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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral Naissance et mort d’une demande ouvrière spécifique aux « banlieues rouges » La progression de perceptions négatives entre jeunes des « classes populaires » et élus La difficile fidélisation électorale des banlieues : une demande introuvable Conclusion Bibliographie Notes de bas de page Auteur

    La figure de «l'habitant»

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    5. Des « ouvriers communistes » aux « jeunes des cités » : histoire croisée de la non-reconstruction d’une demande sociale

    Eric Marlière

    p. 115-129

    Entrées d’index

    Index géographique : France

    Texte intégral Bibliographie BIBLIOGRAPHIE Notes de bas de page Auteur

    Texte intégral

    1Les rapports entre élus et « classes populaires » sont décrits par les acteurs politiques et certains commentateurs comme étant de plus en plus distants notamment dans les « quartiers sensibles ». Depuis l’accession de la gauche au pouvoir, les relations entre les catégories populaires et les élus s’orienteraient progressivement vers un « divorce ». Qu’en est-il réellement de leurs relations sur le terrain ? Les enjeux ne sont pas simples à comprendre tant la situation peut varier d’un contexte à l’autre, d’autant que les configurations politiques et sociales des communes changent selon la nature des conflits, le système de « clientélisme » et la santé de l’économie locale. Pour les communes de la banlieue parisienne classées « sensibles », les rapports entre les élus (de gauche comme de droite) et les habitants des cités HLM se caractérisent par une méfiance réciproque. L’abstention semble être le comportement dominant dans ce type de circonscription (Braconnier et Domargen, 2007). L’impossibilité de voter dans laquelle se trouvent les populations immigrées contribue à une forme de désintérêt vis-à-vis des modalités prescrites de la participation politique. En retour, elle conduit les élus à ignorer ces populations dans la mesure où elles ne constituent pas une cible électorale. Ce que nous avons constaté sur un terrain situé dans la banlieue nord-ouest de Paris illustre ce phénomène. En effet, dans une commune proche de la capitale, dirigée par le parti communiste depuis 1934, alors qu’auparavant l’offre politique communiste semblait répondre aux « attentes » de la population ouvrière et correspondre à son « identité », les classes populaires aujourd’hui ne se reconnaissent plus dans les élus du PC, et les élus du PC ne reconnaissent plus les classes populaires, en particulier ouvrières, comme leur électorat de prédilection1. Comment en est-on arrivé à une absence d’échange politique entre ces élus et des habitants qui auraient pourtant pu bénéficier de la qualification électorale « ouvrière » et être représentés en tant que tels ?

    2Depuis quelques décennies, les mutations des modes de production ont contribué à la désobjectivation en tant que classe des catégories populaires, et en particulier du monde ouvrier. L’effritement de la société salariale a déstabilisé les « stables » (Castel, 1995), notamment les salariés de milieu populaire, à tel point qu’une frange importante de cette population se retrouve au cœur de la « question sociale ». Les populations immigrées arrivées dans la période des Trente Glorieuses occupent les emplois subalternes à l’usine et, de ce fait, deviennent les plus fragilisées par les mutations économiques (Fripier, 1990). Ces hommes et ces femmes ainsi que leurs enfants sont les premiers à subir le phénomène de « désaffiliation » (Bacqué et Sintomer, 2001, p. 217-249) dans ces quartiers populaires et, privés de surcroît de droit civique, ils constituent une population peu attractive pour les élus du point de vue électoral. Ces transformations expliquent donc, en partie, les relations distantes entre les élus et les habitants des « quartiers sensibles ». Pourtant, dans le passé, les « classes ouvrières » constituaient un levier électoral important : dans la période de l’après-guerre, les ouvriers et le parti communiste représentaient une force politique non négligeable, notamment dans les communes de « banlieue rouge ». Que s’est-il passé en quelques décennies ? Comment analyser, du coup, le peu d’intérêt des élus – ici, communistes – pour des habitants qui furent il n’y a pas si longtemps – hormis les immigrés – leurs électeurs ?

    3Finalement, comment est-on passé des « banlieues rouges » aux « banlieues sensibles » ? Qu’est-ce qui différencie le « métallurgiste » de l’entre-deux-guerres, soumis à des conditions de vie difficiles mais « intégré » dans le monde du travail, dans les luttes politiques, et dont les difficultés sont érigées en « demandes » auxquelles les élus communistes affirment répondre, des habitants des « quartiers sensibles » actuels dont la figure d’épouvantail du « jeune de cité », perçu comme politiquement inaccessible, constitue le symbole ? Nous verrons ce qui se passe sur notre terrain d’enquête pour tenter de comprendre ces transformations aboutissant à une situation complexe perçue dans le monde politique comme paradoxale2. Nous décrirons dans un premier temps la formation et le délitement des « banlieues rouges » par un bref retour historique. Dans un second temps, nous tenterons d’appréhender les relations des habitants des « quartiers sensibles » avec les élus. Enfin, nous essaierons de dégager quelques éléments d’analyse concernant la rupture entre élus ici, de « gauche », et la dernière génération ouvrière du quartier à savoir les jeunes des « quartiers » qui ne se reconnaissent plus à travers l’ancien parti ouvrier. Les étapes de ce raisonnement soulignent par conséquent les conditions de formation d’une « non-demande » où les élus ne se représentent plus les habitants de ces immeubles comme des électeurs mobilisables, et ces derniers ne considèrent plus les élus comme d’éventuels interlocuteurs et porte-parole.

    Naissance et mort d’une demande ouvrière spécifique aux « banlieues rouges »

    4Le Parti communiste et ses cadres se sont fortement appuyés sur l’arrivée des ouvriers, venus pour la plupart des campagnes françaises à cette époque, pour le développement de leur assise électorale et institutionnelle à partir du milieu des années 1920. L’historien local G. Quiqueré décrit dans son ouvrage sur l’histoire du quartier des Grésillons les incidents que provoquèrent les mouvements de grève à l’époque. Il évoque l’arrestation massive d’ouvriers ayant participé à des occupations d’usine. L’historien insiste sur la capture de « militants rouges » suspectés de favoriser les grèves et de promouvoir des idées subversives à l’atelier et dans l’entourage (Quiquere, 1987, p. 11). La montée du parti communiste accentue l’image négative et la stigmatisation du quartier et de ses habitants. D’ailleurs Banlieue Ouest (un journal de droite à l’époque) ne désigne-t-il pas les ouvriers du quartier comme la « vermine rouge », les « vandales communistes » – en temps de grèves ou de conflits avec la police et le patronat – ou encore de « gangrène rouge3 » ? Face à la dégradation des conditions de travail liée au développement du taylorisme (Dewerpe, 1998) les ouvriers s’organisent, se fédèrent et résistent face aux nouvelles logiques de production. C’est dans ce contexte que le communiste J. Grandel est élu en 1934 dans la commune et que E. Dutilleul, membre du parti, devient l’année suivante député de la circonscription.

    « L’entre-deux-guerres a été, en France, la grande constitution du bastion ouvrier, des fiefs électoraux communistes de la proche agglomération parisienne. » (Fourcaut, 1986, p. 11.)

    5Dans la banlieue de Paris, la période de l’entre-deux-guerres annonce une ère nouvelle : celle de l’industrie et de sa main-d’œuvre venue s’installer en masse. Ces populations récemment arrivées en banlieue imposent progressivement leurs manières de vivre et leur représentation du monde dans la proche couronne nord de Paris.

    6Hormis le fait d’être perçu comme un repère de voyous et d’individus malfamés, le quartier étudié se voit connoté « rouge » par la presse appuyant les positions des notables locaux. Cet activisme politique est en partie la conséquence du déracinement géographique, des mauvaises conditions de logements, mais aussi du malaise social lié aux conditions de travail ingrates, qui se dégradent avec la mise en place du travail à la chaîne. Toujours est-il que le communisme constitue une force, un « espace des possibles » pour les ouvriers. Si nous n’avons pas d’informations précises concernant le rattachement d’une partie de la « classe ouvrière » au Parti Communiste, certaines figures locales comme Julien Mocquard responsable du parti BOP (Bloc Ouvrier Paysan) ont toujours été contestataires des conditions de travail à l’usine. Son parti représentait un grand nombre de salariés du quartier et s’est donc rattaché progressivement aux syndicats et à la nouvelle force politique locale qu’est le Parti Communiste. Les difficultés des ouvriers sont ainsi légitimées comme « demandes » politiques par ceux des aspirants aux mandats électifs qui se présentent en leur nom, les candidats et élus communistes. À travers eux, ces populations apparaissent politiquement présentes et incluses dans l’échange « démocratique » en tant que groupe diversifié mais homogène, doté d’un destin commun. Réciproquement, les ouvriers sont susceptibles d’interpeller leurs représentants syndicaux ou partisans au sujet des vicissitudes de leur vie quotidienne.

    7L’après-guerre marque l’importance du parti communiste à l’échelle nationale française. Au niveau local, les élus communistes, présents depuis plus de vingt ans à la tête de la commune, constituent à la fois des héros de la Résistance mais symbolisent également une conception prométhéenne de l’humanité pour les ouvriers. Au-delà des symboles, l’échange politique entre représentants communistes et représentés ouvriers est consolidé par la mise en œuvre de réalisations matérielles qui apparaissent comme étant ajustées à leur « demande ». En retour, les élus communistes électoralement rétribués considèrent a priori les ouvriers comme leurs électeurs en puissance. L’installation de la main-d’œuvre, toujours plus abondante dans la commune, nécessite la construction rapide d’un grand nombre de logements. La révolution de la technique de la grue sur rail représente un progrès non négligeable pour l’édification des logements sociaux : environ 3 000 logements seront construits entre 1950 et 1970 avec la création de l’OPHLM (Laffite, 1970, p. 259-273). Le maire communiste de l’époque, Waldeck L’Huillier, se félicite de pouvoir accueillir raisonnablement un grand nombre d’ouvriers qui constitueront l’avenir de la ville4. D’une certaine manière, on pourrait dire que jusqu’au milieu des années 1970 les cités HLM constituent la fierté et « l’emblème » du parti communiste5. Pourtant, l’apparition de bidonvilles où logent les travailleurs immigrés entache l’image de cette ville exemplaire du communisme municipal6. Le sociologue Olivier Masclet montre d’ailleurs que le maire de l’époque n’envisageait absolument pas d’installer dans les barres et tours neuves des travailleurs issus de l’immigration nord-africaine (Masclet, 2003, p. 29-53). Mais en pleine période des Trente Glorieuses, la situation ne semble poser de problème à personne : le parti communiste est assuré de ses soutiens locaux. Il contribue à faire exister une « demande » homogène des habitants – notamment les classes ouvrières stabilisées, constituées à 65 % d’ouvriers travaillant dans les usines de la commune ou de la région –, qu’il présente comme étant le centre de ses préoccupations et dont le bien-être est réputé constituer le moteur de son action. La satisfaction des besoins en logement de ces ouvriers, conformes à des logiques pratiques de constitution d’une clientèle électorale, devient ainsi emblématique de la marque politique communiste et des grandes politiques publiques menées par les communistes en direction des ouvriers.

    8La période suivante connaît des transformations importantes. Suite à la crise qui marque la période des années 1970, on assiste progressivement à la désindustrialisation7, au chômage de masse et à la précarité – phénomènes qui remettent en cause le système social et politique du monde ouvrier. La situation se révèle alors délicate pour les ouvriers d’une manière générale (Beaud et Pialoux, 1999). La perception de leur destin spécifique et commun, qui assurait un sentiment de cohésion de « classe » (Terrail, 1991) tend à diminuer ou disparaître. Les immigrés, occupant des emplois subalternes, se retrouvent les premiers exclus des nouvelles mutations économiques et ont d’autant moins de chance d’adopter la vision d’un « destin ouvrier » socialement valorisant et politiquement valorisable. Le quartier étudié touché par la désindustrialisation voit meurtrie une partie des habitants ouvriers qui sont mis au chômage ou déclassés. La situation paraît encore plus difficile pour les enfants d’ouvriers et d’immigrés qui ne deviendront pas ouvriers et peinent à être salariés. Ces mutations engendrent un sentiment d’abandon de la part de la population ouvrière fragilisée par les transformations économiques, notamment chez les jeunes. Et l’on peut résumer la dégradation de la conjoncture économique en sept phases depuis le milieu des années 1970 qui marque un déclin industriel local affectant plus les jeunes que les adultes :

    • La montée progressive du chômage qui remet en cause les trajectoires ouvrières générationnelles.
    • Au cours des années 1970 et 1980, le fichage au grand banditisme d’une dizaine de jeunes dans la cité étudiée explique les rapports tendus et conflictuels avec la police mais plus généralement avec les institutions.
    • Au début des années 1980, suite à la mise en place des politiques de la ville, le quartier (deuxième de France à devenir l’objet d’intervention de politiques publiques spécifiques) connaîtra un important développement d’associations et d’institutions chargées de s’occuper de la jeunesse. Mais la dénonciation à la fin des années 1980 de malversations individuelles dans les associations et de leur usage à des fins « électoralistes » entraîne un affaiblissement de leur capacité de prise en charge collective.
    • La construction de l’image médiatique et policière des « jeunes issus de l’immigration » comme étant des alliés objectifs de Saddam Hussein en 1991, à l’issue de la première guerre du Golfe, a contribué à renforcer un sentiment d’insécurité chez les familles immigrées.
    • La disparition tragique d’un certain nombre de jeune des suites de la toxicomanie au début des années 1990 (Kokoreff, 2000).
    • L’apparition d’un Islam « visible » dans l’espace public à la fin des années 1980 et les arrestations de certains « barbus » dans le quartier en 1995.
    • La transformation urbanistique ainsi que la rénovation de la cité ont entraîné une forte augmentation des loyers et des impôts locaux, remettant en cause la présence de ces jeunes (et de leurs parents ouvriers) dans le quartier où ils sont nés. Les habitants perdent leurs repères territoriaux passés – ici, les traces physiques l’espace ouvrier, comme les usines désaffectées par exemple – et ne peuvent se projeter dans l’avenir (arrivée des activités tertiaires et de bureau) : ces transformations pour le moins brutales pour la « classe ouvrière locale » sont à l’origine d’une rupture progressive entre les jeunes et les élus. Les enfants d’ouvriers et d’immigrés et leurs parents ne constituent pas une « clientèle » attractive pour les élus contrairement aux ouvriers français arrivés notamment dans l’entre-deux-guerres.

    9C’est dans cette conjoncture que se produit une disjonction entre représentants partisans et représentés « ouvriers ». Ressources politiques et base électorale des élus communistes avant la période des « trente glorieuses », les « banlieues rouges » ont graduellement été perçues comme des « problèmes » au fur et à mesure de la dégradation des conditions de vie et des trajectoires professionnelles de leurs habitants. Dans ce contexte, leur mobilisation électorale apparaît beaucoup plus aléatoire aux élus. Les élus ne les considèrent plus comme porteurs de revendications, d’attentes audibles, susceptibles d’être érigées en « demande » pour laquelle ils pourraient mettre en scène une « réponse » politiquement et électoralement valorisable. Cette « non-demande » procède non seulement de la perception que les élus se font des habitants, mais aussi de la manière dont les jeunes perçoivent les élus. Elle constitue donc bien le résultat d’une transformation réciproque des représentations que les différents protagonistes ont les uns des autres.

    La progression de perceptions négatives entre jeunes des « classes populaires » et élus

    10Il serait erroné d’affirmer que les jeunes des « classes populaires » ont eu, par le passé, de bons rapports avec les institutions et en particulier les acteurs politiques. Les pratiques de sociabilité des enfants d’ouvriers, organisées autour des valeurs de défi et de virilité n’ont jamais été proches de la sociabilité scolaire, du monde institutionnel et encore moins des partis politiques. Toujours est-il que le parti communiste pouvait à la fois encadrer cette jeunesse populaire et pourquoi pas, à terme, former des militants en adéquation avec le rapport viril au monde qui caractérisait celui des ouvriers (Mauger, 2006). Cela étant, depuis quelques décennies, il semblerait que des distances sociales s’instaurent entre les classes populaires et les partis « de gauche » (Rey, 2004). La disparition progressive du « monde ouvrier et du système social qui l’accompagnait » (Dubet et Lapeyronnie, 1992) a affaibli la capacité de mobilisation de la « classe ouvrière » comme sur le terrain de notre enquête au début des années 1990. Cette disparition a également contribué, du côté des électeurs, à leur faire percevoir les partis « de gauche » comme inefficaces pour résoudre leurs problèmes, leur situation économique ne s’étant pas améliorée et leurs chances d’ascension sociale étant perçues comme amoindries. Et la deuxième génération est dans des dispositions similaires au niveau local, les « jeunes de cité » n’ayant jamais représenté une relève militante crédible et sérieuse pour le parti communiste local. Les élus actuels réitèrent leur méfiance envers ces jeunes, ce qui a eu pour conséquence à terme le développement de leur scepticisme à l’égard de l’équipe municipale. La distance entre les primo-migrants et les élus communistes du mouvement ouvrier ne date pas d’hier8, mais la mise à l’écart des enfants d’immigrés par les élus au niveau municipal peut paraître surprenante à plus d’un titre (Masclet, 2003). À l’époque de l’enquête ethnographique, les trois quarts des jeunes manifestent une hostilité certaine envers la municipalité (Marlière, 2005, p. 237 sqq.). Ses décisions à l’égard des pratiques quotidiennes qui encadrent la vie des habitants du quartier et donc notamment celle de la « deuxième génération », sont perçues par celle-ci au mieux comme inappropriées, au pire comme agressives. Les préoccupations ordinaires des habitants de ce quartier ne sont jamais érigées en « demande » dont la satisfaction aurait pu être valorisée par les élus dans leur bilan électoral et ainsi contribuer à la fidélisation de ces électeurs :

    « Ici, ils sont en train de nous écraser ! C’est clair, nous ne sommes pas capables de nous défendre. Moi, j’ai des problèmes avec eux parce que dans les réunions de quartier, je leur dis ce que je pense et ouvertement ! Mais là, depuis qu’ils ont supprimé le marché des (anonyme) et tous les stands maghrébins sous prétexte de rénovation et d’hygiène, il faut que les mecs se réveillent ! En plus, question communication, ils sont forts, ils ont distribué des tracts hauts en couleur en expliquant les raisons et c’est passé comme une lettre à la poste. Personne n’a rien capté, ils nous ont endormi ! » (R., 35 ans, professeur de mathématiques, issu de l’immigration algérienne.)

    11D’autres interviewés se sont au départ reconnus dans la municipalité car, en tant qu’enfants d’ouvriers même immigrés, la question ne se posait absolument pas. Il fallait prendre sa carte du parti et militer pour un intérêt commun : celui du travailleur.

    « À 16 ans, j’avais ma carte au PC. Mais bon, c’est comme partout, j’ai compris vite fait leur manège, j’étais bon à me lever à trois heures du matin et à coller des affiches. Au bout de trois piges, j’ai laissé tomber ma carte. Quand je vois ça, dix ans après, ça me fait sourire. Mais aujourd’hui, je te le dis sincèrement, si je vais voter ce sera pour un autre parti, histoire de leur faire comprendre, il ne faut pas qu’ils nous la jouent à l’envers ! » (28 ans, bagagiste à Air France, délégué syndical à FO, issu de l’immigration algérienne.)

    12Déçu par le parti en général et par les élus en particulier, ce jeune renonce à rester au Parti communiste. Plusieurs types de comportements des élus, dans la gestion municipale comme dans l’encadrement partisan des militants, sont à l’origine du désenchantement d’autres jeunes comme lui. Il y a eu engagement, au départ, puis les déceptions arrivent progressivement, notamment lorsque les « jeunes » considèrent que les élus ou le parti n’ont pas tenu les promesses à leur égard :

    « Ils nous ont baladé. Moi, je me sens toujours de gauche mais quand je vois ce qui se passe au conseil municipal et parfois ce qui se dit sur les immigrés, les jeunes, je suis choqué. Beaucoup d’élus aujourd’hui sont des nantis et ils accumulent des privilèges sur le dos des ouvriers, des travailleurs et de nos parents. J’ai pris mes distances avec le parti et en tant qu’ouvrier d’origine, j’ai du mal à m’y retrouver là-dedans. » (37 ans, informaticien, enfants de parents marocains, ancien conseiller municipal, marié, 3 enfants.)

    13Les héritiers des quartiers populaires, rencontrés sur le terrain, qui ont souvent passé la trentaine, s’estiment trahis par les élus municipaux et déçus par leurs actions. Ce sentiment est exacerbé dans la mesure où ces jeunes, paradoxalement, se réclament ouvriers par leurs pères et résidents du quartier depuis plus de trente ans. Face aux actions des élus communistes, les trentenaires rencontrés dans le quartier manifestent des résistances qu’ils qualifient d’ouvrières (Marlière, 2001, p. 85-96). Les jeunes qui constituaient les nouveaux militants mais qui ont été visiblement déçus ont du mal à voir chez les élus des « ouvriers » semblables à leurs pères, qui eux ont travaillé à l’usine toute leur vie.

    14Au regard des actions municipales, il semblerait que les jeunes issus de l’immigration et leurs parents ne constituent pas une cible électorale pour les élus. Si certains se réclament encore d’une appartenance à la « classe ouvrière » – du moins par leur filiation avec leurs pères « ouvriers par destination » (parce qu’ils sont originaires des campagnes du Maghreb) –, d’autres expriment plus ou moins ouvertement des revendications qualifiées de « communautaires » (Marlière, 2005, p. 115-122) qui les éloignent des thématiques et « valeurs » dites « de gauche » :

    « Pour moi, c’est malheureux à dire mais je préfère la droite à la gauche. Aujourd’hui, la gauche ils se veulent tolérants pour certaines choses qui sont pour moi inadmissibles et pour d’autres choses comme la religion, ils sont intolérants. Par contre, si je n’adhère pas aux idées économiques de la droite, les valeurs proposées sont beaucoup plus respectables ! Pour moi, le parti communiste c’est un parti révolu qui meurt à petit feu depuis la chute du mur. » (26 ans, musulman pratiquant, titulaire d’un BTS électrotechnique à la recherche d’un emploi.)

    15Les élus ont, semble-t-il, déçu ces enfants d’ouvriers et d’immigrés qui ne peuvent accéder à une identité ouvrière valorisée. Beaucoup de jeunes n’ont jamais manifesté d’intérêt pour la politique institutionnelle. La foi religieuse se substitue à l’identité politique « ouvrière » comme élément structurant de leur identité et de leur rapport au monde. Les élus sont alors jugés, pour certains, à travers le prisme de la religion musulmane :

    « Ah, mais le PC c’est clair ! C’est des antireligieux de première catégorie, c’est même leur cheval de bataille. C’est pour ça qu’il y a des tensions avec les jeunes maghrébins à (anonyme). Et même avec ceux qui ne pratiquent pas, pour être bien vu à la mairie faut montrer patte blanche ! Et ça consiste à boire, à fumer, à rejeter sa culture. C’est le visage du parti communiste à (anonyme). Les intérêts des personnes en difficulté, ils s’en foutent sauf si tu croques avec eux ! » (35 ans, ancien travailleur social parti dans une commune voisine mais qui est né et vit toujours dans le quartier et est encore conseiller municipal à l’époque de l’entretien.)

    16Notre terrain ne montre que les rapports qui peuvent exister entre ces jeunes et les élus locaux. Mais dans des communes limitrophes – dirigées par la droite – la situation est pratiquement du même ordre notamment pour ce qui concerne la méfiance des élus envers les jeunes et réciproquement9. Les habitants des quartiers dits sensibles sont ainsi exclus des considérations des acteurs politiques « de gauche » comme « de droite ». À la suite des émeutes de 2005, hormis les « Français de souche » soupçonnés de voter pour un parti d’extrême droite, d’être quelque peu hostiles aux jeunes et aux Maghrébins d’une manière générale, l’ensemble des habitants rencontrés sur le terrain, sans forcément approuver le vandalisme des jeunes émeutiers, disait comprendre finalement leurs gestes (Marlière, 2007, p. 77-92). La situation devient alors difficile à comprendre dans la mesure où dans ce quartier, aucune action de violence n’a été enregistrée. Si le contexte social (en terme de revenu par habitant) n’est guère différent de celui des autres communes de Seine-Saint-Denis, comment analyser l’attitude de rejet de ces habitants « ouvriers » par les élus communistes, qui sont censés représenter « les ouvriers » et être élus par eux ? Comment comprendre que les habitants ne considèrent plus les élus communistes comme les récepteurs de leurs mécontentements et que symétriquement les élus communistes ne se perçoivent plus comme pouvant se présenter en tant que porte-parole de ces habitants ? Comment comprendre que ces groupes auparavant liés, ne se reconnaissent plus dans un échange politique ?

    La difficile fidélisation électorale des banlieues : une demande introuvable

    17Comment est-on passé des « métallurgistes » (de l’entre-deux-guerres aux années 1970) qui constituaient un groupe socialement et politiquement valorisé, mobilisé par les cadres communistes, emblème de leurs luttes, aux « jeunes des cités », catégorie stigmatisée, dévalorisée, réputée sans conscience ou engagement politique ? Il y a encore quarante ans, le « mouvement ouvrier » constituait une force politique réelle autour du parti communiste qui s’y référait pour justifier ses revendications. Quels sont les facteurs qui ont fait progressivement disparaître cette dynamique politique favorable à la catégorie des ouvriers, à laquelle a succédé un ensemble de discours sur « l’exclusion », « l’anomie » et « la précarité » – phénomènes symbolisant, du coup, les difficultés actuelles des classes populaires ? Certes, nous percevons sur le terrain une mutation sur le marché de l’offre symbolique avec l’apparition de nouvelles « normes » de sociabilité autour d’un spectre large allant de la consommation exacerbée à un islam rigoriste chez beaucoup de jeunes (Marlière, 2007). Mais dans l’état actuel des offres politiques en concurrence, aucune ne s’est imposée pour faire émerger une catégorie objectivée dont la mise en scène des « intérêts spécifiques » pourrait donner naissance à des actions publiques électoralement ciblées. Le parti communiste depuis les années 1980 est désormais dans une stratégie de survie, n’étant plus en mesure de défendre les intérêts des travailleurs qui ont encore un emploi, ni d’encadrer une jeunesse populaire dont l’avenir est hypothéqué.

    18Le quartier étudié, qui devient en 1982 le deuxième territoire de France à faire l’objet d’un dispositif relevant de la « politique de la ville » après celui des Minguettes dans la banlieue lyonnaise10, est réputé pour ses nombreux handicaps comme le taux de délinquance ou la pauvreté de ses habitants. Pour les élus communistes, la distance à l’égard des immigrés est déjà consommée depuis les Trente Glorieuses. Mais avec l’affaiblissement de la « classe ouvrière » comme ressource politique et comme électorat identifié, la jeunesse ouvrière – notamment issue de l’immigration – constitue d’autant moins une cible électorale pour la municipalité. Dans un espace en mutation, les politiques de la ville, censées agir sur le quotidien de ces jeunes et de leurs parents, ne sont pas parvenues à re-conflictualiser les problématiques nouvelles autour des « inégalités » et de l’« exclusion » ; elles ont débouché, au contraire, sur les questions d’« insécurité » stigmatisant davantage la jeunesse des cités populaires (Boucher, 2004). Ces nouvelles politiques publiques n’ont guère mieux réussi à résoudre les problèmes matériels qui touchent gravement les habitants des « quartiers sensibles » et encore moins à faire naître une véritable démocratie participative au sein de ces territoires (Tissot, 2007). Si on ne peut parler d’échec de cette forme d’intervention publique (dont on peut penser qu’elle a empêché un processus de ghettoïsation plus poussé connu dans d’autres pays), ce bilan mitigé fait dire à J. Donzelot, l’un des instigateurs de cette politique pourtant, que les habitants des « ghettos », souvent immigrés, sont les laissés-pour-compte des efforts de « modernisation » revendiqués par les élus concernant le reste de la ville : le terme de politique de la ville est « une appellation contrôlée » d’un système administratif de régulation des habitants « à problèmes » pour encadrer les « indigènes », ce qui va à contresens de l’objectif affiché initialement par les promoteurs de la « politique de la ville » (Donzelot, 2006, p. 28). Ceci explique qu’en l’espace d’une vingtaine d’années, les rapports entre la dernière génération ouvrière, les « techniciens du social » et les élus se sont teintés de méfiance réciproque voire d’hostilité.

    19Pour les élus, il s’agit de « contenir » cette jeunesse populaire dont la qualification comme « délinquante » tend à s’imposer dans les commentaires politiques et médiatiques, et qui surtout ne leur apparaît plus comme constituant un électorat fiable et fidélisé. La municipalité perçoit la nécessité de mobiliser une « population nouvelle », qu’il faut aller chercher, tout en entretenant le soutien des « classes populaires », salariées et stables. Les élus communistes se portent désormais garants d’une sorte de « mixité sociale » pour attirer les couches inférieures des « classes moyennes » mais également supérieures des « classes populaires » – une population salariée plus ou moins stable. La municipalité désire revaloriser un quartier qui pâtit d’une mauvaise réputation. Son objectif est alors de restructurer un espace ouvrier désuet par de nouvelles constructions – logements de trois étages accessibles à l’achat, développement d’espace d’activité tertiaire et commerciale, allée piétonne verdoyante et restaurants pour cadres d’entreprise, construction d’un nouveau lycée – afin d’inciter l’installation des classes dites moyennes et revaloriser l’image du quartier : « Un appel qui s’adresse à une fraction particulière des classes moyennes, plus dotée en capital culturel qu’en capital économique et souvent proche du secteur public » (Bacqué et Fol, 1997, p. 201). L’augmentation des loyers et les transformations de l’espace physique et urbanistique génèrent un ensemble de difficultés pour les habitants et un début d’endettement pour les familles ouvrières les plus touchées par la désindustrialisation. Les jeunes du quartier interprètent ces changements comme le signe d’un désintérêt de la municipalité pour leur sort. Ils ne font toujours pas partie des projets de la municipalité qui semble aller chercher ailleurs une nouvelle population, pour améliorer l’image publique du quartier dans les médias et la sienne par conséquent, et pour enrayer la chute de ses scores électoraux dans un contexte où la droite reconquiert certaines mairies de l’ancienne « banlieue rouge ».

    20Les propos de certains jeunes rapportés dans cette contribution sont ainsi révélateurs de véritables tensions qui opposent bon nombre d’entre eux aux élus. Une hypothèse est que l’on assiste à une reconfiguration des modalités et des labellisations de l’intervention publique, et à une réorientation des manières de gérer les populations « à problèmes », qui coïncident avec la promotion d’une économie néo-libérale (Marlière, 2006). Les « jeunes de cité », enfants d’ouvriers et d’immigrés (pour la plupart) qui ne peuvent devenir ouvriers et qui peinent à être salariés, tendent alors à être exclus des nouvelles dynamiques politiques et économiques du pays. Depuis plus de deux générations maintenant, entre celle qui symbolisait la « marche des beurs » en 1983 et celle qui s’est illustrée dans les « émeutes de novembre 2005 » (Beaud et Masclet, 2006), ces jeunes symbolisent une nouvelle forme d’exclusion et font figure de repoussoir. Ils personnifient la « nouvelle classe dangereuse » et les « parias urbains » décrit par L. Wacquant (Wacquant, 2006) dans une société dite post-industrielle qui a nettement fragilisé le sort des ouvriers et de leurs enfants. L’attitude des partis « de gauche » voire « d’extrême gauche » en périodes de violences urbaines et d’émeutes se caractérise par une absence de soutien aux « jeunes » et un embarras masqué (Le Goaziou, 2006). C’est pourquoi cette population de jeunes ne croit plus à la politique ni aux institutions comme l’illustre, par exemple, son absence dans les comités de quartier (Biland, 2007), et elle n’est pas vraiment souhaitée lors des élections ou lors d’événements locaux11 et autres meetings12. La situation est alors complexe et ambivalente pour les élus. Ces derniers cherchent à faire émerger une demande des habitants, mais pas de n’importe lesquels : celle des salariés des professions intermédiaires si possible et des salariés stables du privé. La jeunesse des « quartiers populaires » reste à l’écart des dispositifs mis en place par les élus qui la sollicitent peu. Les jeunes sont sans doute considérés comme la source centrale des « problèmes » dont la presse et l’opposition font état. Cependant, ce n’est que lorsque les élus sont confrontés à des conflits entre jeunes et police ou à des émeutes qu’ils se représentent certains « jeunes de cité » comme d’incontournables interlocuteurs13. En dehors de ces moments de visibilité médiatique, les élus n’entretiennent pas de contacts directs avec la dernière génération ouvrière du quartier et confient à des agents de développement et autres chefs de projets le soin de gérer les « problèmes » comme la délinquance, la toxicomanie ou bien encore l’exclusion et le chômage. Le travail social, à travers les éducateurs spécialisés et autres animateurs associatifs, effectue alors une sorte de « gestion des risques » où l’on surveille les jeunes des quartiers dits sensibles à travers ce que R. Castel appelle le psychologisme et le comportementalisme (Castel, 1981). Les missions des travailleurs sociaux évoluent en fonction des difficultés rencontrées par les jeunes qui sont globalement perçus comme « instables », « dangereux » – pour ne pas dire « infréquentables » – par un grand nombre d’élus de cette municipalité communiste qui a changé de cible électorale. Cet encadrement contribue par conséquent à ne plus faire exister leurs mécontentements ou insatisfactions comme « demande » à traiter politiquement.

    Conclusion

    21Face à un monde qui voit l’affaiblissement des classes populaires, les habitants des cités (notamment les enfants d’immigrés) sont confrontés à cinq problèmes majeurs :

    • Ils ne s’inscrivent plus dans les dynamiques politiques et économiques actuelles.
    • Ils sont perçus comme les nouveaux « ennemis de l’intérieur ». – Ils ne sont guère représentés dans les partis et les syndicats, à l’image des classes populaires affectées par le déclin des socialismes.
    • Ils se retrouvent confinés dans des espaces publics (les espaces résidentiels tels que les halls d’immeubles) soumis à la stigmatisation médiatique, à l’exclusion politique et à la disqualification économique et sociale dans le cadre du développement d’une « culture de rue » (Bourgois, 2001).
    • Enfin, sur le plan local, les transformations urbanistiques à travers une volonté de « mixité sociale » remettent en cause la présence des ouvriers et surtout celle des immigrés et de leurs enfants.

    22Le parti communiste local ne s’est jamais véritablement intéressé aux travailleurs immigrés, d’une manière générale. Pourtant, beaucoup d’élus des partis communistes sont originaires des milieux ouvriers à l’instar de ces « jeunes de cité » rencontrés dans nos enquêtes. Mais, au regard de nos travaux, les points communs ne sont pas très nombreux. Au-delà du choc générationnel, du passé migratoire de ces jeunes et des mutations en cours qui voient l’atomisation de la « classe ouvrière », les élus communistes de nos différents terrains – qui appartiennent, de nos jours, à un parti qui a renoncé à améliorer le sort des classes populaires et aspire, bien au contraire, à de la stabilité et surtout à la survie électorale – constituent un groupe de plus en plus éloigné de la situation sociale de leurs administrés ouvriers et immigrés. Dans ce contexte, la population immigrée nord-africaine se compose d’individus arrivés après les ouvriers français qui se sont installés dans les « banlieues rouges » dans l’entre-deux-guerres. Les comportements partisans et municipaux des élus, pourtant issus de cette fraction la plus ancienne de la « classe ouvrière », aboutissent à ce que les nouveaux venus ne puissent s’organiser eux-mêmes, avec leurs propres systèmes de valeurs, leurs croyances et leurs religions14. C’est pourquoi les jeunes issus de l’immigration, pour la plupart nés en France et donc citoyens français à part entière, paraissent suspects aux yeux de ces édiles : les « jeunes des cités » sont tenus pour responsables de la mauvaise réputation de la commune. Ainsi, pour survivre et se construire un nouvel électorat, ils tentent de revaloriser l’image de la ville en se portant garant d’une certaine « mixité sociale ». Les difficultés propres de ces jeunes ne sont donc plus perçues et définies par les élus, en quête d’électeurs fiables, comme des « demandes » qu’il importe de faire exister politiquement.

    23Les politiques publiques mises en œuvre dans la commune apparaissent alors scindées entre d’une part les politiques de la ville, destinées aux habitants des quartiers populaires, qui, en les singularisant, renforcent leur stigmatisation, et d’autre part les politiques sectorielles générales, qui apparaissent du coup réservées aux autres habitants. Les politiques de la ville sont mises en œuvre par les municipalités dans le souci de maintenir la cohésion sociale afin que les marginaux, immigrés, « jeunes de cité » ne créent pas « trop de problèmes » dans la commune. Les services municipaux (hormis les services sociaux et les politiques de la ville) s’adressent aux petites « classes moyennes » à travers la construction de logements accessibles à la propriété ou par le développement de transports en commun pour se rapprocher de Paris et des nouveaux pôles dynamiques comme le quartier d’affaires de La Défense. C’est pourquoi les jeunes du quartier s’estiment, en fin de compte, trahis par des élus qui revendiquent pourtant toujours la représentation des classes populaires en difficulté. Il est essentiel, pour appréhender le constat de « méfiance réciproque » entre jeunes des « quartiers » et élus, d’analyser les comportements sociaux de la jeunesse des quartiers populaires. En effet, on note, du moins sur notre terrain, une prise de distance avec les formations politiques en général, la place nouvelle et grandissante du religieux dans les structurations identitaires, l’extension des processus d’individuation qui mène à l’individualisme mais aussi l’amplification d’un sentiment d’injustice à l’égard de la société et de ses institutions (Marlière, 2008). Ainsi, nous serions plus aptes à comprendre les attitudes cyniques d’une jeunesse des « quartiers sensibles » qui s’estime en quelque sorte laissée-pour-compte par les élus municipaux de gauche mais plus généralement par les institutions républicaines.

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    Notes de bas de page

    1 Même si depuis plus de vingt ans, les usines ferment, les ateliers sont démantelés et forment un cortège de chômeurs et de déclassés. À titre de témoignage ethnographique qui met en scène les résistances ouvrières locales contre la fermeture de l’usine Chausson, l’entreprise la plus importante de la commune, voir Massera et Grason, 2004.

    2 Au sein même du milieu universitaire, les analyses montrant la distance entre les « jeunes de cité » appartenant au monde populaire, et les partis politiques de gauche censés représenter leurs intérêts, suscitent des réticences, cf. Rey, 2004.

    3 Notamment au milieu des années 1930 lorsque le parti communiste arrive au pouvoir et annonce d’une certaine manière la naissance des « banlieues rouges » et du mouvement ouvrier.

    4 Pour comprendre les enjeux passés je renvoie à la bibliographie du maire de l’époque. Cf. L’Huillier, 1982.

    5 Pour comprendre les logiques politiques qui sous-tendent le communisme municipal à l’époque voir l’exemple de Montreuil : Tissot, 2003, p. 123-129.

    6 Pour plus d’informations, cf. Sayad, 1995.

    7 On entend ici par la fermeture progressive des usines à partir du début des années 1980.

    8 Voir les rapports entre les élus et les immigrés dans les Trente Glorieuses. Au niveau national, cf. Noiriel, 2001.

    9 Pour la commune voisine, celle d’Asnières, dirigée par la droite voir Kokoreff, 2003.

    10 Qui a connu, rappelons-le, la première émeute médiatique en France.

    11 Lors d’une réunion dans le cadre du Contrat local de Sécurité, nous avons pu observer la présence d’un public âgé souvent féminin (octogénaires pour certaines) dénoncer auprès d’élus la présence de jeunes garçons dans les espaces publics résidentiels où nuisances sonores et « incivilités » sont le lot quotidien.

    12 Lors de certaines observations menées dans ces comités de quartier, il est saisissant de voir les reproches faits aux élus par certains jeunes. Les débordements sont également fréquents. La tension laisse place à de l’hostilité et de la rancœur.

    13 Pour mieux comprendre le rapport ambiguë qui s’instaure entre élus et « jeunes des cités » notamment en cas d’émeutes, violences ou autres désordres urbains voir Fontaine, 2007.

    14 Pour comprendre les logiques de l’exclusion au sein d’un même espace social et territorial entre « anciens » et « nouveaux » dans une commune ouvrière de l’Angleterre. Cf. Elias et Scotson, 1997.

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    • Eric Marlière
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    1 Même si depuis plus de vingt ans, les usines ferment, les ateliers sont démantelés et forment un cortège de chômeurs et de déclassés. À titre de témoignage ethnographique qui met en scène les résistances ouvrières locales contre la fermeture de l’usine Chausson, l’entreprise la plus importante de la commune, voir Massera et Grason, 2004.

    2 Au sein même du milieu universitaire, les analyses montrant la distance entre les « jeunes de cité » appartenant au monde populaire, et les partis politiques de gauche censés représenter leurs intérêts, suscitent des réticences, cf. Rey, 2004.

    3 Notamment au milieu des années 1930 lorsque le parti communiste arrive au pouvoir et annonce d’une certaine manière la naissance des « banlieues rouges » et du mouvement ouvrier.

    4 Pour comprendre les enjeux passés je renvoie à la bibliographie du maire de l’époque. Cf. L’Huillier, 1982.

    5 Pour comprendre les logiques politiques qui sous-tendent le communisme municipal à l’époque voir l’exemple de Montreuil : Tissot, 2003, p. 123-129.

    6 Pour plus d’informations, cf. Sayad, 1995.

    7 On entend ici par la fermeture progressive des usines à partir du début des années 1980.

    8 Voir les rapports entre les élus et les immigrés dans les Trente Glorieuses. Au niveau national, cf. Noiriel, 2001.

    9 Pour la commune voisine, celle d’Asnières, dirigée par la droite voir Kokoreff, 2003.

    10 Qui a connu, rappelons-le, la première émeute médiatique en France.

    11 Lors d’une réunion dans le cadre du Contrat local de Sécurité, nous avons pu observer la présence d’un public âgé souvent féminin (octogénaires pour certaines) dénoncer auprès d’élus la présence de jeunes garçons dans les espaces publics résidentiels où nuisances sonores et « incivilités » sont le lot quotidien.

    12 Lors de certaines observations menées dans ces comités de quartier, il est saisissant de voir les reproches faits aux élus par certains jeunes. Les débordements sont également fréquents. La tension laisse place à de l’hostilité et de la rancœur.

    13 Pour mieux comprendre le rapport ambiguë qui s’instaure entre élus et « jeunes des cités » notamment en cas d’émeutes, violences ou autres désordres urbains voir Fontaine, 2007.

    14 Pour comprendre les logiques de l’exclusion au sein d’un même espace social et territorial entre « anciens » et « nouveaux » dans une commune ouvrière de l’Angleterre. Cf. Elias et Scotson, 1997.

    La figure de «l'habitant»

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    Ce livre est cité par

    • Jacquot, Sébastien. (2015) Politiques de valorisation patrimoniale et figuration des habitants en banlieue parisienne (Plaine Commune). EchoGéo, 33. DOI: 10.4000/echogeo.14317
    • Mazeaud, Alice. (2012) L'instrumentation participative de l'action publique : logiques et effets. Une approche comparée des dispositifs participatifs conduits par la région Poitou-Charentes. Participations, N° 2. DOI: 10.3917/parti.002.0053
    • Naour, Gwenola Le. (2024) Développer de nouveaux savoirs pour en finir avec « l’acceptabilité sociale » des risques industriels. Questions de communication, 45. DOI: 10.4000/11wxa
    • Petit, Guillaume. (2014) Participations ordinaires et extraordinaires. Des appropriations différenciées d'une offre institutionnelle de participation municipale. Participations, N° 10. DOI: 10.3917/parti.010.0085
    • Blatrix, Cécile. (2009) La démocratie participative en représentation. Sociétés contemporaines, n° 74. DOI: 10.3917/soco.074.0097
    • Petit, Guillaume. Bedock, Camille. Lefebvre, Rémi. Paoletti, Marion. (2022) Faire face à la contestation de la représentation politique : le rapport des élu.e.s à la démocratie. Politique et Sociétés, 41. DOI: 10.7202/1088646ar
    • Anquetin, Virginie. (2012) Un « bon » maire. Sociétés contemporaines, n° 88. DOI: 10.3917/soco.088.0099
    • Hamman, Philippe. (2012) Sociologie urbaine et développement durable. DOI: 10.3917/dbu.hamma.2012.01.0165
    • (2014) Les mondes de la communication publique. DOI: 10.4000/books.pur.71825
    • Safa, Audrey. (2024) Les chemins de traverse de la parole habitante. Terrains & travaux, N° 43. DOI: 10.3917/tt.043.0053
    • Gourgues, Guillaume. Mazeaud, Alice. (2018) L’action publique saisie par ses « publics ». DOI: 10.4000/books.septentrion.37491
    • Pecqueur, Bernard. Zuindeau, Bertrand. (2010) Développement durable et territoire. DOI: 10.4000/books.septentrion.15386
    • Anquetin, Virginie. Cuny, Cécile. (2016) La « parole des habitants » sous contrôle ? Compétition politique et participation citoyenne à Besançon et à Strasbourg. Métropoles. DOI: 10.4000/metropoles.5358
    • Gourgues, Guillaume. Rui, Sandrine. Topçu, Sezin. (2013) Gouvernementalité et participation. Participations, N° 6. DOI: 10.3917/parti.006.0005
    • Goutouly-Paquin, Geneviève. Paquin, Claude. Bordeaux, Marie-Christine. (2012) La participation des habitants dans les études commanditées. L'Observatoire, N° 40. DOI: 10.3917/lobs.040.0073
    • Artioli, Francesca. (2014) Comment gouverner une population invisible ?. Métropoles. DOI: 10.4000/metropoles.4868
    • Anquetin, Virginie. (2015) La domination mayorale – Analyser l’exercice du pouvoir des maires comme une société de cour. Revue française d'administration publique, N° 154. DOI: 10.3917/rfap.154.0471
    • Auclair, Elizabeth. Hertzog, Anne. (2015) Grands ensembles, cités ouvrières, logement social : patrimoines habités, patrimoines contestés. EchoGéo, 33. DOI: 10.4000/echogeo.14360
    • (2015) Inovação, território, e arranjos cooperativos. DOI: 10.4000/books.oep.382
    • Auclair, Elizabeth. Hertzog, Anne. (2015) High-rise Estates, Industrial Tenements And Social Housing : Concerns And Controversies Around Inhabited Heritage Sites. EchoGéo, 33. DOI: 10.4000/echogeo.14376
    • (2014) Le peuplement comme politiques. DOI: 10.4000/books.pur.59962
    • Chavanon, Morane. (2014) La mise en récit participative du passé migratoire local : le défi d'une mémoire partagée, entre projet urbain et mobilisation politique. Participations, N° 10. DOI: 10.3917/parti.010.0039
    • (2015) Innovations, territoires et arrangements coopératifs. DOI: 10.4000/books.oep.740

    Ce chapitre est cité par

    • Marlière, Éric. (2021) Émeutes urbaines, sentiments d’injustice, mobilisations associatives. SociologieS. DOI: 10.4000/sociologies.3521
    • Pasquier, Romain. Guigner, Sébastien. Cole, Alistair. (2011) Dictionnaire des politiques territoriales. DOI: 10.3917/scpo.cole.2011.01.0527
    • Marlière, Éric. (2022) Jeunes métallos/jeunes des « cités » et les institutions d’encadrement dans l’histoire sociale des quartiers populaires urbains : rétrospective sur les métamorphoses d’un conflit permanent. Sciences & Actions Sociales, N° 16. DOI: 10.3917/sas.016.0190
    • Marlière, Éric. (2024) Désillusion des militants des « quartiers » envers l’engagement politique. Retour sur une enquête dans la banlieue nord de Paris. Revue européenne des migrations internationales, vol. 40 - n°2 et 3. DOI: 10.4000/12hu0
    • Bensoussan, Bernard. Cordonnier, Sarah. (2011) La convocation des médias dans le récit mémoriel local. Études de communication. DOI: 10.4000/edc.2973
    • Gouard, David. (2014) Sociabilités générationnelles et légitimité politique alternative dans l’ancienne banlieue rouge. Lien social et Politiques. DOI: 10.7202/1024739ar
    • Marlière, Éric. Fontaine, Séverine. (2011) La médiation de rue comme régulation des désordres urbains. Pensée plurielle, n° 26. DOI: 10.3917/pp.026.0013
    • Marlière, Éric. (2013) Ségrégation et fragmentation dans les métropoles. DOI: 10.4000/books.septentrion.7831
    • Marlière, Éric. (2014) Les recompositions culturelles des « jeunes de cité » à l’épreuve des déterminismes sociaux et des effets du chômage, de la discrimination et de la ségrégation urbaine. Lien social et Politiques. DOI: 10.7202/1021158ar

    La figure de «l'habitant»

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    Marlière, E. (2009). 5. Des « ouvriers communistes » aux « jeunes des cités » : histoire croisée de la non-reconstruction d’une demande sociale. In V. Anquetin & A. Freyermuth (éds.), La figure de «l’habitant». Rennes: Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.10142
    Marlière, Eric. « 5. Des « ouvriers communistes » aux “jeunes des cités” : histoire croisée de la non-reconstruction d’une demande sociale ». In La figure de «l’habitant», édité par Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth. Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2009. doi:10.4000/books.pur.10142.
    Marlière, Eric. « 5. Des « ouvriers communistes » aux “jeunes des cités” : histoire croisée de la non-reconstruction d’une demande sociale ». La figure de «l’habitant», édité par Virginie Anquetin et Audrey Freyermuth, Presses universitaires de Rennes, 2009, https://doi.org/10.4000/books.pur.10142.

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    Anquetin, V., & Freyermuth, A. (éds.). (2009). La figure de «l’habitant». Rennes: Presses universitaires de Rennes. https://doi.org/10.4000/books.pur.10122
    Anquetin, Virginie, et Audrey Freyermuth, éd. La figure de «l’habitant». Rennes: Presses universitaires de Rennes, 2009. doi:10.4000/books.pur.10122.
    Anquetin, Virginie, et Audrey Freyermuth, éditeurs. La figure de «l’habitant». Presses universitaires de Rennes, 2009, https://doi.org/10.4000/books.pur.10122.
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