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  • 1. Gouverner au nom des habitants
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    Plan détaillé Texte intégral La construction collective du stationnement comme « demande » des habitants L’investissement du maire sur le « terrain » médiatique : une contrainte de rôle Les registres de « réponse » au problème du stationnement : entre intervention médiatique et action publique « emblématique » Bibliographie Notes de bas de page Auteurs

    La figure de «l'habitant»

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    1. Gouverner au nom des habitants

    Métier d’élu, action publique et médias locaux

    Nicolas Bué et Jérémie Nollet

    p. 35-54

    Entrées d’index

    Index géographique : France

    Texte intégral Bibliographie BIBLIOGRAPHIE Notes de bas de page Auteurs

    Texte intégral

    1Le langage économiciste de la « demande », par lequel les acteurs politiques mais aussi leurs observateurs (journalistiques ou savants) décrivent les transactions entre les élus et leurs mandants, véhicule l’idée que le travail de l’élu consiste à répondre aux demandes des habitants, c’est-à-dire à se placer à leur écoute, puis, jouant d’une double légitimité élective et technique, à prendre les mesures attendues. Or, abandonnant le regard macroscopique qu’induit la métaphore marchande, l’observation au plus près des pratiques constitutives du métier d’élu local1 montre que répondre à la demande consiste davantage en une gestion constante et protéiforme de ce qui est considéré comme une « demande ». Celle-ci, à l’instar de l’opinion publique, ne peut être considérée comme une donnée mesurable et objective, ni comme un pur artéfact, mais comme « ce qui est perçu comme tel par des acteurs politiques [et par d’autres] ayant de bonnes raisons d’y croire » (Siméant, 2003, p. 99)2. Il s’agit donc ici de prendre la mesure de l’enjeu pratique que représente la demande des habitants pour un maire, des ressources dont il dispose pour agir sur cette demande, des formes que prend cette action et des conditions dans lesquelles elle intervient. Nous nous appuierons sur l’étude de la politique de réaménagement du centre-ville de Calais – ville moyenne de 75 000 habitants – qui a donné lieu à une intense controverse autour d’un de ses aspects : l’extension du stationnement payant. L’action publique municipale sur ce dossier a été remise en cause, aussi bien par l’opposition municipale que par une association de riverains. Elle a fait l’objet d’une exceptionnelle médiatisation, ce qui en a quelque peu modifié les conditions pratiques. Le champ journalistique local a en effet (co) produit une représentation négative de l’action du maire – présumée contraire à la demande des habitants – qui a mis à mal la prééminence de l’élu dans la représentation des habitants. La définition de la demande est devenue l’enjeu d’une lutte globale, mettant aux prises des acteurs aux intérêts divergents en la matière : le maire et le personnel politique, les journalistes locaux et même une partie des habitants. Comprendre les stratégies et les savoir-faire que le maire3 déploie pour « gérer » la demande des habitants nécessite donc de reconstituer la configuration plus large dans laquelle cette lutte prend place, et de l’y situer.

    2Sans contester le fait que les élus peuvent vouloir satisfaire les attentes des habitants, nous montrerons au final que cette demande fait surtout l’objet d’une réponse symbolique et communicationnelle, située sur le même terrain – médiatique – que celui où la demande est exprimée, tandis que les « réponses » substantielles sous forme de mesures d’action publique sont marginales. Pour ce faire, il faut d’abord présenter les logiques sociales de construction de cette « demande », c’est-à-dire de la représentation problématique de la question du stationnement payant. En resserrant ensuite la focale sur le rôle de maire, nous pourrons expliquer l’investissement de l’équipe municipale sur la question, et comprendre pourquoi la demande des habitants (telle que les médias locaux la donnent à voir) a pu constituer un repère structurant pour celle-ci. Il sera alors possible de rendre compte plus précisément de l’attitude et des pratiques du maire face au problème ainsi construit.

    La construction collective du stationnement comme « demande » des habitants

    3Alors que la rénovation du centre-ville a longtemps constitué une cause consensuelle à Calais, une opposition s’est progressivement construite autour de ce qui peut apparaître comme un des volets du projet mis en œuvre dans ce cadre4 : l’extension de la zone de stationnement payant. La confrontation d’intérêts divergents a débouché sur une représentation dominante de ce que serait la demande des habitants, stabilisée autour de la représentation médiatique du problème, à savoir le refus de l’extension du stationnement payant.

    La postulation d’une demande par l’offre : genèse de la politique de stationnement payant

    4Dans cette ville marquée par les séquelles de la guerre, la rénovation du centre-ville est une composante récurrente de l’offre politique. Mise à l’agenda municipal avec l’arrivée au pouvoir d’une liste d’union de la gauche en 19715, elle est relancée avec la construction du Tunnel-sous-la-Manche (fin des années 1980). Une démarche de « projet de ville » est alors lancée, accompagnée d’une grande campagne de promotion et de consultation des habitants. Le projet prend du retard sur le calendrier initialement prévu, si bien que la rénovation du centre-ville est un enjeu central de la campagne électorale de 2001 – la plupart des six listes en concurrence l’inscrivant en tête de leur programme. Dès son arrivée au poste de maire en 2000, Jacky Hénin (PCF) se réapproprie le projet de ville, où la « revitalisation » du « cœur de ville »6 est censée initier une dynamique économique supposée faire prospérer l’ensemble de la cité7. « Attendu » de longue date et placé sous les auspices unificateurs du développement local8, le projet présente ainsi toutes les apparences de la cause consensuelle. Il vient alors au premier plan de l’agenda médiatique, et les divers discours sociaux9 convergent pour imputer ce projet au nouveau maire (Le Bart, 1992). La rénovation du centre-ville articule plusieurs dossiers, dont la construction d’une vaste galerie commerciale (les « 4 Boulevards » ou « 4B »). Cette mesure phare est accompagnée d’une réfection des boulevards, mais aussi de l’extension de la zone de stationnement payant.

    5Initialement, la question du stationnement payant est disjointe de celle de la rénovation du centre-ville. C’est en 1992 que la ville instaure un stationnement payant, à la suite des « demandes » des commerçants, soucieux que leurs clients puissent se garer facilement. Mais avec le coût de l’amortissement des horodateurs et une politique souple de verbalisation, le service est déficitaire. Seuls l’extension de la zone de stationnement payant et le changement de ses modalités (création de deux zones tarifaires, politique de verbalisation active, etc.) sont donc liés à la rénovation du centre-ville. Il s’agit d’éviter que le parking privé des 4B soit lui-même déficitaire, pour cause de concurrence de places moins chères à proximité.

    6Avec cette mesure, l’opération de réaménagement a priori consensuelle offre une prise à la contestation.

    La production collective d’une demande alternative

    7À cette représentation de la demande portée par l’offre de rénovation du centre-ville, la plupart des acteurs politiques opposent, à partir de 2003, une vision alternative, hostile à l’extension du stationnement payant.

    8Dès le changement des modalités du stationnement, un mouvement de contestation de type NIMBY10 se met en place. Le fer de lance en est une association de riverains, qui se proclame apolitique, bien que sa principale porte- parole soit une des figures de proue locales de Lutte Ouvrière : c’est en effet sous son identité d’habitante qu’elle prétend mener cette lutte (Collovald, 1988). Disposant de faibles ressources politiques, l’association déploie une stratégie d’accès aux médias, enchaînant les « manifestations de papier » (Champagne, 1984) et autres actions spectaculaires à même de susciter l’intérêt des journalistes : manifestations sur les boulevards où sont situées les rédactions de la radio et des deux journaux locaux, pétition recueillie sur les mêmes boulevards, perturbation d’une séance de conseil municipal, provocation d’un face-à-face avec le maire dans les locaux de la mairie, etc. La visibilité médiatique de cette petite association lui permet de s’imposer comme un acteur majeur de ce dossier malgré la faiblesse de ses ressources politiques. Ce faisant, « les journaux [viennent] ainsi modifier le rapport des forces politiques locales en élevant au rang d’opposants légitimes des personnes qui, auparavant, n’avaient aucun poids dans le jeu politique local » (Roubieu, 1994, p. 86).

    9Cette mobilisation « apolitique » est rapidement relayée par de nombreux acteurs partisans, au premier rang desquels l’opposition municipale de droite, pour qui cette contestation « citoyenne » est une aubaine : alors que le maire est en position de leadership depuis son élection et que son action est soutenue par les milieux économiques jusqu’en 200511, les élus de droite peinent à contester son action12. Plus généralement, pour les oppositions (LO, UMP, FN ou UDF), la mobilisation des riverains associée à sa médiatisation offre une brèche pour contester le projet de rénovation et affaiblir la position du maire. Au sein de la coalition municipale majoritaire, le silence est de mise. Si les élus écologistes se félicitent d’une mesure qui peut réduire la place accordée à la voiture, les autres composantes minoritaires (PS, MDC, MRG) se gardent de prendre position13, liées qu’elles sont par les engagements coalitionnels. Pour leur part, si beaucoup de militants et même d’élus communistes sont contre cette mesure, ils n’expriment leur opposition qu’en interne, « esprit de parti14 » oblige. Pour la majorité municipale, il s’agit d’assumer une mesure qu’elle a votée, fût-ce a minima. Les prises de position sur cette problématique correspondent ainsi aux positions de chacun dans le champ partisan15.

    10La médiatisation de la contestation conforte ces prises de position – qui peuvent intuitivement paraître incohérentes au regard des traditions idéologiques des différents partis16 – dans la mesure où elle renforce leur efficacité supposée comme coups contre le maire. Ajustées sur le fond à la médiatisation, les prises de position sur ce dossier le sont aussi sur la forme dans la mesure où elles sont exprimées selon des modalités pratiques conformes aux exigences du travail journalistique. Les luttes politiques autour de l’opération d’aménagement se déroulent donc essentiellement dans une « arène » où les médias locaux occupent une place centrale et structurante17. Ce faisant, les acteurs politiques sont exposés à ce que les journalistes les sanctionnent par une couverture critique ou bienveillante.

    La co-construction d’une demande par les médias

    11Loin d’être de simples « reflets » ou « médiateurs » des opinions de la société locale, les médias sont pris dans des logiques de fonctionnement qui les amènent à prendre part de façon partiellement autonome au processus de construction de la demande des habitants, et donc à concurrencer les élus sur ce terrain. Les médias locaux fournissent une mise en récit qui, de facto, concourt à structurer l’espace des discours politiques possibles18. Dans le cas du réaménagement du centre-ville, le traitement médiatique réduit pratiquement la critique légitime à la seule question du stationnement, ce qui a pour effet de consacrer la contestation et, par là même, l’idée d’une action mayorale contraire à la volonté des habitants.

    12Sur les cinq années qu’a duré le réaménagement effectif du centre-ville, la couverture journalistique s’est déclinée en divers cadrages qui participent davantage du consensus sur la nécessité du réaménagement19 et de l’intérêt constant pour ce dossier que d’interrogations critiques20. Il s’agit à chaque fois de rendre compte de l’avancement du dossier et, en un sens, d’en mettre en scène les différents aspects, voire de les célébrer : annonce du choix du promoteur, enquête publique, suivi des travaux, et bien sûr inauguration. Une telle représentation de l’actualité locale tient notamment à la dépendance pratique des journalistes aux sources institutionnelles. Calant son agenda sur celui des institutions, faisant des déclarations des principaux acteurs locaux une des matières premières de l’actualité, la presse développe une représentation de la réalité territoriale très proche de celle des pouvoirs locaux. Plus fondamentalement, la politique de rénovation du centre-ville de Calais, comme la plupart des projets d’aménagement urbain, correspond bien aux catégories de la newsworthyness des journalistes locaux, qui prend ici la forme d’un intérêt local territorialisé. La presse locale

    « […] est portée à sélectionner les personnages, les événements qui valorisent un “nous” territorialisé, d’où l’importance donnée aux réussites locales, à la vie associative, et corrélativement l’extrême prudence dans la couverture de tout ce qui peut faire conflit entre acteurs du local, la quasi-inexistence de scoops sur des “affaires” mettant en cause des pouvoirs locaux. » (Neveu, 2001, p. 30-31.)

    13En fait, la critique de la politique de réaménagement du centre-ville donnée à voir dans les médias se limite à une question a priori secondaire : l’extension du paiement du stationnement autour du nouveau centre commercial. Si la lecture de la presse donne l’impression qu’existerait une demande évidente des habitants pour préserver la gratuité, la constitution de cette mesure en problème politique est en partie le produit des logiques du travail journalistique.

    14Parmi celles-ci, la question du rapport des journalistes aux sources d’information est déterminante (Schlesinger, 1992). Ainsi, le choix effectué par le rédacteur en chef de Nord Littoral (NL) de confier le suivi du dossier « centre-ville » au journaliste spécialiste des questions commerciales n’est pas neutre pour la représentation médiatique de cette politique publique. Les interlocuteurs habituels de ce journaliste sont fréquemment sollicités sur ce dossier, si bien que l’image de « la demande » (co) produite par les médias tend en partie à reproduire les intérêts des commerçants en matière de stationnement. Plus généralement, les routines pratiques du travail des journalistes contribuent à expliquer le cadrage de la question du stationnement. C’est par exemple le cas des techniques consistant à recueillir la parole des profanes (« micro-trottoir », courrier des lecteurs, compte rendu de réunions publiques de concertation…) ; celles-ci sont fortement valorisées dans la PQR car, aux yeux des journalistes, elles permettent aux lecteurs de s’approprier le journal, et, partant, de maximiser les ventes. Mais leur usage n’est pas sans incidence sur la représentation de l’opinion qui en résulte ; en suscitant des discours spontanés et atomisés, ces techniques d’enquête favorisent l’expression des opinions les plus communes et donnent une représentation individualisée des problèmes sociaux21 (« mieux vaut un stationnement “gratuit” qu’un stationnement payant »). La focalisation de l’attention journalistique sur la question du stationnement payant tient enfin aux représentations que les journalistes se font des attentes de leurs lecteurs. Pour « couvrir » l’actualité du réaménagement du centre-ville, les journalistes ont en effet tendance à choisir des « angles » réputés intéresser les lecteurs (et donc être « vendeurs22 »). Ce dossier est par exemple traité sous l’angle de la polémique23, ou sous celui de l’information pratique (information sur les places de parking gratuit, sur les pratiques de la nouvelle police municipale, etc.)24, ce qui réduit la question du stationnement à son coût considéré à l’échelle du consommateur.

    15Le problème du stationnement est ainsi désarticulé de la question plus vaste du réaménagement du centre-ville, dont d’autres aspects (comme l’implantation du centre commercial) sont autonomisés et légitimés25. Par ailleurs, le stationnement payant est surtout envisagé sous un angle individuel et pratique (les modalités directement visibles par les usagers), au détriment d’une vision plus « politique » et idéologique (financement par l’impôt vs. financement par le stationnement payant par exemple). Ce cadrage médiatique vient s’aligner sur celui du comité de riverains et de l’opposition partisane au maire, offrant une grande publicité à la critique du projet mayoral. Dans le processus de construction d’une représentation dominante de la demande des habitants, le maire se retrouve ainsi isolé, tandis que les opinions d’habitants construites par les journalistes font écho aux prises de position critiques de la mesure municipale.

    16À l’instar des verdicts électoraux (Lehingue, 2005), la « demande des habitants » est le produit d’un processus concurrentiel où chaque acteur (individuel et collectif) est amené à se représenter et à représenter cette « demande » de manière partiellement spécifique, en raison des contraintes liées à sa position, des règles et enjeux propres à son champ, mais aussi des outils qu’il utilise. Or, l’usage récurrent de l’accès aux médias dans les stratégies politiques conduit les acteurs à faire de la représentation médiatisée du problème un point de référence. La production de cette représentation reposant en partie sur les règles propres au fonctionnement des médias26, les médias exercent de fait une fonction d’arbitrage des stratégies politiques.

    L’investissement du maire sur le « terrain » médiatique : une contrainte de rôle

    17On ne peut comprendre pourquoi la représentation médiatique de la demande des habitants concernant ce dossier constitue un enjeu politique central pour l’équipe mayorale sans expliciter la prégnance – variable – de la communication dans l’exercice du métier d’élu. Le développement du marché de la communication depuis les années 1980 a en effet modifié le jeu politique local (Poirmeur, 1991)27. Si le soupçon de gestion illégitime (i. e. contraire à la demande des habitants) induit par le traitement médiatique du stationnement payant a autant mobilisé l’équipe municipale comme ses opposants, c’est parce que l’idée que la légitimité des élus se jauge en partie à l’aune de leur représentation médiatique constitue une croyance partagée, alimentée par des pratiques et instituée dans des dispositifs.

    Une catégorie de l’entendement politique : la représentation médiatique comme anticipation de la sanction électorale

    18La réception médiatique des décisions publiques constitue pour les élus un critère de calcul politique (variable en fonction de la configuration), parce qu’ils y voient bien souvent une anticipation d’une sanction électorale potentielle. C’est pourquoi le dossier du stationnement payant est vécu par l’équipe mayorale28 comme « sensible » (i. e. porteur d’un risque politique). Le fait que le maire attribue la chute de sa cote de popularité – de 77 % en 2004 à 67 % d’opinions favorables en 2007 – à la « guerre » avec NL est une manifestation de la croyance selon laquelle une presse hostile (comme une absence de couverture médiatique) est une menace dans une perspective électorale :

    « Entre 2004 et aujourd’hui, ce qui a fondamentalement changé et auquel j’ai dû faire face seul, c’est un an de guerre avec NL, c’est un conflit ouvert avec le président de la CCI, Jean-Marc Puissesseau, et c’est le stationnement29. »

    19Ce pouvoir prêté aux médias nourrit une vision du jeu politique où la médiatisation et la communication constituent un enjeu central, notamment pour la conduite de l’action publique. L’observation prolongée des réunions d’élus (bureaux municipaux et réunions du groupe des élus communistes) a ainsi permis de mettre en évidence le souci récurrent de l’impact électoral des décisions prises, mais aussi, corrélativement, celui du traitement médiatique de l’action menée. Les responsables politiques locaux (élus ou non) lisent quotidiennement la presse locale ; ils peuvent ainsi ajuster leurs prises de position à cette sorte de veille médiatique. Ce souci a été perceptible tout au long de la période d’observation, et ce, sur les sujets les plus divers :

    Le maire : « Le NL va sortir un dossier sur le centre-ville et la ville qui pourront être responsables de suppressions d’emploi dans les magasins. La ville n’est pas responsable. Il faut qu’on le dise30. »

    20Si les considérations « gestionnaires » ou techniques interviennent au premier chef dans les décisions que prennent les élus, si d’autres considérations pèsent aussi (respecter les accords municipaux pour préserver les partenaires, entretenir l’allégeance du personnel municipal, etc.), l’impact électoral des politiques publiques menées revient ainsi de façon récurrente, que ce soit dans les réunions internes à la majorité ou dans celles du groupe communiste. Un échange intervenu en bureau municipal l’illustre particulièrement bien :

    Un adjoint (PCF) : « Les horodateurs ne prennent pas les pièces de 20 centimes d’euros. On se fait avoir alors qu’on veut payer. Il faut faire quelque chose d’autant que c’est une question sensible.
    Le maire (PCF), voyant d’abord le risque électoral dans la polémique : Attention, tant qu’on dira nous-mêmes que c’est une catastrophe, on va gueuler sur le maire. Et si je tombe, vous tombez tous. […]
    Un second adjoint (PCF), ironique : C’est comme cela qu’on gagne des municipalités… […]
    Le maire, se laissant convaincre du risque électoral inhérent aux modalités pratiques de paiement : C’est vrai qu’il y a un problème de pièces31 […]. »

    21On le voit, le moindre aspect pratique d’une mesure (ici, les pièces acceptées par les horodateurs32 est aussi pensé en fonction de ses conséquences électorales jugées possibles (« tomber »).

    22Caractéristique du métier d’élu, la « menace d’une révocation brutale par les électeurs définit le rôle, pèse sur les pratiques, inspire les comportements » (Lagroye, 1994, p. 10). Dans ces conditions, le maire est tenu de prendre au sérieux la représentation que les médias diffusent de son action, notamment de l’adéquation des politiques publiques avec la « demande des habitants ». Ainsi appréhendée comme une anticipation de la sanction électorale, cette représentation a été prise en compte à plusieurs reprises dans la gestion du problème du centre-ville en général, et du stationnement payant en particulier.

    La routinisation de pratiques orientées vers les médias : les savoir-faire médiatiques du métier d’élu local

    23L’exercice du rôle d’élu local suppose la maîtrise (ou tout au moins l’apprentissage) des pratiques et des compétences médiatiques nécessaires à l’action sur le marché de l’information locale. La gestion politique du dossier du centre-ville donne plusieurs exemples de telles pratiques médiatisées : présentation des dossiers, visites « sur le terrain », débats en conseil municipal ou encore conférences de presse et interviews. Elles participent d’un travail communicationnel d’accompagnement de la décision municipale visant à la présenter comme nécessaire et conforme à l’intérêt général local. Il s’agit ainsi de susciter l’adhésion des habitants aux politiques publiques municipales. L’intervention dans les médias se superpose ainsi, selon « un véritable mécanisme de sédimentation » (Lagroye, 1994, p. 8), aux activités « traditionnelles » de communication : multiples interactions de face-à-face avec les habitants (Lefebvre, 2005), entretien des divers soutiens (militants, réseaux sociaux variés), interventions dans les tribunes traditionnelles (conseils municipaux, meetings), etc.

    24Ces pratiques sont contraignantes. Outre l’investissement en temps qu’elles exigent, elles supposent une certaine disponibilité pour tenir compte du rythme du travail journalistique33. La médiatisation est une activité d’autant plus chronophage pour les élus qu’elle suppose tout un travail préalable aux interactions avec les journalistes (lecture de la presse, préparation des argumentaires…). S’il est impossible de mesurer précisément l’investissement temporel des élus dans ces pratiques de gestion de l’information34, l’observation de leurs réunions (cf. supra) ne laisse aucun doute sur la fréquence de ces pratiques et l’importance des enjeux associés. Surtout, cette observation indique que l’investissement est d’autant plus important que le dossier est médiatisé et controversé. Le stationnement payant a ainsi été l’objet d’une attention particulière : outre ses multiples évocations lors des bureaux municipaux (y compris lorsque le dossier n’était pas à l’ordre du jour) ou des interactions entre le maire et ses principaux collaborateurs (pour examiner l’opportunité d’une intervention médiatique et le cas échéant en préparer le fond et la forme), il a par exemple donné lieu à deux réunions exceptionnelles du groupe des élus communistes élargies au secrétariat de la section communiste35.

    25La routinisation des pratiques et des savoir-faire communicationnels de l’équipe mayorale favorise un recours de plus en plus « spontané » à ce répertoire d’action, et entretient la croyance des acteurs politiques dans l’importance de l’enjeu que constitue la médiatisation de l’action publique municipale. Plus encore, cette évidence quant au choix des « armes » (médiatiques) de la lutte politique est renforcée par leur institutionnalisation dans des dispositifs toujours plus nombreux et sophistiqués.

    L’institutionnalisation de la communication politique municipale comme incitation à y recourir

    26L’institutionnalisation de ces dispositifs contribue à expliquer la tournure prise par le problème du stationnement. Elle conforte la propension de l’équipe mayorale à privilégier ce moyen d’action. Dit autrement, la disponibilité de l’instrument oriente les pratiques.

    27L’intervention du maire sur le marché local de l’information est permise, et même encouragée, par le développement du service communication de la mairie36. Seul service de l’administration municipale directement rattaché au maire, il est censé constituer, avec le cabinet du maire, l’unique porte d’entrée dans l’institution pour les journalistes. Une telle organisation vise en fait à favoriser le contrôle par l’équipe mayorale de la communication issue de l’ensemble de l’institution municipale. Il est perçu comme un instrument indispensable pour en contrôler l’image publique37.

    28Une autre ressource communicationnelle favorise l’intervention de l’équipe mayorale sur le terrain médiatique : le bulletin municipal, Calais Réalités (CR). Il permet une diffusion large de ses messages (35 000 exemplaires, distribués dans toutes les boîtes aux lettres de la ville). Se revendiquant comme « un journal objectif qui rend compte de la réalité locale38 », le bulletin municipal n’en constitue pas moins une ressource au service du maire39. Il a ainsi été utilisé dans le dossier du centre-ville comme dans d’autres, pour préparer l’opinion dès avant le lancement des actions municipales, accompagner leur mise en œuvre, ou encore contrer les représentations négatives de l’action municipale au regard des « souhaits » des habitants40. C’est aussi par son biais que sont médiatisées d’autres formes de réaction des élus, comme l’usage des sondages (cf. infra) et autres vecteurs de mise en scène d’un dialogue élus-habitants. Le passage à une parution hebdomadaire en janvier 2002 – rare pour un journal municipal – lui permet de « coller à l’actualité41 ». En accroissant la réactivité de l’équipe mayorale aux prises de position et représentations diffusées dans les autres titres de presse, CR permet au maire de propager sur le marché de l’information locale une parole qui contrebalance les critiques véhiculées par les journaux locaux.

    29Alors que les protagonistes de la politique publique de réaménagement du centre-ville ont largement porté la contestation sur un terrain médiatique, et que l’équipe mayorale se trouve à la fois disposée et « outillée » pour lutter sur ce même terrain, on comprend donc que les prises de position du maire se soient prioritairement traduites par l’adoption de stratégies communicationnelles pour « répondre » à ladite contestation.

    Les registres de « réponse » au problème du stationnement : entre intervention médiatique et action publique « emblématique »

    30Dans un tel état du jeu politique, où l’image sur le marché local de l’information est perçue comme primordiale, le travail des élus ne se réduit pas à une simple « réaction » ou « réponse » à la demande par une offre de politique publique42 : d’une part, offre et demande se construisent largement en interaction. Dans les faits, les actions mayorales et les articles de presse qui participent de la construction du problème interviennent presque simultanément. D’autre part, le travail des élus est loin de se limiter à l’élaboration d’une réponse substantielle (c’est-à-dire avec un contenu de politique publique). Répondre à la demande des habitants, c’est puiser dans un répertoire de stratégies symboliques, dont l’adoption de mesures d’action publique (pour attester de la prise en compte de la demande des habitants) n’est qu’un cas particulier43. Ici, l’équipe municipale communique autour de définitions concurrentes des habitants et de leur opinion, et, de façon plus marginale, adopte des mesures d’action publique.

    Disqualifier le vecteur de diffusion de l’image négative

    31La première forme que prend la réaction de l’équipe mayorale consiste à décrédibiliser le principal vecteur de la contestation, le quotidien NL. Cette attitude, a priori peu courante44, déborde la question du stationnement. Elle s’inscrit dans un conflit plus profond entre NL et la mairie45, dans lequel la couverture médiatique de l’action municipale constitue un point de cristallisation. Néanmoins, les coups de la municipalité portent sur l’ensemble de la PQR (quand sont par exemple dénoncés, par euphémisme, les comportements de « certains journalistes » sans autre précision).

    32Le conflit passe d’abord par un jeu sur les rapports d’interdépendance entre les deux « camps ». À une stratégie municipale de rétention d’informations46, les journalistes répondent par le boycott quasi-total de l’activité municipale et, plus particulièrement, de l’activité mayorale, mais aussi de celle du parti du maire (PCF). C’est ainsi une véritable « guerre » – pour reprendre les termes du maire – qui s’engage entre l’équipe mayorale et le journal, et qui remet en cause leurs habituelles transactions collusives.

    33Cette lutte se déroule largement sur le marché de l’information locale, par l’intermédiaire du bulletin municipal. Elle y prend la forme d’un affrontement sur les critères d’excellence journalistique, que chaque journal tente de dénier à l’autre. Si NL atteste de son excellence professionnelle via les critères objectifs inhérents à la définition légale de la profession (carte de presse…), CR insiste sur les prix professionnels qu’il a reçus – interprétés comme une reconnaissance de la profession journalistique. La lutte porte aussi sur les pratiques et renvoie implicitement à la définition de ce que seraient un bon journal et un bon journaliste. Chacun s’emploie par exemple à relater les fautes de l’autre pour mettre en doute son professionnalisme. Dans cette logique, la question de l’indépendance de l’autre est régulièrement posée. À NL qui suggère régulièrement la dépendance des « rédacteurs » municipaux à la municipalité47, le bulletin municipal répond par celle de la presse commerciale aux groupes financiers qui la contrôlent.

    34Surtout, cette lutte sur la crédibilité des deux journaux se joue sur la capacité respective à représenter « réellement48 » et donc légitimement les habitants et leur (s) opinion (s) et demande (s). Pour la municipalité, NL serait partisan parce qu’il ne refléterait pas fidèlement tous les points de vue, mais seulement les plus critiques. À l’inverse, NL reproche à CR une sélection biaisée des témoignages en faveur du maire et justifie ses propres sélections en vertu des règles du métier de journaliste : sollicitation des points de vue « incontournables » (à savoir les sources institutionnelles), micro-trottoir, etc. Les rubriques les plus décriées par l’équipe mayorale sont significativement celles qui font parler les habitants (tribunes libres, entrefilets ironiques où sont colportées les rumeurs, etc.). Or ces rubriques sont d’autant plus importantes pour les journalistes qu’elles sont supposées permettre aux lecteurs de « s’approprier leur journal49 » et d’afficher la singularité de celui-ci.

    35La parole des habitants et, partant, les propriétés qui définissent un habitant représentatif se trouvent ainsi placées au cœur du conflit. Le paroxysme de cette logique est atteint à l’occasion d’une manifestation du comité de riverains contre le stationnement payant lors d’une réunion du conseil municipal. Le maire avait alors fait intervenir les forces de l’ordre pour évacuer les manifestants tandis que la presse rapportait l’événement en donnant la parole à plusieurs d’entre eux. La réponse mayorale n’a guère tardé : dans une « interview exclusive » accordée au journal municipal et annoncée en « une » de celui-ci, le maire fustige la couverture médiatique de l’événement, dénonçant dans le même temps « le rôle partisan » joué par « une partie de la presse » et sa sélection des paroles rapportées50. Significativement, dans cette double lutte avec les manifestants et le journal, le maire étaie son accusation par la révélation de l’appartenance partisane (LO) de certains riverains mobilisés et réduit cette manifestation à un coup politique, là où NL y voit l’expression d’une demande habitante mal entendue. Il met ainsi en cause le professionnalisme des journalistes en retournant contre eux un de leurs postulats les plus structurants51 : marqués politiquement, les habitants mis en avant par NL ne sauraient être représentatifs de la population52. En reprochant à NL de relayer les paroles d’habitants qui contestent les décisions municipales, c’est une lutte plus large autour de la définition de la demande des habitants que mène l’équipe mayorale.

    Le jeu sur la figure de l’habitant (représentatif) et sur la mesure de la demande des habitants

    36Pour tenter d’invalider la suspicion d’une gestion qui irait à l’encontre des habitants, l’équipe mayorale tente aussi de disqualifier la « mesure » de leurs opinions. Pour ce faire elle dispose de multiples instruments concurrents d’objectivation de leur demande permettant de suggérer qu’elle agit selon la volonté générale. Si les élus peuvent mettre en avant les opinions qu’ils recueillent via les militants ou lors des nombreuses interactions de face-à-face élus-habitants (Lefebvre, 2005)53, c’est principalement à celles objectivées par les sondages (considérés comme le meilleur instrument d’accès à la demande) qu’ils recourent pour invalider la critique. Si le sondage n’est pas commandé pour répondre à la critique, il constitue néanmoins une solution considérée comme éprouvée parce que routinisée et ancrée dans les croyances ; en ce sens, cette ressource d’usage courant fait ici office de réponse : c’est la situation qui définit son usage.

    37Cette croyance et cet usage reposent sur la force sociale de l’instrument, notamment sur les propriétés de neutralité et d’objectivité qui lui sont généralement prêtées. L’indépendance des organismes en charge de la réalisation de ces sondages est d’ailleurs régulièrement mise en avant, comme pour mieux en asseoir l’image d’objectivité54. Ainsi, lorsqu’il présente les résultats du sondage 2007, le maire précise qu’il s’agit d’une « enquête IFOP menée en toute impartialité55 ». De façon plus pragmatique, un sondage aux résultats positifs est aussi perçu comme une ressource efficace qui dispenserait de « se battre sur tous les terrains56 ». Au-delà, les sondages peuvent être utilisés pour diffuser l’idée d’une gestion populaire au service de tous les habitants, et légitimer a posteriori les politiques menées. Dans les discours qui accompagnent leur publication, figure souvent en creux l’idée que les élus auraient répondu efficacement à la demande des habitants57.

    38Cette pratique, initiée en 1987, a été mise en œuvre à propos du stationnement ; le point sensible que constitue cette question est dissout dans une politique plus globale dont les élus peuvent invoquer la popularité : la réhabilitation du centre-ville (cf. encadré).

    Le sondage municipal 2007
    La plaquette de présentation de ce sondage ne laisse guère de doute quant au message que la municipalité entend délivrer. La rubrique la plus explicite en ce sens est intitulée « Un bilan qui répond bien aux attentes et aux engagements pris » dans laquelle sont données les réponses à une question imposant une problématique en ces termes58. D’un bout à l’autre, l’idée d’« attentes » est présente, notamment à travers des évaluations ex post de la satisfaction des habitants. La réaction du conseiller municipal délégué au logement est parlante à cet égard : « Les souhaits des habitants correspondent au souci exprimé par les élus depuis un certain temps de donner la priorité à un logement à loyer modéré et de qualité […]. Les futures opérations de renouvellement urbain ont pris en compte cette demande. » Ainsi, de l’offre (« le souci des élus ») glisse-t-on vers les souhaits des habitants (suscités par la question : « À propos du logement à Calais, quel est votre sentiment ? Il faut construire de nouveaux logements HLM/il faut construire d’autres types de logements, etc. ») puis à leur satisfaction pour aboutir à la prise en compte de la demande par les élus (sur ces mécanismes d’imposition « des problèmes des commanditaires » aux sondés, cf. Lehingue, 2007, p. 183 sqq.).

    39Quel que soit le procédé, l’objectif reste de changer la perception de la question du stationnement pour en imposer une interprétation différente. Parallèlement aux moyens précités, deux formes de réponses symboliques sont données.

    Des réponses symboliques pour changer la perception de la question du stationnement

    40Le premier type de réponse à la contestation médiatisée est d’ordre rhétorique. Il s’agit d’imposer une problématisation non polémique de la question par la communication sur le stationnement gratuit – plutôt que sur le stationnement payant59. La diffusion d’« infos pratiques » vise par exemple à promouvoir les aspects qui seraient appréciés : développement de l’offre de stationnement, meilleure rotation et plus grand facilité à trouver des places, « libération » du centre-ville pour le rendre aux usagers (déclinaison particulière de la figure de l’habitant), etc.

    41Une stratégie complémentaire consiste à diluer la question sensible du « stationnement payant » en centre-ville dans un « problème de stationnement » global, érigé en « problème de civilisation60 » auquel toute ville serait confrontée. Ainsi problématisé sur un registre technique et expurgé de la politisation inhérente à la contestation des riverains, le stationnement requerrait des solutions pragmatiques au premier rang desquelles le paiement61. Plus généralement, en le reliant quasi systématiquement à l’ensemble de l’opération de rénovation du centre-ville, la communication municipale vise à ne pas faire du stationnement un problème autonome. En cela, il s’agit de ramener la question du stationnement payant à une facette d’un projet global motivé par une valeur constitutive de l’intérêt général territorial : le développement local (Rangeon, 2005).

    42La principale ressource de la mairie dans ce jeu pour imposer un cadrage différent sur le stationnement reste l’hebdomadaire municipal. Les sujets qui y sont développés détournent l’attention de la question du prix et insistent sur d’autres aspects positifs. Les habitants sont encore une fois convoqués. Parmi tant d’autres, l’article intitulé « Le parking du centre commercial Les 4 Boulevards est ouvert depuis plus d’un mois. Les premiers usagers satisfaits62 » est exemplaire de ces stratégies de communication. Comme le titre l’indique, il s’agit d’opposer une catégorie d’habitants (les usagers du parking) à une autre (les riverains en colère)63. Le choix des deux usagers mis en scène est pour le moins en adéquation avec la ligne de la communication municipale : un père de famille et ses enfants – des habitants donc – mettent en avant l’utilité du parking tandis qu’un touriste accrédite l’idée que l’ensemble des mesures de rénovation du centre-ville est positif, puisqu’il contribue au développement local. Les 4B, avec leur parking, favoriseraient le tourisme, présenté depuis des lustres comme la solution providentielle aux problèmes économiques de la ville. En somme, il s’agit d’opposer une définition globale de l’intérêt général local à l’intérêt particulier des riverains64.

    Des mesures « emblématiques65 » comme une prise en compte substantielle de la demande

    43Parallèlement à ces réponses discursives, les élus réagissent de façon plus substantielle par des mesures d’action publique, limitées sur le fond mais à fort potentiel symbolique. Il s’agit de montrer par des décisions dont l’annonce est faite pour être largement médiatisée que la municipalité agit dans le sens de la demande des habitants. Par ces gestes politiques conçus comme des solutions (Edelmann, 1991, p. 56 sqq.) ou des compensations66, une partie de la politique publique – certes marginale mais tout de même réelle – se retrouve ajustée à la définition journalistique du problème. Parmi ces « mesurettes67 » destinées à convaincre des bienfaits de l’action municipale, on trouve l’aménagement des modalités de tarification, l’amélioration générale de la qualité de l’offre de stationnement (lutte contre le stationnement gênant, création de places, etc.) ou encore la mise en place d’une navette de centre-ville destinée à permettre aux habitants garés dans les parkings périphériques non payants de se rendre en centre-ville gratuitement. Cet usage emblématique de mesures de politique publique vise à montrer, par des gages tangibles, que la mairie prend en compte la demande des habitants représentée par la presse.

    44La faiblesse de ces mesures substantielles résulte de la pluralité des contraintes (ici divergentes) qui pèsent sur l’élu en position de gestion. Si la hiérarchie mayorale en la matière place l’enjeu financier avant celui de la réception de la mesure par les habitants, le maire n’en est pas moins soucieux de limiter au maximum l’éventuel impact politico-électoral négatif de l’extension du stationnement payant. La prévalence de ces divers critères dans les stratégies du maire évolue au gré du contexte politique, si bien que la réponse par des mesures de politique publique à une demande habitante n’est finalement qu’un cas particulier d’un travail plus global de gestion de la demande.

    45Au final, si les élus réagissent bien à la demande des habitants et s’ils s’efforcent d’y « répondre », c’est surtout par des mesures emblématiques, qu’elles soient discursives ou plus concrètes. Un cas comme celui de l’extension du stationnement payant dans le centre-ville de Calais, où une mesure est fortement contestée, où la controverse est médiatisée et où l’ensemble est perçu par le maire comme nuisible à sa popularité, souligne bien les limites de l’influence de l’opinion sur la politique menée. En effet, s’il se soucie de sa réélection tout au long de son mandat, et si ce souci motive moult paroles et actions, l’élu est pris dans un faisceau de contraintes qui limite sa marge d’adaptation aux demandes des habitants, tant et si bien que ses calculs peuvent le conduire à maintenir une décision porteuse d’une menace électorale. Il serait néanmoins exagéré de conclure à une déconnexion de l’action publique des mouvements d’opinion. L’investissement des élus sur ce dossier, fût-il symbolique, suffit à en attester. Cet apparent paradoxe se résout si l’on veut bien considérer que la gestion de la demande par l’élu ne se réduit pas à une offre de politique publique nouvelle qui viendrait en réponse à une attente préalable. Ce n’est en fait qu’un type de réponse possible parmi un ensemble plus vaste, parmi lesquelles des actions emblématiques. Au final, ce cas souligne à quel point la représentation médiatique est une contrainte du métier d’élu local, à l’origine de nombreuses pratiques et nécessitant des savoir-faire, dispositions et dispositifs spécifiques, par lesquels les considérations politiques (au sens de politics) imprègnent la conduite de l’action publique (policy).

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    Notes de bas de page

    1 Le métier d’élu (local) se définit par la multitude des activités qui le constituent et qui répondent le plus souvent à des prescriptions de rôle (Briquet, 1994) auxquelles le titulaire de la fonction est plus ou moins enjoint de se plier. Appréhender la fonction élective en terme de métier implique de porter attention aux pratiques, aux savoir-faire, et aux technologies qui découlent de ces prescriptions multiples et fréquemment contradictoires (Fontaine et Le Bart, 1994 ; Garraud, 1994 ; Politix, 1994). Parmi les prescriptions auxquelles il est confronté, l’élu, en tant que représentant d’une population, est sommé d’apparaître comme défendant les intérêts de celle-ci et répondant à ses demandes.

    2 Définir plus avant « la demande » reviendrait à prendre position sur ce qui constitue un enjeu de luttes entre les acteurs.

    3 Dans cet article, pour alléger l’écriture, nous emploierons ce terme pour désigner l’équipe mayorale, tout en restant conscients que les attitudes et choix du maire résultent pour beaucoup d’une élaboration collective associant ses principaux collaborateurs politiques ou administratifs.

    4 Ce rattachement de la politique de stationnement au projet est lui-même un enjeu de lutte.

    5 Les attributions du 4 e adjoint (PCF) élu en 1971 sont explicitement précisées dans l’accord PCF-PS : « Urbanisme et expansion, rénovation du centre, station balnéaire, organismes de construction, logement. » Nous soulignons.

    6 La métaphore organique souligne l’importance de l’enjeu.

    7 Pour une présentation de ce type de démarche (objectifs, postulats, présupposés normatifs et effets pervers), cf. Bondue, 2004.

    8 Sur le développement économique local et la présomption d’intérêt général local qu’il suscite, cf. Le Galès, 1992 ; Hamel, 1991. Sur l’intérêt général local, cf. Rangeon, 2005.

    9 De la presse, de l’opposition et de la majorité.

    10 Pour une étude des caractéristiques de ce type de mobilisation dans les opérations d’aménagement territorial, cf. Jobert, 1998.

    11 La Chambre de commerce et d’industrie est d’ailleurs partenaire du projet.

    12 Sur la constitution de Jacky Hénin en leader, cf. Bué, 2006.

    13 À l’exception de socialistes, minoritaires au sein de leur section, qui contestent la stratégie d’union de la gauche.

    14 Au sens de Lacorne, 1980.

    15 Sur l’usage de ce concept de problématique articulé à celui d’espace des prises de position, cf. Bourdieu, 1998, p. 384.

    16 Ainsi, sous couvert d’opposition, l’UMP milite-t-elle de facto pour un financement du coût du stationnement par l’impôt.

    17 En d’autres termes, le pouvoir de cadrage des médias est la conséquence de l’investissement stratégique sur ce « terrain » de la plupart des acteurs concernés.

    18 Sur cette influence contraignante des récits pour les mouvements sociaux, cf. Passy et Giugni, 2005.

    19 Pour le rédacteur en chef de Nord Littoral, « le centre-ville, c’est quelque chose que tout le monde attendait. Et puis qui a été soutenu par tout le monde » (entretien).

    20 En cela, la définition du journalisme ici à l’œuvre se rapproche plus du « journalisme de routine » que du journalisme de « l’expertise critique », pour reprendre les catégories établies par Padioleau, 1976.

    21 L’impact de ces modes de recueil des opinions sur les représentations des problèmes sociaux a été mis en évidence dans de nombreux travaux sur la démocratie participative. Cf. notamment Flanquart et Lafaye, 2001.

    22 Derrière cette façon de penser l’actualité locale transparaissent les contraintes économiques croissantes qui pèsent sur les journaux : les exigences de maximisation de l’audience et des recettes publicitaires colonisent les pratiques et les façons de penser les sujets (Actes de la recherche en sciences sociales, 2000).

    23 Aspect considéré comme intrinsèquement vendeur, comme l’explique le rédacteur en chef du journal : « L’agrandissement du stationnement. Ca, c’est vendeur […] parce qu’il y a des gens qui ne sont pas contents, qui sont contre etc. Donc, ça, c’est vendeur. » (entretien).

    24 On retrouve dans la PQR le phénomène analysé par Julien Duval dans la presse magazine économique qui, de plus en plus, « privilégie la micro-économie et l’économie pratique, qui restent plus proches que les généralités de macro-économie et de politique économique de la vie quotidienne du lecteur » (Duval, 2004, p. 191). À propos des logiques économiques au principe d’un autre type d’information routière, cf. Marchetti, 2008.

    25 Sur la vision « fragmentée » des problèmes sociaux induite par la médiatisation, cf. Gingras, 1995, p. 42.

    26 Rappelons que les « sources » d’information, par leurs stratégies d’accès aux médias, sont co-productrices de l’information médiatique.

    27 De même, la généralisation des technologies communicationnelles et sondagières a créé un « nouveau jeu politique » sur le marché politique central (Champagne, 1990).

    28 Mais aussi par ses opposants, qui s’en saisissent pour affaiblir la position du maire (cf. supra).

    29 Calais Réalité (CR), 216, 11 janvier 2007.

    30 Bureau municipal du 24 mars 2003 (observation).

    31 Bureau municipal du 29 mai 2004 (observation).

    32 Cette question renvoie à d’autres mesures contenues dans la nouvelle politique de stationnement mise en place, telles que la verbalisation systématique.

    33 Le calendrier des rencontres journalistes/élus est en fait négocié. Si les élus sont incités à être réactifs aux requêtes des journalistes et à se plier ainsi à leurs contraintes (telles que l’heure de bouclage d’une édition), ils disposent aussi d’une capacité à imposer leur temporalité (les séances de conseil municipal retardent fréquemment le bouclage du journal par exemple).

    34 Cela supposerait une observation ethnographique minutieuse continue et quasi impossible à réaliser. À défaut, une mesure indicative de ses stratégies d’accès aux médias et donc de ses pratiques de communication a été réalisée par l’intermédiaire d’un comptage exhaustif des apparitions du maire dans NL au cours du premier semestre 2003. Sur cette période, on dénombre 67 apparitions du maire dans le journal, soit en moyenne une tous les trois jours. Il est donc excessif de considérer qu’un maire de ville moyenne comme Calais travaille en permanence sous l’œil des journalistes. Il reste que ces pratiques sont suffisamment récurrentes pour être constitutives du métier d’élu local.

    35 Ces réunions visaient à convaincre les troupes communistes, particulièrement réticentes, du bien-fondé de la mesure.

    36 Sur la création du service et la politique de communication de la ville de Calais, cf. Bué, 2006 ; pour une étude de ce phénomène en termes de rôle, cf. Legavre, 1989 ; pour une analyse plus structurelle, cf. Poirmeur, 1991.

    37 Dans le cas du centre-ville de Calais, la politique de contrôle de l’information diffusée est renforcée par le conflit qui oppose NL à la mairie. Cf. infra.

    38 Selon la formule de l’adjoint à la communication lors de la commission communication du 1/10/2004 (observation).

    39 Sur les usages politiques de la dépolitisation apparente de la majeure partie de son contenu, cf. Bué, 2006. Si cette prétention à l’objectivité – qui se traduit par le mimétisme des codes de la presse commerciale, la dépolitisation relative des contenus et le cantonnement des prises de position politiques dans des espaces ad hoc (éditoriaux, tribunes) – participe des règles du genre (Le Bart, 2001) et n’est guère douteuse, elle n’empêche pas son utilisation politique sur le marché médiatique.

    40 Au-delà des espaces explicitement politisés, la production d’un sens politique dans un journal autoproclamé neutre passe par le choix des sujets traités et des angles adoptés (qui permettent de donner à voir des « réalités » que la presse commerciale ne montre pas) ou encore par la sollicitation de paroles, politiques ou non, sous couvert d’initiative « journalistique ».

    41 Souci manifesté par le responsable du service communication en commission communication, 1/10/2004 (observation).

    42 En dépit de ce que pourrait suggérer le plan de ce texte, il convient de garder à l’esprit qu’il n’y a pas d’abord une séquence dans laquelle le problème est construit à laquelle succéderait une séquence de « réponse », mais un processus où s’enchevêtrent ces différents éléments. Nous ne reprenons cette distinction que pour favoriser l’intelligibilité du propos.

    43 Il faut garder à l’esprit l’exceptionnel degré d’exposition médiatique du dossier, si bien que ce cas surévalue probablement ces pratiques médiatiques.

    44 La règle en la matière est en effet l’entretien de relations cordiales, au moins publiquement, entre les responsables des institutions locales et les journalistes. Les cas de conflit ouvert et durable sont rares. Pour une présentation des caractéristiques de ce type de relations médias locaux/pouvoir politique, cf. Frisque, 2007, p. 13.

    45 . L’explication détaillée de l’origine de ce conflit sort du cadre de cet article.

    46 Les modalités en sont évoquées par le journal lui-même, qui déplore : « Depuis quelques semaines, n’appréciant plus certaines analyses et surtout le fait que l’on fasse parler ses administrés, Jacky Hénin a choisi cette stratégie contre NL. Il a ordonné par écrit à ses chefs de service de ne plus communiquer avec notre journal. Il annule tous les abonnements destinés à la mairie. Il tente d’écarter notre journal de certaines manifestations en jouant avec les subventions. NL n’est plus le destinataire des documents officiels et communications municipales. » NL, 26/03/06.

    47 Cet écho consacré à la mise en place d’une télévision locale n’appelle guère de commentaire tant son titre est éloquent : « une télé in-dé-pen-dante ! Si ! Si ! » : NL, 1/01/06.

    48 La lutte entre les acteurs porte sur la véridicité de la représentation de la demande.

    49 « C’est comme ça qu’on gagne du lectorat de toute façon, c’est en les faisant parler. […] C’est comme ça qu’ils s’approprient le journal » (entretien avec le rédacteur en chef du journal).

    50 CR, 163, 27/10/05.

    51 Les journalistes justifient le fait de relayer abondamment les positions de la porte-parole du collectif, par ailleurs porte-parole de LO, en opérant une distinction entre le caractère non partisan de ses propos sur le stationnement et ses autres interventions : « On fait attention. On ne reprend les propos que si ça reste dans le cadre du stationnement payant. Mais si ça déborde vers la politique, clac !, on zappe. » (entretien avec le journaliste en charge du dossier).

    52 La figure de l’habitant – dépolitisé, « dépouillé de toute sensibilité militante », « expert des usages de la ville » (Lefebvre et Nonjon, 2003, p. 24) et des problèmes du quotidien – ici à l’œuvre rappelle celle qui fonde de nombreux dispositifs de démocratie locale : cf. Lefebvre et Nonjon, 2003 ; Flanquart et Lafaye, 2001 ; Neveu, 2000.

    53 Sans les lister de manière exhaustive, mentionnons les permanences d’élus, les réunions de quartier et autres visites mayorales dans les quartiers, les réunions de consultation de la population préalables à l’élaboration des programmes électoraux ou à celle du budget, etc.

    54 Sans que soient jamais évoquées les conditions concrètes d’élaboration des sondages. Or certains élus dans l’entourage du maire participent activement à l’élaboration des sondages.

    55 CR, 217, 18-24/01/07, nous soulignons.

    56 L’adjoint à la communication, premier secrétaire de la section PCF : « Le sondage c’est positif. On n’a pas à se battre sur tous les terrains. » Comité de section, 4/10/04 (observation).

    57 Sur l’ensemble de ces aspects (« paradigme technologique », conception du sondage comme « remède social destiné à mieux satisfaire les attentes en les évaluant plus “scientifiquement”, monstration d’une majorité silencieuse par opposition aux minorités actives, etc. »), cf. Lehingue, 2007, p. 218.

    58 « Dans l’ensemble, diriez-vous que les actions menées par la municipalité de Calais répondent très bien, assez bien, assez mal ou très mal à vos attentes et à vos besoins ? »

    59 La problématisation telle que l’envisage la sociologie de la traduction induit en effet des « solutions » au problème, favorise l’enrôlement d’alliés, en même temps qu’elle définit une configuration d’acteurs (Callon, 1986).

    60 Selon l’expression du maire. Réunion du groupe des élus communistes élargie au secrétariat de la section, 1er mars 2004 (observation).

    61 Le premier secrétaire de la section, principal allié du maire déclare par exemple : « Le paiement […] n’est pas seulement une question de sous, mais de place de la voiture dans la ville, et le seul moyen de lutte c’est le paiement. » Réunion du groupe des élus communistes élargie au secrétariat de la section, 19 octobre 2004 (observation). Ces réunions d’enrôlement des militants communistes à la cause du stationnement payant constituaient aussi une façon pour l’équipe mayorale de tester sa rhétorique.

    62 CR, 173, 19/01/06. Nous soulignons.

    63 De même, à travers le mode de financement (paiement direct ou paiement par l’impôt), sont opposées différentes catégories d’habitants : Calaisiens/non-Calaisiens, automobilistes/piétons, usagers du centre-ville/habitants des quartiers populaires périphériques. Le maire argumente par exemple (CR 163, 27/10/05) : « Comment expliquer aux habitants qui ne viennent pas en centre-ville fréquemment […] qu’ils vont devoir payer plus cher d’impôt uniquement pour devoir faire plaisir aux utilisateurs ? »

    64 Cette opposition entre « l’aménageur » et le riverain, qui recouvre une opposition sur les périmètres d’action pertinents et sur la définition de l’intérêt général, se retrouve dans de nombreuses contestations d’opérations d’aménagement. Sur les usages de l’intérêt général et les jeux sur ce qu’il recouvre dans ce type de conflits, cf. Lolive, 1997 ; Jobert, 1998 ; Trom, 1999.

    65 « On a préféré le qualificatif d’emblématique à celui de symbolique : les deux expriment l’idée d’une efficacité performative au niveau des valeurs et de la rhétorique politique, mais le terme emblématique n’a pas la connotation malheureuse de symbolique qui sous-entend trop souvent l’absence d’effet matériel. » (Siné, 2006, p. 148).

    66 L’idée de compensation devient en effet un moyen croissant de désamorcer les contestations aux opérations d’aménagement (Jobert, 1998).

    67 Selon l’expression de la leader UMP de l’opposition.

    Auteurs

    • Nicolas Bué
    • Jérémie Nollet
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    1 Le métier d’élu (local) se définit par la multitude des activités qui le constituent et qui répondent le plus souvent à des prescriptions de rôle (Briquet, 1994) auxquelles le titulaire de la fonction est plus ou moins enjoint de se plier. Appréhender la fonction élective en terme de métier implique de porter attention aux pratiques, aux savoir-faire, et aux technologies qui découlent de ces prescriptions multiples et fréquemment contradictoires (Fontaine et Le Bart, 1994 ; Garraud, 1994 ; Politix, 1994). Parmi les prescriptions auxquelles il est confronté, l’élu, en tant que représentant d’une population, est sommé d’apparaître comme défendant les intérêts de celle-ci et répondant à ses demandes.

    2 Définir plus avant « la demande » reviendrait à prendre position sur ce qui constitue un enjeu de luttes entre les acteurs.

    3 Dans cet article, pour alléger l’écriture, nous emploierons ce terme pour désigner l’équipe mayorale, tout en restant conscients que les attitudes et choix du maire résultent pour beaucoup d’une élaboration collective associant ses principaux collaborateurs politiques ou administratifs.

    4 Ce rattachement de la politique de stationnement au projet est lui-même un enjeu de lutte.

    5 Les attributions du 4 e adjoint (PCF) élu en 1971 sont explicitement précisées dans l’accord PCF-PS : « Urbanisme et expansion, rénovation du centre, station balnéaire, organismes de construction, logement. » Nous soulignons.

    6 La métaphore organique souligne l’importance de l’enjeu.

    7 Pour une présentation de ce type de démarche (objectifs, postulats, présupposés normatifs et effets pervers), cf. Bondue, 2004.

    8 Sur le développement économique local et la présomption d’intérêt général local qu’il suscite, cf. Le Galès, 1992 ; Hamel, 1991. Sur l’intérêt général local, cf. Rangeon, 2005.

    9 De la presse, de l’opposition et de la majorité.

    10 Pour une étude des caractéristiques de ce type de mobilisation dans les opérations d’aménagement territorial, cf. Jobert, 1998.

    11 La Chambre de commerce et d’industrie est d’ailleurs partenaire du projet.

    12 Sur la constitution de Jacky Hénin en leader, cf. Bué, 2006.

    13 À l’exception de socialistes, minoritaires au sein de leur section, qui contestent la stratégie d’union de la gauche.

    14 Au sens de Lacorne, 1980.

    15 Sur l’usage de ce concept de problématique articulé à celui d’espace des prises de position, cf. Bourdieu, 1998, p. 384.

    16 Ainsi, sous couvert d’opposition, l’UMP milite-t-elle de facto pour un financement du coût du stationnement par l’impôt.

    17 En d’autres termes, le pouvoir de cadrage des médias est la conséquence de l’investissement stratégique sur ce « terrain » de la plupart des acteurs concernés.

    18 Sur cette influence contraignante des récits pour les mouvements sociaux, cf. Passy et Giugni, 2005.

    19 Pour le rédacteur en chef de Nord Littoral, « le centre-ville, c’est quelque chose que tout le monde attendait. Et puis qui a été soutenu par tout le monde » (entretien).

    20 En cela, la définition du journalisme ici à l’œuvre se rapproche plus du « journalisme de routine » que du journalisme de « l’expertise critique », pour reprendre les catégories établies par Padioleau, 1976.

    21 L’impact de ces modes de recueil des opinions sur les représentations des problèmes sociaux a été mis en évidence dans de nombreux travaux sur la démocratie participative. Cf. notamment Flanquart et Lafaye, 2001.

    22 Derrière cette façon de penser l’actualité locale transparaissent les contraintes économiques croissantes qui pèsent sur les journaux : les exigences de maximisation de l’audience et des recettes publicitaires colonisent les pratiques et les façons de penser les sujets (Actes de la recherche en sciences sociales, 2000).

    23 Aspect considéré comme intrinsèquement vendeur, comme l’explique le rédacteur en chef du journal : « L’agrandissement du stationnement. Ca, c’est vendeur […] parce qu’il y a des gens qui ne sont pas contents, qui sont contre etc. Donc, ça, c’est vendeur. » (entretien).

    24 On retrouve dans la PQR le phénomène analysé par Julien Duval dans la presse magazine économique qui, de plus en plus, « privilégie la micro-économie et l’économie pratique, qui restent plus proches que les généralités de macro-économie et de politique économique de la vie quotidienne du lecteur » (Duval, 2004, p. 191). À propos des logiques économiques au principe d’un autre type d’information routière, cf. Marchetti, 2008.

    25 Sur la vision « fragmentée » des problèmes sociaux induite par la médiatisation, cf. Gingras, 1995, p. 42.

    26 Rappelons que les « sources » d’information, par leurs stratégies d’accès aux médias, sont co-productrices de l’information médiatique.

    27 De même, la généralisation des technologies communicationnelles et sondagières a créé un « nouveau jeu politique » sur le marché politique central (Champagne, 1990).

    28 Mais aussi par ses opposants, qui s’en saisissent pour affaiblir la position du maire (cf. supra).

    29 Calais Réalité (CR), 216, 11 janvier 2007.

    30 Bureau municipal du 24 mars 2003 (observation).

    31 Bureau municipal du 29 mai 2004 (observation).

    32 Cette question renvoie à d’autres mesures contenues dans la nouvelle politique de stationnement mise en place, telles que la verbalisation systématique.

    33 Le calendrier des rencontres journalistes/élus est en fait négocié. Si les élus sont incités à être réactifs aux requêtes des journalistes et à se plier ainsi à leurs contraintes (telles que l’heure de bouclage d’une édition), ils disposent aussi d’une capacité à imposer leur temporalité (les séances de conseil municipal retardent fréquemment le bouclage du journal par exemple).

    34 Cela supposerait une observation ethnographique minutieuse continue et quasi impossible à réaliser. À défaut, une mesure indicative de ses stratégies d’accès aux médias et donc de ses pratiques de communication a été réalisée par l’intermédiaire d’un comptage exhaustif des apparitions du maire dans NL au cours du premier semestre 2003. Sur cette période, on dénombre 67 apparitions du maire dans le journal, soit en moyenne une tous les trois jours. Il est donc excessif de considérer qu’un maire de ville moyenne comme Calais travaille en permanence sous l’œil des journalistes. Il reste que ces pratiques sont suffisamment récurrentes pour être constitutives du métier d’élu local.

    35 Ces réunions visaient à convaincre les troupes communistes, particulièrement réticentes, du bien-fondé de la mesure.

    36 Sur la création du service et la politique de communication de la ville de Calais, cf. Bué, 2006 ; pour une étude de ce phénomène en termes de rôle, cf. Legavre, 1989 ; pour une analyse plus structurelle, cf. Poirmeur, 1991.

    37 Dans le cas du centre-ville de Calais, la politique de contrôle de l’information diffusée est renforcée par le conflit qui oppose NL à la mairie. Cf. infra.

    38 Selon la formule de l’adjoint à la communication lors de la commission communication du 1/10/2004 (observation).

    39 Sur les usages politiques de la dépolitisation apparente de la majeure partie de son contenu, cf. Bué, 2006. Si cette prétention à l’objectivité – qui se traduit par le mimétisme des codes de la presse commerciale, la dépolitisation relative des contenus et le cantonnement des prises de position politiques dans des espaces ad hoc (éditoriaux, tribunes) – participe des règles du genre (Le Bart, 2001) et n’est guère douteuse, elle n’empêche pas son utilisation politique sur le marché médiatique.

    40 Au-delà des espaces explicitement politisés, la production d’un sens politique dans un journal autoproclamé neutre passe par le choix des sujets traités et des angles adoptés (qui permettent de donner à voir des « réalités » que la presse commerciale ne montre pas) ou encore par la sollicitation de paroles, politiques ou non, sous couvert d’initiative « journalistique ».

    41 Souci manifesté par le responsable du service communication en commission communication, 1/10/2004 (observation).

    42 En dépit de ce que pourrait suggérer le plan de ce texte, il convient de garder à l’esprit qu’il n’y a pas d’abord une séquence dans laquelle le problème est construit à laquelle succéderait une séquence de « réponse », mais un processus où s’enchevêtrent ces différents éléments. Nous ne reprenons cette distinction que pour favoriser l’intelligibilité du propos.

    43 Il faut garder à l’esprit l’exceptionnel degré d’exposition médiatique du dossier, si bien que ce cas surévalue probablement ces pratiques médiatiques.

    44 La règle en la matière est en effet l’entretien de relations cordiales, au moins publiquement, entre les responsables des institutions locales et les journalistes. Les cas de conflit ouvert et durable sont rares. Pour une présentation des caractéristiques de ce type de relations médias locaux/pouvoir politique, cf. Frisque, 2007, p. 13.

    45 . L’explication détaillée de l’origine de ce conflit sort du cadre de cet article.

    46 Les modalités en sont évoquées par le journal lui-même, qui déplore : « Depuis quelques semaines, n’appréciant plus certaines analyses et surtout le fait que l’on fasse parler ses administrés, Jacky Hénin a choisi cette stratégie contre NL. Il a ordonné par écrit à ses chefs de service de ne plus communiquer avec notre journal. Il annule tous les abonnements destinés à la mairie. Il tente d’écarter notre journal de certaines manifestations en jouant avec les subventions. NL n’est plus le destinataire des documents officiels et communications municipales. » NL, 26/03/06.

    47 Cet écho consacré à la mise en place d’une télévision locale n’appelle guère de commentaire tant son titre est éloquent : « une télé in-dé-pen-dante ! Si ! Si ! » : NL, 1/01/06.

    48 La lutte entre les acteurs porte sur la véridicité de la représentation de la demande.

    49 « C’est comme ça qu’on gagne du lectorat de toute façon, c’est en les faisant parler. […] C’est comme ça qu’ils s’approprient le journal » (entretien avec le rédacteur en chef du journal).

    50 CR, 163, 27/10/05.

    51 Les journalistes justifient le fait de relayer abondamment les positions de la porte-parole du collectif, par ailleurs porte-parole de LO, en opérant une distinction entre le caractère non partisan de ses propos sur le stationnement et ses autres interventions : « On fait attention. On ne reprend les propos que si ça reste dans le cadre du stationnement payant. Mais si ça déborde vers la politique, clac !, on zappe. » (entretien avec le journaliste en charge du dossier).

    52 La figure de l’habitant – dépolitisé, « dépouillé de toute sensibilité militante », « expert des usages de la ville » (Lefebvre et Nonjon, 2003, p. 24) et des problèmes du quotidien – ici à l’œuvre rappelle celle qui fonde de nombreux dispositifs de démocratie locale : cf. Lefebvre et Nonjon, 2003 ; Flanquart et Lafaye, 2001 ; Neveu, 2000.

    53 Sans les lister de manière exhaustive, mentionnons les permanences d’élus, les réunions de quartier et autres visites mayorales dans les quartiers, les réunions de consultation de la population préalables à l’élaboration des programmes électoraux ou à celle du budget, etc.

    54 Sans que soient jamais évoquées les conditions concrètes d’élaboration des sondages. Or certains élus dans l’entourage du maire participent activement à l’élaboration des sondages.

    55 CR, 217, 18-24/01/07, nous soulignons.

    56 L’adjoint à la communication, premier secrétaire de la section PCF : « Le sondage c’est positif. On n’a pas à se battre sur tous les terrains. » Comité de section, 4/10/04 (observation).

    57 Sur l’ensemble de ces aspects (« paradigme technologique », conception du sondage comme « remède social destiné à mieux satisfaire les attentes en les évaluant plus “scientifiquement”, monstration d’une majorité silencieuse par opposition aux minorités actives, etc. »), cf. Lehingue, 2007, p. 218.

    58 « Dans l’ensemble, diriez-vous que les actions menées par la municipalité de Calais répondent très bien, assez bien, assez mal ou très mal à vos attentes et à vos besoins ? »

    59 La problématisation telle que l’envisage la sociologie de la traduction induit en effet des « solutions » au problème, favorise l’enrôlement d’alliés, en même temps qu’elle définit une configuration d’acteurs (Callon, 1986).

    60 Selon l’expression du maire. Réunion du groupe des élus communistes élargie au secrétariat de la section, 1er mars 2004 (observation).

    61 Le premier secrétaire de la section, principal allié du maire déclare par exemple : « Le paiement […] n’est pas seulement une question de sous, mais de place de la voiture dans la ville, et le seul moyen de lutte c’est le paiement. » Réunion du groupe des élus communistes élargie au secrétariat de la section, 19 octobre 2004 (observation). Ces réunions d’enrôlement des militants communistes à la cause du stationnement payant constituaient aussi une façon pour l’équipe mayorale de tester sa rhétorique.

    62 CR, 173, 19/01/06. Nous soulignons.

    63 De même, à travers le mode de financement (paiement direct ou paiement par l’impôt), sont opposées différentes catégories d’habitants : Calaisiens/non-Calaisiens, automobilistes/piétons, usagers du centre-ville/habitants des quartiers populaires périphériques. Le maire argumente par exemple (CR 163, 27/10/05) : « Comment expliquer aux habitants qui ne viennent pas en centre-ville fréquemment […] qu’ils vont devoir payer plus cher d’impôt uniquement pour devoir faire plaisir aux utilisateurs ? »

    64 Cette opposition entre « l’aménageur » et le riverain, qui recouvre une opposition sur les périmètres d’action pertinents et sur la définition de l’intérêt général, se retrouve dans de nombreuses contestations d’opérations d’aménagement. Sur les usages de l’intérêt général et les jeux sur ce qu’il recouvre dans ce type de conflits, cf. Lolive, 1997 ; Jobert, 1998 ; Trom, 1999.

    65 « On a préféré le qualificatif d’emblématique à celui de symbolique : les deux expriment l’idée d’une efficacité performative au niveau des valeurs et de la rhétorique politique, mais le terme emblématique n’a pas la connotation malheureuse de symbolique qui sous-entend trop souvent l’absence d’effet matériel. » (Siné, 2006, p. 148).

    66 L’idée de compensation devient en effet un moyen croissant de désamorcer les contestations aux opérations d’aménagement (Jobert, 1998).

    67 Selon l’expression de la leader UMP de l’opposition.

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