très en retard, ce qui préserve encore la forêt13.
5À une conjoncture peu propice s’ajoute l’isolement du Canada une partie de l’année du fait des glaces, cinq mois en moyenne. La navigation sur le Saint-Laurent est très périlleuse. Des six naufrages ou échouages recensés dans le corpus des voyages triangulaires, un navire se brise sur les côtes bretonnes, un autre disparaît aux Açores, mais la Louise-Marie (1688), le Saint-François-Xavier (1691), la Providence (1692) et la Catherine (1695) se perdent dans le fleuve. Les contraintes de calendrier (entre l’embâcle d’un bord et la saison des ouragans de l’autre) et la distance à parcourir entrent dans la balance au regard du profit attendu. Les atermoiements du négoce sont compréhensibles : ce qui aurait pu être le premier voyage triangulaire, dès 1670, est un échec. Alexandre Petit et Daniel Biaille, propriétaires, expédient la Marie de 60 tonneaux à Québec (capitaine Nicolas François). Le 4 novembre, le bâtiment appareille pour les Antilles mais sombre peu après lors d’un orage14. Les premiers voyages ont lieu depuis le Canada parce que l’État royal joue un rôle moteur.
Des conditions progressivement réunies
6Talon envoie dès 1667 un navire de la Compagnie des Indes occidentales aux Isles avec un chargement de saumons, d’anguilles, de morues sèches et morues vertes, de pois blancs et verts, de planches, de merrain, d’huile de loups marins et de petits mâts15. L’idée a trouvé son application avec le Canada pour point de départ. En 1669, l’intendant travaille à la cargaison de trois navires destinés à la Martinique, qui doivent repartir pour la métropole avec du pétun, ce sera chose faite l’année suivante, au vu de la réponse de Colbert16. Désormais (au moins jusqu’en 1679) le ministre ne cessera d’insister pour une mise en place de ce commerce, insérant dans ce système les établissements de pêche sédentaire mais aussi la construction navale, les manufactures de potasse et de goudron, voire le charbon et la bière. Le tout est bâti sur du sable. Selon Jacques Mathieu, le départ de Talon en 1672 sonne le glas de ces entreprises, dans tous les cas depuis la Nouvelle-France. L’intendant a connu des succès économiques grâce aux subventions de l’État royal. Son retour en France coïncide avec le début de la guerre de Hollande et Paris n’a plus les moyens de poursuivre son assistance. Si quelques voyages ont lieu, « ils sont trop rares et le rôle de l’État est trop important pour prétendre à un véritable commerce intercolonial ». Jean Talon a perdu deux de ses vaisseaux, perte de 36 000 livres tournois. et même si Charles Aubert de La Chesnaye, l’un des rares marchands d’envergure de l’époque, continue d’expédier des navires vers les Antilles17, le monde négociant se réduit à peu de chose sur place, incapable de prendre le relais. La Chesnaye a beau avoir participé au moins à 25 voyages depuis La Rochelle comme propriétaire ou comme affréteur, l’absence de capitaux est un obstacle majeur. Pierre Boucher est très clair : « Ce pays ici n’est pas encore propre pour les personnes de condition qui sont extrêmement riches, parce qu’ils n’y rencontreraient pas toutes les douceurs qu’ils font en France : il faut attendre qu’il soit plus habité […]18. » Les moyens matériels sont tout aussi défaillants. La construction navale ne répond pas aux espoirs : éloignement des bois de qualité, rareté des moulins à scie, cherté de la main-d’œuvre, difficulté de transport19. Seule La Rochelle peut mettre en œuvre ce circuit. La mise en place progressive de conditions devenues favorables explique le lent démarrage de ce négoce.
7Jacques Mathieu montre que si la population double sous Talon, la population urbaine diminue, passant de 36,5 % en 1665 à 23 % en 1698. En valeurs absolues, la population rurale, celle susceptible de fournir des surplus en céréales, passe de 2 043 habitants. en 1665 à 7 526 habitants. en 1698. La seconde guerre iroquoise puis la guerre de la Ligue d’Augsbourg causent encore des dégâts, mais bien moindres qu’auparavant. La rougeole de 1687 est plus meurtrière que les Cinq nations. Si certaines seigneuries sont abandonnées, si des terres retournent en friche, s’il faut, certaines années, réimporter des vivres, le Canada ne connaît pas la famine20. En 1679, 21 900 arpents de terre sont mis en valeur21. Certes, les rendements sont bons du fait de terres neuves plus que de techniques qui restent très rudimentaires. À en croire le tableau fourni par Rosario Bilodeau, en 1698, 32 524 arpents de terres arables fournissent 166 978 minots de blé, soit 5,13 minots à l’arpent, chiffre qui ne se retrouvera pas au XVIIIe siècle22. On n’hésite pas à parler de « surproduction chronique » à partir de 167023. L’intendant Jacques de Meulles va dans ce sens en interpellant le ministre en 1682.
8« Il y a quantité de blé, bestiaux et denrées comme saumon, anguille, morue sèche et verte, pois et autres légumes en si grande abondance que la plupart des habitants ne les pouvant consommer et n’en trouvant aucun débit, sont obligés de les garder sans en pouvoir faire d’argent pour en acheter toutes les nécessités. » Le beau-frère de Michel Bégon, intendant à la Martinique, fait le lien quelques lignes après. « Il serait à souhaiter que l’on put établir un commerce de Canada aux Isles. Je sais que c’est l’intention de la Cour mais il est fort malaisé d’y réussir n’ayant ici personne qui soit assez bien dans ses affaires pour l’entreprendre. Il apporterait l’abondance et soulagerait extrêmement les peuples. Et par le débit qu’ils auraient de ce qu’ils recueillent, s’encourageraient à augmenter leurs habitations et même d’en faire de nouvelles. Ils se trouvent dans de très grandes nécessités de tout ce qui vient de France, comme toiles, draps, serges, chapeaux, souliers etc.24. »
9En 1669, revenu en métropole, Talon a obtenu de Colbert une certaine liberté commerciale. Québec est ouverte à tous vaisseaux de France25. À cela s’ajoute la faillite de la Compagnie des Indes occidentales dès 1673. En décembre 1674, le roi accorde à tous ses sujets le libre négoce du Canada et Isles d’Amérique, révoquant les privilèges de la compagnie et réunissant les colonies aux domaines de la couronne. En mai 1675, il afferme ses droits à un prête-nom, Jean Oudiette, qui représente d’anciens membres de la compagnie. Cette ferme du Domaine d’Occident reprend à son compte tous les anciens droits avec en plus le monopole de la vente du castor. Ce monopole est sous-affermé à Charles Aubert de La Chesnaye (on le retrouve). Le Canadien s’entoure lui aussi d’anciens membres de la défunte compagnie. En 1680, cette sous-ferme est réintégrée dans la ferme Oudiette. Le Domaine d’Occident sera incorporé aux fermes générales en 168726. Les contraintes liées à la Compagnie des Indes occidentales ont disparu. Dans le même temps, les établissements anglais en baie d’Hudson se conjuguent avec les opérations de captage des pelleteries depuis Albany pour mettre en péril cette staple commodity canadienne. Diversifier la production et élargir les possibilités d’écoulement de celle-ci apparaissent comme logique voire urgent.
10La situation a également évolué aux Antilles. L’ère sucrière est définitivement lancée. Le contrôle de la production est même vertical avec des raffineries tant à la Guadeloupe qu’à la Martinique. Et lorsque la concurrence est trop visible avec les raffineries métropolitaines, le sucre terré fait l’affaire. Désormais, le besoin en bois est considérable, les sucreries sont xylophages : combustible pour les chaudières, merrains, feuillards, essentes, planches, meubles, cabrouets, charpentes ; la maçonnerie, l’ardoise, la pierre, la tuile ou les bagasses ne peuvent se substituer entièrement à cette consommation, d’autant qu’en plus d’essences d’exportation qui occasionnent un énorme gâchis, les marins ont eux aussi besoin de bois pour réparer, dans le cadre d’un trafic en pleine croissance. Il n’y a pas aux Antilles de réseaux fluviaux ou simplement flottables. « Dans ce milieu primitif, les espèces sont réparties par îlots. […] il n’existe pas de forêts ou de peuplements purs équivalents aux chênaies et hêtraies de l’Ancien Monde, hormis les pins ». Françoise Hatzenberger explique ce phénomène par les ouragans et les tremblements de terre qui ont bouleversé ou anéanti la végétation, à quoi se greffent les cultures sur brûlis des Indiens qui ont abouti à une diversification de la flore et les incendies provoqués lors de descentes flibustières pour anéantir la ressource. D’ores et déjà, les « cinquante pas du Roi » voient la forêt littorale disparaître27. Dans les instructions que reçoit le nouveau gouverneur général des Isles en 1668, un article significatif traite de ce sujet. « En cas que M. de Baas trouve que les habitants des Isles ou aucuns d’eux soient assez accommodés pour entreprendre quelque autre chose que la culture de leurs plantations, comme il n’y a rien qui puisse leur rapporter tant d’avantages que le commerce par mer, il les invitera fortement à le commencer ; et comme ce qui manque le plus dans les Isles et dont on a un plus grand et plus pressant besoin, c’est le bois, tant pour construire des bâtiments de mer que pour faire des vaisseaux et tonneaux propres à mettre les sucres, le Canada en étant tout couvert, et n’y ayant qu’à l’abattre et à le façonner ; et puis le sieur Talon, intendant en ce pays-là, ayant fait savoir à Sa Majesté qu’il voyait une grande disposition aux habitants à en porter dans les Isles ; quelques-uns ayant commencé de bâtir quelques navires pour en faire le commerce, en sorte que la chose est déjà comme engagée. Le sieur de Baas fera tous ses efforts pour obliger les habitants des Isles de faire de leur part le même commerce, comme ceux du Canada le vont entreprendre de la leur ; étant indubitablement certain que s’il est une fois établi, et que la navigation des Isles en Canada et du Canada aux Isles devienne ordinaire, étant aidée comme elle l’est, les peuples de l’une et l’autre colonie ne sauraient manquer de retirer divers avantages considérables de ce trafic mutuel28. »
11La population servile a été multipliée par 3 en vingt ans à la Martinique : en 1684, cette population dépasse les 10 000 individus et plus de 3 000 pour la Guadeloupe. Gabriel Debien, reprenant les suppliques de De Baas, résume la situation « le bœuf manque ! Le bœuf manque »29. Selon l’auteur, il s’agit aussi « d’une plainte concertée, une manœuvre générale pour obtenir la liberté d’importer des vivres étrangers et donc d’exporter des denrées coloniales vers la Hollande surtout ». Le gouverneur général marque bien que les esclaves ne veulent pas des salaisons françaises et qu’il faut continuer d’importer le bœuf irlandais. La réponse ne réside-t-elle pas aussi dans la morue sèche, qui apporte deux fois plus de calories que la morue verte et autant que le bœuf ? Et puis les Noirs sont censés être aussi bons catholiques que les Blancs. Cela tombe bien pour La Rochelle, si les Olonnais voisins ont le sel sur place, des navires conçus pour la pêche et des marins « les plus hardis matelots à la mer », les quelque 80 navires en mesure d’appareiller chaque année se livrent à la pêche errante. La Rochelle demeure un centre financier pour avitailler les navires morutiers, y compris ceux qui ne sont pas de la cité. Et l’inventaire de 1664 montre que sur les 18 terre-neuviers, seuls 6 sont armés pour la morue verte, les autres vont au poisson sec. Les navires qui font la pêche ont tout autant vocation à se rendre aux Antilles. La pêche sédentaire permet en outre d’expédier des marchandises de troc (la troque)30. L’établissement de Denys de La Ronde a résisté à la pression britannique : en 1689, 120 personnes y vivent. En 1682, une autre concession est accordée à une compagnie dite de pêche sédentaire qui se positionne au fond de la baie de Chedabouctou. Parmi les associés se trouvent Bergier, Gautier et Boucher31. Originaires de La Rochelle, ces négociants ont l’habitude des voyages vers l’Acadie. Clerbaud Bergier est le plus intéressant ayant vécu aux Antilles, avant une faillite en 1673, et fait du commerce avec la Nouvelle-Angleterre. L’un de ses associés, Moïse Guillebaud, marchand pelletier de La Rochelle, possède une habitation en société à Saint-Domingue. Dans l’arrêt du Conseil d’État du 28 février 1682, il est stipulé que les associés ont permission de négocier aux Isles comme à Québec, le poisson et l’huile de la pêche ainsi que le bois32.
Le commerce triangulaire depuis La Rochelle
12Le premier élément d’explication réside dans les liens noués entre la Nouvelle-France et l’Acadie d’une part et La Rochelle de l’autre. L’activité de son négoce est d’autant plus remarquable que des armateurs vont s’établir à Québec ou s’allient avec des familles canadiennes. Beaucoup ont séjourné en Nouvelle-France (Antoine et Henry Allaire, Étienne Avril, Gabriel Bernon, Pierre Gaigneur, Jean Gitton père et fils, Antoine Héron et Arnauld Péré). Le négoce québécois, de son côté, est intimement lié (dépendant ?) à La Rochelle : Paul Berry, Louis Leber de Saint-Paul, François Vienney Pachot père, Pierre Peire, Jean Grignon fils et Charles Aubert de La Chesnaye, en même temps « le plus gros propriétaire foncier de son époque »33. Lorsque La Chesnaye s’émancipe de la Compagnie de la Ferme et fonde la Compagnie du Nord ou de la baie d’Hudson, en 1682, parmi ceux qui engagent des fonds se trouvent Antoine Bouchel, François Duprat avec Jean Gitton. Antoine Bouchel et François Duprat possèdent une habitation en Acadie etc. Cette prépondérance est disputée par les Bordelais dans les années 1685-1705 mais Bordeaux ne prendra la première place en tonnage qu’à partir de 1740. Conserver sa place dominante en Nouvelle-France où des réseaux ont été développés tout en se rattachant au commerce des Isles, autrement plus lucratif, obéit à une stricte logique. Le tableau récapitulatif des voyages triangulaires laisse apparaître une quarantaine de négociants, de quoi tirer quelques conclusions, à la lumières des travaux de John Francis Bosher34. D’abord certains négociants très présents dans le commerce antillais ou n’apparaissent pas du tout ou très peu tels Jacques de La Ronde, Antoine-Amariton Briant, l’entreprise Paul et David Bion & Daniel Briant. En revanche, d’autres sont particulièrement bien représentés : Jean Grignon (20 occurrences), Jean Gitton, père et fils (20), Antoine Bouchel (14), François Pachot (11), Antoine Héron (10) ou Samuel Bernon (8), ce qui ne veut pas dire que parmi les personnes moins représentées il n’y ait pas de noms déterminants comme Pierre Gaigneur, Henry Tersmitte ainsi que Charles Aubert de La Chesnaye ou Jean-François Bourdon d’Hombourg. Un clan huguenot, où les alliances matrimoniales sont aisées à établir, forme un bloc avec les Allaire, Pierre Faneuil, Samuel Bernon, Samuel Depont, Nicolas Claessen, Isaac et Abraham Mouchard et les Massiot. Un autre, catholique, regroupe Jean Grignon, Louis Leber de Saint-Paul, Pierre Gaigneur, Arnauld Péré, François Pachot et Étienne Avril. Mais la signature des témoins aux différents mariages montre bien que les relations d’affaires élargissent le champ au-delà des confessions religieuses. L’amitié et la confiance sont des facteurs d’enracinement qui n’excluent pas Bordeaux. En outre, il est possible de se fier à ces sentiments pour étudier les actes de copropriété des navires.
13L’expérience de part et d’autre de l’Amérique ne manque pas, reste à fixer un calendrier et une route. Les résultats ne satisfont guère. Le problème d’une telle étude est que jusque dans les années 1670, les rapports de mer étaient exigés, qui disparaissent ensuite. Or ces rapports, d’une sobriété exemplaire, fournissaient la route, la durée de navigation, les avaries et accidents survenus, et surtout la cargaison embarquée aux Isles, de quoi estimer la valeur des retours. Il faut la perte de chaloupes en pêche et des actes de pirateries pour obtenir quelques bribes de réponse et tout ceci est fort rare. Une partie non négligeable des navires complète ou charge à Bordeaux (29 bâtiments sur 129 soit 22 %, près de 27 % en ôtant les voyages improbables). À en croire Jean Talon, il faut préférer la route septentrionale à l’aller : « observer pour la route qu’allant de l’Est à l’Ouest en partant par le 46° et deux tiers, il est beaucoup meilleur de fréquenter le Nord que le Sud, tant pour profiter des vents qui soufflent plus de cette partie que d’ailleurs, que pour éviter la route des corsaires, les chaleurs et les calmes du Sud »35. La reconstitution de six rapports dont celui du Saint-Pierre, parti en 1689 de Bordeaux, fournit les informations suivantes. Le départ s’effectue plutôt en juin, disons entre mai et juillet. La traversée peut aller jusqu’à deux mois dont deux à trois semaines pour remonter le Saint-Laurent du fait de vents contraires, d’escales forcées, de courants dangereux, de bancs de sables, d’écueils et de brumes. Comme tous les navires allant en droiture, les glaces obligent à un appareillage entre septembre et novembre, en tenant compte d’escales en Acadie ou de pêche sur la route, de façon à arriver entre novembre et janvier aux Isles. Le circuit traditionnel porte les navires à visiter la Martinique puis la Guadeloupe pour finir par Saint-Christophe. Le retour en France a plutôt lieu en avril, bien avant la saison des ouragans, ce type de périple permettant d’arriver aux Antilles au début de l’hiver, bien avant les navires « droituriers ». Raisonnablement, ces voyages triangulaires s’effectuent en moyenne en onze mois. Jacques Mathieu montre ce circuit comme étant « le plus rentable et le mieux adapté aux conditions climatiques »36. Il est possible de réitérer chaque année de telles navigations, le cas est relativement fréquent (22 occurrences)37. Il est au moins loisible de prévoir un voyage en droiture pour Québec ou les Antilles. Dans un cycle de une expédition par an, cette route est parfaitement adaptée. Elle correspond aux attentes des colons et se révèle rentable dans le sens où l’approvisionnement canadien vers les Antilles reste mesuré et complémentaire.
14L’étude des cargaisons laisse à penser que les liens affectifs ne sont pas seuls en cause. Hors les fourrures, les cargaisons de retour n’offrent pas de plus-values. Selon J. S. Pritchard, les retours les plus faibles sont réalisés à Cayenne et au Canada, toujours inférieurs à 100 000 livres tournois parfois à 50 000 livres tournois.38. En revanche, les prix des denrées sont très élevés au Canada, 25 % au-dessus selon les contemporains. Les marchandises embarquées à La Rochelle, trouvées dans 26 états sont sans surprise : du vin, des eaux-de-vie, du bœuf et du lard, des farines, des toiles, du sel, du vinaigre, de l’huile d’olive, des clous et des chandelles avec diverses marchandises sèches, en plus des 12 fusils obligatoires. Aucune mention n’a été trouvée quant aux cargaisons embarquées à Québec sauf allusion à du poisson et à du charbon, à des pois et de la bière. L’intérêt réside donc dans les retours en métropole. Une simulation est possible à partir du rapport de navigation du Lion d’Or (60 tonneaux), qui effectue le voyage en 1673. Les marchandises ont un coût proche de 2 000 livres tournois en prenant le tonneau de vin à 70 livres tournois et le baril d’eau-de-vie à 20 livres tournois Le chargement aux Antilles est indiqué. Les 200 pièces de sucre (à 45 livres tournois la pièce de 340 livres) et les 32 milliers de gingembre (à 10 livres tournois le cent, ce qui est le moindre coût), les 10 pièces d’indigo (à 30 sols la livre) et les 14 balles de coton, offrent de quoi atteindre les 20 000 livres tournois. En soustrayant les taxes et tout ce qui constitue la mise-hors, en imaginant une assurance ou un prêt à la grosse aventure, en comptant même que les marchandises puissent être en partie gâtées, que les sucres aient pu couler, l’opération est d’évidence bénéficiaire.
15Prosper Boissonnade, Étienne Trocmé et Marcel Delafosse, à des niveaux différents, ont travaillé sur le commerce rochelais du XVIe et du XVIIe siècle. La Rochelle, depuis la rétrocession de la Nouvelle-France en 1632 domine le commerce canadien, supplantant les Normands. Paradoxe, Henri Robert, tout en rappelant que jusqu’au traité de Paris la cité aunisienne conserve la première place pour ce commerce, ne cite que 62 voyages entre 1727 et 1740, soit une moyenne de 4,4 voyages en droiture en période de paix. C’est très en deçà de ce qui était envoyé au siècle précédent, nonobstant qu’il s’agit de nombre et pas de tonnage. Dans le dernier quart du XVIIe siècle (1675-1699), Pritchard compte 149 départs de La Rochelle et 74 de Bordeaux. Nous proposons 214 départs de La Rochelle (inclus ceux qui transitent par Bordeaux) pour les mêmes dates et ayant Québec pour destination. Ce chiffre est sensiblement supérieur et, à titre de comparaison, Pritchard donne une jauge de 12 710 tonneaux entre 1680 et 1699. En éliminant les voyages douteux, le seul commerce triangulaire représenterait 12.830 tonneaux pour les deux décennies.
16Selon les rôles d’équipages déposés à l’amirauté de La Rochelle, Marcel Delafosse repère le premier voyage triangulaire vers le Canada puis les Isles en 167739. Il y a le cas de la Providence qui appareille de La Rochelle en 1669, mais accomplit son circuit par Boston. Nous situons donc ce premier voyage en 1672, rapport de mer à l’appui. Delafosse recense 26 voyages de ce type entre 1677 et 1692, Pritchard dénombre 75 voyages entre le Canada et les Antilles au XVIIe siècle, la plupart triangulaires40. Nos recherches, forcément perfectibles, débouchent sur 129 voyages triangulaires entre 1672 et 1700. Il y a beaucoup d’incertitudes à lire les registres de l’amirauté de La Rochelle. Les mentions ne peuvent pas toujours se vérifier. Tel navire qui avait obtenu une autorisation pour telle destination peut être revendu et partir ailleurs ou ne pas partir. Les changements de capitaines engendrent aussi des modifications. Enfin, l’état du navire ou des avaries survenues au moment du départ entraînent l’annulation d’un voyage, tout autant que l’évolution de la situation par temps de guerre. Ne parlons pas des confusions possibles, de la hâte du greffier à indiquer une destination fluctuante, de la volonté des négociants de saisir au dernier moment une opportunité plus favorable d’où de vrais faux voyages, tel celui du Saint-Antoine l’Espagnol en 1668-1669. Pourtant, une fois ôtés les départs suspects, ici 28, la persistance des données montre bien que, sans aide particulière de l’État (quatre cargaisons au départ sont estampillées de la sorte), les voyages triangulaires sont beaucoup plus nombreux que ce qui a été dit : sans doute autour de 100. Bordeaux s’initie elle aussi à ce circuit, mais plus timidement (7 voyages)41. Ce qui est important est la progression du nombre de départs et l’accroissement du tonnage.
1675-1679 | 1680-1684 | 1685-1689 | 1690-1694 | 1695-1699 | |
voyages Δ | 11 | 12 | 24 | 24 | 24 |
tonnage | 1490 | 1920 | 3465 | 3620 | 4250 |
17Il reste à comprendre pourquoi ce commerce atteint son apogée en pleine guerre de la Ligue d’Augsbourg. Une plus grande sécurité sur la route à l’aller (apparemment quatre navires capturés seulement ?) serait l’un des tenants. Mais ce n’est qu’un élément d’appréciation. J. S. Pritchard estime que ce conflit ne voit pas de réel déclin en matière d’approvisionnement de Québec par rapport à l’année exceptionnelle de 1689. Nous avons démontré que le commerce rochelais en direction des Antilles résiste et se fortifie entre 1688 et 169742. Ces voyages triangulaires sont une des composantes de l’application d’une stratégie adaptée à la guerre qui permet tout à la fois de maintenir des liens privilégiés avec la Nouvelle-France, d’offrir d’autres cargaisons aux Antilles en parant au risque de profusion générateur de baisse des prix. Cette navigation est finalement assez rapide d’autant que Saint-Domingue semble exclue de ce circuit, tout comme la Guyane. Versailles ne peut que se féliciter de telles initiatives qui aboutissent à couvrir l’ensemble du monde colonial atlantique en expédiant les mêmes produits nationaux, ou à peu près, et en renvoyant en métropole les cargaisons les plus riches et les plus susceptibles d’être redistribuées en Europe.
Annexe
ANNEXES
I. Tableau récapitulatif des armements

II. Les voyages triangulaires entre 1673 et 1700*














* Archives utilisées : archives départementales de Charente-Maritime : fonds de l’amirauté B 5666 (1665) à B 5696 (1700) ; archives départementales de Gironde fonds de l’amirauté 6B 68 (1680) à 6B 72 (1686) ; les sources en italique sont tirées du dictionnaire de John Francis Bosher, outil indispensable.
III. Les rapports de navigation
Rapport d’Abraham Gosse, capitaine du Saint-Antoine l’Espagnol sur ses voyages à Québec et aux Antilles, 8 février 1670 AD Charente-Maritime : amirauté B 5669 « Aujourd’hui, huitième février de l’an 1670 par devant nous Jean Demirande, écuyer, et en présence du procureur du Roi, a paru en sa personne Abraham Gosse, capitaine du navire nommé le Saint-Antoine l’Espagnol, appartenant à Sa Majesté du port de 200 tonneaux ou environ, lequel a passé serment de nous dire la vérité, nous a dit qu’au mois de juin de l’année 1668, il serait parti dans ledit navire pour aller à Québec, pays de la Nouvelle-France, porter les provisions pour la nourriture des gens de guerre de Sa Majesté […] il serait arrivé au mois de septembre en suivant et (aurait) déchargé lesdites provisions et quelques jours après aurait chargé dans sondit navire quelques pelleteries pour apporter en cette ville. Voulant partir, se serait embarqué pour […] et il serait parti dudit lieu à la fin du mois d’octobre. Aussi, serait arrivé en cette ville au commencement du mois de décembre suivant ; et quelque temps après ledit déchargement, ledit Gosse aurait conduit le navire […].
Et le 28e de mars, ledit Gosse aurait été monter le même vaisseau étant pour faire voyage aux Isles françaises de l’Amérique pour y porter des provisions pour le compte de quelques marchands de cette ville et serait parti de cette côte audit temps et arrivé à l’île de la Martinique le 29 avril en suivant où il aurait déchargé quelque partie des provisions et six passagers qui s’étaient embarqués dans le navire en cette ville ; et dudit lieu aurait été à l’île de la Guadeloupe où il aurait aussi déchargé partie restante des provisions et ensuite arriva-t-il à l’île de Saint-Christophe où ils ont entièrement déchargé les provisions et les fusils qu’ils avaient dans ledit vaisseau. Et il serait demeuré audit lieu jusqu’au 29 juillet en suivant […]. Ils auraient chargé les sucres pour 650 barriques et quelques-unes d’indigo pour le compte de quelques marchands de cette ville. Et seraient partis dudit lieu ledit jour pour s’en retourner en cette côte où ils seraient arrivés le 10 septembre dudit qui est tout ce qu’il nous a dit […]. »
Rapport De Pierre d’Artiagues, capitaine de la Providence sur son voyage à Québec et aux Antilles, 9 septembre 1671 AD Charente-Maritime : amirauté B 5670
« Aujourd’hui, neuvième septembre de l’an 1671 par devant nous Jean Demirande, écuyer, et en présence du procureur du Roi, a paru en sa personne Pierre d’Artiagues de Saint-Jean-de-Luz, capitaine du navire nommé la Providence du port de 70 tonneaux ou environ, Jean Deguiard de Saint-Jean-de-Luz et Jean M. de Bayonne, matelots dans ledit navire, lesquels ont fait serment de nous dire la vérité, nous ont dit qu’ils seraient partis de ces rades dans ledit navire le 18 mai 1669 pour aller en la Nouvelle-Angleterre porter leurs marchandises qu’ils avaient dans ledit vaisseau suivant les connaissements que ledit d’Artiagues aurait signés. Qu’ils seraient arrivés en la Nouvelle-Angleterre au lieu appelé Boston le 11 août en suivant. Auquel lieu, la vente des marchandises ayant été faite, ils auraient ensuite été au cap de Sable à la pêche. [Celle-ci] étant faite, ils seraient partis dudit lieu le 16 janvier de l’année 1670 pour aller à l’île de la Martinique vendre leur pêche et seraient arrivés à la Martinique le 21 février en suivant. Auquel lieu ledit d’Artiagues aurait vendu tant leur poisson que [leurs marchandises] et aurait acheté des sucres moscouades au nombre de 329 pièces tant pipes, barriques et quarts qu’ils auraient pris tant audit lieu de la Martinique qu’à Saint-Christophe, duquel lieu ils en seraient partis pour venir en cette ville le 13 juillet aussi en suivant, où ils seraient arrivés le 3 de ce mois sans qu’il leur soit arrivé [aucun accident]. »
Rapport de François Thibaud, capitaine de l’Espérance de Québec sur son voyage à Québec et aux Antilles, 3 juin 1673. AD Charente-Maritime : amirauté B 5672 Le certificat de présence au port de l’Espérance de Québec (300tx), appartenant à Charles Aubert de La Chesnaye et à Jean Gitton ; du 28 avril 1672, se trouve en B 5671.
« Aujourd’hui, troisième jour du mois de juin 1673, par devant nous Jean Demirande, écuyer, et en présence du procureur du Roi, ont comparu en leur personne, François Thibaud de La Tremblade en Saintonge, capitaine d’un navire nommé l’Espérance, du port de 150 tonneaux ou environ, Yvon Gourdon, dudit lieu de La Tremblade, Henri Quergot d’Audierne en Bretagne (et demeurant) à Brouage aussi en Saintonge, matelots de l’équipage dudit navire. Lesquels, après serment à nous fait de nous dire vérité nous ont dit et rapporté qu’ils seraient partis de ces rades dans ledit vaisseau le 23 de mois de juillet dernier pour aller aux Isles de l’Amérique, et auraient été passer à Québec, pays de la Nouvelle-France, où ils seraient arrivés le 22 septembre en suivant, auquel lieu ils auraient déchargés les marchandises qu’ils avaient dans leur vaisseau, prises en cette ville. Pendant leur séjour audit lieu de Québec, ils auraient perdu trois ancres qu’ils avaient mouillées par le moyen du mauvais temps qu’ils auraient reçu audit lieu. Ils auraient rechargé dans leur vaisseau quelques barriques de pois et de bière pour porter auxdites Isles d’Amérique. Ils seraient arrivés à la Martinique le 22 décembre en suivant où ils auraient déchargé partie desdits pois et bière et auraient été ensuite décharger le restant à la Guadeloupe, auquel lieu puis à Saint-Christophe où ils auraient ensuite été, ils auraient rechargé dans ledit vaisseau le nombre de 475 barriques, 116 quarts, 10 pipes, 8 boucauds, 9 caisses, 1 caisson, 6 tierçons le tout de sucre moscouade, 1 balle de coton, 9 milliers de gingembre et environ 1 quart et 3 petits barils de castor, 65 (cuirs) de bœuf, 10 peaux de veau et de mouton pour apporter le tout en cette ville. Desquelles Isles ils en seraient partis le 2 avril dernier et seraient arrivés en ces rades le 1er de ce mois, qui est tout ce qu’ils nous ont dit, dont duquel rapport, nous avons donné acte audit Thibaud. »
Rapport de Pierre Thomas, capitaine du Postillon de La Rochelle sur son voyage à Québec et aux Antilles, 15 mai 1674. AD Charente-Maritime : amirauté B 5673 Le certificat de présence au port du Postillon (100tx), capitaine Pierre Thomas d’Alvert, appartenant à Isaac Duquerny et Jacques Nicolas, tous deux marchands de La Rochelle, du 6 juin 1673, se trouve en B 5672.
« Aujourd’hui, quinzième jour du mois de mai 1674, par devant nous Jean Demirande, écuyer, et en présence du procureur du Roi, ont comparu en leur personne, Pierre Thomas de cette ville, capitaine du navire nommé le Postillon du port de 100 tonneaux ou environ, Jacques […] et Jean R. charpentier […]. Lesquels après serment par eux fait de nous dire vérité, ce qu’ils nous ont promis, nous ont dit être partis de cette rade […] et seraient arrivés le 11 juillet et auraient déchargé leurs marchandises à Québec pays de la Nouvelle-France. Seraient partis de Québec le 1er octobre et, en voulant saluer, ils auraient tiré en rade quelques coups de canon, Pierre P. dudit lieu de Saint-Jean d’Angély, tonnelier dans ledit vaisseau (aurait été blessé ?), le feu aurait gagné les poudres (avec des dégâts ?). Étant quelques jours après avoir mouillé l’ancre audit lieu, déchargé les marchandises et le 16 novembre en suivant, ils seraient partis pour aller aux Isles d’Amérique ; sont arrivés à la Guadeloupe le 28 décembre et quelque temps après avoir chargé dans leur vaisseau le nombre de 486 pièces de sucre moscouade tant barriques, quarts que caisses, 46 500 livres de gingembre en grenier, 4 balles de coton et de l’indigo, pour le compte de divers marchands de cette ville, ils seraient partis de ladite île le 4 mars pour revenir en cette ville. Faisant leur route, étant à 33 ou 34° de latitude, ils auraient trouvé mauvais temps, qui ventait à tourmente, la mer fort agitée qui aurait fort ébranlé leurdit vaisseau, ce qui aurait causé une voie d’eau […]. »
Rapport de Nicolas Houel, capitaine du Lion d’Or, sur son voyage au Canada et aux Antilles, le 13 mars 1675. AD Charente-Maritime : amirauté B 5674 La visite de officiers de l’amirauté a été effectuée le 8 juin 1674. Le Lion d’Or porte 13 hommes d’équipage (origine : La Rochelle 5 ; Chaillevette 1 ; Bayonne 1 ; Ciboure 1 ; Dieppe 1 ; Avalon 1 ; Palluau en Poitou 1 ; Belle-Île 1, ? 1). Le propriétaires est Thomas Sanceau. La cargaison de départ : 18 tonneaux de vin, 6 tonneaux d’eau-de-vie, 1 quintal de sel, 10 tonneaux de vinaigre.
« Aujourd’hui, treizième jour du mois de mars 1675, par devant nous Jean Demirande, écuyer, et en présence du procureur du Roi, ont comparu en leur personne, Nicolas Houel de cette ville, capitaine du navire nommé le Lion d’Or du port de 60 tonneaux ou environ, Germain Cottoneau de cette ville tonnelier dans ledit vaisseau et Pierre Lonla du lieu de ( ?) en Aunis, matelot dans ledit vaisseau. Lesquels après serment par eux fait de nous dire vérité, ce qu’ils nous ont promis, nous ont dit être partis de ces rades le 11 juin dernier pour aller à l’île Percée, côte de Canada porter les marchandises qu’ils avaient dans leurdit vaisseau où ils seraient arrivés le 18 juillet en suivant. Et quelque temps après, ils auraient déchargé leurs marchandises et pendant leurdite décharge, le nommé Antoine Darmagora du lieu de Bayonne, contremaître dans ledit vaisseau, Joanis Stinard du lieu de Ciboure et Jacques Pévineau de cette ville, matelots dans ledit vaisseau, auraient pris leur chaloupe pour aller à la pêche, laquelle chaloupe ensemble lesdits matelots se seraient perdus avec ledit Chillé, garçon dudit vaisseau du lieu de Dieppe, desquels n’auraient pu savoir des nouvelles si ce n’est du nommé Cottoneau desnommé ci-dessus qui se serait sauvé. Et quelque temps après avoir rechargé dans leurdit vaisseau plusieurs marchandises pour porter à Saint-Christophe, ils seraient partis dudit lieu de l’île Percée le 14 septembre dernier, auquel lieu de Saint-Christophe seraient arrivés le 14 octobre où là ils auraient déchargé leurs marchandises et quelque temps après ils auraient rechargé dans leurdit vaisseau 200 pièces de sucre moscouade tant pipes, barriques que quarts, 14 balles de coton, 10 pièces d’indigo tant barriques, quarts que barils et 32 milliers de gingembre, le tout pour le compte de la Compagnie d’Occident et d’autres marchands de cette ville comme apparaît dans les connaissements que ledit Houel nous a donnés. Ils seraient partis dudit lieu de Saint-Christophe pour venir en cette ville le 14 décembre dernier. Faisant leur route, étant le travers de l’île d’Yeu, ils auraient trouvé un grand vent d’est-sud-est qui ventait à tourmente qui les aurait obligé de relâcher audit l’île d’Yeu où ils auraient demeuré trois jours et, le mauvais temps continuant toujours, ils auraient été contraints de lever l’ancre, laquelle ancre se serait rompue une patte. Voyant ne pouvoir baigner pour venir en cette ville et que le vent était contraire, ils auraient été obligés de venir relâcher à Nantes où ils seraient arrivés le 14 janvier dernier. Et quelques jours après leur arrivée, leur correspondant de ladite compagnie les aurait obligés par les voies de justice de décharger partie de leurs marchandises. Après leurdite décharge faite, ils seraient partis dudit lieu de Nantes le 3 de ce mois pour venir en cette ville où ils y seraient arrivés le 5 dudit. Qui est tout ce qu’ils nous ont dit dont duquel rapport et attestation dudit Houel, nous lui avons donné acte pour lui valoir […]. »
Rapport de Guillaume Rix, capitaine de l’Amitié, sur son voyage à Boston et aux Isles, le 8 avril 1675. AD Charente-Maritime : amirauté B 5674
« Aujourd’hui, huitième jour d’avril 1675, par devant nous Jean Demirande, écuyer, et en présence du procureur du Roi, ont comparu en leur personne, Guillaume Rix du lieu de ( ?) en Angleterre, capitaine du navire nommé l’Amitié du port de 200 tonneaux ou environ, Isaac Vaind de cette ville, pilote dans ledit vaisseau et Edouard Laws dudit lieu de ( ?), contremaître dans ledit vaisseau. Lesquels après serment par eux fait de nous dire vérité, ce qu’ils nous ont promis, nous ont dit être partis de cette ville dans le vaisseau l’Amitié le 22 juin dernier pour aller à Boston autrement Nouvelle-Angleterre, appartenant aux Anglais et de là aux Isles françaises de l’Amérique au désir du passeport de Sa Majesté pour décharger auxdits endroits les marchandises des personnes nommées par les connaissements que ledit Rix a aussi signés. Faisant leur route pour aller audit lieu de Boston, auraient rencontré assez beau temps et seraient arrivés au mois d’août en suivant. Sur la fin d’icelui, après avoir mis 70 jours à leur traversée, où étant ledit vaisseau, auraient entièrement déchargé sa cargaison et auraient séjourné sept semaines pendant lesquelles ils auraient rechargé diverses sortes de marchandises pour porter aux Isles d’Amérique et auraient employé 27 jours à leur traversée dudit lieu de Boston auxdites Isles et seraient arrivés à la Martinique, l’une d’icelles, le 20 novembre dernier où ils auraient déchargé la plus grande partie de leur cargaison. Et après cela, ils auraient aussi été à la Guadeloupe pour décharger le restant de leur cargaison, aux personnes nommées par les connaissements que ledit maître y avait signés audit lieu de Boston. Et après ils seraient allés à l’île de Saint-Christophe où ils auraient chargé des marchandises aussi bien qu’à l’île de la Guadeloupe, lesquelles marchandises qu’ils ont prises aux îles sont 693 pièces de sucre moscouade, tant pipes, barriques, boucauds que quarts, 44 balles de coton, 1 boucaud, 14 barils d’indigo, 2 barriques de carret, indigo et sucre, 5 cuirs. Ils auraient séjourné dans toutes les Isles tant à faire leur décharge que recharger des marchandises ci-dessus spécifiées, […] trois mois au bout desquels ils auraient mis à la voile du lieu de la pointe des Sables où ils étaient pour venir en France, le 13 février dernier. Faisant leur route, étant environ à 28°, un mauvais temps les aurait surpris le second de mars dernier qui a duré quatre jours avec un grand vent d’ouest-sud-ouest qui ventait à tourmente, la mer fort agitée. Ils auraient eu leur voilure […] et leur vaisseau aurait été branlé et aurait reçu pendant tout le temps qu’aurait duré cette tempête plusieurs coups de mer, sur le pont et autres endroits du vaisseau de telle sorte qu’ils appréhendent qu’il y ait des marchandises gâtées et endommagées d’eaux de la mer. Et depuis, ils auraient aussi eu beaucoup de mauvais temps à diverses reprises jusqu’à leur arrivée ici. Ce qui fait que quoique les coups de mer qu’ils ont reçus n’aient pas été si violents que ceux de la première fois, néanmoins ils appréhendent qu’ils n’aient pareillement endommagé les marchandises chargées dans leur vaisseau ; et seraient finalement arrivés ici, à la rade de La Palice le 6 du présent mois. Qui est tout ce qu’ils nous ont dit si ce n’est qu’ils ont oublié de nous dire que lorsqu’ils étaient à la voile pour aller de cette ville audit lieu de Boston, ayant rencontré une caïche anglaise la nuit du quatorzième venant au quinzième du mois d’août dernier, le nommé Richard Scot de Sconderland ( ?) en Angleterre, âgé d’environ 24 ans, matelot dans ledit vaisseau l’Amitié, aurait été sur le pont d’icelui et comme il était imbu d’eau-de-vie et ne pouvant presque se tenir debout, aurait tombé à la mer, par le moyen du roulement dudit vaisseau et d’un assez grand vent qui faisait cours, et ne purent jamais le sauver, étant au milieu de la nuit qui était fort obscure […] dudit navire qui faisait impétueusement son sillage que parce qu’il coula incontinent à fond, selon qu’ils l’auraient appris le lendemain par les gens de l’équipage de la caïche anglaise […]. »
Notes de bas de page
1 Groulx L., Histoire du Canada français depuis la découverte, tome I le régime français, Montréal et Paris, FIDES, 1962, p. 65. Il s’agit bien de 1665 et non de 1664. Le nouvel intendant arrive à Québec à bord du Saint-Sébastien avec le gouverneur Daniel de Rémy, sieur de Courcelle, et 200 soldats. Le même navire ramène le marquis de Tracy en France au mois d’août 1667.
2 Mathieu J., Le commerce entre la Nouvelle-France et les Antilles au XVIIIe siècle, Montréal, FIDES, 1981, p. 172.
3 Boucher P., Histoire véritable et naturelle des mœurs et productions du pays de la Nouvelle-France vulgairement dite le Canada, Paris, Florentin Lambert, 1664, p. 82.
4 Dickinson J.-A. (en collaboration avec Abenon L.-R.), Les Français en Amérique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, p. 53.
5 Fonteneau J.-M., Les Acadiens citoyens de l’Atlantique, Rennes, éd. Ouest-France, 1996, p. 45.
6 CAOM : col. C11 D1, f° 175. 1682.
7 Houdaille J., « Quelques aspects de la démographie ancienne de l’Acadie », Population, 1980, no 3, p. 58-602.
8 La Morandière C., Histoire de la pêche française de la morue dans l ‘ Amérique septentrionale, Paris, Maisonneuve et Larose, 1962-1966, 3 vol. , vol. I, p. 345 et suiv.
9 Elisabeth L., La société martiniquaise aux XVIIe et XVIIIe siècles 1664-1789, Paris, Karthala, 2003, p. 84. ; Pluchon P., Histoire de la colonisation française, Paris, Fayard, 1991, p. 1014.
10 Dutertre J.-B., Histoire générale des Antilles habitées par les François, Paris, T. de Jolly, 1667-1671, 4 vol. , t. II, p. 479.
11 Labat J.-B., Nouveau voyage aux Isles de l’Amérique, Paris, 3e édition, T. Legras, 1742, 8 vol. t. II, p. 100.
12 Ibidem, tome III, p. 227.
13 Hroděj P., « Et le sucre fut : l’apparition de l’or blanc dans la partie française de Saint-Domingue », colloque Techniques et colonies XVIe-XXe siècles, Philippe Hrodej et Sylviane Llinares, dir., Paris, SFHOM, 2005, p. 203-223.
14 Bosher J.-F., Négociants et navires du commerce avec le Canada de 1660 à 1760, dictionnaire biographique, Ottawa, Service des Parcs nationaux, 1992, p. 170.
15 Mathieu J., op. cit., p. 14.
16 Clément P., Lettres, instructions et mémoires de Colbert, Paris, Imprimerie Nationale, 1861-1882, 10 vol. , t. III, p. 512.
17 Eccles W.-J., Canada under Louis XIV 1663-1701, London and New York, Oxford University Press, 1964, p. 54.
18 Boucher P., op. cit., p. 158.
19 Hamelin J., dir., Histoire du Québec, Montréal, éd. France-Amérique, 1984, p. 154.
20 Dickinson J.-A., op. cit., p. 62.
21 Clément P., op. cit., t. III, p. 606.
22 Bilodeau R., dir., Histoire des Canadas, Montréal, Hurtubise, 1978, p. 205.
23 Hamelin J., op. cit., p. 21.
24 CAOM: col. C11A 6, f° 81. Lettre du 12 novembre 1682.
25 Charlevoix P.-F.-X., Histoire et description générale de la Nouvelle-France…, Paris, Giffart, 1744, vol. 1, p. 391.
26 Lévy C.-F., Capitalisme et pouvoir au siècle des Lumières, des origines à 1715, Paris, Mouton, 1969, p. 110. et Dessert D., Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1985, p. 511.
27 Hatzenberger F., « Bois antillais et marines de guerre de l’Ancien Régime », Andrée Corvol, dir., colloque Forêt et Marine, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 471-485.
28 Clément P., op. cit., III2, p. 410.
29 Debien G., Les esclaves aux Antilles françaises (XVIIe-XVIIIe siècles), Basse-Terre et Fort-de-France, Société d’Histoire de la Guadeloupe et Société d’Histoire de la Martinique, 1974, p. 173.
30 La Morandière C., op. cit., p. 301.
31 Ibidem, p. 357.
32 CAOM: col. C11D 1, f° 179.
33 Courville S. et Garon R., dir., Québec ville et capitale, Atlas historique du Québec, Sainte-Foy, Les Presses de l’Université Laval, 2001, p. 82.
34 Bosher J-F., op. cit., 263 p.
35 Cotten S., La navigation et la représentation de la traversée entre la France et la Nouvelle-France d’après les récits de voyage de 1660 à 1760, mémoire de maîtrise, UBS, 2001, qui cite la lettre de Talon du 4 octobre 1665 sur les observations faites sur la navigation entre La Rochelle en Canada.
36 Mathieu J., op. cit., p. 116.
37 Aigle noir 77-78-79 ; Honoré 78-79 et 81-82 et 84-85-86 et 90-91-92 ; Françoise 87-88 ; Saint-Nicolas 89-90-91, Saint-Mathieu 89-90, Pontchartrain 94-95-96 et 98-99 ; Ville-Marie 95-96-97-98 ; Union 97-98 ; Perle 97-98-99-00.
38 Robert H., Les trafics coloniaux du port de La Rochelle au XVIIIe siècle, Poitiers, Société des Antiquaires de l’Ouest, 1960, p. 85.
39 Delafosse M., « La Rochelle et les Îles », Revue d’Histoire coloniale, 1949, p. 239-281.
40 Pritchard J.-S., « The pattern of French colonial shipping to Canada before 1760 », Revue française d’Histoire d’Outre-Mer, 1976, t. LXIII, no 231, p. 189-210.
41 En 1673 : Saint-Simon (80 tx) capitaine Jacques Arnaud ; en 1684 : Saint-Pierre (70 tx) Pierre Le Breton ; en 1687 : Saint-Philippe (80 tx) Philippe Saige ; en1689 : Guillaume (70 tx) Joseph Trébuchet ; Saint-Paul (140 tx) Nicolas Houel ; Saint-Pierre (150 tx) ; en 1691 : Sage, ex-Fleur de Mai (100 tx) Philippe Saige.
42 Hroděj P., « Le commerce rochelais vers les Antilles durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1698) », dans Augeron M. et Duplessis R., dir., Fleuves et Colonies, 33e congrès de la Société d’Histoire coloniale française, La Rochelle, juin 2007, Paris, Les Indes savantes, 2010, p. 203-223.
Auteur
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008