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Le monde parlementaire au XVIIIe siècle

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Alain Lemaître

La liberté par les libertés. Trois barreaux parlementaires contre la réforme Lamoignon (Aix, Rennes, Toulouse. 1788)

Hervé Leuwers

Texte intégral

  • 1 Marcel Marion, Le garde des sceaux Lamoignon et la réforme judiciaire de 1788, Paris, Hachette, 19 (...)
  • 2 Voir notamment, Jean Egret, La pré-révolution française, 1787-1788, Paris, PUF, 1962, p. 204-205 ; (...)
  • 3 Discours prononcé par les députés de l’ordre des avocats à M. le premier président, du 10 juin 178 (...)

1En mai 1788, par une série de textes, le roi et son garde des sceaux Lamoignon humanisent la procédure pénale, réforment la carte judiciaire, redéfinissent la justice seigneuriale et, plus encore, abaissent les parlements en réduisant leurs effectifs, en confiant l’essentiel de leur pouvoir d’enregistrement à une Cour plénière et une part de leurs compétences judiciaires à quarante-sept grands bailliages1. Face à ce qui est perçu comme un coup de force, la réponse des milieux judiciaires est vive ; le mouvement apparaît encore plus dur qu’en 1771, plus uni et plus cohérent ; il est vrai que, cette fois, la réforme s’accomplit en un même élan, qui facilite les réactions communes ; il est vrai aussi que les exils des parlements de Paris et de Bordeaux (1787), de même que les remontrances des cours de Grenoble, Rennes et Rouen ont, en certaines provinces, préparé la mobilisation2. Le contexte général, d’ailleurs, incite au débat et permet aux avocats une prise de parole d’une ampleur inconnue jusque-là. À Bordeaux, Dijon, Grenoble, Paris, Rennes, Rouen et Toulouse, les ordres assurent le parlement de leur fidélité et interdisent à leurs membres d’accepter toute place dans les nouveaux grands bailliages. Plus encore, dans certains ressorts parlementaires, comme ceux de Bordeaux, Metz, rennes ou Rouen, le mouvement gagne tous les tribunaux et toutes les activités judiciaires, entraînant une paralysie presque complète de la justice3.

  • 4 Sur les relectures en cours de la question, voir notamment, Alain J. Lemaître, « L’opposition parl (...)
  • 5 Robert Chagny, « La révolution dauphinoise et la nation », dans Robert Chagny dir., Aux origines p (...)
  • 6 Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, = 1172, Lettre des avocats au parlement de Provence, à Monseigneu (...)
  • 7 C’est le cas des barreaux de Marseille et de Toulon en Provence. Lettre des avocats au parlement d (...)
  • 8 Jean Egret, op. cit., p. 146.
  • 9 Sur les hésitations des présidiaux transformés en grands bailliages, voir Frédérique Pitou, « Le p (...)
  • 10 Lenard R. Berlanstein, op. cit., p. 145-146.

2Dans ce conflit essentiel dans l’histoire de l’opposition parlementaire4 et dans celle de la dynamique révolutionnaire, la parole des avocats est d’abord individuelle et éclatée, comme à Grenoble, où Lemaître, Achard de Germane, Pison du Galand et Barnave adoptent des positions et des argumentaires parfois éloignés5. Dans les trois grands barreaux d’Aix, de Rennes et de Toulouse, elle se fait cependant collective et publique par l’édition de lettres au garde des sceaux et au roi, qui expriment inquiétudes ou colère. Paraissent ainsi la Lettre des avocats au parlement de Provence, à Monseigneur le garde des sceaux (1788), la Lettre des avocats au parlement de Toulouse à Monsieur le garde des sceaux – très influencée par la précédente – (juillet 1788), et les Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne au roi (9 août 1788)6. Si, à l’intérieur d’une province, ces textes suscitent parfois – comme en Provence – l’adhésion de barreaux secondaires7, ils n’entraînent pas un mouvement politique d’une cohérence nationale ; d’ailleurs, à l’exception de l’ordre de Pau, qui adresse une protestation manuscrite à la monarchie8, les autres barreaux parlementaires ne formulent guère par l’écrit une opposition qu’ils concrétisent pourtant dans l’action. De plus, ces actions ou ces textes collectifs ne doivent pas occulter la division du barreau, particulièrement dans certains présidiaux promus au rang de grand bailliage où les avocats épousent les hésitations de juges partagés entre attentisme, résignation ou engagement en faveur d’une réforme dont certaines dimensions entrent en résonance avec leurs attentes9 ; les tensions internes s’observent également à l’intérieur même des ordres parlementaires les plus mobilisés comme celui de Toulouse10.

3L’examen des mots, des arguments et des méthodes par lesquels les ordres parlementaires d’Aix, de Rennes et de Toulouse entrent dans le débat laisse pourtant transparaître une commune culture de l’engagement public, en même temps que d’importantes divergences dans la manière de concevoir les pouvoirs respectifs du monarque, des parlements et des nations. Plus que l’improbable union du groupe des avocats, l’engagement contre la réforme trahit la diversité des barreaux et un ancrage provincial qui leur fait défendre les libertés avant la liberté ; sensibles aux débats publics, les avocats parlementaires paraissent cependant, derrière un respect proclamé de la tradition, mettre à profit la crise de l’été 1788 pour renouveler en partie leur discours, leurs regards sur l’avenir politique du royaume et, finalement, leurs revendications.

Paroles d’avocats et de citoyens

  • 11 Bibliothèque municipale de Rennes, Ms 465, Registre des délibérations de l’ordre des avocats de Re (...)
  • 12 Lettre des avocats au parlement de Provence..., p. 3 ; titre de la Lettre des avocats au parlement (...)

4La nature d’un texte collectif est souvent moins évidente qu’il n’y paraît au premier abord ; en 1788, les protestations des ordres parlementaires d’Aix, de Toulouse et de Rennes échappent d’autant moins à la règle, qu’on est peu informé sur leurs conditions d’élaboration. Le seul registre qui aurait pu nous renseigner, celui de l’ordre des avocats de Rennes, est malheureusement silencieux entre le 11 août 1787 et le 12 août 1788 11 ; on en est réduit à supposer qu’à Rennes, comme à Aix et Toulouse, le texte a été rédigé comme tout document collectif de l’ordre. Des commissaires ont sans doute été chargés d’une première rédaction, avant que le document ne soit discuté, modifié puis adopté en assemblée générale. Quoi qu’il en soit, chaque protestation prétend exprimer un vœu collectif ; les auteurs déclarés sont « les avocats du parlement d’Aix », « l’ordre des avocats au parlement de Bretagne » et les « avocats au parlement de Toulouse 12 ». Dans tous les cas, l’affirmation est renforcée par une mise en scène de l’adhésion collective qui, sous forme d’une liste de signataires reproduite à la fin de l’imprimé, laisse entendre que le texte est issu d’un débat plus ou moins consensuel. À Aix, l’unanimité est presque atteinte, puisqu’on dénombre 80 signatures pour un barreau de 91 membres ; les choses sont moins évidentes à Rennes (90/152) et moins encore à Toulouse (125/222), où l’ordre aborde divisé la confrontation avec la monarchie.

  • 13 David A. Bell, Lawyers and Citizens. The Making of a Political Elite in Old Regime France, New-Yor (...)
  • 14 Lettre des avocats de Provence..., p. 5 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 4 ; T (...)
  • 15 En même temps que patrie, nation et leurs dérivés, qui permettent à Edmond Dziembowski de souligne (...)
  • 16 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne (...)
  • 17 « Citoyens, jurisconsultes, destinés par état [...] », dans Lettre des avocats au parlement de Tou (...)

5Par-delà les contextes locaux, une double légitimité de la parole de l’avocat s’affirme. Construite tout au long du XVIIIe siècle13, elle repose d’abord sur une base professionnelle, car c’est en juristes que les auteurs prétendent s’exprimer. Comme « avocats » ou « jurisconsultes », ils revendiquent une expertise et une mission qui les invitent à la parole publique, par fidélité à la loi et à la magistrature. Les avocats d’Aix affirment que, par état, ils doivent « un culte plus particulier à la sainteté des lois » ; ceux de Toulouse se prétendent « destinés par état à porter la lumière dans les questions les plus difficiles », tandis que leurs confrères de Rennes écrivent qu’avant d’abandonner leurs fonctions, ils doivent « en faire un dernier usage14 ». Mais la légitimité de l’action repose également sur une citoyenneté revendiquée ; le mot « citoyen », dont l’usage s’est particulièrement développé depuis la guerre de Sept ans15, se retrouve ainsi à plusieurs reprises dans chacun des textes étudiés. En se présentant comme un « ordre de citoyens » ou comme « citoyens & jurisconsultes »16, les avocats de Rennes expriment avec le plus de netteté une complémentarité des deux états, que l’on retrouve également à Aix et Toulouse17.

  • 18 « Garder le silence lorsqu’on peut servir sa patrie & son roi, c’est les trahir » : Lettre des avo (...)
  • 19 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 5.

6Dans ces conditions, la prise de parole n’est pas un droit mais un devoir : à Rennes, l’ordre se refuse à « garder le silence » ; plus explicites, les avocats d’Aix écrivent que se taire c’est « trahir le serment qui les voue à la partie, au souverain & aux lois », idée bientôt reprise par leurs confrères de Toulouse18. Au sein de ces affirmations, le service du roi n’est jamais oublié. À Toulouse, si les avocats s’expriment en jurisconsultes et en citoyens, ils rattachent également leur engagement à un nécessaire dialogue avec la monarchie : « Oui, Monseigneur [le garde des sceaux], c’est répondre à l’invitation du souverain, c’est entrer dans nos vues, que d’éclairer le ministère sur les vices de la révolution actuelle19. » Il ne s’agit sans doute pas ici d’une allusion à l’arrêt du Conseil qui, adopté deux jours plus tôt (5 juillet), invite les « personnes instruites » à s’exprimer sur la réunion des États généraux, mais plutôt d’un rappel – également présent dans la protestation aixoise adoptée en mai – d’un prétendu devoir de conseil envers le prince ; l’idée renvoie à l’image traditionnelle d’une monarchie à l’écoute de ses serviteurs, pour le bien de ses peuples. Dans le même temps, à Aix et Toulouse, l’usage distinct des mots « citoyens » et « sujet » est révélateur de l’émancipation de la nation, qui n’est plus considérée comme étant le roi lui-même ; l’absence du mot « sujet » du texte de Rennes, rédigé en août dans une ville davantage sensible aux idées patriotes, souligne par ailleurs la rapidité et l’ampleur des recompositions en cours.

  • 20 Voir, « erreurs » (Aix, p. 41), « oppression » (Toulouse, p. 6), « servitude » (Toulouse, p. 9), « (...)

7Dès le mois de mai, pourtant, ce sont bien les « citoyens » qui sont au cœur des préoccupations politiques des avocats. C’est d’abord dans leur intérêt qu’ils dénoncent la réforme Lamoignon ; ils en rejettent le contenu : la Cour plénière chargée de l’enregistrement des lois de portée générale, les grands bailliages qui vident les parlements de leur substance, la réforme de la justice seigneuriale... Ils dénoncent aussi la méthode du garde des sceaux, et particulièrement l’enregistrement forcé des édits, évoquant à chaque fois le recours à la force armée. Tous sont d’accord sur les faits, même si les mots changent pour les désigner. À Aix, on se veut avant tout respectueux du pouvoir, et l’on se contente d’en dénoncer les « erreurs ». Le mot est repris à Toulouse, mais cette fois, comme à Rennes, c’est un vocabulaire plus polémique qui est mis en œuvre : on parle « oppression » (Toulouse), « servitude » (Toulouse), « barbarie » (Toulouse), « esclavage » (Rennes, Toulouse), « arbitraire » (Rennes)20... Derrière ces différences, ce sont des nuances dans l’approche de la crise qui émergent ; elles sont particulièrement sensibles dans la manière d’aborder le thème de l’élaboration des lois.

Les parlements et la formation de la loi

8Sous la protestation commune, la diversité des regards politiques affleure, particulièrement sur la question de la légitimité des ordonnances et des édits royaux. Pour les avocats, il s’agit d’abord de discuter les textes de mai 1788, à l’origine du conflit ; mais au-delà, leurs protestations ne peuvent faire l’impasse sur les conditions de l’élaboration de la loi – en général –, et sur la responsabilité qu’ont les cours en la matière, par l’intermédiaire de leurs droits d’enregistrement et de remontrance. D’un texte à l’autre, une position commune se dégage : le refus de la Cour plénière, dont l’organisation blesse des usages validés par l’histoire. Derrière lui, cependant, des conceptions divergentes de l’enregistrement, ou des pouvoirs respectifs du roi, des parlements et de la nation – ou des nations – dans l’élaboration de la loi révèlent une disparité politique ancrée dans les cultures provinciales.

  • 21 Lettre des avocats de Provence..., p. 8, 9, 12. Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. (...)

9C’est par le refus de la Cour plénière que les ordres se rejoignent. Son rejet est d’abord motivé par sa nouveauté même ; à Aix, Toulouse et Rennes, la démonstration s’articule autour de trois arguments communs qui dessinent l’image d’une monarchie que l’on souhaite respectueuse des parlements. Le premier rappelle la tradition d’un enregistrement provincial de la loi, à laquelle les avocats de Rennes accordent le titre de « maxime fondamentale ». reprenant l’idée d’une nécessaire proximité entre la justice et les peuples, présente dans les « édits Lamoignon », les ordres dénoncent ensuite une Cour plénière éloignée des provinces et inattentive à leurs attentes ou à leurs besoins. Une telle situation, enfin, est assimilée à une promesse de « servitude » (Aix), d’autant plus certaine que les membres d’une telle cour ne disposeraient d’aucune indépendance réelle21. Si la cohérence de l’argumentaire démontre un même attachement aux procédures traditionnelles d’enregistrement, elle n’est pas signe d’adhésion à une même manière d’envisager l’élaboration de la loi.

  • 22 Lettre des avocats de Provence..., p. 5-6.
  • 23 Lenard R. Berlanstein, op. cit., p. 149.
  • 24 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 11, 15-19, 22.
  • 25 Très-humbles et très respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne (...)

10À décomposer les démonstrations d’Aix, de Rennes et de Toulouse, on isole en effet trois conceptions des pouvoirs parlementaires. La plus modérée est développée par le barreau d’Aix, qui affirme qu’en France « le roi seul est législateur » ; à aucun moment, il n’évoque un partage de ce pouvoir entre le roi et la nation, ou entre le roi et le parlement, ce dernier n’assurant à ses yeux qu’une vérification de la loi préalable à sa publication22. À Toulouse, où la proximité entre magistrature et barreau a été soulignée par L. Berlanstein23, la théorie exposée est plus proche du discours parlementaire. S’appuyant sur l’article « Enregistrement » de l’Encyclopédie, les avocats reconnaissent aux cours des fonctions qui leur assureraient un « enregistrement libre », qui donnerait aux textes royaux leur caractère de loi24. Les Représentations des avocats de Rennes dévoilent un troisième cas de figure, plus démocratique ; cette fois, c’est le droit du peuple qui est mis en exergue, car plus que le parlement, ce seraient les États de la province qui assureraient l’acceptation des lois ; la législation, y lit-on, « commence par la volonté du souverain & s’achève par le consentement de la nation, & l’enregistrement des cours ». Ici, loin d’être les « représentants » de la nation, les parlementaires n’en sont que ses « défenseurs25 ».

11Face aux prétentions royales, chaque ordre se détermine selon sa culture provinciale et son vécu politique, suscitant des regards différents sur ces prétentions parlementaires qui, d’une cour à l’autre, ne se définissent d’ailleurs pas en de mêmes termes. Pour autant, quelques points d’accord existent ; à Rennes, Aix ou Toulouse, tous reconnaissent aux parlements le rôle d’un pouvoir intermédiaire, garant des libertés traditionnelles. Dans leur prise de parole, la défense des parlements se nourrit ainsi d’un constant attachement aux libertés provinciales. Même si d’autres raisons peuvent motiver l’engagement collectif des avocats – à commencer par le souci de défendre une institution qui assure leur subsistance, leur état professionnel et leur reconnaissance sociale –, cette fidélité est l’un des moteurs proclamés de l’action.

Les parlements et les libertés des nations

  • 26 Lettre des avocats de Provence..., p. 9 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 20.

12Dans le discours politique des barreaux, la fidélité à une vision traditionnelle des relations entre le souverain et ses provinces, entre le roi et ses peuples, apparaît centrale... C’est d’abord en son nom que les ordres rejettent la Cour plénière, à l’origine de laquelle ils dénoncent des « idées d’uniformité » (Aix), ou une « loi uniforme [...] incompatible avec les privilèges, les mœurs, la situation des diverses provinces qui [...] composent [le royaume] » (Toulouse). S’appuyant parfois sur Montesquieu,26 comme à Toulouse, ils insistent sur la diversité française, et son nécessaire respect ; pour eux, la liberté se décline au pluriel ; plus que la liberté, ce sont les libertés qui comptent, ou plutôt, la liberté ne paraît pouvoir exister sans les libertés.

  • 27 Clarisse Coulomb, op. cit., p. 429-433.
  • 28 Marie-Laure Legay, Robespierre et le pouvoir provincial. Dénonciation et émancipation politique, A (...)
  • 29 Sur la vison unitaire de la nation, voir Edmond Dziembowski, op. cit., p. 350-368.
  • 30 Lettre des avocats de Provence..., p. 9, 11, 20 ; Très-humbles et très respectueuses représentatio (...)

13Que l’opposition à la réforme Lamoignon se cristallise autour de la défense des franchises provinciales ne doit pas étonner. Après tout, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, les provinces qui ont perdu leur représentation provinciale, comme le Dauphiné, la Normandie, la Franche-Comté ou la Guyenne, n’en réclament-elles pas le rétablissement27 ? Après la réforme provinciale de Calonne, et malgré Sieyès, les provinces ne dominent-elles pas encore le débat public au début de 1789, qu’on pense À la nation artésienne de Robespierre ou à l’Appel à la nation provençale de Mirabeau28 ? En un temps où « nations » et « peuples » sont souvent employés comme synonymes, sans qu’on leur accorde une dimension tantôt ethnique, tantôt politique, l’usage de ces mots – au pluriel – trahit d’ailleurs la prégnance d’une vision plurielle de la monarchie, qui coexiste avec une vision unifiée, particulièrement présente dans les discours qui mettent en scène la relation à l’étranger29. À Aix, les avocats évoquent la « nation provençale », et parlent des « nations » ; la monarchie, écrivent-ils encore, est « composée de plusieurs peuples distincts par leurs usages, par leurs besoins, par leurs caractère, par leurs habitudes ». À Rennes, on parle des nations et des peuples, en même temps que les avocats assurent écrire en « François & Bretons ». Et même à Toulouse, où le mot nation renvoie à l’ensemble des Français, la diversité du royaume transparaît dans une formule comme les « peuples de cette vaste province », ou dans l’insistance sur la diversité régionale du royaume30.

  • 31 Lettre des avocats de Provence..., p. 5, 7, 8 ; Très-humbles et très respectueuses représentations (...)

14Par la diversité revendiquée – comme par la défense du droit d’enregistrement des cours – c’est une image contractuelle de la monarchie qui émerge. Selon les ordres, le roi a des obligations envers ses provinces et les peuples qui y vivent, qui remontent aux origines mêmes de la construction du royaume. D’un barreau à l’autre, les mots pour le dire ne sont pas les mêmes. À Toulouse, les obligations du roi envers ses peuples du Languedoc et du comté de Toulouse sont soulignées par un généreux usage de « contrat », qui renvoie aux accords par lesquels leurs ancêtres sont entrés dans le royaume. Plus largement utilisé, le mot « constitution » remplit la même mission. On le retrouve à Rennes, où les avocats dénoncent les modifications apportées à la « constitution de la monarchie » ; sa dimension provinciale est plus explicite à Toulouse, où l’ordre évoque « la constitution particulière du Languedoc » ; quant aux avocats de Provence, si peu offensifs sur la question du pouvoir législatif du monarque, ils se montrent virulents sur ce sujet, dénonçant avec constance le « renversement » de leur constitution ou les « atteintes » qui y sont portées par Lamoignon31.

  • 32 Lettre des avocats de Provence..., p. 8, 17, 23 ; Très-humbles et très respectueuses représentatio (...)
  • 33 Lettre des avocats de Provence..., p. 10, 26, 28 ; Très-humbles et très respectueuses représentati (...)

15Il est vrai que l’enjeu est majeur, puisqu’il s’agit de la préservation d’acquis qu’à Aix, Toulouse et Rennes, on qualifie d’abord de « droits », « libertés » et « franchises » – trois pluriels –. « Privilèges » se rencontre également, mais a un statut plus ambiguë. Alors qu’à Toulouse, l’ordre en fait un synonyme de droits et franchises, l’employant à plusieurs reprises dans une énumération destinée à donner plus de poids à sa démonstration, on ne le retrouve pas dans la Lettre des avocats au parlement de Provence, tandis que ceux de Rennes le rejettent explicitement en écrivant : « Les corps ont des privilèges, les nations ont des droits ». rédigée en août, dans une ville à l’avant-scène du combat patriote, les Représentations se détachent ostensiblement d’un mot dont la signification s’infléchit progressivement32. Pour autant, le combat pour les libertés est au cœur de tous les discours. À Aix, Toulouse et Rennes, les avocats réclament la libre vérification provinciale des lois, bien sûr, qui doit assurer une adéquation des normes et des mœurs dans un cadre spatial jugé naturel, parce que traditionnel et historique. L’autonomie revendiquée est également fiscale et, plus généralement administrative ; mais, là où les avocats de Toulouse l’évoquent timidement, ceux de Rennes la soutiennent avec conviction, tandis que ceux d’Aix assurent que la levée de l’impôt est plus facile lorsque le peuple croit « pour ainsi dire, ne les payer qu’à lui-même33 »... Ici, la variété des arguments trahit d’incontestables différences d’approche.

  • 34 Souligné dans le texte, Lettre des avocats de Provence..., p. 19.
  • 35 Monique Cubells, Les horizons de la liberté. Naissance de la Révolution en Provence. 1787-1789, Ai (...)
  • 36 Jean Egret, op. cit., p. 217-218 ; François-Xavier Emmanuelli, « Une relecture de la pré-révolutio (...)
  • 37 Lettre des avocats de Provence..., p. 15, 19 ; Très-humbles et très-respectueuses représentations (...)

16Une fois encore, il convient de nuancer les convergences du discours, tant la diversité des traditions et des contextes locaux peut susciter de visions différentes des libertés provinciales. Dans le domaine administratif, la contradiction la plus explicite sépare les protestations d’Aix et de Rennes. En apparence, en effet, l’autonomie la plus forte est réclamée par les avocats d’Aix, où les phrases paraissent particulièrement exigeantes : n’affirment-ils pas que la « Provence est une monarchie distincte de la France », et qu’elle continue « de former un État à part, un État distinct »34 ? « C’est à titre héréditaire, expliquent-ils, & non en vertu de la loi salique, ou par droit de conquête, que les fils aînés de France reçoivent successivement le droit de régner sur nous ». Le discours, conforté par le plein rétablissement des États de Provence l’année précédente35, est cependant adouci par la modération du vocabulaire employé ; il est l’expression d’un vœu traditionnel, d’une prétention déjà maintes fois formulée36. À Rennes, derrière un ton apparemment moins ferme, le discours se fait plus radical, car même si aucun État distinct n’y est revendiqué, le souvenir des tensions des années 1760 et 1770, la virulence du vocabulaire et le rappel d’un consentement nécessaire de la nation bretonne à toute décision royale, donnent au texte un ton autrement plus déterminé37. Au-delà de ces nuances, cependant, l’usage des notions de contrat, constitution, libertés, franchises et droits, se rejoint dans une même fidélité proclamée à la tradition qui, à elle seule, apparaît comme un argument essentiel des démonstrations menées...

La preuve par l’histoire

  • 38 Monique Cubells, op. cit., p. 34-35.
  • 39 Lettre des avocats de Provence..., p. 7, 18-19 ; Très-humbles et très-respectueuses représentation (...)

17Pour défendre les droits des parlements et des nations, les avocats peuvent évoquer des motivations multiples, de la défense de l’intérêt des peuples à celle des institutions en place... Au sein de cet argumentaire, la référence au passé occupe une place aussi centrale que chez les magistrats. Le discours politique s’inscrit dans l’histoire et chaque revendication s’insère dans une narration qui plonge dans les traditions médiévales et, plus encore, dans ce moment de la réunion au royaume de France, dont les capitulations sont présentées comme inaltérables. À Rennes, l’ordre brosse une histoire des « états généraux » depuis le XIIe siècle, puis rappelle la reconnaissance des libertés bretonnes par François Ier au moment du rattachement au royaume. À Aix, les avocats – comme l’ensemble des opposants à la réforme38 – remontent au temps des comtes de Provence, dont le fameux roi René, puis citent les textes qui, sous Charles VIII, Louis XIII et Louis XIV, ont garanti et confirmé les libertés provinciales. À Toulouse, pour décrire les origines de la province de Languedoc et de son parlement, l’ordre évoque, sans surprise, la réunion du comté de Toulouse à la France, au XIIe siècle39. L’histoire justifie ; à l’opposé, l’absence d’ancrage historique prive de légitimité.

  • 40 D’après Lamoignon. Cité par Jean Egret, op. cit., p. 249.
  • 41 Lettre des avocats de Provence..., p. 8 ; Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ (...)
  • 42 Claude Nicolet, La fabrique d’une nation. La France entre Rome et les Germains, Paris, Perrin, 200 (...)
  • 43 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 11, 14.

18Le roi et Lamoignon le savent et ont, en conséquence, présenté leur Cour plénière comme l’héritière d’une tradition médiévale perdue, que Philippe VI et Charles V ont, au XIVe siècle, appelé « le consistoire des féaux, des barons, la cour du baronnage et des pairs, le parlement universel, la justice capitale de la France [...]40 ». Pour contrer la démonstration, il ne suffit pas de dénoncer l’inefficacité supposée de l’institution ou sa violation des droits provinciaux, mais aussi de lui dénier son inscription dans l’histoire. Ainsi, l’ordre d’Aix dénonce la nouveauté de la Cour plénière, tandis que celui de Rennes la qualifie de « sorte de tribunal décoré d’un nom antique41 ». Sans surprise, c’est le barreau de Toulouse, celui qui a évoqué avec ferveur les prétentions parlementaires, qui contre le plus ouvertement l’argumentaire royal ; après un long développement, il conclut que « la raison & l’histoire se réunissent donc, pour ôter à ce tribunal de nouvelle création, la forme respectable & l’antique dénomination sous lesquelles l’édit a voulu le faire paraître ». En s’inscrivant dans les débats du siècle, il développe une vision germaniste de l’histoire, qui lui permet de revenir – mais à partir du Mably des Observations sur l’histoire de France –, sur les prétendues prérogatives politiques du peuple au temps des Mérovingiens et Carolingiens42 ; et même si l’ordre conclut par un « jetons un voile respectueux sur les droits dont les Français ont constamment joui, sous la première & la seconde race »43, les implications politiques de sa démonstration sont éclatantes pour tout homme conscient des enjeux du principal débat historiographique du siècle.

19Ainsi l’ancrage dans l’histoire rejoint le provincialisme et la défense parlementaire pour faire converger les discours dans l’éloge de la tradition. Pour autant, l’attachement au passé ne doit pas éluder la nouveauté de certaines propositions. Leur dimension politique a été évoquée, déjà, dans l’ouverture démocratique du discours de l’ordre de Rennes ; mais c’est dans le domaine judiciaire que cette nouveauté s’observe le plus nettement. La mettre en évidence permet également de rappeler que la réforme Lamoignon ne peut s’analyser par la seule évocation de ses enjeux politiques, tant la question proprement judiciaire est au cœur du conflit. Sans que les juristes prennent alors nécessairement le pas sur les citoyens, les avocats reviennent sur une possible réforme de la justice pénale et, plus largement, sur le débat judiciaire qui a profondément marqué le royaume depuis les années 1760.

La justice pour tous

  • 44 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 45. Très-humbles et très-respectueuses représen (...)

20Les enjeux de la réforme Lamoignon – de la même manière que ceux du coup de majesté de Maupeou –, sont simultanément perçus comme politiques et judiciaires, cette dernière dimension n’étant aucunement négligée par les avocats. À lire leurs textes, le parlement n’est pas seulement nécessaire à l’unité de la jurisprudence provinciale, il doit aussi offrir à chacun une justice de qualité. Pour les ordres, il s’agit là d’un droit qui ne doit pas être conditionné par la valeur de la cause (au civil) ou le statut social (au criminel), mais bien permis à tous en appel ; on retrouve ici, fortement discutées, les prérogatives des nouveaux grands bailliages, qui doivent enlever aux parlements nombre de leurs causes : « Pour avoir le droit d’être bien jugé, il sera nécessaire de disputer plus de 20 000 livres » s’indignent les avocats de Rennes, tandis que ceux de Toulouse assurent que, dans les matières techniques, la proximité du tribunal compte moins que la compétence des juges44.

  • 45 Lettre des avocats de Provence..., p. 32.

21L’argument d’une diminution nécessaire du coût de la justice, également avancé pour justifier les grands bailliages, est écarté avec la même détermination. À Aix et Toulouse, les avocats reviennent ainsi longuement sur les procédures qui, dans leurs parlements, offrent une justice gratuite aux indigents ; et il est vrai qu’au XVIIIe siècle, à l’initiative de l’Église ou des barreaux, les cours ou leurs personnels ont tenté de s’ouvrir aux « pauvres plaideurs ». À Aix, l’ordre évoque le « bureau charitable » établi par l’archevêque Grimaldi, dès 1671 : « Tous les pauvres de la province, explique-t-il, qui ont des contestations ou des procès, peuvent s’y présenter, en rapportant un certificat de pauvreté, signé par le curé & les officiers municipaux des lieux de leur domicile. [...] On cherche d’abord à concilier les parties par la voie de l’arbitrage. Si le pauvre est fondé dans sa prétention, & s’il est forcé à plaider, tous les avocats à l’envi lui prêtent généreusement leur ministère, & on pourvoit aux frais nécessaires d’instruction avec les deniers de l’œuvre. Toutes les affaires des pauvres sont privilégiées : elles sont directement portées au parlement, qui, dans le cours de l’année, consacre trois audiences solemnelles pour rendre la justice à la portion souffrante des sujets de sa majesté45. »

  • 46 Bertrand Barère, Éloges académiques par M. Bertrand Barère, Paris, A. Renouard, 1806, p. 61. Gez, (...)
  • 47 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne (...)

22Les avocats de Toulouse évoquent une institution similaire, quoique plus récente ; depuis sa fondation par Bertrand Barère, en 1783, la « conférence de charité » est composée de trente-deux avocats chargés de rédiger des rapports et consultations, et de « vaquer gratuitement à la défense des plaideurs nécessiteux », tant au civil qu’au pénal46. À Rennes, les avocats se contentent cependant d’un éloge du désintéressement de leurs magistrats, qui lèvent peu d’épices ; en effet, ce n’est qu’à la suite des événements de 1788, qu’à l’instar de barreaux comme Douai, Paris, Besançon, ils vont instituer un comité de consultations gratuites pour les pauvres47.

  • 48 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne (...)
  • 49 En 1782, Victoire Salmon est condamnée à mort par le bailliage de Caen, puis par le parlement de R (...)
  • 50 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 47-48.

23Au criminel, alors que la déclaration du 1er mai 1788 (suppression de la sellette et de la question préalable...) aurait pu susciter l’enthousiasme, c’est le scepticisme, voire l’hostilité qui s’exprime, tant la réforme paraît devoir engendrer plus de dysfonctionnements que d’améliorations. Ici encore, c’est la place du parlement dans la hiérarchie judiciaire, ainsi que le droit d’accès à la justice souveraine pour tout justiciable qui sont défendus. Partout, l’image donnée de la justice criminelle du parlement est marquée du sceau de l’excellence : « Il faudra être ecclésiastique, gentilhomme ou privilégié, regrettent les avocats de Rennes, pour voir sa vie & son existence civile soumises aux seuls magistrats dans lesquels le roi prend confiance48. » à Toulouse, leurs confrères rappellent la révélation de l’innocence d’Estinès et de Salmon par les cours49 ; sans évidemment remonter aux affaires Sirven et Calas, qui paraissent appartenir à un autre âge, ils présentent les parlements comme seuls capables de dénouer les grandes affaires criminelles : « Le cœur se glace d’effroi, & l’humanité se soulève... Les bailliages sont érigés en arbitres souverains de la vie et de la mort, sous prétexte que les procès criminels sont simples de leur nature & faciles à juger »50 !

24Est-ce à dire que toute réforme judiciaire est jugée inutile ? Sur ce point, les ordres de Toulouse et d’Aix demeurent étrangement muets, et seul celui de Rennes se prononce, et très clairement, en faveur d’une profonde transformation des lois et des procédures pénales. Pour lui, la réforme Lamoignon est, en ce domaine, bien trop timide ; tout en rejetant les grands bailliages, les avocats dénoncent avec vigueur quelques défaillances du système en place. Afin d’améliorer la justice pénale, c’est même un plan complet de réforme qu’ils proposent ; reprenant nombre d’idées avancées depuis les années 1760, ils se prononcent pour l’établissement d’une procédure publique, regrettent que les accusés « continuent d’être privés d’un conseil » et dénoncent le rôle essentiel du magistrat instructeur dans la procédure :

  • 51 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne (...)

« Un seul juge rédige toujours les dépositions, & peut, par un mot mal employé, par une phrase mal conçue, aggraver les charges & compromettre l’innocence ». Allant plus loin encore, ils souhaitent une modification de la hiérarchie judiciaire en proposant deux degrés de justice, avec un appel unique devant le parlement de la province51. Et cette fois, ce n’est pas par l’histoire que la revendication s’exprime ; c’est par l’intérêt du “peuple”, de ce peuple dont les avocats de Rennes se veulent les porte-parole... »

  • 52 Sur les convergences entre leurs revendications et celles des parlementaires, voir Jean Egret, op. (...)
  • 53 Remarquons que, malgré l’emploi du singulier, révolution et régénération ne sont pas encore revêtu (...)
  • 54 Marcel Marion, op. cit., p. 156.

25Jamais avant 1788, les ordres des avocats ne sont avec une telle force intervenus dans la vie publique du pays... Dans le champ politique, leur action collective atteint alors un premier apogée ; c’est en corps sortis de l’ombre des magistrats mais toujours sensibles à leur discours52, en ordres revendiquant leur légitimité de porte-parole, que quelques grands barreaux prennent la parole. À Rennes, Toulouse et Aix, par delà leurs différences, ils font preuve d’une culture politique imprégnée d’une traditionnelle fidélité à leurs magistrats, à leur province et à une monarchie conçue comme contractuelle et respectueuse des libertés. Leur discours, par ses références à l’histoire, sa défense des capitulations à l’origine des élargissements successifs du royaume ou son refus d’une « Révolution » (Toulouse, Aix) ou d’une « Régénération » (Rennes) venus d’en haut53, apparaît comme foncièrement attaché aux usages anciens même si, d’un ordre à l’autre, la manière de les envisager s’adapte aux réalités locales. Leur engagement, d’ailleurs, s’insère d’abord dans un espace régional, où les avocats ne sont qu’une voix parmi d’autres, comme en Provence, où leur protestation intervient après celle des consuls et assesseurs d’Aix, et avant celles de la noblesse provençale et de l’Université54. Pour autant, les mots pour dire la tradition sont empruntés à un vocabulaire qui, par l’évocation du « citoyen », par la dénonciation de « l’oppression », de « la servitude » ou de « l’arbitraire », par l’appel au respect du « contrat » ou de la « constitution » qui fonde la société politique, permet un autre regard sur la monarchie. Si à Toulouse et surtout à Aix, cette dimension nouvelle se limite au renforcement souhaité de l’autonomie provinciale, la liberté revendiquée passant par les libertés, le discours se fait plus radical à Rennes, tant dans sa manière de définir la place du peuple dans l’élaboration de la loi que dans l’attente d’une réforme judiciaire d’ampleur. À des degrés divers, derrière un argumentaire forgé autour d’une tradition revendiquée, c’est un discours nouveau et une nouvelle conception de la liberté que les barreaux contribuent à élaborer.

Notes

1 Marcel Marion, Le garde des sceaux Lamoignon et la réforme judiciaire de 1788, Paris, Hachette, 1905, p. 64-98 ; Philipp Dawson, Provincial Magistrates and Revolutionary Politics in France, 1789-1795, Cambridge (Massachussetts), Harvard University Press, 1972, p. 135-141.

2 Voir notamment, Jean Egret, La pré-révolution française, 1787-1788, Paris, PUF, 1962, p. 204-205 ; Clarisse Coulomb, Les pères de la patrie. La société parlementaire en Dauphiné au temps des Lumières, Grenoble, PUG, 2006, p. 441-445 ; Olivier Chaline, Godart de Belbeuf. Le parlement, le roi et les Normands, Luneray, éd. Bertout, 1996, p. 457-474; William Doyle, The Parlement of Bordeaux and the End of the Old Regime, 1771-1790, London & Tonbridge, Ernest Benn Limited, 1974, p. 264-285.

3 Discours prononcé par les députés de l’ordre des avocats à M. le premier président, du 10 juin 1788, slnd, 4 p. ; A. Huguenin, « La cour plénière et les édits de 1788. Les avocats de Dijon à Versailles », dans Mémoires de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, 4e série, t. X, 1905-1906, p. 60-61, 95. Arch. de l’Ordre des avocats de Rouen, registre 1781-1789, 3 mai et 9 octobre 1788 ; Véronique Girard, Histoire du barreau et des avocats de Grenoble de 1750 à nos jours, doctorat d’État, dir. Marie-France Brun, Université de Grenoble, 1996, t. II, p. 291-305 ; Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine, 1 Bc 15; Lenard R. Berlanstein, The Barristers of Toulouse in Eighteenth century (1740-1793), Baltimore & London, The Johns Hopkins University Press, 1975, p. 144-146.

4 Sur les relectures en cours de la question, voir notamment, Alain J. Lemaître, « L’opposition parlementaire au XVIIIe siècle », dans Mélanges offerts au professeur Maurice Gresset, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2007, p. 113-123; Peter R. Campbell, « The Paris parlement in the 1780s », dans Peter R. Campbell, The Origins of the French Revolution, Houndmills, Palgrave Macmillan, 2006, p. 87-111; Bailey Stone, The French Parlements and the Crisis of the Old Regime, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1986.

5 Robert Chagny, « La révolution dauphinoise et la nation », dans Robert Chagny dir., Aux origines provinciales de la Révolution, Grenoble, PUG, 1990, p. 373-389. Véronique Girard, op. cit., p. 300-305 ; Clarisse Coulomb, op. cit., p. 449-451.

6 Arch. dép. des Bouches-du-Rhône, = 1172, Lettre des avocats au parlement de Provence, à Monseigneur le garde des sceaux, sur les nouveaux édits transcrits par les commissaires de sa majesté, dans les registres des cours souveraines du pays, slnd, 43 p. Arch. dép. de Haute-Garonne, 51 B 38, Lettre des avocats au parlement de Toulouse à Monseigneur le garde des sceaux sur les nouveaux édits transcrits par les commissaires de sa majesté dans les registres du parlement, le 8 mai 1788, sl, 1788, 55 p. Bibliothèque municipale de Rennes, 12134, Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne au roi, 55 p.

7 C’est le cas des barreaux de Marseille et de Toulon en Provence. Lettre des avocats au parlement de Provence..., p. 42. Ugo Bellagamba, Les avocats à Marseille : praticiens du droit et acteurs politiques (XVIIIe-XIXe siècles), Aix-en-Provence, PUAM, 2001, p. 80-81.

8 Jean Egret, op. cit., p. 146.

9 Sur les hésitations des présidiaux transformés en grands bailliages, voir Frédérique Pitou, « Le présidial du Mans en 1788 : le grand bailliage ou l’exil », dans Hugues Daussy, Frédérique Pitou dir., Hommes de loi et politique (XVIe-XVIIIe siècles), Rennes, PUR, 2007, p. 143-161 ; Vincent Meyzie, Les illusions perdues de la magistrature seconde, Limoges, PULIM, 2006, p. 347-368 ; Philip Dawson, op. cit., p. 146.

10 Lenard R. Berlanstein, op. cit., p. 145-146.

11 Bibliothèque municipale de Rennes, Ms 465, Registre des délibérations de l’ordre des avocats de Rennes, 1733-1790.

12 Lettre des avocats au parlement de Provence..., p. 3 ; titre de la Lettre des avocats au parlement de Toulouse... et des Très-humbles et très respectueuses représentations de l’odre des avocats au parlement de Bretagne au roi.

13 David A. Bell, Lawyers and Citizens. The Making of a Political Elite in Old Regime France, New-York & Oxford, Oxford University Press, 1994; Lucien Karpick, Les avocats. Entre l’État, le public et le marché. XIIIe-XXe siècle, Paris, Gallimard, 1995, p. 116-121 ; Hervé Leuwers, L’invention du barreau français, 1660-1830. La construction nationale d’un groupe professionnel, Paris, éd. EHESS, 2006, p. 211-219.

14 Lettre des avocats de Provence..., p. 5 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 4 ; Trèshumbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 2.

15 En même temps que patrie, nation et leurs dérivés, qui permettent à Edmond Dziembowski de souligner l’ampleur de la « mutation du vocabulaire patriotique » qui s’accélère à l’occasion de la guerre de Sept Ans : Edmond Dziembowski, Un nouveau patriotisme français, 1750-1770 : la France face à la puissance anglaise à l’époque de la guerre de Sept Ans, Oxford, Voltaire foundation, 1998, p. 350-368.

16 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 2-3.

17 « Citoyens, jurisconsultes, destinés par état [...] », dans Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 4. « Citoyens, nous sommes forcés [...] Jurisconsultes, nous devons [...] », dans Lettre des avocats de Provence..., p. 5.

18 « Garder le silence lorsqu’on peut servir sa patrie & son roi, c’est les trahir » : Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 5. Voir aussi, Lettre des avocats de Provence..., p. 3, 5. Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 2.

19 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 5.

20 Voir, « erreurs » (Aix, p. 41), « oppression » (Toulouse, p. 6), « servitude » (Toulouse, p. 9), « arbitraire » (Rennes, p. 7), « barbarie » (Toulouse, p. 35-38), « esclavage » (Rennes, p. 25 ; Toulouse, p. 7, 24).

21 Lettre des avocats de Provence..., p. 8, 9, 12. Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 9, 21 ; Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 4, 20, 24, 28.

22 Lettre des avocats de Provence..., p. 5-6.

23 Lenard R. Berlanstein, op. cit., p. 149.

24 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 11, 15-19, 22.

25 Très-humbles et très respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 3-5, 7, 9, 11-12.

26 Lettre des avocats de Provence..., p. 9 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 20.

27 Clarisse Coulomb, op. cit., p. 429-433.

28 Marie-Laure Legay, Robespierre et le pouvoir provincial. Dénonciation et émancipation politique, Arras, Mémoires de la CDHA du Pas-de-Calais, 2002 ; Albert Soboul, dir., Dictionnaire historique de la Révolution française, Paris, PUF, 1989, p. 750.

29 Sur la vison unitaire de la nation, voir Edmond Dziembowski, op. cit., p. 350-368.

30 Lettre des avocats de Provence..., p. 9, 11, 20 ; Très-humbles et très respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 3, 54 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 20, 40.

31 Lettre des avocats de Provence..., p. 5, 7, 8 ; Très-humbles et très respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 2 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 26, 27, 30, 31, 33, 35.

32 Lettre des avocats de Provence..., p. 8, 17, 23 ; Très-humbles et très respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 17, 28, 54 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 26, 28, 32-34.

33 Lettre des avocats de Provence..., p. 10, 26, 28 ; Très-humbles et très respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 12, 30, 35-36 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 15, 18, 27.

34 Souligné dans le texte, Lettre des avocats de Provence..., p. 19.

35 Monique Cubells, Les horizons de la liberté. Naissance de la Révolution en Provence. 1787-1789, Aix-en-Provence, Édisud, 1987, p. 8-10 ; Jean Egret, op. cit., p. 217-218.

36 Jean Egret, op. cit., p. 217-218 ; François-Xavier Emmanuelli, « Une relecture de la pré-révolution provençale », dans Pierre-Léon Féral, dir., La France pré-révolutionnaire, Paris, Publisud, 1991, p. 103-104.

37 Lettre des avocats de Provence..., p. 15, 19 ; Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 11-12.

38 Monique Cubells, op. cit., p. 34-35.

39 Lettre des avocats de Provence..., p. 7, 18-19 ; Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 13, 17 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 27-31.

40 D’après Lamoignon. Cité par Jean Egret, op. cit., p. 249.

41 Lettre des avocats de Provence..., p. 8 ; Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 5-6.

42 Claude Nicolet, La fabrique d’une nation. La France entre Rome et les Germains, Paris, Perrin, 2003, p. 57-106.

43 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 11, 14.

44 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 45. Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 31.

45 Lettre des avocats de Provence..., p. 32.

46 Bertrand Barère, Éloges académiques par M. Bertrand Barère, Paris, A. Renouard, 1806, p. 61. Gez, Discours adressé (le 9 mars 1783) à une société d’avocats au Parlement de Toulouse, sur un projet d’une conférence de charité, sl, 1783, p. 2 et 13. Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 50.

47 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 48 ; Hervé Leuwers, op. cit., p. 204.

48 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 31-33.

49 En 1782, Victoire Salmon est condamnée à mort par le bailliage de Caen, puis par le parlement de Rouen en appel, pour avoir empoisonné un de ses maîtres ; elle est innocentée en 1786 par le parlement de Paris. Catherine Estinès, accusée d’avoir empoisonné son père, est condamnée à mort par le tribunal local (1785) ; deux ans plus tard, le parlement de Toulouse l’acquitte, tout en condamnant les juges de première instance pour falsifications. Voir Sarah Maza, Vies privées, affaires publiques. Les causes célèbres de la France pré-révolutionnaire, Paris, Fayard, 1997, p. 208-216 ; Benoît Garnot, Questions de justice, 1667-1789, Paris, Belin 2006, p. 121 ; Marcel Marion, op. cit., p. 37-41.

50 Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 47-48.

51 Très-humbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 34-38.

52 Sur les convergences entre leurs revendications et celles des parlementaires, voir Jean Egret, op. cit., p. 267-272.

53 Remarquons que, malgré l’emploi du singulier, révolution et régénération ne sont pas encore revêtus de l’image favorable qu’ils vont bientôt avoir. Lettre des avocats de Provence..., p. 41 ; Trèshumbles et très-respectueuses représentations de l’ordre des avocats au parlement de Bretagne..., p. 18 ; Lettre des avocats au parlement de Toulouse..., p. 5, 48.

54 Marcel Marion, op. cit., p. 156.

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