Chapitre VIII. Cabotage et caboteurs à Saint-Tropez au XVIIIe siècle
p. 317-358
Texte intégral
1Le petit cabotage, qui n’a ni l’éclat, ni le prestige de la grande navigation, n’a guère retenu l’attention des chercheurs sur cette partie du littoral méditerranéen. L’éblouissante réussite de Marseille au XVIIIe siècle, lancée à la conquête des grands espaces océaniques, serait-elle aveuglante ? Les lointaines expéditions maritimes et la « navigation à la côte » seraient-elles des mondes totalement étrangers ? N’est-ce pas oublier que « comme du côté de la terre, c’est de quelques lieues seulement qu’arrivent, par mer, le pain, le vin, le sel, la viande salée, bref, toute la vie quotidienne1 » ?
2Les Tropéziens participent activement à ce flot continu d’échanges. Certes, ce cabotage, en rien spécifique au XVIIIe siècle, ne donne ni les grandes orientations, ni les impulsions décisives à la conjoncture générale de la place. Il n’en demeure pas moins un pivot de la vie maritime locale. Le cabotage de proximité est-il commandé par les exigences du grand port provençal ou s’organise-t-il de manière autonome ? Permet-il de briser l’enclavement si souvent dénoncé et de façonner un arrière-pays ?
3La flottille, les produits transportés, les capitaux engagés et les enjeux économiques paraissent modestes. Sont-ils pour cela négligeables ? Si de belles séries n’accompagnent pas ces flux, quelques études de cas reconstitués en suivant les circuits caboteux tropéziens fournissent des précisions sur les routes, les techniques mais aussi, et surtout, les hommes impliqués dans cette forme de navigation dont la définition demeure hésitante.
Saisir le cabotage
4L’évocation du cabotage conduit irrésistiblement à imaginer de très petits bâtiments de mer « collés aux côtes » qui évitent le large et vont « comme les crabes, de rocher en rocher2 ». La présence du littoral est si forte que la route maritime du caboteur se confond avec « une simple rivière côtière » parcourue par « la procession des navires côtoyeurs ». Pour reprendre l’observation faite par Fernand Braudel après l’examen des dépenses de bouche d’un caboteur de Raguse, caboter « c’est acheter son beurre à Villefranche, son vinaigre à Nice, son huile et son lard à Toulon ». Voire ses biscuits à Cannes, ses fruits à Antibes et son vin à Saint-Tropez…
Qu’est-ce que le cabotage ?
5En droit maritime l’actuelle définition du cabotage relève d’un « classement d’après la longueur des parcours3 ». De fait, on qualifie de cabotage « toute forme de navigation commerciale qui n’est pas transocéanique ». Dans ces conditions, toute circulation en Méditerranée est du cabotage ; celui-ci peut revêtir deux formes : soit la droiture ou navigation sans escale, soit la navigation à proximité des rivages en multipliant les escales. Cette définition, façonnée à la fois par le droit international et par les transformations techniques, accorde une place centrale à la distance parcourue et à l’espace fréquenté ; elle se présente comme l’aboutissement de réflexions amorcées depuis le XVIIe siècle sans en laisser transparaître les divers tâtonnements.
6Dans son Dictionnaire, Savary des Bruslons présente le cabotage comme « le commerce qui se fait de proche en proche et de port en port ». Pour Michel Darluc, qui a peut-être consulté l’ouvrage de Savary, « on entend par cabotage la navigation le long des côtes, de port en port, de cap en cap ». Il rejoint ici les textes des XVIIe et XVIIIe siècles qui parlent de capotage pour évoquer la circulation maritime allant « de cap en cap4 ». La « science du pilote qui consiste dans la connaissance du chemin que le vaisseau fait à la surface de la mer » est également qualifiée de capotage par les Encyclopédistes, terme que l’on rencontre encore à la fin du XVIIIe siècle sous la plume de certains scribes de l’amirauté ou écrivains de bord chargés de rédiger les rôles d’équipage ; ainsi en est-il pour l’Hirondelle, du port de 100 tonneaux qui sous le commandement de Samson Le Bozec, de Bréhat, navigue au « capotage », en 1790, allant « de port en port le long des côtes de provence et de languedoc5 ». Il est tout aussi difficile d’accepter la distinction établie par Darluc entre « le grand cabotage qui se fait en Levant et le petit cabotage pratiqué sur les côtes d’Afrique et en Espagne6 ».
7Les Mémoires sur le commerce rédigés en vue du Congrès de Soissons (1728) désignent le petit cabotage comme « le transport de toutes sortes de denrées et marchandises dans les ports et côtes du royaume seulement7 ». Le grand cabotage représenterait les seules relations du royaume avec l’étranger. Au cabotage national ou petit cabotage répondrait donc un cabotage international ou grand cabotage. Ainsi juridiquement défini le cabotage est assimilé à une notion politique : les Provençaux allant à Dunkerque pratiqueraient du petit cabotage, mais se livreraient au grand cabotage en se rendant à Gênes…
8Les ordonnances et règlements de 1673, 1681, 1689, 1725 et 1727 qui ont abordé auparavant cette question ne distinguent pas clairement le long cours, le grand cabotage et le petit cabotage. Seule l’ordonnance du 10 octobre 1740 définit plus nettement, en termes géographiques, ces pratiques de navigation :
Article i : « Seront réputés voyages au long cours ceux aux Indes, tant Indes orientales qu’occidentales, au Canada, Terre-Neuve, Groenland et isles d’Amérique méridionale et septentrionale, aux Acores, Canaries, Madère et en toutes les costes et pays situés sur l’océan au-delà des détroits de Gibraltar et du Sund, et ce conformément au règlement du 20 aoust 1673. »
Article ii : « Les voyages en Angleterre, Ecosse, Irlande, Hollande, Dannemarck, Hambourg et autres isles et terre au-deçà du Sund, en Espagne, Portugal ou autres isles et terre au-deçà du détroit de Gibraltar seront censés au grand cabotage, aux termes dudit règlement du 20 aoust 16738. »
9Quant au petit cabotage, l’article iii de l’ordonnance de 1740 reprend les deux premiers articles du règlement du 13 août 1726 à savoir :
« Les bastiments de Provence et Languedoc qui naviguent de cap en cap et de port en port le long des costes des dites provinces soit à la part et à prix fait, ou au salaire par voyage, seulement d’un port à un autre, seront réputés naviguer au petit cabotage de quelque grandeur que soient les dits bastiments et de quelque nombre que soient leurs équipages (article 1). Entend Sa Majesté comprendre dans la dite navigation les ports de Nice, Villefranche et ceux de la principauté de Monaco, et les ports situés sur les costes du Roussillon jusqu’au cap de Creuz (article 2)9. »
10Ces limites tracées ont le mérite de la clarté. Elles rejettent toutefois la proche et familière Rivière de Gênes dans les eaux du grand cabotage. Ainsi, en application de ce règlement, le 6 janvier 1736, les autorités de l’amirauté verbalisent le Tropézien Jean Baptiste Olivier commandant le bateau Saint Jean-Baptiste, de 4 tonneaux, de retour de Gênes.
11En effet,
« ce matelot hors de service a commandé pour naviguer au petit cabotage pendant quatre mois et a passé ses bornes ayant été à Gênes qui se trouve dans les mers du grand cabotage où la navigation n’est permise qu’à ceux qui ont été reçus capitaines ou patrons à l’amirauté10 ».
12La sanction infligée montre l’étroite relation établie entre la qualification du commandant et l’espace maritime fréquenté. L’ordonnance de 1740 précise d’ailleurs la réglementation en la matière avec la mise en place d’un examen de maîtrise pour le commandement des bâtiments « destinés seulement au petit cabotage, de port en port, le long des costes » ; ce diplôme se veut moins complexe car « cette navigation n’exige que la pratique et la connaissance particulière des ports, havres et autres lieux où elle se fait11 ».
13Toutefois, ce découpage « national » ne s’accorde guère avec les réalités marchandes et les chercheurs ont diversement réagi à ces définitions complexes et flexibles, d’autant plus délicates à formuler que la France est le seul État européen, avec l’Espagne, à disposer d’une façade atlantique et d’une façade méditerranéenne. Jules Julliany, qui a montré un réel intérêt pour le cabotage dans son étude consacrée au commerce de Marseille dans la première moitié du XIXe siècle, a été confronté à cette épineuse question. Entre une définition maritime et une définition fiscale il a choisi cette dernière, qui offrait de copieuses statistiques, en notifiant qu’« en matière de douane on appelle grand cabotage la navigation d’un port français de l’Océan avec un port français de la Méditerranée et vice versa, et l’on nomme petit cabotage celle qui a lieu d’un port français sur une mer avec un autre port français de la même mer. J’ai opté pour cette définition12 ». Charles Carrière a refusé cette vision administrative qui « ne s’accorde pas avec les réalités commerciales ». Pour lui, qui se plaçait au niveau des acteurs, il est préférable d’adopter une division entre un commerce à court rayon (Méditerranée française, Espagne orientale et Italie tyrrhénienne) et un commerce à grand rayon (tout le reste de la Méditerranée). « Ce choix n’est pas sans arbitraire […] mais c’est le moins mauvais13. »
14Au vrai, il rejoint ainsi les officiers du bureau de la Santé maritime qui tiennent davantage compte des mouvements commerciaux en plaçant une partie des côtes espagnoles – Catalogne, Baléares – et italiennes – Ligurie, Toscane – dans le petit cabotage. Là se situe « l’espace vécu » par les caboteurs provençaux, l’aire du petit cabotage. D’ailleurs, l’ordonnance du 12 février 1815 entérine un tel état de fait lorsqu’elle étend en Méditerranée le petit cabotage « jusqu’à Naples et Malaga inclus, y compris la Corse, la Sardaigne et les îles Baléares14 ». Nulle transformation technologique et nul bouleversement politique ne peuvent justifier pareil élargissement qui est simplement en symbiose avec les pratiques commerciales.
15Aussi, sous le terme générique de petit cabotage, il est légitime de considérer la fréquentation de l’espace géographique compris entre la Catalogne et la Toscane, avec les Baléares, la Corse et la Sardaigne. Dans cette circulation à court rayon se distingue néanmoins ce que les hommes du XVIIIe siècle qualifient de « navigation à la côte » c’est-à-dire un micro-cabotage ou cabotage de proximité le long des seuls rivages provençaux.
16Les termes de grand cabotage ou cabotage lointain désignent alors les armements à destination de l’Italie méridionale, de la Sicile, de la Barbarie et du bassin oriental de la Méditerranée, ainsi que les sorties en direction du Ponant. Pour engager de telles opérations les caboteurs doivent obtenir des officiers de l’amirauté une autorisation d’absence ou congé d’une durée de un à deux ans, contre quinze jours à six mois pour les expéditions au petit cabotage15.
« Le père nourricier des provinces méridionales »
17Attentif à la libre circulation le long des littoraux du Languedoc et de Provence, Fabry, directeur de l’arsenal de Toulon, se plaisait à rappeler la place essentielle dévolue au cabotage dans l’économie régionale, sinon nationale. Ce commerce est à ses yeux « le père nourricier des provinces méridionales, et même de l’intérieur soit pour l’importation, soit pour l’exportation16 ».
18Pour Saint-Tropez, coupé de la Provence intérieure par le massif des Maures et gêné par un médiocre réseau routier, le chemin de la mer est vital à plus d’un titre. Il constitue le vecteur essentiel pour acheminer les denrées de première nécessité, à commencer par les céréales, que le terroir « maigre et borné » ne peut produire pour couvrir les besoins des populations locales. Ce mode de transport participe en sens inverse à la diffusion des ressources du proche arrière-pays et des contrées maritimes voisines. Au reste, les caboteurs facilitent également le déplacement des hommes. Lorsque le 11 mai 1798 Jean Baptiste Castel, maître-maçon de Saint-Tropez, décide d’aller avec son épouse « prendre les eaux minérales à Digne » il utilise les services d’un caboteur en partance pour Cannes puis Antibes avant d’emprunter la voie terrestre, à travers les Alpes du sud, pour « aller boire les eaux et prendre bains et étuves17 ». Les matelots tropéziens qui se rendent à l’arsenal de Toulon pour servir sur les vaisseaux du Roi prennent naturellement la voie maritime ; cela permet aussi, selon les autorités toulonnaises, d’assurer une meilleure surveillance de matelots enclins à quelque « libertinage ». Débarqués à Marseille après une campagne sur les bâtiments de commerce, des marins regagnent leur domicile et le bureau du service des classes de leur quartier maritime en utilisant l’un des nombreux caboteurs présents dans le grand port. Les relations entretenues avec la Ligurie, familière à nombre de Tropéziens, passent d’abord par cette route littorale, qui achemina, peut-être, depuis l’embouchure de l’Arno, la barque chargée des restes du saint éponyme de la cité au ier siècle de notre ère.
19Ces quelques exemples, en rien isolés, rappellent, si besoin était, l’omniprésence de la circulation côtière dans la vie tropézienne. Pourtant, et ce n’est pas le moindre des paradoxes, le cabotage demeure une activité maritime difficile à atteindre.
Documentation dispersée
20Approcher ce « père nourricier » demeure délicat. La nature même de l’activité de cabotage, surtout de proximité, implique souvent la dispersion et la fragmentation de la documentation, voire sa disparition, sa destruction ou, tout simplement, son absence originelle en liaison avec la médiocrité de certaines affaires ou la modestie des acteurs en présence.
21L’exploitation des sources conservées nécessite temps et prudence. Ainsi, pour l’une d’entre elles, il n’est pas possible de suivre l’affirmation selon laquelle « les importants registres de la Santé marseillaise […] signalent l’entrée du moindre caboteur18 ». En réalité, seuls les caboteurs chargés de vin, d’huile d’olive et de blé figurent dans ces gros registres, précieux pour plus d’une recherche mais déficiente pour restituer le cabotage dans toute son épaisseur. Ainsi, en 1735, alors que 110 caboteurs tropéziens ont eu Marseille pour destination, une seule entrée figure dans les déclarations enregistrées par les responsables de la Santé maritime. Certes, la destination déclarée n’a peut-être pas été respectée par tous les patrons, mais la déperdition ne saurait avoir une telle ampleur. Le cas n’est pas isolé : 185 départs vers Marseille en 1776 et seulement 4 entrées selon le bureau de la Santé. En 1787 quatre caboteurs tropéziens figurent dans ces derniers registres alors que les « cahiers du petit cabotage » tenus par les autorités portuaires de Marseille, mais disponibles à partir de 1786 seulement, en signalent 25719.
22Il faut donc faire flèche de tout bois pour approcher la pratique caboteuse, reconstituer des trajectoires et dessiner des routes qui ne soient pas de simples flux. Registres matricules des navires et du personnel, rôles d’équipage et rôles au désarmement rassemblés par les agents du service des classes ; congés, dépositions, droits relevant des bureaux des amirautés fréquentées par les caboteurs ; papiers de chambres consulaires ; archives judiciaires et actes notariés dévoilant nolis, patronage, règlements financiers et contentieux, fournissent leur lot d’informations, serrées ou clairsemées, au sujet de l’exercice du métier de caboteur et des espaces visités. Assurément, « il faut labourer les sources pour faire émerger le substrat socio-économique d’une activité majeure ou auxiliaire20 »….
Saint-Tropez, port de petit cabotage
23Le petit cabotage se situe au cœur de la vie portuaire de Saint-Tropez. Cette place fondamentale conjugue en fait deux réalités. À l’image des autres ports secondaires du complexe portuaire provençal – mais aussi d’autres ports du Ponant – Saint-Tropez est d’abord un port essentiellement animé par la navigation à court rayon, par la présence de bâtiments venus d’horizons multiples. Toutefois, dans ces flux d’entrées et de sorties une attention portée à l’armement local permet de reconstituer quelques circuits, de retrouver certaines lignes de navigation, d’entrevoir les techniques mises en œuvre et de rencontrer les hommes qui vivent de l’activité maritime considérée comme « la plus insaisissable21 ».
Petit cabotage à Saint-Tropez
Le mouvement général
24Le petit cabotage représente 94 à 97 % du nombre des entrées et des sorties du port de Saint-Tropez. Cette part, établie à partir des rapports de visite des bâtiments effectués à l’arrivée et au départ par les représentants de l’amirauté, repose donc sur le seul nombre de navires22. Certes, parmi ces derniers figurent, en nombre très limité, quelques bâtiments qui terminent une opération lointaine par un petit cabotage de redistribution et dont la provenance déclarée correspond à la dernière escale effectuée. Néanmoins, leur présence ne modifie en rien la proportion des petits caboteurs dans le trafic portuaire tropézien.
25De 1698 à 1815, l’évolution générale de celui-ci – établie avec une documentation certes lacunaire mais fournissant près de 30 500 entrées de caboteurs et plus de 23 400 sorties – suit dans ses grandes lignes les temps forts dégagés lors de l’analyse de la conjoncture.
Graphique 27. – Mouvement du port de Saint-Tropez (1698-1815)23.

26Le renversement de la tendance générale se produit toutefois ici au lendemain de la guerre de Sept Ans et non de la guerre d’Indépendance. L’augmentation du tonnage unitaire moyen, surtout dans la seconde moitié du siècle, compense ce fléchissement de la fréquentation. Il est cependant difficile de le vérifier car les tonnages des bâtiments ainsi que les quantités de marchandises transportées ne sont qu’exceptionnellement mentionnés. Il demeure toutefois possible de proposer une estimation pour les tonnages en fonction des types de bâtiments rencontrés et de leur évolution au cours du siècle.
Graphique 28. – Cabotage dans le port de Saint-Tropez (tonnages estimés)24.

27L’estimation est relativement aisée à mener dans la mesure où trois types de bâtiments – tartane, bateau et bisque – se partagent 80 à 90 % des flux.
Tableau 109. – Types de caboteurs dans le port de Saint-Tropez25.
1714-16 | 1755-57 | 1768-70 | 1786-88 | |
bateau | 54 % | 50 % | 37,1 % | 23,4 % |
bisque | 0 % | 2 % | 16,2 % | 20,1 % |
tartane | 36 % | 42 % | 37,5 % | 45,6 % |
autres | 10 % | 6 % | 9,2 % | 10,9 % |
28Les discordances observées entre les entrées et les sorties ont dans une large mesure pour origine la prise en compte aux entrées de bâtiments n’effectuant que de simples relâches dans le port ou dans la proche rade des Canebiers mais qui peuvent représenter de 4 % (en 1739) à 33 % (en 1776) de l’ensemble.
La part de l’armement tropézien
29L’armement tropézien joue un rôle moteur dans l’animation du port. Les bâtiments attachés à Saint-Tropez, identifiés avec sûreté grâce aux registres du service des classes, couvrent 40 à 70 % du trafic. L’armement au petit cabotage, exprimé en nombre d’expéditions, constitue l’écrasante majorité de l’armement général de la place.
Graphique 29. – Part du cabotage dans l’armement de la flotte de Saint-Tropez (nombre)26.

30Il perd cependant de sa force en comparant son tonnage avec le tonnage global des armements.
Graphique 30. – Part du petit cabotage dans l’armement tropézien (tonnage)27.

31Les armements au grand cabotage – vers la Méditerranée orientale essentiellement –, avec des bâtiments de plus grandes portées, expliquent ce décalage. Néanmoins, il serait imprudent de minimiser la place du petit cabotage dans la mesure où un armement de ce type ne correspond que rarement à un seul voyage effectué alors que c’est souvent la règle pour le cabotage lointain. Les registres de désarmement fournissent pour les dernières décennies du XVIIIe siècle des indications qui précisent cette réalité valable pour le siècle.
32Le nombre moyen de voyages par armement progresse au fil des années, passant de 3 par armement en 1780-1785 à 4,5 en 1795-1799. Ces nombres de voyages par armement au petit cabotage sont d’autant plus importants qu’ils se situent dans le proche espace tropézien ; ils diminuent légèrement pour les liaisons avec la Ligurie, la Toscane, la Corse ou le Languedoc. Cependant ces moyennes masquent, par nature, des situations qui sans être exceptionnelles montrent l’ampleur de certaines opérations. Ainsi, entre l’armement, le 21 mai 1784, et le désarmement, le 13 juin 1785, le bateau la Sainte Famille, de Saint-Tropez, commandé par le Tropézien Barthélemy Ignace Ardy, a effectué quatorze voyages depuis son port d’attache vers les ports de la rivière de Gênes. Dans ce cas précis l’armement d’un bateau de 17 tx de portée signifie 238 tx dans le mouvement du port pour quatorze entrées28. Aussi, le volume réel mis en œuvre par le petit cabotage se situe de toute évidence à un niveau très supérieur à celui indiqué par les seuls armements ; de ce fait, il serait légitime de doubler, sinon tripler, ces dernières données pour approcher au plus près le trafic caboteur engendré par l’armement tropézien. Cette réalité, en rien spécifique à Saint-Tropez, existe dans les autres petits ports et invite à repenser la place des échanges de proximité dans le tissu économique et social du littoral.
Graphique 31. – Armements et voyages des caboteurs de Saint-Tropez29.

33La contribution des autres ports au mouvement général de cette navigation à court rayon enregistré à Saint-Tropez est délicate à atteindre car le seul critère de localisation est l’origine déclarée du patron caboteur. Cependant, dans la mesure où celle-ci a tendance pour les petits ports et les petites embarcations – ce qui est différent pour les grands ports – à se confondre avec celle du port d’attache du bâtiment, il est permis de prendre appui sur cet indicateur pour dégager quelques tendances.
Tableau 110. – Origines des caboteurs entrés et sortis de Saint-Tropez30.
1728-29 | 1754-55 | 1775-76 | 1786-87 | |
Saint-Tropez | 69 % | 42 % | 46 % | 70 % |
Autres ports provençaux | 13 % | 29 % | 17 % | 18 % |
Rivière de Gênes | 14,5 % | 18 % | 23,5 % | 5,5 % |
Comté de Nice | 2,5 % | 6 % | 6,5 % | 1,9 % |
Autres | 1 % | 5 % | 7 % | 4,6 % |
34La zone d’influence maritime, mesurée ici à partir de l’origine estimée des caboteurs, est fortement centrée sur la Provence. Les deux-tiers voire les quatre-cinquièmes des bâtiments seraient attachés à cet espace où dominent les ports de Bandol, Toulon, La Seyne, La Ciotat et Antibes. Certes, des bâtiments, faisant route vers la rivière de Gênes, ne font qu’une escale à Saint-Tropez ; ainsi en est-il, en 1766, de la majorité des soixante-cinq bâtiments venus de Bandol chargés de marchandises à destination de la rivière génoise31. Les petits ports de la frange extrême-orientale du littoral du royaume – de Saint-Raphaël à Antibes – expédient peu de bâtiments vers Saint-Tropez contrairement à ceux du Comté de Nice et de la rivière de Gênes. Ceux-ci participent d’une manière croissante à ce trafic pour atteindre près du tiers des flux à la veille de la guerre d’Indépendance, laissant ensuite place à une nette décrue et à un resserrement du trafic sur le domaine provençal.
Géographie du cabotage
35À partir des déclarations de provenances et de destinations faites par les patrons aux autorités de l’amirauté de Saint-Tropez il est possible d’esquisser la cartographie du mouvement portuaire, en se souvenant néanmoins que la provenance déclinée répond parfois à la dernière escale effectuée (avec ou sans chargement) et que la destination déclarée n’a peut-être pas été la destination réelle.
Tableau 111. – Provenances (Prov.) et destinations (Dest.) des petits caboteurs dans le port de Saint-Tropez ( %)32.

36La majorité des entrées et plus encore des sorties du port de Saint-Tropez s’effectuent dans le cadre de la seule Provence maritime, d’Arles à Antibes. Sur ce littoral quelques ensembles sont davantage sollicités.
Tableau 112. – Provenances et destinations provençales des caboteurs fréquentant Saint-Tropez ( % du mouvement)33.

37Parmi la vingtaine de localités signalées se détache incontestablement le pôle marseillais d’où proviennent 20 à 25 % des caboteurs et vers où se dirigent entre le quart et plus de la moitié de ceux-ci. La force d’attraction du centre marseillais, entrepôt et foyer de consommation, s’affirme au cours du siècle – 71 % des sorties prennent le chemin de Marseille en 1791.
Tableau 113. – Entrées à Marseille de caboteurs provençaux en 178734.
Origines | Nb d’entrées |
Arles | 263 |
Martigues | 177 |
Bouc | 2 |
Saint-Chamas | 7 |
Cassis | 39 |
La Ciotat | 241 |
Bandol | 148 |
Sanary | 65 |
Le Brusc | 11 |
La Seyne | 32 |
Toulon | 219 |
Hyères | 128 |
Léoube | 37 |
Bormes | 40 |
Saint-Tropez | 263 |
Fréjus | 171 |
Cannes | 57 |
Antibes | 68 |
Autres ports | 136 |
Total | 2104 |
38Parmi les caboteurs entrés dans le port de Marseille, la part des Tropéziens est saisie en croisant les informations fournies par l’Intendance sanitaire et par les cahiers du cabotage. Les tonnages et valeurs des marchandises, qui permettraient de préciser heureusement ce tableau, échappent à notre documentation.
39Toulon et les petits ports voisins, au niveau d’attraction proche de celui de Marseille au début de la période, perdent de leur importance relative au cours du XVIIIe siècle alors qu’une évolution inverse se dessine avec la Provence orientale – de Cannes à Antibes surtout.
40Avec la périphérie tropézienne – de Hyères à Saint-Raphaël/Fréjus – les échanges demeurent limités, à l’image des ressources disponibles. Toutefois, le micro-cabotage ou bornage dans le golfe de Grimaud – avec la « plage de Bertaud » ou Sainte-Maxime – qui est enregistré à certaines occasions par l’amirauté ou perceptible dans des actes notariés, échappe aux relevés de visite.
41Hors du royaume un petit cabotage actif unit Saint-Tropez au Comté de Nice et à la rivière ligure, avec Gênes et plus encore Nice-Villefranche. Malgré un fléchissement certain, tant aux entrées qu’aux sorties, cet espace conserve un rôle majeur dans le mouvement du port.
Tableau 114. – Part du cabotage tropézien en provenance et à destination du Comté de Nice et de la rivière de Gênes35.

42Au vrai, la part de Gênes ne doit pas être séparée de celle de la poussière des petits ports qui composent sa riviera, soit une vingtaine de localités littorales : Dian, Savone, Santa-Margherita, San Remo, Vintimiglia, Bordighiera, Rapallo, Porto Maurizio, Araisso, Cely, Finale, Laigueglia, Oneglia, San Stefano, Sestri, Porto Fino, Viareggio… pour ne retenir que ceux qui reviennent le plus souvent.
43La juxtaposition des destinations et des provenances met en évidence des déséquilibres entre les espaces en relation avec Saint-Tropez. Si un net déficit existe aux entrées par rapport aux sorties avec le Languedoc ou Marseille, le Comté de Nice et la rivière génoise présentent une situation inverse. Ces discordances résultent de l’existence de circuits, de rotations entre ces diverses régions et non de simples navettes en droiture. Des caboteurs tropéziens se rendent en Languedoc – Agde et Sète – pour charger du blé et surtout du vin à destination du Comté de Nice, de Monaco et de la Ligurie, voire de Livourne, sans repasser par le port d’attache, sauf pour relâche exceptionnelle. Aussi, le Languedoc, en bonne place parmi les destinations, ne figure presque plus parmi les retours qui pointent naturellement les régions de livraison.
44Les registres d’armement de la flotte tropézienne, conservés pour les seules années 1714-1720, avec mention des voyages, soulignent au début du siècle la place du Languedoc dans la destination de caboteurs tropéziens.
Tableau 115. – Destination des caboteurs tropéziens (1714-1720)36.
Destinations | Nombre de voyages effectués | % des voyages |
Languedoc | 229 | 21,3 |
Marseille et environs | 334 | 31,1 |
Toulon et environs | 164 | 15,2 |
Comté de Nice (+ Monaco) | 151 | 14,1 |
Rivière de Gênes | 169 | 15,7 |
Livourne | 28 | 2,6 |
45Par ailleurs, les types de bâtiments employés sur les diverses lignes n’étant pas les mêmes, le Languedoc, vers où se dirigent surtout des tartanes, mobilise près du quart de la flotte caboteuse tropézienne exprimée en tonneaux contre à peine plus de 5 % pour le Comté de Nice fréquenté surtout par des bateaux.
46Lors des désarmements les provenances déclarées offrent une image comparable et suscitent d’analogues réserves.
Graphique 32. – Provenance des caboteurs tropéziens au désarmement37.

47Dans cette évolution chaotique les retours de Provence et de la proche Italie se caractérisent par des mouvements contraires. L’insécurité du chemin de la mer en période de guerre explique, dans une large mesure, le repli sur l’espace provençal, sur la « navigation à la côte ». Le moindre éloignement est moins périlleux surtout lorsque les troupes ennemies occupent les territoires habituellement fréquentés. La compensation est nette pendant la guerre de Sept Ans et plus encore durant la guerre de Succession d’Autriche au cours de laquelle Saint-Tropez servit de point de concentration pour le ravitaillement des forces françaises en lutte contre les Austro-Sardes (1746-1748) présents dans le Comté de Nice.
Rythme du petit cabotage : la mer aux rythmes de la terre
Rythme saisonnier du petit cabotage
48Le petit cabotage qui anime la vie portuaire tropézienne imprime sa marque sur le temps bref. Les dates d’entrées et de sorties mentionnées sur les registres de désarmement fournissent une première indication. Hormis quelques années exceptionnelles, anormalement troublées par les effets des guerres qui accélèrent ou paralysent les échanges, la vie du port obéit à un calendrier original.
Graphique 33. – Rythme mensuel des entrées et sorties de caboteurs du port de Saint-Tropez (1714-1791)38.

49Aux entrées comme aux sorties les fluctuations mensuelles montrent un semestre de trafic soutenu, de mai à octobre, avec deux temps plus marqués, à savoir la fin du printemps et, après un plateau estival, le début de l’automne, avec octobre comme mois de la plus intense activité. L’effervescence de ce mois est d’autant plus grande que le trimestre suivant connaît un profond recul, qui constitue la morte-saison maritime.
50Les aléas météorologiques peuvent aider à décoder ce rythme saisonnier des caboteurs le long de cette portion du littoral. L’état de la mer, en relation avec la fréquence des vents du nord et nord-ouest, gêne la navigation durant la période hivernale. La distribution du nombre de relâches effectuées dans le port est un bon indicateur pour mesurer le rôle de ce facteur climatique dans l’utilisation de la mer. À l’exception de quelques événements extraordinaires qui ont pu gonfler le nombre de ces escales – comme le rassemblement de corailleurs napolitains de 1732 – les caboteurs modifient leur route pour venir s’abriter dans le golfe et le port de Saint-Tropez à la suite de « vents contraires », de « vents violents » et de « tempêtes ». La prise d’une telle décision par le patron du bâtiment fait souvent suite à une série de manœuvres et à l’abandon en mer d’une partie de la cargaison. Henri Isnard, patron du bateau Saint Antoine en provenance de la rivière génoise et se dirigeant vers Toulon décide « pour soulager son bâtiment de jeter à la mer les 30 quintaux d’estrasses [chiffons, linges usagés] et 2 quintaux de terrailles [poteries en terre cuite] » afin de pouvoir s’approcher du refuge tropézien, à la suite d’un soudain coup de vent du nord en janvier 175139.
51Simple pincée puisée parmi des dizaines de cas, cet exemple rappelle la rudesse des conditions de navigation en Méditerranée à la fin de l’automne et en hiver, mais aussi le maintien d’une circulation durant cette mauvaise saison. Si l’augmentation du nombre de relâches suit la progression globale du trafic leur distribution annuelle ne répond pas vraiment au rythme saisonnier des entrées effectives et apparaît inversement proportionnelle à celles-ci.
Tableau 116. – Relâches (R.) et entrées (E.) effectives dans le port de Saint-Tropez40.

52Sans refuser le facteur climatique il serait réducteur de ne considérer que les données de la navigation maritime pour comprendre les rythmes du cabotage. La composition des cargaisons fournit aussi une clé pour expliquer le calendrier de ceux qui empruntent le chemin de la mer.
Marchandises à l’entrée et à la sortie du port de Saint-Tropez
53En l’absence de données quantitatives au sujet des produits transportés – certificats de décharge, connaissements – la question des cargaisons ne peut être abordée qu’à travers le nombre de bâtiments. Critère insuffisant certes, mais critère difficile à refuser.
54D’une manière générale la modestie des produits transportés, leur variété, les médiocres quantités parfois signalées caractérisent les entrées comme les sorties, lorsque cargaison il y a. En effet, la moitié des caboteurs, tropéziens ou non, qui entrent dans le port de Saint-Tropez au XVIIIe siècle sont « sur lest » c’est-à-dire vides « avec du sable » ou « avec le lest et les futailles vides ». Aux sorties, un quart à un tiers des bâtiments sont en pareille situation, soulignant de la sorte la faiblesse des ressources locales. Le sable, utilisé comme lest, alimentait-il déjà, comme à la fin du XIXe siècle, un commerce local ? L’opération de chargement des tartanes s’effectuait alors la nuit pour permettre l’appareillage au petit matin. Les hommes d’équipage du bâtiment en charge, aidés par quelques sauraïres [lesteurs], déversaient des dizaines de couffes [corbeilles en osier] remplies de sable dans la cale. « Cette manipulation qui durait des heures était exténuante pour les ouvriers car la couffe chargée atteignait une centaine de kilos et le ventre de la tartane absorbait de 40 à 50 tonnes de sable41. » Le XVIIIe siècle n’offre pas traces de « ce transport qui fut ruiné, au XXe siècle, par l’interdiction faite de s’approprier le sable des plages ».
55Aux entrées, parmi les marchandises débarquées destinées au marché local, le premier poste, qui ne représente que 12 à 17 % des navires, comprend divers produits alimentaires, compléments aux productions du terroir insuffisantes pour couvrir les besoins de la population.
Tableau 117. – Marchandises à l’entrée du port de Saint-Tropez ( % nbre de bâtiments entrés)42.
Cargaisons | 1714 | 1754-56 | 1775-77 |
lest et futailles vides | 58,9 | 50,2 | 49,5 |
produits alimentaires | 17,3 | 13,8 | 12,8 |
matériaux de construction | 10,8 | 13,8 | 13,5 |
marchandises diverses | 1,2 | 9,1 | 10,1 |
vin | 9,3 | 3,5 | 8,4 |
terrailles (poteries en terre cuite) | 2,5 | 4,2 | 3,9 |
bois | 0 | 3 | 1,3 |
engins de pêche | 0 | 2,4 | 0,5 |
56Les terroirs voisins de Lorgues, Roquebrune ou du Muy adressent, par voie terrestre, des céréales panifiables aux Tropéziens43. La voie maritime demeure, malgré les risques encourus, le vecteur le plus commode, le plus rapide et le moins coûteux. Orge, avoine, seigle et surtout froment arrivent du Languedoc (Agde) par tartanes ou sous forme de farine à bord de bateaux de Fréjus-Saint-Raphaël où sont établis d’importants moulins44. Toutefois, Marseille reste le principal foyer d’approvisionnement. Le port provençal, grand port céréalier de la Méditerranée au XVIIIe siècle, redistribue une partie des blés des campagnes voisines ou de lointaines régions du royaume, d’Italie méridionale, de Levant et de Barbarie45. En association avec les négociants marseillais Tavernier frères et Guide, le Tropézien Jean François Martin contrôle au milieu du XVIIIe siècle une partie des envois marseillais en direction de Saint-Tropez. D’avril 1749 à février 1753, ses cahiers de compte portent la trace de l’achat de près de 1 500 charges de blé pour une somme globale de 30 330 livres-tournois46. De mars à juin 1750, il a utilisé les services d’une dizaine de caboteurs – sept de Saint-Tropez, un de Bandol, un de Sanary, un de Fréjus – pour acheminer à Saint-Tropez près de 800 charges d’une valeur de plus de 18 000 livres-tournois avant de les stocker dans ses entrepôts et de les vendre « aux boulangers qui en ont besoin47 ».
57Cette source d’approvisionnement essentielle n’est pas la seule à emprunter la voie maritime. Le grand cabotage tropézien livre régulièrement et directement à la cité des « bleds de mer » puisés dans les greniers levantins48.
58Des bâtiments de la rivière génoise approvisionnent aussi Saint-Tropez en « vermichellis ou pate de viande », fruits (limons, figues…) et huile d’olive, en complément à celle de Ramatuelle ou du pays de Draguignan.
59Produits pondéreux par excellence et convenant parfaitement à ce genre de transport, les matériaux de construction forment le deuxième volet de quelque importance par le nombre de bâtiments entrés. À côté de cargaisons de « pierres et pavés » amenées généralement par des patrons de La Ciotat et de Cassis, les bateaux tropéziens apportent de la « pierre de chaux » et du « plâtre gris » chargés à Cassis mais surtout à Nice et Villefranche. Les travaux engagés dans la cité ou à la citadelle expliquent de forts arrivages certaines années : en 1757, ces matériaux, de faible valeur, se retrouvent à bord de 28 % des caboteurs tropéziens entrant dans leur port d’attache. La reconstruction de l’église paroissiale, dans le dernier quart du siècle, entraîne à son tour de nombreuses livraisons de pierres de Cassis.
60Le vin, qui figure dans 4 à 10 % des entrées, concerne surtout des bâtiments venus chercher refuge ou compléter une cargaison avant de gagner leur destination entre Nice et Livourne. Les autres marchandises débarquées n’interviennent qu’épisodiquement et sont surtout à bord de caboteurs venus d’autres ports : « terrailles, jarres, pots de terre » de Vallaury, Cannes et Fréjus ; filets et chanvre pour cordages de Sanary, Dian et Savone.
61Les « marchandises diverses » demeurent difficiles à connaître. L’inventaire des biens perdus à la suite d’un naufrage ou d’avaries en révèle la teneur de certaines : « bonnets, étoffes, tailloles, mouchoirs, peaux et cuirs, molue49 ».
62Deux produits, le bois et le vin fournis par les terroirs de Saint-Tropez et des communautés voisines, dominent les cargaisons des petits caboteurs aux sorties du port.
Tableau 118. – Marchandises à la sortie du port de Saint-Tropez ( % nbre de bâtiments)50.

63Le bois forme le chargement d’un cinquième des bâtiments quittant Saint-Tropez au début du siècle et de plus de la moitié à la fin de la période (65 % en 1791). Ce gonflement se perçoit également à travers le nombre d’actes notariés concernant les divers moments de l’exploitation de cette ressource naturelle : achats, ventes, accords, vérifications, arrentements, quittances, nolisements51…
64Ce bois provient d’espèces coupées dans le proche massif des Maures : châtaigniers, chênes (blanc et liège) et surtout pins. Une fraction de la production répond aux demandes locales des menuisiers, charpentiers, boulangers et particuliers – pour les cheminées, fourneaux et braseros signalés dans la description des demeures lors des inventaires après décès. Cependant, Saint-Tropez, qui draine la production forestière de plusieurs communautés bordant le golfe, en redistribue une large partie. Parmi les propriétaires de cette richesse qui couvre en partie les terroirs de Saint-Tropez, Gassin, Ramatuelle, Cogolin, Grimaud et La Garde Freinet se trouvent des Tropéziens de toute condition : les bourgeois Jean Joseph Caussemille et Jean François Amic, à Gassin, aux côtés du matelot Joachim Laudon52 ; les marchands Jacques Cauvin et Jean-Louis Lieutaud à La Garde Freinet et dans le domaine de La Verne53 ; les anciens capitaines Joseph Martin, Charles Baude et Nicolas Guérin à Ramatuelle54. Les gens de mer figurent souvent parmi les intéressés à cette ressource ; une étude détaillée des cadastres des communautés signalées en préciserait la répartition.
65Le bois de construction, sous forme de planches et de chevrons, ne représente que 4 à 9 % des tartanes chargées quittant Saint-Tropez. Selon les déclarations du coupeur de bois Pierre Aube, le massif forestier demeure pauvre en « beaux pilotis, pièces longues et droites » ou en « courbans pouvant servir de pilotis après avoir été convertis en pièces carrées ou billons55 ». Chabert de l’Isle, commissaire de la Marine en visite en 1725 dans la presqu’île, et Thomas Guérouard, maître-charpentier de Toulon consulté en 1777, ne retiennent que quelques chênes et « pins piniers de haute futaie » pour la construction de vaisseaux à l’arsenal, et pour compenser les éventuels retards des livraisons du Dauphiné ou d’Italie56. Néanmoins les constructeurs tropéziens trouvent dans ce massif suffisamment de pièces pour la réalisation de bâtiments, moins exigeants il est vrai, et de plus modestes tailles, mais convenant aux besoins de la flotte locale.
66Le bois de construction, expédié en de petits envois sur des bâtiments de moyenne ou grande portée, n’alimente pas un flux régulier. Il gagne les chantiers de Toulon-La Seyne, ceux de Martigues, mais avant tout de La Ciotat-Marseille pour la construction navale et des usages aussi divers que « la construction d’une place au port de Marseille devant le coin de Sainte-Anne » ou la « fabrique des bancs de galères57 ».
67Le bois à brûler compose, dans la plupart des expéditions, 90 % des chargements de la flotte du bois. Il s’agit, selon les déclarations du coupeur de bois tropézien Pierre Aube, « d’arbres mal faits, petits ; des bouts appelés copeaux et les branches des pilotis et pièces carrées, ainsi que les taillis, souches et bruscs ». Cependant les « petits bois des rameaux » sont utilisés sur place car considérés comme « non propres pour l’exportation par mer », trop encombrants et de faible rapport58.
68Aux coupes méthodiques, sinon planifiées pour la vente de bois, s’ajoutent de temps à autre celles effectuées « par nécessité à cause des incendies » ; où le « feu a passé », comme en 1713, 1734, 1754, ou 1766, on s’efforce de récupérer quelques pièces non calcinées59. Une fois abattus et écorcés les arbres sont voiturés jusqu’à la mer, à la plage de Cavalaire pour les parcelles de La Verne, à la plage de la Garonne et plus souvent encore à celle de Bertaud, au fond du golfe de Saint-Tropez, pour le reste du massif. Chariots, voitures et mulets conduisent le bois vers les ruisseaux de La Môle, de La Giscle ou de l’Argens pour les parcelles situées sur le versant oriental du massif des Maures. Le scieur de bois Jean Gautier « s’oblige, en juillet 1734, à expédier au rivage de la mer à la plage de Bertaud, 100 pins de construction et 500 poids de bois à brûler dès que les premières pluies qui viendront permettront de les faire passer par le bord de la rivière [de La Môle]60 ». Ce modeste cours d’eau est utile malgré son capricieux régime méditerranéen : en janvier 1786, le marchand Jean-Louis Lieutaud, de Saint-Tropez, avait fait « flotter le bois à brûler coupé au terroir de La Verne vers la plage de Bertaud […] mais les inondations continuelles qui sont survenues ayant rompu les digues, ce bois a été entraîné par la rivière, dans la nuit d’où le vent d’est l’a jeté dans le golfe61 ».
69Ces contraintes, qui pèsent sur l’abattage et le tirage des bois, expliquent dans le mouvement annuel du port les nombreuses sorties de cargaisons de bois de la fin du printemps au début de l’automne. Toulon, Nice et surtout Marseille demeurent, eu égard la population de ces villes, les plus gros marchés de consommation ; d’incessantes navettes relient Saint-Tropez à ces villes, y compris en période dramatique : une quinzaine de caboteurs tropéziens déchargent, pendant l’épidémie de peste de 1720-21, leurs cargaisons de bois à brûler aux « isles de Ratonneau62 », situées face à Marseille, et à l’Estaque (pour alimenter les « bûchers purificateurs » allumés dans la cité en proie à la contagion) La forêt façonne également le calendrier du cabotage en contribuant, avec le ramassage du liège et plus encore des châtaignes, à la poussée des sorties observée en octobre. Sur 73 bâtiments qui, en 1766, ont quitté Saint-Tropez 25 bateaux sont chargés de châtaignes ; 13 sur 52 dix ans plus tard, 9 sur 36 en 1735. Des caboteurs voisins viennent prêter mains fortes aux Tropéziens pour transporter les fruits de ces récoltes automnales, achetées essentiellement à des propriétaires de la Garde-Freinet ou aux Chartreux de La Verne représentés par le Tropézien Joseph Antoine Martin63 et rendues à la plage de Bertaud avant d’être rassemblées au port de Saint-Tropez.
70Avec les départs de bateaux chargés de châtaignes, les sorties de caboteurs munis de leurs futailles pleines de vin expliquent la pointe signalée dans le calendrier du cabotage. Assurément, c’est la terre qui impose son rythme à « la navigation à la côte. » L’essentiel des vins commercialisés étant des vins de l’année, les expéditions démarrent à la fin du mois de septembre et surtout en octobre avec les ventes de primeurs. À la production abondante du terroir tropézien s’ajoutent celles des terroirs voisins souvent dominés, comme à Gassin ou Ramatuelle, par des propriétaires de Saint-Tropez, bourgeois, robins et gens de mer64. L’excédent viticole et la proximité du rivage favorisent cette distribution car ainsi que l’observait le préfet Joseph Fauchet « à mesure que la distance à la mer augmente, le prix du transport réduit celui du vin ».
71Comme les précédents, ce trafic ne constitue en rien une innovation du XVIIIe siècle. Dès le XVIe siècle, les produits du vignoble – vin, raisin, vinaigre – entraient dans les cargaisons adressées à la rivière de Gênes. Pour faciliter ces échanges et réduire les risques de désaccords sur les quantités transportées, le Conseil de Ville avait envoyé, en 1624, des représentants de la cité à Savone pour « prendre vingt barils afin de mesurer le vin ». Trois ans plus tard, le Conseil fait fabriquer cent barils pour les patrons de barque afin de limiter les temps de chargement car « se trouvent régulièrement quinze à vingt bâtiments sous charge à la fois65 ». En 1656, « permission est donnée aux particuliers de Saint-Tropez de vendre et de débiter leurs vins dans le port aux estrangers, mesmes à ceux de la Rivière de Gênes, en le faisant par des canaux de bois de la longueur de trois cannes et en présence des intendants66 ». L’influence de la proche Ligurie se retrouve dans ce marché à travers l’utilisation par les Tropéziens du rup comme mesure pour le commerce du vin, c’est-à-dire l’adoption du rubbo en usage en Italie67. Ce transport est-il à l’origine de la spécialisation de bâtiments ? Si, dans ses comptes Jean Martin qualifie de « vinaitiers » les navires affectés au transport du vin, il est difficile de savoir s’il s’agit de bâtiments affectés à cet usage à l’instar des futurs pinardiers68.
72Ces échanges s’inscrivent dans des circuits anciens et complexes. Outre le transport et la commercialisation de leur production, les Tropéziens participent activement à la distribution de celle issue de vignobles extérieurs à la presqu’île. Ils se rendent dans ce but à Toulon, Sanary, Bandol, Cassis et en Languedoc ; là réside en large partie l’origine de ces nombreux bâtiments « sortis sur lest avec futailles vuides » qui distribuent ensuite le « vin de côte » ou « vin de barque » à Nice, Monaco et le long de la rivière de Gênes. Ainsi, en 1716, le patron Jacques Guirard quitte Saint-Tropez avec sa tartane de 24 tx, sur lest, et effectue deux voyages à Cette, un à Agde, un à Cassis et un à Sanary pour acheminer du vin à Monaco et à Gênes69. Des bâtiments de la riviera ligure viennent aussi s’approvisionner à Saint-Tropez ; d’où cette part de bâtiments sur lest observés à l’entrée du port.
73Parmi les produits alimentaires sortant de Saint-Tropez à bord des caboteurs, les châtaignes et le poisson frais demeurent les denrées les plus courantes, avec quelques fruits – raisins secs ou panses, figues – et, par intermittence, des céréales expédiées à Toulon, rares surplus du terroir ou redistributions d’achats extérieurs. À côté des « marchandises diverses » des sous-produits agricoles composent quelques cargaisons : sarments de vigne, colombine et migon (crottin de mouton) ; ils reflètent la modicité des ressources locales mais bien que peu prestigieux s’intègrent dans les échanges de proximité comme observé en d’autres espaces70.
74Au terme de ce tableau général, le domaine du petit cabotage tropézien se compose de trois espaces emboîtés. De Toulon à Antibes, un premier cercle, centré sur Saint-Tropez, correspond à une zone de micro-cabotage animée par de modestes embarcations (bateaux, bisques, frégatons), sans aucune véritable spécialisation dans un type de marchandises, allant et venant, ici et là, au gré des commandes, distribuant les produits d’une économie locale : fruits, légumes secs, poissons, terrailles, migon, fromages…
75Enveloppant ce noyau, une première couronne, de Nice à Marseille, délimite un espace de forte fréquentation sillonné par des bâtiments de plus grande portée (tartanes, pinques) avec un équipage plus fourni ; dans ce cabotage régional se dessinent quelques courants réguliers reposant sur des échanges précis, continus et croissants au fil du siècle : bois, vin, matériaux de construction, céréales.
76Enfin, un petit cabotage interrégional anime une couronne plus ample, allant du Languedoc à la rivière génoise, voire au nord de la Toscane, englobant la Corse et la Sardaigne ; ce domaine maritime, fréquenté par d’autres Provençaux, est essentiellement utilisé par les « vinaitiers » tropéziens qui décrivent des circuits bien déterminés.
77Ce découpage, réalisé en fonction de la distance mais surtout des types de courants marchands, n’exclut pas la fréquentation par le même bâtiment de deux aires différentes et parfois complémentaires. Dans une large mesure, il rend compte des niveaux du cabotage, des intérêts en présence. La reconstitution de trajectoires et le suivi des hommes avec leurs navires le long des proches littoraux permettent d’affiner l’analyse spatiale.
Routes, techniques et hommes du cabotage
78À plusieurs reprises, aux entrées comme aux sorties, l’inventaire des marchandises a permis d’entrevoir des techniques, des pratiques, des routes, des circuits et d’apercevoir les hommes qui animent ce petit cabotage. Il est possible d’aller au-delà de ces quelques mentions.
Formes de navigation au cabotage
79La reconstitution d’opérations, de trajectoires suivies par les patrons au petit cabotage conduit à dégager une typologie dans l’exercice du métier de caboteur. Au vrai, cette navigation, souple par définition, s’apparente, à échelle réduite, soit à la navigation en droiture, soit au tramping.
Navettes sur lignes régulières
80Existent tout d’abord de véritables lignes régulières, d’incessantes navettes au départ de Saint-Tropez. Deux lignes dominent ce type de liaison. La plus fréquentée relie Saint-Tropez à Marseille pour des livraisons de bois et autres produits forestiers (liège, châtaignes). Quelques patrons caboteurs, en général à bord de tartanes, effectuent parfois une dizaine d’allers-retours, sinon davantage, au cours d’une même année. Avec vingt-deux voyages en direction de Marseille en 1787, André Laugier et Pierre François Salvy réalisent à eux seuls plus de 10 % des entrées tropéziennes enregistrées dans ce port cette année-là71.
Graphique 34. – Mouvements du bateau le Pêcheur, patron André Laugier (1787).

81D’une manière générale, quelle que soit la fréquence des navettes, un quart à un tiers de la flotte locale est ainsi affectée à ces mouvements pendulaires dont l’importance ne cesse de croître au fil du XVIIIe siècle. Les soixante neuf bâtiments tropéziens qui effectuent les 216 voyages en direction de Marseille représentent l’équivalent d’un potentiel global cumulé de 9 245 tx ; le bois entre alors dans 155 voyages, ce qui signifie la mobilisation d’une flotte de plus de 7 700 tx, c’est-à-dire plus du double de la capacité de transport représentée par celle attachée au port en ce temps-là. Les indicateurs traditionnels que constituent le nombre et le tonnage de la flotte attachée à un port devraient donc être, chaque fois que possible, accompagnés du taux d’utilisation pour mesurer au plus juste la réalité de l’activité, particulièrement dans les petits port d’armement au cabotage avec forte rotation des bâtiments ; étant donné la possibilité de nombreux voyages par armement le tonnage armé se situe souvent ainsi en retrait de l’utilisation effective.
Tableau 119. – Navettes de bâtiments tropéziens avec Marseille72.
nb de bâtiments sur la ligne | nb de voyages réalisés | nb moy. de voyage par bâtiment | tonnage cumulé | |
1714 | 22 | 41 | 1,9 | 604 tx |
1735 | 18 | 63 | 3,5 | 1 010 tx |
1756 | 20 | 52 | 2,6 | 1 153 tx |
1766 | 25 | 76 | 3,1 | 1288 tx |
1776 | 26 | 129 | 4,9 | 8 800 tx |
1787 | 69 | 216 | 3,2 | 9 245 tx |
82La multiplication de ces navettes est d’autant plus soutenue que des bâtiments quittent Marseille sur lest ; le temps d’immobilisation est alors réduit, tout comme à l’arrivée à Saint-Tropez où le bâtiment est immédiatement rechargé. Néanmoins, l’entrepôt marseillais offre aux caboteurs tropéziens d’énormes possibilités de fret pour approvisionner le petit port ou réaliser des redistributions : céréales, matériel de pêche (libans) et « marchandises diverses » composent souvent ces retours du « port mondial ».
83Un semblable va-et-vient mais par des bâtiments de portée plus réduite est attesté en direction de Nice-Villefranche. Au cours de la seule année 1776, le patron tropézien Antoine Joseph Tournel se rend à vingt-trois reprises à Nice avec son bateau couvert le Saint Tropez de 12 tx73. Le poids de l’absence n’épargne donc pas les foyers des petits caboteurs. Contrairement aux navettes précédentes, les caboteurs quittent ici majoritairement Saint-Tropez sur lest et font de régulières escales à Antibes pour charger des produits du terroir. Au retour, les matériaux de construction, et surtout le « plâtre gris », composent la cargaison de ces petites unités de transport « à tout faire » à bord desquelles prennent place, de temps à autre, des passagers.
84Sur une ligne régulière peuvent se greffer des transports inhabituels. Si le chargement de plâtre à Nice constitue l’essentiel des déplacements de Joseph Tournel, des occasions de fret brisent parfois ses incessantes navettes : un embarquement de farine à Fréjus ou une livraison de bois à brûler à Marseille.
85Le suivi du déplacement des bâtiments montre généralement les mêmes patrons impliqués dans ces navettes, dans un même espace géographique et pour un même type de produit. Jean Joseph Isouard ne refuse pas un voyage en direction de Toulon, de Marseille ou de Martigues, mais on ne le rencontre pas au-delà du Rhône. Tout au long de sa carrière son domaine maritime demeure centré sur le segment de littoral allant de Saint-Tropez à Nice.
86De 1714 à 1720, le patron Joseph Trullet effectue 74 sorties avec sa tartane Saint François de 40 tx : 68 fois pour se rendre à Marseille avec du bois à brûler ; les quatre autres voyages ont eu Fréjus, La Seyne et Martigues pour destination avec semblable cargaison. Jamais il n’apparaît à l’est de Saint-Raphaël74.
87Les cas sont légion chez les petits caboteurs spécialisés dans ces relations de proximité.
88Quelques patrons tropéziens effectuent des navettes entre la Provence et la rivière génoise pour la distribution de vin, mais les temps de chargement et de déchargement, la recherche de fret de retour et la plus grande distance à parcourir tendent à limiter le nombre annuel de voyages entre ces deux espaces par les mêmes bâtiments.
Tableau 120. – Navettes de bâtiments tropéziens avec Gênes75.
nb de bâtiments sur la ligne | nb de voyages réalisés | nb moy. de voyage par bâtiment | tonnage cumulé | |
1714 | 20 | 27 | 1,3 | 522 tx |
1735 | 15 | 24 | 1,6 | 510 tx |
1756 | 11 | 19 | 1,7 | 370 tx |
1766 | 9 | 9 | 1 | 140 tx |
1776 | 13 | 16 | 1,3 | 357 tx |
1787 | 30 | 37 | 1,3 | 1172 tx |
89Néanmoins, la quête de fret provoque des aménagements dans ces allers-retours. La modestie du marché tropézien conduit les patrons à noliser leur bâtiment pour des centres de consommation de plus grande importance à commencer par Toulon et surtout Marseille. Les mouvements du bateau Saint Jean-Baptiste du patron Bernard Lamary illustrent, en 1714, quelques-uns de ces débordements qui modifient légèrement la rotation habituelle du caboteur.
Graphique 35. – Mouvements du bateau Saint Jean-Baptiste du patron Bernard Lamary, de Saint-Tropez, en 1714.

90De telles pratiques expliquent en partie le déséquilibre enregistré entre les sorties du port de Saint-Tropez en direction de Toulon et les entrées plus nombreuses en provenance de cette même ville ; ces dernières constituent souvent des retours de la rivière de Gênes avant de regagner le port d’attache.
91Saint-Tropez tire ainsi partie de sa position à l’intersection des aires d’influence des deux pôles économiques que constituent Gênes et Livourne d’une part, Toulon et Marseille de l’autre ; l’appel de ces deux marchés n’est pas étranger à sa « vocation » de port d’armement.
Circuits
92Ces lignes régulières ponctuées d’écarts liés aux besoins de fret esquissent la formation de véritables circuits. La redistribution par les vinaitiers tropéziens de vins et eaux-de-vie de Languedoc vers la rivière de Gênes et Livourne en constitue un modèle76. Les bâtiments partent vers Agde et Sète sur lest ou munis de leurs futailles vides, vont livrer leur cargaison en Ligurie ou Toscane et renouvellent parfois cette boucle au cours d’une même année pour un seul armement.
Tableau 121. – Bâtiments tropéziens à destination du Languedoc77.
nb de bâtiments sur la ligne | nb de voyages réalisés | nb moy. de voyage par bâtiment | tonnage cumulé | |
1735 | 18 | 31 | 1,7 | 600 tx |
1766 | 34 | 58 | 1,7 | 930 tx |
1787 | 17 | 22 | 1,3 | 574 tx |
93Le patron du navire vinaire peut interrompre son circuit et accepter un contrat qui le conduit à modifier la boucle commencée en pratiquant une forme de tramping qui l’éloigne de la base de départ, le dévie du classique circuit et l’expose à divers contretemps à l’instar de Pierre Martin, qui dut justifier auprès des autorités de l’amirauté la durée excédée du congé accordé.
Graphique 36. – Voyage du patron Pierre Martin, de Saint-Tropez78.

94Enfin, en dehors de ces lignes et circuits où les rotations sont relativement régulières, sous la conduite des mêmes hommes, existe un cabotage hors circuit en rien marginal. Après avoir honoré un contrat, le patron, comme un colporteur des mers, poursuit sa route « allant à la cueillette ou à la quête79 ». Si l’espace fréquenté reste celui des rives de la Méditerranée nord-occidentale, des expéditions débordent ces espaces et mêlent petit et grand cabotage, au risque de sanction pour le patron qui franchit les limites autorisées.
95Dans certaines trajectoires, la pratique du petit cabotage est un prélude à des opérations vers de plus lointaines destinations. Après seize voyages effectués entre le Languedoc et Livourne, de 1714 à 1717, Charles Guirard, patron de la tartane Saint Tropez de 26 tx, se rend à Smyrne à la fin de l’année 1717, revient en Provence et en Languedoc en 1718 pour reprendre, l’année suivante, le chemin de Smyrne, Tunis et Corfou80. Le Languedoc a fourni matière à ces voyages lointains et ouvert indirectement la route du Levant à ce caboteur à tout faire. Le vin et les eaux-de-vie représentent en effet une grande partie des exportations vers le Levant depuis Sète81. Le cas du patron Guirard n’est pas isolé. La même année 1719, le capitaine Pierre Aubert, après divers voyages sur le littoral provençal, avec le pinque l’Annonciade de 36 tx, se rend à Agde avant de prendre le chemin d’Alexandrie82.
96Difficile inscription dans des circuits établis, pénurie de fret, attrait et espoir d’opérations plus profitables ? Ces éléments qui participent à des degrés divers à ces choix rappellent les deux visages du cabotage, à la fois transport et commerce.
Les deux visages du cabotage
Transport à fret
97Une partie des caboteurs tropéziens arment leurs bâtiments pour n’effectuer que du transport de marchandises. Le contrat passé avec l’affréteur indique simplement le montant du nolis au patron, à partager avec les autres quirataires lorsqu’il ne possède pas son outil de travail. Les contrats enregistrés devant notaires témoignent de la diversité des formules en usage pour le règlement du nolis. En juillet 1745, le patron Jean Baptiste Hériès, de Saint-Tropez, commandant la tartane Saint Jean de « 125 charges », a frété son bâtiment à Pierre Jean Guirard pour le charger en vin pour le compte de Guirard, ancien capitaine. Le patron vinaitier s’oblige à fournir la futaille nécessaire et à porter le vin à Gênes. Il recevra pour nolis 40 sols par charge payable le lendemain de son retour à Saint-Tropez. Ce nolis peut varier au gré du parcours et des escales ; ainsi, Guirard contraint le patron à décharger une partie de son vin « le long de la côte tirant vers Gênes […] : de Nice à Bordighiera, le nolis sera de 25 sols la charge, de la Bordighiera à Araisse de 30 sols, d’Araisse à Gênes de 40 sols ». Par ailleurs, le nolisataire Guirard, à bord du bâtiment embarquera de retour « les marchandises que bon lui semblera sans augmentation du nolis83 ».
98De telles exigences ne se retrouvent pas systématiquement mais sont plus fréquentes pour les bâtiments vinaires. En octobre 1762, Joseph Vianet nolise son bateau Saint Pierre, de 350 qx, à Joseph Villeneuve pour charger des châtaignes à destination de Minorque avec un nolis de 200 livres payable après la vente ; le patron Vianet reçoit lors de ce contrat « l’autorisation d’embarquer 20 qx de châtaignes pour son compte mais à vendre après celles de Villeneuve84 ». Enfin, dans une autre catégorie de contrat, le patron Honoré Maille nolise à Suzanne Cavalier son bateau pour porter du liège à Beaucaire pour la foire de Sainte Marie-Madeleine ; le nolis est fixé à 78 livres. Cependant, afin d’obtenir ce fret, le patron avance à l’affréteur 75 livres remboursables avec le nolis sur la vente du liège85 ; l’hypothèque maritime, pratiquée en rivière de Gênes86, n’est pas ignorée des patrons tropéziens.
99Insuffisants pour permettre l’établissement d’une évolution des nolis, les contrats rassemblés dessinent néanmoins une tendance à la hausse après la guerre de Sept Ans. Au vrai, le montant du fret obéit à un ensemble complexe de paramètres : la situation du marché du cabotage dans le port de chargement, l’existence ou non d’un fret de retour, la fréquence et la densité du trafic maritime sur une destination, la pratique d’une navigation en droiture ou en tramping, l’importance des frais d’accès aux ports. Y-a-t-il un marché général ou des marchés particuliers de fret87 ? Ces contrats attestent une grande variété de pratiques et un degré de liberté laissée au patron. Simple exécutant sous l’étroite surveillance du nolisataire ou subrécargue dans le transport du vin, le patron assure d’autres responsabilités en étant directement impliqué dans les transactions qui lui sont confiées.
100Les services demandés aux patrons enregistrent une brusque flambée, comme les nolis, lorsque l’offre demeure limitée, ce qui est le cas en temps de guerre. Ainsi en fut-il pour l’approvisionnement (foin, sel, vin) des troupes savoyardes et impériales en route vers Toulon en 1707, des forces du Maréchal de Belle-Isle en 1746-1748 ou de la préparation à Toulon de l’escadre de La Galissonnière en 1756, rappelée par le tableau de Joseph Vernet, sans omettre l’organisation des convois pour l’expédition d’Égypte de 1798.
101Mais si la guerre est parfois bénéfique aux caboteurs, elle multiplie également les menaces. Les corsaires et les bâtiments ennemis n’hésitent pas à s’emparer des modestes « postillons des mers » pour confisquer les éventuelles cargaisons et gêner le ravitaillement de l’adversaire. Sillonnées par les caboteurs, les côtes provençales sont un espace privilégié pour les prises comme pour les naufrages88.
Commerce ou transport à spéculation
102Des patrons caboteurs ne se limitent pourtant pas à ce rôle de « charretiers des mers » auquel voudraient les assigner certains représentants de la Chambre de commerce de Marseille. Comme le patron Joseph Bonnaud, qui achète cent poids de bois à brûler au travailleur Étienne Surle, de Cogolin, en mai 1735, pour aller le vendre à Marseille pour son propre compte, d’aucuns utilisent leurs bâtiments pour leurs affaires personnelles. Ces opérations en rien isolées montrent de régulières associations, nouées le temps d’un contrat entre un patron de bateau et un marchand « boscatier » [de bois] ou un propriétaire de pinèdes. Là aussi les formules sont diverses et flexibles.
103En novembre 1705, le travailleur Guillaume Mouton, de Gassin, et Henri Gibert, patron de Saint-Tropez passent devant notaire un contrat selon lequel : Mouton fera la coupe de bois à 3 sols par poids de bois à brûler et 15 sols par douzaine de chevrons et Gibert paiera le charriage du bois au rivage de la mer, le chargera sur sa tartane et facturera le nolis à 13 sols par poids de bois à brûler, 29 par douzaine de chevrons. Dépenses déduites et frais partagés, Mouton reçoit, en mai 1706, du patron Gibert 13 livres pour part et moitié de profit fait et 59 livres pour travail de coupe89. Profit modique mais profit bienvenu chez ces gens de peu.
104En 1755, le patron Joseph Tropez Hermitte charge des châtaignes sur le bateau du patron Gardanne à la plage de Bertaud « en commun et société » avec Jacques Jaume, propriétaire à la Garde-Freinet, faisant société : Hermitte pour 1/4, Gardanne pour 1/4 et Jaume pour 1/290. Ces associations, constituées l’espace d’une opération marchande, renouvelées ou non, rappellent les pratiques génoises91. La filiation tropézienne et les contacts maintenus avec la grande cité voisine ne sont pas étrangers à ces transferts.
105Afin de financer les achats de marchandises pour composer les cargaisons les patrons ont recours, tout au long du XVIIIe siècle, au prêt à la grosse (aventure), « technique menue et archaïque de crédit commercial » à laquelle recourent ceux qui ne peuvent pas faire mieux92. En décembre 1721, le patron Charles Guirard achète, « pour 900 livres, 300 charges de vin rouge de ce lieu, à prendre en juin prochain, au bourgeois Louis Laudon qui couvre le risque du vin93 ». Le montant de l’intérêt, qui accompagne le prêt, ne figure pas de manière claire et systématique ; la mention « comme pratiqué à Marseille » suffit.
106Une obligation à la grosse, de novembre 1760, fournit cette précision quand Jean Tropez Beaulieu, commandant la tartane Saint Pierre, reçoit du bourgeois Jean Joseph Laudon, également de Saint-Tropez, « 299 livres en louis d’or et escus d’argent pour voyage à faire du côté du Ponant pour charger du vin et ensuite en aller faire la vente en Italie ; la somme allant au risque et péril de Laudon moyennant un change maritime de 13 % pour le voyage ». Le taux d’intérêt ou change maritime est peu élevé en cette période de conflit ; encore conviendrait-il de considérer la durée du voyage effectué94. Il est plus difficile d’apprécier le taux en d’autres cas. Ainsi, lorsqu’en novembre 1755, les anciens capitaines Tropez Ratou et Jacques Guirard de Saint-Tropez avancent 300 livres au capitaine Louis Teisseire pour employer au fonds de la tartane pour l’achat des bois qu’il porte à Marseille, la somme « va au risque et péril de Ratou et Guirard, avec un change maritime d’un sol de bénéfice pour chaque poids de bois95 ».
107La collecte de fonds par le capitaine caboteur indique, à l’occasion d’une transaction chez le notaire, les intéressés à ce genre d’opérations. Un patron de confiance, comme Jean Baptiste Ratou, obtient les capitaux nécessaires en s’adressant à la fois aux autres copropriétaires du bâtiment et à des personnes proches de ceux-ci. Ainsi, en 1770, il part avec son bisque Saint François, chargé de vin pour aller le vendre à Gênes, après avoir emprunté 2 350 livres auprès de :
Jean Louis Lieutaud, négociant | 650 livres |
Ignace Joseph Ganteaume, négociant | 450 livres |
Jean François Martin, juge | 300 livres |
Jacques Martin, négociant | 300 livres |
Joseph Garnoux, marchand tailleur | 200 livres |
Joseph Ch. Augier, contrôleur des Fermes du roi | 300 livres |
Antoine Cauvin, capitaine | 150 livresa |
a. AD V, 3E 24-161.1771
108Enfin, des patrons peuvent se passer de ce genre de prêt, en utilisant leurs bâtiments pour aller vendre les produits de leurs terres, essentiellement vin et bois à brûler de pinèdes signalées à leur actif dans les cadastres ou lors de transactions. Il reste difficile d’approcher ce type d’opération faute d’actes contractuels dans la mesure où le navire est intégré dans une entreprise où se confondent le marchand, le nolisataire et le patron de la tartane.
109Atteindre les résultats de ces opérations commerciales étroitement liées à la pratique du cabotage se heurte à l’absence de pièces de trésorerie, de comptabilités sûres. La forte croissance des livraisons de bois en fin de siècle reflète-t-elle celle des gains réalisés ou traduit-elle un amoindrissement des ressources locales qu’une plus forte vente de bois tente de compenser ? L’évolution des prix de vente du bois de chauffage à Marseille, étudiée par René Baehrel, invite à privilégier la première des deux hypothèses96. Après un premier quart de siècle marqué par une régulière progression du prix du « bois à brûler », qui à Marseille vient par mer, suivie d’un fléchissement dans le deuxième quart, la seconde moitié du XVIIIe siècle connaît une vigoureuse reprise dont ont bénéficié marchands et transporteurs, lorsque les deux ne sont pas confondus.
110Les résultats du commerce du vin par petit cabotage demeurent tout aussi difficiles à saisir, en dehors de plaintes qui signalent tantôt une vigoureuse concurrence, tantôt une mauvaise conservation de vin ayant « subi le transport de mer » dans des tonneaux de qualité inférieure. Diverses tracasseries, relatées par des patrons caboteurs, fournissent quelques indications. Après avoir été dévié de sa route par « un violent coup de vent de norroy » Joseph Amic, de Saint-Tropez, touche Gênes en novembre 1735, au lieu de Monaco comme prévu, avec sa tartane Jésus Marie Sainte Anne chargée de vin ; il s’empresse d’y vendre son chargement « car les bastimens qui étaient à Monaque ne pouvaient vendre le leur tant il y en avait97 ». Heureux coup de vent et honnête profit ?
111Les opérations peuvent être autrement plus mouvementées et dévoiler le comportement de certains entrepreneurs. Jean Baptiste Olivier, commandant le bateau Saint Jean-Baptiste, quitte Saint-Tropez pour aller charger du vin à Sète en octobre 1735. De là il part pour Monaco, en novembre, sans pouvoir y vendre son chargement, pas plus qu’à Villefranche, quinze jours plus tard. Décidé à se rendre à Antibes, « une violente tempête le fait courir plus de vingt quatre heures » le menant à Gênes où il se rend « pour faire raccommoder son bateau. À peine arrivé, il serait venu à son bord quantité de marchands lui offrant un prix si considérable de son vin qu’il a cru ne pouvoir mieux faire que de le vendre attendu qu’il y avait déjà près d’un mois qu’il courait de port en port sans pouvoir trouver de quoi faire son argent d’un chargement qui lui appartenait en propre98 ». Devant les officiers de l’amirauté, Olivier, simple matelot, tend ainsi à justifier par un soudain coup de vent sa présence dans les eaux du grand cabotage et s’excuse d’avoir réalisé, malgré lui, une vente inespérée dont le profit a sans nul doute été, selon la terminologie du monde de la marchandise, « raisonnable ». Au vrai l’information circule, et les petits entrepreneurs savent jouer sur l’état des marchés.
112La diversité des situations de ce cabotage, où se côtoient et se superposent transport et commerce, coastal shipping et coastal trade, rend plus difficile la formulation d’une réponse globale à la question des résultats financiers. « Beaux profits » et « méchants bouillons », pour conserver les appréciations du temps, ont jalonné ces activités qui empruntent le chemin de la mer. Trop de paramètres sont inconnus pour apprécier les opérations : durées exactes des voyages, financement, partenaires, amortissement de l’outil de travail, frais divers…
113Deux indices peuvent être retenus, sans leur accorder cependant une valeur démonstrative excessive. D’une part, les investissements tropéziens des gens de mer dans les pinèdes et plus encore dans les vignes de Ramatuelle et de Gassin traduisent la présence de disponibilités financières et un intérêt affirmé pour les choses de la terre. L’évolution du prix du vin, à Draguignan, qui ne saurait correspondre parfaitement à celle du prix des vins à Saint-Tropez et autres caves littorales, indique une hausse longue au cours du XVIIIe siècle, tout au moins après 1725. « Le commerce des vins s’étend plus que jamais » observe-t-on en 1783 et dans les régions semi-spécialisées dans la viticulture, c’est-à-dire les plus rapprochées de la mer, comme Bandol-La Cadière ou Saint-Tropez, le « vin de côte » est devenu une branche de commerce de première importance99.
114Des inventaires après décès attestent la présence de patrons-vignerons. Dans les maisons de Jean-Joseph Pastouret, de Jean-Baptiste Hérié ou de Tropez Ratou le « matériel de cave » occupe une place de choix. Ainsi, chez ce dernier, ont été trouvés
« deux binettes cerclées de bois servant à fouler les raisins, une cuve vinaire de la teneur de 25 charges cerclée de fer, un thonneau de six charges rempli de vin, un autre ou demi-muid et un plus petit de trois charges, le tout remply de vin rouge aprécié sur le prix courant de trois livres dix-huit sols la charge, deux autres thonneaux vuides cerclés de bois, une cuve pour recevoir le vin, cinq dame-jeanes, un embut et deux tiercerolles de deux barils chacune cerclées de bois100 ».
115Un autre indicateur est fourni par ces fragments de cahiers de comptes de Jean-François Martin, bourgeois tropézien. Ces pièces font état de profits résultant de placements dans des vinaitiers de Saint-Tropez à la fin du XVIIIe siècle101. Certes la comparaison est délicate à soutenir avec les modestes patrons de tartane qui ont exécuté les voyages en direction de la rivière génoise, via le Languedoc, et qui ont dû se contenter d’une partie du nolis. Ces comptes apportent tout de même des précisions sur les résultats financiers des investissements de ce bourgeois qui possède dix-huit quirats (soit 3 570 livres) sur au moins cinq bâtiments vinaires en service en 1783-1785. En qualité de copropriétaire du bâtiment, J.- F. Martin est intervenu également « sur le fonds » en plaçant 3 125 livres « pour employer à des chargements de vin à Cette ». À la suite de la répartition des profits J.-F. Martin a reçu pour les quirats, déduction faite des frais d’entretien des bâtiments (radoub), 321 livres soit environ 3 % par an et, en surplus de la somme investie dans le fonds, « un profit de 1 577 livres » soit près de 17 % l’an pour les voyages réalisés par ces vinaitiers.
116La prise de participation à la propriété des navires et l’utilisation de ces derniers dans la navigation à la côte favorisent les spéculations commerciales pour les propriétaires de navires qui ne sont pas décidés, sinon contraints par l’état du marché ou une « fortune de mer », à se contenter du produit du seul fret. Transporteur ? Sûrement. Marchand ? Plus encore.
117En effet, se retrouve ici, à une échelle plus modeste, un phénomène majeur pointé dans l’étude de l’armement nantais, à savoir celui du roulement des capitaux102. Dès qu’un quirataire reçoit des profits afférents à un navire ces rentrées sont aussi vite que possible réinvesties dans l’achat d’une autre participation au capital d’un nouveau bâtiment ou d’une autre expédition. Tel était déjà le comportement de Jean Martin, oncle de Jean-François, aperçu à travers la lecture de son cahier qui dresse l’« État des bastimens que je participe sur mer » (1735-1743). Telle est encore l’attitude du neveu à en juger par les placements immédiats sur d’autres vinaitiers (11 quirats supplémentaires) mais également sur des navires caravaneurs et sur l’Aimable Camille, barque en partance vers les Iles françaises d’Amérique sous le commandement du Tropézien Jacques Tropez Guirard, mais à la conclusion décevante.
118Le petit cabotage exige une recherche conduite à partir de plusieurs angles d’observation, menée selon différentes échelles. Moyen de subsistance pour de nombreux patrons et marins de la place, le petit cabotage intervient comme un élément parmi d’autres dans les préoccupations des « plus apparents », très liés néanmoins par leurs proches et leurs racines au monde de la mer. Cette activité, peu prestigieuse mais non marginale, constitue le socle de fortunes tropéziennes : songeons aux campagnes caboteuses de Sébastien et Honoré Martin au XVIe siècle, des frères Caussemille ou des Perou, père, fils et neveux à la fin du XVIIe siècle. Toutefois cette navigation à court rayon n’a été souvent qu’une étape sur une trajectoire maritime de plus grande portée où la séparation entre les hommes du cabotage et les intéressés aux caboteurs est plus d’une fois artificielle.
Les hommes du cabotage
119Le cabotage est une affaire d’hommes ou plus précisément de familles, de nébuleuses familiales, et ce d’abord sur les bâtiments eux-mêmes.
120Le cabotage tropézien résulte de l’activité d’une quarantaine de capitaines, patrons et maîtres, soit environ la moitié du groupe des inscrits à Saint-Tropez, l’autre partie navigant alors dans les eaux levantines ou sur des bâtiments non-tropéziens – 32 au petit cabotage en 1740 contre 27 au cabotage lointain. Il faut toutefois réviser à la hausse – 10 à 15 % – la part des caboteurs en service car de petites embarcations ont échappé aux registres de l’administration. Par ailleurs, de simples matelots se joignent à ce groupe de caboteurs en prenant discrètement la tête de petites embarcations. Avec une moyenne de quatre à cinq personnes à bord, ce trafic marqué par la fréquence des navettes et des rotations mobilise environ 200 à 250 marins qui sont, à 85 %, inscrits au quartier maritime de Saint-Tropez.
121Les rôles d’équipage montrent la place centrale occupée par les membres d’une même famille, surtout sur les unités les plus modestes affectées au micro-cabotage. Sur le bateau Saint Joseph de 6 tx, Jean Joseph Clerian patron et ses fils, Joseph Valentin et Auguste respectivement matelot et mousse, composent le groupe des navigants103. Ce cas extrême d’entreprise familiale n’est pas unique. Parmi les quatre hommes à bord du bateau la Vierge de Caderol, 16 tx, allant à la côte, le patron Jean Charles Cauvin a à ses côtés ses fils Jean Baptiste Tropez, écrivain, et Charles Tropez, novice104.
122La place de la famille directe est plus réduite, mais plus stable, sur des bâtiments de plus grande portée au personnel de bord plus nombreux. Sur la tartane l’Annonciade, de 30 tx, le patron Jean Joseph Isouard compte parmi les cinq autres hommes d’équipage son neveu Louis, matelot, et son fils Jean-Baptiste, mousse105. Des reconstitutions de familles feraient, sans nul doute, surgir beau-frère, gendre et autres apparentés (parmi le personnel), dans la mesure où les mariages tissent des liens complexes entre ces caboteurs. Jean-Louis Isouard, fils d’un patron au cabotage et de Marianne Clerian, d’une famille de caboteur, épouse Catherine Rose Benet, fille de Rose Lamary dont le père se livre au cabotage entre Languedoc et rivière de Gênes. Jean-Joseph Isouard, cousin de Jean-Louis, fils d’Anne Rose Guirard est également lié par ses deux parents au monde du petit cabotage. Une analyse plus large conduirait à prendre la mesure exacte de la part de ces réseaux familiaux dans cette branche d’activité.
123Ces parentèles permettent, en combinant le principe de la mobilité avec celui de la succession, une gestion familiale du commandement des caboteurs. Félix Antoine Mistral et son frère Jean Charles se partagent le commandement de la tartane Saint Antoine, entre Sète et Gênes, avant que ce dernier prenne la direction de la tartane Saint Pierre pour de mêmes rotations106. Sur le bateau la Conception, 16 tx, le patron François Tropez Guirard a embarqué cinq autres marins dont son frère Pierre-Jacques et son fils François Ignace ; ce dernier, subrécargue, après avoir pris provisoirement le commandement du bateau à la suite du débarquement de son père malade, assure la poursuite des activités du bâtiment107.
124En d’autres cas, la transmission préparée est plus douce. Après avoir transporté pendant plus de quinze ans du bois à brûler à Marseille avec sa tartane Fanny, le patron François Salvy passe la main à son fils Pierre François, auparavant matelot à bord, pour poursuivre le même trafic108.
125Quelques familles, par le jeu croisé de mariages, contrôlent plusieurs bâtiments – ou parties de bâtiments – de la flotte de cabotage, exploitant parfois une même ligne. Jean Charles, Jean Joseph et Tropez François Olivier, frères, commandent chacun un bisque circulant entre Sète et Gênes en 1778-1779 – le Bon Ami, le Saint Tropez et le Saint Joseph – en compagnie de leur oncle Jean Baptiste, à la tête de la tartane Saint Jean-Baptiste assurant à eux quatre près d’un cinquième de ce trafic de cette année-là. Ici encore, seule la reconstitution de familles conduit à débusquer les représentants d’une même parentèle et à décrypter la place prise par ces groupes familiaux dans différents circuits et certains espaces.
126Le relais, familial ou non, ne dispense pas des obligations à accomplir face aux autorités de l’amirauté pour prendre la tête d’un caboteur. Pour commander un bâtiment au petit cabotage il faut, en principe, avoir subi un examen et obtenu un brevet de maître. Jusqu’en octobre 1740, les mêmes exigences étaient requises pour les capitaines et les maîtres, mais les textes de cette année-là réduisent les compétences demandées à ces derniers.
127En effet, le roi a
« résolu d’établir pour ceux qui se bornent à la navigation au petit cabotage une forme d’examen et de réception proportionnés aux connaissances qui leur sont nécessaires en les dispensant d’une partie des formalités prescrites aux ordonnances d’août 1681, avril 1689 et août 1725 […]. Pourront être dorénavant admis à commander des bâtiments destinés au petit cabotage tous les matelots et autres gens de mer qui auront servi pendant quatre ans (au lieu de cinq) sur les bâtiments des sujets de Sa Majesté (avec certificat délivré par l’officier des classes du département ou quartier) et qui auront subi un examen qui roulera uniquement sur la connaissance qu’ils doivent avoir des côtes, ports, havres et parages, compris dans l’étendue de la dite navigation109 ».
128C’est à l’occasion de cette réforme, qui allège les programmes, que sont définis en termes géographiques les grand et petit cabotages, posant aux Tropéziens – comme à d’autres Provençaux – les difficultés signalées dans la mesure où le Languedoc et la rivière de Gênes n’appartiennent pas à la même aire administrative maritime contrairement à celle des échanges commerciaux.
129Certes, un capitaine reçu au grand cabotage peut, sans être assujetti à une seconde réception, servir dans les eaux du petit cabotage. Cette activité, moins rémunératrice, est comme une solution de repli lorsque d’autres directions s’avèrent défaillantes – absence de fret, concurrence, insécurité. Toutefois, cette pratique doit être provisoire sinon exceptionnelle sous peine de perdre, faute d’expérience, les compétences reconnues pour le commandement au long cours. Jean Joseph Isouard, maître au petit cabotage en 1745, puis capitaine après réception à l’amirauté de Saint-Tropez dix ans plus tard, « est rétabli parmi les matelots » en 1764 pour « n’avoir commandé qu’au petit cabotage ». Il poursuit la navigation à la côte jusqu’en 1775, date à laquelle il réintègre le groupe des capitaines qui commandent au grand cabotage110.
130La formation des maîtres au petit cabotage comme celle des capitaines, mais plus encore pour celle-ci, passe généralement par la pratique du métier dès le plus jeune âge et par la transmission orale des connaissances.
131Le cas de Joseph Louis Isouard est exemplaire. Mousse à l’âge de dix ans à bord de la tartane Saint Tropez, sous le commandement de son père Jean-Louis, il effectue d’abord une vingtaine de voyages « à la côte et à Marseille » transportant des produits forestiers. À l’âge de quinze ans il s’embarque comme mousse sur la Caroline, bombarde partant de Marseille vers Constantinople en septembre 1789, sous la conduite de Charles Joseph Blanc. Les fréquents contacts avec Marseille et la probable connaissance de Blanc, capitaine tropézien, fils du greffier de l’amirauté de Saint-Tropez, n’ont pu que faciliter l’embarquement.
132Au retour, en mai 1790, Joseph Louis reprend son activité « à la côte » avec son père, le temps de cinq voyages, avant de repartir comme novice vers le Levant en décembre 1791, à bord du brigantin la Marie Anne commandé par son oncle, le capitaine Joseph Isouard – inscrit à Marseille depuis 1788 – et d’être porté, à son retour, aux matelots puis aux maîtres111.
133Ce mélange de petit cabotage et de navigation lointaine dans les eaux ottomanes se retrouve dans plus d’un cursus. Il se constate aussi dans les trajectoires professionnelles de maîtres reçus parmi les capitaines. Un tel glissement se perçoit plus généralement au fil d’une ou deux générations. Trois capitaines tropéziens sur quatre qui fréquentent la Méditerranée orientale ont succédé à un père ou grand-père maître au cabotage : Étienne Isouard fils d’Antoine, Jean Baptiste Ignace Gombaud, fils d’Antoine Ignace, Jean Joseph Grasset, petit-fils de Jean, illustrent parmi d’autres ce changement d’horizons géographiques et parfois social.
134Les revenus des caboteurs demeurent difficiles à établir et plus encore à généraliser. La rémunération des équipages est différente dans ses modalités : au salaire ou plus souvent à la part. Sur les plus gros caboteurs « vinaitiers » et « boscatiers » le paiement à la part est la règle et se situe autour de 50 à 65 % du fret, selon la fonction occupée à bord, y compris les taxes perçues de « surestarie » en cas de chargement prolongé. Sur les très petites unités familiales les indications sont insuffisantes pour jauger la rémunération.
135Toutefois, pour compléter des revenus irréguliers et fragiles, les maîtres et marins au cabotage exercent fréquemment, avec leurs épouses, une autre activité : ici une boutique, là des instruments de travail – « bèches, ache, coignée, petits eissadous pour cercler, tamis… » – qui signalent lors d’inventaires après décès la participation à des travaux agricoles, attestent une pluriactivité fréquente dans les sociétés littorales112.
136Une dizaine d’inventaires de ce type indiquent un patrimoine moyen de l’ordre de 245 livres : supérieur à celui rencontré chez les pêcheurs, comparable à celui d’un raïs de madragues, mais nettement inférieur à celui observé chez de nombreux capitaines « levantins113 ». Néanmoins deux remarques s’imposent. D’une part, il existe un écart considérable entre « l’inventaire des facultés et des biens » de Jean Joseph Pastouret (790 livres) et ceux de Jean François Guirard ou Jean Baptiste Gastinel (48 et 60 livres). D’autre part « les invantaires de biens meubles et immeubles » ne mentionnent pas toujours l’estimation de biens immobiliers. Ainsi, à côté des biens mobiliers du patron Tropez Ratou, évalués à 200 livres, on trouve : « une maison sise au quartier du Portalet […], une vigne en ce terroir de Saint-Tropez au quartier de Saint-Jaume, et une autre vigne au quartier de la Pinède, terroir de Gassin114 ».
137Le patrimoine du patron-vigneron à la cave déjà visitée dépasse assurément le montant établi sous l’œil de son beau-frère, le patron de bateau Abel André.
138Bruno Cauvin, capitaine depuis 1756, se consacre au cabotage entre Provence et rivière de Gênes. En mars 1758, rentrant d’Italie, il achète aux enchères une partie de la succession de son beau-frère, le capitaine caravaneur Antoine Moisson, soit 352 barils de vin (117 charges) pour 877 livres. Dès avril 1758, il reprend la mer et distribue une partie du vin à bord de sa tartane Jésus Marie Sainte Anne. En 1761, après quelques expéditions au petit cabotage, en cette période de guerre de Sept Ans, il « quitte la mer et vit bourgeoisement », achetant quelques quirats et cultivant ses vignes115.
139Faire table rase de la navigation à court rayon pour ne retenir que le commerce lointain est périlleux à qui souhaite restituer la vie portuaire dans toute son épaisseur. La vitesse de rotation des petites unités rend compte de ce fourmillement qui met en œuvre toute une flottille spécialisée ou non, mobilise et forme des centaines d’hommes soumis au système des classes. Les Tropéziens participent, avec d’autres, au « grouillement vif et rapide de la circulation à courte distance » qui anime le littoral provençal comme les rivages de Catalogne ou de Ligurie116.
140Par ce cabotage multiforme, Saint-Tropez a réussi à construire un espace d’influence portuaire sans commune mesure avec la modestie de sa dimension. Chaque port du complexe provençal possède ses traditions, ses particularités, son identité. L’horizon des échanges, la composition du fret, les circuits établis, les types d’armement reflètent dans une large mesure les capacités économiques et les objectifs des entrepreneurs de la place.
141Il serait néanmoins imprudent de séparer catégoriquement petit cabotage et expéditions lointaines. Certes, le niveau des affaires, les types de navires, les exigences humaines et les techniques mises en œuvre, sans omettre les résultats obtenus, peuvent différer. Pourtant par les capitaux accumulés, les réseaux mis en place et l’expérience de la mer le petit cabotage a facilité les opérations en direction du bassin oriental de la Méditerranée pour y pratiquer, somme toute, avec la caravane maritime, une forme de cabotage, plus complexe certes, mais de cabotage tout de même.
Notes de bas de page
1 Braudel F., Romano R., op. cit., p. 39.
2 Braudel F., La Méditerranée et le monde méditerranéen à l’époque de Philippe II, Paris, A. Colin, 1966 (2e édition), p. 94-95.
3 Ripert G., Droit maritime, t. I, Paris, 1950, p. 148-162.
4 Jal A., Glossaire nautique. Répertoire polyglotte. Les termes de marine anciens et modernes, Paris, 2 volumes, 1848 ; en cours de réédition depuis 1970, Nouveau glossaire nautique, révision de l’édition de 1848, Paris.
5 Archives de la ville de Marseille (désormais AVM), 16 F2. Mouvement du port de Marseille. 1790.
6 Darluc M., op. cit. p. 278.
7 Cité par Carrière C., Négociants…, op. cit., p. 51.
8 SHDM-T, 4P 1. Recueil d’ordonnances, règlements et déclarations (1689-1782).
9 Ibid., 4P 2. Répertoire analytique des lois, ordonnances et règlements (1827-1860).
10 AD V. 11 B. Saint-Tropez (1777-1786). Dossiers et sous-série en cours de classement. Déposition datant du 6 janvier 1736.
11 SHDM-T, 4P 1.
12 Julliany J., Essai sur le commerce de Marseille, t. 3, Marseille, 1842, p. 92.
13 Carrière C., Négociants… op. cit., p. 50-51.
14 SHDM-T, 4P 2.
15 Buti G., « Expédier à la côte et aller à la cueillette : le cabotage en Méditerranée aux XVIIe et XVIIIe siècles », Revue d’Histoire Maritime, no 8, 2008, p. 67-108.
16 AN, B 3. 690, f° 92.
17 Arch. privées, Saint-Tropez. Livre d’heures de J.-B. Castel, maître-maçon à Saint-Tropez (1774-1808).
18 Rambert G., « Toulon et l’exportation des vins provençaux par Marseille au XVIIIe siècle », Provence historique, 1962, fasc. 47, t. 12, p. 28.
19 AD BdR, 200E 474-555 et 200E 606-607.
20 Le Bouëdec G., « Le cabotage sur la façade atlantique au XVIIIe siècle », Woronoff D. (dir.) La circulation des marchandises dans la France d’Ancien Régime, Comité pour l’Histoire économique et financière de la France, 1998, p. 69.
21 Morineau M., « Flottes de commerce et trafics français en Méditerranée au XVIIe siècle », Revue XVIIe siècle, 1970, nos 86-87, p. 150.
22 AD V, 7B.
23 Ibid.
24 Ibid.
25 AD V, 7B et 12J 8.
26 SHDM-T, 4P.
27 Ibid.
28 SHDM-T, 4P 183 – 1785.
29 Ibid.
30 AD V, 7B.
31 Ibid.
32 AD V, 7B15-16-17.
33 Ibid.
34 AD BdR, 200 E.
35 AD V, 7B.
36 SHDM-T, 4P158-159.
37 SHDM-T, 4P.
38 AD V, 7B.
39 AD V, 7B 15-16.
40 Ibid.
41 Ben F.-J., op. cit., p. 21-22.
42 AD V, 7B et 12J.
43 AD V, 3E 66-1-1714.
44 AD V, 7B 15 et 3E 24-150.
45 Buti G., « La traite des blés et la construction de l’espace portuaire de Marseille (XVIIe-XVIIIe siècles) », Marin B. et Virlouvet C. (dir.), Nourrir les cités de Méditerranée (Antiquité-Temps modernes), Paris, 2003, p. 769-799.
46 AD V, 12J 16. La charge, comme le setier de Paris, pèse 120 kg.
47 Ibid.
48 Voir chapitre ix.
49 AD V, 7B 15-17 novembre 1698.
50 AD V, 7B.
51 AD V, 3Ε 24 et 3E 66.
52 Ibid, 3E 24-166.
53 Ibid, 3E 24-150.
54 Ibid, 3E 24-157.
55 AD V, 3E 24-143.
56 SHDM-T, 5E 180 et 1L 434. Voir Buti G., « Un arsenal méditerranéen et ses aspects forestiers : Toulon (XVIIIe siècle) », Corvol A. (dir.) Forêt et Marine, Paris, 1999, p. 471-486.
57 AD V, 3E 66-5 et 3E 24-143.
58 AD V, 3E 24-168, 1780.
59 AD V, 3E 66-1 et 5 ; 3E 24-160.
60 AD V, 3E 24-145. Le « poids » équivalait à « 4 quintaux poids de table » à Marseille, soit environ 163 kilogrammes. AD V, 3E 24-144.
61 AD V, 7B4-1786.
62 SHDM T, 4P 158-159.
63 AD V, 3E 66-6-1736.
64 Voir chapitre ii.
65 AM Saint-Tropez, BB 7-1624-1627.
66 AM Saint-Tropez, HH29-1656.
67 AD BdR, B2815-1667.
68 AD V, 12J 20.
69 SHDM-T, 4P 158.
70 Palermo L., « Economie e insediamenti umani sulle coste tirreniche dello Stato della Chiesa (XVIe-XVIIIe) », Cavaciocchi S. (dir.), Ricchezza del mare, Ricchezza dal mare, secc. XIIIe-XVIIIe, Florence, 2006, p. 461-487.
71 AD V, 7B et AD BdR, 200E-606.
72 AD V 7B, AD BdR 200 E - 606.
73 AD V, 7B 10-16.
74 SHDM-T, 4P 158-159 et AD V 7B 9-15-16.
75 AD V 7B.
76 Saint-Tropez ignore Marseille pour la distribution des vins à cause de l’ancien privilège qui accorde, jusqu’en 1776 tout au moins, le monopole des ventes aux productions du terroir marseillais. Rambert G., Histoire du commerce de Marseille, t. IV, op. cit., p. 392-413 ; Carrière C., Négociants…, op. cit., p. 351-359 ; Buti G., « Vigne et cabotage en Méditerranée nord-occidentale au XVIIIe siècle », Casanova A. (dir.), La vigne en Méditerranée occidentale, Paris, 2008, p. 9-25.
77 AD V, 7B.
78 Ibid.
79 AD V, 12 J7.
80 SHDM-T, 4P 158-159.
81 Degage A., « L’amirauté de Cette de 1691 à 1735. Trafic portuaire », Études sur l’Hérault, 1984, no 4, p. 37.
82 SHDM-T, 4P 159.
83 AD V, 3E 24-156.
84 AD V, 3E 24-160.
85 AD V, 3E 24-157.
86 Carrière C, « Notes sur les relations commerciales entre Gênes et Marseille au XVIIIe siècle », Provence historique, Marseille, 1964, 227-252.
87 Ces questions posées par Gérard Le Bouëdec pour le Ponant méritent d’être approfondies dans une approche comparatiste.
88 Voir chapitre vi.
89 AD V, 3E 24-134.
90 AD V, 3E 24-150.
91 Vitale V., Breviario della Storia di Genova, vol. 1, Genova, 1995 et Giacchero G., Economia e società del Settecento genovese, Genova, 1973.
92 Carrière C., « Renouveau espagnol et prêt à la grosse aventure. Notes sur la place de Cadix dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Revue d’Histoire Moderne et Contemporaine, avril-juin 1970, t. xvii, p. 231.
93 AD V, 3E 66-2.
94 AD V, 3E 24-159. Pour un voyage de quatre mois ce taux représenterait environ 40 % l’an.
95 Ibid., 3E 24-150.
96 Baehrel R., op. cit., p. 575-577.
97 AD V, 11B Saint-Tropez.
98 Ibid.
99 Baehrel R., op. cit., p. 491 et 563.
100 AD V, 3E 24-160, 1765 ; 11B Saint-Tropez, 1759 ; 3E 66-1, 1716.
101 AD V, 12J 20.
102 Meyer J., L’armement nantais dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, Paris, p. 205-248.
103 SHDM-T, 4P 182 – 1783.
104 SHDM-T, 4P 169 – 1753.
105 SHDM-T, 4P 168 – 1735.
106 AD V, 7B 16.
107 SHDM-T, 4P 169 – 1746.
108 AD V, 7B 16 – 1787.
109 SHDM-T, 4P1. Ordonnance du 18 octobre 1740, article 6.
110 SHDM-T, 4P 39-41-82-93.
111 SHDM-T, 4P 101-134-235.
112 Buti G., « Gens de mer et du terroir : capitaines-vignerons et marins-forestiers de la France méditerranéenne au XVIIIe siècle », Le Bouëdec G., Ploux F., Cérino C., Geistdoerfer A., (dir.), Entre terre et mer. Sociétés littorales et pluriactivités (XVe-XXe siècles), Rennes, 2004, p. 147-162.
113 Voir chapitre ix.
114 AD V, 3E 66-1 – 1716.
115 SHDM-T, 4P 39 et AD V, 11B 1758.
116 Vilar P., op. cit., p. 68.
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