Chapitre IX. Naviguer au Levant en caravane
p. 361-391
Texte intégral
1Les liens noués et entretenus avec le monde arabo-musulman définissent le XVIIIe siècle tropézien. Cette influence levantine peut être pointée par la présence de « choses banales » glanées au fil de la vie quotidienne. Tapis du Levant, cafetières, fingeaux – tasses à café dépourvues d’anse –, moulins à café figurent dans les inventaires après décès où l’on compte parfois quelques piastres, sequins ou pataques. Des noms attribués à des bâtiments de mer évoquent ces contrées familières : ici le Postillon de Chypre, là la Rose d’Alexandrie, ou encore le Postillon de Constantinople, sans oublier les Saint Alexis. Melchior, Alexis, Georges et Sébastien figurent parmi les prénoms masculins rencontrés alors à Saint-Tropez.
2Ces indicateurs ne sauraient suffire pour saisir la nature réelle des contacts et prendre la mesure des échanges développés avec le bassin oriental de la Méditerranée. C’est dans cette direction, où ont été engloutis nombre de navires au cours du siècle et où tant de Tropéziens ont trouvé la mort, que s’affirme la forte originalité maritime de la place.
3Au début du XIXe siècle les auteurs de diverses enquêtes se plaisaient à rappeler, non sans étonnement, que « Saint-Tropez envoyait plusieurs bâtiments dans le Levant pour ce qu’on nomme ici la caravane. […] En 1789, la ville employait 80 navires à ce genre d’industrie1 ». Ce constat rejoint la réponse formulée par les autorités locales au milieu du XVIIIe siècle au sujet de la situation générale de la communauté. Aux questions « quel est le commerce du lieu, en quoi consiste-t-il et quel en est à peu près l’objet ? », la réponse est claire : « Tout le commerce du lieu consiste en quelques petits bâtiments de mer avec lesquels les habitants vont gaigner leur vie le long de la coste ou dans le Levant en Carravanne2. »
4Quel rôle faut-il donc accorder à cette « caravane » pratiquée dans les eaux levantines ? N’est-ce pas empiéter sur un espace réservé à la puissance marseillaise ? Répondre à ces questions exige de préciser le contenu de la navigation caravanière, comme celui du métier de caravaneur, de ces hommes qui, selon le consul d’une Échelle, « sont de grandes canailles3 ».
Caravane maritime : un « cabotage au long cours » ?
5Selon un Mémoire sur le commerce du Levant, l’armement provençal présente une activité « … qui ne laisse pas de mériter quelque attention par l’utilité que le commerce en retire. C’est ce qui est connu […] sous le nom de caravane4 ».
Caravane maritime ou « voyage à la cueillette »
6Cerner sa spécificité, c’est dire d’abord ce qu’elle n’est pas. Pour Jacques Savary des Bruslons, auteur averti du remarquable Dictionnaire universel du commerce plusieurs fois réédité au XVIIIe siècle :
« Le terme de caravane n’est d’usage qu’en Orient. Il signifie une troupe ou assemblée de voyageurs, de pèlerins et surtout de marchands qui, pour plus de sûreté, marchent ensemble… Il y a aussi des caravanes de mer qui sont établies pour les mêmes raisons et le même usage5. »
7Cette définition, reprise par l’abbé Mallet pour la rédaction de l’article « Caravane » de l’Encyclopédie, donne une image erronée de la caravane maritime. Les bâtiments caravaneurs ne forment pas de convois comme le firent au XIIIe siècle les Vénitiens. Dans la cité des Doges tous les bâtiments qui prenaient la mer à la même période, selon un calendrier fixé par la loi de la République, se groupaient en convois appelés caravanes ou muda6. Toutefois, poursuit l’abbé Mallet :
« On appelle aussi caravanes les campagnes de mer que les Chevaliers de Malte sont obligés de faire contre les Turcs et les Corsaires afin de parvenir à leurs commanderies et aux dignités de l’Ordre. On les nomme de la sorte parce que les Chevaliers ont souvent enlevé la caravane qui va tous les ans d’Alexandrie à Constantinople7. »
8Ce complément ne peut que jeter le trouble car la « caravane d’Alexandrie » était un convoi chargé d’acheminer annuellement sous escorte à Constantinople le tribut et autres provisions dus par l’Égypte à La Porte. La richesse de cette Grande caravane a attisé la convoitise des chevaliers de Malte dont les caravanes rituelles ne sauraient être à leur tour confondues avec celles pratiquées par les Provençaux. Les caravanes maltaises devaient être accomplies par les chevaliers « de minorité » dans le cadre de leur apprentissage sur les navires de l’Ordre (quatre périodes de six mois)8. Au vrai, ce corso maltais s’apparentait à une « sorte de brigandage maritime aux confins de la course et de la piraterie, agissant dans les eaux ottomanes sous couvert de croisade9 ». Rien de tel avec la caravane de mer pour laquelle il n’est pas davantage permis d’accepter la définition faisant des navires caravaneurs « des bâtiments armés en corsaires qui protégeaient les navires marchands en route vers le Levant ou les côtes de Barbarie10 ».
9Ni caravane vénitienne, ni corso maltais, ni bâtiments corsaires : comment donc définir la caravane maritime ?
10En fait, il s’agit d’une forme de grand cabotage, d’un « commerce de port à port », pratiqué surtout dans les eaux levantines par des bâtiments agissant seuls. Cette navigation est comme l’adaptation, à plus vaste échelle, du petit cabotage « hors-circuit » rencontré sur les rives nord-méditerranéennes et correspond, dans une large mesure, à l’actuel tramping. Ne nomme-t-on pas d’ailleurs cette navigation, de manière plus imagée et autrement évocatrice, de « voyage à la cueillette », de « navigation à la quête » ou encore « à la fortune » ? Les caravaneurs vont « à l’aventure le long d’une côte, de port en port, de plage en plage, pour y faire chargement en détail à mesure qu’il se présente des objets à bon marché11 ». Les marins de la France méridionale n’ont ni l’exclusivité, ni la paternité de cette navigation12. Semblable « cueillette » était pratiquée par des bâtiments de Saint-Malo rentrant en Bretagne après avoir livré en Méditerranée les fruits de leur pêche effectuée sur les bancs de Terre-Neuve13 ou encore par des capitaines-marchands ponantais se livrant au « commerce d’Inde en Inde » dans l’espace asiatique.
11Ainsi, le terme de caravane recouvre, en Provence comme en Languedoc, tous les transports maritimes assurés, au gré de la navigation et des nolis, pour le compte de chargeurs ou affréteurs étrangers. Si des caravaneurs sont attestés le long des côtes d’Italie méridionale14 et d’Espagne dans des opérations qui intègrent parfois des étapes en Barbarie15, le champ d’action privilégié de la caravane maritime, provençale en général et tropézienne en particulier, se situe dans les eaux du bassin oriental de la Méditerranée. Cependant, ni cet espace, ni cette pratique ne leur sont réservés car « des Vénitiens, des Italiens sous pavillon impérial, des Anglais, des Ragusains et des Suédois16 » se livrent à cette activité au XVIIIe siècle.
Ancienne pratique codifiée aux XVIIe et XVIIIe siècles
12Ce type de navigation qui remonterait au Moyen Âge17 se rencontre dans le bassin occidental de la Méditerranée. Là, au XVIe siècle et plus encore au siècle suivant, Languedociens et Provençaux, véritables colporteurs des mers, multiplient les expéditions entre les deux péninsules familières et le nord de l’Afrique au hasard des contrats et selon des trajectoires irrégulières18. En 1627-1629, Sébastien Martin, puis son fils Honoré, allèrent « à l’aventure » à partir de Livourne et se rendirent – pour ce qui est connu – à Alicante, Valence, Tunis, Cagliari, Palerme avant de regagner Livourne puis leur port d’attache Saint-Tropez19 ; en 1630, les Turcs leur firent « rompre le voyage » qu’ils allaient faire de Tabarque à Gênes après être passés à Livourne et Cagliari.
13Cet exemple s’apparente aux campagnes de mer des marchands-mariniers de la rivière génoise comme à ceux de la « barca » catalane qui assurent le cabotage à courte distance sur les côtes catalane et valencienne, poussent régulièrement jusqu’à Cadix, plus rarement jusqu’à Lisbonne et en Galice mais ne dépassent guère la ligne Tunis-Sicile-Italie20. Ces « postillons des mers » émerveillent par leur agilité l’auteur d’un Mémoire de 1682 qui les observent « courir de part et d’autre avec une diligence incroyable21 ».
14Au XVIIe siècle et, probablement plus tôt, des Provençaux, à commencer par les marins de La Ciotat, se livrèrent à semblable pratique dans le bassin oriental de la Méditerranée22. Quelques Tropéziens ne manquèrent pas de suivre, avec fortune diverse, leurs aînés ciotadens, ces lointains « parents » venus également au XVe siècle de la rivière de Gênes pour s’établir sur les côtes provençales. Les traces de ces expéditions tropéziennes restent médiocres, fragiles, indirectes. Dans une longue lettre, en date de 1636, le patron Honorat Magne, de Saint-Tropez, au Caire depuis de longues années, supplie les responsables de la Chambre de commerce de Marseille de venir à son secours. Parti de Saint-Tropez pour aller charger du bois à « Boniface », en Corse et le livrer à Malte, il s’est rendu ensuite à Candie charger du vin pour Chypre ; dans ce voyage qui s’apparente, par bien des points à une caravane maritime, « le bateau fut capturé et le patron pris, vendu comme esclave, puis emprisonné23 ». D’où cette supplique lancée en direction des responsables marseillais.
15Toutefois, pour Saint-Tropez le véritable élan dans cette direction levantine se produit au moment où se codifie, à la fin du XVIIe siècle, la pratique de la caravane maritime entre les autorités ottomanes et françaises. Les premières mentions officielles de location à des fins commerciales de navires européens par des Ottomans apparaissent dans le renouvellement des capitulations signées entre l’Angleterre et la Porte en 1675, démarche imitée cinq ans plus tard par les Pays-Bas24. Mais, dans le cadre de ces accords, Anglais et Hollandais pratiquaient essentiellement un commerce en droiture et non celui « de port à port » auquel se livraient les caravaneurs français. Les affrètements de ceux-ci dans les eaux de la Méditerranée arabo-musulmane furent officiellement admis à la suite d’une permission obtenue en 1686 à Constantinople par l’ambassadeur de France Girardin. À la suite de cette décision de la Porte, la caravane fut autorisée par une ordonnance royale en date du 30 avril 168825.
16En même temps, ainsi que le rappelle un règlement de 1702, cette autorisation exigeait que les bâtiments français soient munis d’un congé délivré par l’amirauté pour une durée de deux ans – les expéditions françaises dans le bassin occidental de la Méditerranée n’étant pas soumises à la même codification. Certes, dans ce texte on ne parle pas de caravane maritime mais seulement du « commerce d’Égypte, Constantinople, Archipel et Échelles26 ». En revanche, le règlement du 1er mars 1716, confirmé par la déclaration royale du 21 octobre 1727, signale clairement l’obligation d’un congé de deux ans « pour les bâtiments qui iront en caravane en Levant » ; un congé d’un an seulement est nécessaire pour le Levant – en droiture –, l’Italie, l’Espagne et les côtes de Barbarie. Toujours selon cette législation, les bâtiments caravaneurs devaient regagner un port du royaume en respectant la durée du congé « à peine de cent livres d’amende par mois au cours de la première année d’expiration du délai, puis de confiscation des bâtiments et de leur chargement pour ceux revenant après la première année expirée ». Sévérité des peines dont il faudra, au terme des caravanes tropéziennes, prendre la mesure. Au vrai, cette législation accompagne plus qu’elle ne suscite un mouvement auquel participe – discrètement à la fin du XVIIe siècle avec vigueur ensuite – les bâtiments tropéziens au cœur de l’Empire ottoman.
17Au XVIIIe siècle, cet Empire contrôle un vaste espace allant des Balkans à la Barbarie – Maroc exclu. La voie maritime est souvent, dans cette construction politique, la plus courte, la plus rapide et la moins coûteuse. Elle n’est certes pas la seule puisque les pistes terrestres sont fréquentées par d’autres caravanes, constituées celles-là en convois avec dromadaires, chevaux et mulets. Par ailleurs, si les XVIIe et XVIIIe siècles ont connu le renforcement de la présence occidentale dans le commerce international ottoman, l’importance de ce trafic ne saurait être exagéré. « Morceau de planète économiquement autonome », l’Empire est « capable, pour l’essentiel, de se suffire à lui-même27 » et une partie des activités maritimes, en Méditerranée orientale et en mer Égée, est le fait de caboteurs ottomans28.
18Néanmoins, ceux-ci restent insuffisants. Les longues guerres vénéto-turques de la seconde moitié du XVIIe siècle et l’activité du corso maltais, attisée par les intérêts français, n’ont pas favorisé le développement d’une flotte marchande turque ; aussi les Ottomans font régulièrement appel aux navires européens neutres29 et notamment aux services de bâtiments provençaux considérés comme plus sûrs car non menacés par les corsaires maltais ou barbaresques à la suite de la ratification, sous le règne de Louis xiv, d’accords diplomatiques avec les Régences d’Alger, Tunis et Tripoli30.
19La capture de fait de la navigation ottomane dans le bassin oriental de la Méditerranée se place donc dans un environnement quelque peu protégé pour les caravaneurs mais dans un domaine réservé. En effet, touchant au monde levantin, la caravane maritime s’inscrit dans un territoire qui constitue à bien des égards une chasse gardée de Marseille. La dilatation de l’espace commercial marseillais au XVIIIe siècle ne saurait faire oublier l’ancrage méditerranéen de la grande place et son souci de contrôler les relations avec le Levant. Dans cette direction, la puissance marseillaise s’appuie sur tout un faisceau de conditions favorables qui créent, entraînent ou fortifient les trafics.
20Afin de contrôler une éventuelle introduction du « mal contagieux » – la peste – une décision prise en 1622 par le Parlement de Provence limite aux seuls ports de Marseille et de Toulon l’accès des navires venant en droiture du Levant. En 1668, avec l’achèvement des grandes Infirmeries, Marseille se dote d’un service sanitaire capable de capter à son compte une large partie des mouvements en provenance du Levant et de Barbarie. Cette structure constitue une arme redoutable pour éloigner les ports voisins, comme Sète ou Agde, des circuits levantins, d’autant qu’un nouvel arrêt du Parlement d’Aix interdit aux navires venant du Levant et de Barbarie de faire la quarantaine dans un port autre que Marseille. En 1688, l’intendant Lebret refuse aux consuls et intendants de la santé de Toulon le droit d’utiliser, pour le commerce, le lazaret de la marine de guerre ; il accorde, deux ans plus tard, l’autorisation d’employer cette structure mais à condition que les marchandises soient, après la quarantaine, débarquées à Marseille. Finalement, achevant cette capture du trafic levantin en 1709, une ordonnance royale interdit pour le Royaume la pratique de la quarantaine hors de Marseille. La côte provençale étant « la première à offrir une escale française aux navires revenant du Levant, aucun d’eux ne pouvait donc échapper au contrôle marseillais. […] Dans la pensée des Marseillais et de leur intendant, monopole commercial et monopole de la quarantaine allaient de pair et se fortifiaient l’un l’autre31 ». La surveillance sanitaire a sans nul doute soutenu la vie du grand port mais a-t-elle profondément participé à la totale domination de l’espace considéré, si tant est qu’elle ait été vraiment appliquée ainsi qu’énoncée ?
21Dans une certaine mesure, l’acte de franchise du port adopté l’année suivante (1669) et participant en apparence à la même stratégie globale appelle de semblables réserves. L’analyse des effets de cet édit d’affranchissement a suscité diverses appréciations, sinon de vifs débats : véritable « acte de navigation » (Paul Masson), « charte fondamentale du commerce marseillais » (Louis Bergasse), « décision à l’influence heureuse et à l’importance considérable » (Gaston Rambert) pour les uns ; initiative « à l’efficacité douteuse » pour d’autres, eu égard les mesures qui accompagnent la mise en place de la décision (Charles Carrière).
22Au vrai, l’édit représente une construction complexe qui fait de Marseille un port franc pour une série de marchandises venant, sous certaines conditions, du bassin oriental de la Méditerranée. Toutefois, l’acte de 1669, s’est trouvé aussitôt dénaturé. En effet, sous l’action immédiate des négociants inquiets de cette ouverture franche et large, fut décidée une taxe de 20 % ad valorem sur toutes les marchandises en provenance du Levant et de Barbarie, soit entrant sur bâtiments étrangers, soit sur bâtiments français déchargeant hors de Marseille et de Rouen, soit enfin sur bâtiments français ne venant pas en droiture, ayant donc pu charger des marchandises levantines en d’autres places (italiennes essentiellement). Le mélange de libéralisme, introduit par l’édit de Colbert, paralysé par le protectionnisme des négociants – au discours libéral – fait de Marseille la porte gardée du Levant. Par-là, Marseille dispose d’un monopole de fait sur les échanges avec le bassin oriental de la Méditerranée. Toutefois, malgré l’installation de bureaux de contrôle par la Chambre de commerce de Marseille à Toulon, Arles, Agde, Lyon et Pont-de-Beauvoisin, le monopole reste quelque peu poreux et une contrebande active se dessine jusque dans les ports du Ponant. Une plus grande fermeté des négociants est parvenue à surmonter les amertumes de marchands voisins et à repousser les attaques des ports écartés des horizons levantins. Le renouvellement de l’affranchissement en 1703 consolide le domaine réservé.
23C’est dans ce cadre, sous haute surveillance marseillaise, que s’inscrivent les caravanes tropéziennes en Levant. Sont-elles sous la tutelle du grand port et quelle place occupent-elles dans la vie maritime de Saint-Tropez ?
Caravanes tropéziennes
24La traite des blés a été à l’origine des expéditions tropéziennes en Levant lors des difficultés qui ont marqué la fin du règne de Louis xiv (1690-1710). Ces voyages, d’abord en droiture, ont été dans leur majorité réalisés en réponse aux demandes de marchands marseillais avec protection de l’État royal. Les contacts avec le bassin oriental de la Méditerranée ont privilégié la Grèce (Morée) et l’Archipel (Cyclades et Sporades) malgré les interdictions du Grand Seigneur d’en extraire les grains. Ces opérations apparaissent à bien des égards comme un prélude à un mouvement plus ample, multiforme, guidé ou non par Marseille.
25En effet, la route du Levant ouverte aux Tropéziens est sillonnée de manière croissante par leurs bâtiments qui vont essentiellement « à la cueillette ». De 1715 à 1815, ce sont 1 208 armements tropéziens qui ont eu pour destination le Levant ou la Barbarie, avec une nette domination de la pratique caravanière.
Tableau 122. – Armements tropéziens pour le Levant et la Barbarie32.

26Les voyages en droiture sont liés à la traite des blés. Les expéditions en direction de l’Archipel, du Volo, de la Morée et de Salonique répondent aux demandes de Marseillais attentifs aux spéculations permises en temps de crises frumentaires33.
27Les effets des guerres scandent le mouvement général. Les conflits qui ont joué un rôle majeur dans le coup fatal porté à l’activité levantine en fin de siècle ont troublé le déroulement des opérations au fil des décennies. À titre d’exemple, l’observation du destin des caravanes tropéziennes au cours de la guerre de Sept Ans éclaire les secousses portées à ce système. Le suivi des désarmements (1755-1762) puis des armements (1762-1765) en direction du Levant montre la rupture provoquée par le conflit dans l’activité caravanière, l’importance des pertes, le maintien en service de quelques unités et la vigoureuse reprise amorcée avant même la fin officielle de la guerre34.
Graphique 37. – Caravanes et voyages en droiture : évolution des armements tropéziens35.

28Dans 78 % des cas les bâtiments caravaneurs – « caravaniers » ou « caravanaires » – arment dans leur port d’attache tropézien alors que Marseille constitue, avec 15,4 %, le second pôle. La part marseillaise se révèle cependant plus élevée pour les expéditions en droiture, particulièrement au cours du dernier tiers du XVIIIe siècle. Le tiers de la flotte, voire moins, et les trois-quarts de son tonnage, sinon plus, sont affectés à cette direction majeure36. Au reste, 58 % des capitaines tropéziens ont, régulièrement ou non, participé à cette activité caravanière et un capitaine sur quatre s’y est uniquement consacré. Parmi ceux-là une soixantaine ont assuré, dans leur carrière, la direction de cinq à douze expéditions.
29Si, durant le siècle, huit caravanes ont été le fait de bateaux de moins de 20 tx, les barques constituent le type le plus répandu et assurent un tiers des expéditions. Les tartanes, de moindre portée, figurent également d’un bout à l’autre du siècle avec 18,4 % des bâtiments employés. Toutefois les pinques, nombreux dans la première moitié du siècle, cèdent la place à des constructions nouvelles, plus grosses et au gréement moins exigeant en hommes, comme les polacres, brigantins, senaus et bombardes d’une portée moyenne de l’ordre de 180 à 220 tx. Pour cueillir des cargaisons relativement modestes, des bâtiments de trop grande portée seraient conduits à naviguer à charge réduite et à plein frais ou attendre de longues semaines à quai afin de compléter péniblement leurs cales. Ce négociant français établi à Smyrne ne s’y trompe pas lorsqu’il recommande à ses correspondants :
« N’envoyez pas un bateau de 3500 à 4000 charges pour le blé. […] Je serais bien embarrassé […] car ne pouvant charger du grain, il serait obligé de s’en retourner vide, n’étant pas un bateau propre pour la caravane. […] il faut des petits bâtiments de 1 000 à 1 500 charges que si on ne les peut pas charger en blé, on peut leur faire prendre tout autre voyage, soit pour la balle que la caravane37. »
30Ces données rappellent combien cette activité a pu mobiliser de forces et marquer la vie portuaire de Saint-Tropez au XVIIIe siècle. Pourtant, la caravane maritime ne saurait se limiter à une collecte de données chiffrées si nécessaire soit-elle. Il est indispensable de partir à la rencontre des acteurs de ces expéditions, de suivre à leurs côtés les travaux et les jours, les joies et les peines. Certes, « pour travailler sur les marins de commerce, il n’est d’autres solutions que de séjourner sur leurs navires38 » mais ne pouvant, contrairement à l’ethnologue, appliquer cette méthode, il faut se contenter de vaisseaux de papier.
Naviguer « à l’aventure » : préparatifs et routes
31Par le type des bâtiments, la composition du groupe des intéressés à l’opération, la durée de la campagne, les objectifs poursuivis, les péripéties rencontrées et bien d’autres éléments encore, chaque caravane se présente comme un cas particulier. Le Journal des routtes de la Stella Matutina si riche d’enseignements ne peut prétendre offrir le modèle d’une caravane. Les registres de désarmements, les rapports de capitaines et autres papiers de familles, doivent être mobilisés pour approcher les temps forts, les aspects récurrents de ces voyages sans pouvoir dresser le portrait-robot d’une caravane « modèle ».
Décisions et premiers préparatifs
La décision
32Engager une telle opération relève d’un groupe de personnes de confiance : quirataires, marchands et capitaines ; des fonctions qui souvent se superposent. Les intéressés, qui forment « société », « compagnies » ou « colonnes » – selon des termes utilisés à Gênes qui est, à plus d’un titre, le laboratoire de ce colportage maritime – utilisent un bâtiment déjà en leur possession et ne nécessitant qu’un radoub, mais en achètent parfois un pour l’expédition envisagée, en France ou à l’étranger, avec la permission de l’amirauté : ainsi en fut-il pour la Vaillante, polacre acquise à Livourne en 1765, ou de la Thérèse, vaisseau provenant d’une prise, achetée à Rhodes en 176039. Si l’opération n’est pas immédiate, reste la possibilité de commander un bâtiment aux chantiers de construction de la cité ou de cités voisines, comme La Seyne ou La Ciotat, après avoir obtenu un devis ou « prix fait » d’un « maître d’ache », à l’instar des intéressés à la barque Saint Tropez, construite à Toulon en 1767, pour compte de Tropéziens préparant une caravane pour l’année suivante.
L’armement
33L’équipement du navire constitue, avec le rassemblement des capitaux, la préoccupation majeure des associés. Le capitaine joue ici un rôle essentiel, mais divers quirataires, bons connaisseurs des choses de la mer, se montrent très attentifs. Le financement de l’expédition repose sur différentes sources. Les propriétaires du bâtiment doivent fournir, « selon l’usage de Saint-Tropez », des avances en argent au prorata du nombre de quirat possédé. Ces « promesses » de deux types, faites sous seing privé ou devant notaire, figurent à chaque armement. Les premières correspondent à une somme, qui varie selon le type du bâtiment, à employer « sur le corps, agrès, apparaux, salaires et dernières expéditions40 ». Cet argent permet au capitaine de préparer le navire. Les secondes promesses, au montant lié au nombre de quirats possédés, constituent la participation ou « part au chargement ». Ces fonds collectés – diversement nommés dans les billets privés ou les actes notariés – constituent les « provisions pour chargement de vituailles », les « provisions et victuailles », les « provisions des avitaillements », ou encore « provisions du victuaillement ». Ils permettent au capitaine de « charger telles marchandises et danrées que bon luy semblera41 ». Le capitaine promet alors aux quirataires, « selon l’usage de Saint-Tropez, de luy donner bon et fidèle compte, voiage après voiage et luy rendre son capital quand il luy sera requis ».
Tableau 123. – Équivalence entre part et quirats « selon l’usage de Saint-Tropez42 ».
Participation en promesses | Correspondance en quirats | Somme à avancer |
1/6 de part | 1 quirat | 50 livres |
1/4 de part | 1 ½ | 75 |
1/3 de part | 2 | 100 |
1/2part | 3 | 150 |
2/3 de part | 4 | 200 |
5/6 de part | 5 | 250 |
1 part | 6 | 300 |
34Les quirataires peuvent avancer de l’argent pour la mise de fonds en vu d’opérations commerciales envisagées durant la caravane. Ces fonds sont confiés au capitaine, figure de l’intermédiation marchande, ou à un représentant de la « compagnie des intéressés ou des participes ». Le placement de ces sommes paraît réservé en priorité aux quirataires avec possibilité de cession de ce droit.
35Le capitaine, quirataire ou non, apporte enfin une somme en général empruntée « à la grosse aventure », enregistrée devant notaire sous les termes d’« obligation à la grosse » ou « à retour de voyage ». Ces emprunts, hypothéqués sur les biens éventuels du capitaine ou sur ses parts de navire, ont pour objectif la réalisation d’opérations personnelles si le contrat qui l’unit aux intéressés le lui permet. Les sommes empruntées – de 100 à 1 500 livres mais bien souvent autour de 300 à 500 livres – portées « au risque, péril et fortune » du créditeur sont obtenues moyennant un change maritime de 20 à 30 % l’an, versé par le débiteur, « le sauvé demeurera au perdu suivant l’usage de ce lieu ».
36Ces investissements drainent des capitaux qui proviennent surtout du pays de Saint-Tropez ; néanmoins, à l’image de la géographie des quirataires, des Dracénois, des Toulonnais et des Marseillais participent au financement. Le capitaine Marc Gasquet reçoit ainsi de Louis Cauvin, bourgeois de Marseille agissant pour le négociant Claude Fenelon de la même ville, « 300 livres avec change maritime de 30 % l’an, payable de six mois en six mois », les dix-huit quirats possédés par le capitaine servant d’hypothèque43.
37La place marseillaise demeure essentielle pour le marché de l’assurance. La signature d’une police s’effectue en général par l’entremise d’un correspondant aux racines tropéziennes présent dans le grand port – Martin, Caussemille, Guirard ou Alliez – ou en se rendant directement à Marseille peu de temps avant le départ du bâtiment comme le fait, en 1729, Jean Martin. Là, ce dernier reçoit, chez le notaire Arnaud, un billet d’assurance pour la somme de 2 000 livres « allant sur le corps et les facultés de la polacre Notre Dame de Bon Voyage, à 4 % pour 4 mois » des assureurs J.-F. Roux et Cie et Louis David44.
38Tout le nécessaire pour préparer la campagne ne peut pas être trouvé sur place. Avant de partir en caravane, le capitaine Marc Antoine Cauvin effectue, d’octobre 1768 à janvier 1769, plusieurs sorties en direction de Marseille, Nice, Toulon et Fréjus avec sa barque, le Saint Tropez, de 100 tx. L’avitaillement, qui représente 20 à 25 % des dépenses d’armement retient l’attention du commandant qui doit songer aux douze à quinze personnes qui l’accompagnent en caravane, dont les trois-quarts sont originaires du quartier maritime de Saint-Tropez45. Bien que les escales soient nombreuses et rapprochées, facilitant l’approvisionnement des navires en vivres frais et antiscorbutiques, les dépenses de bouche constituent un poste important dans les frais à l’armement du bâtiment. Fromage, lard, jambon, thon mariné, morue, anchois, haricots secs, biscuits – une des plus fortes dépenses –, sel, « herbes », choux, huile, miel, œufs, viande, vin figurent avec d’autres produits alimentaires parmi ces achats. Quelques dépenses sont destinées à assurer la défense de la barque : poudre et mèche à canon, deux mortiers, quatre canons et des « mains de papier à cartouche ». Parmi les autres achats effectués pour équiper cette barque, neuve il est vrai, certains concernent les ustensiles de cuisine – vaisselle, marmites, moulin à café, carafes, saladiers… –, d’autres du matériel pour les écritures de bord – papier, plumes, cire… –, des hardes et quelques médicaments comme « onguents, emplâtres, eau des Carmes et baume de serpent46 ».
Ultimes dispositions
39Avant de quitter Saint-Tropez d’aucuns prennent quelques précautions pour pouvoir faire face à diverses dépenses de voyage. Étant presque toujours engagés « à la part », les hommes d’équipage perçoivent exceptionnellement une avance financière du capitaine. Aussi, le matelot Charles Bonnaud emprunte à son beau-frère Jean Hermitte 99 livres, en avril 1733, pour les dépenses « de nourriture, d’entretien, d’habillement, de hardes nécessaires pour le voyage qu’il va faire au Levant en caravane sur le pinque l’Annonciation, du capitaine Pierre Aubert » ; ce dernier signe d’ailleurs, comme témoin, l’obligation établie devant notaire. Charles Bonnaud s’engage à rembourser « dans deux ans ou à l’heureux retour47 ». Avant de partir en caravane, le capitaine Jean Baptiste Charles Baude obtient de son père Charles, ancien capitaine, « son émancipation pour pouvoir librement trafiquer, négocier et faire tout acte de justice », puis se marie48. Le 11 février 1788, soit quarante-huit heures avant de partir pour le Levant, le capitaine Antoine Tropez Roux se marie à Saint-Tropez ayant obtenu une « dispense pour temps prohibé49 ». Cependant, le rythme de la nuptialité, pas plus que celui des conceptions, ne dessine démographiquement parlant un « style caravaneur ».
40D’autres mettent en ordre leurs affaires, en faisant également appel aux services du tabellion. Le capitaine Charles François Maille, en parfaite santé, mais « prêt d’aller faire un voyage en caravane au Levant », se rend, en 1749, chez le notaire pour dicter son testament50. De même, François-Xavier Sauzet, capitaine en second, « étant à la veille pour un voyage de long cours dans le Levant », fait rédiger son testament le 21 août 1774. En même temps, et comme de nombreux autres marins, il fait enregistrer une procuration en faveur de son épouse Anne Rose Roux « pour administrer indéfiniment toutes les affaires, tous ses biens, marier si elle le trouve bon ses trois filles51 ». Ainsi s’affirme une fois encore dans cette société littorale la place des femmes de mer, déjà rencontrées à la boutique, au magasin des madragues, dans les rangées de vignes ou, pour diverses transactions, dans l’étude notariale. Les veilles de départ, le recours au notaire pour testament et procuration ne demeure absolument pas limité au noyau des capitaines. Le matelot Jacques Broquier « désigne son père comme héritier universel » puis « procureur général pour administrer et gérer ses affaires, étant sur le point de partir pour faire la caravane sur mer52 ».
41Ces exemples choisis, parmi des dizaines hors temps de guerre, rappellent l’importance des risques et la menace que représente le voyage en Levant ; les décès de marins comptabilisés dans cet espace accréditent cette inquiétude.
42Peu de temps avant de quitter le quai familier, le capitaine Jean Charles Cauvin, qui trouvera la mort en cours de caravane à Salonique, a fait dire deux messes à sainte Anne. Les célébrations ont été accompagnées, ainsi que le rapporte le Journal de l’écrivain, d’un « présent de trois livres à Sainte-Anne53 ». Cette chapelle, qui domine la cité de Saint-Tropez et vers où convergent en procession les gens de mer et ceux qui ne le sont pas au terme de la bravade, est vouée à cette protectrice54. Sainte-Anne, pour qui la chapelle avait été érigée au début du XVIIe siècle en remerciement de la protection contre la peste, ne peut-elle pas préserver les marins tropéziens si souvent exposés à ce fléau en Levant ?
43Avant de mettre sous voile le capitaine Cauvin n’a pas manqué de « faire bénir la barque par messire Cavalier ». Celui-ci a reçu, ainsi que l’a noté sur le livre des dépenses l’écrivain de bord, « sucre, vin et liqueur » pour 13 livres 10 sols. « Deux boetes de confiture de Gênes [présent réservé, à Saint-Tropez, aux visiteurs de marque] et trois pots d’anchois d’une valeur totale de 13 livres 4 sols ont été donnés au prieur et au diacre55. »
Le départ
44Le départ, en février, de la barque Saint Tropez pour la caravane ne se situe pas dans la période la plus fréquente pour ce genre de sortie. Sur près de 900 expéditions de ce type aux dates de sorties connues au XVIIIe siècle, 43 % des départs se placent au cours des quatre mois de mai, juin, juillet et août. Seulement 20 % des caravaneurs lèvent l’ancre en hiver (20,4 % de novembre à février)
Graphique 38. – Rythme des départs de caravaneurs de Saint-Tropez (1715-1808).

Routes et navigation
« Naviguer à l’aventure »
45À l’aide de la carte, du sablier, de la boussole ou compas, le capitaine et son second, ou le subrécargue, définissent la route à suivre. Inventaire après décès et « caisse marine » ouverte après disparition du marin font état de ces instruments indispensables à tout navigateur.
46Dans la « caisse marinière en bois blanc avec serrure » du capitaine de barque Jacques Serize sont enfermés, en 1714, « deux quartes servant pour la navigation et un pavillon napolitain de barque56 ». Dans celle du matelot Louis Ratoul, figure, en 1698, « une carte de marine et deux compas57 ». L’inventaire après décès du capitaine caravaneur Jean Tropez Michel fait état, en 1788, de
« deux mains de papiers écrites : l’une contenant un Journal de marine, l’autre les principes de la navigation ; un Livre intitulé Journal de navigation, couvert de papier ; un mauvais compas en leton et un compas aussy leton, une couverture du Levant, une croix de Malte, une boussole […] et un livre relié intitulé Mémoires de M. Duguay-Trouin58 ».
47L’écrivain de bord, comme François Donat Alliez, sur la polacre Stella Matutina, tient le carnet des routes. Il mentionne les points effectués, les localités croisées, les voiles aperçues, les capitaines avec lesquels ont pu être échangés eau, vivres et informations. F. D. Alliez a illustré son Journal d’un grand dessin à la plume qui représente le bâtiment sur lequel il sert.
Figure 2. – La Stella Matutina dite la Diane59.

48Pour aller en Levant, le caravaneur, ce colporteur des mers, ne suit pas de routes régulières, ne s’inscrit pas dans un circuit bien établi. Souvent, après avoir longé les côtes italiennes, il se dirige soit vers la Barbarie, soit vers Malte, voire les deux, avant de gagner la Grèce du sud, de marquer une escale en Crète, puis de filer vers Alexandrie, Constantinople ou Smyrne. À partir de ces bases, principales « sources de la caravane » aux dires des capitaines, le bâtiment va et vient au gré des contrats dans les eaux ottomanes. Une campagne caravanière comprend ainsi plusieurs voyages. Au terme de chacun d’eux sont dressées, selon l’usage de Saint-Tropez, les opérations comptables destinées aux intéressés : marins, quirataires et marchands.
49Prenant des céréales et du bois de construction à Constantinople il se dirige, via la Crète, vers Tripoli de Barbarie ou Tunis ; lors de cette escale il charge quelques pèlerins et étoffes pour Alexandrie ; d’Alexandrie, via Chypre et Rhodes, la signature d’un contrat pour le compte d’affréteurs ottomans le mène à Salonique chargé de toiles, de riz et de moka ; il embarque alors du blé pour Smyrne ou les ports de Syrie méridionale qui offrent la possibilité de conduire quelques dignitaires vers Constantinople que le caravaneur quitte alors pour La Canée ou Jaffa… Parmi toutes les Échelles du Levant, Smyrne est alors la plus fréquentée, celle qui est désignée à l’amirauté de Saint-Tropez comme destination de la campagne. Hors « esmirne », les Échelles qui reviennent le plus souvent en cours de voyage sont Constantinople, Salonique et surtout Alexandrie où sont fret et nations marchandes.
50Quelques itinéraires présentent plus de complexité et associent parfois les deux bassins de la Méditerranée, avec retour provisoire au port d’attache. Ainsi en est-il, en 1765-1768, de la caravane de Jean Charles Cauvin, commandant la barque Vierge des Carmes, de 60 tx. L’itinéraire de cette caravane rappelle la nécessité absolue de croiser les données de nos sources pour saisir le mouvement réel d’un bâtiment, tracer des routes et non des flux60. Les registres matricules du bâtiment et ceux des capitaines ne signalent, dans le cas retenu, qu’un départ au Levant en caravane le 14 août 1765 et, au retour, un désarmement à Saint-Tropez le 12 juillet 1768. Aucune autre information. Le rôle d’équipage au désarmement se montre à peine plus bavard pour cette barque appelée ici Vierge du Mont Carmel ; des changements intervenus au sein de l’équipage en cours de campagne fournissent des précisions supplémentaires. Toutefois, le rapport du capitaine devant les autorités de l’amirauté, quand il existe, permet de recouper les minces informations réunies et d’apporter des compléments. Le récit est plus nourri lorsque l’expédition a fait l’objet de litiges ou infractions : plaintes d’intéressés lors du règlement financier ou pour durée de congé suranné ou excédé. Dans ce cas un dossier, avec pièces justificatives – connaissements, attestations, déclarations pour la vérité, dépositions de consuls… – fournit une documentation plus riche. Il permet, au-delà du mouvement administratif, d’atteindre le mouvement réel de la navigation. D’autres dossiers invitent à retracer les voyages de certaines campagnes complexes mais représentatives de ce type d’expédition61. Approches quantitative et qualitative s’épaulent nécessairement pour mener pareille étude.
Vivre à bord
51Une fois en mer il est difficile de briser le huis clos de la vie à bord. L’examen des rôles d’équipage montre, mais à un niveau moindre qu’au petit cabotage, une nette coloration familiale. Sur la tartane Saint Joseph, les Decuges, père et fils – Charles, François et Jean – occupent les trois postes de direction – patron, contremaître et écrivain – sur les huit membres d’équipage62. Parmi les dix-sept personnes de la barque Sainte Anne, au départ de Saint-Tropez, en 1738, le capitaine Joseph Giraud a autour de lui son frère Jean-Baptiste (chirurgien) et ses deux fils Joseph Ignace (matelot) et Joseph Toussaint (mousse)63. Les représentants de deux ou trois familles (alliées ?) composent parfois la presque totalité des hommes du bord : Joseph et Jean François Ricard (patron et contremaître), Louis et Antoine Cauvet (patron de chaloupe et matelot), Louis et Honoré Eriey (matelots), François et Jean Joseph Courrens (mousses) figurent parmi les neuf hommes de la tartane Saint Jean-Baptiste en 175164.
52Si le bâtiment est bien une fois encore une entreprise familiale – environ 20 % de l’équipage au départ – une réelle solidarité est attestée au niveau des états-majors et des proches parentés ; le capitaine embarque souvent fils et/ou neveux pour les former, ce qui, somme toute, se retrouve dans tous les ports et presque tous les métiers d’alors.
53Les dépenses de bouche, enregistrées par l’écrivain de bord, font état de multiples ravitaillements en cours de campagnes caravanières. L’observation de sept d’entre elles montre une alimentation globale variée, renouvelée au fil des escales. Néanmoins, le montant seul des achats, non accompagnés des quantités ou des prix unitaires, n’autorise pas à déterminer les quantités acquises afin de mesurer la valeur énergétique de cette alimentation. Approche-t-on des 3 500 à 3 800 calories quotidiennes signalées à bord des bâtiments marseillais dans ce genre de navigation ou distribuées aux marins du Nord65 ? Seule une recherche complémentaire permettrait de le dire, en essayant – mais la tâche n’est pas mince dans ce type de pratique – de distinguer la place des rations distribuées en mer.
54La recherche de la protection céleste accompagne les marins dans une navigation qui s’effectue largement en mer « infidèle ». Le type de voyage et la taille des équipages n’exigent pas la présence d’aumônier. Selon l’ordonnance de juin 1717 un aumônier n’est obligatoire que pour de « longs voyages avec plus de quarante hommes à bord » ce qui n’est d’ailleurs pas toujours respecté66. Les exercices pieux ne sont pas pour autant négligés à en juger par les livres de prières trouvés dans les caisses marinières. Par ailleurs, si les achats de viande ponctuent les dépenses de bouche au long des campagnes caravanières, leurs absences, en février-mars 1772 à bord du brigantin le Dragon, signifient sans doute le respect du temps de Carême par l’équipage qui se nourrit alors « d’herbes, poissons, harengs et morues ».
55L’écrivain François Donat Alliez, à bord de la Stella Matutina, n’oublie pas de mentionner sur son Journal des routtes les jours des Rameaux et de Pâques ainsi que la fête de saint Tropez le 17 mai. À cette occasion, croisant près du Cérigo (sud de la Grèce) un capitaine tropézien, « nous lui avons fait salu de cinq coups de canon ; le dit capitaine Broquier en a fait de même ». Ce signe exceptionnel de reconnaissance s’explique par le jour où se produit la rencontre. La canonnade amplifie le lointain écho des coups de mousquets qui marquent ce jour-là, à Saint-Tropez, le début de la bravade donné par le capitaine de ville en l’honneur du saint protecteur de la cité67.
56Toutefois, les coups de canon demeurent avant tout des marques de menace plutôt que de liesse. Les dangers rencontrés en cours de caravane, en rien spécifiques à ce genre de navigation, prennent pourtant un autre relief. La durée des opérations et le temps passé en mer en favorisent l’accumulation. Les apostilles placées en marge des rôles d’équipage au désarmement signalent ces expéditions mouvementées, tragiques. Les rapports de capitaines, au retour de voyage, font état avec force détails de certaines péripéties. Ils exagèrent sans doute quelques aspects afin de justifier un important retard et d’arracher, sinon les larmes, tout au moins l’indulgence des autorités de l’amirauté habilitées à sanctionner une durée de congé excédée. Attaques par des forbans de toute origine, prises en chasse par des « voiles ennemies », réquisitions du bâtiment par des représentants du Grand Seigneur, abordages de corsaires suivis de rançonnements et de prises d’otage – l’écrivain de bord de préférence –, sans omettre les violents coups de vent et les assauts de la maladie – peste et autres « fièvres malignes » – émaillent nombre de récits de voyages caravaniers68.
57Ces risques soudent-ils les hommes ou aggravent-ils les tensions à bord du bâtiment ? Encombré, de taille souvent modeste, ce dernier, où se côtoient des équipages mêlés, est-il un espace de friction ? Le jugement porté par le capitaine Ferrier, commandant la barque Sainte Anne, illustre la tension, voire la violence qui peut régner à bord de bâtiments caravaneurs. L’éloignement, la promiscuité et de mauvaises affaires pèsent lourdement :
« Tenez, écrit-il d’Alexandrie à ses armateurs en 1757, voilà mon nocher, cet infâme et méchant coquin qui m’a donné un coup d’une piesse de bois sur la tête ; il pensa m’envoyer à l’autre monde […]. Je n’ose mettre sur le papier tous les excès auxquels ce malheureux s’abandonne, dans mon bord, jusque à passer son temps avec le mousse ; vous n’entendez que trop bien ce que je veux dire. Chose que j’ay eu garde de déclarer à M. le Consul et je me suis contenté de le faire mettre en prison […]. Un matelot séditieux et rebelle a essayé aussi de s’enfuir, mais les janissaires l’ont retrouvé et mis en prison69… »
58« Maudite engeance », « coquin », « vilaine race » : les propos tenus par certains capitaines sur leurs hommes de bord ne sont guère élogieux. La rareté des témoignages de matelots sur les capitaines et les officiers ne peut guère en fournir en contrepoint.
59Réelle, cette violence est pourtant contenue dans la mesure où ne figure, dans la documentation utilisée, aucune trace de mutinerie générale à bord des bâtiments caravaneurs. Quelques mutins ont certes parfois été débarqués, comme ce matelot « mutin congédié à Nice » par le capitaine Basile Pérou en début de voyage70, mais ces cas demeurent exceptionnels : moins d’une vingtaine d’individus repérés au cours d’un millier de caravanes.
Naviguer « à l’aventure » : escales et retour des colporteurs des mers
60Les escales, nombreuses et parfois de longue durée, apparaissent comme des temps où se mêlent travail et délassement, quiétude et menaces.
Le temps des escales
Travail, violence, recueillement
61La quarantaine, en ce monde ottoman où la peste sévit à l’état endémique, immobilise navire, équipage, marchandises et passagers durant une vingtaine à une cinquantaine de jours71. Après l’accomplissement de cette formalité sanitaire, « derrière les barrières de la contagion », le déchargement du bâtiment et le règlement financier simultané retiennent l’attention des premiers jours passés à terre. Ces opérations sont en général suivies de travaux d’entretien et de réparation du bâtiment. Charpentiers et calfats, embarqués ou engagés sur place, sont à l’œuvre alors que le capitaine et/ou le représentant des intéressés à la caravane recherchent un nouveau contrat de nolisement si le fret de retour n’a pas été envisagé dans le précédent. La concurrence, les difficultés commerciales, les conflits, les litiges financiers et l’épidémie se conjuguent pour rendre délicat l’affrètement du caravaneur aux marchands « maures, turcs, juifs, grecs » des Échelles levantines. L’immobilisation du bâtiment peut durer plusieurs mois (trois à six, sinon davantage), ce qui ne manque pas d’inquiéter les intéressés à la caravane et surtout les hommes d’équipage payés à la part :
« Il m’est dur de voir le temps s’écouler sans rien faire, surtout me trouvant dans la source de la caravane. Il faut prendre patience. Nous sommes ici plus de 90 bâtiments, la plus grande partie après l’attente de quelques affrètements »,
62soupire le capitaine Olivier, à Alexandrie, en 1750.
63L’organisation commerciale des Tropéziens en Levant ne saurait être comparée à celle des Marseillais qui disposent de correspondants et commanditaires dans les Échelles. Les Tropéziens doivent vraiment « aller à la cueillette », saisir les occasions, activer quelques réseaux pour arracher des contrats. Des liaisons existent avec des représentants français, mais sont moins fortes que celles aperçues, à la lumière des contrats de nolisement, avec des affréteurs ottomans et représentants de la nation juive d’Alexandrie ou de Smyrne. La faiblesse sinon l’inexistence d’une structure commerciale tropézienne rend compte de la concurrence inégale à laquelle leurs caravanes sont soumises y compris vis à vis des confrères marseillais ou ciotadens montés sur des bâtiments marseillais. Ainsi s’explique l’exclamation, empreinte de découragement, du capitaine Olivier en 1751 : « Heureux celui qui a quelque maison en Levant et qui n’est pas réduit à cet indigne métier de la caravane. »
64Temps du labeur, le temps de l’escale est aussi celui du recueillement. Le capitaine Marc Antoine Cauvin a fait célébrer une messe à Alexandrie et donné de l’argent aux Capucins lors de son passage en 1769 ; il a également versé « suivant l’usage, 25 paras pour les fêtes des Maures ». De 1769 à 1771, lors de chacune de ses cinq escales à Alexandrie, le capitaine Basile Pérou, commandant le brigantin le Dragon, fait dire une messe : une avant la signature d’un contrat, trois « pour le jour de la saint Tropez » et une en temps de peste72.
65La menace de la « contagion » est une première forme de « violence » aux escales levantines73. Diverses précautions parsèment les comptes de caravane : achat de ratiers à Alexandrie, de « poison pour les rats74 », de planches à placer sur le pont du bâtiment « pour se garantir des passagers montés ». Mesures peu efficaces à en juger par les malades ou morts signalés en cours de route.
66Les quais constituent l’espace privilégié de la violence des gens de mer, caravaneurs ou non. Rixes entre marins, « badinage » entre matelots ayant « dégénéré en dispute au couteau », heurts contre les janissaires, larcins, injures – « canailles de Français ! » – figurent sur la main courante de la chancellerie du vice consul à Alexandrie parmi les motifs de querelles les plus fréquents et les plus ordinaires. Certains cas ont provoqué la colère des autorités locales et perturbé le déroulement de l’expédition. Ayant traité un Tripolitain de « sensa fede », le nocher tropézien François Nouvet et quelques-uns de ses compagnons ont été poursuivis pour avoir « attaqué directement la religion musulmane75 ». L’émotion soulevée provoqua l’intervention du vice-consul et le retard du départ des caravaneurs. De même, le capitaine Dominique Martin, accusé par un marchand turc, son nolisataire, « d’avoir engrossé, dans la traversée de Constantinople à Alexandrie, une esclave turque destiné au Bey », s’est trouvé mis aux fers et libéré après l’entremise du vice-consul avec versement de 900 pataques.
Libertinage et libertins : le poids des désertions
67Au-delà de ces faits divers, les difficultés qui surgissent peu avant le départ proviennent de la disparition de membres de l’équipage. Les désertions troublent la bonne marche de la caravane comme des autres formes de navigation en Levant. Ce « libertinage », si souvent dénoncé jusqu’à coller au stéréotype du marin provençal, frappe tous les bâtiments, tropéziens on non, au XVIIIe siècle dans l’espace méditerranéen. La distribution sur le siècle du nombre de ces déserteurs mentionnés sur les rôles d’équipage des bâtiments de Saint-Tropez (726 relevés entre 1726 et 1793) coïncide avec les grandes respirations de la conjoncture et des temps forts de la caravane tropézienne.
Graphique 39. – Déserteurs sur les bâtiments de Saint-Tropez (1726-1793)76.

68Les inscrits au quartier maritime de Saint-Tropez représentent 59 % des déserteurs ; les seuls Tropéziens, 42 %. Les désertions se produisent dans 71 % des cas lors des expéditions vers le Levant et 51 % pour la seule caravane maritime. Les lieux de désertion constellent les rives du bassin oriental de la Méditerranée, mais Alexandrie, Constantinople et Smyrne sont choisies par un tiers des déserteurs. Des escales plus fréquentes dans ces villes peuplées offrent davantage d’occasions de « libertinage ». Les matelots (65 %), les mousses (16 %) et les novices (12,5 %) figurent massivement parmi ces marins qui ont abandonné leurs navires ; certains récidivent, à l’instar d’André Farnet (4 désertions) ou Jean-Baptiste Coste (6 désertions). Les motifs de cette attitude figurent rarement sur les rôles d’équipage. Des dépositions de capitaines, de marchands ou proches indiquent les principales raisons de ces « disparitions ».
69Malgré les apparences, les guerres ne sont pas le motif essentiel et direct de ces gestes de refus qu’il serait inexact de confondre avec la désertion militaire. Cependant, certains matelots ont choisi de rester au Levant au lieu de regagner le quartier maritime où les attend le commissaire des classes pour les diriger vers les vaisseaux du roi sur lesquels ils doivent, théoriquement, servir tous les trois ans. Cette forme de résistance au service des classes est difficile à évaluer et se rencontre surtout parmi les déserteurs qui ont opté pour Livourne et, plus encore, la rivière de Gênes. Des navires de la marine d’État effectuent de régulières croisières et contrôlent les rôles d’équipage afin d’embarquer sur les vaisseaux du roi des matelots soumis au service des classes mais « empêchés de rejoindre leur quartier ».
70La durée de la caravane et par-là le temps de l’absence n’expliquent pas vraiment ce phénomène : 55 % des désertions se produisent avant six mois d’activité. Il n’en reste pas moins vrai que de longues absences conduisent des matelots à menacer de quitter le bâtiment comme ceux de la barque Saint Tropez du capitaine François Ignace Guirard partis en caravane en avril 1754 et qui sont toujours en Levant en mai 1758. Les armateurs s’inquiètent auprès de l’amirauté « étant donné les amendes auxquelles le retardement les soumet pour libertinage de matelots » non rendus pour les classes, qui plus est en temps de guerre77.
71Au vrai, ces « départs précipités » ont une double origine. Il s’agit d’une forme de réponse à la violence contenue à bord de bâtiments caravaneurs. La désertion comme forme de mutinerie ? L’affirmation est délicate à retenir à moins de définir ce geste comme mutinerie individuelle, car rares sont les départs massifs : 8,3 % des déserteurs agissent par groupe de trois à cinq, les autres, soit la presque totalité, par deux ou seuls. Les relations conflictuelles à bord et les mauvais traitements infligés à certains membres de l’équipage expliquent des départs. L’ordonnance royale du 12 octobre 1730 constate, en le déplorant, que « plusieurs mousses employés au commerce sont restés en Levant à cause des mauvais traitements qu’ils ont reçus à bord des bâtiments », risquant ainsi de tomber dans la « religion du pays ». L’État exige de ne pas maltraiter ces mousses et de les faire accompagner par des hommes de confiance lors de leur descente à terre78. La consigne n’a guère été appliquée à en juger par la désertion de 118 mousses – sur 726 déserteurs – et les cas de mousses qui « se sont fait Turcs ou Mahométans79 ». Les liens familiaux qui unissent un mousse à un membre de l’équipage constituent une surveillance, un soutien ou un exemple à suivre… en « libertinage » – car quelques mousses désertent avec leur grand frère. Mépris et abus ne caractérisent pas systématiquement les rapports avec ces jeunes garçons. En 1754, à Alexandrie, le capitaine Charles Tropez Arnaud renonce à porter plainte contre le mousse Pierre Teisseire, de Saint-Tropez, qui lui a volé 203 sequins dans sa caisse « ne voulant pas être la cause de sa perte80 ».
72Obtenir de meilleures conditions financières constitue le second motif majeur et peu relevé de cette attitude. Des matelots engagés « à la part » désertent leur bâtiment pour accepter la proposition de « paiement à salaire » faite par un capitaine en manque d’hommes d’équipage. La situation a été exposée dès le début du XVIIIe siècle par le marquis de Bonnac, ambassadeur de France à Constantinople :
« Un matelot que la nécessité a obligé à faire pareil accommodement, quand il arrive dans un port où il trouve d’autres matelots qui sont payés au mois, la différence de son état au leur se fait trop sentir pour que l’envie de déserter ne le prenne point dans l’espoir de meilleures conditions81. »
73Les capitaines tropéziens subissent et pratiquent ce type de « débauchage ». Le capitaine Charles François Martin, commandant la Dauphine, engage en 1781, à Tripoli de Barbarie, un matelot à raison de deux piastres par mois alors que le reste de l’équipage est à la part. Étant à Constantinople en 1771, le capitaine Basile Perou « fut obligé de prendre plusieurs matelots à salaire pour faire naviguer le brigantin à cause qu’il était dans le plus grand besoin et qu’il n’en trouvait point à la part ». La rareté des matelots peut conduire le capitaine, qui désire mettre à la voile au plus vite, à accepter les exigences formulées par ces derniers. À Alexandrie, un matelot grec, embarqué sur le brigantin le Dragon, demande au même capitaine Perou « d’embarquer une farde de café pour son compte, en le menaçant de quitter sans cela » ; le capitaine a dû se plier à cette condition car « on ne trouvait pas de matelot82 ».
74Diverses études conduites à partir de l’observatoire marseillais tendent à réfuter l’ampleur de ce phénomène et à y voir une malveillance supplémentaire à l’égard des Provençaux. Or, le taux relativement faible de désertions relevé sur des bâtiments armés par des négociants marseillais ne doit-il pas être mis en relation directe avec le mode de paiement ? En effet, sur ces bâtiments les matelots reçoivent un salaire mensuel que l’on a pu évaluer, en temps de paix et en temps de guerre, de 21 à 28 livres en moyenne83. Sur un bâtiment caravaneur de même type, un matelot qui perçoit une part reçoit alors en moyenne l’équivalent de 23 à 27 livres par mois au cours d’une campagne continue – 226 piastres de trois livres pour 27 mois sur la barque Saint Tropez du capitaine Marc Antoine Cauvin entre février 1768 et mai 1770. Salaire mensuel et revenu d’une part paraissent de niveau comparable, mais l’énorme différence intervient en période d’inactivité : les uns continuent à recevoir salaire, les autres rien. L’inactivité peut être grande au cours de certaines caravanes – contrairement à celle de M. A. Cauvin – et contraindre alors les matelots « à la part » à chercher une autre source de revenus en quittant leur navire.
75Les capitaines de bâtiment « à salaire » redoutent quant à eux l’inactivité car, hormis le manque à gagner, « avec des salaires si excessifs, il ne convient point de s’amuser à la caravane, surtout dans une si méchante conjoncture ». Et ce même capitaine d’ajouter, depuis Alexandrie, à son armateur marseillais J.-B. H. Roux :
« La caravane ne vaut absolument rien surtout dans cette conjoncture où la peste et la disette règnent presque par tout le Levant. […] La quantité de salaires que je fais ne permet pas de continuer ce misérable métier84. »
76Les pics de désertion observés parmi les équipages des bâtiments tropéziens se placent au moment où les expéditions caravanières sont nombreuses ; cette poussée ne peut que multiplier le potentiel de candidats au « libertinage ». Ils se produisent surtout lorsque se font jour, pour divers motifs, les signes d’essoufflement de la caravane, qui conduisent à une augmentation des temps d’immobilisation des bâtiments à quai. Le phénomène des désertions n’est-il pas alors l’indicateur du malaise que traverse la caravane, tropézienne sinon provençale, au cours du dernier quart du XVIIIe siècle ?
77De nombreuses plaintes ont été déposées par des capitaines à la chancellerie d’Alexandrie, avec force détails sur la manière de faire de confrères rivaux pour dissimuler le matelot – y compris sur le rôle d’équipage. Les déserteurs ne paraissent toutefois ni sanctionnés, ni poursuivis par le capitaine, à moins « d’avance sur part » versée par ce dernier au libertin avant sa désertion. Quelques capitaines caravaneurs ne distribuent qu’une fraction de la part « voyage après voyage » aux hommes d’équipage, afin de les tenir à son bord au risque de certaine grogne. Par ailleurs, il n’est pas rare de rencontrer un déserteur ayant rejoint, après un temps de libertinage, le bâtiment sur lequel il était parti.
78Ces désertions, ajoutées aux morts en activité, exigent la recherche d’hommes pour compléter les équipages au fil des campagnes caravanières. Cette quête donne une physionomie étonnante aux rôles d’équipage de ces bâtiments où se succèdent les nouveaux enregistrés. De tels compléments modifient radicalement la composition de l’équipage initial et expliquent le nombre élevé de marins ayant participé, pour un temps plus ou moins long, à la caravane. Le pinque les Ames du Purgatoire du capitaine Jacques Antoine Paulian quitte Saint-Tropez pour aller au Levant en caravane, en mars 1769, avec treize hommes d’équipage, dont douze du quartier maritime de Saint-Tropez. Au retour, en septembre 1773, le bâtiment compte au désarmement onze hommes à bord, dont deux seulement de l’équipage originel – le capitaine et l’écrivain – alors que quarante quatre personnes ont participé à la caravane85. Ce cas, représentatif de ce système de navigation, souligne le brassage des équipages. À la lumière des nombreux changements effectués, de ce turn-over, il serait imprudent, comme d’aucuns ont pu tenter de le faire, d’établir un rapport tonneaux/homme en ne retenant que le nombre global de participants au lieu du nombre réel embarqué par voyage.
79Par ailleurs, le recrutement sur place de marins, souvent originaires de Provence et de la rivière génoise, atteste de l’instabilité de ces équipages. Le vivier de marins que constituent les Échelles est, dans une certaine mesure, en partie alimenté par la caravane elle-même : par les équipages disgrâciés des bâtiments naufragés, pris, vendus.
Le moment du retour
80Seul ou au sein d’un convoi, formé à Chypre ou à Malte sous la protection de vaisseaux de guerre, le caravaneur prend le chemin du retour86. Toutefois, 102 bâtiments caravaneurs tropéziens n’ont pas accompli cette ultime étape pour avoir été pris, vendus ou perdus, soit 11,8 % de la totalité. Plus des deux tiers des désarmements ou « désarmements pour mémoire » – soit des bâtiments perdus – ont comme cadre administratif Saint-Tropez, mais cet enregistrement ne correspond pas toujours au point de déchargement de la cargaison.
Quarantaines, déchargement et désarmement
81De retour du Levant les bâtiments doivent théoriquement terminer leur route à Marseille qui conserve jalousement le monopole de ce trafic. Pourtant, force est de reconnaître qu’une caravane tropézienne sur deux seulement respecte cette obligation.
Tableau 124. – Lieux de retour et de désarmement des caravanes tropéziennes (1726-1808)87.
Retour | Désarmement | |
Saint-Tropez | 38,5 % | 69,6 % |
Marseille | 47,9 % | 24,1 % |
Toulon – La Seyne | 3,1 % | 2,9 % |
autres | 7,1 % | 0 % |
inconnu | 3,4 % | 3,4 % |
82Le puissant foyer de consommation marseillais est un marché de première importance pour écouler les cargaisons du Levant et de Barbarie. Les Tropéziens ont pu trouver en Levant des affréteurs désireux de faire livrer certains produits – toiles, coton, riz, moka, céréales – à Marseille. Ce débouché occupe une place croissante dans l’organisation des retours comme des départs lors de la prise de fret au démarrage de la caravane. Si important soit-il ce débouché n’est pas le seul.
83En effet, plus d’un tiers des caravaneurs regagnent Saint-Tropez en ignorant Marseille. Le petit port provençal ne capte pas pour autant la totalité des retours pour répondre à ses modestes besoins, excepté en grains. En réalité, les caravaneurs entrent la plupart du temps sur lest car les capitaines tropéziens ont auparavant déchargé leurs marchandises à Gênes, Nice, Villefranche et surtout Livourne. Comme pour le commerce du vin, les Tropéziens utilisent leur situation géographique entre Marseille d’une part et Gênes et Livourne de l’autre. Pour rentrer en Provence au terme du congé accordé, les capitaines, à la recherche de fret, acceptent de prendre le premier voyage qui se présente. La justification reste bien souvent la même :
« Après avoir navigué dans les Échelles du Levant en caravane, voyant que les affaires ne prenaient pas un bon succès et que les profits étaient modiques, le capitaine Joseph Tropez Villeneuve prit le party de charger au Volo sa barque de bled pour Nice ; il serait en conséquence arrivé audit Nice où il a fait sa quarantaine ; après avoir vendu son chargement de bled il a mis à la voile le 27 du mois de mars dernier, chargé de son lest, pour cette ville de Saint-Tropès ; est arrivé en ce port le 29 dudit88. »
84Faute d’obtenir un nolis pour la France, ils chargent « pour Livourne, afin de se rapatrier au plus tôt ». Dans les ports italiens les caravaneurs versent, comme au début du siècle et jusqu’au lendemain de la guerre de Sept Ans, un droit de cotimo et de tonnelage aux agents de la Chambre de commerce de Marseille après avoir livré les marchandises. Là semble se limiter le monopole de Marseille sur ces circuits. Une fois ces opérations accomplies, un tiers des caravaneurs regagnent Saint-Tropez « en droiture », sur lest ou non.
85En ce sens, le cas du capitaine François Bertrand est exemplaire. Après plusieurs voyages :
« Il se risqua de passer à Smyrne pour tâcher d’y trouver quelques nolis pour l’Italie ou Marseille […] après avoir été chassé trois fois par les forbans, il y arriva et s’y freta pour Livourne d’où il partit le dix mars (1775) avec les deux tiers seulement de sa cargaison pour pouvoir profiter de l’escorte de la frégate du Roi La Sultane ; il y arriva à la fin du mois d’avril dernier, d’où, après y avoir fait une quarantaine de cinquante jours et déchargé ses marchandises, il s’est rendu en droiture en ce port [Saint-Tropez] où il est arrivé le vingt du courant mois. Fait à Saint-Tropez, le 23 juin 177589. »
86L’observation des ultimes lieux de quarantaine connus, pour 54 % de la totalité des retours, rejoint le constat effectué à propos de la porosité du monopole marseillais.
87Malte, Gênes et Livourne accueillent plus d’un tiers des dernières quarantaines connues de bâtiments tropéziens de retour du Levant. Les rigueurs de la quarantaine, moins grandes dans les lazarets d’Italie, favorisent peut-être le retour dans les ports de la péninsule au lieu de Marseille90. Le monopole sanitaire de Marseille-Toulon ne verrouille donc pas totalement le trafic levantin. Ne rencontre-t-on pas des quarantaines effectuées directement à Saint-Tropez ? Ainsi en est-il de la tartane Notre Dame de l’Annonciade, commandée par François Guirard, qui est le 8 mai 1731 « sur le quai de la Bourgade du port en quarantaine arrivée depuis le jour d’hui » du Levant91.
Tableau 125. – Lieux connus des dernières quarantaines tropéziennes (1726-1808)92.
Lieux de quarantaine | 1725-34 | 1745-54 | 1765-74 | 1785-94 |
Marseille | 24 % | 37,4 % | 37 % | 42,5 % |
Toulon | 24 % | 9,1 % | 7,2 % | 12,3 % |
Livourne | 7 % | 11 % | 16,2 % | 13,7 % |
Gênes | 9 % | 2 % | 9 % | 5,4 % |
Malte | 6 % | 16 % | 11,7 % | 10,9 % |
Nice – Villefranche | 10 % | 3 % | 2,7 % | 1,3 % |
Autres | 20 % | 21,5 % | 16,2 % | 13,9 % |
Durée des campagnes
88Limitée à deux ans, la durée admise pour le « voyage à l’aventure » n’est finalement respectée que par 45,2 % des expéditions avec 54 caravanes d’une durée supérieure à cinq ans et cinq qui dépassent dix ans, dont celle de la polacre l’Engageante, partie le 1er décembre 1773 de Saint-Tropez pour ne revenir que 137 mois plus tard, le 7 mai 1785. De telles durées ont de multiples motifs qui peuvent se superposer : réquisition du bâtiment pour les besoins d’une autorité locale (bey de Tripoli), immobilisation à cause des guerres, avaries après tempête, difficultés à trouver des nolis, nombreuses et longues quarantaines pour temps de peste, menaces des corsaires et autres forbans, décès du capitaine.
89Les autorités centrales n’ont sanctionné, à la suite des dépositions des capitaines – accompagnées de lettres de responsables locaux appelant à la clémence – qu’une minorité de caravanes pour congé suranné : 11,4 % des cas seulement. Par ailleurs, les peines infligées connaissent une décrue : aux 200 livres exigées en 1739 pour congé dépassé de un an répondent les 36 livres demandées en 1776 pour un excès de deux ans. L’indulgence se perçoit nettement après la guerre de Sept Ans – avec des peines de 30 à 3 livres – en une période où de nombreuses voix réclament un assouplissement de la législation relative à la caravane.
90De si longues absences ne pèsent pas de manière semblable sur tous les hommes partis en caravane, étant donné le retour au bercail d’un certain nombre de « libertins ». Les hommes d’équipage d’un bâtiment immobilisé en Levant regagnent parfois leur foyer, en laissant le bâtiment à la vigilance de deux ou trois gardiens parmi lesquels figure souvent le capitaine. Enfin, au cours d’un armement pour la caravane, un retour furtif à Saint-Tropez a pu se produire en certaines occasions : lors d’un affrètement, au cours d’un voyage, pour les ports italiens ou d’un passage en Méditerranée occidentale93. Néanmoins, le temps de l’absence dans ce « cabotage au long cours » ne saurait être négligé, notamment chez quelques capitaines caravaneurs.
Tableau 126. – Temps passé au Levant par des capitaines caravaneurs tropéziens au XVIIIe siècle94.
Capitaines caravaneurs | années passées au Levant |
Joseph Augier | 28 |
André Ignace Gombaud | 24 (sur 33 ans d’activité) |
Jacques Guirard | 23 |
Pierre Aubert | 23 |
Charles François Guirard | 22 |
François Marthieu Sibille | 21 |
Jean Baptiste Aubert | 20 |
Joseph Tropez Allard | 18 |
Jean Joseph Tropez Villeneuve | 18 |
Antoine Pérou | 18 |
Charles Decuges | 17 |
Honoré Teisseire | 17 |
91En janvier 1791, le maître-maçon tropézien Jean Baptiste Castel confie son jeune fils Auguste, âgé de 9 ans, à son oncle allant au Levant en caravane. Au retour de cette dernière, en juin 1798, l’oncle a disparu – capturé et mort sur les pontons anglais – et le garçon que retrouve son père a 16 ans et demi95. Ce cas, en rien exceptionnel, ne donne-t-il pas aussi une mesure charnelle du temps de la caravane ?
92Navigation complexe, le « voyage à l’aventure » dévoile un pan méconnu de l’activité portuaire de Saint-Tropez et ne saurait être confondue avec un simple prolongement du petit cabotage local. Par les hommes impliqués, les navires exigés, la durée des opérations, les risques encourus et les sommes engagées cette technique marque profondément la vie des marins et, plus largement, le destin de la cité.
93Par ailleurs, cette dernière affirme ici son originalité en échappant, dans une certaine mesure, de gré ou de force, à la tutelle de la puissance marseillaise. De plus, les contacts entretenus avec les proches rivages italiens forment autant de points d’appui pour le fonctionnement de la caravane tropézienne. Les vigoureuses accusations formulées par la Chambre de commerce de Marseille à l’encontre de La Ciotat qui, à la fin du XVIIe siècle, nolisait ses navires aux Italiens et en particulier aux marchands juifs de Livourne pour le trafic du Levant ou de Barbarie, peuvent être portées contre Saint-Tropez. Graves remontrances car ces nolis favorisent les concurrents les plus directs des négociants français aux Échelles. Au reste, ne s’agit-il vraiment que de nolis ?
94Dans la circulation à court rayon que constitue le petit cabotage, les entrepreneurs des mers tropéziens ne se contentèrent pas de la seule navigation à fret ou coastal shipping96. En fut-il autrement dans les lointaines activités caravanières ?
Notes de bas de page
1 Fauchet J., préfet, op. cit., p. 282.
2 AM Saint-Tropez. Non coté. Mémoire sur la situation de la communauté (1749-1750).
3 Jugement cité par Masson P., Histoire du commerce français dans le Levant au XVIIe siècle, Paris, 1896, p. 409-410.
4 AN, F12-645. Mémoire sur le commerce du Levant.
5 Savary des Bruslons J., Dictionnaire…, op. cit., article « caravane ». La définition reste inchangée dans les éditions suivantes.
6 Lane F.C., Venise, une république maritime, Paris, 1985, p. 112-117.
7 Diderot et d’Alembert, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des Sciences, des Arts et des Métiers, Paris, 1751, article « caravane ».
8 Blondy A., L’Ordre de Malte au XVIIIe siècle. Des dernières splendeurs à la ruine, Paris, 2002.
9 Fontenay M., « L’Empire ottoman et le risque corsaire au XVIIe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, t. XXXII, no 2, avril-juin 1985, p. 186.
10 Guidicelli P., Une famille de notables tropéziens du XVIIe au XIXe siècle : les Martin de Roquebrune, thèse 3e cycle, dactyl., U. Nice, 1976, p. 133.
11 Mémoire de 1766 cité par Salvemini B., Visceglia M.-A., « Pour une histoire des rapports économiques entre Marseille et le sud de l’Italie au XVIIIe et au début du XIXe siècle », Provence historique, t. 44, fasc. 177, Marseille, 1994, p. 357.
12 ACCIM, J 1580. Commerce du Levant. Caravane, 1729.
13 Lespagnol A., Messieurs de Saint-Malo. Une élite négociante au temps de Louis xiv, 2 volumes, Rennes, 1997.
14 AD BdR, 363 E 327. Notaire Richaud. Déclaration du 31 janvier 1754 au sujet d’une tartane « expédiée en caravane pour les côtes d’Italie ».
15 Louis Dermigny signale les voyages de la tartane Saint-Etienne allant en caravane, en 1733, dans le bassin occidental de la Méditerranée (Languedoc, Barbarie, Espagne, Italie) « Armement languedocien. », art. cit., p. 78.
16 Masson P., Les Bouches du Rhône. Encyclopédie départementale, t. IX, Le Commerce, Paris-Marseille, 1922, p. 643.
17 Panzac D., « L’économie-monde ottomane en question. Clauses monétaires dans les contrats d’affrètements maritimes au XVIIIe siècle », Journal of the Economic and Social History of the Orient 39, 1996, p. 368.
18 Buti G., « Colporteurs des mers et caravaneurs en Méditerranée occidentale. L’exemple des relations entre la France méridionale et l’Italie du Sud au XVIIIe siècle », dans Biagio Salvemini (dir.), Places marchandes, marchands et pouvoirs sur les routes tyrrhéniennes. Les trafics maritimes entre la France et l’Italie au moment de la « grande mutation » (1700-1850), Bari, 2010.
19 ADV, 12J 4. Papiers de familles.
20 Vilar P., La Catalogne dans l’Espagne moderne, t. iii. La formation du capital commercial, Paris, Le Sycomore, 1962, p. 297.
21 AN, F12-645. Mémoire sur le commerce du Levant.
22 Masson P., La Provence…, op. cit., p. 752-753.
23 ACCIM, G46-1636.
24 Panzac D., « Les contrats d’affrètement maritimes en Méditerranée : droit maritime et pratique commerciale entre Islam et Chrétienté (XVIIe-XVIIIe siècles) », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 45/3 2002, p. 344-345.
25 Masson P., Histoire du commerce français dans le Levant au XVIIe siècle, Paris, 1896, p. 409.
26 AD V, 7B 4-1702.
27 Braudel F., « L’Empire ottoman est-il une économie-monde ? », Mémorial Ömer Lütfi Barkan, Paris, p. 39-50.
28 Mantran R. (dir.), Histoire de l’Empire ottoman, Paris, 1990, p. 281-285 et Panzac D., Commerce et navigation dans l’Empire ottoman au XVIIIe siècle, Istanbul, 1996.
29 Panzac D., La marine ottomane. De l’apogée à la chute de l’Empire (1572-1923), Paris, 2009.
30 Panzac D, Les corsaires barbaresques. La fin d’une épopée, 1800-1820, Paris, 1999.
31 Paris R., Histoire du commerce de Marseille. T.V. Le Levant…, op. cit., p. 24.
32 AD BdR 200 E et SHDM T 4P.
33 Carrière C. et Buti G., « Crise frumentaire et commerce international au XVIIIe siècle : Marseille et la crise andalouse de 1753 », Miège J.-L. (dir.), Les céréales en Méditerranée. Histoire, Anthropologie, Économie, Marseille, 1993, p. 109-128.
34 Voir Chapitre iii. Graphique 13.
35 AD BdR 200E et SHDM-T 4P.
36 Voir chapitre iii.
37 ACCIM, L. IX 725, Smyrne, lettre de J.A. Boulle, le 6 septembre 1741.
38 Duval M., Ni morts, ni vivants : marins ! Pour une ethnologie du huis clos, Paris, 1998, p. 13.
39 SHDM-T, 4P 40.
40 AD V, 12J 7, 1739.
41 AD V, 12J7, 1701.
42 AD V 3E24 et AD V 12J.
43 AD V, 3E 24-149, 1750.
44 AD V, 12J7, 3 septembre 1729.
45 AD V, 11B – 1745-77 et SHDM T 4P.
46 AD V, 11B. Saint-Tropez, 1768. Voir Annexe XXII, p. 450.
47 AD V, 3E 24-145-1733.
48 AD V, 3E 24-163-1779.
49 AD V, 7E 124 et SHDM T, 4 P 41.
50 AD V, 3E 24-155-1749.
51 AD V, 3E 24-162-1774.
52 AD V, 3E 24-169-1788.
53 AD V, 11B Saint-Tropez, 1768.
54 Voir Annexe XIV. Cet édifice religieux abrite aujourd’hui une collection d’ex-voto (66) à dominante maritime classée « monument historique » qui date des XIXe et XXe siècles, ceux des périodes antérieures ayant disparu. Voir Cousin B., Le miracle…, op. cit., p. 57-61.
55 AD V, 11B Saint-Tropez, 1768.
56 AD V, 3E 66-1-1714.
57 AD V, 3E 24-133-1698.
58 AD V, 3E 24-181-1788. Cet inventaire mentionne aussi « 10 tonneaux, 12 barils, 6 dames-jeannes et 2 entonnoirs ».
59 Archives privées. Saint-Tropez. Fond Prévost-Allard. Extrait du « Journal des routtes tenu par François Donat Alliez, écrivain de bord de la polacre Stella Matutina, de Marseille, commandée par le capitaine Charles François Maille, lors de la 4e caravane (1754-1757) ».
60 Comme invite à le faire pour d’autres temps Pascal Arnaud, Les routes de la navigation antique. Itinéraires en Méditerranée, Paris, 2005.
61 Voir Annexes XXIII et XXIV, p. 454-455.
62 SHDM-T, 4P 167-1740.
63 Ibid., 4P 167-1740.
64 Ibid., 4P171-1753.
65 Brès J.-F., L’armement maritime marseillais au XVIIIe siècle. Etude d’un navire de commerce : La Cérès (1739-1757), mémoire de maîtrise, U. de Provence, 1972. Fassié P., « L’armement maritime marseillais au XVIIIe siècle. Le Benjamin 1757-1763 », mémoire de maîtrise, U. de Provence, 1973. Borelly J., L’armement maritime marseillais au XVIIIe siècle. Etude d’un navire de commerce : l’Hirondelle (1733-46), mémoire de maîtrise, U. de Provence, 1974. Morineau M., Pour une histoire économique vraie, Villeneuve-d’Ascq, 1985, p. 31-47.
66 SHDM T 4P1 - 8 juin 1717.
67 Selon plusieurs témoignages oraux les marins tropéziens auraient conservé, au XXe siècle, l’habitude de signes de reconnaissance (d’une autre nature !) lors de rencontre en mer le jour de la saint Tropez.
68 Jean-François Baude, écrivain à bord de la tartane Saint Jean-Baptiste « a été débarqué le 9 juillet 1759 à bord d’un corsaire pour ottage » (SHDM T 4P 173) En 1745 c’est l’écrivain J.-F. Paret qui « est laissé pour otage à Modon » (SHDM T, 4P 170). Voir Annexe XXV, p. 456.
69 AD V, 12 J7. Alexandrie, le 27 mars 1757.
70 AD V, 11B. Saint-Tropez (1768).
71 Panzac D., La peste…, op. cit.
72 AD V, 11B – 1768-1777.
73 Voir Annexe XXV, p. 456.
74 On ignore jusqu’à la fin du XIXe siècle (Yersin et Roux) que la puce du rat est le vecteur de la peste, mais on se méfie des rats dont la présence reste associée à la contagion. AD V, 11B – 1768-1777.
75 SHDM-T, 1R1-13. 1764.
76 SHDM-T, 4P.
77 AD V, 11B Saint-Tropez, 1758.
78 SHDM-T, 4P1, 1730.
79 SHDM-T, 4P101.
80 SHDM-T, 1R1-8. 1754.
81 ACCIM, E118. Lettre de l’ambassadeur de France à Constantinople, au président du conseil de la Marine, le 9 janvier 1719.
82 AD V, 3E 24-166, 1773.
83 Boulanger P., « Salaires et revenus des équipages de navires marchands provençaux durant le XVIIIe siècle », Provence historique, 1980, t. 30, fasc. 122, p. 415-417. Le Goff T., « De la paix à la guerre, les origines des équipages de commerce français en Méditerranée pendant les guerres du XVIIIe siècle », Vergé-Franceschi M. (dir.), Guerre et commerce en Méditerranée (IX-XXe siècles), Paris, 1991, p. 296-299.
84 ACCIM, L. IX, 100. Alexandrie. F. Olivier, mai-juin 1741.
85 Voir Annexe XXI, p. 449.
86 Convois signalés dans les dépositions à l’intendance sanitaire de Marseille, AD BdR, 200E. Voir Buti G., « La caravane maritime provençale aux XVIIe et XVIIIe siècles : un voyage à l’aventure organisé ? », Villain-Gandossi C. et Leroy A. (dir.), Stations navales et navigations organisées en Méditerranée, Toulon, 2004, p. 135-149.
87 SHDM-T 4P, AD BdR, 200E.
88 AD V, 7B 16. 1768.
89 AD V, 7B 16, 1775. Voir Annexe XXV, p. 456.
90 Masson P., op. cit., p. 404.
91 AD V, 7B 15, 1731. Voir Annexe XXV, p. 456.
92 SHDM-T 4P – AD BdR 200E – AD V 11B Saint-Tropez.
93 Ainsi en est-il de la barque Vierge des Carmes, du capitaine Jean Charles Cauvin. Voir Annexe XXIII, p. 454.
94 SHDM-T, 4P37 à 42.
95 Archives privées. Gassin. Fond Peirrugues. Livre d’heures du maçon J.B. Castel (1774-1808).
96 Pour cette distinction voir Le Bouëdec G., « Le cabotage sur la façade atlantique au XVIIIe siècle », Woronoff D. (dir.), La circulation des marchandises dans la France de l’Ancien Régime, Paris, 1998, p. 52.
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