Chapitre IX. Le nouveau creuset marseillais : devenir et diffusion des violences au début du XXe siècle
p. 267-299
Texte intégral
1Le 24 février 1905, la commission relative à « l’insécurité de Marseille » au sein de l’assemblée générale des patentés, après s’être réunie à la Brasserie du Chapitre, rend son rapport à la municipalité de la ville. Les auteurs y déplorent les faits suivants : « La population honnête et laborieuse […] souffre […] de l’insécurité générale qui la met quotidiennement en émoi de par les événements criminels dont elle est victime. La sécurité de notre personne, de notre foyer, de notre commerce, de notre industrie, etc. n’est point assurée ; elle est virtuellement à la merci de tous les vauriens qui pullulent dans notre si charmante cité. Le jour comme la nuit, nos rues, nos promenades, etc. sont livrées à des individus sans aveu, à des désœuvrés, à des maraudeurs, à des apaches de quartier, enfin, à des organisations dangereuses que Marseille, ville essentiellement cosmopolite, abrite impunément »1. À Marseille, ce type de réclamations relève presque d’une tradition : les commerçants du centre-ville usent régulièrement de leur influence pour tenter d’infléchir la répression – trop faible selon eux – qu’exerce la police municipale sur les activités irrégulières ayant cours au centre-ville2. Mais, si la pratique est habituelle, le contenu de ce rapport se révèle plus alarmiste que celui de ses prédécesseurs, à tel point qu’il sert de base à un courrier adressé un mois plus tard au ministre de l’intérieur par le commissariat spécial de la ville3.
2Il faut donc s’interroger à la fois sur les faits dénoncés dans ce rapport, aussitôt rapportés par le commissariat spécial au ministère de l’intérieur, mais également sur le contexte dans lequel cette prise de conscience s’effectue. Les deux précédents chapitres ont mis en évidence une instrumentalisation et une banalisation des actes violents, placés au service d’une économie criminelle de plus en plus visible, qu’elle soit le fait de bandits d’un soir, de nervis, d’apaches ou de bandes organisées. Ce phénomène joue-t-il un rôle dans l’émergence d’un sentiment d’insécurité ? Nous avons été également amenés à montrer la corrélation entre la crise économique qui touche Marseille à la Belle-époque et l’accroissement des infractions contre les personnes et contre les biens qui en résulte : en dehors des jeunes, qui sont les Marseillais responsables de ce phénomène ? Les ouvriers et les immigrés sont-ils, comme dans les années 1880, les principaux acteurs de cette déviance fortement articulée à une conjoncture morose ?
Marseille : une « terre du crime » au début du XXe siècle ?
3À la veille de la Première Guerre mondiale, Marseille s’apparente, pour bien des contemporains, à une « terre du crime »4. Il s’agira pour nous dans un premier temps de nous interroger sur la validité d’une telle réputation.
Marseille dans les statistiques criminelles au début du XXe siècle

Tableau 34 – Nombre d’auteurs d’infractions contre les personnes pour 100 000 Marseillais (1851-1911).
4Le nombre de prévenus de délits contre les personnes pour 100 000 Marseillais connaît un léger recul au tournant du XXe siècle. Cependant, ce retournement de tendance n’est que momentané : l’année 1906 inaugure une nouvelle phase de croissance, entre 1901 et 1906, celle-ci est même brutale. S’agissant des accusés d’infractions contre les personnes, on se souvient que la période 1875-1895 était marquée par un frémissement. Le début du XXe siècle se présente en tous points comme la confirmation de cette tendance. Dès 1896, le taux de 9 accusés de crimes contre les personnes pour 100 000 Marseillais est atteint. À partir de 1896, la criminalité violente a bien franchi un palier à Marseille. La comparaison avec la situation nationale permet une mise en perspective de ces données.

Tableau 35 – Nombre d’auteurs d’infractions contre les personnes pour 100 000 Français (1851-1911).
5La différence la plus remarquable réside non pas dans les tendances mais dans les valeurs des taux. Alors que le nombre de prévenus pour 100 000 Français oscille autour de 140 – atteignant un maximum de 152 entre 1890 et 1900 –, on compte plus de 300 prévenus jugés à Marseille au début des années 1890. Il en va de même pour les crimes : ils plafonnent à 2 accusés pour 100 000 dans la moyenne française, alors qu’ils atteignent 10 accusés pour 100 000 Marseillais dès 1886. Au début du XXe siècle, l’écart séparant le niveau des violences jugées dans les populations marseillaise et française se trouve donc maintenu, voire accru. Confrontons cette singularité marseillaise à la situation d’autres grandes villes françaises, afin de déterminer le rôle de l’urbanisation dans cette situation exceptionnelle.
Département | Accusés | Accusés de crimes contre les personnes |
Bouches-du-Rhône | 23,2 | 7, 5 |
Gironde | 6,5 | 2,4 |
nord | 7 | 4,7 |
Rhône | 10,8 | 3 |
Seine | 10,2 | 2,6 |
Tableau 36 – Nombre d’accusés et d’accusés de crimes contre les personnes pour 100 000 habitants du département en 19015.
6Pour ces quatre départements, le nombre d’accusés de crimes contre les personnes rapporté à la population départementale est supérieur à la moyenne française présentée ci-dessus. Le lien entre urbanisation, industrialisation, et criminalité violente se trouve donc confirmé. En outre, bien que les valeurs présentées dans le tableau ci-dessus correspondent à des départements et non à des villes, il semble que la singularité marseillaise se renforce au début du XXe siècle. En matière criminelle, les Bouches-du-Rhône distancent les autres départements les plus urbanisés et industrialisées, qui affichent pourtant des taux supérieurs à la moyenne. Selon toute vraisemblance – il conviendrait de confronter ces résultats à des travaux plus précis sur des grandes villes : Paris, Lyon, ou Lille –, Marseille serait donc la ville de France où la criminalité contre les personnes serait la plus élevée, comparativement à la population municipale. Ce constat est plus nuancé en matière de délinquance et de délinquance contre les personnes.
Département | Prévenus | Prévenus de délits contre les personnes |
Bouches-du-Rhône | 1 484 | 171,4 |
Gironde | 957 | 168 |
nord | 1 007 ,5 | 179,6 |
Rhône | 1 242 | 120 |
Seine | 962 | 171,3 |
Tableau 37 – Nombre de prévenus et de prévenus de délits contre les personnes pour 100 000 habitants du département en 1901.
7La délinquance contre les personnes n’est pas exceptionnellement élevée dans les Bouches-du-Rhône. Le nord atteint des taux supérieurs. La croissance industrielle y est plus soutenue. En outre, l’alcoolisme, très fréquent dans ce département, exerce un rôle certain sur la violence quotidienne6.
8La violence criminelle des mineurs et l’essor des violences crapuleuses s’inscrivent donc dans un contexte d’accroissement de la criminalité violente sur fond de délinquance élevée.
Une explosion criminelle sur fond de délinquance élevée

Tableau 38 – Nombre d’auteurs de violences mineures, par type de violences mineures, pour 100 000 Marseillais (1851-1911).
9Le maintien d’une délinquance contre les personnes élevée au début du XXe siècle à Marseille s’explique par un accroissement du nombre d’auteurs jugés pour coups. Ils connaissent une forte progression entre 1896 et 1911, passant de 156 à 216, 7 pour 100 000 Marseillais. Leur progression compense la stagnation des auteurs jugés pour rébellions ainsi que la régression des auteurs jugés pour injures. Le début du XXe siècle voit en outre le développement d’une importante violence criminelle à Marseille.

Tableau 39 – Nombre d’auteurs de violences mortelles, par type de violences mortelles, pour 100 000 Marseillais (1851-1911).
10Le taux d’auteurs d’homicides involontaires pour 100 000 habitants présente une certaine stabilité entre 1851 et 1911. Le cas des auteurs de meurtres est bien différent. Alors que leur nombre oscillait entre 0,5 et un peu plus de 4 pour 100 000 Marseillais entre 1851 et 1891 (à l’exception de 1886), il s’élève à 5 dès 1896. Ce sursaut n’est pas isolé : il inaugure une période où le nombre d’auteurs de meurtres rapporté à la population est particulièrement élevé : 5 en 1901, 9,5 en 1906, 6, 7 en 1911. On constate ici encore un apogée en 1906, que l’on peut dès à présent relier à un accroissement des violences crapuleuses déjà étudiées. une tendance similaire affecte le taux d’auteurs d’assassinats. Toutefois, cet accroissement est assez faible, et ne peut conduire à porter des conclusions définitives sur une modification des comportements.
11De 1896 à 1911, c’est donc bien l’essor des violences physiques qui explique l’évolution de la délinquance et de la criminalité contre les personnes à Marseille. Par rapport aux années 1880, la situation a évolué : Marseille apparaît comme une ville où la délinquance contre les personnes est stabilisée, même si elle se situe à un niveau élevé. En revanche, la violence criminelle s’y accroît. D’un point de vue qualitatif, c’est le meurtre qui domine incontestablement la période. Cette tendance est renforcée par une progression notable des assassinats. Bien entendu, les tendances ne doivent pas prendre plus d’importance que les valeurs : au quotidien peu de Marseillais sont concernés par le crime. Néanmoins, il convient d’apporter quelques éléments d’explication à cet accroissement spectaculaire des crimes violents au début du XXe siècle. Le premier d’entre eux réside dans une évolution de l’armement des criminels.
L’avènement de l’arme à feu
12Quelques remarques s’imposent en préalable de l’analyse. D’une part, nous avons considéré comme arme à feu toute « arme comportant un tube à l’intérieur duquel un projectile est propulsé par l’explosion d’une charge provoquée par un système de mise à feu »7. D’autre part, le pourcentage de données inconnues est relativement élevé pour chaque sondage, et il fluctue au cours de la période. En outre, l’immense majorité des infractions contre les personnes sont commises à coups de poing et de pied. Une fois ces précautions prises, l’examen de la base de données montre une progressive affirmation des armes à feu parmi les armes utilisées dans les infractions contre les personnes8. La tendance s’amorce à partir de 1891 (3 %). une accélération se produit au début du XXe siècle : entre 1901 et 1911, le pourcentage d’armes à feu oscille entre 10 et 12 %. Ce sommet, qui marque le début du XXe siècle, correspond également au moment où l’utilisation des armes à feu supplante celle des armes blanches. Après 1901, la suprématie du couteau prend fin. L’évolution des techniques, accompagnée d’un abaissement du coût de fabrication, facilite l’accès du plus grand nombre à ce type d’armes9. En particulier, l’invention de l’arme à répétition en 1847 – qui permet de tirer plusieurs fois sans recharger – est déterminante10. en 1856, les projectiles font l’objet d’une amélioration substantielle : c’est l’invention de la cartouche – réunissant l’amorce, la charge et le projectile – qui simplifie l’usage de l’arme à feu11. Enfin, à partir de la fin du XIXe siècle, la fabrication industrielle des armes entraîne un abaissement de leur prix.
13De fait, à Marseille au début du XXe siècle, les propriétaires d’armes à feu appartiennent pour la plupart aux milieux les moins fortunées. De surcroît, les jeunes sont nombreux à posséder de telles armes. Parmi ceux qui sont jugés aux assises après 1895 pour homicides volontaires – c’est-à-dire pour meurtre –, la plupart ont commis leur crime à l’aide d’une arme à feu. C’est le cas d’Antoine Canale, mouleur âgé de 18 ans, jugé en 1904 pour avoir abattu Joseph Ceccaldi, le 12 mai, rue des Récolettes, de trois coups de revolver12. On peut aussi citer l’affaire qui voit comparaître Maurice Marius, journalier âgé de 22 ans, pour l’assassinat de Baptistin Regouffre, de cinq coups de revolver, le soir du 16 janvier 190613. Les crimes d’Antoine Asperty ou de Charles Picco sont également commis à l’aide d’armes à feu. Les deux accusés, jugés respectivement en 1907 et 1909 par les assises des Bouches-du-Rhône sont âgés de 20 ans, l’un est peintre en bâtiment, l’autre cimenteur14. Ces quatre accusés – dans la mesure où ils exercent réellement le métier qu’ils déclarent au juge d’instruction – appartiennent à des catégories populaires : ils travaillent dans le secteur du bâtiment ou de l’industrie. Toutefois, leurs salaires, mêmes faibles, leur permettent d’acheter une arme à feu : dans leur cas, un revolver. En outre, il convient de ne pas négliger le rôle du marché de l’occasion et celui du trafic, qui permettent de se procurer de telles armes à bon compte.
14Or, ces armes, si elles sont de qualité médiocre, n’en sont pas moins efficaces. L’expertise balistique effectuée à la demande du juge d’instruction dans l’affaire Picco présente une description détaillée de l’arme de l’accusé. elle précise que le fonctionnement de la pièce à conviction est satisfaisant :
« Le revolver saisi chez l’inculpé Picco est un revolver à percussion centrale à chien, bronzé, à 5 coups, détente pliante, canon rayé, calibre 8 mm, tirant la cartouche 8 mm à balle blindée dite cartouche modèle 1892. L’arme est de qualité demi-fine, de fabrication belge, elle possède une sûreté au chien dite sûreté Deboustau. Elle porte sur la partie droite antérieure de la carcasse les poinçons du ban d’épreuve de Liège et de l’autre côté dans une position symétrique les marques de fabrication DD bis. Le revolver de Picco appartient à la catégorie des revolvers dits revolvers réduits de poche pour cartouches modèle 1892, ces revolvers peuvent tirer : la cartouche 8 mm balle blindée modèle 1892, la cartouche 8 mm balle plomb dite balle Méplat. L’arme paraît avoir été mal entretenue, elle est rouillée extérieurement, toutefois le mécanisme est en bon état et le revolver fonctionne normalement15. »
15Cette arme est donc de fabrication médiocre, mais présente l’avantage d’être de taille réduite, et possède visiblement un fonctionnement fiable, qui permet son utilisation sans grand entretien. Il est en outre vraisemblable que son coût soit réduit, bien que l’expertise n’en précise pas la valeur. C’est pourquoi la possession de ce type de revolver semble s’être répandue à Marseille, à partir du moment où sa fabrication en série a permis au plus grand nombre d’y avoir accès. Suite à cette expertise, le juge d’instruction atteste à demi-mot de sa présence systématique dans la poche des criminels marseillais, lorsqu’il interroge l’inculpé de la sorte : « Dans le monde des désœuvrés marseillais chacun a un semblable revolver et il vous aura été facile d’en emprunter un à n’importe lequel de vos amis16. »
16Mais il n’est pas que dans les milieux mal famés que la possession d’un revolver ou d’une arme à feu soit monnaie courante en ce début de XXe siècle. En effet, dans la plupart des affaires jugées à la cour d’assises à cette époque, les crimes sont commis par arme à feu17. en 1896, Marie Émilie Pompilius, giletière, est jugée pour l’assassinat de son mari Augustin Allanois18. Le crime a été perpétré dans la nuit du 1er au 2 janvier 1896, grâce à un revolver acheté pour l’occasion chez un armurier. L’arme mentionnée dans l’affaire Pompilius se distingue, par sa qualité, du simple revolver de poche tel qu’il a été décrit ci-dessus. C’est grâce à des activités illégales que Marie Émilie Pompilius a pu se procurer une arme de qualité supérieure. L’accusée, reconnaissant les faits et la préméditation, relate au juge d’instruction les circonstances dans lesquelles elle s’est procuré cette arme : « Le soir même, vers sept heures, je me rendis chez le Sieur Rochegude, armurier rue d’Aubagne. J’étais décidée à donner la mort à mon mari. Je demandais un revolver de fort calibre, permettant de se défendre en cas d’attaque à la campagne. J’achetais moyennant le prix de 25 fr. un revolver et 12 cartouches. […] une fois rentrée chez moi, je plaçais le tout entre des couvertures dans mon armoire à glace. Mon mari étant sorti dans la matinée du 1er janvier, je profitai de son absence pour mettre 4 cartouches dans le revolver. »
17À partir du milieu des années 1890, l’arme à feu prend donc une importance de plus en plus grande dans les infractions contre les personnes commises à Marseille et ceci en lien avec la démocratisation de son coût, qui provoque son entrée dans les mœurs. Or, cette modification de l’armement qui fait passer d’une « ère de la lame » à une « ère de la poudre » n’est pas sans conséquences sur l’appréhension de l’acte violent par les individus, et, de fait, sur le nombre d’infractions contre les personnes. En effet, l’arme à feu évite le contact avec la victime. Elle participe d’un phénomène de « dématérialisation » de l’acte violent : le corps à corps qu’impose l’utilisation de l’arme blanche, des poings, des mains, ou de divers objets contondants, n’est plus nécessaire. L’arme à feu fait couler le sang, mais n’exige pas obligatoirement de contact avec celui-ci. Moins sauvage, elle est donc l’arme du règlement de comptes par excellence, permettant de tuer à distance, et de prendre la fuite plus facilement. Elle est également une arme défensive efficace. Bon nombre de prévenus ou d’accusés expliquent sa présence par la volonté de se prémunir du danger. En outre, elle ne nécessite pas de force physique particulière. De ce fait, les personnes les plus âgées, mais également les plus jeunes, ou encore les femmes, peuvent facilement s’en servir. Dans la mesure où elle évite le corps à corps, elle dispense de la rixe qui requiert une certaine résistance physique, une agilité, une rapidité, mais aussi le courage de frapper, et, dans l’intention de tuer, de frapper fort. L’arme à feu permet de s’embusquer, de prendre le temps de viser la victime. Cette absence de contact, ajoutée à l’éloignement physique entre l’agresseur et la victime, enhardissent les criminels, qui y voient, parfois à tort, une chance supplémentaire d’échapper à l’enquête. La distance leur permet de se cacher du regard des témoins. L’absence de contact évite les preuves évidentes et compromettantes telles que les traces de sang, les coups, les marques de défenses de l’adversaire. Enfin, la possibilité de se débarrasser de l’arme offre l’illusion d’un crime « propre ». En réalité, il est rare que les détonations n’attirent pas l’attention et les regards des témoins. En outre, il s’avère parfois difficile de dissimuler une arme à feu, ou de nier le lien entre une arme et une balle, lorsque l’expertise balistique est formelle19.
18L’accroissement du nombre de meurtres et d’assassinats peut donc être lu à la lumière d’une modification de l’armement. D’une part, l’adoption de l’arme à feu par les Marseillais précipite certaines personnes vers un acte qu’elles n’auraient pas commis avec un autre type d’arme. Le passage à l’acte de certaines femmes peut être interprété en fonction de cette hypothèse. D’autre part, le caractère mortifère des armes à feu est supérieur à celui des autres types d’armes20. En outre, la recrudescence des assassinats peut s’expliquer par la préméditation des violences commises à l’aide d’une arme à feu. L’embuscade et le règlement de comptes, situations privilégiées d’utilisation de ce type d’armes, constituent des preuves incontestables de préméditation. Si la progression des armes à feu explique en partie cet accroissement du nombre de crimes violents commis à Marseille au début du XXe siècle, la faiblesse des effectifs de police et leur manque d’organisation lui apportent un second élément d’interprétation.
1908 : un tournant pour la police municipale
19À partir du début du XXe siècle, les rapports adressés à la préfecture des Bouches-du-Rhône ou au ministère de l’intérieur par les divers responsables hiérarchiques de la police municipale sont tous plus alarmants les uns que les autres à propos de l’état d’insécurité et de criminalité à Marseille. Au delà des objectifs de ces argumentaires – qui visent à obtenir un renforcement des effectifs – et des clichés dramatisant une envolée criminelle exceptionnelle, force est de constater que le contenu de ces rapports corrobore nos propres estimations de l’accroissement des pratiques criminelles – en particulier des pratiques violentes – à Marseille au début du XXe siècle, et de la faiblesse de l’encadrement policier entre 1851 et 1908. en 1905, un rapport du commissariat spécial de Marseille adressé au ministère de l’intérieur décrit une situation critique :
« L’audace des malfaiteurs, les agressions à main armée qui se produisent journellement sur les points les plus divers de Marseille et jusque dans les quartiers centraux, dans les rues les plus fréquentées de la ville, ont fini par émouvoir la population, pourtant si sceptique, si indifférente aux questions de moralité. C’est que les attaques nocturnes par des bandes organisées, opérant tantôt sur un point, tantôt sur un autre, les agressions en plein jour sur le Prado et jusque dans la rue de Noailles ou sur le cours Belsunce, les coups de revolver tuant ou blessant les passants inoffensifs, les cambriolages se succédant avec une progression toujours croissante, constituent une menace permanente pour tous, un véritable danger public. Cette crainte latente, ce désir de protection, ont trouvé leur expression dans les comités qui se sont formés récemment : comités d’intérêt de quartiers, comités de magasiniers, etc. en vue de rechercher les moyens d’assurer la sécurité publique21. »
20Selon ce rapport, les violences crapuleuses telles qu’elles ont été décrites précédemment concernent l’ensemble de la commune marseillaise au début du XXe siècle. Elles inspirent un sentiment d’insécurité nouveau, qui pousse les habitants à se réunir et s’organiser pour pallier l’insuffisance de la répression policière. Elles les incitent également à s’armer en conséquence, ce qui induit un essor des affrontements armés dans la ville. Une étape supplémentaire a donc été franchie dans l’appréhension des déviances par les Marseillais : alors qu’ils semblaient les ignorer, du moins les supporter sous le Second empire, les premiers signes d’inquiétude apparus au cours des années 1880 se transforment en obsession sécuritaire au début du XXe siècle. À mesure de cette évolution, l’image de la police marseillaise se dégrade, ce qui inquiète considérablement le commissaire spécial.
21Or, cette inquiétude n’est pas sans fondements. La police municipale apparaît dépassée par le niveau et la gravité des déviances. Quelques jours après le rapport du commissariat spécial au ministère de l’intérieur, le commissaire central adresse un courrier au Préfet des Bouches-du-Rhône. Il y fait état de la situation criminelle et de l’incapacité de la police municipale à y faire face : « Il est certain que le nombre des crimes et délits contre la propriété et les personnes augmente chaque année à Marseille dans des proportions sensibles22. » Il explique cet accroissement – pour lequel il ne donne d’ailleurs aucun chiffre – par une augmentation de la population municipale. Cette justification n’est qu’en partie légitime : nous avons pu apprécier ci-dessus l’accroissement des déviances contre les personnes pour 100 000 Marseillais. Bien que la population de la ville augmente, les infractions contre les personnes connaissent un essor supérieur, et résultent de phénomènes plus complexes que l’envolée démographique marseillaise.
22Son argumentaire fait en outre intervenir des facteurs économiques. Il écrit : « on peut dire, sans exagérer, que plus d’un quart de la population ouvrière de notre ville subit un chômage forcé ; et cela explique que beaucoup de malheureux cherchent à se procurer, par des moyens illicites, les ressources nécessaires à leur existence ». En effet, nous avons pu montrer combien l’attrait du gain pousse certains journaliers, confrontés à des difficultés d’embauche ou à des salaires insuffisants, à adopter un mode de vie déviant, fondé sur les attaques de grand chemin.
23Par ailleurs, l’auteur du rapport ajoute que la police n’a pas les moyens d’effectuer son travail. Ceci serait dû à l’ingéniosité de plus en plus grande des malfaiteurs, notamment des malfaiteurs professionnels et des nervis. De fait, l’essor d’une criminalité professionnelle perpétrée par des bandes criminelles suppose, on l’a vu, une certaine acculturation judiciaire. La dissimulation des preuves, la corruption des témoins, les règlements de comptes visant les témoins à charge, les diverses techniques pour affronter les interrogatoires de police ou d’instruction, font partie intégrante de cette familiarité que les malfaiteurs de profession développent vis-à-vis des institutions répressives dans un but d’autoprotection. Face à ces techniques en plein essor, la police, mal formée, insuffisamment nombreuse, échoue à réprimer leurs crimes.
24Par la suite, l’auteur insiste sur l’étendue de la commune, et sur l’impossibilité de surveiller un tel territoire avec les effectifs disponibles en 1905. La commune de Marseille ne dispose en effet à cette date que de 874 employés de police, dont 54 secrétaires. et, si les effectifs sont insuffisants, leur organisation défectueuse vient renforcer leur inefficacité. Le territoire à surveiller est immense, les routes sont nombreuses, le trafic des hommes et de marchandises est dense. L’essor criminel constaté dans les années 1901-1906 s’interprète donc, en partie, à la lumière de l’affaiblissement des forces de police.
25L’ultime argument développé par le commissaire central est sans doute celui dont l’incidence est la plus forte auprès du représentant du ministère de l’intérieur : « Il convient d’ailleurs d’observer que des troubles, des grèves, des manifestations se produisent fréquemment et nécessitent parfois la concentration sur les points d’agitation de la plus grande partie sinon de la totalité des commissaires et des agents disponibles. Tant que durent ces événements, la ville est à peu près entièrement livrée aux exploits et déprédations des bandes en quête de mauvais coups. De la situation qui vient d’être exposée il résulte que le nombre de crimes et délits s’accroît, à Marseille, dans des proportions extrêmement inquiétantes23. » en effet, le début du XXe siècle est marqué par une série de grèves dures sur le port et dans l’industrie marseillaise. en 1904, Marseille compte plus de 50 000 grévistes. L’armée intervient pour mettre fin aux mouvements sociaux. en 1906, on dénombre plus de 1 500 établissements en grève. en 1910, les grévistes sont entre 13 000 et 14 00024. La ville ne constitue nullement un cas exceptionnel en France, où l’agitation ouvrière est également intense durant les premières années du siècle25. Ces mouvements, qui font peser les menaces de désordre et de révolution, facilitent l’accession de la droite à la municipalité marseillaise. en 1902, le socialiste Flaissières, démis de son mandat de député, renonce à son siège de maire. La liste de droite conduite par Chanot emporte la mairie. Si l’on excepte un bref intermède entre 1910 et 1912, Marseille reste à droite jusqu’en 191926. Les luttes sociales sont fermement contenues par le pouvoir en place. Cette action nécessite la mobilisation d’importants contingents de policiers. La politique marseillaise ne fait que reproduire celle du gouvernement français.
26Cette volonté de répression des ferments de la révolution induit deux conséquences du point de vue de la criminalité sur le plan local : d’une part, avant 1908, l’insuffisance numérique de la police marseillaise, déjà notable en temps normal, se trouve considérablement mise en lumière par cette conjoncture particulière ; d’autre part, elle déclenche l’étatisation de cette police, afin de lui donner les moyens de combattre les mouvements ouvriers. Les liens entre l’importance des déviances contre les personnes dans la ville et la qualité de l’encadrement policier sont donc complexes. Le manque d’organisation et la faiblesse des effectifs policiers à Marseille ne créent pas la criminalité violente ; mais, par l’absence de répression qu’ils lui opposent, ils ne la découragent pas.
27L’étatisation de la police municipale, réclamée depuis les années 1880, et instituée par la loi du 8 mars 1908 dans un contexte politique tendu, ne fait pas disparaître la déviance contre les personnes dans la société marseillaise, mais contribue à l’y amoindrir.
28Le principe d’étatisation des polices municipales des grandes villes françaises (autres que Paris) a été institué sous la Seconde République par la loi du 19 juin 185127. À l’époque, seul Lyon était concerné. Au début du régime de Louis-napoléon Bonaparte, est créé un éphémère ministère de la police générale à la tête duquel est placé Maupas. Celui-ci tente de mettre sur pied une généralisation du régime de la police d’état. Alors que la loi de l’an VIII impose un commissaire de police aux seules villes de plus de 5 000 habitants, il fait voter le 28 mars 1852 un décret qui prévoit un commissaire de police dans chaque chef-lieu de canton. L’autorité de celui-ci ne s’étend plus à la seule commune mais au canton entier. Il est nommé par le préfet pour les petites communes et par le chef de l’état pour les communes de plus de 6 000 habitants. En mars 1853, un autre décret crée auprès du préfet un commissaire départemental qui a sous ses ordres tous les commissaires et agents de police du département. Les maires sont donc destitués de leurs principales attributions en matière de police28. La politique de Maupas est très, peut être trop, audacieuse. De fait, en 1854 un décret limite l’implantation des commissaires départementaux aux seuls départements des Bouches-du-Rhône, de Haute-Garonne et de la Gironde. En revanche, le système consistant à établir des commissaires centraux dans les villes où exerçaient plusieurs commissaires de police est généralisé. Leur compétence s’étend parfois sur tout l’arrondissement ou le département. Leur rôle est essentiellement un rôle de coordination et de transmission des informations par voie hiérarchique. La loi du 5 mai 1855 renforce encore les pouvoirs des préfets. Elle étend aux chefs-lieux de département dont la population est supérieure à 40 000 personnes (soit 17 communes) les mesures d’étatisation de la police imposées par la loi de 1851 à l’agglomération lyonnaise. Marseille est donc concernée. Toutefois le maire reste chargé d’un certain nombre d’attributions d’intérêt municipal définies par la loi.
29La loi du 24 juillet 1867 revient sur le principe d’étatisation systématique (jamais véritable d’ailleurs en raison du financement des polices par les communes en dehors de Paris et de Lyon)29. Sauf dans ces deux dernières villes, les pouvoirs et responsabilités de police sont rendus aux maires. Le gouvernement garde seulement le droit de fixer l’organisation du service et le préfet de nommer les personnels sur proposition du maire. La situation n’évolue pas jusqu’au début des années 1880. En 1884 est votée la loi sur l’organisation municipale. Elle confirme l’évolution esquissée en 1867 qui voit le maire recouvrer ses pouvoirs en matière de police. On en revient au principe de la loi de 1789. Encore une fois, tout comme la capitale, Lyon fait exception à la règle et reste gérée par la loi de 1851. C’est seulement en 1908 que le projet de loi présenté par Clemenceau propose l’extension du régime dit de « police d’état » à Marseille30. L’argument politique et la menace de désordre social font basculer le ministère de l’intérieur qui, pendant vingt ans, n’a fait que peu de cas des demandes réitérées d’accroissement des effectifs, du sentiment d’insécurité gagnant la population de la ville, ou de l’essor des crimes et délits. C’est donc afin de contrôler, de surveiller, et de réprimer l’agitation ouvrière à Marseille, que la réforme de la police municipale est entreprise.
30Les changements apportés par la loi de 1908 sont substantiels. L’article 104 de la loi du 1884 est modifié afin de donner au préfet des Bouches-du-Rhône les mêmes pouvoirs de police sur la commune de Marseille que ceux que possède le préfet du Rhône sur la ville de Lyon. Ceux-ci correspondent à l’autorité qu’exerce depuis 1853 le préfet de police dans les communes suburbaines du département de la Seine. Pour la première fois, la situation des trois grandes villes françaises se trouve donc harmonisée. La municipalité marseillaise ne finance plus la police qu’à raison de 50 % des sommes nécessaires à son fonctionnement. Le reste correspond à un montant alloué par la Chambre. Cet allégement du coût permet à la municipalité le recrutement d’effectifs supplémentaires.
18 mars 1907 | 16 mai 1908 | |
Commissaire de police central | 1 | 1 |
Commissaire de police classe exceptionnelle | - | 1 |
Commissaire de police 1ère classe | 19 | 12 |
Commissaire de police 2ème classe | 4 | 10 |
Commissaire de police 3ème classe | 0 | 7 |
Secrétaire principal | 1 | 1 |
Secrétaire hors classe | 2 | 2 |
Secrétaire classe exceptionnelle | - | 11 |
Secrétaire 1ère classe | 11 | 14 |
Secrétaire 2ème classe | 10 | 13 |
Secrétaire 3ème classe | 16 | 13 |
Secrétaire suppléant | 12 | 16 |
Inspecteur | 1 | 5 |
Sous-inspecteur | 4 | - |
Brigadier | 2 | 4 |
Sous-brigadier | 7 | 14 |
Agent hors-classe | 15 | 20 |
Agent 1ère classe | 35 | 50 |
Agent 2ème classe | 55 | 70 |
Agent 3ème classe | 24 | 35 |
Agent 4ème classe | 24 | 65 |
Gardien de la paix : inspecteur | 1 | - |
Officier de paix 1ère classe | 4 | 5 |
Officier de paix 2ème classe | 4 | 6 |
Brigadier de paix 1ère classe | 8 | 8 |
Brigadier de paix 2ème classe | 8 | 16 |
Sous-brigadier de paix | 15 | 48 |
Élève sous-brigadier de paix | 16 | - |
Gardien de la paix hors-classe | 25 | 35 |
Gardien de la paix 1ère classe | 146 | 180 |
Gardien de la paix 2ème classe | 165 | 200 |
Gardien de la paix 3ème classe | 199 | 500 |
Gardien cycliste : sous brigadier | 1 | 15 |
Gardien cycliste : élève sous-brigadier | 3 | - |
Gardien cycliste 1ère classe | 4 | 6 |
Gardien cycliste 2ème classe | 10 | 15 |
Gardien cycliste 3ème classe | 23 | 57 |
Mécanicien | 1 | 2 |
Garde champêtre | 21 | 16 |
Autre (comptable, télégraphiste, photographe…) | 6 | 80 |
Total | 903 | 1093 |
Budget (en francs) | 1 699 378 | 2 880 000 |
Tableau 40 – Effectifs, composition, et budget de la police marseillaise avant et après la loi de 190831.
31L’accroissement des effectifs correspond au recrutement de 190 personnes, soit un essor de plus de 20 % entre 1907 et 1908. Tous les niveaux de la hiérarchie sont concernés : des commissaires de police aux gardiens de la paix. On note un effort particulier portant sur l’importance des non-gradés, ce qui traduit une volonté d’améliorer l’encadrement de la population. Après 1908, le nombre de Marseillais théoriquement surveillés par un agent de police ou un gardien de la paix sur une période de 24 heures diminue : il passe de 667 à 372. Parallèlement, les effectifs de police pour 100 000 Marseillais s’accroissent de 150 à près de 300. Cet essor des effectifs se double d’une augmentation globale des traitements. Il résulte de cet accroissement des effectifs et de la masse salariale une augmentation du budget de la police marseillaise. La municipalité, qui engageait près de 1 700 000 fr pour le fonctionnement de la police en 1907, poursuit cet effort budgétaire après la loi de 1908. Le complément est assuré par l’état.
32L’amoindrissement des déviances contre les personnes qui marque l’année 1911 doit donc être mis en perspective avec cette réforme de la police municipale. S’il ne suffit pas à l’expliquer totalement, l’on ne peut toutefois exclure son influence sur la marche de la criminalité et de la délinquance contre les personnes dans une ville de 500 000 habitants.
33En somme, au début du XXe siècle, l’acte violent s’affirme comme un mode privilégié de résolution des conflits dans la vie quotidienne des Marseillais, ainsi qu’en témoignent la progression des meurtres et le niveau atteint par les coups et blessures dans la population et parmi les infractions. L’activité intense de l’année 1906 doit être interprétée à la lumière de la conjoncture économique. Alors que l’économie française connaît une reprise après la Grande Dépression, Marseille se trouve confrontée à la Belle-époque à une période de morosité profonde32. Cette crise est particulièrement sensible entre 1901 et 190333. Le chômage et les bas salaires créent des conditions de vie difficiles pour les catégories populaires. Ceci a au moins deux conséquences : d’une part, un certain nombre de laissés pour compte de l’économie marseillaise sont tentés par une criminalité crapuleuse, qui, de fait, est en pleine expansion. D’autre part, les grèves mobilisant une grande partie d’un effectif policier déjà insuffisant et mal organisé, la surveillance du centre-ville et de la totalité du territoire communal est délaissée. Cet abaissement du contrôle répressif induit un sentiment d’impunité et une recrudescence des infractions violentes. À défaut d’être évitées, celles-ci sont constatées et poursuivies. De fait, un sentiment d’insécurité gagne la population marseillaise. Les violences semblent tolérées tant qu’elles servent au règlement de conflits privés, qu’elles émanent du monde ouvrier, et en grande partie d’étrangers. Lorsqu’elles débordent de ces cadres, naît un sentiment d’anormalité, et d’insécurité collective.
Le nouveau « creuset marseillais »
Les femmes, actrices de la brutalité
34Le graphique ci-dessous compare le pourcentage de femmes parmi les auteurs et parmi les auteurs d’infractions contre les personnes :

Graphique 25 – Part des femmes dans la délinquance et la criminalité (en %, 1851-1911).
35Il peut apparaître paradoxal d’insister sur la place des femmes parmi les auteurs d’infractions contre les personnes : c’est bien sous le Second empire que les femmes commettent le plus d’infractions violentes par rapport aux hommes. Cependant, on constate une inflexion de la représentation des femmes parmi les auteurs de violences jugés à partir des années 1890. Entre ces deux moments, les violences pour lesquelles les femmes sont jugées ont changé de nature, comme le montre la comparaison ci-dessous entre les violences mineures féminines et masculines.

Graphique 26 – Répartition des infractions violentes mineures commises par des femmes (en %, 1851-1911).

Graphique 27 – Répartition des infractions violentes mineures commises par des hommes (en %, 1851-1911).
36Examinons dans un premier temps le graphique consacré aux femmes : on y observe une progression importante des prévenues de violences physiques (coups) accompagnée d’une régression des prévenues de violences verbales (injures). C’est surtout à partir de 1891 que la progression des prévenues de coups est visible. Les violences verbales, qui faisaient la particularité du comportement déviant féminin sous le Second empire sont, depuis 1881, une infraction minoritaire pour les Marseillaises. Cette évolution reflète, dans ses principales tendances, celle de la déviance contre les personnes pour les auteurs masculins : un passage des violences verbales aux violences physiques. Cependant, elle s’en éloigne dans les rythmes et dans les valeurs. La progression des coups est plus tardive chez les femmes que chez les hommes : elle ne démarre qu’en 1891 pour les premières alors qu’elle est effective dès 1881 pour les seconds. En outre, l’évolution des rébellions est plus chaotique chez les femmes.
37Par ailleurs, les valeurs que représentent ces diverses infractions diffèrent selon le sexe des auteurs. Les taux d’injures atteints par les femmes ne sont jamais aussi forts chez les hommes, malgré une tendance à la régression pour les deux sexes. Les taux de rébellions commises par des femmes sont inférieurs à ceux des hommes (sauf exception isolée). Il en résulte un accroissement bien plus spectaculaire des coups parmi les infractions violentes féminines. On peut donc en déduire que les femmes, si elles restent en retrait du mouvement de progression des coups dans les années 1880 – qui s’avère essentiellement masculin –, participent bien de l’accroissement des violences physiques au début du XXe siècle. Cette tendance se trouve soulignée par l’importance que prennent les rébellions dans la violence féminine à partir de 1886. Si elles ne se sont pas illustrées dans la période de tension entre les Marseillais et les forces de l’ordre lors des années 1870, certaines femmes adoptent un comportement rebelle à partir de la fin des années 1880.
38En effet, si l’on complète, dans un second temps, cette étude des infractions violentes mineures féminines par un examen des valeurs absolues, on prend la mesure des modifications profondes qui l’affectent non seulement en qualité, mais également en quantité à partir de la fin du XIXe siècle.

Graphique 28 – Nombre d’infractions violentes mineures commises par des femmes (1851-1911).
39Il se confirme que l’accroissement du nombre d’infractions violentes mineures commises par des femmes à partir de 1891 est dû à une augmentation en volume et en proportion des violences physiques. À partir de 1906, le nombre de prévenues de coups connaît un essor, et il se double d’une forte progression du nombre de prévenues de rébellions. La délinquance féminine contre les personnes connaît donc, au début du XXe siècle, à la fois un accroissement et une radicalisation.
40La plupart des dossiers de procédure présentant des cas de violences féminines concernent des querelles de voisinage survenant entre femmes. Nous ne reviendrons pas ici sur les analyses menées précédemment. En revanche, les violences relatives à la prostitution acquièrent une visibilité importante au début du XXe siècle. À Marseille comme dans les autres grandes villes françaises, les maisons de tolérance, occupées par les filles soumises, sont étroitement surveillées. La police tente, sans grand succès, de contenir et de contrôler la prostitution clandestine34. À partir des années 1890, les préoccupations hygiénistes prenant le pas sur les inquiétudes morales, une inflexion dans le contrôle de la prostitution se fait sentir35. À Paris, entre 1885 et 1895, le nombre d’arrestations de filles soumises passe de 5 000 par an environ à plus de 25 00036. L’intensification de l’activité de la police marseillaise est parallèle, et s’inscrit dans cette logique de durcissement répressif37. Cette accentuation du contrôle policier se double de la mise en place et de la systématisation d’un contrôle sanitaire strict38. Ainsi que le précise Alain Corbin, « le contrôle sanitaire est tout à la fois un élément du contrôle global qui s’exerce sur l’ensemble des activités et des conditions de vie des prostituées inscrites, et le moyen privilégié par lequel cette surveillance peut s’exercer »39. Celui-ci consiste essentiellement en une visite sanitaire, à laquelle la fille doit se soumettre. L’examen est destiné à rechercher la présence éventuelle de maladies vénériennes, et, dans ce cas, à contraindre les malades à se faire soigner40. Inspirée par la peur que de telles pathologies inspirent aux médecins et à l’ensemble du corps social, cette double inflexion des contrôles sanitaires et policiers multiplie les situations de conflits entre les filles, les médecins, et les policiers. Cette progression est attestée à Paris, et dans de nombreuses villes de province, dont Marseille41.
41En 1890, sept filles soumises comparaissent devant le tribunal correctionnel pour outrages et voies de faits envers des agents42. Le 8 avril 1890, alors qu’elles suivent un traitement contre les maladies vénériennes à l’hôpital de la Conception, plusieurs jeunes femmes se révoltent contre le médecin-chef de cet établissement. Refusant de se soumettre à la visite sanitaire, elles le traitent « de cochon, de porc, mange m…, voleur etc. ». Elles s’en prennent également à la sœur chargée de les surveiller, en la menaçant de se révolter et de lui faire un mauvais parti. Enfin, l’infirmière se voit traitée de « P…, de traînée de rue, etc. ». La police étant intervenue pour les transférer dans un cachot du commissariat de police du 9e arrondissement, elles se barricadent alors à l’aide de meubles, brisent des cuvettes, des bouteilles et des verres, et insultent les gardiens de la paix en déclarant qu’elles « emm… la police et les médecins », ajoutant « qu’ils [ne sont] que des mangeurs de chair ». Traitant le gardien Migardon de « cochon, vaurien chiqueur brigand assassin », elles lui pincent un doigt dans une porte. Dans leurs interrogatoires, la plupart des prévenues reconnaissent les injures et les dégâts matériels ; en revanche, elles nient avoir perpétré des violences envers les gardiens de la paix. Quoiqu’il en soit, elles sont lourdement condamnées à des peines allant de 40 jours à 2 mois de prison.
42La situation de ces filles à l’hôpital de la Conception permet de comprendre leur révolte. Une fois déclarées atteintes d’une maladie vénérienne par la visite sanitaire43, elles sont enfermées dans un secteur spécialisé au sein de l’établissement. Ce séjour s’apparente par bien des aspects à un emprisonnement44. L’enjeu de la visite sanitaire effectuée au cours de cette cure est donc essentiel : il s’agit pour elles de recouvrer leur liberté, d’échapper à ces conditions de vie presque carcérales, et surtout de retrouver leur gagne-pain. Pour peu que le diagnostic les déclare atteintes du mal, à l’humiliation que constitue cet examen45 s’ajoute la frustration de voir le séjour se prolonger. On se trouve donc ici face à un exemple typique de déviance induite par une inflexion majeure de la pratique répressive. Le contrôle policier et médical des prostituées crée des situations conflictuelles où les femmes se singularisent par leur comportement violent46. Une partie de l’important accroissement de la délinquance des femmes contre les personnes jugée en 1906, et en particulier des rébellions, peut donc lui être attribuée.
43Il n’est pas que le renforcement de la répression qui intervienne dans ce phénomène. Les modifications de leur comportement violent reflètent également l’évolution de leur place dans la société marseillaise, et en particulier dans le cadre de leurs relations avec les hommes. À partir des années 1890, par un phénomène comparable à celui qui affecte le comportement des mineurs47, les femmes imposent leur autorité aux hommes dans le contexte familial et conjugal. en 1891, Marius Bartoli et Léontine Laurent comparaissent devant le tribunal correctionnel de Marseille pour coups et blessures réciproques48. olive Marius relate, dans sa déposition, la scène dont il a été témoin quelques minutes auparavant :
« Elle s’est acharnée contre ce jeune homme qu’elle a frappé à plusieurs reprises à coups de poing sur la figure. Non contente de cela, elle l’a cruellement mordu à un doigt de la main. Pour l’empêcher de faire du mal, Marius l’a alors repoussée et elle est allée tomber dans la vitre de la porte qui a été brisée. C’est là je crois qu’elle s’est fait mal au visage. Furieuse, elle s’est alors emparée d’une carafe du comptoir et allait la lancer sur Marius lorsqu’on l’a heureusement désarmée. Hors d’elle-même, elle a alors saisi un siphon d’eau de Seltz et l’a jeté sur Marius qu’elle a atteint en pleine poitrine. Elle a failli aussi atteindre à la tête avec le même objet le patron de l’établissement. Je n’ai pas vu que Marius ait frappé cette fille avec un objet quelconque. »
44Le commissaire de police presse la prévenue de s’expliquer. Léontine Laurent déclare : « C’est possible que je l’aie mordu en me défendant, mais il est facile à comprendre qu’un homme, surtout de la force de Bartoli, a facilement raison d’une femme comme moi. » L’indigence du dossier ne permet pas d’établir les faits avec certitude. La peine attribuée à Léontine Laurent (48 heures de prison), et la relaxe de Marius Bartoli, attestent que la justice a penché en faveur de la version donnée par celui-ci, ainsi que par le principal témoin.
45Si l’on retrouve ici des logiques similaires à celles qui expliquent les affaires de vitriolages, le modus operandi diffère : Léontine Laurent n’use pas d’une arme précise mais de ses poings, de ses dents, et de divers objets qui l’entourent ; elle n’entend pas défigurer son amant mais le battre et lui faire violence ; enfin, son geste ne semble pas prémédité, il n’est pas destiné à se faire justice, mais relève de l’impulsion et de la colère. La violence déployée par Léontine Laurent correspond à l’évolution des infractions violentes féminines telle qu’elle a été décrite ci-dessus. Il s’agit de coups et blessures, actes relevant de l’impulsion. Durant la rixe, elle oublie les codes sociaux qui sont censés régir son comportement public envers les hommes : elle aborde son amant en pleine rue, pénètre dans un café, et l’agresse physiquement. En revanche, elle les retrouve devant le commissaire de police : elle tente alors de s’épargner les conséquences judiciaires de son acte en composant un personnage correspondant à l’image de la victime habituelle des brutalités conjugales ou amoureuses : une femme d’autant plus désarmée face à la force de son adversaire qu’elle se trouve affaiblie par sa grossesse présumée. Léontine Laurent fait partie d’une génération de Marseillaises pour lesquelles la brutalité envers les hommes n’est plus un tabou, en public comme en privé. D’une certaine manière, cette affaire est l’illustration d’une perméabilité du comportement féminin au comportement masculin, forme dominante des violences dans la société marseillaise depuis le Second empire.
46Il convient de s’interroger sur les liens entre délinquance et criminalité féminine à Marseille en ce début de XXe siècle. L’examen des données laisse apparaître deux phases : avant 1891, la criminalité violente féminine est sporadique ; après 1891, il s’agit d’un phénomène plus fréquent. Alors que le maximum de 2 accusées par an était atteint en 1891, on en dénombre 6 en 1896 et 4 en 1906. Parmi ces crimes, le meurtre et l’assassinat sont au coude à coude, ce qui prouve que les Marseillaises commettent certes des homicides prémédités, mais sont également capables d’agir dans l’impulsion meurtrière d’un instant. Dans le cas de Marie-Émilie Pompilius comme dans celui de Marguerite Dubourg, la révolte contre la violence conjugale les pousse au crime, plus précisément à l’assassinat.
47En 1896 Marie-Émilie Pompilius comparaît pour avoir donné la mort à son époux49. Si l’usage du revolver dans cette affaire a déjà fait l’objet d’une analyse ci-dessus, il convient d’en rappeler le déroulement. Le 1er janvier 1896, le sieur Allanois, maçon, passe la soirée en compagnie de sa femme et de ses amis au bar Meyer. Ils prennent quelques consommations, et, sur la demande de son mari, la femme Allanois se met à chanter. elle fait le choix d’une chanson qui contient les paroles suivantes : « Tu verras, lâche et infâme, comment une femme sait se venger. » en chantant ces mots, elle fixe son mari avec insistance. Au moment de se retirer, elle sort du bar à la suite de celui-ci. À peine a-t-il fait quelques pas, qu’elle tire de sa poche un revolver et fait feu sur lui. Augustin Allanois, mortellement touché à la nuque, s’affaisse, et meurt sans avoir prononcé un mot. Son épouse s’écrie alors qu’elle a voulu se venger, et manifeste l’intention de se suicider, en retournant l’arme contre elle. Les témoins de la scène l’en empêchent, et la conduisent au bureau de police voisin. L’interrogatoire de celle qui devient, par ce geste, auteur d’un assassinat, fait toute la lumière sur le contexte de cet acte :
« J’ai contracté mariage dans le courant du mois d’octobre 1885 avec Augustin Allanois. Dès les premiers temps de notre union mon mari se montra brutal et violent à mon égard, à tel point que dans le courant de l’année 1886 je tirai sur lui deux coups de revolver au domicile de ma mère, rue Marignan 1. Je le blessai au petit doigt de la main droite, mais il ne porta pas de plainte, j’étais à cette époque enceinte de 3 mois. Depuis ce jour, je n’ai cessé d’être en butte à ses mauvais traitements. À de nombreuses reprises, l’idée m’est venue de demander le divorce, mais je n’ai jamais pu mettre ce projet à exécution, mon mari me menaçait et j’avais peur. Il ne travaillait pas habituellement. Le peu d’argent qu’il gagnait était employé par lui à ses plaisirs, si je lui demandais de subvenir aux besoins du ménage, il se livrait à des violences sur ma personne. Il y a quelques années il me mit en demeure de prendre un amant, je finis par céder à ses injonctions, et il y a deux ans environ je devins la maîtresse d’un monsieur que je ne veux pas nommer. J’eus chaque semaine des relations intimes avec lui dans une chambre meublée dont je refuse de vous faire connaître l’adresse, et il me donnait 80 fr. par mois. Mon mari connaissait cette situation, me laissait toute la liberté qui m’était nécessaire, il était bien aise de profiter du bienêtre que procurait à mon ménage l’argent que je gagnais ainsi. »
48Ce sont donc ces violences conjugales, accompagnées de prostitution forcée, qui incitent Marie-Émilie Pompilius à passer à l’acte. Après une première tentative quelques années auparavant, la situation lui est devenue à ce point insupportable qu’elle choisit le crime, et, selon elle, le suicide. À travers la théâtralisation de cet acte, et son annonce par une chanson, l’assassinat d’Augustin Allaoins peut être lu comme une prise de parole, comme la révolte d’une femme victime de la violence conjugale. L’existence d’affaires similaires au début du XXe siècle montre une évolution dans le comportement des Marseillaises : comme les jeunes, elles acceptent de moins en moins d’être victimes des brutalités imposées par les chefs de famille. Marie-Émilie Pompilius et Marguerite Dubourg se révoltent contre leurs époux. Cette dernière comparaît à la cour d’assises pour assassinat en 191450. Le 1er avril 1914, interrogée à son domicile par le commissaire de police, elle déclare :
« J’ai tué mon mari parce qu’il me faisait journellement des scènes de jalousie accompagnées de coups. Hier même il m’a battue. Je porte des traces. Nos enfants n’étaient pas épargnés, il les brutalisait aussi. Il prétendait à tort que j’avais des amants. Aujourd’hui il me fit une nouvelle scène au cours de laquelle il menaça de me tuer avec les enfants, il s’arma même d’un revolver. Comme il allait se mettre au lit je lui fis remarquer qu’il n’avait pas besoin d’arme pour dormir, il se laissa désarmer sans opposition. Mon mari se coucha et se tourna sur le côté la tête vers le mur du fond de l’alcôve. Il commençait à s’endormir lorsque je vins tout doucement armée du revolver que je lui avais enlevé. J’approchai le canon de sa tête et je fis feu. Je répétai ce geste en appuyant cette fois ci l’extrémité de l’arme à la tempe gauche et je tirai un second coup de feu pour être bien certaine que la mort s’ensuive. Il fit un petit mouvement puis resta inerte. Je regrette mon acte accompli dans un moment d’exaspération. »
49Cette dernière phrase contraste avec le sang froid et la détermination du geste de Marguerite Dubourg. Elle relève vraisemblablement moins du remords que d’un calcul destiné à s’attirer la clémence de la justice. Mais il semble que cette insistance sur les regrets ne soit pas nécessaire pour atteindre cet objectif. Marie Émilie Pompilius, qui ne témoigne pas d’un tel sentiment, est acquittée, tout comme Marguerite Dubourg. Ces verdicts indiquent que le jury comprend le crime de ces femmes. Celui-ci est considéré comme un cas de légitime défense51. À ce titre, il entre dans la catégorie des violences admises, tout comme certains crimes perpétrés par des hommes suite à une attaque ou à une provocation.
Un comportement marseillais ?
50De plus en plus féminines, les violences sont également plus souvent commises par des Marseillais.

Graphique 29 – Nombre de Marseillais auteurs d’infractions contre les personnes pour 100 000 Marseillais (1851-1911).
51Si l’on observe l’évolution du nombre de Marseillais auteurs d’infractions contre les personnes rapportés à 100 000 Marseillais, on peut distinguer deux temps : entre 1851 et 1891 une régression (malgré une reprise en 1886) suivie d’une ascension entre 1891 et 1906 (malgré un recul en 1911). L’examen de la base de données montre que ce rééquilibrage en faveur des origines locales est perceptible parmi les auteurs d’infractions contre les personnes nés en France. En effet, la place des natifs de Marseille parmi les Français auteurs d’infractions se trouve confirmée : alors qu’ils en représentaient en moyenne 24 % sous le Second empire, et 22 % entre 1876 et 1891, ce taux atteint une moyenne de 35 % pour le début du XXe siècle. Par ailleurs, on note une régression des origines les plus éloignées. Les départements limitrophes (Vaucluse, var, Gard) reculent, passant en moyenne de 8 % à 4 % entre 1851 et 1911 ; de même les départements de l’est de la France et des Alpes, fortement représentés sous le Second empire (10 % et 9 %), passent de 5 % à 3 % entre 1876 et 1891, puis à 3 % après 1896. La proportion d’auteurs nés dans les Bouches-du-Rhône reste stable, elle s’élève à 4 % tout au long des trois périodes.
52La corrélation entre un accroissement des violences physiques (coups, meurtres, et violences crapuleuses) et ce « recentrage » des lieux de naissance montre que la criminalité et la délinquance contre les personnes sont majoritairement des phénomènes endogènes au début du XXe siècle à Marseille.
53On pourrait nous objecter que cette constatation n’est que le reflet d’un tassement des flux migratoires internes à la France dirigés vers Marseille. Il est certain que ce phénomène joue un rôle dans la régression proportionnelle des départements les plus lointains. Toutefois, le rééquilibrage des lieux de naissance des auteurs d’infractions contre les personnes est également sensible dans l’observation des origines nationales. en effet, celle-ci montre une recrudescence des Français au profit des autres nationalités :
1851-1872 | 1876-1891 | 1896-1911 | |
France | 78 | 64,8 | 71,3 |
Italie | 14,8 | 25 | 20,8 |
Espagne | 0,4 | 0,5 | 0,5 |
Europe du nord | 1,8 | 1,5 | 0,3 |
Autre | 0,4 | 1,3 | 4 |
Inconnu | 2,8 | 3,5 | 1,8 |
Tableau 41 – Principales origines nationales des auteurs d’infractions contre les personnes (en %, moyennes par période).
54Le début du XXe siècle est marqué par la recrudescence de la proportion moyenne de Français. Si les valeurs atteintes sous le Second empire ne sont pas rattrapées, le redressement n’en reste pas moins significatif. Parmi les étrangers, les Italiens voient leur part s’amoindrir au cours de la dernière période. Le pourcentage se rapproche de leur représentation moyenne dans la population marseillaise, qui, d’après les recensements d’époque, se situe entre 18 et 19 %. Par ailleurs, on assiste sinon à un recul, du moins à une stagnation des minorités étrangères parmi les origines des auteurs d’infractions contre les personnes.
55Or, après 1880, le nombre de migrants venant s’installer dans la ville ne faiblit pas. Parmi eux, la grande majorité sont des Italiens. Les années 1901 à 1911 voient la proportion d’individus nés à l’étranger se maintenir au même niveau que dans les années 1890 : environ 20 % de la population marseillaise52. en outre, la vague migratoire en provenance d’Italie, après avoir marqué un temps d’arrêt entre 1896 et 1901, reprend de plus belle53. En 1901 plus de 90 000 Marseillais recensés sont nés en Italie. Ils représentent alors plus de 91 % de la population étrangère de la ville et plus de 18 % de la population totale. Entre 1901 et 1913 plus de 20 000 Italiens arrivent à Marseille54. Il faut donc s’interroger sur la composition de cette population marseillaise déviante au début du XXe siècle. On l’a vu précédemment, le phénomène des demandes de naturalisation joue à la marge, et concerne en réalité peu de Marseillais55. En revanche, l’acquisition de la nationalité française par le droit du sol influence fortement la composition de la population de la ville à partir de la seconde génération de migrants56. en 1906, parmi les 46 % d’auteurs d’infractions contre les personnes nés à Marseille, les individus issus de la génération d’Italiens arrivée dans les années 1870-1880 sont vraisemblablement nombreux57. En outre, l’immigration italienne à Marseille est, à la fin du XIXe siècle, une immigration familiale58. Le fort taux de natalité, caractéristique des Italiens dans la population française, contribue à alimenter la croissance démographique de Marseille59. Ce « recentrage » des origines des auteurs d’infractions contre les personnes peut donc être interprété comme le résultat de l’intégration de la population d’origine italienne dans la population marseillaise et comme la transmission au sein de celle-ci d’une culture intégrant un comportement violent. Plus largement, il convient d’émettre l’hypothèse que les Marseillais, quelles que soient les origines de leurs parents, s’affirment de plus en plus parmi les auteurs d’infractions contre les personnes, et ceci en raison d’un modèle de sociabilité propre à la ville, intégrant pleinement la notion de brutalité. Le terme « creuset » semble donc particulièrement adapté à la société marseillaise au début du XXe siècle60 : réceptacle de courants migratoires forts et sans cesse renouvelés, elle crée un amalgame original, dans lequel le comportement violent apparaît comme un « mode d’être ». en ce sens, elle se trouve intégrée à une culture urbaine aux assises transnationales. Il reste à savoir si ce « creuset » réunit l’ensemble du territoire et de la population de la ville.
Métiers et espaces : un élargissement des dimensions de la violence

Tableau 42 – Groupes professionnels des auteurs d’infractions et des auteurs d’infractions contre les personnes (en %, moyennes par période).
56Les ouvriers présentent la particularité d’être toujours mieux représentés parmi les auteurs d’infractions contre les personnes que dans le total des auteurs. Cela en fait un groupe à part, toujours plus violent que déviant de 1851 à 1911. Il en va de même pour les professions des services (restauration, domesticité, transports) qui apparaissent surreprésentés parmi les auteurs de violences à partir de la période 1876-1891. Le monde de la boutique, plus déviant que violent entre 1876 et 1891, retrouve un profil favorisant la participation aux infractions contre les personnes à la fin de la période, même si cet avantage est léger. L’ensemble des autres catégories professionnelles est également ou mieux représenté parmi le total des auteurs. on peut donc en conclure à une spécificité du monde ouvrier, du monde de la boutique et des professions des services qui se distinguent, entre 1896 et 1911 par un comportement violent.
57Cette suprématie se trouve accentuée si l’on isole, dans un second temps, les auteurs de coups parmi les auteurs d’infractions contre les personnes :
1851-1872 | 1876-1891 | 1876-1891 | |
Monde ouvrier | 39,3 | 46, 9 | 46 |
Monde de la boutique | 15,1 | 14,9 | 11 |
Services | 9,1 | 16, 7 | 15, 7 |
Sans qualification | 12,4 | 10,8 | 16, 8 |
Professions qualifiées | 7, 8 | 3, 6 | 3,9 |
Mer | 9,2 | 5, 6 | 3 |
Autres | 2,3 | 0, 7 | 2,8 |
Monde des affaires | 4,8 | 0,8 | 0, 7 |
Tableau 43 – Principaux groupes professionnels parmi les auteurs de coups (en %, moyennes par période).
58L’analyse parallèle de ces deux tableaux met en lumière des permanences et des mutations dans la sociologie des auteurs. entre 1851 et 1911, les ouvriers sont toujours mieux représentés parmi les auteurs de coups que parmi les auteurs d’infractions contre les personnes, ce qui dénote chez eux une domination des violences physiques. Depuis les années 1880, la part de ce groupe socioprofessionnel est stable parmi les auteurs de coups, comme d’ailleurs dans l’ensemble des auteurs de violences. en revanche, certains groupes de professions s’affirment progressivement au cours de la seconde moitié du XIXe siècle parmi les auteurs de violences. C’est le cas des professions de service et des individus sans profession (dont font partie les filles soumises). une tendance similaire affecte la répartition professionnelle des auteurs de coups. Ici, la progression des professions de service est plus rapide – elle intervient dès les années 1870-80 – et plus forte – malgré un léger tassement en fin de période. Celle des individus sans profession s’effectue sur le même rythme qu’au sein des auteurs d’infractions contre les personnes, mais de manière plus soutenue. La légère régression de la proportion d’ouvriers parmi les auteurs de coups s’explique par une forte progression des individus sans profession et des professions de service.
59Cette modification de la répartition proportionnelle des catégories professionnelles à partir de 1896 conforte l’idée d’une propagation des comportements violents à l’ensemble des classes populaires de la société marseillaise. La frontière délimitant les milieux les plus violents s’est abaissée entre les années 1880 et le début du XXe siècle. Les écarts se sont accrus : les catégories les plus basses ont progressé parmi les auteurs de violences et de coups, tandis que les plus aisées y ont régressé. Cette tendance est surtout marquée pour les violences physiques, ce qui confirme la corrélation entre brutalité et extraction populaire. De fait, les professions qualifiées, qui représentaient en moyenne 7, 8 % des coups entre 1851 et 1872, n’en forment plus que 4 % environ pour les deux autres périodes. De même, les professions des affaires voient leur taux passer d’une moyenne de 4,8 % des auteurs de coups, à moins de 1 % entre 1851 et 1911. L’observation des dix professions les mieux représentés parmi les auteurs de coups permet d’affiner cette hypothèse.

Tableau 44 – Principales professions des auteurs de coups (en %, moyennes par période).
60La supériorité du monde ouvrier se vérifie, avec l’accroissement, au cours du demi-siècle de l’étude, de la proportion de journaliers parmi les auteurs de coups. Des professions comme les maçons, les manœuvres ou les mécaniciens (qui n’apparaissent pas systématiquement dans cette décennie) viennent souligner l’importance des métiers ouvriers de l’industrie et du bâtiment parmi les auteurs de coups. Ce sont donc les ouvriers les moins qualifiés (journaliers, maçons, manœuvres) qui fournissent le plus grand nombre d’auteurs d’infractions contre les personnes. L’ascension de la proportion des individus se déclarant sans profession se confirme. Les cochers, les charretiers, les chauffeurs ou encore les wattmen, c’est-à-dire les activités consistant à conduire des engins de transport individuels ou collectifs, voient leur proportion s’accroître entre 1852 et 1911. La disparition de professions telles que les propriétaires, ou encore les ébénistes et les commis, confirme le rôle joué par le niveau de vie et l’importance de la rémunération.
61Cette évolution reflète en partie l’évolution du monde du travail marseillais. Pour les journaliers et les maçons, l’insécurité de l’embauche s’ajoute à la faiblesse du salaire réel. De plus leur mode de vie réunit des conditions de travail dures, la fréquentation du cabaret, une alcoolisation fréquente, et la pratique du jeu qui favorisent les affrontements violents. Pour les professions du transport, l’augmentation du trafic dans Marseille, ainsi que le contact quotidien avec le public, multiplient les possibilités de conflits. Mais ce qui réunit l’ensemble de ces professions particulièrement violentes, c’est le mode de vie des classes populaires marseillaises au début du XXe siècle, et non pas celui d’un métier en particulier.
62Cette consolidation d’une corrélation entre extraction populaire et violences se répercute dans l’espace marseillais.

Carte 6 – Lieux de résidence de sauteurs de coups : pourcentage par quartier, 1911.
63Globalement, le début du XXe siècle est une période de prolongement des tendances esquissées dans les décennies précédentes : le centre-ville concentre la majeure partie des résidences d’auteurs de violences ; des quartiers industriels apparaissent progressivement comme des foyers de brutalité ; enfin, il est des zones entières de la ville où règne un calme relatif. Cette répartition spatiale reflète également la cartographie des plus fortes densités de population dans la ville, ainsi que celle des zones de croissance les plus vives. On peut donc y lire les caractéristiques fondamentales d’une structure de l’espace déjà établie.
64Les quartiers de centre-ville se démarquent par une forte représentation parmi les résidences des auteurs de coups et blessures. Depuis le milieu du siècle, et même au-delà, ils apparaissent comme un des refuges favoris des auteurs de violences. Logiquement, les quartiers les plus densément peuplés et les plus cosmopolites, dont la fonction de transit est fondamentale, où siègent des activités commerciales provoquant un brassage de population permanent, sont également ceux qui voient leur population s’illustrer parmi les auteurs de violences. En outre, ils abritent l’essentiel de la prostitution et du trafic de drogue, de même que de nombreux cabarets, bars, et hôtels garnis, fréquentés par une clientèle attirée par la réputation sulfureuse du centre-ville61.
65L’ascension des quartiers industriels et ouvriers se confirme, ils sont très visibles sur la carte, où presque tout le littoral nord est représenté. Alors qu’entre 1876 et 1891, les quartiers de Lodi, de la Belle-de-Mai, de Saint-Mauront, et d’Arenc étaient bien visibles, le début du XXe siècle voit leur succéder les quartiers de la villette, et de l’Estaque. Qu’il s’agisse de la période 1876-1891 ou de 1896-1911, ces quartiers sont tous des espaces à forte vocation industrielle abritant une population ouvrière nombreuse, ainsi que des classes populaires attirées par le faible coût des loyers en ces lieux excentrés62. D’une période à l’autre, l’éloignement est de plus en plus sensible. Il reflète les dynamiques de la croissance urbaine et industrielle, qui, à la faveur de transports de plus en plus efficaces, et selon une logique de recherche d’espace, s’étale principalement en direction du nord de la commune (l’estaque, la villette).
66Enfin, les quartiers centraux de l’extension du XVIIIe siècle, ainsi que les quartiers sud de la Canebière ou ceux qui bordent l’avenue du Prado apparaissent faiblement sur cette carte. Ceci révèle l’association étroite entre quartiers bourgeois et absence de résidence d’auteurs de coups ou d’auteurs d’infractions. Toutefois, il convient de tenir compte d’un potentiel chiffre noir, d’autant plus influent qu’il s’agit ici de quartiers bourgeois. S’il ne joue pas de rôle majeur en matière de violences survenant sur la voie publique – quoique le quadrillage policier de ces quartiers soit vraisemblablement moins intense –, il est en revanche certain que les violences familiales et privées sont davantage tues et dissimulées dans les milieux aisés. L’importance de la réputation constitue une entrave majeure à la dénonciation de pratiques violentes auprès de la police. De fait, la connaissance des comportements bourgeois en cette matière nous échappe en bonne partie.
67En dépit de ce biais incontestable, on peut tout de même constater que la ségrégation spatiale s’est accentuée au cours du temps : entre 1851 et 1872, le quartier de l’opéra ou celui de la Préfecture figuraient parmi les dix principaux lieux de résidence des auteurs de coups. Ce n’est plus le cas à la fin de la période.
68La répartition des résidences des auteurs d’infractions contre les personnes montre donc un espace urbain fortement contrasté, dans lequel l’adéquation entre quartiers populaires et foyers de violences est profonde. Elle est l’héritage d’inégalités renforcées au cours du temps, que les diverses tentatives de modelage de l’espace urbain n’ont jamais modifiées. Cependant, à l’échelle de la commune, l’imbrication des espaces est telle que le propos se doit d’être nuancée. En effet, comme le rappelle Émile Témime, « il est difficile de […] parler d’un espace marseillais, mais plutôt d’espaces, de quartiers, chacun d’entre eux ayant ses propres dimensions et ses propres spécificités »63. Les catégories populaires s’identifient à leurs quartiers, et les nuances sur la palette des identités marseillaises forment autant de modèles de comportement qui restent à approfondir. En outre, au sein de chaque quartier, on ne peut que constater « la multiplicité des zones de contact, déjà acquises, cristallisées ou en action »64. Autrement dit : dans un même quartier coexistent des zones plus ou moins populaires, plus ou moins propices à diffuser ou réprouver un mode de rapport social fondé sur la violence. La présente étude trouve ici ses limites, qui sont appelées à être dépassées par des travaux ultérieurs à l’échelle du quartier.
69S’il fallait garder une image de ce début de XIXe siècle à Marseille, il faudrait mettre en avant la question des liens entre répression et criminalité. Le recul de tous les indicateurs de déviance entre 1906 et 1911 ne peut être totalement indépendant de la réorganisation de la police municipale en 1908, et de la spectaculaire augmentation des effectifs qui s’ensuit. De même, l’essor des violences féminines s’explique en partie par un contexte de répression et de contrôle de la prostitution. Cependant, l’effort répressif qui marque les premières années du XXe siècle ne suffit pas à expliquer le niveau que les violences atteignent alors dans la population. En outre, initié à la faveur de troubles sociaux grandissants, il en est autant, sinon plus, la conséquence que la cause.
70Durant le demi-siècle considéré dans l’étude, aucune autre période que le début du XXe siècle ne voit un tel niveau de délinquance et de criminalité contre les personnes proportionnellement à la population marseillaise. L’étude des infractions contre les personnes responsables de cet accroissement met en lumière le rôle des violences physiques : les coups poursuivent leur essor, de même que les rébellions ; les meurtres se distinguent par une croissance sans précédent. L’image de Marseille « terre du crime » n’est donc qu’en partie usurpée. Elle s’appuie sur une progression réelle de la déviance contre les personnes, bien qu’elle trouve sa source dans des fantasmagories xénophobes. Celles-ci sont incontestablement liées à l’ancrage méditerranéen et à la forte présence d’une population d’origine italienne. Elles nourrissent les représentations les plus caricaturales.
71Cet essor des violences s’effectue par un double phénomène de tache d’huile et d’enracinement. Tache d’huile tout d’abord : l’extension des infractions contre les personnes à des groupes peu touchés par celles-ci jusque dans les années 1890 témoigne de la propagation des modèles de comportement violent aux catégories populaires. enracinement ensuite : l’accroissement de la proportion de Marseillais et, plus généralement de Français, parmi les auteurs d’infractions contre les personnes, mais aussi la confirmation d’une ségrégation spatiale des lieux de résidence fondée sur l’orientation sociale et économique des quartiers marseillais, montre que les violences physiques font partie intégrante de l’identité de certains territoires de la ville. Au début du XXe siècle, le comportement violent n’est pas importé à Marseille, il est inhérent aux modes de vie des catégories populaires. Amplement partagé, dépassant les délimitations nationales ou professionnelles, il apparaît donc comme une composante essentielle de leur identité.
Notes de bas de page
1 AD BDR 4 M 9, rapport de la commission relative à l’insécurité de Marseille à l’assemblée générale des patentés, le 24 février 1905.
2 M.-F. Attard-Maraninchi évoque des pratiques semblables de la part des commerçants au sujet de leurs demandes réitérées de contrôle de la prostitution dans les quartiers de centre-ville : « La prostitution à Marseille… », op. cit.
3 AD BDR 4 M 9, rapport cité.
4 Témime e., « La légende noire de Marseille », op. cit., p. 28-29 ;« Marseille ville de migrations », op. cit. ; Montel L., Marseille, capitale du crime…, op. cit.
5 Pour les Bouches-du-Rhône, il s’agit du total des accusés jugés à la cour d’assises d’Aix-en-Provence, et non pas des accusés ayant commis un crime à Marseille, comme c’est le cas dans notre échantillon. Pour tous les départements, la population départementale est celle qui est fournie par la Statistique générale de la France.
6 Parrella A., « Industrialization and Murder : northern France, 1815-1904 », Journal of Interdisciplinary History, t. XXII, no 4, Spring 1992, p. 627-654. Pour une synthèse sur le rôle de l’alcoolisme dans la délinquance contre les personnes, voir : Désert G., « Aspects de la criminalité en France et en normandie », Cahier des annales de Normandie, no 13, 1981 ; Nourrissson D., Le buveur du XIXe siècle…, op. cit.
7 Salvadori E., « Les armes et la délinquance », mémoire de DESS, droit, université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, 2000, p. 5.
8 On se référera au tableau 29 chapitre VI.
9 Pour la délinquance parisienne : Farcy J.-C., Démier F., Regards sur la délinquance parisienne…, op. cit., p. 118.
10 Il s’agit de l’invention de Samuel Colt. Salvadori E., Les armes et la délinquance…, op. cit., p. 5 ; Courcy V. de, Armes et droit pénal, mémoire de DEA, sciences pénales et sciences criminologiques, université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, 2000, p. 43.
11 Salvadori E., Les armes et la délinquance…, op. cit. p. 5. La cartouche prend sa forme quasi définitive grâce aux travaux de Daniel Wesson.
12 AD BDR 2 U 2/1314, affaire citée.
13 AD BDR 2 U 2/1315, affaire citée.
14 AD BDR 2 U 2/1325, affaire Asperty, tentative de vol qualifié et tentative de meurtre, 1907 ; 208 U 2 329, affaire citée.
15 AD BDR 2 U 2/1323 affaire citée.
16 . Id.
17 . Malheureusement, les lacunes des registres d’arrêts de la cour d’assises ne nous permettent pas d’estimer précisément cette proportion.
18 AD BDR 2 U 2/3943, affaire Pompilius, assassinat, 1896.
19 Comme le montre F. Chauvaud, la montée en puissance du rôle des experts dans les enquêtes judiciaires s’effectue à mesure que leurs techniques et leurs savoirs progressent. Les experts du crime…, op. cit.
20 Salvadori E., Les armes et la délinquance…, op. cit., p. 5.
21 AD BDR 4 M 9, le commissaire spécial au ministre de l’intérieur, 25 mars 1905.
22 Id., le commissaire central au préfet 1er avril 1905.
23 Ibid.
24 Baratier e. (dir.), Histoire de Marseille…, op. cit., p. 408 sqq.
25 Perrot M., Les ouvriers en grève…, op. cit. ; Dewerpe A., Le monde du travail en France…, op. cit.
26 Baratier e. (dir.), Histoire de Marseille…, op. cit., p. 408 sqq.
27 Carrot G., Le maintien de l’ordre en France depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’à 1968 (tome 2 : 1830-1968), Presses de l’institut d’études politiques de Toulouse, Centre de recherches sur la police, Toulouse, 1984, p. 650.
28 Carrot G., « L’étatisation… » op. cit., p. 42.
29 Id., p. 43.
30 Ibid. J.O., débats parlementaires, Chambre, 14 février 1908, p. 323.
31 Source : AD BDR 4 M 9.
32 Lescure M., « L’industrialisation de Marseille… », op. cit., p. 14.
33 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 148.
34 Attard-Maraninchi M.-F., « Les filles du port… », op. cit., p. 65 ; « La prostitution à Marseille au xxe siècle… », op. cit., p. 393 sqq. ; Corbin A., Les filles de noce…, op. cit., p. 134 sqq.
35 Corbin A., Les filles de noce…, op. cit., p. 482 et p. 156 sqq.
36 Id. p. 132.
37 Id. p. 160 Pour Marseille, les lacunes des archives ne permettent pas de dresser un bilan comparable à celui de la capitale, Attard-Maraninchi M.-F., « La prostitution à Marseille… », op. cit.
38 Corbin A., Les filles de noce…, op. cit., p. 134 sqq.
39 Ibid.
40 Ibid.
41 Corbin A., Les filles de noce…, op. cit., p. 147.
42 AD BDR 406 U 195, affaire olivier, outrage et voies de faits envers des agents, 1890.
43 À Marseille, cette visite est hebdomadaire. Corbin A., Les filles de noce…, op. cit., p. 135.
44 À Marseille, le régime est particulièrement dur. Corbin A., Les filles de noce…, op. cit., p. 145 ; Mireur H., La prostitution à Marseille. Histoire, administration, police, hygiène, E. Dentu, 1882, p. 313.
45 Nous reprendrons ici l’analyse d’A. Corbin : « Il faut tenir compte des préjugés du temps qui contribuaient à faire de l’examen médical des organes sexuels féminins une atteinte à la pudeur, voire un véritable viol », Les filles de noce…, op. cit., p. 134-135.
46 . De fait, les révoltes se multiplient. Corbin A., Les filles de noce…, op. cit., p. 147.
47 . Les femmes sont d’ailleurs considérées comme mineures sur le plan civil, dans la mesure où le Code civil de 1810 les place sous l’autorité de leur père, puis de leur mari. Sohn A.-M., Chrysalides. Femmes dans la vie privée…, op. cit. ; Duby G., Perrot M. (dir.), Histoire des femmes, tome Iv : Le XIXe siècle, Plon, 1991-92.
48 AD BDR 406 U 197, affaire Bartoli, coups et blessures, 1891.
49 AD BDR 2 U 2/3943, affaire citée.
50 AD BDR 2 U 2/1332, affaire Dubourg, assassinat, 1914.
51 Ce qui n’est pas le cas des meurtres ou assassinats perpétrés sans « provocation ». M’Sili M., « Le procès des empoisonneuses de Marseille », Marseille, no 166, 1993, p. 56-59.
52 Source : AD BDR et Indicateur marseillais. Cf. introduction.
53 Faidutti-rudolph A.-M., L’immigration italienne…, op. cit., p. 22 et p. 96 sqq.
54 Lopez R., Témime e. (dir.), L’expansion marseillaise…, op. cit., p. 72.
55 Faidutti-Rudolph A.-M., L’immigration italienne…, op. cit., p. 6-7.
56 Témime e., Marseille, ville de migrations…, op. cit., p. 40.
57 Ibid. nos sources ne permettent malheureusement pas de vérifier cette hypothèse, en raison de l’absence de renseignements systématiques sur les origines des parents du prévenu ou de l’accusé.
58 Id. p. 40 sqq.
59 Faidutti-Rudolph A.-M., L’immigration italienne…, op. cit., p. 98 sqq. ; Milza P., Français et Italiens…, op. cit., p. 182 sqq.
60 Cette caractéristique de la société marseillaise a été soulevée à maintes reprises. Vovelle M., « Les migrations en Provence au XVIIIe siècle », Études régionales, Nice, PACA, 1981 ; Témime E., Marseille, ville de migrations…, op. cit., p. 39.
61 M.-F. Attard-Maraninchi donne une description vivante et réaliste du « quartier réservé » de Marseille au cœur du quartier Saint-Jean. Cf. « Les filles du port… », op. cit. elle insiste en particulier sur l’attrait de ce quartier et sur l’animation qui y règne.
62 Témime e., Marseille, ville de migrations…, op. cit., p. 49-50.
63 Témime E., Marseille, ville de migrations…, op. cit., p. 50.
64 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 276 sqq.
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