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Marseille la violente

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Céline Regnard-Drouot

Troisième partie. L'éclatement des repères (1895-1914)

Chapitre VIII. Le moyen et les fins. La violence dans les crimes et délits crapuleux

Texte intégral

1À Marseille, au tournant du XXe siècle, une partie de la jeunesse s’illustre dans des bandes de nervis, faisant régner la terreur dans certains quartiers. Or, dans un contexte économique tendu, ce problème dépasse le cadre de la jeunesse et d’une activité criminelle organisée. La limite qui sépare le choix d’un mode de vie illégal de l’exercice occasionnel de petits forfaits est fragile. Elle s’efface devant un point commun : l’usage de la violence afin d’obtenir l’objet ou le bien convoité.

  • 1 On se reportera aux travaux de L. Montel, notamment sa thèse Marseille, capitale du crime…, op. ci (...)
  • 2 Pour des synthèses, on pourra se reporter à : Banditisme et violence sociale dans les sociétés méd (...)

2Dans la réalité complexe des infractions constituant la « matière première » de notre travail, certaines intègrent un acte violent, sans que celui-ci soit l’élément premier de la plainte, de l’enquête, de l’instruction, ou encore du jugement. C’est notamment le cas des violences ayant pour but le gain financier, c’est-à-dire les violences crapuleuses. Nous ne pouvons les ignorer. Il nous faut donc déplacer le regard. Le renversement de perspective, qui fait passer des infractions contre les personnes – étudiées jusqu’à présent pour elles-mêmes – aux violences crapuleuses, amène à considérer l’acte violent non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen de faciliter ou d’accomplir le forfait. La brutalité déployée devient, en quelque sorte, l’arme du crime. Certes, les violences crapuleuses existent à Marseille bien avant le milieu des années 18901. À travers la thématique spécifique du banditisme, elles ont en outre été étudiées pour l’époque moderne et contemporaine dans un cadre géographique large dépassant la Provence2. Il n’est donc nullement question ici de guetter leur émergence à la fin du XIXe siècle, ni d’entreprendre une histoire du banditisme à Marseille à l’époque. Ce sont là les objets d’autres recherches.

3Nous tenterons dans un premier temps de définir, d’évaluer et de replacer dans leur contexte ces violences crapuleuses. Ceci nous amènera à nous interroger sur le rôle des actes violents dans l’économie criminelle organisée. Enfin, nous poserons la question des conséquences des violences crapuleuses sur les tensions et rapports de forces entre les policiers et les suspects, puis entre les magistrats et les individus inculpés dans ce type d’affaires.

Les violences crapuleuses à Marseille : une évolution

  • 3 Il peut s’agir de plusieurs infractions au Code pénal commises en un seul et même acte criminel ou (...)

4L’appréhension statistique des violences crapuleuses jugées s’avère délicate. Elle impose au préalable une définition de certains objets de l’étude, ainsi qu’une explication des méthodes utilisées. Nous distinguerons ci-dessous une catégorie et une sous-catégorie parmi les jugements constituant notre échantillon représentatif : ceux qui voient comparaître un individu pour plus d’une infraction seront qualifiés de « jugements multiples »3 ; parmi ceux-ci, nous isolerons en outre les « jugements mixtes », qui comprennent au moins une infraction contre les personnes et une infraction contre les biens. Ces derniers nous permettront de cerner au plus près les violences crapuleuses, c’est-à-dire les vols avec violences. Aucune de ces deux définitions ne prend en compte la notion de récidive. Non seulement celle-ci est rare dans notre échantillon, mais l’étude du phénomène de récidive nous est apparue annexe, voire éloignée, de notre principal objet de préoccupation.

Les jugements multiples et les jugements mixtes

  • 4 Farcy J.-C., Démier F., Regards sur la délinquance parisienne…, op. cit., p. 19.

5L’intérêt que suscitent les jugements multiples a déjà été souligné par les historiens. Jean-Claude Farcy et Francis Démier, dans leur travail sur la délinquance parisienne à la fin du XIXe siècle, considèrent que 22 % de leur échantillon est constitué d’auteurs de jugement multiples4. À Marseille, la proportion de jugements multiples est légèrement inférieure à celle de la capitale.

Tableau 32 – Pourcentage de jugements multiples dans le total des jugements (par tribunal, puis total tous types d’infractions confondus, Marseille, 1851-1911).

6À l’époque du sondage effectué pour Paris (1888-1894), on relève 15 % de jugements multiples à Marseille, crimes et délits confondus. Cette différence entre Marseille et Paris peut s’expliquer par une divergence entre les pratiques des parquets : le parquet marseillais aurait tendance à poursuivre davantage d’infractions simples, clairement constituées, ou à écarter les chefs d’accusation les plus incertains dans les affaires complexes. Elle peut également relever d’une criminalité plus élaborée à Paris, où la fréquence des jugements multiples correspondrait à une proportion supérieure d’infractions commises simultanément. Il n’est pas exclu que ces deux hypothèses se conjuguent.

  • 5 Sur les arcanes de la procédure et le tri des infractions qui en résulte, on ne reproduira pas ici (...)
  • 6 Farcy J.-C., Démier F., Regards sur la délinquance parisienne…, op. cit., p. 11.

7Établir des statistiques sur les jugements mixtes est une tâche ardue. Tout d’abord, il existe un incompressible écart qui sépare la déviance réelle de la déviance jugée5. Ce problème du chiffre noir se trouve accentué pour les jugements multiples ou mixtes. Face à une réalité complexe, la police et la justice peuvent poursuivre les suspects pour l’ensemble des infractions à la loi, ou pour une partie d’entre elles seulement. En outre, parmi l’ensemble des auteurs, on peut relever ceux qui comparaissent, lors d’un même jugement, pour une infraction contre les biens et une infraction contre les personnes. Ce tri, restrictif, dépend étroitement de la qualification des infractions et des charges retenues. Il y a tout lieu de supposer qu’il constitue une déformation supplémentaire de la réalité, et qu’il accentue les défauts inhérents à toute étude sérielle de la criminalité. Enfin, il est difficile d’utiliser les dossiers de procédure pour dénombrer les violences crapuleuses. Pour Paris, Jean-Claude Farcy et Francis Démier soulignent l’inconstance de leur conservation6. Dans les Bouches-du-Rhône, l’on ne peut que déplorer un constat similaire. Les chiffres qui vont suivre n’ont donc de valeur qu’indicative.

Tableau 33 – Pourcentage de jugements mixtes dans le total des jugements (par tribunal, puis total tous types d’infractions confondus, Marseille, 1851-1911).

  • 7 Américi L., La caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, p. 530 sqq.

8Les auteurs de délits mixtes représentent au maximum 9,7 % du total des auteurs de violences jugés en 1866. Pour les accusés, cette proportion s’élève à 25 % en 1851. Pour le total des auteurs, crimes et délits confondus, la proportion de jugements mixtes la plus importante est atteinte en 1866 avec 9,5 %. L’année 1901 voit leur recrudescence, avec 7,3 %. En dehors de ces deux sondages, leur proportion est plutôt stable. D’après cette estimation, l’évolution des jugements mixtes semble donc connaître un léger regain au tournant du siècle, notamment en 1901. Celui-ci se trouve soutenu en 1906 par un taux de crimes mixtes relativement élevé. Les liens entre le contexte économique et cet essor des jugements mixtes doit à présent être déterminé précisément7. Les deux graphiques ci-dessous présentent la répartition des différents crimes et délits contre les biens dans les jugements mixtes, en valeurs absolues puis relatives :

Graphique 21 – Nombre et répartition des crimes et délits contre les biens dans les jugements mixtes ( 1851-1911).

Graphique 22 –Répartition des crimes et délits contre les biens dans les jugements mixtes (en %, 1851-1911).

  • 8 Articles 381 et 382 du Code pénal.

9L’examen des valeurs absolues montre que, dans les années où les jugements mixtes sont les plus nombreux, cet accroissement est dû à une forte progression des vols, simples et qualifiés. C’est le cas en 1866, en 1881, en 1886, mais également pour les trois sondages du début du XXe siècle. Pour ces derniers, l’accroissement du nombre de vols qualifiés est très sensible. Si l’on observe l’évolution des mêmes données en valeurs relatives, la suprématie des vols se trouve confirmée. De 1851 à 1911, on perçoit une régression de la part des infractions de type « bris de clôture » ou « bris d’objets mobiliers », qui correspondent souvent à des dégâts commis lors de rixes dans des cafés. De même, les délits d’astuce voient leur proportion s’amoindrir considérablement. Inversement, la part des vols simples et qualifiés, importante dès 1851, se maintient à un haut niveau de 1851 à 1911, malgré quelques variations. À la fin de la période, la tendance la plus remarquable, est l’affirmation, en 1896 et 1906, des vols qualifiés. Ceci est l’indice d’un accroissement des circonstances aggravantes aux vols. Parmi elles, figurent la complicité, l’effraction, le vol de nuit, mais aussi la violence8.

10En second lieu, s’impose l’examen détaillé des infractions contre les personnes corrélées à ces vols. Nous procéderons, comme ci-dessus, par présentation des résultats en valeurs absolues puis relatives.

Graphique 23 – Nombre et répartition des crimes et délits contre les personnes dans les jugements mixtes comprenant un vol (1851-1911).

Graphique 24 – Répartition des crimes et délits contre les personnes dans les jugements mixtes comprenant un vol (en %, 1851-1911).

11En valeurs absolues, les années où les vols sont les plus nombreux voient la composition des infractions contre les personnes évoluer. Jusqu’en 1872, les rébellions en représentent la majeure partie ; par la suite, elles régressent, sans toutefois disparaître, au profit des coups ainsi que des crimes violents. L’examen des valeurs relatives confirme cette évolution. On perçoit un tassement progressif de la part des rébellions au profit d’une nette affirmation des coups. L’examen des crimes, rendu difficile en valeurs absolues par leur petit nombre, est quelque peu facilité par la présentation des résultats en valeurs relatives. L’importance des meurtres et assassinats, notamment en 1896 et 1906, n’en est que plus visible.

12Malgré les lacunes inévitables dans ce genre d’étude, trois informations principales se dessinent. D’une part, au tribunal correctionnel, les jugements mixtes connaissent une évolution saccadée, marquée par des phases successives d’essor et de recul. D’autre part, à la cour d’assises, le début du XXe siècle voit l’essor du nombre de crimes mêlant atteintes aux personnes et aux biens. Enfin, les vols avec violences constituent, tout au long de la période, la grande majorité des jugements mixtes. Leur proportion a tendance à augmenter au début du XXe siècle, stimulée par l’essor du nombre de vols qualifiés. Les infractions contre les personnes qui leurs sont liées connaissent parallèlement une évolution vers plus de brutalité. Le début du XXe siècle semble marqué par une radicalisation des violences crapuleuses. À ce stade de la réflexion, une mise en situation s’avère nécessaire. À travers l’étude de quelques dossiers de procédure, on peut tenter de donner de la chair et des paroles aux tendances mises en lumière ci-dessus.

La bourse ou la vie

  • 9 Les deux affaires retenues ci-dessous sont jugées dans les années 1880. La précocité de ce choix n (...)
  • 10 AD BDR 406 U 173, affaire Marcellin, vol, coups et blessures, vagabondage, infraction à un arrêté (...)

13En 1886, trois jeunes hommes âgés de 19 ans comparaissent devant le tribunal correctionnel9 de Marseille pour vol, coups et blessures, vagabondage et infraction à une interdiction de séjour10. Tous appartiennent à une bande de malfaiteurs qui vole les passants dans les rues et détrousse les consommateurs dans les cafés du centre-ville. Ils sont arrêtés le soir du 26 novembre pour avoir frappé Joseph Arducci, un garçon de café travaillant dans un bar de la rue Bouterie. Sa plainte est complétée par le témoignage de Charles Perouton, l’une des victimes des trois co-prévenus. Celui-ci déclare :

« Je suis fabricant d’accordéons, et il m’arrive souvent de faire de la musique dans les concerts ou soirées, ce qui m’oblige parfois à rentrer fort tard. J’ai été plusieurs fois attaqué par des bandes de nervis. Une fois, il y a deux mois, à 3 heures du matin dans la rue Bouterie, ils m’avaient saisi à la gorge pour me dévaliser, l’arrivée inopinée de la police m’a délivré de leurs étreintes et ils ont pris la fuite. Le 23 novembre dernier j’étais à 2 heures 20 du matin dans une buvette de la rue Bouterie, il y avait aussi des nervis de la bande dont je vous ai parlé et ma montre en argent valant 60 fr. a disparu de ma poche sans que je m’en aperçoive. Le 26 octobre j’étais dans l’après-midi dans la buvette de Marchelli, ancien agent de sûreté, lorsque j’ai vu Marcellin et Brousse se quereller avec un dénommé Arducci, le garçon de la buvette. Brousse a attrapé le garçon et l’a frappé, j’ai aidé à l’arrêter. Je reconnais fort bien les trois inculpés Giraud, Marcellin et Brousse, ils faisaient partie de la bande qui m’a arrêté il y a deux mois dans la rue Bouterie, et ils étaient dans la buvette du bar de Bourgogne le 23 novembre lorsque ma montre m’a été volée. »

  • 11 Sur le quartier réservé de Marseille on pourra se reporter à Corbin A., Les filles de noce. Misère (...)

14Ces jeunes hommes, que le plaignant, Joseph Arducci, qualifie de « rôdeurs de nuit », écument le quartier réservé, situé derrière l’Hôtel-de-Ville, dans lequel la rue Bouterie fait figure d’artère principale, bordée de nombreuses maisons de tolérance, de cafés et de cabarets11. Les interrogatoires des prévenus apportent quelques précisions sur leurs activités et leur mode de revenu. Brousse, qui se déclare « journalier » est bien loin d’exercer un quelconque métier ouvrier. Son existence est volontairement mobile et sans attaches. À la lecture du dossier, il apparaît que l’essentiel de ses ressources provient d’activités illégales, du vol en particulier, et que cette absence d’enracinement lui permet de se prémunir d’une arrestation ou d’une surveillance redoutées. En outre, le comportement violent est parfaitement intégré à son mode de vie, ainsi qu’à celui de ses acolytes. Il permet de détrousser les passants ; il est immédiat en cas de danger.

  • 12 AD BDR 2U 2/1297, affaire Poullain, assassinat, vol qualifié, complicité, 1895. Une partie du doss (...)

15Si les affaires de ce genre sont légion au tribunal correctionnel, il arrive que leur gravité les porte devant les assises. Le volumineux dossier de procédure relatant l’instruction de l’affaire Poullain, Chabaud et Viguier, jugés à la cour d’assises des Bouches-du-Rhône en 1895, nous servira d’exemple de crime crapuleux12. La lecture de l’acte d’accusation procure un résumé de l’affaire :

« La veuve Chalvet, 80 ans, habitait à Saint-Louis une campagne qu’elle possédait. […] Le dimanche 17 février 1895, vers 10 heures du matin, le sieur Reynaud, son fermier, étonné de ne pas l’avoir vue alors qu’elle se levait habituellement à une heure matinale, l’appela. Il remarqua qu’une fenêtre du premier étage, par laquelle on ne pouvait accéder que par le toit d’un petit hangar, était ouverte et portait des traces d’effraction. Il envoya son fils prévenir le commissaire de police de Saint-Louis. Celui-ci fit entrer par la fenêtre ouverte son secrétaire qui vint ouvrir la porte fermée de l’intérieur. Il monta jusqu’au premier étage et trouva la dame Chalvet assassinée dans son lit. Elle avait sur la bouche un mouchoir roulé en épais bâillon noué derrière la tête. Entre les deux yeux, elle portait une profonde blessure d’où le sang avait abondamment coulé. Le cou portait des traces de pression, les jambes pendaient en dehors du lit. Les bras portaient des ecchymoses indiquant une résistance. Le grand désordre qui régnait dans l’appartement indiquait que celui-ci avait été fouillé et que le vol était le mobile de l’assassinat. Le service de sûreté apprit bientôt que le nommé Poullain, petit-fils de la veuve, et le nommé Chabaud, acquitté trois jours avant par le jury devant lequel il avait comparu pour vol qualifié, avaient dans la nuit du 16 au 17 février, après 3 heures du matin, fait ensemble au café Puget diverses dépenses et montré l’un et l’autre de l’or et des billets de banque, alors que la veille leur détresse les avaient contraints à emprunter deux francs dans un bar. […] Ils se connaissaient bien depuis le bataillon de discipline, ils vivaient dans l’oisiveté, avaient chacun pour maîtresse une fille publique et étaient des habitués des bars les plus mal famés. »

  • 13 Gruel L., Pardons et châtiments…, op. cit.

16Ajoutons à ce résumé très complet que les accusés ne proviennent pas du même milieu : Poullain, âgé de 25 ans, se déclarant étudiant, est issu d’une famille bourgeoise. Son père est un ancien adjoint au maire de Marseille. Chabaud, en revanche, est un simple chargeur. Viguier est cocher de son état. Assez rapidement, Viguier, qui n’a fait que servir de chauffeur aux deux complices, est blanchi de toute responsabilité dans ce crime. Dans cette affaire, l’extrême violence de la mort de la vieille femme, ainsi que son lien de parenté avec Poullain, sont loin d’émouvoir les accusés. À aucun moment, au cours des multiples interrogatoires menés par le juge d’instruction, ne perce le moindre remords ou la moindre émotion. Poullain, qui cherche à rejeter la responsabilité sur son compagnon, tente bien de simuler un sentiment affectueux envers sa grand-mère ; ce sentiment, selon lui, l’aurait empêché de commettre le crime. Mais le juge n’est pas dupe. Le rapport d’autopsie, sur lequel il s’appuie pour obtenir des aveux, place les accusés devant leurs contradictions : il précise que le crime n’a pu être commis que par deux personnes. En outre, la maladresse du propos de Poullain offre un tel contraste avec son attitude et sa personnalité, que sa crédibilité se trouve réduite à néant. En effet, il n’en est pas à son coup d’essai. Il a déjà dépouillé sa grand-mère d’une somme de 1 100 francs, en août 1894. L’enquête menée par le commissariat de sûreté de Marseille au cours du mois de mars 1895 montre que son goût du luxe, auquel s’ajoute son aversion pour toute besogne, le pousse à se compromettre dans des activités illégales : « Poullain François Paul Henri, âgé de 24 ans, célibataire a le caractère sournois et méchant. Il est en outre l’ennemi du travail. Son instruction est médiocre, quoique ses parents n’aient rien négligé pour le faire instruire et lui donner une bonne éducation. […] Poullain est un libertin, aussi il commença de bonne heure à fréquenter les désœuvrés de basse classe et les établissements mal famés, c’est là qu’il fit la connaissance de la nommé Marchetti Joséphine, fille soumise, qui, plus tard, devint sa maîtresse. » Le rapport précise encore qu’il se trouve souvent à court d’argent, malgré le soutien financier que lui procure sa mère. Le cas de Chabaud n’est pas plus reluisant. Issu d’un milieu modeste, il est présenté par le rapport de police sous des traits peu élogieux. Chabaud serait « paresseux », n’aurait « jamais travaillé que quelques journées sur le port ». Celui-ci précise en outre qu’« il vit aux crochets de sa mère et de sa sœur, elles-mêmes dans le besoin », et qu’« il fréquente des repris de justice et des femmes de mauvaise vie ». Lui aussi aurait pour maîtresse une fille soumise, et fréquenterait assidûment le quartier réservé. En février 1895, il vient juste d’être libéré de prison, où il a effectué une peine préventive de trois mois, avant son acquittement pour vol qualifié. Même s’il est blanchi par ce verdict, son mode de vie reste donc suspect. Cette affaire se solde par une double condamnation à mort pour les auteurs du crime. Sans doute leurs mensonges incessants, leurs attitudes provocatrices, leur absence de remords, ont-ils poussé le jury à une telle sévérité. Le crime crapuleux, dans la mesure où il mêle le vol, l’homicide, et où il évoque ici le parricide, est considéré comme une atteinte irréparable à la morale et aux normes sociales et légales13. Ce verdict s’explique également par la multiplication des homicides crapuleux jugés par la cour d’assises depuis quelques années. Le vol qualifié, accompagné de violences pouvant aller jusqu’à l’assassinat, y constitue en effet la quasi-totalité des jugements mixtes. En raison de l’identité des accusés et de la sévérité du verdict, ce dossier est doublement exceptionnel. En effet, il est rare que des fils de bourgeois se compromettent dans ce genre de criminalité. La plupart des crimes crapuleux jugés aux assises relèvent d’attaques à main armée menées par des individus sans fortune. Toutefois, le rôle qu’y joue le comportement violent est le même. L’homicide, qu’ils affirment ne pas avoir prémédité, est présenté, dans leurs déclarations, comme un accident de parcours. La violence du crime les laisse indifférent. Elle est vécue comme un passage obligé : la vieille femme s’étant réveillée, il fallait la faire taire.

  • 14 La distinction entre criminel d’habitude et de profession est délicate à déterminer. Elle se profi (...)
  • 15 Montel L., Marseille capitale du crime…, op. cit.

17La pratique des violences crapuleuses n’est pas nouvelle. Toutefois, sa recrudescence est perceptible à la fin de la période. Deux niveaux de gravités doivent être distingués. En premier lieu, les formes délictuelles de violences crapuleuses se trouvent étroitement liées à l’évolution du niveau de vie des catégories sociales les plus modestes. Ceux que les Marseillais nomment les « nervis » apparaissent donc comme les héritiers des vagabonds et voleurs de jadis. En période de crise, viennent s’y ajouter les voleurs d’occasion, qui, pour dérober une bourse, n’hésitent pas à brutaliser leur victime. En second lieu, la fin de la période apparaît marquée par un réel essor du nombre de crimes crapuleux jugés à la cour d’assises. Celui-ci est perceptible à l’examen du nombre de jugements mixtes figurant dans les arrêts de la cour, et trouve une partie de son explication dans l’émergence d’une économie criminelle à Marseille, économie fondée sur l’exploitation du marché lié à la prostitution ainsi que sur de nombreux trafics et vols. Le crime crapuleux est de plus en plus le fait d’individus qui recherchent un mode de vie oisif, et se procurent l’essentiel ou la totalité de leurs revenus par des moyens illégaux. La nécessité n’est pas, dans leur cas, la cause principale de leur déviance – en témoigne leur origine parfois aisée. Ce mode de vie apparaît davantage comme un choix. La fréquentation régulière du quartier réservé, l’entretien de prostituées, les vols, les arrestations et les jugements à répétition, accroissent encore le flou qui règne déjà autour de la frontière ténue qui sépare le criminel d’habitude du criminel professionnel14. De fait, l’essor du nombre d’homicides crapuleux entretient des liens étroits avec celui d’une criminalité professionnelle à Marseille15.

La violence : outil privilégié des « bandes criminelles »

  • 16 Farcy J.-C., « La ville contemporaine est-elle criminogène ? », op. cit.

18La « bande criminelle » constitue un objet historique à la définition variable, et encore en grande partie inédit dans l’historiographie de la ville contemporaine16. Il ne sera pas question ici d’étudier en détail les activités et l’organisation des bandes criminelles marseillaises : ceci relèverait d’une autre recherche. On voudrait en revanche s’intéresser au rôle que joue la violence dans les activités déployées par de telles bandes. En effet, son importance est attestée par les criminologues spécialistes des bandes criminelles. En 1957, Jean Susini, commissaire principal à la sûreté nationale, propose une définition de la « bande criminelle » – fondée sur la notion de violence – que nous retiendrons ici :

  • 17 Susini J., « La bande criminelle. (Aperçus historiques) », Revue de science criminelle et de droit (...)

« Cette forme de criminalité est caractérisée par un certain nombre de critères […]. C’est d’abord l’usage de la violence, c’est-à-dire du moyen le plus direct d’acquisition criminelle. C’est ensuite le fait de l’association de tels agresseurs, association donnant une impression de stabilité et d’organisation. C’est aussi et surtout le fait même de l’agression collective qui s’insère brutalement, en quelque sorte à visage ouvert, en plein espace public. Et ceci est important, car cette audace, ce défi s’inscrivant avec une telle publicité, font durant quelques instants revivre les plus primitives formes de relations criminelles que justement l’ensemble des processus de socialisation et de pacification civiles ont pour fonction permanente et historique de rendre impossible. »17

La garantie du gain

  • 18 Montel L., « Faire du crime organisé un objet d’histoire, d’après le cas marseillais (XIXe siècle (...)
  • 19 Pinatel J., « Les criminels professionnels », op. cit., p. 910.
  • 20 Susini J., « La bande criminelle… », op. cit., p. 673 ; Cusson M., « Les zones urbaines criminelle (...)
  • 21 AD BDR 2U 2/1291, affaire Sésia, tentative de meurtre, tentative de vol et vol, 1894.
  • 22 Ce sont d’ailleurs les seules agressions dont les deux accusés sont reconnus coupables par le jury

19Le premier rôle dévolu aux agressions contre les personnes dans le cadre d’une « économie criminelle organisée »18 est de permettre la garantie du gain. Devant les coups et les menaces, les victimes cèdent leurs bourses. Cette pratique, désignée par les criminologues comme « une méthode de base d’une activité criminelle acquisitive »19, n’est pas nouvelle, mais semble connaître un regain de vitalité à la faveur de la croissance urbaine marseillaise. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les quartiers populaires de la banlieue nord de Marseille (Saint-Henri, Saint-André) sont le cadre d’une économie criminelle particulièrement juteuse et bien organisée. Les routes, mal éclairées, propices aux embuscades, offrent un cadre opportun pour les violences crapuleuses. La surveillance policière reste très insuffisante, malgré les efforts entrepris au cours de la seconde moitié du siècle. Or, comme le souligne Jean Susini, c’est précisément là où les conditions de surveillance policière sont les plus faibles que ce type de criminalité surgit20. De fait, on assiste à la multiplication des agressions nocturnes dans ces quartiers. Une affaire jugée à la cour d’assises en 1895 offre une illustration exemplaire de cette criminalité dans deux quartiers du nord de Marseille : Saint-Henri et Saint-André21. Les deux accusés, Félix Sésia et Michel Pena, sont arrêtés dans la nuit 14 octobre 1894. Cette nuit-là, plusieurs plaintes sont déposées, faisant suite à des agressions violentes. À la lecture du dossier, il est difficile d’imputer avec certitude aux deux accusés l’ensemble des agressions mentionnées par les divers procès-verbaux de police de la nuit du 14 au 15 octobre 1894. Seules celles de Clément Justin et de Jean-Baptiste Gianello semblent bien avoir été commises par Sésia et Pena ce soir-là22. Or, pour ces deux agressions, l’acte violent apparaît comme un moyen privilégié de s’emparer du butin convoité. Les dépositions des victimes décrivent les brutalités dont elles ont été les objets. Encore sous le coup de l’émotion, le premier des deux plaignants déclare : « Il y a cinq minutes environ, revenant de Saint-Louis à pied et me trouvant sur la route entre le village de Saint-André et de Saint-Henri, à la hauteur de la Traverse de Picaron, j’ai été assailli par deux individus qui m’ont donné quatre coups de poing sur la figure, et dont l’un s’est mis à me fouiller pendant que l’autre me tenait le bras, en me serrant contre le mur. Ils ne m’ont rien pris quoique j’eusse une trentaine de francs sur moi, parce que je me suis vigoureusement défendu et que je me suis mis à crier, et aussi parce que deux personnes ayant paru sur la route, ils ont eu peur et ont pris la fuite par la traverse Santi ». Jean-Baptiste Gianello décrit les mêmes violences, utilisées dans un mode opératoire similaire. Il porte plainte en ces termes : « J’ai été arrêté sur la route par deux individus qui venaient dans le sens opposé, et qui, au moment où ils m’ont rencontré, se sont jetés sur moi, l’un me saisissant à bras-le-corps et me serrant le cou, tandis que l’autre me fouillait les poches […]. Ils m’ont alors lâché sans rien me prendre mais en me recommandant de ne rien dire. Pena a ajouté : “Je suis malheureux, je me trouve sans le sou et nous tâchons moyen de faire un peu d’argent.” Je lui ai répondu que j’étais aussi malheureux que lui et qu’il avait eu tort de s’en prendre à moi. » Pena et Sésia agissent donc de concert, de manière organisée : l’un immobilise la victime tandis que l’autre, menaçant de l’étrangler, cherche à lui soutirer son argent. Leur violence est telle que leurs victimes craignent pour leur vie. Les deux hommes ont conscience de ne devoir leur salut qu’au hasard.

  • 23 Jacquemet G., Belleville au XIXe siècle…, op. cit., p. 344 ; Kalifa D., « L’attaque nocturne », op (...)

20Les pratiques de Pena et Sésia sont loin d’être isolées dans ce quartier au milieu des années 1890. Les vols avec violences s’y multiplient alors. Jean-Baptiste Gianello l’évoque dans sa plainte : « Depuis quelque temps on ne peut plus sortir le soir, sans être arrêté. » Il est vrai que le terrain s’y prête. Un rapport commandé par le juge d’instruction détaille le cadre de l’agression de Justin Clément : « Le chemin sur lequel a eu lieu la tentative de vol Clément Justin le 14 octobre est […] la grande route qui traverse le village de Saint-André, Saint-Henri et l’Estaque, dont il constitue la principale artère. Un réverbère éclairé au schiste se trouve placé sur cette route à l’intersection de la traverse Picaron, au point où a eu lieu l’arrestation, seulement cette lanterne est masquée par un platane dont l’ombre se projette justement à l’endroit précis où Clément Justin fut arrêté. » L’extension urbaine dépasse les capacités de la municipalité à entretenir, éclairer, et sécuriser les nombreuses voies de communication qui parcourent ces quartiers excentrés. À la même époque, la municipalité parisienne connaît des déboires comparables devant la multiplication des attaques diurnes et nocturnes dans les arrondissements excentrés. Au début du XXe siècle, ce type de criminalité, perpétré par des bandes criminelles, culmine à Belleville et à Ménilmontant23. Comme dans la capitale, les quartiers éloignés du centre-ville de Marseille offrent à des bandes criminelles un territoire de rapine particulièrement tentant. C’est le cas dans l’affaire qui nous occupe. Comme l’instruction le confirme par la suite, Pena et Sésia fréquentent tous deux la bande des frères Marçon, ainsi que de nombreux individus gravitant autour de celle-ci. Les membres de cette bande vivent du produit de leurs agressions, faisant régner sur ces quartiers une terreur certaine, qui incite la plupart des habitants à ne sortir qu’armés, une fois la nuit tombée. Le rapport de police demandé par le juge d’instruction est formel : « Les frères Marçon Marius et Marçon François, natifs du quartier Saint-André où habitent encore leur père et leur frère aîné, sont des repris de justice dangereux, affiliés à des bandes ayant la spécialité de faire des vols avec violences, ils se tiennent en ville et ne paraissent que rarement à Saint-André, où ils sont maintenant trop connus, mais le plus jeune y a été vu et s’est même présenté au bureau de police à l’époque où avaient lieu les vols avec violences reprochés à Pena, Sésia et Cassoulo. » Ce rapport établit les liens entre Pena, Sésia, et divers membres d’une bande de voleurs ayant sévi, et sévissant encore, dans le quartier en 1894. Il semble que Pena ait été, tout comme Sésia, attiré par les revenus faciles offerts par ce genre de vie. En effet, la faiblesse de leurs salaires de journaliers ne suffit ni à les faire vivre convenablement, ni à leur permettre les activités auxquelles ils aspirent. Pena et Sésia sont joueurs, fréquentent les cabarets, et se trouvent, de fait, confrontés à des besoins financiers permanents et grandissants. Pour ces postulants à la criminalité professionnelle, la violence apparaît comme une garantie d’impunité, bien plus que comme une conduite moralement réprouvable. La frontière entre la criminalité d’occasion et la criminalité professionnelle est donc poreuse, particulièrement pour les moins qualifiés des ouvriers marseillais, touchés par la stagnation et la faiblesse des salaires réels au début du XXe siècle.

Le prix du silence

  • 24 Cordeau G. « Les homicides entre délinquants : une analyse des conflits qui provoquent des règleme (...)
  • 25 AD BDR 2U 2/1317, affaire Marchi, assassinat et complicité.
  • 26 En 1906, Marius Bonnaud est déjà connu de la police marseillaise. Cette année-là, il comparaît à q (...)
  • 27 AD BDR 2 U 2/1317, affaire citée.

21Le second rôle dévolu à la violence dans les bandes criminelles ne concerne plus leurs activités lucratives, mais les relations entre leurs membres. En effet, la terreur que font régner les chefs de bande, par leurs propres crimes ou par l’intermédiaire de leurs sbires, est destinée à prémunir le groupe de toute dénonciation. Le crime violent poursuit un but préventif : par la peur qu’il inspire, il vise à faire taire les témoins, ou les victimes ayant la chance de survivre. De fait, son but est de pérenniser les infractions contre les biens dont vivent les membres de la bande24. En 1906, une affaire d’une grande complexité est jugée par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône25. Elle voit comparaître six accusés pour l’assassinat de Pascal Santucci. À la lecture du dossier de procédure, il apparaît que ceux-ci appartiennent à une bande criminelle du quartier réservé de Marseille, vivant de la prostitution de leurs maîtresses. Le chef de ce groupe, Marius Bonnaud26, comparaît en compagnie de quelques-uns de ses hommes de main. Tous pratiquent régulièrement l’assassinat des individus gênants, ou menaçant de l’être. Cette violence entraîne logiquement la terreur des témoins de ces crimes, allant même jusqu’à rendre muettes les victimes, dont certaines sont pourtant à l’article de la mort. Avant son transfert à l’Hôtel-Dieu, immédiatement après la tentative d’assassinat dont il vient d’être victime, Pascal Santucci déclare au gardien de la paix : « Je ne peux vous dire comment j’ai été blessé, je ne sais absolument rien27. » Le lendemain, interrogé par le commissaire de police à l’Hôtel-Dieu, il persiste dans cette attitude : « Hier, vers sept heures et demie du soir, je suis allé m’attabler seul à la terrasse du bar Gargaille. J’ai commandé un “berger”. Pendant que je consommais, trois jeunes gens que je ne connais pas sont venus s’asseoir à une table à côté. Ils parlaient ensemble. Quelques instants après je me suis senti blessé au dos. M’étant levé aussitôt je me suis affaissé un peu plus loin sur la chaussée. Les coups n’ont pas été tirés par les trois jeunes gens dont je viens de parler. J’ignore leurs noms. Ils ne sont au reste pour rien dans cette affaire. […] Je ne me connaissais pas d’ennemis. » Or, l’enquête du juge d’instruction établit avec certitude, en croisant les témoignages, que Santucci était attablé ce soir-là en compagnie de Rosati et Giuliani – qu’il fréquentait régulièrement –, mais qu’il connaissait également l’auteur des coups de feu, ainsi que ses acolytes, pour les avoir rencontrés à plusieurs reprises dans le réseau des souteneurs du quartier. Il était lui-même l’ancien souteneur d’une fille soumise, Marie Mariotti, passée sous la coupe de Noël Marchi, désigné par certains témoins comme l’auteur des coups de feu. C’est donc bien la peur qui fait taire Santucci : peur des représailles s’il parvient à survivre à ses blessures – ce qui ne sera pas le cas –, peur également pour sa famille ou ses proches qui pourraient faire les frais de la violence de Bonnaud et des siens.

22De fait, ce sentiment est partagé par de nombreux témoins à charge, que le juge d’instruction tente de confronter aux témoins à décharge. Marie Mariotti, témoin décisif pour appuyer les accusations contre les six inculpés, fait preuve d’une soudaine incertitude lorsqu’elle se trouve confrontée à la maîtresse de Bonnaud dans le cabinet du juge d’instruction. Alors que, quelques jours auparavant, elle accusait sans hésiter Inès Pucci, surnommée Violette, de l’avoir menacée de mort si elle venait à dénoncer Marius Bonnaud, elle rétracte ses déclarations sitôt confrontée à sa rivale. Une fois Inès Pucci sortie, elle déclare au juge d’instruction : « Je redoute Violette qui habite près de chez moi et c’est pour ne pas recevoir un mauvais coup que je vous ai dit tout à l’heure que je ne me souvenais plus des paroles qu’elle avait prononcées. Je vous affirme qu’elle m’a menacée si je faisais arrêter son homme et je maintiens ce que je vous ai déclaré. » En, effet, un mois plus tôt, en présence du juge d’instruction, Marie Mariotti avait décrit les menaces qui pesaient sur elle, depuis qu’elle s’était rendue au commissariat, le jour de la tentative d’assassinat : « Depuis que j’ai fait ma déposition, les gens du quartier me disent de me méfier des jeunes du Lazaret. »

23C’est encore la peur qui pousse un délateur anonyme à révéler au juge d’instruction, par écrit, les cachettes de Marius Bonnaud. Sa lettre est datée du 21 septembre 1905. Nous la restituons ici dans son orthographe initiale :

« Monsieur, par la présente je tient à vous faire savoir que le nommer Marius Bonnaud dit le Matelot recherchez par vous pour les meurtres de Landucci et Santucci se cache dans le quartier de Saint Mauront seulement la nuit il descend se couchez en ville ne faisant une descende chez deux individus que je vais vous citez vous serez sur de l’avoir car il couche tantôt chez l’un tantôt chez l’autre ces deux individus sont Bastistin Caragio dit l’étrilleur dit le baveur demeurant en garni rue pavillon n ° 6, 2e étage. Martin Tolla dit Hamerleque demeurant en garni rue corneille je ne sait pas le numéro mais je vous dirait que c’est dans la maison ou il y a un lieu d’aisance. Une perquisition chez ces deux individu vous sera fructueuse puis en les interrogeant sur l’emploie de leurs temps les soir du meurtre de la place Victor Gelu l’honorable M. Malvialle tiendrez les coupables entre les mains. Veuillez recevoir avec l’assurance de mon profond respect mes salutations les plus empressées. PS : je me signerez volontiers mais l’instinct de conservation m’en empêche… »

  • 28 Pinatel J., « Les criminels professionnels »…, op. cit., p. 916 ; et Vienne R., « Considérations s (...)
  • 29 Cordeau G., « Les homicides entre délinquants… », op. cit., p. 32.

24Comme dans la plupart des bandes de malfaiteurs jugées par la cour d’assises au début du XXe siècle, la violence constitue, dans le groupe de Marius Bonnaud, un élément distinctif dans la hiérarchie. Les chefs ou les leaders s’imposent par la violence et assurent la pérennité de leur autorité sur le reste du groupe par une attitude de terreur à l’égard de celui-ci. Le chef de bande, entretenant une part de mystère, se fait obéir et respecter par une attitude violente presque irrationnelle. Celle-ci ne possède pas d’autre légitimité ni de justification que son bon vouloir, ce qui la rend incontrôlable28. L’acte violent et la peur qu’il suscite maintiennent la cohésion de ce groupe qui se singularise également par une surveillance étroite des faits et gestes de chacun. Maurice Tarbuccia déclare au juge d’instruction : « Bonnaud était le chef de la bande, la plupart des inculpés mangeaient et couchaient chez lui et tout le monde lui obéissait ». Il décrit les pratiques d’intimidation systématiquement mises en œuvre envers tous ceux qui sollicitent un entretien avec le chef de bande et ses plus proches collaborateurs. Ceux-ci les reçoivent dans une chambre de la maison du 25 rue Bouterie, et, armés jusqu’aux dents, n’ont même pas besoin de les menacer explicitement. Leur attitude suffit à remplir cette fonction : « Tous ces individus étaient armés d’un revolver et ils ont éprouvé le besoin de nous les montrer. » La possession d’armes, l’habileté à s’en servir et l’effacement de toutes les inhibitions pouvant freiner le recours à la violence caractérisent ces criminels de profession29. La pratique d’intimidation décrite par Tarbuccia vise donc à s’assurer de son silence.

25La peur que la violence suscite chez les témoins ou les victimes est destinée à protéger les activités qui font vivre le groupe. Tous connaissent, pour avoir fréquenté des membres de la bande ou des victimes de celles-ci, le sort réservé aux individus frayant avec la police et la justice. La mise à mort est en effet une pratique systématique des bandes criminelles à Marseille au début du XXe siècle. Le règlement de comptes constitue la troisième forme d’utilisation de la violence dans celles-ci.

L’arme des règlements de comptes

  • 30 Id. p. 19 sqq.
  • 31 Jacquemet G., Belleville au XIXe siècle…, op. cit., p. 345.

26La violence s’exerce envers diverses catégories d’individus, qui, d’une manière ou d’une autre, gênent les membres de la bande criminelle. Selon Gilbert Cordeau, dans son étude sur les règlements de compte au Canada dans les années 1970 et 1980, les règlements de comptes sont liés à trois types de situations : la délation, les conflits liés aux transactions entre criminels, et les conflits liés à la compétition pour un marché ou un espace30. À Marseille, dans les bandes criminelles jugées à la cour d’assises pour le début du XXe siècle, cette typologie s’avère déjà tout à fait opératoire, et les logiques qui président aux règlements de comptes sont similaires. En outre, elles sont également attestées dans le cas parisien, étudié par Gérard Jacquemet au XIXe siècle31. Nous nous intéresserons ici à trois groupes de victimes : les traîtres, les réfractaires, et les ennemis.

  • 32 Cordeau G., « Les homicides entre délinquants… », op. cit., p. 21 sqq.
  • 33 AD BDR 2 U 2/1315, affaire Maurice, assassinat, 1906.

27L’élimination du traître recoupe les conflits liés à la délation32. Un riche dossier de procédure apporte l’illustration d’un règlement de comptes visant à éliminer un individu ayant trahi son clan. En 1906, Maurice Marius comparaît devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône pour assassinat33. Il est accusé d’avoir tiré plusieurs coups de revolver sur Sylvestre Baptistin Regouffre, le soir du 16 janvier 1906, devant un bar situé Grand chemin de Toulon. La victime décède des suites de ses blessures, vingt-quatre heures plus tard, à l’Hôtel-Dieu. Dès le procès-verbal de police constatant la tentative de meurtre, la piste d’une vengeance est évoquée. En effet, la chose est assez rare pour être soulignée, la victime, à l’inverse de Santucci, ne cède pas à la peur des représailles : à l’article de la mort, il opte pour une ultime vengeance, et choisit de désigner nommément son agresseur, ainsi que les causes du geste meurtrier. Quelques mois plus tard, au terme de l’enquête, la déposition du brigadier de sûreté Victor Azam vient éclairer toute l’affaire :

« Je connais Vallé et Regouffre depuis 7 ans environ, la police avait eu souvent à faire avec eux. Vallé tenait dans le quartier de Menpenti rue d’Isly 3 en 1902 un magasin de bric-à-brac, il avait aussi une remise située sur la rue de l’Aube et la rue Julia, près d’un jeu de boule où se réunissaient tous les “nervis” du quartier. Quelques fois ils se donnaient rendez-vous dans la remise de Vallé. Ce dernier et Maurice dit le Grêlé s’y rencontraient et habitaient le même quartier et se connaissaient parfaitement. À la suite d’un vol d’une balle de cuir en 1902, Regouffre me fit connaître que la balle se trouvait chez le nommé Vallé et il me donna les noms des individus qui l’y avaient portée. Vallé quitta Marseille le lendemain de cette révélation et ne fut arrêté que plus tard, il fut condamné et expulsé. À partir de cette époque, Regouffre passa pour être « une vache », et il fut en butte aux tracasseries de ses anciens amis. Peu de temps après sa sortie de prison, il se présenta à la sûreté pour nous dire qu’en se rendant à la gare du Prado pour travailler il avait été assailli et frappé par une bande d’individus qui lui reprochaient d’être un indicateur de la police, il ne nous fit pas connaître les noms de ces individus. »

  • 34 Comme l’ont souligné J.-C. Farcy et F. Démier, le port d’arme prohibée est un délit qui révèle fré (...)

28L’auteur du crime affiche, malgré son jeune âge, un lourd passé judiciaire : à bien des égards Maurice Marius peut être considéré comme un malfaiteur de profession. Le rapport du commissariat de sûreté détaille son parcours : « Le nommé Maurice Marius, âgé de 21 ans, célibataire, sans fortune personnelle, se disant plombier, demeurait en dernier lieu rue Bleue 13. Sa réputation de conduite et de moralité est mauvaise. Il a d’ailleurs subi de nombreuses condamnations à Marseille. En 1899 il fut poursuivi pour vol mais à cause de son jeune âge, les juges le rendirent à ses parents le 27 septembre de la même année. Il a été depuis successivement condamné 1/le 25 janvier 1902 à 16 fr. d’amende pour port d’arme prohibée, 2/le 2 août 1905 à 15 jours de prison pour un délit de même nature, 3/le 14 mars 1906 à 20 jours de prison pour port d’arme prohibée, 4/le 20 décembre 1905 les mêmes juges ont octroyé par défaut 4 mois de prison pour coups et blessures. Il s’adonnait à la boisson et ne se livrait à aucun travail régulier34. » Le crime de Marius Maurice montre que, dans une bande criminelle, la violence est une norme partagée par tous. Quiconque estime la bande lésée par la trahison d’un de ses membres peut se venger au nom de la collectivité. Dans ce type d’affaires, le traître, c’est-à-dire celui qui a parlé pour donner le lieu de recel et/ou un certain nombre de ses complices, est donc menacé et attaqué dès sa sortie de prison. Il est mis à mort quelque temps après. La violence apparaît comme un moyen de régler ses comptes avec celui dont le comportement a trahi les normes de la bande. En outre, l’assassinat du traître possède une fonction préventive : il sonne comme un avertissement pour ceux qui auraient l’intention de trahir la bande.

  • 35 AD BDR 2 U 2/1317, affaire citée.
  • 36 Ce principe est présenté par Gilbert Cordeau comme une appréhension rationnelle de la violence dan (...)

29En cela, il possède des points communs avec le crime qui menace les réfractaires. L’affaire de l’assassinat de Santucci apporte l’illustration la plus parlante de ce type d’agissements. En effet, la scène se déroulant au fief de la bande de Marius Bonnaud le lendemain du crime n’a pas d’autre but que d’intimider les invités, qui désirent prendre leurs distances d’avec Bonnaud et ses hommes de main. Maurice Tarbuccia se trouve dans cette situation inconfortable. Il confie au commissaire de police : « Il y a 8 ans que je suis en butte aux menaces de certains individus avec lesquels j’ai refusé de frayer et qui ont promis de me tuer à cause de cela. […] Jadis j’avais un peu frayé avec eux, mais devant me marier prochainement je ne veux plus les voir. De là provient leur haine contre moi. Depuis quelques jours ces individus se sont promis de me tuer, ils ont fait part de ceci à M. Giuliani qui est venu m’aviser et m’a engagé à me tenir sur mes gardes35. » Tarbuccia a en effet quelques raisons de craindre pour sa vie. François Giuliani confirme au commissaire de police les intentions de Bonnaud envers ceux qui refuseraient de se placer sous sa coupe : « Bonnaud me dit aussi que si mon neveu Rosati et Tarbuccia voulaient être tranquilles, ils n’avaient qu’à faire bande avec eux. » La bande de Marius Bonnaud leur impose donc une mise à l’épreuve. Le marché proposé est expliqué par Tarbuccia : « Hier soir vers 10 heures et demie j’étais au bar Sans pareil […] avec mes amis Giuliani et Rosati, deux de ces individus nommés François dit le Corse et Ciré sont venus à nous et nous ont demandé si nous comptions oui ou non faire relâcher le nommé Franceschi Adrien arrêté dans la journée dans une rafle. Si non, nous aurions à faire à toute la Joliette. Craignant quelque mauvais coup, nous avons répondu que nous ferions notre possible. » L’assassinat de Santucci lui-même correspond à ces menaces exercées sur les individus désireux de s’émanciper de la bande. Selon Marie Mariotti, l’ancienne maîtresse de la victime, celui-ci aurait été tué en raison de sa volonté de s’éloigner du groupe. Elle affirme au commissaire de police : « Je sais depuis longtemps que tous en veulent à Santucci parce que celui-ci ne veut plus les fréquenter. » L’appartenance à une bande criminelle comme celle de Marius Bonnaud oblige donc à une fidélité à vie. Dans cet univers marginal où les normes sont en complet décalage avec celles de la société civile, l’individu disparaît au profit du groupe. La violence est un facteur de cohésion interne, une garantie d’obéissance et de silence, et elle constitue une assurance de pérennité. Une fois lié le pacte entre un individu et le groupe, il apparaît difficile de se rétracter. Les crimes perpétrés collectivement sont si graves (vols qualifiés, assassinats) que les membres de la bande ne rechignent pas à commettre un assassinat pour se prémunir d’une quelconque faille dans la cohésion de la bande36.

  • 37 Ce sont les conflits que Gilbert Cordeau décrit comme « associés à la compétition », Id. p. 28 sqq
  • 38 Montel L., « Espace urbain et criminalité organisée : le cas marseillais dans le premier XXe siècl (...)
  • 39 Attard-Maraninchi M.-F., « La prostitution à Marseille au XXe siècle… », op. cit., p. 393-394.
  • 40 Entre 1916 et 1943 les quartiers du Chapitre, de Noailles, de la Préfecture, de Belsunce, et de l’ (...)
  • 41 La rue Bouterie, longue de 300 mètres, est en effet l’une des principales rues du quartier réservé (...)
  • 42 AD BDR 2 U 2/1317, affaire citée.

30Les ennemis constituent le troisième groupe touché par les règlements de comptes. Le crime violent est mis au service de la lutte entre bandes criminelles concurrentes, ou voisines. En effet, l’assassinat d’un ennemi entre dans la logique de conflits liés à la compétition pour l’exploitation d’un marché ou d’un territoire37. Dans le cas de l’exploitation de la prostitution, ces deux dimensions se confondent. Or, ce type de règlement de comptes appelle une vengeance. Il participe donc d’une escalade de violences dans laquelle les deux bandes se mesurent jusqu’à ce que l’une d’entre elles prenne le dessus. À travers l’affaire de l’assassinat de Santucci, on perçoit, à la faveur de quelques allusions dans les dépositions ou les rapports de police, que, dans les premières années du XXe siècle, le quartier réservé de Marseille fait l’objet d’une intense concurrence entre diverses bandes criminelles pour la maîtrise du territoire et des filles soumises38. Celui-ci est en effet un élément stratégique de la puissance de la bande criminelle. Mais il est surtout un secteur d’activité lucratif. Tout ceci se joue cependant à une échelle très réduite. Le quartier réservé est exigu, le territoire se mesure donc en termes de rues, voire de maisons. L’exacerbation des tensions tient à l’accroissement du nombre de lieux de prostitution clandestins à partir du début du XXe siècle. De fait, diverses bandes criminelles tentent de s’introduire dans ce marché, ou d’y accroître leur influence39. Bien que d’autres quartiers accueillent le même type d’activités40, la proximité du port, et donc de la clientèle la plus nombreuse, fait du « quartier réservé » l’épicentre de l’économie parallèle qui s’établit autour de la prostitution et en lien avec elle. En 1905, la bande de Marius Bonnaud est récemment implantée rue Bouterie, l’un des principaux lieux de prostitution de Marseille41. Marius Bonnaud, ainsi que la plupart de ses sbires, sont originaires d’un quartier voisin : le Lazaret. Afin d’accroître leurs profits et leur territoire, ils cherchent à s’implanter dans le quartier réservé, aux dépens de l’autre bande dominant celui-ci : celle du quartier Saint-Jean, où est situé le quartier réservé. Cette concurrence pour la maîtrise d’un espace, et des filles qui y travaillent, entraîne une surenchère de violences, où la bande qui cherche à s’implanter pratique de nombreux assassinats dans le groupe concurrent, afin d’assurer son autorité et sa réputation. Giuliani rapporte au commissaire de police une conversation qu’il a eue avec Marius Bonnaud : « Je demandai à Bonnaud pourquoi tous les soirs il y avait un tué ou un blessé, il me répondit que ce n’était pas fini et que bientôt lui-même sortirait le soir pour faire campagne et faire beaucoup plus de mal qu’il n’en a été fait jusqu’à présent42. » L’expression « faire campagne » est à elle seule révélatrice des desseins de ces violences. La mort de tel ou tel individu est mise au service du prestige qu’elle va apporter à la bande. Celui-ci est proportionnel à la crainte qu’elle inspire. Ici, le crime est une carte de visite.

  • 43 Susini J., « La bande criminelle… », op. cit. p. 676.

31La concurrence entre bandes criminelles dans le centre-ville de Marseille provoque un accroissement du nombre de règlements de comptes entre 1900 et 1906. Cette chronologie corrobore la montée en puissance de la criminalité organisée en France jusqu’au milieu des années 1900 puis sa forte régression, à partir de 1907, suite à la création des services régionaux de police mobiles43. Dans le cas marseillais, l’étatisation de la police en 1908 marque un coup d’arrêt pour cette criminalité. Le tassement des violences, perceptible à travers le recul du nombre de crimes violents jugés en 1911, peut donc s’expliquer par un double phénomène : la domination d’une seule bande criminelle sur le quartier, et la réorganisation des services de police, plus efficaces pour combattre ce type de criminalité.

  • 44 Susini J., « La bande criminelle moderne »…, op. cit., p. 925 ; Cordeau G., « Les homicides entre (...)

32À Marseille, la violence déployée par les bandes criminelles se trouve donc favorisée au début du XXe siècle par la physionomie de la ville. Les quartiers les plus excentrés, mal contrôlés par la police municipale, sont le cadre d’attaques nocturnes fréquentes. La concurrence entre différentes bandes rivales produit une escalade de crimes violents et de règlements de comptes en centre-ville, particulièrement dans le quartier réservé. Enfin, les quartiers populaires et industrieux ne sont pas épargnés par l’épanouissement d’une économie parallèle qui fleurit au contact des marchandises à détourner. Il en résulte un accroissement du nombre d’affaires portées devant le jury de la cour d’assises. Celui-ci s’explique aussi par les relations que les membres des bandes criminelles entretiennent avec l’acte violent. Subi et perpétré au quotidien, il devient un mode de vie, une pratique banale, presque jouissive. « Que la violence soit, aussi, un peu plus qu’un outil, est possible… », écrit Jean Susini, qui avance l’hypothèse – confortée depuis par divers travaux – d’une « aptitude des protagonistes », c’est-à-dire d’un goût et d’une habitude de la brutalité chez les membres des bandes criminelles44.

33L’on ne peut cependant que constater un certain échec de ce déploiement de violences, du moins dans la mesure où il est destiné à écarter la police et la justice des activités dont vivent les bandes criminelles. L’archive judiciaire est la preuve matérielle de la supériorité, même occasionnelle, de la force publique sur la politique de la peur. Les policiers et les juges parviennent donc, dans un certain nombre d’affaires, à procéder à des arrestations, à des enquêtes, et à des condamnations.

Arrestations et jugements : l’exacerbation des tensions

Les policiers : cibles de violences

  • 45 AD BDR 2 U 2/1326, affaire Valentini, vol qualifié, tentative de meurtre et complicité, 1908.

34Dans certaines affaires de violences crapuleuses, les agents de la force publique sont pris pour cible. Il est fréquent d’observer ce phénomène lors de l’interpellation du suspect. Une affaire jugée par la cour d’assises en 1908 en offre un exemple : si la procédure contre Julien Valentini apparaît exceptionnelle, en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés (une tentative de meurtre), cela n’amoindrit en rien d’intérêt que peut susciter l’examen de son attitude face aux agents de la force publique45. Le 27 juillet 1907, en pleine nuit, vers une heure du matin, le brigadier de la sûreté Deydier et les agents Buletin, Thomé, Galey et Rugila, font leur ronde sur le Cour Belsunce. À l’angle de la rue Colbert, ils croisent les nommés Valentini et Bonetti. L’attitude de ces derniers éveille leurs soupçons. Ils procèdent donc à leur interpellation. Bonetti se plie à leurs instances et se laisse fouiller par l’agent Galley. Valentini, en revanche, prend la fuite vers la rue Colbert. Bauletin se lance à sa poursuite, emprunte une rue adjacente pour lui couper la route et, parvenant à sa rencontre, tente de l’appréhender. Valentini fait alors feu sur lui. Bauletin, touché de plusieurs balles au bas-ventre, le poursuit tout en ripostant à ses coups de feu. Bientôt, il lâche prise, à bout de forces. Ce n’est que le 31 juillet que Valentini est finalement arrêté. Bauletin, pourtant sérieusement blessé, survit à ses blessures, tout en gardant des séquelles et une « faiblesse des membres inférieurs ». La lecture du dossier dresse un portrait bien sombre de Julien Valentini. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire le rapport de police qui lui est consacré. Exerçant la profession de marin, l’accusé n’a pas toujours navigué ; il fréquentait des malfaiteurs et jouissait d’une « très mauvaise » moralité. En outre, son passé judiciaire est chargé : il a été condamné pour tenue de jeu de hasard en 1903, pour port d’arme prohibée en 1904, puis pour infraction à une interdiction de séjour, vol, violences et voies de faits, et à nouveau pour port d’arme prohibé en 1905. En juillet 1907, il est à Marseille depuis quelques jours, a commis quelques forfaits – dont un vol qualifié avec violences –, et loge chez un de ses amis, connu pour abriter les malfaiteurs de tous bords. Cette carte de visite en fait un suspect pour la police lors de chaque interpellation. Julien Valentini est conscient que le vol qualifié dont il s’est rendu coupable lui vaudra une peine conséquente s’il est arrêté. Non seulement le comportement violent est quotidien et habituel chez lui, mais il formule en outre explicitement la possibilité de s’en prendre aux forces de l’ordre en cas d’arrestation. Le personnage du policier ne lui inspire pas de crainte, il n’est qu’un obstacle comme un autre se dressant dans son parcours criminel. Philomène Mercier, témoin à charge, concubine de l’aubergiste qui a caché l’accusé pendant quelques jours, déclare au juge d’instruction que Valentini avait toujours un revolver à la main, même en mangeant. Elle ajoute que son amant lui aurait confié : « Si la police vient chercher Valentini, il se charge de cascader toutes les vaches, et puis toi, si tu ouvres la bouche, ton affaire est faite. » Dans ce but, Valentini ne quitte jamais son arme.

35À l’examen de la base de données, il apparaît que la multiplication des violences à l’encontre des policiers se trouve corrélée avec les périodes de recrudescence des violences crapuleuses. Il semble donc que le recours à la violence dans le cadre d’une criminalité crapuleuse se prolonge dans le face à face avec les forces de l’ordre. Au cours des années 1870, ce phénomène se trouve aggravé par des conditions politiques particulières, liées à l’insurrection communarde et à l’installation de la République. Au début du XXe siècle, son interprétation est plus ardue. Elle fait intervenir des facteurs propres à l’évolution de la criminalité – l’essor des vols qualifiés et la banalisation de l’homicide qui lui est inhérente – mais également facteurs relatifs à l’évolution des sensibilités, du côté des policiers comme des Marseillais. Les premiers n’hésitent plus à porter plainte, scandalisés par les violences dont ils sont victimes ; les seconds témoignent par un comportement brutal d’une désacralisation du personnage de l’agent de police. Cette montée des tensions entre les auteurs d’infractions mixtes et les forces de l’ordre se prolonge dans leurs relations avec la justice. La fin de la période se caractérise par un raidissement des attitudes.

Juges et jugements : les violences crapuleuses dans le processus judiciaire

  • 46 Guignard L., Juger la folie. La justice pénale et la folie des criminels à l’âge de l’aliénisme (1 (...)
  • 47 AD BDR 2 U2/1317, affaire citée.

36C’est à la cour d’assises que les enjeux déployés autour de la criminalité crapuleuse sont les plus importants. C’est pourquoi les accusés, conscients de jouer leur vie, tentent d’échapper aux poursuites, parfois dès l’instruction. Dans ce but, ils mettent en place des stratégies pour tromper les magistrats. Ces manœuvres sont différentes de l’attitude qui, jusqu’au début du XXe siècle, consistait à avouer ou à nier. À partir de la fin du XIXe siècle, le rapport de force entre l’accusé et le juge se tend. La technique fréquemment employée par les accusés, en dehors de la négation des faits – rendue de plus en plus difficile par les progrès des expertises scientifiques et de l’enquête criminelle –, est la simulation de la folie. En vertu de l’article 64 du Code pénal, tout individu déclaré dément au moment de son acte est considéré comme irresponsable de son crime ou de son délit. Se faire passer pour fou est donc la manière la plus sûre d’échapper à l’échafaud. L’expertise psychiatrique s’affirme en tant qu’enjeu dans les procédures criminelles à mesure que la psychiatrie devient une discipline médicale et scientifique46. Au début du XXe siècle, les malfaiteurs professionnels ont fait de la simulation de la folie une stratégie et une habitude. C’est le cas dans l’affaire Marius Bonnaud en 190647. Joseph Rosati avertit le juge d’instruction des mœurs de Bonnaud en la matière : « À ce moment, Bonnaud ne simulait pas la folie comme aujourd’hui, il est vrai qu’il nous disait souvent : moi, ainsi que Scaglia, nous autres nous en tirons toujours avec 5 ou 6 mois d’hôpital chez les aliénés, ce n’est pas la première fois. » François Giuliani ajoute : « Je connais l’inculpé depuis 10 ans. C’est un garçon très intelligent et qui raisonne très bien. Lorsqu’il a commis quelque crime, il se fait enfermer chez les aliénés pour se soustraire à la justice, puis il s’évade. Il m’a avoué qu’il peut très impunément s’en tirer avec quelques mois chez les fous. »

  • 48 AD BDR 2 U 4 70 : arrêt de la cour d’assises du 2 mai 1906 et du 31 juillet 1906.

37Mais, dans cette affaire, les dépositions des témoins à charge, ainsi que la grossièreté du stratagème de Bonnaud – déjà utilisé auparavant – éveillent les doutes du juge d’instruction Cavaillon. Celui-ci requiert un rapport d’expertise médico-légale sur l’état de santé mental de l’accusé. Les observations du docteur Lachaux sont exemptes de toute ambiguïté : « L’observation du pseudo-délire de Bonnaud vient nous montrer qu’il simule la folie […]. En liberté l’inculpé ne simule pas, froidement il combine son crime, use d’astuces pour entourer ses victimes et les conduit là où il veut, perpètre tranquillement son meurtre, puis très habilement, il dépiste les agents lancés à sa poursuite. Arrêté, ignorant encore ce dont on l’accuse, il répond fort bien aux questions posées, mais devant les charges accablantes qu’il voit peser sur lui, sa résolution se modifie, il simule la folie. Voilà donc une maladie mentale… dont un des caractères principaux est la marche lente, insidieuse, qui chez l’inculpé éclate tout d’un coup, répond à son premier appel, dès qu’il en a besoin pour se défendre. » Marius Bonnaud est donc condamné pour ce crime aux travaux forcés à perpétuité ; et, quelques mois plus tard, alors qu’il est accusé de meurtre, entre autres crimes, le jury prononce la peine de mort48.

38Cet exemple n’est nullement isolé parmi les dossiers de procédure d’assises au début du XXe siècle. L’établissement et le déploiement de stratégies face au juge d’instruction témoigne d’une certaine acculturation judiciaire chez les accusés. Celle-ci est bien connue des magistrats, mais aussi, en amont, des commissaires de police. En 1905, le commissaire central de police certifie au préfet des Bouches-du-Rhône que la police ne possède plus les mêmes moyens qu’autrefois pour faire parler les malfaiteurs, en particulier les malfaiteurs professionnels. Ceux-ci connaissent la loi et « même lorsqu’ils sont surpris au commencement d’un délit, il faut plus que la certitude de leurs intentions criminelles et l’autorité judiciaire n’a aucune action sur eux quand la matérialité des faits n’est pas établie »49. Cette affirmation corrobore l’idée d’une proximité plus grande entre les malfaiteurs et le droit pénal, proximité qui engendre une désacralisation de l’institution et la mise en place de stratégies, en particulier dans le cas des procédures criminelles. De ce fait, les interrogatoires et entretiens avec les juges d’instruction s’apparentent de plus en plus souvent à des joutes verbales, où chacun des protagonistes tente de désarçonner son adversaire, de part et d’autre du bureau.

  • 49 AD BDR 4 M 9, le commissaire central au préfet des Bouches-du-Rhône, 1er avril 1905.
  • 50 Code pénal de 1832, articles 379 et suivants.
  • 51 Code pénal article 5 : « En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus fort (...)

39L’émergence des tensions est également sensible dans la répression qui s’exerce envers les violences crapuleuses au début du XXe siècle. Au cours de la période, la répression pénale des jugements mixtes est globalement plus forte que celle qui s’exerce à l’encontre des infractions simples. Cette constatation est logique : les violences sont considérées comme une circonstance aggravante d’un délit ou d’un crime contre la propriété49 ; de plus, d’après le Code pénal, dans le cadre d’un jugement multiple, c’est la peine la plus forte qui est prononcée50. Mais l’examen détaillé des peines attribuées montre que le début du XXe siècle se caractérise par une aggravation de la répression des jugements mixtes. C’est surtout en matière criminelle que cette inflexion est sensible : non seulement l’accroissement du nombre de jugements mixtes y est net, mais il est corrélé à un essor sensible de la peine de mort et des travaux forcés à perpétuité. On atteint quatre peines de mort prononcées en 1896 et 1906, années où le nombre de jugements mixtes est le plus élevé à la cour d’assises. Pour ces deux années, le nombre de condamnations aux travaux forcés à perpétuité est également à son sommet (2 en 1896 et 3 en 1906). Pour le jury, un crime contre les personnes ou un vol qualifié sont dignes de circonstances atténuantes lorsqu’ils sont commis isolément. En revanche, l’union des deux crimes forme un ensemble vivement réprouvé. La violence crapuleuse est manifestement réprouvée le jury aixois – dont la pratique sur ce point ne diffère pas de celles des autres jurys de France. Composé essentiellement de membres de la bourgeoisie commerciale marseillaise, mais aussi de propriétaires, le jury apparaît attaché à la terre et à la propriété51.

  • 52 Gruel L., Pardons et châtiments…, op. cit., p. 32.

40L’essor du nombre de jugements mixtes possède donc deux niveaux d’explication. Le premier est d’ordre économique et tient au contexte marseillais des années 1890 à 1910. Pour les plus touchés par la crise et le chômage, le vol apparaît comme un gagne-pain lucratif. L’acte violent fait partie intégrante de celui-ci, comme en témoigne l’attitude des nervis. Les infractions commises sont le plus souvent des délits, et, si elles provoquent des blessures, ne présentent que rarement une issue mortelle pour les victimes. Le second niveau d’explication, s’il trouve également sa source dans ce contexte, réside avant tout dans le choix d’un mode de vie déviant par certains Marseillais. Au début du XXe siècle, on assiste à l’essor d’une économie criminelle de plus en plus visible. Les bénéfices provenant de l’exploitation de la prostitution – pour laquelle il existe assurément un marché de plus en plus important en lien avec l’essor des échanges commerciaux en Méditerranée – mais également par des vols et des trafics de marchandises et de valeurs, engendrent la montée en puissance de bandes criminelles organisées, concurrentes, dans lesquelles la violence devient une valeur et une norme. De fait, les crimes crapuleux sont en pleine ascension entre 1901 et 191152.

41L’étude du rôle de la violence dans les crimes et délits crapuleux au début du XXe siècle prolonge donc celle du rôle des mineurs dans la criminalité à Marseille à la même époque. Dans les deux cas, l’imbrication de facteurs socio-économiques et culturels est frappante. Si la crise, le chômage, le bas niveau de vie des classes populaires, ainsi que la fréquentation des quartiers les plus dangereux, expliquent la plupart des infractions, certains individus font assurément le choix d’un mode de vie déviant. L’évolution des seuils de tolérance au cours des années 1880, impliquant une habitude ou une accoutumance à un certain niveau de violences, produit donc une banalisation du comportement violent au début du XXe siècle. Celui-ci est utilisé comme un instrument de pouvoir, d’autorité et d’identité. En une vingtaine d’années, on assiste à l’émergence d’une culture intégrant la violence et érigeant celle-ci en mode de vie. De fait, la sévérité de la justice à l’égard de tels forfaits est compréhensible. Non seulement les magistrats et le jury appartiennent aux classes sociales mises en péril par ce type de crimes, mais ceux-ci apparaissent clairement comme le résultat d’une amoralité qui ne permet plus d’accorder aux criminels l’excuse de la misère.

Notes

1 On se reportera aux travaux de L. Montel, notamment sa thèse Marseille, capitale du crime…, op. cit.

2 Pour des synthèses, on pourra se reporter à : Banditisme et violence sociale dans les sociétés méditerranéennes, actes du colloque de Bastia (27-29 mai 1993), Études corses, no spécial, 21e année, no 40-41, Bastia, 1993, Ajaccio, La Marge éditions, 1995 ; et Aspects du banditisme moderne, XVe congrès français de Criminologie, Clermont-Ferrand, 9-11 octobre 1975. Plus largement, on se référera à Hobsbawm E. J., Les primitifs de la révolte dans l’Europe moderne, Fayard, 1966 ; Les Bandits, Maspero, 1972 ; Pierrat J., Une histoire du milieu : grand banditisme et haute pègre en France de 1850 à nos jours, Denoël, 2003.

3 Il peut s’agir de plusieurs infractions au Code pénal commises en un seul et même acte criminel ou de plusieurs infractions commises successivement, mais jugées en même temps.

4 Farcy J.-C., Démier F., Regards sur la délinquance parisienne…, op. cit., p. 19.

5 Sur les arcanes de la procédure et le tri des infractions qui en résulte, on ne reproduira pas ici des analyses connues et excellemment menées dans d’autres travaux. On pourra se reporter à Aubusson de Cavarlay B., « La violence vue par les statistiques judiciaires. Catégories juridiques et résultats. France 1836-1936 », Colloque IAHCCJ, La violence dans la longue durée, MSH de Paris, 2-4 juin 1994 ; Farcy J.-C., « Les archives judiciaires et l’évolution de la recherche en histoire contemporaine », op. cit. ; Guide des archives judiciaires et pénitentiaires…, op. cit.

6 Farcy J.-C., Démier F., Regards sur la délinquance parisienne…, op. cit., p. 11.

7 Américi L., La caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, p. 530 sqq.

8 Articles 381 et 382 du Code pénal.

9 Les deux affaires retenues ci-dessous sont jugées dans les années 1880. La précocité de ce choix nous est imposée par les lacunes des archives du tribunal correctionnel de Marseille pour la Belle-Époque.

10 AD BDR 406 U 173, affaire Marcellin, vol, coups et blessures, vagabondage, infraction à un arrêté de séjour, 1887.

11 Sur le quartier réservé de Marseille on pourra se reporter à Corbin A., Les filles de noce. Misère et sexualité en France au XIXe siècle, Aubier, 1978 ; Attard-Maraninchi M.-F., « La prostitution à Marseille au XXe siècle… », op. cit. ; « Les filles du port… », op. cit.

12 AD BDR 2U 2/1297, affaire Poullain, assassinat, vol qualifié, complicité, 1895. Une partie du dossier figure à la cote 2 U 2/3939.

13 Gruel L., Pardons et châtiments…, op. cit.

14 La distinction entre criminel d’habitude et de profession est délicate à déterminer. Elle se profile dans les travaux d’E. Ferri et d’H. Joly au XIXe siècle. Elle ne se précise que dans les travaux américains, comme ceux de Reckless dans les Années 1950, qui font une analyse restrictive de la criminalité professionnelle (organisée, qui procure l’intégralité des revenus). Le IIIe congrès international de Criminologie (Londres 1955) définit le criminel professionnel comme celui dont la carrière se développe sous le signe de l’inadaptation sociale et de l’organisation méthodique. Cette définition est reprise par J. Pinatel dans « Les criminels professionnels », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1957, p. 909-923, p. 910. Par opposition, nous définirions le criminel d’habitude comme celui qui, sans appartenir à une organisation criminelle, améliore son quotidien par une activité illégale. Souvent multirécidiviste, il est connu des services de police.

15 Montel L., Marseille capitale du crime…, op. cit.

16 Farcy J.-C., « La ville contemporaine est-elle criminogène ? », op. cit.

17 Susini J., « La bande criminelle. (Aperçus historiques) », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1957, p. 673-677, p. 673. Les éléments en italique le sont dans le texte original.

18 Montel L., « Faire du crime organisé un objet d’histoire, d’après le cas marseillais (XIXe siècle et premier XXe siècle) », Garnot B. (dir.), Justice et argent…, op. cit., p. 100-106.

19 Pinatel J., « Les criminels professionnels », op. cit., p. 910.

20 Susini J., « La bande criminelle… », op. cit., p. 673 ; Cusson M., « Les zones urbaines criminelles », Criminologie, volume XXII, no 2, 1989, p. 95-105.

21 AD BDR 2U 2/1291, affaire Sésia, tentative de meurtre, tentative de vol et vol, 1894.

22 Ce sont d’ailleurs les seules agressions dont les deux accusés sont reconnus coupables par le jury.

23 Jacquemet G., Belleville au XIXe siècle…, op. cit., p. 344 ; Kalifa D., « L’attaque nocturne », op. cit.

24 Cordeau G. « Les homicides entre délinquants : une analyse des conflits qui provoquent des règlements de comptes », Criminologie, volume XXII, no 2, 1989, p. 13-34, p. 21.

25 AD BDR 2U 2/1317, affaire Marchi, assassinat et complicité.

26 En 1906, Marius Bonnaud est déjà connu de la police marseillaise. Cette année-là, il comparaît à quatre reprises devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Il est condamné à 8 mois de prison le 23 janvier 1906 pour avoir, le 19 septembre 1905, menacé de mort un agent de police ; le 20 février 1906 à 8 ans de travaux forcés pour complicité dans l’assassinat de Joseph Pariotta le 1er mai 1905 ; le 1er mai 1906 aux travaux forcés à perpétuité pour l’assassinat de Pascal Santucci le 25 août 1905 ; et enfin le 31 juillet 1906 à mort pour l’assassinat d’Émile Duquesnes le 22 août 1904.

27 AD BDR 2 U 2/1317, affaire citée.

28 Pinatel J., « Les criminels professionnels »…, op. cit., p. 916 ; et Vienne R., « Considérations sur la psychologie, l’origine de l’état dangereux et les facteurs de réadaptation des multirécidivistes », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, 1957, p. 53 sqq.

29 Cordeau G., « Les homicides entre délinquants… », op. cit., p. 32.

30 Id. p. 19 sqq.

31 Jacquemet G., Belleville au XIXe siècle…, op. cit., p. 345.

32 Cordeau G., « Les homicides entre délinquants… », op. cit., p. 21 sqq.

33 AD BDR 2 U 2/1315, affaire Maurice, assassinat, 1906.

34 Comme l’ont souligné J.-C. Farcy et F. Démier, le port d’arme prohibée est un délit qui révèle fréquemment la participation à des bandes criminelles. Regards sur la délinquance parisienne…, op. cit., p. 113 sqq.

35 AD BDR 2 U 2/1317, affaire citée.

36 Ce principe est présenté par Gilbert Cordeau comme une appréhension rationnelle de la violence dans les bandes criminelles. Les bénéfices escomptés du règlement de comptes doivent être proportionnels aux enjeux. Une minorité de conflits se règlent de cette manière, mais ce choix témoigne de la gravité des activités à dissimuler : « Les homicides entre délinquants… », op. cit., p. 13.

37 Ce sont les conflits que Gilbert Cordeau décrit comme « associés à la compétition », Id. p. 28 sqq.

38 Montel L., « Espace urbain et criminalité organisée : le cas marseillais dans le premier XXe siècle », Marec Y. (dir.), Villes en crise ?…, op. cit., p. 65-74.

39 Attard-Maraninchi M.-F., « La prostitution à Marseille au XXe siècle… », op. cit., p. 393-394.

40 Entre 1916 et 1943 les quartiers du Chapitre, de Noailles, de la Préfecture, de Belsunce, et de l’Opéra abritent des lieux de prostitution déclarés ou clandestins. Ibid.

41 La rue Bouterie, longue de 300 mètres, est en effet l’une des principales rues du quartier réservé de Marseille. En 1917, un rapport de police y dénombre 39 prostituées à leur compte, et 103 filles soumises réparties dans 15 maisons de tolérance. Attard-Maraninchi M.-F., « La prostitution à Marseille… », op. cit., p. 392.

42 AD BDR 2 U 2/1317, affaire citée.

43 Susini J., « La bande criminelle… », op. cit. p. 676.

44 Susini J., « La bande criminelle moderne »…, op. cit., p. 925 ; Cordeau G., « Les homicides entre délinquants… », op. cit., p. 32.

45 AD BDR 2 U 2/1326, affaire Valentini, vol qualifié, tentative de meurtre et complicité, 1908.

46 Guignard L., Juger la folie. La justice pénale et la folie des criminels à l’âge de l’aliénisme (1791-1865), thèse, histoire, Paris I, 2006.

47 AD BDR 2 U2/1317, affaire citée.

48 AD BDR 2 U 4 70 : arrêt de la cour d’assises du 2 mai 1906 et du 31 juillet 1906.

49 AD BDR 4 M 9, le commissaire central au préfet des Bouches-du-Rhône, 1er avril 1905.

50 Code pénal de 1832, articles 379 et suivants.

51 Code pénal article 5 : « En cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte est seule prononcée ».

52 Gruel L., Pardons et châtiments…, op. cit., p. 32.

Table des illustrations

Légende Tableau 32 – Pourcentage de jugements multiples dans le total des jugements (par tribunal, puis total tous types d’infractions confondus, Marseille, 1851-1911).
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Légende Tableau 33 – Pourcentage de jugements mixtes dans le total des jugements (par tribunal, puis total tous types d’infractions confondus, Marseille, 1851-1911).
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Légende Graphique 21 – Nombre et répartition des crimes et délits contre les biens dans les jugements mixtes ( 1851-1911).
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Légende Graphique 22 –Répartition des crimes et délits contre les biens dans les jugements mixtes (en %, 1851-1911).
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Légende Graphique 23 – Nombre et répartition des crimes et délits contre les personnes dans les jugements mixtes comprenant un vol (1851-1911).
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Légende Graphique 24 – Répartition des crimes et délits contre les personnes dans les jugements mixtes comprenant un vol (en %, 1851-1911).
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