Chapitre VII. Une jeunesse violente : 1880-1914
p. 211-239
Texte intégral
1En 1903, comme de nombreux spécialistes de sciences criminelles désireux de comprendre la question du lien entre jeunesse et déviance1, J. Grosmolard publie un article consacré à la criminalité juvénile dans les Archives d’anthropologie criminelle. Il écrit : « Les villes, pourvoyeuses des prisons et des maisons centrales, alimentent également les colonies de jeunes détenus. Les départements qui ont l’honneur, peu enviable d’ailleurs, d’occuper le premier rang dans la criminalité juvénile sont ceux des régions à grande industrie, à cités ouvrières populeuses, et ceux des régions maritimes2. » Si l’on en croit son analyse, Marseille et les Bouches-du-Rhône seraient donc concernées au premier chef par cette « criminalité juvénile », hantise du XXe siècle débutant3. Il s’agira ici d’interroger la délinquance et la criminalité de la jeunesse marseillaise à la fin du XIXe siècle. Il nous a semblé nécessaire d’élargir quelque peu la périodisation choisie : la montée en puissance d’une éventuelle criminalité juvénile s’observe plus aisément sur le temps long.
2Cette démarche impose une définition de l’objet étudié. En effet, l’adjectif « juvénile », employé dans la citation ci-dessus, de même que le terme « jeunesse », ne possèdent pas de sens historique précis. Telle ou telle époque les considérera différemment. S’agit-il de l’enfance, de l’adolescence, de la « fleur de l’âge », par opposition à l’âge « mûr » ? La jeunesse apparaît à la fois comme un âge incertain, une période de transition, qui fait l’objet d’un regard – médical, social, légal – changeant au cours de la période ; mais aussi comme un âge d’émancipation, de prise de risque, que tous les criminologues soulignent comme une période favorable à la déviance4. Dans les développements relatifs à l’activité criminelle ou délinquante spécifique des jeunes, nous avons choisi de mener la réflexion sur les individus âgés de plus de 16 ans5 et moins de 21 ans au jour de leur acte. Comme toute catégorisation, cette limite d’âge est tout à la fois insatisfaisante et arbitraire, car recouvre des réalités individuelles diverses selon les milieux sociaux et qu’elle oblitère la part la plus jeune des auteurs de violences. Mais cette définition restrictive d’une jeunesse éloignée de l’enfance nous a semblé nécessaire en raison des particularités du statut des mineurs devant la justice. En effet, la déviance juvénile est encore plus difficile à « mesurer » que celle des adultes. Si le Code pénal prévoit qu’un mineur de moins de 16 ans puisse répondre de ses actes devant la justice6, ils bénéficient fréquemment de non-lieux. Une grande partie des infractions dont ils se rendent coupables échappe au jugement, et donc aux statistiques. Le rapport du Compte général de 1909 estime qu’entre 1905 et 1909 seuls 45 % des crimes et délits commis par des mineurs de moins de 16 ans sont parvenus au jugement ; alors que 14 % d’entre eux ont abouti à un non-lieu, et que 41 % ont été classés7. Cet effet de source touche dans une moindre mesure les individus âgés de plus de 16 ans, responsables pénalement8. En revanche, lorsque nous analyserons des paramètres sociaux ou économiques des jeunes délinquants et criminels, nous prendrons en compte la totalité des moins de 21 ans. Ici encore nous ne pouvons prétendre qu’à effleurer la réalité à travers l’approche sérielle. Il sera donc nécessaire de replacer les cas individuels dans les situations qui leurs sont propres et de compléter la présente étude par des travaux récents sur la criminalité juvénile9.
3Notre démarche procédera en trois étapes : la première consistera à cerner cette singularité de la criminalité des jeunes à Marseille ; les deux suivantes tâcheront de l’expliquer à travers l’analyse des situations qui lui sont favorables tant dans le cadre domestique que dans les espaces publics.
Le « péril jeune »10
Un rajeunissement des auteurs
4À partir de notre échantillon, il est possible de donner une estimation de la part de la jeunesse parmi les auteurs d’infractions et parmi les auteurs d’infractions contre les personnes.

Graphique 16 – Répartition des auteurs d’infractions par âge (hors non communiqués, en %, 1851-1911).

Graphique 17 – Répartition des auteurs d’infractions contre les personnes par âge (hors non communiqués, en %, 1851-1911).
5Les moins de 20 ans sont fortement représentés parmi les auteurs d’infractions au début et à la fin de la période. Les pourcentages les plus élevés sont atteints plus précocement que pour les moins de 16 ans : 25,1 % dès 1886. Entre 1901 et 1911, l’importance des 16-20 ans se confirme (24,3 % notamment en 1901). Ces deux moments correspondent à des logiques différentes. En 1851 il s’agit majoritairement d’infractions contre les biens (vols) et contre l’autorité (vagabondage et mendicité). À la fin de la période on voit apparaître une forte proportion de jeunes inculpés d’infractions contre les personnes, ce qui contribue à accroître leur participation au total des infractions. En effet, dans l’ensemble des auteurs d’infractions contre les personnes, l’affirmation des tranches d’âges les plus jeunes se dessine avec davantage de netteté. En aucun cas le sondage de 1851 ne se caractérise par une forte participation des moins de 16 ans. Une tendance à la hausse s’amorce à partir de 1906. La part des 16-20 ans connaît une évolution similaire, bien que plus précoce et plus nette en fin de période. Si l’on y ajoute les moins de 16 ans, les jeunes représentent donc entre 20 et 25 % des auteurs de violences jugés au début du XXe siècle, soit 1 sur 5, et 1 sur 4 certaines années.
6Il faut s’interroger sur ses liens avec un éventuel rajeunissement de la population marseillaise. Dans le cas des moins de 16 ans, il est extrêmement ardu de tenter une comparaison avec les données démographiques disponibles pour Marseille. En effet, les dénombrements prennent en compte les enfants dès leur naissance. La population ainsi recensée ne peut être comparée à notre échantillon. Pour les 16-20 ans, on peut tenter une mise en perspective avec les recensements, tout en gardant une grande prudence dans son interprétation. D’après les recensements, les 16-20 ans représentent 7 % de la population marseillaise en 1891, et 8 % en 189611. Comparés aux données de notre échantillon, ces pourcentages sont infimes. Les 16-20 ans seraient donc surreprésentés parmi les justiciables auteurs de déviances et de violences : leur proportion s’élève entre 12 % et 24 % des auteurs d’infractions contre les personnes, et entre 15 et 24 % des auteurs. Cependant, cette surreprésentation dure depuis 1851. En aucun cas cette déviance des 16-20 ans ne constitue un phénomène inédit, propre à la fin de la période. Ce qui distingue les années 1890 à 1914 des décennies précédentes, c’est bien l’accroissement de l’écart entre leur représentation démographique, stable, et leur représentation pénale, en ascension. Par ailleurs, à Marseille, les jeunes sont plus fréquemment traduits en justice que sur l’ensemble du territoire.
7La comparaison entre les données marseillaises et les données nationales fournies par le Compte général s’avère éclairante. Le graphique ci-dessous présente la proportion des différentes tranches d’âges12 parmi les auteurs d’infractions et les auteurs d’infractions contre les personnes en France en 190013.

Graphique 18 – Répartition des justiciables français par âge en 1900 (en %, selon le type d’infraction).
8Que l’on compare l’ensemble des infractions ou les infractions contre les personnes, la comparaison entre ce graphique et les deux précédents révèle une forte activité illégale des jeunes à Marseille. Parmi ceux-ci, les 16-20 ans commettent proportionnellement un plus grand nombre d’infractions contre les personnes. Il faut cependant préciser que la population marseillaise est plus jeune que la moyenne nationale. Alors que les moins de 21 ans représentent 22,5 % de la population française lors du recensement de 1906, les moins de 20 ans constituent plus de 30,6 % de la population marseillaise la même année14. Cet écart s’explique par une immigration massive, qui amène à Marseille de jeunes adultes, et induit une forte natalité15. En outre, il est connu que les grandes cités industrielles abritent une population plus jeune que la moyenne nationale16. De ce fait, elles sont moins touchées par le vieillissement de la population, qui caractérise l’évolution démographique française à partir du début du XIXe siècle17.
9La comparaison avec les données disponibles pour la capitale apparaît donc plus appropriée. Seuls les travaux menés récemment sur la délinquance parisienne permettent de pallier l’absence de chiffres dans le Compte général18. Selon Jean-Claude Farcy et Francis Démier, dans les années 1890, la délinquance parisienne se caractérise par une forte représentation des tranches d’âges les plus jeunes : 72 % des prévenus sont âgés de moins de 40 ans et près de la moitié de moins de 30 ans (46,9 %). La tranche d’âge 15-19 ans représente, quant à elle, 15,3 % des auteurs d’infractions19. À Marseille, pour l’année 1891, et pour les mêmes catégories, notre propre relevé donne les résultats suivants : 77,4 % des auteurs d’infractions sont âgés de moins de 40 ans, 53,4 % de moins de 30 ans, et les 16-20 ans représentent 21,6 % du total. Même si cette dernière catégorie ne possède pas exactement les mêmes limites, les écarts sont assez substantiels pour écarter toute incertitude : la déviance des tranches d’âge les plus jeunes est supérieure à Marseille. Malgré l’absence de données pour les infractions contre les personnes jugées à Paris, les écarts subsistent entre Marseille et la capitale. Il nous faut tâcher de comprendre ce qui, dans le contexte marseillais, produit cette démographie criminelle singulière.
Nationalité et profession : portrait social et économique des jeunes violents
10L’examen des données montre que les jeunes de moins de 21 ans sont plus fréquemment français que l’ensemble des auteurs20. Cette tendance est visible dès le Second Empire. Malgré une légère régression en 1906 et 1911, elle est valable sur l’ensemble de la période. En 1896, plus de 87 % des jeunes auteurs d’infractions contre les personnes sont français, contre 67 % toutes tranches d’âges confondues. De 1901 à 1911, cet écart subsiste, même s’il diminue. L’analyse des lieux de naissance révèle que les moins de 21 ans sont également plus fréquemment nés à Marseille. Cette tendance se trouve particulièrement accentuée lors des sondages où les jeunes présentent une déviance élevée, c’est-à-dire pour la période postérieure à 1886. En 1886, 80 % des jeunes auteurs d’infractions contre les personnes sont natifs de la ville, contre seulement 32 % des auteurs pour l’ensemble des tranches d’âges considérées. En 1896 et en 1906, l’écart est à nouveau fortement marqué (77 % et 62 % pour les moins de 21 ans, 25 et 44 % pour l’ensemble des auteurs). L’accroissement de la part des moins de 21 ans dans les violences à partir des années 1890 est donc un phénomène d’origine essentiellement endogène. L’immigration n’y joue qu’un rôle marginal. Il y a une certaine logique à cela : les migrants (français ou étrangers) sont moins représentés dans cette tranche d’âge que dans les autres. Certes, parmi ces jeunes criminels et délinquants, nombreux sont les fils et filles de migrants arrivés à Marseille dans les années 1870, voire dans les années 1880 et 1890. Marseillais, de nationalité française, ils constituent les premières générations issues du flux migratoire intense qui marque le début de la Troisième République. Il n’en reste pas moins que ce sont bien des Marseillais, quelle que soit l’origine de la génération précédente, qui alimentent les tribunaux en jeunes violents. Cette implantation locale n’exclut donc ni la pauvreté ni la marginalité.
11Considérons à présent la période la plus favorable à la violence des jeunes, c’est-à-dire la fin du XIXe et le début du XXe siècle, et procédons à l’examen des professions les mieux représentées parmi les moins de 21 ans de notre échantillon. Faut-il rappeler ici que cette analyse requiert une certaine prudence ? Non seulement la jeunesse des individus concernés laisse supposer que leurs professions sont amenées à évoluer au cours du temps ; mais il est également probable que certaines, si elles correspondent bien à la formation d’origine des jeunes ou à leur qualification théorique, ne sont pas exercées comme telles dans la réalité. Les individus oisifs ou vivant d’activités illégales ne s’en ouvrent pas aux policiers. Une indication des milieux socioéconomiques dont ces jeunes sont issus ne peut qu’être esquissée. L’éparpillement des professions exercées par les moins de 21 ans jugés pour infractions contre les personnes entre 1886 et 1911 est frappant. Les cinq professions les mieux représentées constituent entre 47,1 % (1896) et 78,2 % (1891) du total. La seule profession représentée de manière continue est celle de journalier qui, si elle arrive systématiquement en tête, n’est pas réellement un métier mais plutôt un assemblage de réalités professionnelles diverses. 12 à 50 % des moins de 21 ans déclarent exercer la profession de journalier. Viennent ensuite les individus se disant sans profession, représentés dans 5 sondages sur 6, puis les filles soumises, maçons et marins (3 sondages sur 6).
12De l’examen de cette photographie de l’activité des mineurs déviants pour la fin du siècle, il ressort tout d’abord que l’activité féminine y est minoritaire. Elle se déploie autour de deux pôles : la prostitution et le travail ouvrier. Les filles soumises représentent entre 7 et 9 % des moins de 21 ans auteurs d’infractions contre les personnes en 1886, 1901 et 1906. Ces trois sondages étant ceux où l’activité criminelle des moins de 21 ans est la plus prononcée, le rôle des prostituées et de leurs souteneurs semble substantiel dans le phénomène de criminalité des mineurs21. Les ouvrières sont des journalières – la catégorie des journaliers rassemble en effet des individus des deux sexes. Les hommes, outre les individus se déclarant sans profession, peuvent être regroupés en quatre catégories principales : les ouvriers de l’industrie et du bâtiment, les ouvriers d’atelier, les professions du transport, et les gens de mer. On retrouve ici les profils socio-économiques les plus bas de la société marseillaise. Seuls les ouvriers d’atelier constituent une – relative – aristocratie dans ce tableau professionnel des mineurs. Pour autant, il s’agit de professions figurant parmi les plus violentes du monde ouvrier en raison de la proximité d’outils dangereux. En outre, il a été montré pour Paris que, parmi les jeunes délinquants au début du XXe siècle, figurent de nombreux ouvriers en rupture d’atelier22. Le manque de qualification, la faiblesse des rémunérations et l’indigence qui en résultent prédisposent donc les jeunes marseillais, tout comme leurs aînés, à un comportement déviant. Néanmoins, une sociologie des auteurs isolant les moins de 21 ans laisse entrevoir des différentes substantielles.

Tableau 30 – Répartition socioprofessionnelle des auteurs d’infractions contre les personnes, moins de 21 ans et auteurs de tous âges (en %, 1886-1911).
13Si l’on complète ce tableau par un examen minutieux des professions que recouvrent ces catégories, il apparaît que jusqu’à la fin des années 1890, par rapport à l’ensemble des auteurs, il existe une importante proportion d’ouvriers du bâtiment et de la grande industrie parmi moins de 21 ans. À partir des années 1900, on assiste à la progression d’individus sans qualification, à la limite de la marginalité (filles soumises et individus sans professions), ainsi que des marins et des mousses.
14Jusqu’en 1900, le comportement des moins de 21 ans, comme celui de l’ensemble des auteurs, trouve donc un certain nombre de liens avec la dureté des conditions de vie dans la frange inférieure du monde ouvrier, en particulier à la régression des salaires réels, débutant dans les années 1870 et perdurant jusque vers 1910, ainsi qu’au chômage important à partir des années 188023. En outre, la surreprésentation du monde ouvrier chez les moins de 21 ans s’explique par l’existence, dans leur mode de vie, d’éléments venant aggraver ce dénuement. Ils fréquentent assidûment les quartiers du port, en particulier le quartier réservé, de même que les bals populaires ou les cabarets. Or, ces quartiers ou ces types d’espaces sont des cadres propices à l’émergence de situations violentes.
15À partir de 1900, leur profil social et économique est davantage marqué par la marginalité et la mobilité. La surreprésentation des marins, des individus se déclarant sans profession ainsi que des filles soumises ou des professions tenant lieu de « couverture »24, traduit la progression d’une activité criminelle sinon professionnelle, du moins d’habitude. Ceci les distingue de leurs aînés, moins touchés par ce phénomène. Cette tendance doit être replacée dans le contexte économique marseillais. Le début du XXe siècle est marqué par un ralentissement sensible de conjoncture. Alors que l’économie marseillaise « résistait » durant la Grande Dépression, elle ne connaît pas la reprise qui marque le contexte national au tournant du siècle. Elle s’enfonce dans la crise25. Les ouvriers de la grande industrie, directement touchés par le ralentissement de l’activité industrielle et commerciale, entreprennent de grandes grèves. On peut, à titre d’exemple, citer les grèves des dockers en 1900, 1901, et 190326. De fait, jusqu’en 1911, les salaires réels restent très bas pour les professions les moins qualifiés. L’évolution des habitudes alimentaires en témoigne. Malgré la chute des prix des denrées alimentaires, la consommation de viande régresse27. Le chômage et les périodes de grèves viennent s’ajouter aux difficultés financières auxquelles les catégories populaires sont confrontées. Dans ce contexte, lorsqu’il ne leur est pas purement et simplement impossible de trouver de l’embauche, les plus jeunes semblent renoncer à gagner leur vie par un dur labeur mal récompensé, et s’orientent vers des activités plus lucratives et moins harassantes.
Des violences spécifiques
16Les violences mortelles et mineures pour lesquelles les 16-21 ans sont jugés sont présentées en valeurs absolues dans les deux graphiques suivants.

Graphique 19 – Les 16-21 ans auteurs de violences mortelles (par type d’infraction, 1851-1911).

Graphique 20 – Les 16-21 ans auteurs de violences mineures (par type d’infraction, 1851-1911).
17L’importance de l’année 1886, soulignée précédemment, est essentiellement redevable à une augmentation de la délinquance contre les personnes. Celle-ci démarre en réalité dès 1881, et se poursuit en 1891. Deux types de délits augmentent particulièrement entre 1881 et 1886 : les coups et les rébellions. Ces deux délits sont souvent liés, l’arrestation pour coups et blessures donnant lieu à des altercations verbales et physiques avec les forces de l’ordre. La violence des 16-21 ans jugée au début du XXe siècle est liée non seulement à un accroissement de la délinquance, mais également à un essor important de la criminalité. En effet, après un recul marqué en 1896, on constate un sensible redémarrage à partir de 1901. L’année 1906 se distingue par l’essor spectaculaire du nombre de crimes violents jugés. Le sondage de 1911 présente un certain tassement. Ce ralentissement, vraisemblablement lié à une modification de la loi et de la procédure pénale concernant les mineurs, est davantage sensible pour les crimes que pour les délits. L’observation de la moyenne d’âge pour chaque type d’infraction contre les personnes permet de cerner certaines spécificités de ces violences juvéniles.

Tableau 31 – Moyenne d’âge des prévenus et accusés par type d’infraction contre les personnes (en années révolues, 1886-1911).
18Observons dans un premier temps les violences mortelles. En 1886 et 1891, les accusés les plus jeunes sont les auteurs de meurtres. En 1896, les écarts se resserrent. Quel que soit le crime pour lequel ils sont jugés, les accusés ont en moyenne entre 28 et 29 ans. Au début du XXe siècle, se dessine une nouvelle tendance : en dehors de la moyenne d’âge des auteurs d’homicides involontaires pour l’année 1901 (22 ans), très basse mais isolée, ce sont les auteurs d’assassinats qui connaissent le plus fort rajeunissement. On constate également un rajeunissement de la moyenne d’âge pour les coups et les rébellions. Le décrochement est perceptible entre 1896 et 1901. Par la suite, un léger redressement se produit. Il est plus important pour les coups que pour les rébellions. Les jeunes se démarquent donc par un comportement de défi vis-à-vis des forces de l’ordre. Faut-il l’attribuer à une attitude frondeuse et rebelle, propre au jeune âge ? L’argument psychologique joue certainement un rôle. Il convient également d’évoquer l’importance de la surveillance particulière qui s’exerce sur cette catégorie de population. Les bandes de jeunes, devenues la hantise des polices urbaines au début du XXe siècle, font l’objet d’une attention quotidienne de la part des forces de l’ordre28. De ce fait, il peut sembler logique que des contacts répétés avec celles-ci les amènent à davantage de conflits et de violences.
19Deux éléments essentiels émanent de cet examen des infractions violentes pour lesquelles les jeunes sont jugés. D’une part, leur criminalité ne se développe réellement qu’à partir de 1901. À ce titre, les trois premiers sondages du XXe siècle marquent une véritable rupture avec les années précédentes. C’est à bon droit que, au début du XXe siècle, la criminalité des jeunes marseillais attire l’attention des auteurs du Compte général29. D’autre part, leurs violences présentent quelques spécificités, relatives au contexte dans lequel les infractions sont commises. Les jeunes accusés se distinguent désormais par une forte tendance à l’assassinat, ce qui est un indice de participation à des violences préméditées, voire crapuleuses. Les jeunes prévenus, quant à eux, font preuve d’un comportement particulièrement hostile et agressif vis-à-vis des forces de l’ordre. En plus d’une attitude relevant du défi à l’autorité, il semble que la surveillance dont ils font l’objet, ainsi que la méfiance des autorités vis-à-vis de leurs activités, les amène à des réactions violentes.
Crainte et répression
20Au cours du XIXe siècle, la modification du regard sur la jeunesse produit une anxiété particulière, et influence les représentations collectives30. Ces préoccupations sont liées aux caractéristiques de cet âge intermédiaire, synonyme de mutations physiques et psychiques profondes et, en tant que tel, porteur d’angoisse, de révolte et d’instabilité, toutes choses contraires à la volonté d’ordre et de stabilité d’une société à la hantise post-révolutionnaire. Or, ce nouveau regard sur la jeunesse possède des « effets structurants » : mieux connu, le phénomène de criminalité juvénile trouve une nouvelle approche légale et pénale. Ainsi, la réflexion juridique sur le statut de la jeunesse s’enrichit considérablement dans les dernières années du XIXe siècle et au début du XXe siècle. L’âge de la majorité pénale fait l’objet d’âpres et nombreux débats31. Des lois de protection des mineurs sont promulguées32. Cette politique contribue, en outre, à focaliser l’opinion, les municipalités et les gouvernements, sur le thème de la délinquance et de la criminalité des jeunes. Dans cette évolution des sensibilités et des représentations, le rôle de la presse populaire est maintenant bien connu33. Les phénomènes de bandes, dont l’existence est attestée de longue date, sont appréhendés sous un jour nouveau. Le personnage de l’apache, jeune délinquant urbain, inséré dans un groupe et exerçant une criminalité violente et crapuleuse, connaît un succès considérable dans la presse à sensation à partir du début du XXe siècle jouant habillement avec les frayeurs et les angoisses sécuritaires de son lectorat34. Ce thème contribue paradoxalement à nourrir une certaine criminalité. Des jeunes de milieux populaires s’identifient aux apaches parisiens et s’adonnent à des activités parallèles, illégales, violentes. Selon Michelle Perrot, il s’agit essentiellement d’ouvriers sans travail, d’une jeunesse rétive au modèle parental, et dont les préoccupations hédonistes (jouir, consommer) les entraînent dans des bandes souvent mixtes où amour, sexe, et violence, forment un mélange « ambivalent et inédit ». En outre, la lutte contre la police et l’emprisonnement constituent des éléments essentiels de leur identité35.
21Dans ce climat où la jeunesse suscite l’inquiétude, il convient d’examiner l’attitude des magistrats aixois. Comme nous l’avons déjà fait auparavant, nous retiendront la répression du délit emblématique des coups et blessures. Pour la plupart des années prises en considération, la répression à l’égard des 16-20 ans est plus sévère que celle qui s’exerce envers des prévenus de tous âges. Seules les années 1896 et 1911 font exception, la première en raison d’un fort pourcentage d’amendes seules attribuées aux 16-20 ans, la seconde en lien avec la condamnation à la maison de correction. En dehors de ces deux sondages, la tendance est constante à partir du milieu des années 1880 : les 16-20 ans, à délit égal, écopent de peines d’emprisonnement (accompagnées ou non d’amendes) proportionnellement plus fréquentes que le total des prévenus. En 1886, les chiffres sont de 90 % pour les premiers et de 84 % pour les seconds. En 1906, l’écart est maximal avec 100 % des 16-20 ans condamnés à la prison contre seulement 50 % pour la totalité des prévenus. Une des explications à cette sévérité réside dans l’attribution des peines d’amendes seules. Elles sont proportionnellement plus nombreuses pour l’ensemble des prévenus que pour les 16-20 ans. De la part des magistrats, cette préférence relève du pragmatisme plus que de la sévérité. En effet, les 16-20 ans sont moins solvables que les prévenus d’âge mûr. Afin d’éviter les défauts de recouvrement de l’amende, il est vraisemblable les magistrats attribuent davantage de peines de prison aux prévenus les moins susceptibles de s’acquitter d’une peine pécuniaire. On retrouve ici les logiques d’une répression visant à éviter le non-paiement de l’amende, telles qu’elles ont déjà été évoquées pour les ouvriers et les Italiens. Toutefois, on ne peut écarter l’hypothèse d’une sévérité plus grande à l’égard des 16-20 ans. Dans le contexte d’inquiétude que suscite leur délinquance, la répression par la prison vise sans doute à « donner l’exemple ». Si l’on en croit l’évolution des peines prononcées par les magistrats marseillais à la fin de la période, ceux-ci redoutent une aggravation de la criminalité juvénile, et par leur sévérité, tentent de jouer sur l’aspect dissuasif des peines de prison.
22Il existe donc un « péril jeune » à Marseille. Ce comportement violent connaît deux temps : les années 1880 et le début du XXe siècle. La spécificité du contexte économique marseillais offre quelques pistes d’interprétation et explique la précocité du phénomène par rapport à la capitale. Les jeunes marseillais sont, tout comme leurs aînés, exposés à la régression des salaires réels dès les années 1880. Plus les budgets ouvriers sont serrés, plus les jeunes générations doivent s’émanciper précocement, et moins elles se trouvent protégées par le cocon familial. L’école ne semble donc jouer aucun rôle dans la prévention de la déviance ou de la violence pour les catégories populaires. Dans un contexte de fort chômage, les jeunes peinent à trouver une place, et sont les premiers à être victimes des débauchages. En outre, dans les professions où le salaire progresse à la faveur d’une expérience acquise au cours des années de pratique – dans l’artisanat en particulier –, ils se situent au bas de l’échelle, et, de fait, souffrent d’autant plus de l’abaissement du niveau de vie. Ils semblent également plus enclins à basculer dans un mode de vie marginal, caractérisé par un recours systématique au crime ou au délit violent, permettant un enrichissement rapide et sans efforts. La durée de la crise qui touche les catégories populaires joue un rôle certain dans la dévalorisation de la notion travail chez les jeunes marseillais au début du XXe siècle.
« Les enfants terribles »36
23À partir du milieu des années 1880, les jeunes Marseillais apparaissent comme des acteurs à part entière des violences perpétrées dans le cadre familial.
Des violences défensives
24En juin 1889, comparaissent Marius Dutertre âgé de 17 ans, sa mère, et son frère37. Tous trois sont prévenus de coups et blessures envers le chef de famille, Ernest Dutertre. La déposition d’Ernestine Dutertre résume les prémices et l’éclatement de ces violences. Le 19 mai, son père rentre à leur domicile, situé au Vallon des Auffes. Il a un couteau à la main. Voyant que son épouse est absente, il replace son arme dans sa poche, frappe sur la table, et déclare qu’il est le seul maître dans la maison, que les meubles lui appartiennent, et qu’il désire tout casser. Ces vociférations ayant alerté la voisine, celle-ci conseille à la jeune fille d’aller quérir un agent de police, et lui procure une retraite à l’abri des violences paternelles. Le soir venu, les faits dégénèrent : « Vers huit heures et demie mon père revint encore à la maison, il se dirigea sur ma mère, la saisit par le cou, je m’aperçus qu’il avait un couteau ouvert dans la main car je vis très bien briller la lame. Au même moment mon frère aîné rentra, quand il vit mon père tenant sa femme par le cou pour l’étrangler, il le repoussa violemment et le fit tomber. Ma mère a pris alors un morceau de bois et a frappé son mari. Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite, car j’ai dû donner des soins à ma mère qui s’est trouvée mal après cette scène. » Elle décrit une scène d’une grande violence envers le père. Le rapport médical souligne la gravité des blessures de la victime. Ernest Dutertre souffre d’une plaie à la cuisse gauche. Celle-ci, bien que superficielle, résulte d’un coup de couteau. Il porte également une contusion au-dessus du sourcil, des excoriations et des contusions multiples aux mains, à la face, et sur diverses parties du corps. Enfin, il présente une fracture à une côte ainsi qu’un emphysème sous-cutané, provoqué par un coup de pied. Son incapacité de travail, importante, est évaluée à cinquante jours. À travers leurs dépositions, les témoins de la scène, ainsi que ses acteurs, semblent se liguer contre ce père, victime d’un jour mais tyran d’hier. Ils s’en ouvrent discrètement à la justice, sans pour autant faire étalage d’une situation qui dure depuis des années. À travers leurs discours, percent des sentiments contradictoires : le respect, la lassitude et la souffrance. Pierre Dutertre précise ainsi que son père est un homme « bon » et « honnête » mais qu’il « boit toute sa paye ». De même, sa sœur cadette clôt sa déposition en ces termes : « Il y a vingt mois environ que nous avons dû quitter mon père à la suite de scènes nombreuses qu’il fesait (sic) dans le ménage. Les meubles que nous avons emportés appartiennent à ma mère et à mon frère aîné qui les avaient achetés avec leurs économies ». L’acte de Marius Dutertre s’inscrit dans un processus de révolte contre le père, auquel toute la famille participe38. Car s’agit bien d’un acte défensif, d’une sorte de violence-réponse. La vue d’une mère malmenée, menacée de mort, déclenche une réaction violente, fût-elle dirigée contre le père de famille, figure incarnant l’autorité et le respect dans la société du XIXe siècle39. Dans cette affaire, les fils brisent un tabou. Ce conflit générationnel, où les rôles s’inversent, où les fils défendent leur mère, présente un caractère inédit dans les sources disponibles pour Marseille en 1889. En effet, si de telles situations ont déjà eu cours, et l’on ne peut en douter, elles ne sont pas parvenues à la justice40. Les coups étaient dissimulés dans l’intimité familiale. Il est possible également que les fils défendaient leurs mères mais qu’ils ne battaient pas leurs pères. Le fait qu’une affaire de ce genre soit jugée montre un allégement des contraintes sociales et normatives. À partir de la fin des années 1880, il devient envisageable, dans le petit peuple marseillais, de porter sur la place publique la souffrance qu’inflige la tyrannie d’un père ivrogne et violent. Les fils Dutertre ne se préoccupent nullement du regard du voisinage ni des conséquences de leur acte. Tout se passe donc comme si les rapports d’autorité entre les générations étaient transformés, mais également comme si l’image de la famille et celle de l’autorité paternelle se trouvaient modifiées dans l’opinion. Ces jeunes, enhardis par la publicité de la violence, s’insurgent contre une brutalité illégitime et viennent établir un autre ordre, où ils affirment leur position dans la hiérarchie familiale. La prise de pouvoir symbolique de ces jeunes actifs proches de la majorité contraste avec la déchéance de la figure paternelle qui exerce une autorité violente, c’est-àdire, pour les fils, illégitime. Assiste-t-on ici aux prémices d’une revendication identitaire de la part d’une génération marginalisée économiquement ou socialement41 ? Tout le laisse croire dans l’affaire Dutertre. Le contexte marseillais de la fin des années 1880 vient s’ajouter à l’intempérance de ce père qui « boit toute sa paye », ce qui accroît la misère de cette modeste famille de menuisiers. Les fils, travaillant tous les deux, ne peuvent visiblement pas s’émanciper du foyer en raison de la faiblesse de leurs revenus. Leur situation est donc « bloquée », de même que bon nombre de perspectives d’avenir. La révolte contre le père peut être également lue comme un moyen d’affirmation de soi. L’évolution des mentalités est tout aussi responsable de ce type de comportement que la situation économique42.
25Mais qu’en est-il lorsque les enfants se mettent à tyranniser leurs familles sans motifs légitimes, et par ces violences « offensives », se transforment en bourreaux, voire en assassins ?
Enfants tyrans, enfants criminels
26À plusieurs reprises dans les années 1880, le tribunal correctionnel est amené à se prononcer dans des cas où les familles portent plainte contre leurs enfants devenus incontrôlables. C’est le cas dans l’affaire qui voit comparaître Louis Pichat, jeune charretier âgé de 19 ans, pour coups et blessures devant le tribunal correctionnel de Marseille43. Le matin du 9 mars 1884, Marianne Guille, épouse Pichat, mère du prévenu, se présente au commissariat de police du 17e arrondissement de Marseille et porte plainte contre son fils :
« Depuis deux ans, mon fils Louis, âgé de 19 ans me fait subir des mauvais traitements que j’ai endurés jusqu’à présent avec patience, espérant qu’il reviendrait à de meilleurs sentiments à mon égard. Il est débauché et libertin et s’adonne à la boisson. Il y a neuf mois qu’il a quitté le domicile paternel, et chaque fois qu’il se trouve à passer devant la maison, il y entre et m’accable de toutes les injures les plus grossières. Il me frappe avec les mains et me dit des injures en me disant qu’il faut qu’il me tue, dû-t-il faire 20 ans de galères. Une scène de ce genre s’est passée surtout le 5 novembre dernier. […] Enfin, lundi dernier, 3 de ce mois, vers 5 heures et demie du soir, […] il s’est mis à frapper [contre ma porte] à coups redoublés en disant : “Ouvre vieille p… ouvre donc ou j’enfonce la porte. Il faut que je t’enfonce la peau comme à un lapin”. Ayant alors ouvert la porte, mon fils s’est jeté sur moi comme un lion en me donnant des coups de poings et des coups de pied et en m’enfonçant ses ongles dans le bras. Ma fille ayant pris ma défense, il lui a porté un coup-de-poing au creux de l’estomac. […] Les voisins sont accourus. […] Je demande que ce fils dénaturé reçoive, en attendant qu’il soit appelé sous les drapeaux, une correction des plus sévères. Il ne travaille pas, j’ignore où il demeure et quels sont ses moyens d’existence. »
27Par cette plainte, la femme Pichat en appelle aux institutions, à la justice d’abord et à l’armée ensuite, afin de remettre son fils dans le droit chemin. Elle avoue ainsi son impuissance, ainsi que celle de son mari, à maîtriser leur enfant. Celui-ci, en effet, semble se comporter de manière particulièrement impulsive. Le rapport du commissariat de sûreté confirme les dires de sa mère. Louis Pichat possède « une mauvaise réputation de conduite et de moralité, et fait partie de la bande de nervis44 du quartier des Crottes. Toutefois, on ne lui connaît pas d’antécédents. Depuis quatre mois il travaille comme charretier pour le compte de MM. Rousset Carbonnet et Cie, entrepreneurs de camionnage, boulevard national ».
28Dans l’affaire Baptistin Lazare, jugée en 1886, on observe un schéma similaire45. Une mère porte plainte contre son fils, qui la maltraite, et dont elle finit par avoir peur : « J’ai un fils âgé de 15 ans appelé Lazare Baptistin duquel je ne peux plus me rendre maîtresse », déclare Lucie Jourdan, veuve Lazare, devant le commissaire de police d’Endoume, le 11 juillet 1886. Elle poursuit :
« Il ne veut pas travailler, ne fréquente que des vauriens comme lui, me menace continuellement. Souvent il me frappe et exige que je le nourrisse, et m’oblige quotidiennement à lui donner de l’argent. Lorsque je le menace de le faire enfermer il me dit qu’avant de partir il me fera une boutonnière et qu’une fois morte, il m’écrasera la tête avec les pieds. Bien des fois il m’a porté des coups et a brisé tout ce qui lui tombait sous la main. Hier matin, m’étant refusée à lui donner de l’argent, il a brisé toute ma vaisselle, les vitres croisées et a jeté dehors une foule d’ustensiles. Il s’est emparé d’un morceau de viande que j’avais acheté pour lui faire manger, l’a traîné à terre et me l’a jeté dessus. Il a craché dans mon verre et a menacé de me tuer si je portais plainte ou si je le frappais, et au même moment, joignant l’action à la menace, il m’a menacée d’un couteau. Ce matin, sous prétexte que je ne voulais pas lui donner d’argent et que je ne lui faisais pas du café il s’est mis de nouveau à tout briser et à me porter des coups de pied et des coups de poing et m’a forcée à sortir de chez moi. Il m’a fait diverses égratignures me déclarant qu’il me ferait cracher le sang et qu’il me ferait marcher à son gré. Me trouvant seule et étant obligée de travailler pour gagner ma vie et n’étant pas assez forte pour corriger mon enfant, je vous prie de me porter secours car je crains qu’il ne fasse un mauvais coup. »
29Sur la demande de cette mère éplorée, appuyée par le témoignage de son voisin, la justice place son fils en maison de correction jusqu’à 18 ans, au motif de menaces de mort assorties de violences et voies de faits envers sa mère.
30Ces deux affaires mettent en scène de jeunes hommes qui se conduisent envers leurs mères en véritables tyrans domestiques. Au moins quatre éléments les rapprochent, et permettent de cerner le type de situation dans lequel elles émergent. Tout d’abord, les prévenus vivant séparément de leurs parents, ces violences outrepassent les tensions liées à la cohabitation difficile des générations sous un même toit, situation qui entraîne une rivalité et une concurrence difficilement supportées46. Il semble donc que la distance géographique n’apaise pas les conflits, mais enhardisse les prévenus, et leur offre la possibilité d’exprimer leur ressentiment plus librement que s’ils n’étaient contraints par la cohabitation, et son cortège de dépendances morales et financières. La différence entre le monde rural et le monde urbain se trouve donc fortement marquée. En ville, à Marseille, l’émancipation est plus simple, le mode de vie fait l’objet d’une pesanteur sociale moindre, et les problèmes de possession de la terre sont inexistants. En outre, ces jeunes semblent profiter de la faiblesse ou de l’absence des pères pour prendre leur place. Ils ne sont pas poussés à un comportement violent par une omniprésence de la figure paternelle. Bien au contraire, les pères ne sont mentionnés que par allusions. Ils semblent avoir démissionné de leur rôle d’autorité antérieurement à leurs épouses, qui s’acharnent à tenter de maintenir leurs fils dans un mode de vie qu’elles estiment honnête. Ces jeunes fils prennent la place du père, accablant leurs mères de violences, démontrant par là leur virilité de manière dévoyée, occupant l’espace que le père laisse vaquant. D’une certaine manière, les mères viennent chercher auprès de la police et de la justice la protection et l’autorité qui fait défaut dans leurs foyers, en raison de cette absence de figure paternelle. Ce n’est pas un débordement ponctuel qui pousse les mères à dénoncer leurs enfants, mais bien une situation inextricable qui, de plus, les amène à craindre pour leur propre vie47. Le cadre urbain joue ici un rôle qui est loin d’être négligeable. Il apporte une certaine publicité à ces violences, qui, en milieu rural, se trouveraient aggravées par le silence et l’isolement. Cette publicité engendre chez les victimes un sentiment de honte, lié à l’anormalité de la situation. Leur incapacité à maîtriser ces enfants se trouve connue de tous, ajoutant le déshonneur à la douleur. La plainte en justice, qui leur permet de se protéger, devient également la seule manière de ne pas perdre la face. Enfin, il faut souligner le rôle central de l’argent dans l’origine de ces violences. Cette sollicitation incessante représente le nœud de ces conflits : d’une part, elle met en péril la survie économique de la famille en raison de l’absence de marges dans les budgets ouvriers marseillais à partir des années 1880 ; d’autre part elle sous-tend une condamnation morale de ce mode de vie. En effet, dans ces deux affaires, les professions maternelles (coiffeuse, blanchisseuse) ont pour point commun de faibles rémunérations. Cette situation perdure jusque dans les années 1910. Les familles dont les enfants, en âge de travailler, ne le font pas, sont donc placées dans l’inconfort. En outre, en refusant de travailler, en s’adonnant à des plaisirs que leurs parents réprouvent (comme dans l’affaire Pichat), ces jeunes hommes mettent en péril la réputation de la famille. Ils revendiquent un droit à la dépense, et, libérés des contraintes qu’impose le respect de l’autorité paternelle, tyrannisent leurs mères. Leurs mauvaises fréquentations ne font qu’aggraver ce train de vie dispendieux. Les jeunes générations s’attirent ainsi les foudres de leurs parents par leur conduite de dissipation financière et morale. Elles en éprouvent de la colère et sont poussées à un comportement violent par des reproches incessants, voire un harcèlement quotidien48.
31Si les plaintes de ces mères sont motivées par la crainte de voir leurs enfants s’en prendre à elles, il arrive que ce funeste soupçon devienne réalité. Le parricide, crime rare dans la France du XIXe siècle, l’est encore plus à Marseille49. De fait, les affaires de parricide attirent l’attention. Le crime de Charles-Marcel Henry, jugé en 1896, peut être lu comme le parachèvement des situations entrevues dans les affaires précédentes50. Le 1er mai 1896, à leur domicile de la rue Farjon dans le quartier du Chapitre, Charles-Marcel Henry, commis aux douanes, âgé de 19 ans, blesse son père d’un coup de couteau. Celui-ci décède quelques jours plus tard. Ce parricide possède donc la particularité de voir le décès de la victime reporté de quelques jours, ce qui permet aux enquêteurs d’entendre la victime. Le 9 mai, celui-ci déclare au juge d’instruction :
« Mon fils Marcel habite avec moi depuis 5 ans environ. Il travaillait régulièrement et me remettait chaque mois le montant de son salaire soit la somme de 75 fr. Il est vrai que je lui donnais l’argent dont il avait besoin. Malheureusement il est d’un caractère sournois et se montrait souvent grossier et insolent à mon égard. […] Le 1er mai courant, j’étais rentré vers 6 heures et demie et m’étais mis au lit. Il vint à la maison vers 8 heures préparer la soupe, mangea, et se mit à lire. Un peu avant 10 heures, je l’appelai et lui demandai pourquoi il ne me servait pas ainsi qu’il le faisait d’habitude. Il me répondit que l’eau ne bouillait pas. M’étant levé, je vis que le feu était éteint. Je lui reprochais son manque d’égards. Il leva aussitôt les poings vers moi en s’écriant : “Tais-toi ou je te tue”. Nous étions à ce moment-là dans la cuisine. J’ouvris la fenêtre pour appeler au secours. Il tira aussitôt le tiroir de la table dans lequel il choisit le plus gros couteau qui s’y trouvait. “Va-t’en !” lui criais-je alors. “Je veux que tu partes.” Il sortit de la cuisine, passa le corridor et entra dans sa chambre. […] Nous étions dans l’obscurité. Tout à coup, je me sentis frappé au côté gauche. Je n’avais certainement pas l’intention de le renvoyer. Je ne l’avais plus frappé depuis qu’il était sorti de pension. Il est vrai que quand il allait en classe je lui avais porté quelques coups, mais c’était à la suite d’incartades de sa part et dans un but de le corriger. […] Il y a deux ans environ, pour un motif futile en réponse à des observations que je lui faisais, il me montra un couteau arabe avec lequel même il effleura ma poitrine en disant : “Si tu continues tu es mort.” J’ai fait connaître ce fait dans mon quartier, notamment à MM. Mouttet, marchand de vin et Baraille, épicier. »
32Cette déposition met en évidence quelques-uns des motifs qui ont poussé le fils Henry à un tel crime. Placé en pension, il n’a jamais eu de bonnes relations avec son père, qui, de surcroît, le battait. Si celui-ci affirme qu’il n’outrepassait pas les limites de la correction paternelle, ce n’est pas l’avis de l’accusé, qui déclare : « J’étais constamment en butte à ses reproches, à ses observations violentes. Pour les motifs les plus futiles, il m’injuriait et me menaçait. » Cependant, il reconnaît que, depuis son retour de pension, ces brimades étaient davantage morales que physiques. Sans doute le père, âgé, craignait-il le jeune homme qu’était devenu son fils, et n’osait plus le défier physiquement. On devine que les vexations quotidiennes étaient d’autant plus sournoises qu’elles détournaient le corps à corps en une relation tendue, où le père faisait constamment ressentir à son fils le poids de son autorité. Il lui confisque son salaire, ne lui accorde pas la possibilité de dépenser son argent comme il l’entend, lui fait des bons pour retirer des marchandises chez les commerçants sans lui donner le droit d’acheter la moindre denrée, et se fait servir la soupe tous les soirs. Comme dans les milieux populaires, pour les deux affaires précédentes, la publicité des violences familiales joue un rôle prépondérant dans le dénouement des tensions. Mais, dans les deux premiers cas, elle précipite les victimes auprès de la police, alors que, dans le dernier, elle encourage l’acte criminel. En effet, l’événement déclencheur du coup parricide est bien cet appel au secours, cette publicité donnée à une conduite scandaleuse. Après des années de brimades, ressenties comme autant d’humiliations par le fils, c’est l’ouverture de la fenêtre qui précipite l’acte criminel.
33Ces quelques portraits d’« enfants terribles » montrent que les rapports entre générations subissent de profondes modifications dans la société marseillaise à partir des années 1880. D’une part, les enfants – les fils en particulier – endossent et revendiquent un rôle nouveau dans la cellule familiale. On les a vus ici tour à tour défenseurs de leurs mères et de leurs sœurs, ou bien bourreaux de leurs parents. Cette prise de position, et l’affirmation individuelle qui en découle, montre une évolution de l’image que les jeunes marseillais possèdent d’eux-mêmes. Ces jeunes garçons estiment que leurs actes sont légitimes. La minorité, au sens où elle est instaurée par le Code civil, apparaît obsolète à travers leurs agissements51. Ainsi, à un contexte économique difficile pour les catégories populaires, favorisant la déchéance de la figure paternelle, s’ajoute l’affaiblissement de certains freins moraux, correspondant à des normes valorisant le respect du père. Il n’en faut pas plus pour que les violences juvéniles entament un essor significatif. D’autre part, les violences ne représentent plus un tabou, mais une anormalité à laquelle la justice doit répondre. Le contrôle social ne s’exerce donc plus dans le sens d’un silence pesant. Bien au contraire, à la faveur d’une acculturation judiciaire de plus en plus perceptible, il pousse les victimes et les témoins à recourir à la justice. De fait, les violences, plus facilement dénoncées, sont plus fréquemment jugées.
34Toutefois, si les jeunes tendent à s’affirmer davantage dans le cadre domestique, et quelle que soit l’ampleur de la modification des rapports entre les générations, ce type de situations ne peut en aucun cas suffire à expliquer l’essor de leur criminalité à la fin du XIXe siècle. Dans un grand nombre de cas, celle-ci découle bien de problématiques propres à la représentation de soi, mais elles se situent dans les espaces publics, et non pas dans la famille.
Les espaces publics : espaces privilégiés des violences juvéniles
Le bal populaire, théâtre des passions
35Tout au long du XIXe siècle, les jeunes Marseillais fréquentent davantage le bal public que le cabaret. Dans les milieux populaires, le bal constitue le lieu de rencontre privilégié entre les deux sexes. L’âge moyen du mariage étant relativement précoce (20 ans pour les garçons, 17 à 18 ans pour les filles52), la fréquentation du bal ne relève pas uniquement de la pratique d’une activité de sociabilité ou de détente, mais également de l’établissement de stratégies matrimoniales. Dans un espace étroit, où des danseurs évoluent entraînés par la musique et la foule, des unions se forment sous le regard de tous. C’est pourquoi les bals, en tant que lieux publics, réunissent de nombreux facteurs de rivalités. Dans la nuit du 18 mars 1893, François Jourdan, journalier âgé de 20 ans, se trouve dans un bal du quartier de Saint-André dans la banlieue de Marseille53. En dansant, il heurte Marius Comandon. Il se précipite alors sur lui et lui porte un coup-de-poing derrière la tête. Comandon a beau s’excuser, Jourdan le menace encore à la sortie du bal : « Attendez, je vais vous arranger. » Sur ce, il rentre chez lui, s’arme d’un fusil, et, malgré les suppliques de son frère, qui le prie de retrouver son calme, regagne le bal, et, croyant viser Comandon, tire à bout portant sur un des camarades de celui-ci, Andréa Pelo. La victime tombe mortellement blessée. Une autre affaire voit Charles Picco, jeune cimenteur âgé de 20 ans, comparaître pour meurtre en 190954. Dans la nuit du 18 au 19 avril 1909, Charles Prato est retrouvé gravement blessé rue de la Cascade, dans le quartier des Chartreux, situé dans la banlieue est de Marseille. Amené au poste de police le plus proche, il déclare, en présence d’un commissaire de police et d’un brigadier de la sûreté, avoir été victime d’un coup de revolver tiré par Charles Picco. Transporté à l’hôpital à la suite de ces succinctes déclarations, il succombe quelques heures plus tard. Ici encore, une querelle de bal semble être la source de ce règlement de comptes. Le commissaire de police Jean Estables confirme le mobile probable du crime au juge d’instruction : « La mère de Prato, que j’ai vue par la suite, m’a indiqué que son fils lui avait dit : “Je suis condamné, Picco me tuera parce que j’ai fait danser sa compagne”. Prato avait dit cela un mois auparavant. » Durant tout le cours de l’instruction, Picco persiste à nier farouchement ce mobile, qui est pourtant le seul à pouvoir expliquer son geste. De toute évidence, il redoute la qualification de son crime en assassinat.
36Ces deux meurtres montrent l’importance du bal dans les violences juvéniles. En effet, cet espace public mêle des enjeux de plusieurs ordres : personnels, sociaux, symboliques et normatifs. Les bals sont des lieux de sociabilité où les intrigues et querelles amoureuses entre jeunes d’un même quartier se nouent. Les réputations s’y construisent. De fait, ils sont également des lieux de représentation. Chacun évolue sous le regard des autres et, en retour, scrute le comportement du moindre danseur. L’activité qui s’y déploie est régie par des codes et des normes spécifiques. L’invitation à danser répond à des règles strictes, ainsi que l’attitude sur la piste de danse. Celui qui s’y dérobe se rend coupable d’une perturbation des règles de comportement adoptées par tous. Il s’expose à des représailles violentes. C’est pourquoi le bal, cadre de ces deux affaires, joue un rôle déclencheur des violences, mais retarde également le surgissement de celles-ci. Les conflits noués lors de la danse (bousculade ou entorse à la règle des invitations) ne se règlent pas immédiatement, mais dans la rue. La présence d’une assemblée composée majoritairement d’individus du même âge et, approximativement, du même milieu social, paralyse certaines volontés d’en découdre. L’enjeu est momentanément trop important. Perdre la face dans un bal public de quartier revient à se couvrir d’un irrémédiable déshonneur au sein de sa classe d’âge. En cela, la rixe de bal possède des points communs avec la rixe de cabaret. Comme le cabaret, le bal est un espace confiné, où la promiscuité des corps et la surveillance permanente des individus les uns par les autres supposent de fortes tensions. Cependant, à l’inverse de celui-ci, le bal est un espace partagé par les deux sexes, ce qui ne fait qu’accroître les enjeux attachés à la réputation et à l’honneur chez de jeunes hommes en recherche d’une compagne. Par ailleurs, la présence des organisateurs et la surveillance des forces de l’ordre apaisent momentanément les conflits. Le règlement de comptes, s’il est jugé nécessaire pour laver l’affront, est également porteur de danger, car il fait de l’agresseur un hors-la-loi.
La rue
37En 1883, Pascal Carboni, un jeune napolitain âgé de 15 ans, comparaît devant le tribunal correctionnel de Marseille pour coups et blessures55. Le 9 août, rue Beaussenque, dans le quartier de l’Hôtel-de-Ville, une querelle éclate entre les passants et deux jeunes hommes, Barthélémy André et Barthélémy Martin, assis sur le pas de la porte. Le prévenu déclare : « Je passais avec Fragio et Detouris et trois ou quatre autres de nos camarades, rue Fontaine de Caylar, lorsque nous rencontrâmes les deux Barthélémy. Nous chantions. Ils se moquèrent de nous. Je pus leur donner une poussée et ils m’en donnèrent une autre. Je leur portais alors un coup-de-poing. Ils m’en portèrent un à leur tour. […] Je n’ai vu porter aucun coup de couteau. » Cette déclaration est contredite par celle de Barthélémy André, un jeune peintre en bâtiment âgé de 17 ans : « Le 9 du courant, vers dix heures et demie du soir, j’étais avec mon camarade Martin devant la porte de son logement rue Beaussenque lorsque sept jeunes gens vinrent à passer en chantant très fort. Comme le grand-père de Martin était malade, il les pria poliment de se taire. Un de ces jeunes gens, le plus jeune, sans provocation et sans qu’il ait été échangé d’autre parole s’avança vers moi et me porta un coup-de-poing à la tempe droite. Ses six autres camarades se ruèrent sur Martin et moi. » Le cadre spatio-temporel joue un rôle important dans l’éclatement de cette rixe. Il convient tout d’abord de préciser que la rue Beaussenque (et non Fontaine de Caylar comme le mentionne le prévenu de manière erronée56) est située dans un des quartiers les plus anciens du centre : l’Hôtel-de-Ville. Les rues y sont étroites ; les maisons, de part et d’autre de la voie publique, sont très proches. Au moment où les faits se produisent, dans la soirée, les habitants sortent sur le pas des portes pour rechercher un peu de fraîcheur. Le passage de sept jeunes gens devant ce public nombreux peut difficilement passer inaperçu. De plus, leurs chants et leurs musiques contrastent avec le bruissement feutré qui doit émaner de la rue Beaussenque en ce soir d’été. En plein jour, en une saison plus froide, dans une artère passante du centre, l’attitude de ces jeunes Italiens aurait sans doute moins choqué. Dans le contexte particulier de cette affaire, les habitants de la rue ressentent leur attitude comme une agression gestuelle et sonore. De fait, Barthélémy Martin possède au moins deux raisons de s’insurger contre un tel comportement. D’une part, le vacarme a lieu devant sa maison. À l’évidence, le jeune homme s’identifie à ce lieu. On a montré plus haut l’importance symbolique des pas-de-porte. Dans le cas présent, il se confirme que les jeunes agissent par identification à cet élément du décor : ce pas-de-porte marque la limite de leur territoire. D’autre part, ce bruit se produit alors qu’un aïeul malade cherche le repos quelques étages plus haut. On entrevoit ici l’importance de la dimension verticale du cadre. Dans ces rues étroites, elle est fondamentale. Les échanges sonores et visuels entre les étages des maisons et la rue sont coutumiers. L’évocation de ce grand-père est, à elle seule, révélatrice du registre dans lequel ces jeunes hommes se situent. À travers cette agression sonore, ce n’est pas seulement la rue, mais toute la famille qui se trouve agressée par ces passants. Devant un public familier, composé de voisins et de parents, les deux Barthélémy adoptent un comportement agressif envers les premiers « intrus » qui passent. Les jeunes hommes font ainsi leurs preuves au sein de leur propre clan57. À travers ce défi intra-générationnel, transparaît un enjeu fondamental : leur place et leur honneur dans ce réseau de connaissances que constitue la rue. Ne pas réagir à cette agression reviendrait pour eux à se déshonorer. Cette condamnation du bruit et des chants n’a de sens que dans le cadre où elle prend corps. C’est parce que la rue est un microcosme, que ces jeunes gens, par ce déplacement tapageur, marquent cet espace public de leur présence. À travers le regard des habitants qui assistent à leur passage, ils se constituent une identité définie. Mais cette pratique se heurte à une autre définition de l’identité : celle qui s’attache au domicile, au lieu d’appartenance, aux racines familiales. En effet, on ne peut qu’être frappé par l’opposition entre ces deux comportements : les jeunes qui possèdent le moins d’attaches dans la ville, dont l’arrivée est récente (elle date de six ans pour le prévenu), se singularisent par une attitude mobile et offensive. Ils sont à l’extérieur de leurs repères spatiaux habituels. Les jeunes gens qui possèdent des attaches familiales anciennes, qui sont d’ailleurs explicitement citées dans les dépositions, ont un comportement statique, défensif, sur le lieu de leur domicile. Le défi entre les deux groupes est tacite. Le bref dialogue qui précède l’échange des coups n’a pas d’autre but que de verbaliser la provocation qui émane des attitudes de chacun. La rue apparaît comme un espace à la fois constructif et interrogatif des identités juvéniles, en perpétuelle recherche de reconnaissance58.
38Le bal et la rue sont des théâtres : l’espace occupé est réduit, il est strictement délimité horizontalement et verticalement. L’assistance est proche, attentive, constituée d’un réseau de connaissances dans lequel les jeunes, en quête de reconnaissance à l’approche de la majorité, cherchent à s’insérer. Il n’en faut pas plus pour que ces espaces publics prennent une part active aux violences qui y éclatent. Affrontements et bousculades y présentent un relief particulier parce qu’ils y acquièrent une dimension symbolique. Pourquoi de tels conflits se multiplient-ils ? Le contexte de cohabitation avec les jeunes migrants est un élément d’explication. Comme on l’a montré plus haut, les jeunes se réapproprient la dimension identitaire du nationalisme. Plus l’anti-modèle est facilement identifiable, plus ils déterminent leur identité en opposition à celui-ci. En outre, l’affaire Picco nous met sur la piste d’un réseau d’amitiés et de solidarités complexes où la rivalité amoureuse entraîne la mort d’un ami proche de l’accusé. À partir du début du XXe siècle, l’apparition des phénomènes de bandes de quartier entraîne un essor des règlements de comptes entre ces groupes et à l’intérieur de ceux-ci.
Les jeunes dans les quartiers : territoire, pouvoir, identité
39Penchons-nous tout d’abord sur le cas de ces terreurs de quartier à travers l’affaire Blanc, jugée par le tribunal correctionnel de Marseille en 188259. Le prévenu comparaît pour avoir, le 24 septembre 1882, porté des coups et blessé Catherine Guigou, âgée de 22 ans. Elle déclare : « Il m’a traitée de mange-merde et m’a menacée de me donner deux soufflets, puis il est revenu avec ses camarades, ils ont voulu s’imposer par la force, Blanc s’est armé d’une chaise et m’en a porté un coup, et comme il menaçait de tuer mon mari, ma belle-sœur a lancé une carafe qui a atteint un autre individu […] mon mari a même été sur le point de sortir son revolver pour les intimider. C’est abominable de voir de quelle manière les deux frères Blanc s’imposent à la population. Ils en sont la terreur, tyrannisent tout le monde ». Cette confidence, prononcée dans le cabinet du juge, se trouve étayée par une pétition adressée à celui-ci par une centaine d’habitants du quartier où les faits se sont déroulés :
« Les soussignés habitants du quartier de Menpenti et des environs, ont l’honneur de vous prier de bien vouloir prendre en considération les faits exposés ci-dessous et leur donner la suite qu’ils comportent. Depuis quelques temps, une bande de jeunes désœuvrés, principalement les deux frères Blanc lesquels ont déjà encouru un certain nombre de condamnations, dévalisent, pillent ravagent des propriétés et arrêtent en plein jour sur la voie publique les passants ou habitants du quartier même les plus inoffensifs. Incessamment armés, soit de cannes plombées soit de stylets couteaux ou autres armes, ces jeunes malfaiteurs ne redoutent rien disent-ils et se livrent ainsi à toutes sortes de cruautés sur les personnes qu’ils désignent entre eux. »
40Ce dossier de procédure, et la pétition qui l’accompagne, montrent de quelle façon certains jeunes assoient leur autorité et leur influence sur un espace géographique particulièrement identifiable à Marseille : le quartier. Celui-ci devient un élément essentiel de leur identité. À la faveur d’une délinquance quotidienne, incluant des pratiques violentes, la crainte qu’ils suscitent auprès des habitants leur accorde une importance qu’ils ne possèdent ni par leur origine sociale ni par l’exercice de leur profession. En effet, les frères Blanc, s’ils font figure de parias pour les habitants de Menpenti, sont d’abord, dans ce quartier, de simples ouvriers. De fait, ils correspondent, par de nombreux aspects, au portrait des jeunes jugés pour infractions contre les personnes, tel qu’il a été dressé ci-dessus pour les années 1880. Le prévenu, Pierre, est né à Marseille. Il est de la première génération de nationalité française dans une famille italienne. Ses parents sont vraisemblablement arrivés dans la ville au début des années 1860. Il exerce la profession de maçon. Il est donc ouvrier du bâtiment, profession dont la fréquence parmi les jeunes jugés pour violences a été soulignée. En outre, même si, au moment des faits, il est tout juste majeur, il a été condamné à plusieurs reprises alors qu’il était mineur : en 1880 pour filouterie, coups et blessures et rébellion, en 1881 à nouveau pour coups et blessures. Il possède donc déjà un lourd passif judiciaire. Le cadet, Joseph, est né à Naples60. Âgé de 20 ans, il est, lui aussi, connu des services de police, ayant été arrêté à cinq reprises au cours des années 1880 et 1881. À chaque arrestation, il a bénéficié d’une libération, faute de preuves, ce qui, si l’on en croit les témoignages et le contenu de la pétition, ne doit pas étonner vu les menaces que son frère et lui profèrent envers les témoins de chacun de leurs méfaits. Joseph Blanc se déclare sans profession, ce qui le place, comme son frère, parmi les profils les plus enclins à la déviance. Ceci nous est confirmé par les auteurs de la pétition eux-mêmes, qui qualifient les frères Blanc et leurs acolytes de « bande de jeunes désœuvrés ». L’exercice de l’autorité violente sur un territoire par les frères Blanc peut donc être lu comme une pratique compensatoire, et rentable, d’un désaveu social et économique. Cet espace public leur offre un gagne-pain, de même qu’une tribune valorisante.
41Cette appropriation du quartier par les jeunes délinquants, et le phénomène d’identification très forte qui en découle, conduisent à des rivalités entre les jeunes de différents quartiers marseillais. Si le jeu de « bataillon » est attesté de longue date à Marseille, il met en lumière certaines problématiques d’identification à un territoire et d’affrontement entre jeunes de quartiers rivaux. En outre, il est probable que certaines terreurs de quartiers se soient d’abord illustrées dans ce type de pratiques, faussement ludiques. En 1890, Eugène Sabarin, un jeune garçon âgé de 13 ans, comparaît devant le tribunal correctionnel de Marseille pour y répondre du chef d’accusation de coups et blessures61. Interrogé par le commissaire de police, il relate les faits : « Nous jouions au bataillon. Après avoir poursuivi nos adversaires, j’ai atteint dans le voisinage de la Bourse Rosso que je ne connaissais pas. Je l’ai appréhendé, il en a fait autant et nous avons échangé quelques horions. M’étant trouvé entouré subitement par deux ou trois gamins j’ai voulu me dégager. J’ai tiré mon couteau de ma poche, j’ai redressé la lame et j’en ai porté un coup à Rosso sans le vouloir. Mon intention était seulement de chercher à me frayer un passage pour fuir, je ne croyais pas l’avoir blessé. » Depuis des décennies, à Marseille, le bataillon oppose les adolescents des divers quartiers du centre-ville. Un cas similaire est attesté dans les archives judiciaires en 186462. Le procès-verbal contient l’interrogatoire de Paul Seurat, âgé de 14 ans, qui déclare : « Jean Desbottes est le chef de la bande des enfants de la Major qui font le bataillon contre la bande des enfants de Saint-Laurent. […] quand la bande des enfants de la Major attrape un enfant de la bande des enfants de Saint-Laurent, elle l’attache à un réverbère, après quoi elle lance sur lui des pierres et elle ne le dispense de recevoir des coups de pieds que s’il consent à manger des excréments. Après quoi on lui barbouille encore le visage avec de l’ordure, et on lui met dans la bouche un morceau d’excrément […] C’est Jean Desbottes qui fait cela ou qui commande aux autres de le faire. » Ces adolescents s’en prennent également aux forces de l’ordre. Ils jettent des pierres sur les sergents de ville, et forment de véritables hordes déchaînées contre ceux-ci. Le dossier évoque plusieurs centaines d’agresseurs le 15 février 1864. Cette « guerre des boutons »63, qui prend, d’après cet interrogatoire, des tournures sadiques et scatologiques, se perpétue donc tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle. L’affaire Sabarin prouve que ces pratiques violentes se transmettent de génération en génération. Le quartier acquiert, dans ce « jeu », un rôle unificateur et identificatoire fondamental. C’est au nom de l’appartenance à un quartier que ces sévices sont infligés à ceux qui y sont étrangers. C’est également pour défendre ce territoire, et la liberté d’agir comme bon leur semble, que ces jeunes s’en prennent aux forces de l’ordre.
42Un second type d’affaires apparaît au début du XXe siècle. S’il emprunte certains éléments à la pratique du bataillon, l’âge des protagonistes ainsi que la gravité des violences commises le placent toutefois dans un registre différent, plus proche de nos préoccupations. En 1904, Antoine Canale, âgé de 18 ans, comparaît aux assises pour répondre du meurtre d’un dénommé Ceccaldi64. Le rapport du commissariat de sûreté, chargé d’établir l’existence d’éventuels liens entre l’accusé et la victime, plante le décor quelques jours après les faits : « Des investigations auxquelles s’est livré [l’agent Bernard], il résulte que depuis quelque temps Canale faisait partie de la bande de Saint-Mauront et Ceccaldi du Lazaret. D’après la rumeur publique ces deux individus se connaissaient et la cause du meurtre de Ceccaldi serait attribuée à une vengeance. Des recherches ont été faites dans les milieux interlopes que le meurtrier et la victime fréquentaient aux fins de découvrir des témoins utiles à la manifestation de la vérité, mais ces recherches n’ont pas abouti. » Le rapport de police brosse le portrait d’un « apache » marseillais. Issu d’un milieu populaire, il est ouvrier d’atelier, mais est de moins en moins assidu à son travail. Ses revenus sont suspects. Il a été remarqué pour sa fréquentation d’individus peu recommandables. Cette affaire, qui se déroule en 1904, on trouve un certain nombre d’éléments à même d’éclairer l’essor de la criminalité et de la délinquance des jeunes marseillais constaté pour le début du XXe siècle. L’accusé est un ouvrier en voie de rupture d’avec le monde du travail. En tant que mouleur, il fait déjà partie des catégories professionnelles qui fournissent le plus grand nombre de jeunes délinquants ou criminels. Sa progressive cessation d’activité le conduit à venir grossir les rangs des individus « sans profession » arrêtés pour des faits similaires. En outre, les faits qui lui sont reprochés sont graves. Le crime, qui s’apparente à un règlement de comptes, possède tous les attributs de l’homicide prémédité (même s’il n’est pas qualifié comme tel par la justice qui ne parvient pas à en établir les preuves). À ce titre il reflète bien l’évolution de la criminalité des jeunes à partir du début du XXe siècle.
43Si, en 1909, le Compte général attribue la criminalité juvénile dans les grandes villes au « défaut de surveillance des parents et à la non-fréquentation de l’école »65, les causes sont vraisemblablement plus complexes : l’école ne joue aucun rôle en ce sens, du moins à Marseille, où la criminalité juvénile se renforce au moment même de la mise en place de l’école républicaine ; quant à la surveillance des parents, elle produit parfois des effets pervers, en particulier lorsqu’elle recouvre une relation d’autorité mal supportée par les enfants. L’augmentation de la criminalité juvénile à Marseille tient à des mutations économiques et sociales bien plus profondes qu’à une simple absence de contrôle, institutionnel ou parental.
44L’essor des violences juvéniles s’effectue en deux temps. Entre ces deux moments, les violences jugées ainsi que le profil économique et social de leurs auteurs évoluent. Le meurtre est prépondérant au cours des années 1880, progressivement supplanté par l’assassinat au début du XXe siècle. L’essentiel des violences juvéniles reste toutefois marqué par une forte tendance aux coups et aux rébellions. En outre, l’évolution des professions des jeunes criminels reflète le contexte économique, notamment la morosité qui marque la Belle-Époque à Marseille. Mais il apparaît aussi que des problématiques propres à la construction des identités et à la transmission des valeurs entre les générations y jouent un rôle fondamental. La crise qui touche le monde ouvrier à partir des années 1880 offre une piètre image du travail et des pères au sein de la famille. L’évolution des mentalités, en particulier la mise en place d’une législation de protection de l’enfance, vient accélérer un processus de prise de parole des jeunes qui n’acceptent plus aussi facilement une autorité qu’ils estiment outrancière et illégitime. La structure familiale se trouve remise en question de même que la valeur accordée au travail. À ce titre, le contexte extrêmement tendu des premières années du XXe siècle ne peut que décourager des jeunes qui voient le chômage s’élever, les revenus stagner, et les luttes sociales s’intensifier. Sur le temps long, le renoncement à un mode de vie « honnête » se transmet au fil des générations, chez des jeunes marseillais en quête d’une autre forme de réussite et de reconnaissance.
Notes de bas de page
1 Perrot M., « Quand la société prend peur de sa jeunesse en France au XIXe siècle », Les jeunes et les autres. Contributions des sciences de l’homme à la question des jeunes, Vaucresson, CRIV, 1986, p. 19-27 ; Crubellier M., L’enfance et la jeunesse dans la société française (1800-1950), Armand Colin, 1979 ; Burguière A., Klapisch-Zuber C., Segalen M., Zonabend F. (dir.), Histoire de la famille, tome 3 : « Le choc des modernités », Librairie générale française, 1994.
2 Grosmolard J., « Criminalité juvénile », Archives d’anthropologie criminelle de criminologie et de psychologie normale et pathologique, 1903, p. 129-158, p. 139.
3 Ambroise-Rendu A.-C., Crimes et délits…, op. cit.
4 La jeunesse est considérée comme l’âge réunissant tous les besoins et toutes les frustrations, d’où une criminalité importante. Joly H., La France criminelle…, op. cit.
5 En 1906 la majorité pénale est élevée de 16 à 18 ans. Cependant, pour plus de clarté et en conformité avec les tranches d’âges retenues dans les recensements de population et dans le Compte général, nous conserverons les mêmes tranches d’âges pour les sondages de 1906 et 1911.
6 Code pénal, article 66.
7 Compte général, Rapport 1909, « Sur la criminalité juvénile », op. cit., p. XXVIII.
8 Dans la pratique, il est probable que leur jeunesse incite certains membres du parquet à davantage de clémence.
9 On pourra se référer à la Revue d’Histoire de l’Enfance Irrégulière.
10 Titre emprunté au long-métrage de Cédric Klapisch, Le Péril jeune, 1995.
11 AD BDR 6 M 288, et 6 M 313 : récapitulatifs des recensements de 1891 et 1896.
12 . Comme de nombreux historiens l’ont souligné, le Compte général manque de rigueur dans la construction des catégories d’âge. Par exemple, il distingue les 16-21 ans du reste des justiciables. La catégorie d’âge suivante étant celle des individus âgés de plus de 21 ans, il y a tout lieu de penser que la catégorie des 16-21 ans regroupe en fait les individus mineurs civilement, mais majeurs pénalement, soient les individus ayant dépassé leur 16e anniversaire, mais n’ayant pas encore atteint le 21e. Dans ce cas, les catégories d’âges du Compte général correspondraient aux nôtres. Il subsiste néanmoins un doute, la composition des catégories ne faisant l’objet d’aucune note explicative.
13 Le Compte général procède à un récapitulatif détaillé décennal alors que nos propres sondages ont été établis selon une périodicité calquée sur les années de recensements. Il en résulte un décalage d’un an (1900-1901). Toutefois, à quelques mois d’intervalle, les distorsions entre les deux séries de données ne devraient pas être importantes.
14 L’écart est suffisant pour ne pas être imputé à la distorsion d’un an entre ces deux catégories. Sources : Compte général, rapport 1910 ; Masson P. (dir.), Encyclopédie des Bouches-du-Rhône, tome XIII, Population, op. cit. p. 336.
15 Id., p. 337.
16 Agulhon M. et alii (dir.), La ville de l’âge industriel…, op. cit., p. 370 sqq ; Dupâquier J., Histoire de la population française…, op. cit., p. 234 sqq.
17 Id., p. 230 sqq.
18 Le Compte général ne donne pas l’âge des prévenus jugés par les tribunaux correctionnels.
19 Ces chiffres correspondent à un échantillon relevé pour les jugements prononcés entre 1888 et 1894. Farcy J.-C., Démier F., Regards sur la délinquance parisienne…, op. cit., p. 49 sqq.
20 Les analyses concernant la nationalité et la profession ont été menées pour tous les individus âgés de moins de 21 ans.
21 Il est vraisemblable que ceux-ci se déclarent « sans profession » ou journaliers pour ne pas attirer l’attention.
22 Kalifa D., Les crimes de Paris…, op. cit., p. 32.
23 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 157 ; Américi L., La Caisse d’épargne…, op. cit., p. 532 sqq.
24 Les souteneurs, en particulier, se déclarent souvent marins.
25 Lescure M., « L’industrie marseillaise… », op. cit.
26 Lartigue-Vecchié M., « Les grèves des dockers à Marseille de 1890 à 1903 », Provence Historique, avril-juin 1960, p. 145-179 ; Claverie-Bertac E., Les dockers à Marseille de 1864 à 1941…, op. cit. ; Américi L., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 541.
27 Elle passe de 54 kg par an et par habitant dans les années 1880 à 40 kg en 1911. Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 157 ; Américi L., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 533.
28 Ambroise-Rendu A.-C., Peurs privées, angoisses publiques…, op. cit., et Crimes et délits…, op. cit. ; Perrot M. (dir.), Les jeunes et les autres…, op. cit.
29 Le rapport du Compte général de 1909 précise que « les ressorts […] où la situation est plus grave sont les ressorts d’Aix, d’Amiens, de Douai, de Nancy, de Paris, de Rennes et de Rouen. Ce sont ceux précisément qui renferment de grands centres urbains ou d’importantes agglomérations ouvrières », op. cit., p. XXIX-XXX.
30 Perrot M., « Quand la société… », op. cit., p. 19.
31 Id. p. 21. La majorité pénale passe de 16 à 18 ans en 1906.
32 Loi du 24 juillet 1889 sur la déchéance paternelle, loi du 19 avril 1898 sur les violences et attentats commis contre les enfants, loi du 13 mai 1912 sur la création des tribunaux pour enfants.
33 On se reportera aux travaux de D. Kalifa et A.-C. Ambroise-Rendu.
34 Kalifa D., Les crimes de Paris…, op. cit., p. 32.
35 Perrot M., « Quand la société… », op. cit., p. 27.
36 Titre emprunté au célèbre roman de Jean Cocteau, Les Enfants terribles, 1929.
37 AD BDR 406 U 190, affaire Dutertre, coups et blessures, 1889.
38 Lapalus S., Pierre Rivière et les autres…, op. cit. p. 504-587.
39 Perrot M. (dir.), De la Révolution à la Grande Guerre, Ariès P., Duby G., (dir.), Histoire de la Vie Privée, op. cit. t. 4 ; Burguière A., et alii (dir.), Histoire de la famille, op. cit. ; Lapalus S., La mort du vieux…, op. cit.
40 Farcy J.-C., « Peut-on mesurer l’infrajudiciaire ? », Garnot B. (dir.), L’infrajudiciaire du Moyen Âge à l’époque contemporaine, Dijon, EUD, 1996, p. 109-127 ; Lapalus S., Pierre Rivière et les autres…, op. cit. p. 265-340.
41 Id., p. 587-677.
42 On peut ici encore renvoyer à certaines analyses de S. Lapalus sur l’évolution dans la perception du crime de parricide tout au long du XIXe. Lapalus S., La mort du vieux…, op. cit.
43 AD BDR 406 U 158, affaire Pichat, coups et blessures, 1884.
44 Montel L., Marseille capitale du crime…, op. cit, p. 341 sqq. AD BDR 4 M 9 : En 1905, dans une lettre adressée au Préfet, le commissaire central de la ville de Marseille donne sa propre définition du nervi : « il existe à Marseille une catégorie d’individus dénommés « nervis » dont l’âge varie de 16 à 20 ans – jeunes gens capables de tous les méfaits, ne se livrant à aucun travail, vivant de rapine, de vol, au crochet des femmes etc. etc.- mais la plupart domiciliés avec leurs parents – légalement, sinon de fait – ayant par conséquence un domicile certain et trouvant, à l’occasion, tous les témoignages nécessaires pour se faire remettre en liberté lorsqu’ils sont arrêtés, ou même établir leur non-culpabilité ».
45 AD BDR 406 U 170, affaire Lazare, menaces de mort sous condition, violences et voies de faits, 1886.
46 Cette situation donne lieu à bien des drames familiaux, notamment à de nombreux parricides en milieu rural, où la rareté et le prix de la terre obligent plusieurs générations à une cohabitation délétère. Lapalus S., Pierre Rivière et les autres…, op. cit., p. 530-550.
47 Id. p. 359 sqq. Le crime de parricide est la plupart du temps précédé de violences répétées et anciennes. Certains parents vivent dans la terreur de leurs enfants depuis des années avant de perdre la vie sous leurs coups.
48 Cette problématique est particulièrement relevante lorsque les enfants sont financièrement dépendants de leurs parents comme c’est le cas dans l’affaire Lazare et dans l’affaire Pichat. Sur ce point, on pourra se reporter à Lapalus S., Pierre Rivière et les autres…, op. cit., p. 523-530.
49 Id. p. 342-359. Entre 1866 et 1870, on ne compte aucun accusé de parricide dans le département, pour une moyenne de 8 en France. Entre 1893 et 1895, les chiffres sont de 1,5 pour le département et 13 en France. Entre 1906 et 1910, l’écart s’accroît (0,4 contre 16 accusés par an en moyenne.). Masson P. (dir.), Encyclopédie des Bouches-du-Rhône, Tome XIII, Population, op. cit., p. 359.
50 AD BDR 2 U 2/3941, affaire Marcel, parricide, 1896.
51 Arnaud A.-J., Essai d’analyse structurale du Code civil français. La règle du jeu dans la paix bourgeoise, R. Vançon, 1973.
52 Gaillard L., La vie quotidienne…, op. cit.
53 AD BDR 2U 2/1289, affaire Jourdan, meurtre, 1893.
54 AD BDR 2 U 2/1323, affaire Picco, meurtre, 1909.
55 AD BDR 406 U 151, affaire Carboni, coups et blessures, 1883.
56 Pascal Carboni confond vraisemblablement ces deux rues du quartier de l’Hôtel-de-Ville, en raison de son jeune âge et de son arrivée à Marseille six années plus tôt.
57 Ploux F., Guerres paysannes en Quercy…, op. cit.
58 Dans une historiographie pléthorique, on se référera pour une synthèse à : La rue, lieu de sociabilité ? Actes du colloque de Rouen, 16-19 novembre 1994, Publications de l’Université de Rouen, no 214, 1997.
59 AD BDR 406 U 145, affaire Blanc, coups et blessures, 1882.
60 Il est vraisemblable que les Blanc aient « francisé » leur nom à leur arrivée à Marseille. Comme bien des familles italiennes de Marseille, la famille Blanc entretient des liens étroits avec sa région d’origine, et il est fréquent que les mères s’en retournent dans leur pays pour mettre les enfants au monde. Faidutti-Rudolph A.-M., L’immigration italienne…, op. cit.
61 AD BDR 406 U 195, affaire Sabarin, coups et blessures, 1890.
62 AD BDR 406 U 58, affaire Delestrade, outrage à agent, rébellion, 1864.
63 Pergaud L., La Guerre des boutons, 1ère édition 1912.
64 AD BDR 2 U 2/1314, affaire Canale, meurtre, 1904.
65 Compte général, rapport 1909, op. cit., p. XXIX-XXX.
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