Chapitre V. La vie dure. Tensions dans le monde ouvrier
p. 147-175
Texte intégral
1En 1889, Eugène Rostand évoque l’accroissement des inégalités sociales à Marseille : « à côté d’êtres en possession d’une abondance raffinée, ou même hélas ! ne se souciant que du plaisir oisif, d’autres vivent une vie presque animale, les femmes au lieu de garder le foyer s’épuisent sur des besognes pénibles et à salaire abaissé, des enfants croissent dans l’insalubrité ou s’étiolent à des fatigues hâtives […], sur le pavé de ces rues brillantes, devant ces constructions de luxe, ces équipages, ces yachts, il y a même des bras inoccupés, qui aspirent à du salaire et auxquels l’occasion manque1. » En effet, dans les années 1880, les écarts de revenus sont considérables à Marseille2. à cette disparité salariale s’ajoute un ralentissement de conjoncture, qui entraîne l’apparition d’un chômage endémique dans la plupart des secteurs de l’industrie ou de l’artisanat, ainsi qu’une stagnation des salaires3. L’objet du présent chapitre sera de s’interroger sur les effets de ce contexte néfaste sur les comportements du « monde ouvrier ».
2Une précision s’impose tout d’abord quant à la définition de celui-ci. de longue date, son hétérogénéité a été soulignée par l’historiographie4. En tenant compte de cette difficulté, nous avons pourtant choisi d’utiliser dans ce chapitre l’expression « monde ouvrier », parce qu’elle renvoie implicitement aux notions de pluralité et de nombre, qui nous semblent toutes deux inhérentes à cette part de la société marseillaise dans la seconde moitié du XIXe siècle, et parce qu’elle possède une connotation sociale et économique précise, désignant l’ensemble des individus exerçant un travail manuel moyennant un salaire. notre « monde ouvrier » rassemble les travailleurs de la grande industrie et du bâtiment, mais aussi les ouvriers d’atelier5. Étudier la violence de ce « monde ouvrier », revient à s’interroger sur ses comportements quotidiens et sur la manière dont ils reflètent les conséquences concrètes des rythmes de l’économie marseillaise sur les salaires, les budgets, les rapports à l’argent, les périodes de chômage, ou les possibilités de loisirs. Par-delà l’équation galvaudée associant classes laborieuses et classes dangereuses, il nous faut comprendre quelle est la place spécifique du monde ouvrier dans l’aggravation des pratiques violentes à Marseille, mais aussi déterminer la nature du lien potentiel entre cette catégorie de population et ce type de comportements. la question est de savoir ce qui, dans cette corrélation, relève d’un phénomène de crise lié aux conditions de vie qu’impose le contexte social et économique, et ce qui tient à une culture ouvrière spécifique où la violence possède une place centrale. En d’autres termes, c’est le lien de causalité entre la nécessité et l’émergence de la violence que nous chercherons à explorer ici, tant dans son aspect conjoncturel que dans sa dimension structurelle.
3Dans un premier temps nous nous intéresserons aux aspects quantitatifs et qualitatifs des infractions contre les personnes redevables au monde ouvrier marseillais, il s’agira donc de trancher la question de l’existence de violences ouvrières spécifiques pour la période. dans un second temps, nous tenterons de cerner les aspects conjoncturels de violences relatives aux tensions que subit le travail ouvrier à cette période. Enfin, en dernier lieu, notre questionnement portera sur les violences perpétrées par des ouvriers dans un cadre privé.
Violences ouvrières
Un comportement singulier
4Un bilan de la structure sociale de la société marseillaise au début de la troisième République s’impose au préalable de toute interrogation sur d’éventuelles violences ouvrières. Cependant, il nous faut reconnaître ici les limites de l’historiographie locale : la sociologie de la population marseillaise est encore incomplète pour le XIXe siècle6. selon Édouard Baratier, d’après des sondages effectués dans les listes électorales de 1870, 1877, 1914 et 1935, la « population ouvrière » (dans laquelle il inclut les gens de mer salariés ainsi que les ouvriers de la grande industrie et de l’artisanat) est nombreuse, et sa proportion relativement constante tout au long de la période considérée7. Elle atteint 46 % de la population inscrite en 1870-1877, et 48 % en 1935. Marcel Roncayolo confirme cette stabilité, qu’il mesure en pourcentage de la population marseillaise8. Adoptant une large définition du monde ouvrier, proche de celle d’Édouard Baratier, comprenant les ouvriers des industries, les manœuvres, les manutentionnaires, les charretiers et les marins ; il calcule sa proportion non pas dans les listes électorales mais dans la population totale. Il montre que la proportion d’ouvriers est relativement constante dans la population de la ville entre 1850 et 1914, ce qui ne veut pas dire qu’elle n’augmente pas en valeurs absolues (dans les mêmes proportions que la population totale), ni qu’à l’intérieur de celle-ci un phénomène de déclassement et de déqualification du travail ne se produise. La population ouvrière atteint, d’après ses calculs, 18,5 % de la population marseillaise en 1866, et 22 % de 1881 à la fin du siècle, soit un accroissement très faible9. Il reste que ces chiffres sont très difficilement comparables avec nos propres données. Certes, en raison de son profil démographique (fortement marqué par la présence d’hommes adultes) notre échantillon se rapproche davantage de celui de Baratier, cependant, il ne lui correspond pas tout à fait, puisqu’il inclut des femmes et moins de personnes âgées. Le principal enseignement de cette tentative d’approche socioprofessionnelle de la population marseillaise est donc la constance de la part du monde ouvrier (pour lequel les auteurs adoptent, comme nous, une définition extensive) au cours du dernier tiers du siècle : on peut estimer qu’elle équivaut à 45 % environ de la population votante, c’est-à-dire de l’ensemble de référence le moins éloigné de notre échantillon.
5La comparaison avec la part du monde ouvrier dans notre base de données montre que la sociologie des auteurs d’infractions et d’infractions contre les personnes s’illustre par une certaine autonomie vis-à-vis de cette structure sociale de la population marseillaise.

Graphique 12 – Part du monde ouvrier parmi les auteurs et les auteurs d’infractions contre les personnes, (en %, 1851-1911).
6Dans les années 1870, la part du monde ouvrier parmi les auteurs d’infractions (autour de 40 %) n’indique pas un comportement particulièrement déviant au regard de sa place dans la structure sociale marseillaise. à partir du début des années 1880, une modification intervient. deux phénomènes caractérisent la criminalité et la délinquance des ouvriers marseillais : d’une part, leur progression (46 % en 1881, 53,4 % en 1896), d’autre part, l’écart entre le taux d’ouvriers parmi les auteurs d’infractions et parmi les auteurs d’infractions contre les personnes tend à s’accroître, ce qui traduit un essor des comportements violents.
7L’analyse socioprofessionnelle des auteurs de violences mineures pour la période 1876-1891 permet de caractériser ces comportements. Elle montre que les ouvriers se distinguent par un comportement plus brutal que l’ensemble des auteurs, toutes professions confondues. En effet, les coups représentent en moyenne 63,5 % des violences mineures pour lesquelles ils sont jugés, contre 55,6 % seulement pour l’ensemble des auteurs. Cette supériorité est davantage perceptible pour les années 1880. L’aggravation des violences dans la société marseillaise lors de cette décennie résulte donc en partie de l’augmentation de la proportion d’ouvriers parmi les auteurs d’infractions contre les personnes. Cette corrélation se retrouve lorsque l’on examine les comportements criminels. Les ouvriers commettent en moyenne plus de meurtres et plus d’homicides involontaires que l’ensemble des auteurs (71,9 % de meurtres et 12,5 % d’homicides involontaires pour les ouvriers, contre 68 % et 8 % pour l’ensemble des auteurs en moyenne pour la période). De fait, ils sont moins nombreux à se rendre coupables d’assassinats comparativement à ceux-ci (15,6 % et 24 %). cette polarisation sur ces deux types de violences mortelles dénote un comportement marqué par une certaine impulsivité, et vient renforcer, comme le laissait suggérer la surreprésentation des coups, l’idée d’une violence réactionnelle particulièrement forte dans le monde ouvrier.
8Aussi n’est-il pas étonnant de voir apparaître une proximité entre la cartographie des lieux de résidence des auteurs de coups et la répartition de la population ouvrière à Marseille en 1881, comme le montre la carte ci-dessous, établie de la même façon que les précédentes.

Carte 5 : Lieux de résidence des auteurs de coups : pourcentage par quartier, 1881.
9Par bien des aspects, cette carte se situe dans la continuité de celle de 1872. En effet, la domination des quartiers du centre historique apparaît constante depuis le Second Empire. Ce sont des quartiers populaires, où la proportion d’ouvriers est forte. La grande vague migratoire italienne des années 1870 et 1880 y trouve un point de chute naturel10. Par ailleurs, le phénomène de concentration dans les quartiers fortement industrialisés se poursuit, et s’accentue. Par exemple, le quartier de Saint-Mauront, abritant 8,5 % des auteurs, figure en troisième position. Les quartiers abritant des activités industrielles et une population ouvrière nombreuse forment à eux seuls la majorité des lieux de résidence des auteurs de coups. De fait, les principaux axes de développement industriels de la commune de Marseille se retrouvent dans cette carte. le premier s’élance vers le nord, dans la continuité de la rue Impériale (devenue rue de la République) traversant les Grands-carmes, Saint-Lazare, et la Villette, longeant Arenc et le nouveau port, jusqu’à atteindre les quartiers septentrionaux de Saint-Antoine et Saint-Henri, où les tuileries fixent une importante population ouvrière. le second se structure à partir de Saint-Charles, et s’étire vers le nord et l’est où les Chutes-Lavie, la belle-de-Mai et saint-Mauront forment un ensemble compact. S’y sont implantées les tanneries Jullien, la distillerie Picon, l’usine Fournier, le centre d’exploitation des tramways et omnibus et tout un ensemble de raffineries, d’huileries, de minoteries, ainsi que la manufacture des tabacs11. Le dernier longe le Prado, formant un axe pénétrant vers la banlieue au sud de la ville, traverse Lodi, et se prolonge jusqu’à la gare du Prado et à la Capelette. Dans ce quartier se concentre depuis les années 1840 une main-d’œuvre industrielle, travaillant dans les ateliers de construction mécaniques, les fonderies (les Forges de la Capelette sont fondées en 1847), les huileries et les minoteries12. Ces localisations industrielles se renforcent sous le second Empire et perdurent jusque dans les années 193013.
10Reste à déterminer précisément quelles sont les professions responsables de ces violences ouvrières. Nous avons regroupé les auteurs de coups, de meurtres et d’homicides involontaires, délits et crimes qui sont les plus fréquents dans le monde ouvrier. Dans cet ensemble, nous avons mesuré la part des dix professions les mieux représentées en 1881 et 1891. De cette étude, il ressort que la place des journaliers est remarquable, d’autant plus qu’elle s’accroît considérablement en une décennie, passant de 39,4 % à 54,6 % du total. Cet accroissement ne peut résulter de leur augmentation dans la population active, qui s’exerce dans des proportions moindres. Il est donc significatif d’un changement de comportement. Le reste des professions figure à un bien moindre niveau. On note la régression de la proportion des cordonniers (de 9,6 % à 5,6 %), et l’ascension de celle des maçons (de 3,2 % à 5,9 %). En outre, la place de quelques professions féminines doit être soulignée : les lingères, les blanchisseuses, les tailleuses et les corsetières sont bien représentées, les premières en 1881, les autres en 1891.
11Cette étude par profession montre donc la corrélation entre les violences réactionnelles et la frange inférieure, c’est-à-dire la plus nécessiteuse, du monde ouvrier dont les journaliers constituent le noyau dur. Ces professions se distinguent par une faible rémunération. Ceci n’a rien d’étonnant pour les professions féminines : au XIXe siècle, le salaire ouvrier féminin est inférieur à celui des hommes, la plupart du temps de moitié14. Les Marseillaises n’échappent pas à cette règle15. En 1872, le salaire moyen des ouvrières est de 1,50 fr. par jour à Marseille16. Compte tenu de la stagnation des rémunérations dans les années qui suivent, à Marseille comme en France17, on peut estimer que le salaire de nos lingères ou corsetières atteint 2 fr. par jour au maximum en 1881 et en 1891. Considérons à présent les professions masculines. Il est particulièrement ardu de donner une estimation du salaire des journaliers, puisque cette terminologie recouvre diverses professions, qui, si elles ont en commun un faible niveau de qualification, n’en sont pas moins hétérogènes. Toutefois, si l’on considère que la majorité des journaliers travaille dans la grande industrie ou sur le port, il est probable qu’ils gagnent entre 3 fr. et 4 fr. par jour en 187218. En outre, on connaît le salaire moyen de certaines professions pour l’année 1872 : il est de 3,50 fr. pour les cordonniers, 4,25 fr. pour les ferblantiers, 4,50 fr. pour les maçons. Le salaire moyen des ouvriers marseillais étant estimé à 4,34 fr. en 1872, les professions les plus violentes au sein du monde ouvrier sont faiblement rémunérées : au mieux au niveau de la moyenne, mais en dessous de celle-ci dans la plupart des cas19. Ici encore, en raison de la stagnation des salaires marseillais au début de la troisième République, on peut considérer que ces moyennes varient peu lors des deux décennies suivantes. Lucien Gaillard estime que 56 % des ouvriers marseillais gagnent moins de 2,75 fr. par jour en 1880, et que 44 % d’entre eux perçoivent une rémunération comprise entre 3 et 4 fr.20. En 1891-93 le salaire moyen à Marseille est de 4 fr. par jour.
12Alors que l’ouvrier marseillais était parmi les mieux payés de France au début du second Empire, son niveau de vie s’est considérablement amoindri au cours de la seconde moitié du XIXe siècle, jusqu’à être un des plus bas de France au début des années 1890. Entre 1853 et 1890, l’accroissement du salaire moyen est de 95 % en France, de 70 % au havre et à Lille, de 50 % à Lyon et de 32 % seulement à Marseille21. À ce retard marseillais en matière de progression des salaires s’ajoute une échelle des salaires particulièrement importante, où les écarts entre les rémunérations les plus fortes (jusqu’à 10 fr. par jour pour certains ouvriers22) et les plus faibles ont tendance à s’accroître au cours de la seconde moitié du XIXe siècle23. Mais il va sans dire que les professions qui nous concernent figurent au bas de l’échelle et sont donc plus vulnérables à la stagnation des salaires et à la variation des prix. Cette stagnation des rémunérations provient d’une déqualification du travail ouvrier, découlant des progrès de la grande industrie au niveau local. Mais elle résulte également de l’arrivée massive d’ouvriers italiens acceptant des salaires inférieurs aux ouvriers marseillais. Renée Lopez et Émile Témime insistent sur la nécessité de ne pas généraliser la faiblesse des salaires italiens. Toutefois, ils conviennent que la plupart des Italiens embauchés dans la grande industrie sont faiblement rémunérés24. Malgré la conjoncture économique globalement positive à Marseille entre 1875 et 1891, et bien que le secteur industriel y parvienne, dans l’ensemble, à se protéger de la Grande dépression25, la majeure partie des ouvriers marseillais se trouve dans une situation financière délicate. Alors qu’au niveau national, cette stagnation des salaires est compensée par une baisse des prix engendrant un accroissement du pouvoir d’achat des ouvriers26, ce n’est pas le cas à Marseille27. En outre, la période est marquée par des crises ponctuelles ou sectorielles que le patronat marseillais jugule par une pratique de débauchage et de compression des salaires que favorise l’apport de main-d’œuvre italienne en pleine expansion28.
13S’il est difficile d’établir avec certitude les liens de cause à effet entre cette régression du pouvoir d’achat (s’accompagnant d’un accroissement des difficultés quotidiennes pour les ouvriers marseillais, en particulier pour les plus pauvres d’entre eux) et leurs comportements, on admettra pourtant que la cherté des loyers aggrave la promiscuité et l’insalubrité dans les logements marseillais ; que la misère des familles ouvrières accroît les comportements violents en leur sein au quotidien ; que le risque de chômage et l’angoisse du lendemain engendrent des attitudes tendues ou une fuite dans des comportements alcooliques et agressifs ; que la concurrence pour l’embauche crée des rivalités pouvant se traduire en termes de violences ; que la recherche d’argent encourage la circulation de petites sommes sous forme d’une économie parallèle, créant ainsi dettes et règlements de comptes ; enfin que la nécessité pousse certains à se procurer de l’argent par des moyens détournés, dussent-ils employer pour cela des pratiques violentes.
14Le rôle du monde ouvrier dans l’aggravation des violences à Marseille à partir des années 1880 ne fait donc pas de doute. Son importance parmi les auteurs de violences n’est qu’en partie le reflet de sa prépondérance dans la population marseillaise : l’examen minutieux des données a montré l’accroissement de la part du monde ouvrier parmi les auteurs de violences, de même que la surreprésentation des violences dans leurs comportements, et parmi celles-ci, des violences réactionnelles responsables de l’essor de la brutalité à Marseille à la même période. De fait, la carte des lieux de résidence des auteurs de coups offre une grande proximité avec l’organisation industrielle du territoire marseillais. Ce rôle du monde ouvrier dans la progression des violences réactionnelles se trouve éclairé par l’examen des professions qui en sont majoritairement responsables. Les ouvriers les moins bien rémunérés y occupent une place prépondérante, que ce soit dans le secteur industriel, dans celui du bâtiment, ou dans l’artisanat. De fait, la corrélation entre nécessité et violences se trouve renforcée par rapport au second Empire. Une fois ce lien établi, il nous faut, dans un second temps, prendre en compte un facteur externe. La crainte que le monde ouvrier suscite au début de la troisième République engendre-t-elle une accentuation de la répression envers celui-ci ?
La peur et les sanctions : dimension sociale de la répression
15Le début de la troisième République est marqué, dans le pays entier, par une évolution négative des représentations à l’égard du monde ouvrier29. Il n’est donc guère surprenant de constater, à Marseille, un durcissement dans le regard que portent les autorités municipales et policières sur celui-ci à partir du milieu des années 1870.
16La commune de Marseille est plus précoce, plus brève et moins violente que celle de Paris30. Néanmoins, elle marque les esprits, en particulier dans les rangs du parti de l’ordre. Elle est en effet proclamée à la suite d’une expérience d’autogestion démocratique de la mairie à l’automne 1870, qui a vu se dérouler, dans Marseille, une chasse aux prêtres et aux policiers. En outre, au mois d’avril 1871, la commune est réprimée dans le sang31. Gaston Crémieux, un de ses leaders, est fusillé pour l’exemple. à Marseille, comme dans le reste de la France, la troisième République s’installe donc dans un climat de tension. La répression et l’état de siège durent jusqu’en 1876. Jusqu’en 1875, les arrestations et procès pour motifs politiques se poursuivent, entraînant de lourdes condamnations32. à cette méfiance envers la gauche et les prémices du mouvement ouvrier, s’ajoute une tension grandissante dans le monde ouvrier marseillais. Le ralentissement économique provoque un accroissement du chômage. La concurrence est forte, en raison de l’arrivée massive de la main-d’œuvre étrangère. Parallèlement, le mouvement syndical se structure, et des grèves dures se multiplient dans l’industrie marseillaise. Entre 1880 et 1901, on compte 237 grèves. Ces mouvements s’intensifient au cours de trois périodes : de 1880 à 1883, de 1893 à 1895 et de 1900 à 1901. Cette montée des tensions dans le monde industriel explique une attitude de plus en plus méfiante et hostile de la bourgeoisie vis-à-vis des ouvriers33. Cette appréhension se trouve renforcée par les conflits xénophobes qui éclatent au cours des années 1880 et 1890. Comme dans le reste du pays, les tensions économiques se cristallisent progressivement sur la question de la nationalité34. La tension atteint un niveau inédit lors des « Vêpres marseillaises » les 18, 19 et 20 juin 1881. à propos d’une insulte au drapeau français, proférée depuis un immeuble italien, débute une chasse à l’Italien d’une grande violence dans les rues de la ville. Cet événement, qui s’accompagne d’une multitude d’incidents et de rixes entre ouvriers français et italiens, donne l’image d’ouvriers criminels aux instincts sanguinaires. Il suscite un climat de peur qui stigmatise les ouvriers. Les « Vêpres marseillaises » sont donc l’occasion pour le reste de la société, et les élites en particulier, d’exprimer ouvertement des appréhensions liées à l’importance du nombre d’ouvriers, en particulier d’ouvriers italiens dans la ville. Comme nous l’avons souligné précédemment, l’amalgame entre ouvriers, étrangers et criminels est de plus en plus visible dans les divers écrits émanant de sources policières. Il sert de justification à une politique de fermeté, ainsi qu’à une pressante demande d’augmentation des effectifs. Peut-on pour autant aller jusqu’à dire que l’accroissement de la part du monde ouvrier parmi les auteurs d’infractions résulte d’une intensification de sa surveillance, et donc, d’une multiplication du nombre d’arrestations ? Il n’a jamais été démontré qu’un accroissement du nombre d’arrestations entraînait un essor parallèle du nombre de procédures35. S’il est probable que les craintes que suscite le monde ouvrier marseillais incitent la police municipale à le surveiller de près et à multiplier les arrestations au moindre doute, il est également à peu près certain que les individus arrêtés ne soient poursuivis que lorsque les charges sont établies. Qu’en est-il, alors, dans ce cas ?
17Prenons le cas de la répression du délit de coups et blessures par le tribunal correctionnel de Marseille pour la période 1876-1891. l’analyse de la base de données montre que le monde ouvrier, qui écope de 79,1 % de peines d’emprisonnement en répression de ce délit, est parmi les professions les plus fortement condamnées, en compagnie des gens de mer et des individus sans qualification. À l’inverse, les individus exerçant une profession qualifiée se voient fréquemment sanctionnés par une amende (41,1 %). cette sévérité de la justice à l’égard des catégories les plus modestes se confirme dans les condamnations prononcées pour meurtre pour la période 1876-1891. les ouvriers et les individus sans qualification sont les seuls à être condamnés à mort. 4,8 % des ouvriers accusés de meurtre sont condamnés à la peine capitale, et un individu sans qualification sur trois, chiffre qui, au regard des valeurs absolues, est peu significatif. les peines les plus lourdes, comme les travaux forcés à perpétuité leur sont également plus facilement accordées (61,9 % pour les ouvriers, aucune pour les professions qualifiées). au tribunal correctionnel comme à la cour d’assises, l’ouvrier possède donc d’emblée des circonstances aggravantes. celles-ci résultent d’une crainte spécifiquement rattachée à la catégorie de population à laquelle il appartient. les magistrats, par leurs verdicts, escomptent bénéficier des effets de cette répression sévère pour briser une équation qu’ils estiment établie entre monde ouvrier, violences et criminalité. s’y ajoute une peur ancienne mais toujours vivace de la mobilité et de la pauvreté, considérées comme des facteurs criminogènes importants, qu’il convient de contrecarrer par une attitude répressive adaptée36. En outre, dans une conjoncture d’aggravation des actes de violences, à laquelle s’ajoute la peur des émeutes xénophobes et sociales, les magistrats condamnent sévèrement ceux qu’ils considèrent comme les ferments du désordre et de la criminalité.
18Ce n’est pas le monde ouvrier en tant que tel qui produit des comportements violents supérieurs à la moyenne, mais les professions les plus touchées par la régression du niveau de vie au sein de celui-ci. La conjoncture économique en général, et celles des salaires et des prix en particulier, influence donc les comportements, dans la mesure où elle accroît les difficultés quotidiennes des ouvriers les plus modestes, quel que soit le secteur d’activité concerné37. Dès lors, il apparaît que les craintes des policiers et des magistrats, explicites à l’examen de leurs attitudes répressives, sont en partie justifiées, dans la mesure où le rôle de certains ouvriers est avéré dans le processus d’aggravation des violences commises à Marseille. En revanche, ces représentants de l’ordre se fourvoient quant aux causes de cette polarisation des facteurs criminogènes sur l’appartenance sociale. Les thèmes en vogue, correspondant à une crainte diffuse du ferment révolutionnaire, de la mobilité ou encore du « vice » supposé de l’ouvrier, passent sous silence la cause réelle de l’essor des brutalités chez certains ouvriers. Celui-ci possède avant tout des causes conjoncturelles, liées à la détérioration de leur niveau de vie.
Conflits dans le monde ouvrier : le poids de la nécessité
Les avatars de la concurrence
19L’essor du travail dans la grande industrie entraîne un processus de déqualification des tâches, mais également l’arrivée d’une main-d’œuvre peu qualifiée et peu exigeante à Marseille38. Dans ce contexte, la concurrence qui s’établit entre les ouvriers se trouve accentuée, et induit de nombreux conflits portant sur le salaire, l’embauche, ou l’attitude lors des luttes sociales.
20Les inégalités salariales apparaissent en bonne position parmi les motifs qui génèrent les querelles entre ouvriers. En 1877, François Rasclot, se disant portefaix, est condamné par le tribunal correctionnel de Marseille pour coups et blessures39. Les faits se déroulent derrière un hangar des docks. L’agresseur et la victime travaillent tous deux au criblage et au conditionnement du blé. Il est donc plus exact de les qualifier de journaliers, ou de cribleurs, que de portefaix. Ils livrent une version contradictoire des faits. Corre, le plaignant, déclare que le 28 juillet, Rasclot, qui était sans place, est venu le chasser de son travail et le remplacer. Ne voulant pas céder, il aurait résisté et se serait vu frapper à l’œil droit. Il aurait dû quitter le chantier tandis que son agresseur aurait profité de sa maladie pour le remplacer. Rasclot, le prévenu, apporte les précisions suivantes :
« Dans le travail du blé sur les quais, il y a deux catégories d’ouvriers, les uns nommés cribleurs gagnent trois francs par jour par 100 charges, d’autres qui entassent le blé dans les sacs gagnent deux francs pour 100 charges. Or le plaignant Corre étant de la deuxième catégorie, dans l’espoir de gagner davantage, est venu se placer dans la première. Il a disposé son chevalet ou chèvre40 et allait y adapter la crible lorsque je suis arrivé pour installer ma chèvre. C’est alors qu’il a repoussé l’une d’elles. Je lui en ai fait le reproche et il m’a lancé aussitôt un coup-de-poing au visage et ma foi je lui ai rendu avec colère sur l’œil gauche, je regrette beaucoup d’avoir tapé aussi fort, je lui ai dit du reste. »
21Un autre ouvrier apporte un éclairage supplémentaire sur l’agressivité de Rasclot à l’égard de Corre : « Rasclot gardait un emplacement pour son frère qui, dans le susdit chantier était de la première catégorie des ouvriers lorsque Corre qui était de la deuxième a quitté son travail pour venir à la place susdite. » En croisant les témoignages et les dépositions, on comprend que Rasclot, ayant voulu garder la place de son frère, s’est vexé de voir Corre venir travailler dans une catégorie de salaire différente de la sienne, ce qui a motivé son emportement. Dans cette affaire, une double concurrence, du point de vue de l’embauche et du salaire, débouche sur un comportement violent. Les places sont rares, et d’autant plus avidement gardées ou convoitées que n’importe quel journalier peut y prétendre, et que la menace du chômage se fait pressante. Si l’accusation de Corre, selon laquelle on l’aurait blessé pour prendre sa place, semble abusive, il n’en reste pas moins qu’elle révèle une pratique possible. En outre, les salaires sont faibles. En 1877, un salaire de 3 fr., a fortiori de 2 fr., place ces ouvriers parmi les plus faibles rémunérations à Marseille41. Ce franc de différence doit être considéré à sa juste valeur. Il est le signe d’une hiérarchie, et procure un niveau de vie moins indigent ; mais il délimite également des catégories parmi les ouvriers. Vouloir s’intégrer de manière illégitime à la catégorie supérieure est considéré comme un affront par ceux qui y appartiennent. C’est donc tout autant le problème de la faiblesse du salaire qui provoque le comportement violent, que celui de la différence, insupportable pour certains, entre diverses catégories d’ouvriers, distinguées par leur rémunération.
22Mais les salaires ne sont pas les seuls motifs de discorde entre ouvriers. En cas de débauchage, les ressentiments à l’égard d’anciens camarades de travail s’expriment ouvertement et donnent lieu à des règlements de comptes. Le prévenu, s’estimant injustement renvoyé, en vient alors aux mains avec celui qu’il rend responsable de sa disgrâce. En 1891, Jean Audisio, journalier italien, est jugé par contumace par la cour d’assises pour tentative de meurtre sur Antoine Dansero42. L’acte d’accusation résume brièvement les faits : « dans la nuit du 1er au 2 novembre 1891 le nommé Dansero Antoine rencontra dans une buvette Audisio qui avait été récemment congédié de l’usine où il travaillait, et savait que Dansero n’était pas étranger à ce renvoi. L’accusé s’empressa de quitter la buvette dès qu’il vit sortir Dansero. Ce dernier, devinant ses intentions, prit immédiatement la fuite, mais ayant trébuché, il fut rejoint par Audisio qui lui porta plusieurs coups de couteau au bras et au flanc gauche. L’accusé a pris la fuite, la victime a été transportée à l’office le lendemain. » L’enquête de police apporte quelques précisions sur la précarité de l’accusé. Habitant Marseille depuis onze ans (il appartient à la vague migratoire des années 1880), il a travaillé depuis son arrivée dans différentes fabriques d’huile, dans des raffineries, des usines ou sur les quais. Sans qualification, il a, comme tant d’autres, cherché l’embauche dans les industries de transformation ou sur le port, effectuant des travaux pénibles. Un mois avant les faits, il a été renvoyé de son emploi chez le sieur Radisson. La victime précise : « depuis longtemps le contremaître avait remarqué que cet individu était trop faible pour continuer à raffiner le beurre, car j’étais souvent obligé de faire une partie de son travail. Déjà, il y a 4 mois, il avait été renvoyé de l’usine, mais il y a un mois environ on le reprit pendant une quinzaine de jours après lesquels il fut encore renvoyé définitivement. Je supposais toujours qu’il me jalousait parce que j’étais conservé par le patron et qu’il m’en voulait de son renvoi qu’il devait m’attribuer ». Plusieurs éléments expliquent le geste d’Audisio. Le premier d’entre eux est la vulnérabilité que suppose son statut de journalier. L’embauche au jour le jour, même si elle est reconduite le lendemain, le place, comme tant d’autres, dans une situation de concurrence extrêmement stressante. le travail étant peu qualifié, ils ont la certitude d’être renvoyé au moindre faux-pas. Ici intervient le second élément d’interprétation de ce crime. Cette rareté des places suppose une situation humiliante, que le statut d’ouvrier immigré ne fait que renforcer. le travail est dur, Audisio ne semble plus apte à l’effectuer correctement. La misère physique et financière, l’échec de sa tentative d’insertion dans le monde du travail marseillais, poussent Audisio à se venger sur celui qu’il estime responsable de son sort. Cette tentative de meurtre clôt son aventure marseillaise. En fuite, il est probable qu’Audisio rentre en Italie dès le mois de novembre 1891. Dans cette affaire, ce n’est pas tant le lieu de travail que l’univers de celui-ci qui est empreint de violences. La rivalité des deux hommes a certainement donné lieu à de nombreuses frictions durant les mois où ils ont travaillé côte à côte. Le renvoi du plus faible d’entre eux concentre sur son concurrent tous ses ressentiments. Les rivalités quotidiennes éclatent donc à la faveur d’un élément synonyme de déclassement et de misère pour celui qui en est la victime.
23À Marseille, les grèves se multiplient à partir des années 1880. Le thème de la concurrence entre ouvriers occupe une place centrale dans celles-ci. La concurrence exercée par les ouvriers italiens constitue un motif de colère des ouvriers français. En outre, l’embauche d’Italiens pour remplacer les ouvriers grévistes, pratique avérée à Marseille dans les années 1880, ne fait qu’accroître les traditionnelles dissensions entre ouvriers grévistes et non-grévistes43. Les ouvriers ayant cessé le travail considèrent d’un très mauvais œil que leurs concurrents se rendent à l’usine. Il en résulte des affrontements violents44. C’est le cas dans l’affaire qui voit Giuseppe Minetti, journalier italien âgé de 22 ans, comparaître pour entrave à la liberté de travail et coups et blessures en juillet 188145. Un conflit oppose les ouvriers italiens de l’huilerie olive et leur direction. Joseph Franceschatto, détaille au commissaire de police les événements ayant précédé le coup de couteau dont il a été victime : « hier vers une heure du soir j’étais sur la plaine de Saint-Jean aux crottes et je causais avec Minetti et d’autres de la grève. Je dis à celui-ci qu’il fallait faire un rapport au patron sans quitter le travail. » Il ajoute qu’il ira travailler le soir même, qu’il est père de famille et que personne ne l’empêchera de travailler. Il se voit alors traité de crève-la-faim par Minetti. Vexé, il le menace d’un soufflet. Sur ces paroles, ajoute la victime, Minetti « recula de deux pas, sortit de la poche son couteau qu’il ouvrit et se précipita sur moi en me portant un coup de cette arme à hauteur de la poitrine que je parais avec ma main droite, au poignet de laquelle il me fit une blessure ». L’embauche dont il est ici question est journalière. Le fait de prendre son travail comme prévu, d’endosser l’habit du « jaune », constitue pour le prévenu une atteinte à la grève.
24La violence surgit également de situations où, les corps étant soumis à rude épreuve, ils éprouvent leurs limites à travers un réflexe brutal. Ce ne sont plus les conditions d’embauche ou de rémunération qui sont en cause ici mais les conditions du travail ouvrier en lui-même.
La limite des corps
25L’âpreté des tâches effectuées par les journaliers repose en effet sur la résistance de leurs organismes. Dans ces conditions, les comportements violents sur le lieu de travail peuvent être lus comme des ruptures, physiques ou mentales, libératrices de tensions accumulées par les ouvriers. En 1890, Olento Bianucci, journalier à la raffinerie de sucre de Saint-Charles, comparaît devant le tribunal correctionnel de Marseille pour coups et blessures46. Le lendemain des faits, la victime relate son agression au juge d’instruction :
« Hier matin vers deux heures, pendant que je travaillais à la raffinerie de sucre de Saint-Charles j’ai eu une discussion avec Bianucci à propos d’un seau d’eau. Bianucci prétendait que ce seau d’eau était pour lui tandis que je soutenais qu’il était pour moi. J’ai essayé de lui arracher. Bianucci furieux m’a alors porté à l’omoplate un coup de couteau puis il a pris la fuite. Le couteau avec lequel Bianucci m’a frappé appartenait à l’usine, il est à lame fixe et nous servait à nettoyer les chaudrons. L’inculpé l’avait à la main au moment où j’ai essayé de lui enlever le seau. J’étais dans de très bons termes avec Bianucci, il y a une quinzaine de jours il m’avait invité à venir dîner chez lui. »
26Le prévenu, pour sa défense, admet avoir porté un coup de couteau à Moricini mais, ayant ce couteau à la main pour son travail, déclare l’avoir blessé involontairement. Dans le cadre de la grande industrie (raffinerie, briqueterie), les journaliers fournissent un travail usant dans des conditions pénibles. La proximité des corps favorise l’éclatement des violences. Dans bon nombre d’affaires, c’est un coup involontaire qui déclenche l’affrontement. Le partage des outils de travail sert de prétexte. Le point de départ est la volonté d’un des ouvriers de s’emparer de l’outil de l’autre. C’est un autre outil, situé à porté de main, qui sert à commettre les blessures. La proximité d’objets dangereux encourage donc, d’une certaine manière, le recours aux violences. L’outil est le moyen d’expression d’une rage causée par un agacement ponctuel, mais qui trouve ses sources profondes dans la promiscuité, la dureté des conditions de travail, et l’épuisement physique et mental des journaliers.
27Il n’est donc pas étonnant, dans le monde du travail, de voir les comportements violents revêtir les caractéristiques d’une dénonciation de la situation économique et sociale oppressante. Au cours des années 1880 et 1890, certains actes dénotent un fort ressentiment envers la classe dirigeante
Le poids de la hiérarchie
28Il ne s’agit pas ici de prendre en compte l’action collective et organisée des ouvriers, exercée dans le but d’obtenir des droits, bien que les violences n’en soient pas absentes. L’angle d’analyse choisi concerne des conflits privés, opposant des individus en relation sur leur lieu de travail, parce qu’ils possèdent un statut d’employeur ou d’ouvrier. Dans les affaires de violences contre les employeurs ou leurs représentants, trois motifs d’opposition apparaissent de manière récurrente à l’origine de l’acte criminel : le règlement, le renvoi, et la rémunération.
29La multiplication des textes normatifs est contemporaine de la rationalisation du travail industriel47. Les sanctions ne sont pas rares, et viennent punir les écarts au règlement. Selon Alain Dewerpe, la grande usine « reconduit, en les accentuant, les caractères d’une discipline militarisée, antérieurement fixés, où la figure du contremaître impose le rejet, voire la haine ouvrière »48. En effet, le contremaître, personnage intermédiaire dans la hiérarchie, souvent lui-même un ancien ouvrier, est chargé de l’application du règlement. Ce positionnement hybride accroît le ressentiment des ouvriers à son égard. En 1884, Jean Baroni, journalier italien âgé de 20 ans est jugé pour coups et blessures et usage d’un faux livret par le tribunal correctionnel de Marseille49. La déposition de Michel Revel, jeune contremaître à la raffinerie de la Méditerranée, permet de faire la lumière sur les circonstances de son agression : « l’inculpé persistait à me demander des explications et a voulu me contraindre à l’occuper alors que le règlement s’y oppose lorsque les ouvriers sont arrivés en retard. Je l’ai poussé pour le mettre dehors et il s’est armé d’un couteau. Je l’ai alors saisi par le cou et par le bras pour l’empêcher de me frapper mais il a réussi à me plonger son couteau dans le côté gauche. » Le prévenu ne nie pas être arrivé en retard mais insiste sur le fait que le contremaître lui en voulait. En outre, il déclare avoir frappé parce que Revel l’étranglait. Mais la violence du coup porté, ainsi que les témoignages accréditant la version de la victime, poussent les magistrats à le condamner sévèrement. cette affaire est représentative des rixes opposant les ouvriers aux contremaîtres sur les lieux de travail. la volonté de faire appliquer le règlement à la lettre est interprétée comme une persécution quotidienne par les ouvriers. à tort ou à raison (les dossiers de procédure ne permettent pas toujours de trancher) ils se croient personnellement haïs par les représentants de l’autorité patronale. la menace du renvoi, ou le mot de trop prononcé dans un contexte de reproches permanents, entraîne donc un accès de violence dirigé contre celui qui incarne l’oppression réglementaire, et qui détient le pouvoir de donner ou de supprimer un emploi.
30En dehors de la contestation du règlement, la protestation contre un renvoi constitue un motif récurrent de violences. En 1892, Jean Luc Peduzzi journalier corse âgé de 32 ans, est jugé par la cour d’assises pour l’assassinat d’Antoine Penelle, contremaître chez Fournier, un fabricant de bougies50. Le soir du 14 janvier, Antoine Penelle rentre chez lui, lorsqu’il est atteint d’un coup de feu tiré du deuxième étage d’une maison donnant sur le chemin de saint-Joseph. Peduzzi est arrêté dans cet appartement, le fusil à la main, menaçant toute personne tentant de s’approcher de lui. Il déclare avoir voulu se venger du contremaître, à qui il attribue des propos blessants ainsi que son renvoi de l’usine Fournier. Visiblement très affecté, il évoque un complot ourdi contre lui par plusieurs personnes. La victime, touchée d’un coup de fusil au bras gauche, décède quelques jours après son amputation. Jean-Luc Peduzzi est inculpé d’assassinat. Malgré ses dénégations, son acte semble bien avoir été préparé et prémédité. Le 16 février, il déclare au juge d’instruction : « Je suis encore convaincu que le sieur Penelle était d’accord avec l’ingénieur et le sieur Stagnaro pour me faire renvoyer de l’usine sans un seul motif plausible. Aussi quand je le vis passer sous ma fenêtre et que je songeais à ma situation aussi triste et imméritée le sang me monta à la tête, d’autant plus facilement que déjà l’ingénieur et Stagnora étaient venus me narguer séparément et je pris mon fusil et en tirai un coup sur la victime. » Jean Fournier, patron de l’usine, confirme que Peduzzi avait été congédié le 19 décembre, soit un peu moins d’un mois avant les faits, parce que les affaires ne marchaient pas bien et qu’il était un des derniers embauchés ; mais aussi parce qu’il n’était pas très bon ouvrier. Il avait demandé au contremaître Stagnora de profiter de la première occasion pour s’en débarrasser. Penelle n’avait donc pas Peduzzi sous ses ordres ; ils se connaissaient à peine. C’est le contremaître, plus que l’individu, qui était visé. L’accusé a pointé son fusil contre la hiérarchie, et non pas contre le véritable responsable de son renvoi. Visiblement excédé et déprimé, persuadé que tout le monde complotait contre lui, cet individu fragile se fait connaître par un geste désespéré. Le jury lui accorde d’ailleurs sa clémence, puisqu’il est acquitté le 18 novembre, malgré les preuves de sa culpabilité. ce verdict ne peut s’expliquer que par le sentiment de pitié que l’accusé et sa défense ont su susciter chez les membres du jury.
31Enfin, le paiement des salaires est au cœur des antagonismes entre les ouvriers et leur hiérarchie. En 1890, Antoine Mazzanti, journalier italien âgé de 29 ans, est jugé pour des coups et blessures exercés envers Jacques durbec, son employeur51. Celui-ci expose sa version des faits dans sa plainte : « depuis quelque temps, j’occupe en qualité de journalier un individu d’origine italienne dont j’ignore le nom. Hier au soir vers 7 heures, cet individu est venu chez moi pour me réclamer la somme de 25 sous prétendant que je lui devais cet argent-là. à ce moment-là, je me trouvais devant la porte de mon habitation avec mon épouse et voyant l’attitude menaçante de cet individu je dis à ma femme de monter pour aller chercher les 25 sous. Je restai seul devant la porte. Pendant que mon épouse était dans la chambre cet individu s’approcha de moi et sans explication aucune il me porta plusieurs coups de couteau au-dessus de l’œil droit et un autre au-dessus du ventre. » Le prévenu reconnaît avoir été réclamer les 25 sous. Se voyant refuser la somme et pousser violemment, il se serait défendu. Il ajoute : « Je ne crois pas lui avoir donné un coup de couteau mais lorsque le fils est arrivé il m’a saisi par le cou, c’est à ce moment seulement que j’ai pris mon couteau et l’ai lancé dans le ventre du père. » le prévenu admet avoir été légèrement ivre au moment de l’agression. Le rapport de police stipule qu’il jouit d’une mauvaise réputation morale et s’adonne constamment à la boisson. Outre la provocation et l’ébriété, l’agressivité du journalier réside dans l’enjeu financier : le différend porte sur 25 sous, c’est-à-dire sur 1,25 fr., soit, grosso modo, la moitié du salaire d’un journalier italien dans les années 1890 à Marseille52. Autant dire que cette somme, presque insignifiante pour le patron, possède une valeur importante pour son employé.
32L’essor des violences ouvrières peut donc être mis en relation avec une dégradation des conditions de travail de la frange la plus modeste du monde ouvrier à Marseille à partir du milieu des années 1870. Le ralentissement de la conjoncture entraîne un chômage important. La déqualification du travail ainsi que l’arrivée d’une main-d’œuvre à bas coût confortent les patrons dans une politique de compression des salaires. Les prix poursuivent leur progression. Il en résulte une régression du pouvoir d’achat. C’est à travers la thématique de la concurrence qu’éclatent la plupart des violences ayant trait au travail ouvrier. Mal vécue, rejetée, décriée, elle se trouve à la source de bien des situations criminelles où les conditions d’un travail physique et difficile poussent les organismes dans leurs retranchements et viennent à bout des derniers freins à l’acte violent. Celui-ci apparaît comme un comportement libérateur, comme si, par la douleur qu’il infligeait à la victime, il venait apaiser les plaies brûlantes d’une nécessité oppressante. Sans en avoir conscience, les conflits entre ouvriers mettent en jeu, à l’échelle individuelle, toutes les injustices et les frustrations ressenties par les bras de l’industrie marseillaise. Si les répercussions du contexte économique local sur le nombre et l’intensité des conflits dans le monde du travail sont avérées, il reste à s’interroger sur les violences commises dans la sphère privée de la vie des ouvriers marseillais. Il nous faut savoir si la nécessité y produit les mêmes effets, et si l’on y décèle les indices d’une culture intégrant ou valorisant certaines pratiques violentes.
Des vies sans le sou
La nécessité au quotidien, le « désordre des familles »53
33Le paiement des loyers se trouve à la source de nombreux conflits, fréquemment marqués par des comportements violents. Dans la plupart des cas, ceux-ci émanent des locataires. Les mauvais payeurs sont acculés par leurs logeurs à s’acquitter de leurs loyers. Il n’est pas rare que des contentieux financiers se soldent par une procédure judiciaire pour coups et blessures54. C’est le cas dans l’affaire qui voit comparaître André Estadens à Marseille en 187855. Ce forgeron de 56 ans, originaire de Haute-Garonne, loue avec son épouse un appartement à la veuve Jolly. Le 22 juillet 1878, celle-ci porte plainte. Ses locataires l’injurient fréquemment et refusent de payer leurs loyers. La veille, les époux Estadens auraient brisé une porte et arraché une serrure. Devant ses protestations, l’homme lui aurait porté un coup-de-poing sur l’œil gauche, et la femme un coup de bâton. Les prévenus donnent une version contraire des faits, et affirment avoir été agressés en rentrant chez eux. le rapport de police précise qu’ils sont connus pour ne pas payer leur loyer, mais que la veuve Jolly et la femme Estadens sont également réputées pour leur langage ordurier et leurs mœurs légères. Il est difficile d’entrevoir objectivement les faits à partir d’un tel dossier de procédure, d’autant que les affaires de ce type ne nécessitent pas une longue instruction ni une enquête détaillée. On perçoit néanmoins un comportement abusif de la part des deux parties. Le prévenu écope d’une petite peine de prison, davantage motivée par sa brutalité que par ses arriérés de loyer. Cependant, c’est bien la question de l’argent qui est fondamentale dans cette affaire. Ne pas parvenir à payer son dû ou à économiser le minimum permettant de s’acquitter de son loyer constitue un déshonneur humiliant. Placé dans une situation insoluble, Estadens adopte un comportement violent et provocateur qui détourne l’attention de sa pauvreté. Le surgissement de la violence, qui place sur un pied d’égalité le logeur et le locataire dans un rapport physique et corporel, est une échappatoire vaine, mais considérée comme honorable par le prévenu. Ce type de comportement peut même devenir une habitude et prendre des proportions tout à fait inquiétantes.
34Il tend à se multiplier dans la mesure où les loyers sont particulièrement élevés à Marseille, et, de fait, de plus en plus difficiles à payer pour les ménages les plus modestes. Pour le second Empire, Lucien Gaillard souligne leur caractère onéreux dans les budgets ouvriers56. Il estime qu’en 1852 le prix moyen du logement d’une famille ouvrière à Marseille est de 120 fr. par mois environ, ce qui suppose un revenu de 4 fr. par jour pour le foyer, en considérant qu’il n’y a pas de période de chômage. le salaire masculin étant de 3,29 fr. en moyenne en 1853 et le salaire féminin lui étant inférieur de moitié, cela laisse une marge de moins d’un franc par jour pour les dépenses du ménage, ce qui, au regard des prix de la nourriture, est excessivement peu. En 1865, 120 fr. par mois ne paient qu’une chambre « sans air avec tout juste la place d’un lit ». Le percement de la rue Impériale a eu pour conséquence un accroissement des loyers en centre-ville. Si la hausse des loyers se modère par la suite, ils n’en restent pas moins une charge importante pour les budgets ouvriers déjà alourdis par la hausse du prix des denrées alimentaires au début de la troisième République57. Alors qu’en France, passé 1885, les revenus déterminent la structure des budgets ouvriers davantage que les dépenses alimentaires ou les loyers, c’est loin d’être le cas à Marseille58. Les rémunérations ouvrières marseillaises dans les années 1880 n’autorisent aucune épargne59. C’est la honte de la nécessité autant que l’absence d’argent qui, dans ces affaires, déclenche un comportement qui peut aller jusqu’au crime. La publicité de l’indigence la rend inacceptable60. L’absence de solution de repli engendre une violence inévitable.
35Il en va tout autrement des violences perpétrées dans le cadre de la famille : elles se développent dans l’intimité des ménages ouvriers, jusqu’à ce que la rumeur publique vienne y mettre un terme. De fait, il est pratiquement impossible de quantifier les violences domestiques de manière satisfaisante. Non seulement leur dénonciation est très aléatoire, mais les jugements du tribunal correctionnel ne comportent que peu de détails sur l’identité de la victime. Il est donc probable que certaines affaires instruites au titre de « violences volontaires » ou « coups et blessures » soient des cas de violences domestiques. En outre, les lois de protection de l’enfance sont bien trop tardives pour permettre un travail statistique sur le long terme61. Leur promulgation à la fin du XIXe siècle démultiplie le nombre de cas jugés, ce qui correspond plus à une attention croissante de la justice qu’à une évolution des comportements. Il nous faut donc les aborder à partir des seuls dossiers de procédures. Ceux-ci laissent transparaître une grande violence du quotidien dans le monde ouvrier, en particulier dans les familles les plus défavorisées. Les histoires similaires se multiplient, et, au fil des années, certaines deviennent des archétypes des ravages que provoque la nécessité62. Celle-ci est la source directe de certaines formes de violences familiales dont les enfants sont les premières victimes. Les familles ouvrières d’origine italienne sont particulièrement touchées par ce phénomène. Tel est le cas de Devotine Garibaldi, épouse Boueri, jugée en 1871 pour coups et blessures envers sa fille âgée de 5 ans63. La famille, installée dans le centre-ville de Marseille depuis peu, est originaire de la région de San Remo. À la fin du mois de septembre 1871, la « rumeur publique » dénonce la famille Boueri pour les mauvais traitements dont leur fille, Clara, fait l’objet. Comme souvent dans de pareilles situations, les voisins ne portent pas plainte nommément, mais font en sorte que la nouvelle parvienne au commissariat de police64. Une enquête a lieu. Le procès-verbal décrit la situation : l’enfant porte de nombreuses traces de violences, en particulier sur le visage. Elle est couverte de contusions violacées ou jaunes. Dans son interrogatoire, la prévenue, qui gagne sa vie comme porteuse, déclare que son mari est ouvrier dans une huilerie. Elle a deux autres enfants : le premier, âgé de deux ans, est « souffreteux » ; le second est placé en nourrice en Italie. Elle est enceinte de six mois. Elle apparaît totalement débordée par ces naissances et incapable d’y faire face. Son oncle confirme cette impression. Il avoue que les enfants de sa nièce sont maltraités, et que la petite Clara, mal nourrie, est venue chez lui pour manger. Leur mère n’a aucun moyen de s’en occuper et les délaisse pendant des heures sans le moindre soin. Navré de cette situation, il déclare ne pas pouvoir les prendre à son domicile, sa nièce s’y refusant. Si la responsabilité de la mère dans les violences exercées contre ses enfants ne doit pas être remise en cause, il convient de mesurer l’importance de la misère dans laquelle celle-ci se trouve plongée. Le salaire journalier moyen dans l’huilerie est de 3 fr. en 1872. On peut donc estimer le revenu des Garibaldi à 4,50 fr. par jour, 5 fr. au maximum, ce qui, pour une famille de quatre personnes à Marseille à cette époque, les place dans la misère65. Devotine Garibaldi, contrainte de travailler, ne possède pas les moyens de faire garder correctement ses enfants. Son comportement violent se nourrit de cette situation d’extrême nécessité, caractéristique de nombreuses familles italiennes marseillaises.
36Trente ans plus tard, bien que la loi protège davantage les mineurs, les mêmes causes produisent les mêmes effets66. Julia Garassin et Bernard Bianco, ouvrier italien, comparaissent pour mauvais traitements envers leur enfant67. Le 22 mai 1901, Frédéric Hageman, retraité âgé de 77 ans, ayant sauvé trois enfants d’un incendie au rez-de-chaussée de son immeuble, porte plainte. Interrogée par le commissaire de police, Julia Garassin déclare : « J’ai résolu en effet d’en finir avec l’existence car je suis dans une telle misère que je ne puis donner du pain à mes enfants qui m’en demandent ». Dans cette rue de la belle-de-Mai, cette famille est connue de la police. Un mois auparavant, les autorités ont en effet procédé à une enquête sur des mauvais traitements exercés contre leur fille, Elisa, âgée de 12 ans. Bernard Bianco déclarait alors dans son interrogatoire : « depuis trois mois que je suis à Marseille, je n’ai pu trouver de l’ouvrage qu’aujourd’hui ». Elisa, qui, dans un premier temps, nie les violences dont elle fait l’objet, se confie par la suite au juge d’instruction : « Ma mère ne me frappe jamais, mais elle ne me donne pas à manger. Mon père lui me frappe souvent, mais ne me prive pas de nourriture. Je serais bien heureuse si la justice voulait m’enlever à mes parents. Je n’ai plus été battue depuis que j’ai été appelée chez le commissaire de police. Je n’ai pas dit la vérité à ce magistrat parce que j’avais peur d’être maltraitée par mes parents ». La misère des époux Bianco apparaît à l’origine de violences. D’une part, elle pousse une mère à tenter de se suicider en compagnie de ses enfants, dont deux seulement sont issus de son union avec Bianco. Cette tentative d’assassinat est directement liée au manque d’argent et à l’impossibilité de subvenir aux besoins des enfants, en particulier de les nourrir. D’autre part, cette indigence, qui les tient depuis leur arrivée à Marseille et dont Bianco ne fait pas mystère au commissaire de police, est une des causes des mauvais traitements dont l’aînée fait l’objet68. Enfant d’un autre lit, elle représente une bouche de trop à nourrir, et se démarque en outre par un comportement maladif et peureux. Elle apparaît comme la victime idéale des pulsions agressives de ses parents. Entre l’affaire Boueri en 1871, et l’affaire Bianco en 1901, la perception et le traitement par la justice des violences exercées contre les enfants a évolué69. Dans cette affaire, la peine prononcée confirme l’indignation suscitée chez les magistrats par de tels traitements. En effet, sa sévérité est sans commune mesure avec la simple amende prononcée dans le premier cas70. Si la misère est toujours considérée comme une cause de violences par la justice, elle n’excuse plus le comportement des parents tortionnaires.
37Dans le cadre d’une relation locataire-logeur ou au sein de la cellule familiale, le manque d’argent constitue donc un motif de misère donnant lieu à des comportements violents. Il est un autre domaine de la vie privée où le dénuement engendre bon nombre d’actes violents dans le monde ouvrier marseillais : il s’agit de la dette et de son règlement.
La dette
38À la lecture des dossiers de procédure, on pénètre dans une économie parallèle faite de petites sommes échangées et dues au quotidien. Ces pratiques tendent à s’ajouter, voire à se substituer, à la fréquentation des banques et des caisses d’épargnes. En effet, alors que la régression des salaires réels grève les budgets ouvriers marseillais à partir des années 1880, les dépôts des ouvriers stagnent à la caisse d’épargne71. Laurence Américi a montré la corrélation entre le niveau de vie des ouvriers et le montant de leurs dépôts sur les livrets : malgré une conjoncture économique positive, l’épargne peut être faible en raison de la régression des salaires réels. De même, elle insiste sur l’évolution du rôle dévolu aux caisses. Créées dans un but social et philanthropique, elles se trouvent progressivement réservées à la classe moyenne, et, à la fin du XIXe siècle, jouent davantage un rôle de placement financier qu’un rôle d’épargne. Les ouvriers, pour lesquels le coût de la vie rend toute économie difficile, désertent progressivement des guichets72.
39Dans le monde ouvrier, presque tous sont alternativement voire simultanément les débiteurs ou les créanciers d’un voisin, d’une connaissance, d’un collègue ou d’un membre de la famille. Non remboursée, ou reniée, la dette devient alors un motif de discorde fondamental. L’argent dû, même si la somme est faible, acquiert une valeur symbolique. Ne pas s’acquitter de sa dette revient à se déshonorer. En 1874, une rixe éclate entre deux journaliers d’une fabrique de la Cabucelle73. La victime relate la scène dans son entretien avec le juge d’instruction :
« samedi 7 mars dernier, en sortant de la fabrique, Furlatti me demanda de lui payer 8,75 francs que je lui devais, qu’il voulait partir. Je lui répondis que je n’avais pas d’argent, mais que je tâcherais de m’en procurer. Le soir, vers 20 heures 30, il vint à l’auberge de la dame Musso il m’offrit un petit verre de cognac, j’acceptais, je lui offris à mon tour un petit verre, il accepta, nous en prîmes peut-être un troisième, là dessus il se monte, il commence à me demander mon argent en jurant, je lui dis de ne pas faire de bruit et de sortir, nous sortons, jurant toujours. Arrivés à une quarantaine de pas il me dit qu’il veut être payé, se met en colère et me porte un coup de couteau ou de poignard qui m’a coupé deux veines et une artère, après quoi, il s’est enfui […] j’ai entendu dire qu’il était à Menton. »
40La somme réclamée est importante. Elle correspond à un peu moins d’une journée et demie de travail, si l’on opte pour la moyenne de 4,64 fr. par jour en 1872 dans la grande industrie, telle qu’elle est proposée par Lucien Gaillard74. Compte tenu des possibilités d’épargne des journaliers marseillais au début de la troisième République, il est évident qu’Amédée Simi ne la possède pas sur lui. Quelle que soit « l’obsession de l’épargne »75 qui caractérise les ouvriers italiens, cette somme est difficile à réunir. Elle fait d’autant plus défaut au créditeur que celui-ci la destine sinon à ses propres besoins du moins à ceux de sa parentèle, restée en Italie76. Son départ pour le pays étant imminent, le besoin d’être remboursé n’en est que plus pressant. Le débiteur, repoussant à deux reprises les demandes pressantes de son compatriote, attire sur lui sa méfiance et sa colère. Malgré l’échange de verres de cognac, scellant un semblant de réconciliation, la question de la dette revient dans la conversation. Pressé de se voir remboursé, enhardi par la consommation d’alcool, Furlatti perpètre un acte de violence qui peut, au premier abord, sembler inutile, mais qui lui permet en réalité de partir en gardant un ascendant sur son adversaire. À travers son coup de couteau, il sauve la face. Il ne sera peut-être pas remboursé mais ne passera pas pour quelqu’un qui ne sait pas se faire respecter. Dans un grand nombre d’affaires similaires, l’acte violent précède la fuite de l’un des protagonistes. Ce schéma récurrent explique la forte participation des migrants (en particulier italiens) à ce type de violences. Ils sont en effet les plus vulnérables d’un point de vue économique, mais certains parviennent à épargner des sommes importantes. De ce fait, ils recourent fréquemment au crédit, ce qui multiplie les conflits entre eux. Les veilles de départ constituent des périodes critiques où les dettes accumulées sont réclamées et où les comptes se règlent. En outre, la solution de la fuite, toujours présente à leur esprit, encourage le recours à une solution violente.
41Toutefois, ce type de situation, où le débiteur est victime des violences de son créancier, ne correspond pas au schéma en cours dans la majorité des rixes pour dettes. La plupart d’entre elles voient des débiteurs en venir à un comportement violent en raison des sollicitations réitérées de leurs créanciers, injonctions auxquelles ils ne peuvent répondre. L’affaire qui voit comparaître les trois frères Toni, journaliers et cordonniers italiens, trouve également sa source dans une dette non réglée77. Le soir du 14 juillet 1883, les trois frères Toni dînent dans une buvette du quartier Sainte-Anne. Dans la salle, se trouve Antoine Adami, âgé de 34 ans, lui aussi journalier originaire d’Italie. Il a la réputation d’être très économe. En sortant de la buvette, les trois frères lui adressent donc quelques moqueries, s’étonnant de ces dépenses inhabituelles pour lui. Échangés dans un contexte banal, de tels propos n’auraient sans doute pas débouché sur la tentative de meurtre dont Adami est victime quelques minutes plus tard. Cependant, l’enquête révèle qu’ils mettent l’accent sur un contentieux particulièrement sensible entre les frères Toni et Adami. Ce dernier, fidèle à sa réputation, a prêté 8 fr. à Antoine Toni. Cette dette n’a jamais été remboursée. Afin de s’en acquitter, Jean Toni, cordonnier, a fabriqué, contre la volonté de son frère Antoine, une paire de souliers à Adami. Celui-ci, insatisfait, ne cessait depuis de réclamer son dû à ses débiteurs. La plaisanterie portant sur sa manière de gérer son argent constitue donc ce soir-là un affront supplémentaire. Vexé, Adami répond : « tu ferais bien toi aussi [de faire des économies] puisque ta femme est enceinte. » cette simple réplique provoque leur colère. Les trois frères l’entraînent dans un petit-bois de pins voisin. Antoine lui donne un premier coup de couteau à l’épaule, Jean lui porte un coup de tranchet dans la fesse droite. Il reçoit ensuite plusieurs coups de poing et de pierre. En 1883, Antoine Toni perçoit vraisemblablement un salaire maximum de 4 fr. par jour, ce qui établit le montant de sa dette à deux jours de travail au minimum. Clients assidus des cabarets du quartier, il est impossible aux frères Toni de s’acquitter d’une telle dette. Ils sont donc en position de faiblesse vis-à-vis d’Adami, ce qu’ils ne supportent pas. Antoine Toni, le plus violent des trois, qui est d’ailleurs le seul condamné, se sort de cette situation humiliante par une bravade et un accès de violence. On retrouve ici des mécanismes déjà évoqués à propos des contentieux entre locataires et propriétaires. Les journaliers italiens, bien qu’économes dans l’ensemble, ne le sont pas tous au même titre. La dette se trouve donc au cœur des accès de violence chez les journaliers car elle implique la révélation humiliante d’une situation d’échec et de faiblesse. Lorsque celle-ci s’effectue en public, la réaction n’en est que plus brutale. Le parallèle avec les affaires d’injures faisant suite à des réclamations de dettes effectuées sur la place publique est également flagrant. Il est toujours question du déshonneur que constitue une telle demande effectuée au vu et au su de tous. Deux différences séparent pourtant ces situations. D’une part, dans le cas présent, ce n’est pas la réputation commerciale des parties en présence qui entre en jeu, mais leur moralité et le succès de leur périple marseillais. Pouvoir prêter de l’argent, c’est faire preuve de capacités d’épargne. Celles-ci supposent sinon un début d’ascension sociale, du moins les prémices d’une insertion. En revanche, l’impossibilité de rembourser un prêt met au jour l’échec du débiteur, quand elle n’insinue pas l’existence de failles dans son mode de vie (paresse, dépenses inconsidérées). D’autre part, l’acte violent est immédiat, il ne fait suite à aucune injure, mais à un simple dialogue qui prend les aspects d’un avertissement sans frais.
42Il convient donc de ne pas négliger l’aspect économique de ces contentieux. L’augmentation des règlements de comptes pour dettes reflète l’accroissement des difficultés quotidiennes pour les plus modestes parmi les ouvriers. Toutefois, tout se passe comme si le contentieux autour de la dette, parfois noué depuis des mois, était lavé, comme passé, dans l’acte violent. Le passage à l’acte est donc perçu comme la seule issue, le plus souvent du point de vue du débiteur, afin de le libérer du poids de cette dette porteuse de honte. Cette logique prévaut également dans la pratique des loisirs. Le jeu, élément central de la vie ouvrière, participe traditionnellement de cette circulation de petites sommes d’argent. Les contentieux qu’il suscite, déjà nombreux en temps normal, se trouvent accentués en période de difficultés économiques. Les loisirs posent donc également la question des rapports entre l’argent et les violences.
Les jeux d’argent
43On a déjà mentionné la place primordiale que tient la fréquentation du cabaret dans la vie et la sociabilité ouvrière marseillaise. Au début de la troisième République, il est toujours le cadre de nombreuses rixes violentes.
44La pratique de jeux – de cartes, de hasard ou d’adresse – y est intimement liée. En outre, à Marseille, les ouvriers italiens importent leur propre culture, au sein de laquelle les jeux, comme la mora piémontaise, jouent un rôle fondamental. Ces habitudes des ouvriers italiens s’ajoutent à de vivaces traditions provençales78. Or, le jeu est une pratique de détente mais aussi, dans le cadre du groupe, de défi, voire de domination. Les mises s’intègrent à la micro-circulation d’argent entre ouvriers. Elles permettent de régler les consommations, parfois les dettes. La pratique du jeu permet en outre de gagner sans effort des sommes plus importantes que le travail. De fait, pour les Italiens, les sommes gagnées permettent d’accroître le pécule accumulé à Marseille. Les enjeux autour d’une partie sont donc multiples, à la fois d’ordre matériel et symbolique. Ici encore, les notions d’honneur, de respect de la parole et de probité apparaissent comme fondamentales. Leur transgression déclenche de multiples rixes. Les dettes accumulées au jeu et la tentative de tricherie constituent les deux principaux motifs de violences liées aux jeux d’argent. Dans l’affaire du meurtre de Jean-Baptiste Bonini, Antoine Zabo est jugé à la cour d’assises en 187779. Les deux hommes sont des journaliers italiens installés à Marseille. Le 23 septembre 1877, Zabo, qui joue à la Calla80 avec plusieurs de ses compatriotes, gagne la somme de 4 fr. Bonini s’approche et s’empare du gain. Zabo réclame son argent, mais Bonini refuse de le lui rendre, déclarant être son créancier d’une plus forte somme. Zabo s’arme alors de son couteau et se précipite sur Bonini. Les deux protagonistes sont blessés dans la rixe, mais la blessure de Bonini est profonde. Il décède quatre jours plus tard d’une péritonite. Zabo, quant à lui, garde la vie sauve. Malgré la complexité de l’affaire, il apparaît que, dès avant la partie du 23 septembre, il existe un lourd contentieux entre les deux hommes. Zabo accuse Bonini de l’avoir volé et sous-estime le montant de la dette. Bonini désire récupérer son argent, et sait que son adversaire est prêt à en venir aux mains. La rixe est inévitable. Elle est presque provoquée par les deux hommes qui règlent leur différend dans un corps à corps violent. Sachant que la dette ne sera pas réglée, ils sont arrivés à un point de non-retour. La violence, qui apparaît comme un mode de règlement du contentieux, permet de trouver une issue à leur opposition. La rixe délivre le débiteur et le créancier du lien de dépendance qui les unit malgré eux. Blessés tous les deux, ils se retirent.
45Les soupçons ou accusations de tricherie provoquent de nombreuses rixes dans les cabarets de la ville. Fraudeurs, mauvais perdants, et partenaires floués s’y défient et s’y affrontent. En 1885, dans une buvette du boulevard Gilly, située au cœur du quartier ouvrier de Menpenti, plusieurs ouvriers italiens se trouvent pris dans une bagarre générale ayant pour origine la triche de l’un d’entre eux81. Les trois prévenus, Andreani, Mutelli et Bolzoni exercent les professions de cordonnier pour le premier, et d’ébénistes pour les suivants. Ils sont employés au service d’un artisan local. Pierre Pasciodi, journalier, expose sa version des faits au juge d’instruction : « dimanche 20 décembre, je me trouvais vers 3 heures dans la buvette Bruno. J’ai fait une partie de cartes avec Mutelli, Bolzoni et Iscardo. Bolzoni ayant triché, je lui en fis l’observation. Il me traita alors de cochon. Un jeune homme qui était à côté de moi et que je ne connais pas fit observer à Bolzoni qu’il avait tort de me parler ainsi. Alors Andréani s’élança sur ce jeune homme et le saisit par le cou. Bolzoni en fit autant à moi-même. Le patron m’a arraché alors à mon agresseur. Mais la dispute continua entre Andreani Bolzoni Mutelli et les autres assistants. J’ai vu Andreani mettre la main à la poche et se lancer ensuite dans la mêlée mais je ne puis pas vous dire car je ne l’ai pas remarqué s’il avait une arme à la main et s’il a frappé quelqu’un ». Cette affaire est représentative de nombreuses rixes provoquées par le jeu. D’une part, elle a lieu un dimanche, jour de relâche dans les ateliers, consacré aux loisirs. En cet après-midi de décembre, les cabarets sont le principal lieu de détente des ouvriers. Les rixes liées au jeu sont de ce fait particulièrement nombreuses les jours de fin de semaine82. D’autre part, si l’argent n’est pas mentionné, il se trouve pourtant au cœur du contentieux. Si Pasciodi reproche à Bolzoni de tricher, c’est parce qu’il fausse ainsi la pratique de la partie de carte et risque d’empocher malhonnêtement la mise. Enfin, dans la rixe déclenchée par une intervention extérieure, Bolzoni profite de la confusion pour se venger de celui qui, l’accusant de tricher, l’a gravement insulté. Ne pouvant supporter une telle remise en cause de sa probité en public, soucieux de mettre un terme au défi lancé par son adversaire, il en vient aux mains avec celui-ci. Une fois encore, l’acte violent apparaît non seulement comme un moyen de régler un antagonisme entre deux adversaires, mais également comme une solution pour détourner l’attention de l’assistance et ne pas se trouver déshonoré.
46L’accentuation des violences réactionnelles au début de la troisième République s’explique donc, pour partie, par l’essor du monde ouvrier parmi les auteurs d’infractions contre les personnes. Par-delà le simple reflet de l’importance de cette classe sociale dans la société marseillaise, cette évolution résulte de sa surreprésentation parmi les prévenus et accusés de violences à partir des années 1880. Cependant, ce n’est pas le statut d’ouvrier en lui-même qui détermine de tels comportements, mais bien les répercussions de la conjoncture économique marseillaise sur l’équilibre des budgets pour les ouvriers les plus modestes. Ainsi, l’on a pu établir le lien entre les professions les plus faiblement rémunérées et les plus violentes. Parmi elles, les journaliers occupent une place prépondérante.
47La question de la nécessité apparaît donc fondamentale dans les violences ouvrières au début de la troisième République. Dans le cadre professionnel, elle provoque des conflits résultant de la concurrence entre les ouvriers, dans une conjoncture où la menace du chômage est de plus en plus oppressante, et où les conditions de travail imposées aux ouvriers les moins qualifiés poussent leurs organismes à leurs limites. Dans le cadre privé, elle entraîne non seulement une aggravation des violences familiales mais également une cristallisation des conflits autour des dettes ou des gains de jeu. Celles-ci, malgré leur apparente insignifiance, sont en réalité substantielles, dans la mesure où les budgets des journaliers ne laissent que peu de marge à l’épargne, et où certains immigrés tentent l’aventure marseillaise uniquement pour accumuler ce pécule.
48Cependant, si la nécessité permet d’expliquer la multiplication des violences ouvrières, elle n’est pas l’unique facteur de l’impulsivité croissante qui s’y fait jour. Hormis la thématique du stress, mise en lumière par l’analyse des conflits dans les usines, les ateliers, ou sur les chantiers, il apparaît que l’accroissement du caractère brutal et réactionnel des violences est davantage lié à la notion d’honneur, et à la volonté de ne pas perdre la face, qu’à l’absence d’argent. À ce titre, la réaction violente trouve sa place dans le comportement culturel au sens où elle a valeur de norme en cas de remise en cause ou d’attaque personnelle. L’exemple des conflits liés aux dettes et au jeu parmi les ouvriers italiens est très révélateur de cette convergence de facteurs : la faiblesse des salaires accroît les tensions liées à l’argent, mais les violences éclatent lorsque les individus s’estiment déshonorés. Le thème des violences ouvrières se trouve donc, de fait, inextricablement lié à celui du rôle des Italiens dans les infractions contre les personnes commises à Marseille entre 1875 et 1895.
Notes de bas de page
1 Rostand E., Questions d’économie sociale dans une grande ville populaire, Guillaumin, 1889, p. VIII.
2 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 157.
3 Id. nous renvoyons à notre introduction.
4 Dans une bibliographie pléthorique, on se reportera entre autres à : Noiriel G., Les ouvriers dans la société française…, op. cit. ; Charle c., Histoire sociale de la France au XIXe siècle, seuil, Points, histoire, 1991 ; Dewerpe a., Le monde du travail en France…, op. cit.
5 Annexe 5.
6 Les principaux éléments d’informations à caractère généraliste émanent de Masson P. (dir.), Encyclopédie des Bouches-du-Rhône…, op. cit. ; Rambert G., Marseille…, op. cit. ; Baratier E. (dir.), Histoire de Marseille…, op. cit. ; Sewell W.H., Structure and Mobility…, op. cit. ; Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit.
7 Baratier E. (dir.), Histoire de Marseille…, op. cit., p. 391.
8 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 156 sqq.
9 Id. p. 157.
10 cf. Introduction et Lopez R., Témime E. (dir.), L’expansion marseillaise…, op. cit., p. 76 sqq. ; Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 14.
11 Américi l., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 509.
12 Ibid. ; Raveux o., Une histoire méditerranéenne…, op. cit., p. 477.
13 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 166.
14 Dewerpe a., Le monde du travail en France…, op. cit. ; Noiriel G., Les ouvriers…, op. cit.
15 Chastagnaret G., Témime E., « activité et vie ouvrière… », op. cit. ; Gaillard l., La vie ouvrière…, op. cit.
16 Id., p. 449.
17 Id., p. 445 sqq. ; Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit. ; Chenu a., Industrialisation, urbanisation et pratiques de classes…, op. cit. ; Américi l., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit. Pour la France : Caron F., Histoire économique de la France XIXe-XXe siècle, armand colin, 1995 ; Fontaine c., « l’évolution des prix pendant la longue stagnation » ; Breton y., Broder a., Lutfalla M. (dir.), La longue stagnation en France, l’autre Grande Dépression, 1873-1897, Economica, p. 74-107.
18 Gaillard l., La vie ouvrière…, op. cit., p. 449.
19 Id. p. 446.
20 Id. p. 450.
21 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 157.
22 Ce salaire est tout à fait exceptionnel. Gaillard L, La vie ouvrière…, op. cit., p. 447-449.
23 Rostand E., Questions d’économie sociale…, op. cit., p. VIII ; Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 157 ; Américi l., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 533.
24 Lopez R., Témime E. (dir.), L’expansion marseillaise…, op. cit., p. 83 sqq.
25 Lescure M., « l’industrialisation de Marseille… », op. cit.
26 Celui-ci double presque entre 1878 et 1906 en France. Levy-Leboyer M., Bourguignon F. (dir.), L’économie française au XIXe siècle, analyse macro-économique, Economica, 1985, p. 37.
27 Américi L, La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 530 sqq.
28 Id., p. 531-532.
29 Nous renvoyons ici à l’abondante bibliographie consacrée à ce sujet, à laquelle on aura accès par des ouvrages tels que : Plessis A., De la fête impériale au mur des fédérés 1852-1871, seuil, Points, 1ère édt. 1973 ; Mayeur J.-M., Les débuts de la Troisième République 1871-1898, seuil, Points, 1e Ed., 1975.
30 Baratier E. (dir.), Histoire de Marseille…, op. cit., p. 402-403. Sur la commune de Marseille on peut consulter Olivesi A., La Commune de 1871 à Marseille et ses origines, M. Rivière, 1950.
31 Ibid. l’auteur évoque une cinquantaine de morts, 150 blessés, quelques 850 arrestations et l’exécution de Gaston crémieux.
32 Olivesi A., La Commune de 1871 à Marseille…, op. cit., p. 152.
33 Baratier E. (dir.), Histoire de Marseille…, op. cit., p. 406-407.
34 Dornel l., La France hostile…, op. cit., p. 36 sqq. ; Schor R., L’opinion française et les étrangers…, op. cit.
35 Farcy J.-c., « la ville contemporaine (XIXe-XXe siècles) est-elle criminogène ? », op. cit.
36 Gueslin a., Gens pauvres, pauvres gens…, op. cit.
37 Contrairement à ce qui se produit dans les campagnes à la même époque, où l’essentiel des auteurs de violences est constitué de propriétaires-exploitants davantage que de salariés agricoles, la majeure partie des auteurs de violences à Marseille est donc constituée par des prolétaires. Toutefois, par-delà cette apparente contradiction, on retrouve des mécanismes similaires présidant à l’explosion de la violence : une situation économique difficile, où l’accession au patrimoine ou au travail est compromise. Pour une analyse sur le monde rural Ploux F. Guerres paysannes en Quercy…, op. cit. ; Farcy J.-c., Les paysans beaucerons au XIXe siècle, société archéologique d’Eure-et-loir, chartres, 1989 ; Lapalus s. La mort du vieux…, op. cit.
38 Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 152 sqq.
39 AD BDR 406 U 126, affaire Rasclot, coups et blessures, 1877.
40 Une chèvre est un appareil de levage composé le plus souvent de trois poutres disposées en pyramide triangulaire dont le sommet soutient une poulie manœuvrée à l’aide d’un treuil.
41 Gaillard l., La vie ouvrière…, op. cit., p. 447-449.
42 AD BDR 2 U 2/1288, affaire audisio, meurtre, 1892.
43 Dans une abondante bibliographie, on pourra se référer à : Perrot M., Les ouvriers en Grève (France 1871-1890), Paris/la haye, Mouton, 1974 ; Noiriel G., Les ouvriers dans la société française…, op. cit.
44 Dornel l., La France hostile…, op. cit.
45 AD BDR 406 U 140, affaire Minetti, entrave à la liberté de travail et coups et blessures, 1881.
46 AD BDR 406 U 195, affaire bianucci, coups et blessures, 1890.
47 Dewerpe a., Le monde du travail…, op. cit., p. 126.
48 Ibid.
49 AD BDR 406 U 157, affaire Baroni, coups et blessures et usage d’un faux livret, 1884.
50 AD BDR 2 U 2/1283, affaire Peduzzi, assassinat, 1892.
51 AD BDR 406 U 195, affaire Mazzanti, coups et blessures, 1890.
52 Lopez R., Témime E. (dir.), L’expansion marseillaise…, op. cit., p. 84-85.
53 Farge A., Foucault M., Le désordre des familles : lettre de cachet des archives de la Bastille, Gallimard, Julliard, 1982.
54 Chapitre 2.
55 AD BDR 406 U 130, affaire Estadens, coups et blessures, 1878.
56 Gaillard L., La vie ouvrière…, op. cit., p. 451 sqq.
57 Id. p. 59.
58 Lévy-Leboyer M., Bourguignon F., L’économie française au XIXe siècle…, op. cit., p. 37 ; Américi l., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 530 sqq.
59 Gaillard L., La vie ouvrière…, op. cit., p. 452.
60 Nous employons ici le terme « publicité » au sens premier : ce qui n’est pas tenu secret.
61 Ambroise-Rendu a.-c., Crimes et délits…, op. cit. ; Schnapper B., « la correction paternelle et le mouvement des idées au dix-neuvième siècle (1789-1935), Revue historique, avril-juin 1980, p. 319-349 ; Renouard J.-M., De l’enfant coupable à l’enfant inadapté : le traitement social de la délinquance juvénile, Paris, centurion, 1990 ; Dupont-Bouchat M.-S. et alli, Enfants corrigés, enfants protégés. Genèse de la protection de l’enfance en Belgique et en France aux Pays-Bas et au Québec (1820-1914), Ministère de la Justice, 1995 ; Yvorel J.-J., « la justice et les violences parentales… », op. cit.
62 Le lien entre la misère et les violences domestiques a été établi dans plusieurs études. J.-J. yvorel note que 45 % des auteurs de telles violences sont des ouvriers. Yvorel J.-J., « la justice et les violences parentales… », op. cit., p. 17.
63 AD BDR 406 U 124, affaire Garibaldi, coups et blessures, 1872.
64 Billacois F., « Porter plainte… », op. cit. ; Ploux F., De bouche à oreille, naissance et propagation des rumeurs dans la France du XIXe siècle, aubier, 2003.
65 Gaillard L., La vie ouvrière…, op. cit., p. 447-449.
66 La loi du 24 juillet 1889 prévoit la déchéance de la puissance paternelle en cas de maltraitance à enfant. la loi du 19 avril 1898 réprime spécifiquement les violences et mauvais traitements sur la personne des enfants. Schnapper B., « la correction paternelle… », op. cit., p. 340 sqq.
67 AD BDR 406 U 202, 10 juin 1901 : le tribunal correctionnel de Marseille condamne bernard bianco à 8 mois de prison, relaxe Julie Garassin femme bianco. Il prononce la déchéance paternelle à l’encontre de bernard bianco et décide que la fille bianco Elisa sera confiée à la garde de l’assistance publique.
68 En 1901, le chômage touche durement les ouvriers marseillais. L’année est particulièrement néfaste sur le plan économique à Marseille. Américi L., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 536 ; Roncayolo M., Les grammaires d’une ville…, op. cit., p. 148.
69 Yvorel J.-J., « la justice et les violences parentales… », op. cit. ; Dessertine D., « les tribunaux face aux violences sur les enfants… », op. cit.
70 Ibid. p. 25. La loi de 1889 a considérablement accentué la sévérité des magistrats. L’auteur souligne qu’entre 1887 et 1891 la prison ferme est prononcée dans 81,5 % des cas en France.
71 Il convient toutefois de mettre à part le cas des ouvriers italiens qui se distinguent par une remarquable capacité d’épargne, destinée à l’envoi au pays. Américi L., La Caisse d’épargne des Bouchesdu-Rhône…, op. cit., p. 534 sqq. ; Douki c., Les mutations d’un espace régional…, op. cit. ; « les retombées financières de l’émigration et le développement régional en Italie entre les XIXe et XXe siècles », Chastagnaret G. (dir.), Crise espagnole et nouveau siècle en Méditerranée, politiques publiques et mutations structurelles des économies dans l’Europe méditerranéenne, aix-en-Provence-Madrid, 2000, p. 131-145.
72 Américi L., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 219 et p. 532.
73 AD BDR 406 U 111, affaire Furlatti, tentative de meurtre, 1874.
74 Gaillard L., La vie ouvrière…, op. cit., p. 449.
75 Américi L., La Caisse d’épargne des Bouches-du-Rhône…, op. cit., p. 536.
76 L’envoi de mandats postaux réunit des sommes importantes vers l’Italie. Douki c., Les mutations d’un espace régional…, op. cit. ; Lopez R., Témime E. (dir.), L’expansion marseillaise…, op. cit.
77 AD BDR 406 U 151, affaire Toni, tentative de meurtre, 1883.
78 Gaillard L., La vie quotidienne des ouvriers provençaux… op. cit., p. 181 sqq.
79 AD BDR 2 U 2/1224, affaire Zabo, meurtre, 1878.
80 Jeu de hasard pratiqué avec des pièces (« pile ou face »).
81 AD BDR 406 U 165, affaire Andreani, coups et blessures, 1886.
82 Ce rythme des violences calqué sur le calendrier ouvrier a été souligné à maintes reprises. Voir, entre autres, Santucci M.-R., Délinquance et répression…, op. cit.
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2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008