Chapitre V. Les villes et le projet d’expérience
p. 145-172
Texte intégral
1La réalisation du vol semble s’inscrire à l’échelle du royaume, comme le lieu d’un aller-retour entre la montée des patriotismes locaux et le discours universaliste des Lumières, dessinant de nouveaux enjeux qui conduisent la ville à faire de cette expérience le reflet de sa modernité. La ville est un ensemble de fonctions, un carrefour d’échanges, un lieu d’expression du politique et de circulation du savoir, un point de contrôle administratif qui concentre les lieux d’apprentissages où se créent les sociabilités comme celle des compagnies savantes ou des chambres de lectures. La réception de l’aérostation permet de voir comment s’opère le soutien à l’initiative d’un homme ou d’un petit groupe afin qu’ils parviennent à mener à bien ce projet d’expérience, c’est un phénomène qui engage les « milieux urbains », c’est-à-dire les corps et communautés, les officiers du roi, les édiles, dont les fonctions s’égrènent au fil des pages des almanachs : intendance et commandement militaire, cour souveraine des aides, des monnaies, parlementaires, avocats, fermiers généraux, mais aussi officiers municipaux, élus des États et aristocratie locale. Les groupes sont traversés par les jeux de concurrences, entre eux comme vis-à-vis du pouvoir central ou de ses représentants. La production du vol se joue donc sur la capacité de ces milieux, en intégrant un large public local, façonné par les périodiques et les nouvelles consommations culturelles, à construire une représentation commune et consensuelle autour de l’entreprise du vol.
Les autorités et l’expérience
2À l’automne 1783, les autorités soutiennent les initiatives et les protègent. Dans un premier temps, des autorisations peuvent être demandées en cas d’impression du prospectus ; pour le reste, la mise en œuvre semble s’organiser verbalement. Les pouvoirs décident au reste de jouer un rôle dans l’émulation des expériences en laissant agir la concurrence : les mêmes discours libéraux qui président aux associations des sociétés savantes, sociétés des arts, musée, etc.1, se transfèrent ici dans le domaine des entreprises aérostatiques. Les premières initiatives ne rencontrent donc pas d’autres obstacles que le montage financier.
3Concrètement, le cadre des expériences se déroule au cœur de l’espace urbain, maisons, rues, places, promenades, les autorités se contentent d’encadrer cet enthousiasme pour les ballons, en prenant acte des risques potentiels. Le lieutenant de police de la ville a sous sa responsabilité la protection du « bien public » entendu comme la protection des bâtiments et des personnes2. La ville doit gérer ensuite les expériences selon leur échelle. Les petites expériences nées du divertissement privé sont difficilement contrôlables. Elles échappent à toute demande de lancement. Si les tailles en sont variables, les matériaux utilisés le sont plus encore. Les petits réchauds fixés au ballon sont alimentés avec différents combustibles, comme l’ammoniaque (l’esprit de vin) ou l’alcool à brûler. Le résultat en est parfois désastreux, et des ordonnances de police, réagissant à ces essais profèrent les premières interdictions : ainsi à Lyon en novembre 1783, à Nîmes en janvier 1784, et à Dijon en février 17843.
4Ce modèle élaboré en province est discuté à Paris. Laurent Basset, le lieutenant général de la sénéchaussée lyonnaise, propose à Ségur et au baron de Breteuil début avril, d’envoyer l’ordonnance lyonnaise et de la généraliser4. Mais cette attention au trouble court en sourdine en fait dans les affaires traitées par la Maison du Roi depuis plusieurs mois et le projet de restreindre les expériences est évoqué dès le lendemain de la grande expérience parisienne du 1er décembre. Cependant, il semble difficile d’édicter une ordonnance au moment-même où le royaume entier baigne dans l’euphorie après les premiers grands vols parisiens, et alors que les vols provinciaux se préparent, soutenus par les autorités locales bienveillantes et un public réunissant l’élite des villes. L’ordonnance de police parisienne sera pourtant éditée le 23 avril 1784, exposant un argumentaire assez similaire à celui de l’ordonnance de la police lyonnaise diffusée en novembre 1783. La finalité de progrès reste réaffirmée mais restreint considérablement toute entreprise, particulièrement les « ballons à feu ». Ce cadre change le rapport entre autorités urbaines et leur référent, le ministre de tutelle et l’intendant car en avril 1784 la plupart des projets de vol sont sur le point d’être achevés, et les grandes entreprises arrivées justement à terme ne peuvent donc avoir lieu. L’ordonnance définit un nouveau cadre relationnel car toute demande de permission sera ensuite l’objet de tractations entre les acteurs non seulement politiques, mais, aussi savants, enjoignant une expertise5. Les municipalités sont souvent considérées comme un peu frileuses en comparaison avec les intendants éclairés ; effectivement, si certaines se réfugient derrière l’ordonnance pour justifier leur refus, d’autres, tentent au contraire d’affirmer là leur particularité, faisant du maintien de l’expérience un enjeu des rapports entre pouvoir central et pouvoir local.
L’intendance et l’expérience
5Les intendants jouent un rôle notable dans la diffusion des expériences. Représentants du roi dans les provinces, leurs relations ne sont pas toujours sans nuages avec les autorités locales, d’autant que leur pouvoir va en s’accroissant au cours du siècle. Jacques de Flesselles est le premier intendant à réaliser une sorte d’équilibre harmonieux dans ses relations avec les édiles lyonnais, comme l’avait souligné Maurice Garden6. Personnage aimant les fêtes ostentatoires mais promoteur de l’industrie et des progrès techniques, il voit dans l’aérostation, sans nul doute l’occasion rêvée de couronner en quelque sorte ses années d’activités, alors que son départ est décidé pour l’année 1784. Dans un premier temps, il demande à Joseph de Montgolfier de faire une petite expérience sur son domaine, puis soutient le projet d’un ballon de très grande dimension, qui sera d’ailleurs baptisé Le Flesselles7. Joseph de Montgolfier écrit à son frère la manière dont il « cultive M de Flesselles » et rapporte que sa présence à la tête de la souscription fait présumer qu’elle sera vite remplie8, c’est dire le poids de son engagement dans une telle entreprise. L’expérience tourne ici une page de l’histoire de la ville et des rapports entre pouvoirs urbains. Il n’est pas le seul à promouvoir l’invention. Seinac de Meilhan soutient le projet de Brun-Contamine à Valenciennes, Amelot de Chaillou souscrit pour les deux expériences de Dijon, le chirurgien Clédières s’appuie sur l’intérêt de Chazerat, l’intendant d’Auvergne « dont on connaît les lumières et le goût pour les arts9 », pour développer son projet au sein des élites clermontoises. Cette expérience semble pour ces représentants du roi, une manière de donner une forme, même éphémère, à leur empreinte urbaine. L’aérostation bénéficie en effet de cette extraordinaire capacité à plaire au peuple comme aux consommations de l’élite aristocratique. Elle rend donc populaire ceux qui favorisent les expériences et conforte leur image à l’égard d’une partie de l’élite. À Bordeaux, Dupré de Saint Maur investit ostentatoirement la promotion de la nouveauté. Il est le fondateur du tout nouveau Musée inauguré en 1783, sur le modèle du Musée de Monsieur, fondé par Pilâtre de Rozier. Cette société, en connexion avec les milieux maçonniques bordelais, offre une série de concerts et de conférences, des cours de physique expérimentale et de langues étrangères. Or, Dupré de St Maur est extrêmement actif dans le soutien aux expériences aérostatique. Il encourage notamment l’initiative des trois membres du musée, Darbelet, Desgranges et Chalifour, ainsi que celle de l’académicien et apothicaire Jean-André Cazalet ; ce dernier a, par ailleurs, su s’attirer sa bienveillance par l’édition d’un cours de chimie « à l’usage de ses enfants ». L’intendant vole à son secours lors des démêlés de ce dernier avec les représentants de la ville :
« J’ai été, Monsieur, véritablement scandalisé pour ne pas dire plus, des difficultés que M. Cazalet avait essuyé de la part de la police, pour l’impression de son prospectus. Et j’ai eu en conséquence un plaisir singulier à apprendre que l’Académie avait tiré cet étrange obstacle en le faisant imprimer sous son privilège. Il est tout à fait triste de voir que des gens en place et chargés d’une administration importante dans une si grande ville, n’avaient pas le tact assez fin pour faire quelque distinction entre le savant et le vil baladin10… »,
6écrit-il au secrétaire de l’académie bordelaise, La Montagne, remerciant l’académie d’avoir accepté de contribuer par une somme de 25 Louis « à des expériences aussi intéressantes. Il faut espérer que ce ne soit pas à défaut de fonds qu’elle soit arrêtée. La curiosité opérera sans doute plus sur ce point11 ». S’il soutient avec chaleur cette initiative, elle nécessite des relais pour contrer les réticences des Jurats, en conflits de manière récurrente avec le ministre de tutelle Vergennes. Son enthousiasme l’engage à soutenir les initiatives régionales qui dépendent de sa juridiction, ainsi à Agen, suite à une petite expérience à ballon perdu, une souscription est lancée ; la ville sollicite son autorisation pour subventionner l’expérience : « Je ne puis qu’approuver que la ville contribue à une expérience aussi intéressante et vous pouvez en conséquence souscrire pour la somme que vous jugerez convenable12. »
7L’implication de l’intendant favorise la conduite de l’expérience sans constituer l’unique facteur de réussite, et l’échec d’une entreprise de vol habité à Agen ou à Clermont-Ferrand en est l’illustration. L’hostilité de l’intendant en revanche, semble dommageable aux projets. À Lille, plusieurs souscriptions sont ouvertes, mais aucune n’aboutit ; or, l’intendant de Flandres, d’Esmangeart qui réside à Dunkerque, se montre plus que réservé sur ces entreprises.
8La réalisation de l’entreprise dépend en outre des relations entre les différents pouvoirs urbains impliqués, car la cohabitation des municipalités et de l’intendance n’est pas toujours sans nuages. L’aérostation alimente la concurrence entre eux, reflétant aussi des conflits latents qui resurgissent pour l’occasion, et montre la représentation personnelle que ces hommes peuvent y projeter.
Dialogue entre les édiles et les entrepreneurs
9Favoriser des expériences locales afin de servir le progrès général semble un argument puissant manié vis-à-vis des ministres de tutelle. L’aérostation célébrant le règne de Louis XVI, autorise les communautés urbaines à faire coïncider des aspirations locales tout en obtempérant à la symbolique royale autour des expériences. Dans cette optique, les municipalités décident parfois de concurrencer l’intendance ou de la seconder. Leur attitude révèle l’investissement dont elles sont capables, en leur nom propre et plus seulement au nom de quelques membres de l’oligarchie locale. Un cas éclairant est incarné par les expériences aixoises et marseillaises produites à quelques jours d’intervalle : celle d’Aix, menée par le capitaine de navire Rambaud, est soutenue par l’intendance et les parlementaires aixois13. La ville de Marseille quant à elle, y voit l’opportunité d’affirmer son autonomie en devenant « mécène des arts » : c’est l’occasion de jouer un rôle dans l’épanouissement artistique et scientifique de la ville dans lequel elle n’a que peu de part, à l’exception du cercle puissant des négociants. Les représentants de la ville sollicitent de l’intendant le 2 février 1784, l’autorisation de demander au conseil municipal la participation à une souscription qui est ouverte dans la ville par Bonin et Mazet, et dont elle n’aimerait pas être tenue à l’écart :
« L’Académie des Belles Lettres et Sciences et Art de Marseille s’occupe actuellement de la construction d’un ballon aérostatique pour laquelle on a ouvert des souscriptions ; divers corps, les cercles des négociants et plusieurs citoyens ont déjà souscrit pour 6000 livres. On nous demande le concours de l’administration et il nous apparaît qu’une ville comme Marseille ne doit pas paraître indifférente à des découvertes de cette nature et qu’il serait convenable d’exciter l’émulation des physiciens ; nous nous proposerions d’y contribuer pour 600 livres et si vous daignez Monseigneur, approuver cette idée, nous l’exposerions au prochain conseil municipal14. »
10Sur ses fonds, pourtant peu fournis, la ville souhaite souscrire en son nom propre. L’initiative qui emporte l’adhésion repose sur la décision de la légitimité savante représentée par l’Académie locale. En réalité, à cette date l’académie n’a pas encore souscrit en son nom et le fera seulement lors de la séance du 4 février, seuls certains membres éminents ont apporté clairement leur soutien15. Des personnalités majeures comme l’entrepreneur Audibert, par son assise financière et son rôle politique au sein de la municipalité comme au sein de l’académie, s’avère un allié de poids. La ville dresse donc un tableau en trompe l’œil pour obtenir l’accord de l’intendant qui autorise alors la délibération. La décision du conseil municipal du 17 février 1784 confirme ensuite cette décision qui est renvoyée pour homologation le 20 février à l’intendant, assortie d’un discours soulignant encore le poids de la ville dans le processus de soutenir l’innovation technique utile pour la société. Elle affirme un rôle actif proportionnel à son importance : « Nous avons pensé qu’il convenait à une ville importante d’encourager les projets des artistes qui peuvent conduire à des découvertes utiles16. » L’engagement des autorités s’effectue sur une représentation collective dont les justifications ne se fondent pas sur le simple espoir d’un spectacle mais sur un projet d’utilité. Cette notion devient la monnaie d’échange des tractations entre savants, autorités et publics. Elle répond également à l’attention d’un public qu’il convient de satisfaire.
11Les entrepreneurs retournent eux-mêmes ces arguments pour exacerber l’amour-propre des publics locaux en inscrivant précisément le projet dans une rhétorique utilitaire et patriotique. L’absence d’expériences devient alors un argument de poids pour les favoriser car la reproduction des vols est censée produire une égalité entre les différents centres urbains. Mazet présente son projet dans le Journal de Provence de la façon suivante : à l’exemple de la capitale, Lyon, Bordeaux, Montpellier, Dijon, Nancy, Clermont, etc., avaient successivement vu s’élever de leur sein des globes aérostatiques dus à des physiciens ou à des amateurs, « Marseille seule n’avait pas encore joui de ce spectacle ; ce n’est pas cependant qu’elle ne comptât parmi ses citoyens des physiciens éclairés et des savants distingués. Toutes les têtes étaient coiffées à la Montgolfier on ne parlait que de globes, on lisait le détail de toutes les expériences, on désirait d’en voir, personne n’en faisait17… » En soulignant le « retard » de Marseille, qui ne résulte pas selon lui d’un désintérêt de la ville, il met en valeur la nécessité pour les concitoyens à s’aligner dans ce projet des Lumières en soutenant ceux qui prennent la peine de réaliser le projet. La proposition de souscrire n’est pas un simple acte financier, elle est connotée ici fortement de valeurs intellectuelles et sociales qui jouent sur la fierté des publics, il s’agit bien d’une affaire locale autant qu’une affaire de sciences18 : ainsi, soutenir le projet revient à apporter la preuve aux yeux des autres villes du royaume qu’une partie de la population est en état d’apprécier la découverte et d’y participer.
12Le chevalier de Lespinard, pour obtenir l’autorisation des échevins lillois à ouvrir une souscription fait montre d’autres arguments. Cet homme, un peu aventurier, est à l’origine de plusieurs entreprises éditoriales de périodiques, d’abord à Aix puis à Lille où il rédige la Feuille de Flandres et détient le relais des petites postes. Intriguant, brillant et joueur, il soutient tous les projets d’entreprises aérostatiques lilloises entre 1783 et 1785, notamment grâce à l’intermédiaire de son journal19. Il fait miroiter aux autorités dans un mémoire manuscrit adressé aux échevins le gain que la ville en retirerait :
« Premièrement, ses préparatifs et son exécution qu’on se propose de réitérer attireraient à Lille des citoyens en foule et quantité d’étrangers dont les consommations seraient des bénéfices considérables aux différents fermiers des octrois de cette ville… on emploiera pour la main-d’œuvre et pour l’exécution quantité d’ouvriers qui trouveront un salaire raisonnable20. »
13Un réel effet d’entraînement sur l’économie locale aurait lieu : premièrement, la venue d’un public nombreux donnerait la promesse d’un enrichissement dû à l’accroissement des recettes globales de la ville, décuplant toutes les possibilités de consommations urbaines (hôtellerie, etc.). Deuxièmement, l’entreprise fournirait une occasion d’embauche, thème cher à la philanthropie qui s’inquiète des populations flottantes et de la main-d’œuvre désœuvrée, favorisant la mendicité et les rapines en tout genre. Il envisage bien cette expérience sous l’angle d’une économie bénéficiaire dont les dividendes seront à retirer pour l’ensemble du milieu urbain. Bref, les villes ont tout à gagner : profits réels et profits symboliques la mettent en valeur. Cette configuration suscite une émulation entre les villes et fait également jaillir la rivalité. Il ne s’agit donc pas seulement d’une répétition mais bien d’une appropriation de cette expérience innovante par les différentes villes françaises. Un discours s’ébauche autour de la fonction urbaine de la ville, conçue comme centre d’attractions, de plaisirs et de nouveautés, insérée dans le maillage d’un territoire plus large, régional puis à l’échelle du royaume. Et de fait, la réussite du vol trie les villes en fonction de leur capacité à réunir finances, soutiens et savoir faire. Elle confronte aussi les autorités urbaines avec l’élaboration de l’encadrement des initiatives.
Les milieux urbains face à l’innovation
Une nouvelle hiérarchisation urbaine ?
14Le soutien que les villes apportent dresse une cartographie possible de l’innovation, révélant les milieux urbains favorables à ces entreprises21. Or, certaines villes seulement semblent avoir la capacité pour mener une expérience à son terme. Dupré de Saint Maur doute que des revenus de la ville d’Agen lui permettent de contribuer pour plus de deux ou trois cents livres, ce qui signifie à peu près un dixième de la somme nécessaire. L’échec des tentatives de l’avocat Dufriche Valazé à Alençon semble répondre également à cette analyse22. Il sollicite son frère pour que celui-ci diffuse un projet de souscription pour une grande expérience à Alençon, mais Dufriche des Madeleines lui répond : « Ne supposez donc point qu’il y ait ici moyen de réussir23. » L’obstacle en premier lieu est financier, trouver trois cents souscriptions de 12 livres chacune semble impossible. Ce dernier sollicite l’intendant et le secrétaire de l’intendance lui répond qu’il en prendra trois, le lieutenant de la maréchaussée tout autant. Cependant, il semble que ce soit plutôt la passivité culturelle de cette petite ville normande qui est ici en cause car elle ne semble guère consommatrice de nouveautés, ni littéraires, ni scientifiques, et l’expérience perçue comme un objet de pure curiosité ne suscite pas d’élan. Ces projets se mènent en outre avec l’implication active, financière, logistique des autorités locales, au premier rang duquel ici, l’intendant, mais aussi l’intérêt d’un public. L’argument financier n’est pas seul en jeu et connaît d’ailleurs des contre exemples : ainsi Lille, pôle rayonnant des Flandres françaises, et carrefour marchand dynamique, voit de nombreuses petites expériences avoir lieu, mais aucune grande expérience aboutir, ce qui désespère le chevalier de Lespinard : « Est-ce qu’une capitale aussi brillante que Lille sera la dernière de toutes qui se piquera d’une telle curiosité24 ? »
15Cette lecture de la réception par l’échec des grandes entreprises de vol permet d’avancer des hypothèses. Ainsi, les expériences de vol peinent à aboutir dans des villes moyennes, les centres administratifs et parlementaires même s’ils sont pourvus de réseaux académiques comme Angers, Clermont-Ferrand ou Metz, voire Montpellier. Alors que des villes telles que Bordeaux, Strasbourg, Lyon, Toulouse, Nantes trouvent les ressources pour financer non seulement une, mais souvent deux expériences de vols parfois émanant d’entreprises concurrentes. Si le jeu des pouvoirs locaux a un effet direct sur cette géographie, et que le soutien politique est nécessaire aux grandes expériences, l’implication des publics s’affirme comme un élément essentiel. En effet les entreprises reposent surtout sur des groupes et des hommes qui constituent le centre de gravité du projet : l’académie à Dijon, la chambre de commerce marseillaise, les chambres de lecture nantaises, ou le musée bordelais proposent des relais où les projets circulent, sont débattus et trouvent des appuis financiers et intellectuels, avant d’entraîner ensuite une adhésion plus générale.
Les sociétés savantes et la conversion de la curiosité versus utilité
16La géographie met en valeur l’émergence d’une audience mélangée qui anime les lieux de sociabilités – sociabilités masculines des chambres de lecture de commerce et des loges maçonniques qui accueillent les négociants et notamment les voyageurs étrangers, ou ces nouveaux lieux d’apprentissage et de démonstration que sont les musées, ouverts ici aux femmes et aux amateurs. Ces espaces jouent ici pleinement un rôle de catalyseur ou de relais concurrençant les académies provinciales.
17Pour certains académiciens comme Mathon de la Cour, les académies doivent jouer un rôle dans l’émulation pour les sciences utiles, elles favorisent des applications pour le bienfait de la société civile endossant leur rôle traditionnel au sein de la république des lettres25, de centralisation et d’échanges. Certaines ont fait place au sein même de leur réunion hebdomadaire à la nouvelle découverte26. Mais force est de reconnaître que hormis Dijon elles ne sont que rarement impliquées nommément dans une expérience. L’action des académies est évidemment plus visible si l’instigateur est l’un des siens : à Bordeaux, l’académie soutient le projet de Cazalet et compense la méfiance de l’autorité locale. Mais elles ne jouent pas de rôle clef dans la réussite d’entreprises, même si nominalement certains de ses membres participent. En revanche, elles sont sollicitées pour leur expertise sur les projets locaux, rôle qui devient de plus en plus prégnant à mesure que les permissions deviennent obligatoires durant l’année 1784.
18La présence d’une académie n’est donc pas un facteur décisif et elle ne répond qu’imparfaitement aux aspirations de ces milieux urbains actifs, négociants, hommes à talent, artistes et entrepreneurs, ni à la montée des publics féminins, très friands de ces démonstrations. La curiosité demeure le moteur essentiel pour ces publics. Il faut néanmoins les mettre en état d’apprécier le projet dans ses dimensions savantes, afin d’entraîner leur adhésion sur les aspects moins spectaculaires. C’est la raison pour laquelle devant des audiences parfois plus réticentes, certains entrepreneurs inscrivent dans leur souscription un projet pédagogique clair : Lallemant à Metz propose « pour mieux nous faire comprendre des personnes qui n’ont qu’une faible connaissance des sciences [d’] apporter trois principes simples et faciles à saisir qui font disparaître tout le merveilleux du mécanisme des globes aérostatique en même temps qu’ils en expliquent les causes et en assurent le succès27 ». Il s’agit plutôt de déplacer les causes du prodige en mettant en évidence les conditions de sa production, et ainsi d’en démystifier l’effet. Ce dispositif heuristique est proposé également par Proust, qui se propose de faire dans la chapelle du château « un petit cours de chymie sur les différents gaz » car l’obstacle à son entreprise réside à ses yeux, dans l’incapacité du public angevin à pouvoir juger, d’une part, de la découverte et de ses subtilités, « plusieurs personnes nous ayant paru confondre les expériences de M de Montgolfier et de M. Charles, nous avons cru qu’il serait à propos de faire des démonstrations générales de gaz, à mesure que l’ordre s’en présenterait28 », et d’autre part, en conséquence, de sa compétence à mener l’expérience. Jouant sur le plaisir qui fait tout le succès des cours de physique expérimentale, il assure que les spectateurs auront lieu d’être satisfaits et en rapporteront des « connaissances agréables et utiles ». Cependant, malgré leurs efforts, la persuasion instructive n’a pas suffi pour mener le projet à terme ni à Metz, ni à Angers.
19En revanche, le soutien aux expériences se distingue dans les villes où la fonction commerciale domine. Tous les grands ports de commerce voient s’organiser des expériences avec le soutien des négociants. À Nantes, ils sont impliqués nommément et l’un des armateurs les plus en vue, De Luynes, devient l’un des aéronautes de la ville. L’adhésion se conforte autour des chambres de commerce et des chambres de lecture qui jouent un rôle de médiation à l’égard des élites marchandes29, intégrant aussi les négociants étrangers. La chambre de commerce marseillaise se montre active dans le financement de l’expérience, et signe son enthousiasme par un projet de monument dédicacé à la gloire de Montgolfier30. Les appuis maçonniques dessinent également de nouvelles connexions, qui sans être décisives, élargissent sans doute le recrutement des soutiens, pouvant favoriser peut-être ici et là des rapprochements inattendus, comme celui de De Luynes avec l’apothicaire Louvrier : ils sont dans la même loge nantaise, ce qui a pu favoriser la conversion du négociant en souscripteur coopérateur31. C’est aussi le cas de ce nouveau lieu de sociabilité qu’incarne le musée de Bordeaux et qui a la caractéristique d’être largement ouvert aux élites négociantes32. L’aérostation est une occasion pour ces milieux de s’investir dans un projet distrayant et novateur et d’y trouver leur place.

Figure 9. – « Vue perspective de la fête générale du grand aérostat », expérience du Suffren, Nantes, le 14 juin 1784. Aquarelle par Hénon (Musée Dobrée, Nantes).
20La part prise par de nouvelles sociétés concurrentes des sociabilités académiques est notable : d’autres relais se constituent, touchant de nouveaux publics33. La cartographie est ici conforme aux résultats des transformations urbaines soulignées par Bernard Lepetit. De nouveaux centres urbains prennent le pas sur les villes moyennes et places politiques qui constituent le maillage traditionnel des académies provinciales34. L’armature urbaine de la France contemporaine met en valeur de nouvelles capitales régionales sur fond de montée des provinces ; les villes périphériques à fort potentiel négociant centralisent de nouvelles formes de diffusion savante, cours publics, démonstrations, création de périodiques locaux – 1783 à Dijon et Bordeaux, Nantes, Lyon. L’expérience met en exergue ces mutations globales tout en incarnant la spécificité des milieux urbains qui les produisent. Les réponses qu’offre la cartographie des entreprises de vol abouties ne coïncident donc pas avec les ressources financières objectives des villes. Inscrite dans un projet d’amélioration générale, l’expérience met en valeur d’une part, ceux qui l’entreprennent et d’autre part, ceux qui la soutiennent au nom d’une matérialisation du progrès. Et pour le coup, l’aérostation semble permettre aux élites hétérogènes de ces centres urbains d’être intégrées dans un projet commun.
Souscrire
21Ainsi plus que de concevoir l’entreprise aérostatique comme un produit des élites urbaines, nous pourrions envisager à l’inverse le rôle que le projet a joué dans l’agrégation de milieux hétérogènes. Ce processus peut être perçu à travers l’analyse des listes de souscripteurs. Cinq listes imprimées ont pu être retrouvées : Dijon, Lyon, Strasbourg, Bordeaux et Clermont-Ferrand35. En effet, souscrire est l’occasion de manifester son soutien ostensiblement : c’est le résultat d’un choix individuel particulier. Elles ne sont pas nécessairement publiées mais leur impression, tandis que le ballon est en cours de réalisation, peut parfois devenir un argument supplémentaire pour attirer les souscripteurs potentiels : ainsi, à Strasbourg, la souscription a connu deux impressions, la première compte 256 noms, tandis que la seconde réunit 340 noms36 ; à Dijon, une seconde liste manuscrite s’ajoute à la liste imprimée du premier vol, mais aucun document (registre…) ne permet de saisir l’agrégation d’un groupe dans sa chronologie. En revanche, beaucoup de souscripteurs refusent la liste, par « modestie » peut-on lire à Marseille, où dans certains cas ils semblent préférer attendre le résultat pour s’afficher37.
22Le financement est en théorie ouvert à tous par le biais d’une information largement diffusée et accessible. Une partie importante du public potentiel a accès à la souscription dans tous les lieux de l’économie culturelle et savante, ainsi le libraire tient souvent le registre de la souscription, ou l’entrepreneur lui-même. L’assise sociale semble large, vu la contribution plus modeste demandée. La liste nous livre l’hétérogénéité des souscripteurs dans leur pratique, leur position politique ou sociale38. La participation n’est pas toujours nominale, comme l’atteste le regroupement collectif d’anonymes via un intermédiaire comme le cas du banquier Franck qui prend quarante billets (à Lyon, le cercle des terreaux prend collectivement un grand nombre de billets). Les souscripteurs qui sont à la fois lecteurs de prospectus, visiteurs d’ateliers et spectateurs privilégiés d’essais et d’expériences ont des motivations différentes, et la promesse d’un divertissement pour tous stimule leur curiosité, servant ici l’avancement des projets. L’orgueil de figurer sur une liste promouvant cet événement à la mode joue certainement autant que se passionner pour l’expérience elle-même. Mais toute l’élite n’y figure pas, et certaines figures notables manquent, alors qu’au contraire des personnes inconnues y prennent place. Ici le consensus naît justement de la composition équilibrée des différents groupes qui composent la société urbaine, et qui se partagent la promotion de l’entreprise.
23L’élite locale y apparaît donc avec de nombreuses différences, parce qu’en premier lieu la définition sociale d’un souscripteur ne recouvre pas la réalité des champs sociaux qu’il traverse, et en second lieu parce qu’à l’intérieur même des catégories esquissées par les ordres traditionnels ou un classement socioprofessionnel inadéquat, réapparaissent les écarts sociaux dus à la fortune, à l’insertion locale ou familiale. Le débat, sans cesse reformulé, des classifications sociales appliquées au monde de l’Ancien Régime resurgit lors de toute tentative d’analyse de ce type de document. Le partage par ordre demeure le cadre structurant de la société d’ancien régime, il empoisonne les débats sur le vote aux États, il décide des partages au sein des pouvoirs locaux et régionaux, il reflète la puissance et les privilèges. Si cette approche permet de constater la présence de tous les ordres, et de personnages cultivant un certain niveau de fortune et de savoir, de toute évidence, il faut tenter d’affiner par d’autres critères ; l’introduction d’autres catégories comme parlementaires, officiers du roi, négociants, ou la recherche d’une appartenance aux sociétés savantes ou aux loges maçonniques permet d’enrichir l’analyse39, car la liste met sous nos yeux finalement un tableau nuancé40.
24Toutes ces capitales régionales dont le rayonnement géographique est certain possèdent des périodiques (refondés pour certains à ce moment précis) : Gelherte Nachtrichten à Strasbourg, le Journal de Guyenne à Bordeaux, lancé en 1783 comme les Affiches de Bourgogne en novembre 1783, Le Journal de Lyon, l’hebdomadaire créé par Mathon de la Cour à Lyon. Dijon et Bordeaux sont des villes parlementaires, mais aussi des villes négociantes. Bordeaux accueille un grand nombre de négociants étrangers via les comptoirs et les banques. Dans ces capitales provinciales au commerce développé, les fonctions culturelles, économique et politique s’équilibrent non sans tensions. La liste de souscripteurs propose l’affirmation d’un espace social de l’élite éclairée, dans sa disposition, ses détails, ses hiérarchies. L’ordre en est strictement alphabétique (à l’exception de Dijon qui choisit un ordre chronologique) : dans cette entreprise, les trois ordres traditionnels sont effacés et redistribués en vertu d’autres critères et dans de subtiles combinaisons. L’ensemble de la ville prend connaissance, dans les chambres de lecture et dans les cafés, partout où les prospectus sont édités et lisibles, des personnes qui ont souscrit et pour combien de livres. Cependant la liste ne rassemble qu’une petite partie des milieux urbains : jouerait-elle alors comme une métonymie de la ville, représentative de leurs caractéristiques ? Ainsi, l’étude plus détaillée du cas de Strasbourg permet de mettre en lumière la manière dont la liste représente le milieu culturel local. Ville récemment intégrée au royaume, elle possède une élite industrielle et négociante de premier plan, qui nourrit le vivier intellectuel européen autour de l’école de diplomatie, en lien avec de nombreuses cours allemandes.
Le cas de Strasbourg
25À la charnière de la diffusion de la culture française et allemande, la ville voit naître deux projets en même temps, et dont les expériences auront lieu à quelques jours d’intervalle en mai 1784. Autour du projet des deux mécaniciens, de Gabriel et Pierre, dont nous savons peu de chose, la liste regroupe 254 noms. Ces entrepreneurs qui ne sont pas strasbourgeois possèdent un nombre d’instruments remarquables et un laboratoire qui leur permet de dispenser des cours réputés. Ils peuvent ainsi conquérir un public curieux et le convertir au projet. Leur sérieux et leur capacité de persuasion ne font guère de doute car ils s’attachent immédiatement le patronage du Magistrat de la ville et des représentants du roi ainsi qu’un nombre important de souscripteurs, dont des représentants des petites cours rhénanes. Une rapide répartition des souscripteurs montre que sur la liste figurent des membres du Magistrat, de la noblesse, des grands officiers, et l’équivalent de l’intendant, le prêteur royal. Les écarts sociaux à l’intérieur de la liste apparaissent cependant de manière patente, mettant en scène au côté de la noblesse d’empire et luthérienne, la bourgeoisie de la ville et une petite élite intellectuelle, juriste et médecin entre autres. Pour 56 noms indéterminés, les 198 autres souscripteurs ont pu être singularisés de la manière suivante : la noblesse (53) dont la part des militaires (18), le clergé (12), la bourgeoisie (36). Ce dernier qualificatif ne correspond ici pas au tiers-état, mais à la qualification de « bourgeoisie de ville » propre au système strasbourgeois qui distingue les bourgeois inscrits dans les « tributs » et les « manants41 » ; c’est une catégorie regroupant l’élite financière et commerçante de la ville mais ouverte aux nouveaux venus et lieu d’un possible brassage social. Enfin, on rassemble un groupe de « divers » (79) sur lequel nous reviendrons.
26La noblesse est représentée par de grandes figures telles les princes, son Altesse Sérénissime le Prince et la princesse deux Ponts et le Prince de Thurn et Taxis, sans déroger de l’ordre alphabétique : seule marque de distinction, leur nom est en caractère majuscule42. Il n’y a pas de préséance, on y trouve accolée la présence de la petite noblesse locale peu fortunée dont le mode de vie comme la culture diffèrent également des récents anoblis, issus du négoce telle la puissante famille de Dietrich. Enfin, on discerne les capitaines et commandants des régiments présents : le maréchal de camp Klinglin, Balthazar, le colonel du régiment de Namur, des officiers au régiment d’Artois, des officiers du génie ou d’artillerie… L’amplitude révélée à l’intérieur même des ordres traditionnels montre que l’objet des Lumières incarné par la montgolfière est l’occasion pour toute une frange de la petite aristocratie locale rhénane de se hisser au rang du mécénat princier qui reste le modèle référent de la souscription, d’agréer ainsi noblesse luthérienne et famille catholique, vieilles familles alsaciennes et officiers de passage. Le projet à la fois ostentatoire et moderne propose de faire l’épreuve de l’expérience qui a fasciné la Cour versaillaise et le Roi. Les tenants du pouvoir, de l’intendance d’Alsace, de la ville, comme Falkhenhayn, anmeister, Zorn de burlach, le staetmeistre, le prêteur royal Gérard et les grands officiers de la province affichent leur soutien : le conseiller Jean Pierre Gau, receveur particulier des finances d’Alsace, le receveur Bart, contrôleur général des bois d’Alsace, Bourste, le conseiller au conseil souverain d’Alsace, Kastner, le subdélégué secrétaire en chef à l’intendance d’Alsace, Kempfer le receveur des impôts de la province, etc. Mais à leur côté, figurent aussi de nombreux autres officiers : secrétaires de la chambre d’économie, syndics, greffiers.
27À leur côté, bourgeois et négociants constituent 25 % de la liste Strasbourgeoise. Un certain nombre de bourgeois de la ville inscrits dans les tributs sont identifiables, indépendamment de ceux qui sont directement membres du magistrat de la ville et qui appartiennent à l’oligarchie locale. Cette bourgeoisie, très composite, prouve son intérêt pour l’événement culturel scientifique du moment : le « brasseur43 » Johann Joachim Fischer, l’orfèvre Emerich, nouvellement reçu bourgeois, le fabriquant de passoires Diemer, le « droguiste » Wachter, et le libraire Treuttel.
28Regroupés sous la catégorie « divers », se rassemblent ici les hauts fonctionnaires officiers, négociants, banquiers, intellectuels, médecins, avocats, notaires, savants et techniciens. Au côté de la bourgeoisie figurent en effet des figures du grand négoce : le négociant en épices Jean-George Hebeisen, le marchand de vin Saum, le directeur d’une grande manufacture de cotonnade Abraham Dürninger, ou encore un industriel lié à la papeterie Nicolas Pasquay. De ce milieu, sortent également les grands noms du magistrat44, les Brakenhoffer XIII, les Hennenberg XIII, leurs familles produisent des conseillers, entrant aux services des cours allemandes ou devenant diplomates. Ces hommes cultivés n’hésitent pas à investir dans des projets savants : Pasquay possède une collection de minéraux renommée, et Imlin, célèbre orfèvre, est un collectionneur d’art avisé45.
29En outre, sur la souscription figure l’élite savante formée en partie à l’université protestante, autour de la médecine ou du droit. Les prédicateurs philosophes et les intellectuels strasbourgeois y sont bien présents : la province, loin du parisianisme, et sans académie, montre sa capacité à jouer un rôle actif46. À l’élite d’origine protestante s’adjoignent les hauts fonctionnaires de passage, catholiques, et les familles notables comme les libraires Levrault, Laquiante, secrétaire de la loge maçonnique des beaux-arts, les docteurs Lachausse et Laurent, l’abbé Louis, le chancelier de l’université. Une élite polymorphe d’un monde intellectuel qui n’exclut ni les financiers, ni les banquiers cultivés, tel de Turkheim, la famille Freis, banquier et amateur d’art, lié avec Goethe47, ou le banquier de Franck, qui anime un salon où se rencontrent artistes et littérateurs. Les scientifiques en revanche, sont relativement peu présents, mais on distingue toutefois les professeurs de l’école d’artillerie, Schurer, professeur de chimie, et Brackenhoffer, professeur de mathématique, Charles Chrétien Kramp, un des traducteurs de l’ouvrage de Faujas de Saint Fond en allemand, et la famille de l’apothicaire Spielmann, médecin accoucheur réputé, lié à de nombreuses sociétés savantes européennes enfin les membres de la prestigieuse école de diplomatie, comme le diplomate et historien Conrad Pfeffel et le professeur Koch.
30La liste correspond bien à une ville en profonde mutation qui, depuis le début des années 1780 s’est largement ouverte et agrandie, elle compte désormais 40 000 habitants. L’horizon culturel s’est transformé48, grâce à une génération née dans un milieu luthérien et patriarcal, ayant fréquenté le gymnase protestant, qui a porté l’esprit du « Burgerfreund », marqué cependant par un certain repli patriotique. Ce mouvement laisse place, d’une part, à des modèles plus universalistes (dont les prémices étaient perceptibles à travers des initiatives comme la société de lecture dès 1759 du notaire royal Laquiante, présent également parmi les souscripteurs49), et d’autre part, à une génération plus francisée, représentée entre autres par de Turkheim et le grand pasteur protestant Blessig ; impliqué dans l’activité maçonnique, secrétaire de la société de philosophie et belles-lettres, la réputation de ce dernier dépasse largement les frontières locales.

Graphique 6. – Composition de la souscription de Strasbourg (total 198 sur 254).
31Ces animateurs de transformations culturelles, initiateurs de sociétés savantes nouvelles, de petits cours privés, de salons, ou encore de loges maçonniques, ont voyagé, entretiennent des correspondances nombreuses et répondent à des opportunités d’avancement social en Allemagne comme en France : université, école, diplomatie, conseil. À l’image de l’ensemble de la société, Strasbourg s’ouvre à des mouvements novateurs, incarnés par l’exemple de la Société des philanthropes50, les premières loges réformatrices, radicales, prolongées parfois par l’illuministe, et dont les acteurs soutiennent l’entreprise aérostatique. Les maçons ne sont cependant pas massivement présents sur les listes, constituant ici 11 % de la souscription (ils représentent 17 % des souscripteurs lyonnais et 18 % des souscripteurs bordelais)51. L’idéal de fraternité élaboré par la maçonnerie, comme l’a montré Pierre-Yves Beaurepaire, développe le concept de « l’autre » tout en posant sa propre limite d’intégration ; les loges n’intègrent ni les femmes ni certains étrangers : les musulmans exceptionnellement ainsi que les juifs. À Strasbourg52, la loge est réticente à la cooptation du Cerf Beer, personnalité juive importante qui anime un cercle éclairé. Ce dernier, souscrivant pour le ballon, trouve sa place au sein de la liste. Les négociants, qui demeurent également aux marges des sociabilités académiques, mais aussi les étrangers, et en premier lieu, les négociants de passage, souscrivent à la liste. Actifs dans les cercles de commerce et chambres de lecture, cette catégorie est emblématique d’une frange qui joue un rôle majeur dans la circulation des nouvelles françaises et européennes au gré de leur déplacement53. Enfin la présence des femmes est un élément remarquable : elles forment 8 % des listes strasbourgeoises et lyonnaises : des représentantes de l’aristocratie princière comme la princesse de Gallitzin à l’aristocratie locale comme la baronne d’Oberkirch ; on trouve également un groupe de femmes cultivées, participant aux cours publics et aux salons littéraires, qui montrent leur intérêt pour l’expérience. Elles côtoient les femmes de la bourgeoisie, notamment la veuve de l’éminent professeur Spielmann, ou des femmes de négociants qui reprennent les affaires et montrent par là leur intérêt aux faits de la science, par patriotisme local peut-être : la veuve Keller, Madame Lahaye, Madame Mainone, Mme Willmann. À travers ce mécénat, elles affichent leur soutien à un projet qui ne les exclut pas. La souscription permet un recrutement moins exsangue que les sociétés savantes, et offre durant quelques semaines, voire quelques mois de nouvelles occasions de visite, d’apprentissage, de discussions.
32La souscription semble donc une manifestation éphémère de cette société urbaine qui tente d’atténuer les clivages sociaux et confessionnels ayant profondément fragmenté la ville, réunissant les élites catholiques, les militaires en garnison et la noblesse luthérienne locale, l’oligarchie strasbourgeoise et municipale et les nouveaux bourgeois, les intellectuels, indépendamment de leur confession (les souscripteurs dont on a pu déterminer la confession, se regroupent pour moitié entre catholiques et moitié protestants). Aucun groupe ne domine. Strasbourg, carrefour des Lumières et consciente de son identité bilingue, diffuse les brochures aérostatiques éditées dans les deux langues ou publiées en français puis transcrites dans les Gelherte Nachrichten.

Figure 10. – Prospectus de Degabriel et Pierre, « Dessinée d’après nature le jour de la première expérience faite à Strasbourg, le 26 mars 1784 ». Archives municipales de Strasbourg, AA, no 2053.
33Bien que des distinctions au sein de la liste soient réintroduites, comme la somme donnée par chaque souscripteur qui reclasse l’importance de leur participation, il semble que les pratiques d’ouverture soient bien réelles54. Et le principal effet est de créer un espace homogène autour du projet. Certes, la désinvolture financière à laquelle peut céder Mme d’Oberkirch par curiosité en achetant une souscription n’équivaut pas à l’effort d’autres souscripteurs qui procèdent à cette dépense de façon plus réfléchie. Les écarts apparents ne doivent pas faire oublier que les sociabilités urbaines ont déjà permis une circulation forte entre les différents groupes culturels et sociaux et que ceux-ci y trouvent une forme d’expression, voire d’aboutissement. Toutefois, lorsque la baronne d’Oberkirch se moque de l’émoi que suscite chez les bons bourgeois de la ville l’échec du ballon de l’opticien Adorne : « Je trouvais la ville en émoi à cause d’un essai malheureux d’un ballon construit par le sieur Adorne, opticien de cette ville […]. Cette catastrophe fit grand bruit et occupa surtout la bourgeoisie et le commerce55 », on mesure que des mondes sans coïncidences se rangent derrière la même action publique. Ce mécénat public scientifique et citadin inaugure de ce fait, une forme assez nouvelle. Autrement, comment même imaginer que les noms puissent se glisser les uns à la suite des autres de façon consentie, alors même que des combats de préséance importants émaillent toute l’histoire urbaine de la fin de l’ancien régime. Sur de tels sujets l’élite éclairée prend la consistance d’une réalité sociale.
34L’étude de l’ensemble des promoteurs des expériences laisse se profiler au-delà des réels antagonismes qui peuvent les diviser le principal enjeu social de l’expérience : la cohésion autour du ballon de la ville. La démarche de souscrire égalise les auteurs dans un geste commun, dans le même temps, elle singularise des postures individuelles publiques. Ils peuvent y affirmer à bon compte leur soutien à un monde d’amélioration alors qu’une partie d’entre eux peuvent tenir des positions totalement opposées dans le champ économique et social, telle la noblesse bouguignonne, mue globalement par un mouvement de repli et de réaction féodale, ou encore les grands armateurs nantais, agents zélés du commerce lucratif de la traite… Les souscripteurs achètent leur place dans l’élite éclairée qui soutient ce processus. Partagée par des forces individuelles, anonymes ou collectives, la souscription estompe les tensions habituelles qui traversent ces milieux urbains et met en scène une forme de consensus autour du progrès.
L’expérience et les villes à l’échelle de l’Europe
Les villes face à l’ordonnance royale de 1784
35La situation se complexifie pourtant au printemps 1784 avec la généralisation de l’ordonnance de police parisienne. En effet, dans la majeure partie des cas, les grandes entreprises sont sur le point d’aboutir. la ville n’a plus la décision en main, elle doit en référer à l’intendant et au ministre. La ville donne l’autorisation si le roi le permet, elles sont prises en tenaille entre la pression d’une partie de leur élite qui désire voir l’expérience, et d’autre part la gestion de l’ordre public. Ce dilemme touche ces mêmes élites qui peuvent soutenir individuellement les expériences tout en tenant une position différente dans la fonction de leur office.
36La diffusion de l’interdiction s’opère via des lettres des ministres, aux intendants qui transmettent ensuite aux conseils des villes, et conjointement, aux subdélégués pour qu’ils vérifient que la mesure est bien appliquée. Généralement, le conseil des villes écrit à l’intendant pour lui faire part de la délibération. On peut observer ce jeu de va-et-vient par le petit dossier dans le Hainault et le Valenciennois. Dès le 25 avril 1784, le Maréchal de Ségur, ministre responsable de la région, envoie la circulaire via l’intendant Seinac de Meilhan aux subdélégués :
« Il est revenu au Roy que les machines aérostatiques avaient déjà causé des accidents en plusieurs endroits ; elles pourraient en occasionner de nouveaux et pour les prévenir, sa Majesté me charge d’enjoindre les officiers de police des villes situées dans mon département de rendre une ordonnance pour défendre à tout particulier de quelque condition qu’il soit de lancer des ballons ou machines aérostatiques chargées de feu sans y être autorisé par le gouvernement sous peine de désobéissance. Je viens en conséquence de mander au magistrat de votre ville de se conformer sur les champs aux intentions du Roy à cet égard. Je vous prie d’y veiller et de me certifier56. »
37Après l’ordonnance du 23 avril 1784, pour les autorités urbaines, un transfert s’effectue autour de l’idée de la chose publique. Si les amateurs voient ainsi leur liberté contrainte voire interdite, cette restriction est la même pour les villes vis-à-vis du pouvoir royal, dans leur désir de soutenir la conquête aérostatique. L’adaptation locale de l’ordonnance est assez variable et s’étale sur plusieurs semaines. Certaines villes, voyant le processus inéluctable, devancent parfois la circulaire, comme c’est le cas par exemple à Strasbourg, prévenue le 21 mai par le Maréchal de Ségur. Les juges de la police
« … les avaient déjà prévenus en rendant dès le 17 Mai une ordonnance conforme à celle publiée à Paris. Nous avions l’honneur, Monsieur, de vous adresser ci-joint quelques exemplaires de cette ordonnance publiée et affichée le 2 juin. Nous vous prions, Monsieur, de vouloir bien par occasion, instruire le Ministère, les consuls et magistrats de la ville de Strasbourg de notre empressement à nous conformer aux mesures que la prudence lui a dictée contre l’abus dangereux qu’on pourrait faire de cette nouvelle invention, Si on en permettait indistinctement les expériences57 ».
38La mesure se justifie d’autant plus que la ville vient d’essuyer l’envol raté d’Adorne où un risque d’incendie à réellement eu lieu. Mais les municipalités rencontrent un écueil, car la décision serait impopulaire et elle incomberait alors aux autorités locales. Certaines villes retardent cependant l’application, comme à Bordeaux où l’ordonnance est prise le 8 juillet 1784 seulement après une délibération du 6 juillet,
« les papiers publics ayant annoncé divers accidents [….] il est de la prudence et de la sagesse de la magistrature de rassurer les citoyens contre les justes craintes […]. Que la dernière expérience faite dans cette ville ayant eu tout le succès qu’on pouvait désirer, et ayant mérité à ses auteurs les suffrages et les éloges de tous les habitants, cet exemple honorable pour cette capitale prouve qu’il est possible de concilier la faveur et la protection dues aux progrès des arts relativement aux aérostats, avec la sévérité dont on doit oser contre ceux qui ont une confiance aveugle en une téméraire présomption, tiennent lieu des talents et des lumières nécessaires pour diriger l’exécution58 ».
39Suit l’interdiction de la magistrature, signée par le maire, lieutenant et Jurats de Bordeaux, sous peine d’une amende de 1 000 livres applicables moitié au dénonciateur et l’autre à la maison de force59. Au vu des deux émeutes qui ont eu lieu à Bordeaux en décembre et en mai, la municipalité avait en main tous les éléments pour édicter l’ordonnance dès la mi-mai. Pourtant elle impose le moment de sa décision. Il y a plusieurs raisons à cela, d’une part, les mauvaises relations entre les jurats bordelais et Vergennes, et d’autre part, l’assurance que deux nouvelles expériences allaient être effectuées : la première ayant eu lieu en juin, est un succès. En outre, elle est soutenue par l’intendant Dupré de Saint Maur, qui pour le coup ne peut taxer d’obscurantisme les jurats.
40L’ordonnance rend nécessaire une autorisation qui engage une expertise60 et fait tomber sous le coup de sa juridiction la machine déjà construite. Cazalet, n’ayant pas encore réalisé son expérience, se retrouve sous le coup de l’ordonnance. À Strasbourg, de Gabriel et Pierre à la veille de leur expérience sont contraints d’envoyer des mémoires aux magistrats et au ministre afin de les rassurer, de même les protagonistes de l’expérience nantaise doivent-ils demander une autorisation expresse à la veille du départ. Dans les villes qui n’ont pas connu d’expérience, l’insistance des publics s’engage parfois entre les pouvoirs locaux, les entrepreneurs et les ministres. L’ordonnance entraîne la raréfaction des entreprises car les vols sont désormais très contrôlés, modifiant donc sensiblement la cartographie des initiatives.
Patriotisme local et universalisme
41L’intérêt de publics curieux pour les sciences expérimentales et la philosophie naturelle est général en Europe au XVIIIe siècle ; il prend la forme dans le contexte français d’une expression de l’autonomie des provinces, mettant en valeur des capitales régionales, à la fois expression de patriotisme local mais se jouant sur le plan de l’universel et du progrès. Le schéma fonctionne assez différemment dans le contexte des pays Allemands ou en Angleterre ou au Piémont61… Le modèle allie, de manière rhétorique, patriotisme et universalisme. En faisant l’impasse sur la célébration royale, il peut être adapté diversement, comme dans l’expérience de Chambéry menée par Xavier de Maistre62. L’expérience semble s’inscrire dans l’orbite d’une reproduction du modèle culturel français, l’adhésion jouant cependant sur une forte mise en valeur de la ville.
42La façon dont se joue l’implication des acteurs locaux (amateurs, savants, autorités) et les formes de la réception de l’innovation permettent de cerner la singularité du fait français et de mesurer les écarts de cette diffusion en Europe car les espaces sociaux de la réception sont différemment constitués63. La part des milieux urbains, les formes de l’initiative, et l’acculturation à la science d’un plus large public ne permettent pas au même phénomène d’émerger. Néanmoins, les démonstrateurs itinérants ont pu trouver un public informé, curieux et prompt à financer le spectacle curieux. En Angleterre, la montée de ce public de science pour les entrepreneurs se fortifie dès le milieu du siècle et par ailleurs Jan Golinski a souligné cette montée de l’intérêt scientifique d’un public de classes moyennes et urbaines provinciales. La chimie passe par d’autres vecteurs que la royal society, les conférenciers sachant profiter de l’émergence de l’audience bourgeoise des villes anglaises64, où manufacturiers et chimistes passent des alliances particulières, hors de l’orbite londonienne. Pourtant les vols assez nombreux en 1785 sont rarement le fait d’une production locale, et comme l’a souligné Richard Gillespie, le développement de l’aérostation tient de la démonstration spectaculaire et marchande, il appartient plus à l’entertainment et se développe par le biais d’aventuriers65 ; malgré la présence de nombreuses sociétés savantes, la participation de celles-ci reste minimale66 tandis qu’en Allemagne, malgré le nombre d’expériences à ballon perdu, les initiateurs ne parviennent pas à trouver des appuis suffisants pour développer des expériences « en grand ».

Figure 11. – Expérience de Blanchard à Nüremberg, 1787. Collection du Musée de l’Air et de l’Espace.
43Hormis l’aventure de Lütgendorf en 1786, les démonstrateurs itinérants se contentent de faire de petits vols, à l’exception de Blanchard qui réalise entre 1785 et 1792 de nombreuses expériences, et fournit même la toile de fond d’un des romans de von Knigge : Die Reise nach Braunschweig, ein comischer Roman. Selon Olivier Hochadel, qui a dénoué le parcours du démonstrateur itinérant, Berchitz, ces démonstrations très populaires n’étaient pas regardées comme valorisantes pour une partie de l’élite urbaine qui ne souhaitait pas s’y investir67. La période connaît de nombreuses mutations au sein des élites urbaines éclairées allemandes, tendant vers l’homogénéisation des cultures et des groupes sociaux68. Étienne François a bien montré les métamorphoses des milieux urbains allemands, entre les villes empreintes de la fonction négociante, les villes libres, et les villes de résidence princière qui connaissent une très grande dynamique, culturelle et démographique, comme toutes celles de l’espace protestant. L’expérience ne joue cependant pas comme un processus participant à l’intégration du négoce et des élites traditionnelles de la culture, comme c’est le cas en France. La concurrence entre les villes existe pour les petites expériences, Lichtenberg observe la progression des projets entre ses amis d’Hanovre et de Cassel69, il suit les expériences de Leipzig et de Berlin, et souhaiterait être « le premier en Allemagne », la notion de territoire ici est bien intériorisée, donnant du sens à l’action. Mais, il s’agit plus d’une fierté entre savants, et l’expérience ne produit pas le même effet d’agrégation citoyenne que celui des souscriptions françaises.
44Y a-t-il capitalisation de l’intérêt des expériences de certains amateurs et savants de 1784 (à Breslau, Wien, Leipzig, Berlin) qui se pérenniserait dans l’accueil fait ensuite à Blanchard pour réaliser ces vols ? Cela pourrait en fait expliquer son parcours particulièrement fécond en Allemagne. Ces expériences, de plus assez hiérarchisées dans leur protocole et leur scénographie, offrent un registre intermédiaire, entre l’entreprise de spectacle et la fête publique, à laquelle elles ne s’identifient pas complètement, sans être exactement l’équivalent des célébrations urbaines qui ont lieu en France. Blanchard se rend dans de grandes places marchandes, des lieux d’activité d’édition, de commerce, comme Frankfort, Hamburg ou Nuremberg70, mais il étendra ensuite son périple dès qu’une opportunité lui sera offerte. Lors de son expérience à Nuremberg en 1787, l’organisation du vol, la multitude des représentations auxquelles elle donne lieu, le retour en triomphe de Blanchard et la frappe d’une médaille, tout laisse à penser que l’expérience se déroule de façon un peu similaire aux expériences françaises. L’inscription sociale de l’expérience aérostatique, tant symbolique que culturelle et politique semble cependant assez différente car il ne s’agit pas du ballon produit par la ville. Ainsi lorsque Hambourg accueille Blanchard en juillet 1786, elle accueille l’artiste français. La ville possède des milieux urbains informés et curieux, des publics actifs, une société savante très réputée71, et des cercles de négociants de première importance. L’expérience permet certainement de projeter une célébration de la ville « libre », mais le poème écrit pour la circonstance montre bien que cette expérience est comprise comme « importée » et qu’elle célèbre avant tout la découverte française :
« Chor
Vivat Blanchard ! Blanchard lebe !
Blanchard ist ein grosser Mann !
[…]
Er kommt und kommt zu Hamburgs
Der Mann, der Franckreich Ehre bringt ;
Der mit dem Adler der sich zu Sonne
Kraft seiner vollen Kugel schwingt.
Er kommt er kommt, uns seine kunst zu zeigen,
Und majestich aufzusteigen72. »
45Les poèmes célébrant l’expérience, la définissent clairement comme un art français. Blanchard, vient démontrer son génie qui fait honneur à sa patrie. Le compte rendu du vol publié en français est dédié au ministre plénipotentiaire français à Hambourg. L’universalisme venu d’outre-Rhin est complexe à réinterpréter localement, on comprend la nécessité de l’aéronaute anglais Lunardi à défranciser l’expérience en s’envolant d’un ballon aux couleurs de l’union Jack dès la fin de l’année 1784.
46En 1784, ces formes de célébrations patriotiques sont corrélatives du fait que le ballon est produit en grande partie par des compétences locales ; la configuration française évoluera, ensuite, il s’agira seulement pour la ville d’accueillir et de financer Blanchard à l’instar des autres villes européennes. L’expérience de Lille en 1785 semble se situer à la charnière d’une expérience itinérante et d’une expérience locale. Les très beaux tableaux peints par Watteau de Lille pour l’occasion mettent en scène Blanchard qui emmène enfin dans la nacelle le Chevalier de Lespinard : l’ascension a lieu sous les yeux de toute la ville, le magistrat, les souscripteurs, les gardes des régiments et le peuple. On y retrouve ce moment de célébration du progrès. Mais Lille n’a pas attendu la venue de Blanchard pour s’intéresser à ce sujet73. Pendant plusieurs mois les tentatives amateurs s’étaient succédé sans succès. L’ordonnance de police renforce l’opposition latente de l’intendant d’Esmangeart. Lorsque Blanchard arrive donc à Lille, il déjoue les dernières résistances locales car sa compétence n’est plus à prouver74. Auréolé de la traversée de la Manche de Douvres à Calais, il a déjà réalisé 13 autres ascensions ! L’expérience lilloise si elle n’est pas complètement l’expérience des amateurs de cette ville demeure néanmoins encore une production urbaine locale, et non un simple divertissement auquel participe l’ensemble des acteurs, y compris pour la fabrication de la machine, vernis et gaz puis qu’elle met à contribution les savoirs faire locaux75. Par la suite, Blanchard produira dans différentes villes françaises une démonstration de son art, l’expérience lilloise reste la dernière expérience française célébrant le ballon produit par la ville. Lorsque la municipalité lilloise lui offre en récompense une boîte en or d’une grande valeur, lui donnant le choix entre la boîte et une somme d’argent, il choisit alors la boîte pour ne pas risquer de signer un comportement mercenaire. Ses considérations évolueront, et en 1787 la ville de Valenciennes délibère pour fixer la somme qu’elle paie pour sa démonstration et qu’il accepte sans états d’âme.
47L’investissement des villes est symbolique, politique et financier. Le vol devient un moment de célébration de la vie urbaine que l’on peut comparer à d’autres événements festifs et collectifs. À titre d’exemple, la célébration de la paix signée en novembre 1783 coûte à la ville d’Aix 1 774 livres (du travail des menuisiers à la graisse de chandelle76). En comparaison, la ville de Marseille, paie 200 portefaix pour l’expérience aérostatique, et ne peut récupérer que 790 livres par les entrepreneurs77. Le solde négatif en 1785 s’élève encore à 2 117 livres, c’est bien plus que le prix que la publication de la paix coûte à la ville d’Aix. L’investissement de certaines communautés urbaines est donc important au regard de leurs finances : l’expérience permet à travers l’envol des citoyens montés dans cette machine « la cohésion sociale autour du culte du progrès78 ». L’aérostation propose une relecture des fonctions urbaines qui laisse apparaître de nouveaux enjeux, opérant symboliquement la transformation de la bonne ville de France en ville des Lumières. Ainsi, les villes fabriquent leurs ballons selon une procédure identique afin de parvenir à un résultat équivalent espéré (le vol), et partagent la conscience d’appartenir à un même territoire marquant l’émergence de publics éclairés provinciaux. La souscription dans le cas français n’est pas un acte purement ostentatoire, ce geste soutien un projet technique innovant qui s’exprime dans les prospectus et les planches gravés par les entrepreneurs : il s’agit de produire le ballon avec leurs propres ressources. C’est pourquoi le modèle est autant intellectuel que financier, il propose un échange à la ville : il y aurait bien une « idéologie de la montgolfière » comme le soulignait Jean Sgard79. L’aérostation semble permettre une intégration des différents acteurs : entrepreneurs, savants, magistrats, sociétés savantes, intendants, ecclésiastiques, militaires, parlementaires, négociants… dans le monde du progrès. On peut dès lors comprendre comment l’organisation de ces expériences devient un objet de transactions particulières et comment l’initiative et l’entreprise se construisent à l’intérieur de différents enjeux et dépendent globalement des tensions internes à la ville. L’aérostation transfert le désir de mobilité et l’attitude volontaire des entrepreneurs au service des corps et des hiérarchies urbaines. La distinction entre l’entrepreneur et l’aventurier passe par l’exposé du projet, mais aussi par le fait que la propriété de l’expérience devient un projet public, dont le contrôle échappe aux seuls entrepreneurs. Ce sont donc les usages sociaux de l’expérience qui font de celle-ci un véritable enjeu, à l’échelle individuelle et à l’échelle collective, un enjeu sur lequel se mesure le rôle que chacun aux yeux de tous.
Notes de bas de page
1 Roche D., Le siècle des Lumières en province, Académies et académiciens provinciaux, 1680-1789, 2 vol., Paris, EHESS-Mouton, 1978.
2 Denys C., Police et sécurité au XVIIIe siècle dans les villes de la frontière franco-belge, L’Harmattan, 2002. Elle pointe les différents partages de la fonction de police entre les pouvoirs urbains, et notamment à Lille ou le Comte Dubus tient le tribunal laissant le commandant face au magistrat.
3 Archives municipales de Nîmes, OO. 143. Du 28 janvier 1784, imprimé, Ordonnance de police de messieurs les magistrats municipaux de la ville de Nismes, lieutenants généraux de police, juges des causes civile et criminelles, du 28 janvier 1784, qui fait inhibition et défense à tous les particuliers, de quelques qualités et conditions que ce soit de lancer des ballons aérostatiques. Archives municipales de Lyon, série II non coté 3 S 1244, l’ordonnance imprimée du 3 novembre par Laurent Basset, et Archives municipales de Dijon, BB. Registres consulaires, mercredi 18 février 1784.
4 Laurent Basset communique son ordonnance à de Breteuil le 9 avril 1784, cf. Archives nationales, O1.574*, fol. 307.
5 Thébaud-Sorger M., « Innovation and Risk Management in Late Eighteenth-Century France: The Administration of Inventions in French Cities at the end of the Ancien Régime », Fields of expertise, Rabier C. (éd.), Cambridge Scholars Press, 2007. p. 261-189.
6 Garden M., Lyon et les lyonnais au XVIIIe siècle, Paris, les Belles Lettres, 1970, p. 494.
7 Guyonnet M. C., Jacques de Flesselles, album du crocodile, 1956.
8 MAE, FM, IX-19, lettre de Joseph à Étienne de Lyon, le 30 septembre 1784.
9 Archives de l’Académie de Lyon, Mss 233, mémoire no 25.
10 Archives départementales de la Gironde, C. 3604, fol. 49. Lettre de Dupré de Saint Maur à La Montagne, secrétaire de l’académie de Bordeaux, le 6 janvier 1784.
11 Ibid.
12 Archives départementales du Lot-et-Garonne, E SUP AGEN, BB 85.
13 Les parlementaires pour le coup manifestent là leur intérêt aux sciences, Cubells M., La Provence des Lumières : les parlementaires d’Aix au 18e siècle, Paris, Maloine, 1984, révèle dans l’analyse des bibliothèques des parlementaires aixois la part croissante prise par les ouvrages scientifiques.
14 Archives départementales des Bouches-du-Rhône, C. 4966.
15 Archives de l’Académie de Marseille, Registre de séance, année 1784.
16 Archives municipales de Marseille, BB. 219, registre 185, secrétariat de janvier à décembre 1784.
17 Journal de Provence, troisième année, nocxxvii. « Ballons aérostatiques », p. 239.
18 Voir également projet de Lallement à Metz, Affiches des trois évêchés, jeudi 18 septembre 1783, no 38, « sciences et art », p. 299. Piquant au vif la fierté des Messins, il présente le projet sous la forme d’un dialogue fictif.
19 Feyel G., L’annonce et la nouvelle : la presse d’information et son évolution sous l’Ancien Régime (1630-1788), Oxford, Voltaire foundation, 2000, p. 1239-1244, il revient sur « l’extraordinaire Joseph Paris de Lespinard » ; voir également Trénard L., « La presse périodique en Flandre au XVIIIe siècle », Dix-huitième siècle, 1970, p. 77-101.
20 Archives municipales de Lille, AG carton 703, dos. 13, Requête pour l’ouverture d’une souscription, juillet 1784.
21 Hunn J. M., The Balloon Craze in France, 1783-1799: a study in popular science, Vanderbilt University, Nashville, 1982, chap. iv, « The diffusion of the craze in the provinces, 1783-1785 ». Il étudie la distribution des vols p. 211-213 sur des critères démographiques et économiques.
22 Charles Eleonore Dufriche de Valazé (1751-1793), grand avocat, acteur de la révolution française.
23 « Lettre original 7 février 1784 de Dufriche des madeleines à Dufriche Valazé, au bureau d’Alençon », citée par Jomard, biographie de Conté par Jomart, suivie de notes historiques sur Sées, 1937. Lettre transmise par Léon de la Sicotière, p. 75-76.
24 Archives municipales de Lille, AG carton 703, dos. 13.
25 Roche D., Les Républicains des lettres, gens de culture et Lumières du XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1988.
26 Toutes les participations de leurs représentants sont assez enthousiastes : à Caen, à Rouen, à Metz avec le discours de Roederer à l’exception d’un mémoire à Clermont-Ferrand qui se prononce contre les aérostats Queriau, Mémoire contre les ballons et machines aérostatiques, 1784, mss cité par Pierre-Yves Beaurepaire, Les Francs-maçons à l’Orient de Clermont-Ferrand au XVIIIe siècle, Mémoire de maîtrise d’histoire moderne, soutenu à la Faculté des lettres et sciences humaines de Clermont-Ferrand, 1990, mais ce manuscrit n’a pas été conservé à l’académie. Voir également Archives départementales de l’Hérault, plusieurs mémoires sous la cote D121, notamment celui de Lenormand, Louis Sébastien, « horloger », fol. 153, et de M. Blanquet, correspondant. Archives départementales H131, Archives de l’Académie de Stanislas, cf. Boyé P., Les premières expériences aérostatiques faites en Lorraine (1783-1788), Paris-Nancy, Berger-Levrault, 1909, Procès-verbaux de manuscrits, vol. VII, p. 4 (16 décembre 1783). Cf. Gosseaume P., Précis analytique de l’Académie royale des sciences, belleslettres et arts de Rouen depuis sa fondation en 1744 jusqu’à l’époque de la Restauration, le 29 juin 1803, t. V, 1780 à 1793, Rouen, P. Périau, 1814-1821.
27 Affiches des trois évêchés, jeudi 22 janvier 1784, no 4, p. 25.
28 Affiches d’Angers, vendredi 2 avril 84, p. 60.
29 Grenouilleau P., Nantes, 2003, p. 109-110.
30 BNF, Cabinet des estampes, Histoire des ballons.
31 BNF, Fonds maçonnique, FM2. 322-328, loge nantaise, fol. 124, loge Saint-Germain, 1784.
32 Bouissy M.-T., Le musée de Bordeaux : 1783-1789, étude psychosociologique d’une société des Lumières, Paris, 1973.
33 Les structures concurrentes regroupent les sociétés savantes, société d’agronomie, musées mais aussi la multiplication des loges maçonniques, chambre de lecture, sociétés philanthropiques.
34 Roche D., « Les sciences dans les académies provinciales », in Les Républicains des lettres, p. 205-216.
35 Cette liste ayant été retrouvée fort tard dans nos recherches l’étude n’a pu être menée que très partiellement, notamment en m’appuyant sur le travail effectué par beaurepaire, op. cit.
36 D’après Heitz F. J., Un anniversaire : les débuts de l’aéronautique en Alsace, 1784, Colmar, 1933, mais nous n’avons pas pu retrouver ce deuxième état de la souscription.
37 À Angers, Proust renonce à la publication de la liste dans les Affiches, la réservant pour le procèsverbal qui suivra l’expérience, vendredi 9 janvier 1784, p. 12.
38 Les mutations qui s’opèrent au cours de la période moderne rendent peu pertinent le partage de ces acteurs dans les trois ordres : les variations du tiers, la place des négociants, l’écart même des genres de vie à l’intérieur de la noblesse et de la bourgeoisie. Les essais de catégorisation des listes de souscription de l’encyclopédie par Robert Darnton reproduisent également ces partages ; les travaux récent issus de la micro histoire essayant de penser la complexité des identités sociales des acteurs. Ici, il s’agit de voir comment les élites représentent leur cohérence, sans nier la grande hétérogénéité des groupes et des individus en présence.
39 Hunn J. M., Balloon Craze in France: a study of popular culture, 1783-1799, 1982, Vanderbildt University, p. 286.
40 Pour Bordeaux, on a pu s’appuyer prioritairement sur l’ouvrage de Ferret E., Statistique générale du département de la Gironde, 1re partie, Biographies, Bordeaux, Paris, 1889 ; les notices a la biographiques de Bernardeau, BMB, 713 I, Laboubée, Notices biographiques manuscrites, BMB, 712 et La Lamontaigne, BMB 1696 XIX. Enfin, restent les registres du commerce (AD série 7B), les corporations (AD série 6E) droguistes, architectes, médecins…
41 La bourgeoisie est constituée de 20 corps de métiers, 6858 personnes dont 4861 évangélistes en 1789, cf. Livet G., Rapp F. (dir.), Histoire de Strasbourg, Toulouse, Privat, 1987 ; Ehrmann J. F., Notices historiques, statistiques et littéraire sur la ville de Strasbourg, II t., Strasbourg, Levrault, 1817.
42 L’ordre chronologique des souscriptions a cours dans les entreprises éditoriales, par exemple pour les objets, tels les globes de Robert de Vaugondy, cf. la liste reproduite in Pedley M. S., Bel et Utile, The Work of the Robert de Vaugondy Family of Mapmakers, Tring (GB) Map collector publ. 1992. L’ordre alphabétique semble une forme plus récente.
43 Le mot entre guillemet signifie que la catégorie est spécifiée dans la liste.
44 Muller E., Le Magistrat de la ville de Strasbourg, les stettmeisters et ammeisters, de 1674 à 1790, les prêteurs royaux, de 1685 à 1790, et notices généalogiques des familles de l’ancienne noblesse d’Alsace depuis la fin du XVIIe siècle, Strasbourg, Salomon, 1862.
45 J’ai pu m’appuyer pour réaliser cette analyse, outre sur la lecture des almanachs et études sur le magistrat strasbourgeois, sur les listes des tributs aux archives municipales, et sur l’excellent Kintz J.-P. (dir.), Nouveau Dictionnaire de Biographies Alsaciennes, Fédération des sociétés d’histoire et d’archéologie d’Alsace, 1982-2003, 31, abréviation NDBA.
46 On peut confronter la lecture de la liste à l’Almanach du Bas Rhin, rédigé par Oberlin J.-F., Strasbourg, Lorenz et Schuler.
47 NDBA, op. cit.
48 Fink G.-L., « Strasbourg, carrefour des Lumières ? La mosaïque culturelle de l’Alsace à l’époque de Schoepflin », in Strasbroug, Schoepflin et l’europe au XVIIIe siècle, Bonn, Bouvier, 1996, p. 284-318.
49 Cette société savante accueillait les alsaciens sans distinctions de confessions, Chatellier L., « En prélude des Lumières : les activités d’une société de lecture de journaux à Strasbourg au milieu du XVIIIe siècle », in Modèles et moyens de la réflexion politique au XVIIIe siècle, tome I, Moyens de diffusion : gazette, brochures, chansons, discours, bibliothèques, Lille, 1977, p. 287.
50 Voss J., « Die Straßburger “Société des philanthropes” und ihre Mitglied im Jahre 1777 », in Deutsch-Französische Beziehungen im Spannunpfeld von Absolutismus, Aufklärung und Revolution, Berlin, Bonn, Bouvier Verlag, 1992, p. 121-133.
51 Je me suis fixée sur les tableaux de loges conservés à la Bibliothèque nationale, ces résultats sont à majorer probablement, cf. Diringer B., Franc-maçonnerie et société à Strasbourg au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise sous la direction du doyen Georges Livet et du professeur Louis Chatellier, Université des Sciences humaines de Strasbourg, Strasbourg, 1980.
52 Beaurepaire P.-Y., L’autre et le frère, l’étranger et la Franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1997, voir le chapitre 9, consacré à Strasbourg.
53 Ibid.
54 Il court une anecdote comme quoi des plaisantins se seraient cotisés et auraient inscrit « Mme Salade », marchande lyonnaise sur la souscription du Flesselles. Je n’ai pas retrouvé de traces qui confirment l’anecdote mais elle marque bien la possibilité d’accéder à la liste, et le risque aussi de dévalorisation d’une élite dont les critères de recomposition sont a priori très ouverts.
55 Oberkirch d’., Mémoires de la Baronne d’Oberkirch, sur la cour de Louis XVI et la société française avant 1789, édition présentée et annotée par Suzanne Burckard, Mercure de France, Le temps retrouvé, 1970 et 1989, chap. xxviii, p. 364.
56 Archives départementales du Nord. Série C. Intendance. C. 9035, no 121 et suivant, le Maréchal de Ségur, via Sénac de Meilhan aux subdélégués du Hainault à Valenciennes.
57 Archives municipales de Strasbourg. Série AA., no 2053. Dossier aérostation, Lettre du 21 juin 1784. 7. Lettre du magistrat à M. le prêteur royal.
58 Archives municipales de Bordeaux, BB. 140, Délibération du 6 juillet 1784, p. 50-52.
59 Ibid.
60 Thebaud-Sorger M., art. cit., voir Taillefer M., Une académie interprète des Lumières : l’Académie des sciences, inscriptions et belles-lettres de Toulouse au XVIIIe siècle, Paris, CNRS, 1984, p. 150.
61 Arzecco D., Mongolfiere, scienze e lumi nel tardo Settecento, Cacucci Editore, Bari, 2003, chapitre 3, p. 119-203.
62 Nicolas J., La Savoie au 18e siècle : noblesse et bourgeoisie, Paris, Maloine, 1977, 1978, t. II, p. 1015.
63 Espagne M., Werner M. (dir.), Transferts. Relations interculturelles dans l’espace franco-allemand (XVIIIe-XIXe siècles), Paris, 1988.
64 Golinski J., Science as public culture: chemistry and Enlightenment in Britain, 1760-1820, Cambridge University Press, 1992.
65 Gillespie R., « Ballooning in France and Britain, 1783-1786: aerostation and adventurism », Isis, 1984, no 75, p. 249-268, p. 263-264.
66 Ibid, p. 266.
67 Hochadel O., Öffentliche Wissenschaft. Elektrizität in der deutschen Aufklärung, Göttingen, Wallstein, 2003 p., 298-300.
68 Van Dülmen R., Die Gesellschaft der Aufklärer. Zur bürgerlischen Emanzipation und auklärerischen Kultur in Deutschland, Francfort, 1986, François E., Sociabilités et société bourgeoise en France, en Allemagne et en Suisse, 1750-1850, Paris 1987, et « Négoce et Culture dans l’Allemagne du 18e siècle », in Cultures et Formations négociantes dans l’Europe moderne, Angiolini F., Roche D. (dir.), Paris, 1995.
69 Il fait référence à l’ouverture d’une souscription à Cassel, Lichtenberg, op. cit.
70 François E., « Des républiques marchandes aux capitales politiques : remarques sur la hiérarchie urbaine du Saint-Empire à l’époque moderne », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, 1978 (35), p. 587-603.
71 Ces sociétés savantes, proposent des savoirs orientés vers des sujets d’intérêt de général, telle « la société patriotique à Hambourg », particulièrement étudiée par Kopitsch F., Grundzüge einer Sozialgeschichte der Aufklärung in Hamburg und Altona. Verein fur Hamburg. Geschichte, 1990.
72 Schäffer J.-C., Vivat Blanchard « Oder : Da kommt der rechte Luftschiffer ! » Eine Bewilkommungs Cantate welche rercht schon in Musik gesezt werden konnte Herrn Blanchard zu ehren den seiner Unkunft in Hamburg, Julius 1786.
73 Debièvre E., « Notes sur l’histoire de l’aérostation dans la région du Nord de la France, 1783-1851 », Revue du Nord, 1895, et Hirschauer C., Notes sur l’histoire de l’aérostation dans le Pas-de-Calais, Arras, 1910. Relation de la 14e ascension de Blanchard à Lille, le 26 août 1785, avec la carte et le développement de ce voyage aérien, in-32, 20 p. avec planche. Lille, 1879 ; et Lettre à Messieurs Blanchard et le chevalier d’Espinard sur leur voyage aérien à Lille en Flandres le 26 août 1785, in-32, 16 p., 1785.
74 Supplément au no 4 des Feuilles de Flandres, 1785, p. 25, « Prospectus de la 14e expérience de M. Blanchard, Pensionnaire du Roi et citoyen de Calais ».
75 L’apothicaire Carette-Sohier pour l’enveloppe vernie et la fabrique d’huile de vitriol du Sieur Valentino pour la production d’air inflammable.
76 Archives municipales d’Aix. CC. 861, chapitre 10, « dépenses exceptionnelles », fol. 522. État de la dépense faite par la communauté d’aix, à l’occasion de la publication de la paix, 28 déc. 1783.
77 Archives municipales de Marseille, série CC. 3966 spectacle public. Participation de la ville à la construction d’un aérostat.
78 Liliane Hilaire-Pérez, L’invention technique au siècle des Lumières, Paris, Albin Michel, coll. « Évolution de l’humanité », 2000, p. 81.
79 Jean Sgard, « Les philosophes en montgolfières », in Actes du Huitième Congrès international des Lumières, Bristol, 21-27 juillet 1991, Oxford, Voltaire foundation, 1992, p. 94-113, p. 110.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008