Chapitre V. La flotte marchande de Saint-Tropez au XVIIIe siècle
p. 197-234
Texte intégral
1Désintégrée, renaissante, diversifiée, recomposée, transformée, la flotte est le fidèle reflet de la vie portuaire, un indicateur de son dynamisme ou de son marasme. Toutefois, on construit et on achète des bâtiments pour répondre d’abord à une demande. La composition d’une flotte est avant tout la résultante du trafic maritime. Capacité, sécurité et vitesse interviennent, ici comme dans toutes les places portuaires, pour l’adoption du matériel naval, mais la rentabilité détermine le choix final. La croissance des activités au fil du XVIIIe siècle et l’intérêt nouveau accordé aux expéditions en direction du bassin oriental de la Méditerranée ont-ils provoqué des mutations dans l’outillage nautique ? Les types de bâtiments, les tonnages, le nombre d’hommes d’équipage ont-ils été bouleversés par ces changements ?
2Les bâtiments de mer ne participent pas seulement au mouvement portuaire. Ils donnent vie aux quais : ici le grincement des poulies et les jurons des portefaix, là le stockage des futailles et l’entassement des cordages, partout les odeurs où se mêlent le parfum des vins à la puanteur des proches cloaques, les senteurs des résineux travaillés par les charpentiers et l’âcreté du goudron chauffé par les calfats. Car nombre de ces bâtiments voient le jour sur ces quais encombrés. L’ampleur de la demande et l’accroissement de la taille des bâtiments construits imposent un aménagement plus rationnel de l’espace portuaire avec la définition d’un emplacement réservé à la construction navale, mais celle-ci suffit-elle aux besoins de l’armement local ? Peut-on évaluer la production de ces chantiers situés entre la chapelle de l’Annonciade, entourée de petits entrepôts, et la chapelle Saint-Elme, fréquentée par les calfats ? La protection céleste veille sur la réalisation des bâtiments de mer et les accompagne souvent par l’intermédiaire du nom inscrit sur leur coque. Ce lien d’ordre spirituel établit entre le ciel et les hommes renseigne-t-il sur la foi de ceux qui ont effectué le choix du patronage ?
Composition de la flotte
Les types de navires
3De Colbert à Bonaparte, les Tropéziens ont utilisé et possédé à peu près tous les types de navires en usage en Méditerranée ; pas moins de quinze types figurent parmi les près de 1300 bâtiments connus ayant été attachés à Saint-Tropez de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle. À l’éphémère mention de certains répondent la présence permanente de beaucoup d’autres et l’apparition de quelques uns. Les dénominations, encore floues au XVIIe siècle à Saint-Tropez comme en d’autres localités, tendent à se fixer au cours du siècle suivant. Les contraintes des déclarations administratives et fiscales – droit de visite ici et cottimo là proportionnels au tonnage mais fixés d’après les types de navires – et peut-être aussi à la précision qu’exige la multitude des types expliquent cette relative rigueur. À la fin du XVIIe siècle, la définition du bâtiment passe encore – à Saint-Tropez comme dans les autres ports provençaux – par l’indication de son usage ; ainsi mentionne-t-on les « bateaux de pêche du poisson » des « bateaux de négosse » ou encore les « barques de négosse » des « barques ou barquades de sardinaux ». Les embarcations utilisées pour la pêche sont définies par les engins de prise employés et/ou les poissons capturés : « barquade de tonnaires », « bateau de sardinaux » ou « barquade d’entremaux1 ». À partir du début du XVIIIe siècle, la fonction accolée au type de bâtiment disparaît peu à peu, sans que soient totalement abandonnées les anciennes habitudes dans des déclarations privées ; lors de l’enregistrement d’un acte devant notaire, Vincent Talon, maître-constructeur, s’engage en 1749 à livrer un « bateau de négoce » au patron de Fréjus, Marc-Antoine Demore, et énonce les caractéristiques précises du modèle commandé2. Le passage progressif à une plus grande clarté dans la terminologie s’accompagne de quelques appellations ambiguës à l’image de cette « barque pincou » du patron Jean-François Martin3.
4Pareille incertitude, rare au demeurant, traduit souvent la minceur des différences entre certains types de bâtiments. Cependant, il arrive également qu’un même bâtiment – y compris dans les registres matricules du service des classes de la Marine – reçoive des appellations différentes ; la Sainte Barbe du capitaine Pierre Cavalier, de Saint-Tropez, est qualifiée tantôt de pinque, tantôt de barque4. Ce manque de rigueur ne peut qu’être apparent et renvoyer à des modifications dans la structure des bâtiments : nouvelle mâture, nouveau gréement. Presque tous les types de bâtiments ont connu de semblables transformations : ainsi cette tartane les Ames du Purgatoire « changée en pinque », cette autre Vierge du Mont Carmel « reconstruite et augmentée en barque », cette polacre la Nouvelle Marianne « mâtée en brigantin », comme ce vaisseau la Fortunée en polacre ou la corvette la Rose en barque5.
5D’une manière générale, 80 % de ces mutations affectent des bâtiments non issus des chantiers navals tropéziens et correspondent à des orientations nouvelles dans leur utilisation. La tartane la Marianne, construite à La Seyne et acquise par des Tropéziens en 1758, pratique la « navigation à la côte » ou petit cabotage jusqu’en 1764, effectue alors un voyage au Levant avant d’être « changée en barque » à son retour en 1766 et poursuit la fréquentation de la Méditerranée orientale jusqu’à sa vente et sa démolition à Marseille en 17926. Par ailleurs, pour répondre à des besoins d’une autre nature, une douzaine de tartanes ont été « mâtées en bombardes » au moment des préparatifs de l’expédition d’Égypte7. Ces transformations demeurent malgré tout limitées à quarante neuf bâtiments soit 3,9 % du stock réuni pour le XVIIIe siècle.
6Les types de bâtiments rencontrés à Saint-Tropez se répartissent de la manière suivante :
Tableau 64. – Types de bâtiments de la flotte de Saint-Tropez (1675-1815)8.

7Au-delà de la grande variété que révèle ce tableau deux types seulement – bateau et tartane – d’importance numérique égale représentent près des trois-quarts de la flotte marchande ; la proportion dépasse 88 % si nous adjoignons les barques et les pinques. Les onze modèles suivants se partagent les 12 % restants. Toutefois, la situation diffère nettement en considérant les tonnages et non plus les nombres – des tonnages dont la moyenne séculaire globale n’est que de 41 tonneaux. Aux tartanes, qui composent plus d’un tiers de l’ensemble et forment le noyau de la flotte, il faut associer cette fois les barques pour dépasser les 52 % du tonnage total, et ajouter pinques, polacres, bateaux et vaisseaux pour atteindre 83,6 % de la totalité.
8Aux deux bouts de la liste, les confusions ne sont guère possibles entre bateau et tartane d’un côté et vaisseau de l’autre, contrairement à la situation de nombreux types intermédiaires.
9Plus que par leur portée, ces bâtiments – ici comme dans les autres ports provençaux – se différencient souvent par la forme de leur coque, leurs voilures et leurs gréements mais restent néanmoins parfois difficiles à distinguer. Un classement par tonnage, ou par forme dominante de voiles peut être commode mais conduit à négliger les variantes et adaptations que permettent de débusquer les gravures, dessins, devis de construction ou de radoub et autres « rapports d’estime » sans toujours réussir à faire disparaître des hésitations.
10L’appellation de bateau a une signification très précise en Provence au XVIIIe siècle et ne correspond pas une dénomination générale. Loin de ressembler à ce « navire d’une vingtaine de mètres de long et d’un fort tirant d’eau9 » le bateau correspond à une très modeste embarcation de moins de dix mètres, de quelques tonneaux – moins de dix sinon de cinq –, non-pontée avec voile latine ou triangulaire sur un seul mât et affectée à la navigation à la côte10.
11Cette poussière de petits caboteurs sillonnent le littoral provençal sans ignorer les côtes ligures, corses ou languedociennes. Quelques bateaux pontés, dits alors « bateaux couverts » au XVIIe siècle à Saint-Tropez et « bisques ou bisquous » au siècle suivant, présentent une plus forte portée – jusqu’à vingt-cinq tonneaux –, un petit mât d’artimon et un foc sur un court beaupré. Ces bâtiments, proches à vrai dire des petites tartanes, ne figurent qu’exceptionnellement sur les itinéraires du commerce lointain. Les cas du bateau Saint Jean-Baptiste, 12 tx, du patron Jean André, armé à destination du Levant en 175011, et du bisque Saint Tropez, 25 tx, du patron Joseph Tournel expédié dans la même direction en 1786 et 178812, restent isolés. La présence en 1763 du Postillon de Chypre, bateau de 10 tx, dans le bassin oriental de la Méditerranée étonne ; les mentions, aux voyages suivants, d’une portée de 31 tx et d’un nom modifié – Postillon de Chypre le Diligent – laissent supposer un changement de structure13.
12Grande sœur des précédents, la tartane est, à plus d’un titre, la reine de la flotte tropézienne sinon des rives de la Méditerranée nord-occidentale. Les « tartanes de pêche », si répandues à Martigues, ne se rencontrent pas à Saint-Tropez où seules figurent les « tartanes de négoce » dites simplement tartanes. Ce petit bâtiment ponté a un ou deux mâts avec grande voile latine, « quelque fois une voile carrée ou de fortune sur le petit mât d’artimon14 », un foc accroché au beaupré et un tapecul à la poupe. Mesurant jusqu’à vingt-cinq mètres de long et présentant un port, au XVIIIe siècle, rarement supérieur à soixante tonneaux – contrairement aux grosses tartanes languedociennes – la tartane compose le cœur de la flotte tropézienne et se rencontre encore le long des quais de la cité au lendemain de la Seconde Guerre mondiale15. Ce caboteur par excellence fréquente le bassin méditerranéen étant à la fois bien adapté aux faibles cargaisons des petites échelles levantines et capable, grâce à sa relative rapidité, de déjouer la poursuite de corsaires et autres pirates.
13Situé par le tonnage immédiatement après les bateaux et les tartanes, un groupe fourni de bâtiments divers – généralement employés pour des destinations plus lointaines, Italie et surtout Levant – peut être scindé en deux grandes catégories.
14Dans la première, composée de bâtiments au tonnage moyen inférieur à 100 tonneaux, les pinques et plus encore les barques occupent une place fondamentale dans l’équipement nautique de Saint-Tropez. Le pinque, à la graphie variable – pink ou pincou –, est un bâtiment d’une capacité légèrement supérieure à celle de la tartane et par là de dimensions plus modestes que celles mentionnées en d’autres ports16. Son avant, « fort renflé » mais « garni d’un long bec », lui donne une allure élancée tandis qu’un imposant gaillard épaissit sa silhouette17. Les voiles latines équipant ses trois mâts, dont le premier ou trinquet est fortement incliné sur l’avant, pouvaient être remplacées par des voiles carrées afin de le rendre plus maniable en cas de gros temps.
15Plus répandue que les pinques, et figurant tout au long du XVIIIe siècle dans la flotte tropézienne, la barque constitue un maillon essentiel dans l’outillage nautique de la place18. Gréé en général de voiles latines, ce bâtiment porte souvent trois mâts à pible – d’une seule pièce. L’établissement, en 1758, d’un « rapport d’estime » par les responsables de l’amirauté de Saint-Tropez décrit une barque, semblable à tant d’autres, en l’occurrence le Saint Joseph, 60 tx, du capitaine Anselme Blanc. Après avoir estimé la « carcasse », les autorités locales ont « parcouru et visité ses quatre mâts – grand mât, misaine, artimon et beaupré – et vergues […] puis examiné tout le corps de ses voiles les unes après les autres, savoir : grand voile, grand hunier, grand perroquet, misaine, petit hunier, artimon, perroquet de foque et floc19 ». Avec ses quatre ancres, ses câbles, ses dix fusils et deux canons, sa futaille, ses ustensiles de cuisine et de pilotage – « bousses et sabliers » –, ses pavillons et sa chaloupe, cette barque « à la proue un peu renflée » est un bon navire de charge, amplement utilisé par les Tropéziens dans le bassin oriental de la Méditerranée.
16Dans cette même catégorie de bâtiment d’une moyenne inférieure à 100 tonneaux, mais présents de manière plus occasionnelle, trois autres types proviennent de prises ou d’achats extérieurs au Royaume : le keich (queich ou quaich) doté d’un seul pont et d’une mâture munie de voiles latines, la goélette, basse sur l’eau avec un beaupré et deux mâts inclinés vers l’arrière chargés de voiles carrées ou trapézoïdales, et enfin le chebek, à l’étrave élancé, avec éperon à la proue et trois mâts inclinés vers l’avant équipés de voiles latines ou carrées, pouvant être muni d’avirons et utilisé pour la course. Toutefois, ces bâtiments n’occupent à Saint-Tropez qu’un rang vraiment marginal au XVIIIe siècle.
17Six « espèces de navires », d’une portée moyenne de 100 à 150 tonneaux, de construction assez proche, munis d’un seul pont et gréés sur deux ou trois mâts d’une voilure mixte constituent la seconde catégorie de ce copieux groupe central. Comparable à une barque par sa capacité de transport, la bombarde doit son nom à une voilure qui rappelle celle des galiotes à bombes, à savoir une voile latine sur le mât d’artimon, une carrée sur le grand mât et un grand foc à l’avant. Ce bâtiment apparaît surtout, dans la flotte tropézienne, dans les dernières décennies du XVIIIe siècle, tout comme les senaults (senau ou seno), les corvettes, les brigantins et les bricks lesquels prennent d’ailleurs, avec un tonnage supérieur, le relais des brigantins20. Non sans analogie de forme avec le pinque, dont elle semble l’héritière, la polacre présente toutefois à Saint-Tropez une portée nettement plus élevée que celui-ci. Le croquis à la plume de la Stella Matutina dite La Diane, réalisé en 1754 par l’écrivain de bord François Donat Alliez, fournit un bel échantillon de ce type de bâtiment qui appartient aux grosses pièces de la flotte locale21. Avec un avant effilé et une imposante dunette, qui ne sont pas sans rappeler le pinque, elle porte, sur ses trois mâts, un ample jeu de voiles mixtes – carrées pour la majorité, latine sur le beaupré – et se trouve, comme les modèles de cette catégorie, utilisée essentiellement pour le trafic levantin22.
18À l’extrémité supérieure de la gamme des bâtiments, le vaisseau ou navire23, attesté sur place dès le XVIe siècle, reste d’une présence limitée et d’une portée moyenne plus réduite que celle observée en Ponant. Le nom de vaisseau ne se donne en l’occurrence qu’aux trois mâts munis de voiles carrées « excepté celle de la poupe qui est latine24 ». Assez proche des grosses polacres, ce bâtiment lourd fréquente, au départ de Saint-Tropez ou de Marseille, les grandes Échelles du bassin oriental de la Méditerranée qui offrent des cargaisons en relation avec ses capacités de transport. À cette catégorie appartient le géant de la flotte tropézienne à savoir l’Epaminondas, de 521 tx, construit à Livourne, possédé par Basile Ghiny, grec d’origine, et attaché à Saint-Tropez en 180225. En fait, cette présence, insolite et conjoncturelle, se réduit à une brève apparition dans la mesure où le vaisseau passe, dès 1808, dans la flotte marseillaise après un voyage à Constantinople sous la conduite d’un capitaine tropézien.
19La présence de ces différents types de bâtiments au sein de la flotte varie au cours du siècle en étroite relation avec les temps forts de la conjoncture et la nature des activités dominantes de la place.
Graphique 17. – Flotte marchande de St-Tropez : évolution des principaux types de bâtiments (1685-1820)26.

20Le nombre réduit de types d’embarcations au début du siècle et la présence des seuls bateaux et tartanes à la fin de la période, lorsque Saint-Tropez est redevenu port de pêche et de cabotage, ne laisseraient guère supposer un tel foisonnement au cours du XVIIIe siècle. L’essor de l’activité maritime, avec notamment l’ouverture vers le Levant, se traduit, dans un premier temps par une demande accrue et une part croissante des plus gros modèles déjà existants à savoir les pinques et les barques, ainsi que quelques vaisseaux.
21Avec un trafic en expansion, la seconde moitié du siècle connaît à la fois une diversification grandissante et des changements radicaux. Les tartanes, au tonnage en progression s’affirment comme le type essentiel de la flotte tropézienne ; sa polyvalence et son moindre coût – équipement et entretien – ne sont pas étrangers à pareil succès. Dans le même temps pinques et barques fléchissent et disparaissent, brutalement pour les premiers, plus progressivement pour les secondes. Parallèlement, d’autres modèles jusqu’alors absents entrent dans la composition de la flotte ; brigantins, senaults, corvettes, bombardes et surtout polacres. Cette diversité, inscrite dans une gamme de tonnages relativement proches, correspond à un besoin de plus gros porteurs, à la nécessité de répondre rapidement à la demande de bâtiments, à l’ouverture vers d’autres chantiers navals et à l’adoption de bâtiments qui ont fait leurs preuves dans les places voisines, comme le brigantin à Marseille dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
22La fermeture pour Saint-Tropez de la période levantine, après les guerres de la Révolution et de l’Empire, met un terme à cette richesse du matériel nautique. Une observation du parc nautique tropézien ne saurait pourtant se limiter au seul panorama des types représentés. À ceux-ci correspondent, comme entrevu, des portées différentes et variables au cours du siècle.
Tonnages de la flotte tropézienne
23Approcher au plus près le tonnage d’un navire demeure un exercice délicat sinon périlleux. L’instrument le plus fiable, pour saisir au mieux cette donnée fondamentale, serait la déclaration faite à l’amirauté au moment de la construction quand elle contient les trois dimensions principales – longueur, largeur et hauteur ou creux de la cale. De telles pièces ne sont pas disponibles pour Saint-Tropez. Seuls les registres matricules du service des classes de la Marine offrent en séries continues ces données à confronter avec les indications puisées ici et là à d’autres sources. Quelle signification et quel crédit accorder aux tonnages déclarés ? L’interrogation n’a pas le mérite de la nouveauté27. Faut-il pour cela l’écarter ?
24Au XVIIIe siècle comme aux siècles précédents, on se préoccupe avant tout du poids de marchandises que peut transporter le bâtiment et non de son volume ou jauge. Le port ou portée est, jusqu’au début du XVIIIe siècle, associé à une unité de charge terrestre à savoir le quintal de 100 livres poids, valant localement environ 40 kg28. L’équivalence entre le quintal et le tonneau, défini par l’ordonnance de 1681, varie légèrement selon les lieux. Pour les jaugeurs et charpentiers de marine marseillais, le tonneau vaut 24 qx29. Cependant, à Saint-Tropez, lorsque Pierre Bonnaud, maître-constructeur de bâtiment, passe en revue la flotte à la demande des officiers de l’amirauté, de mars 1708 à janvier 1709, le rapport retenu est de 1 à 25. Ainsi en est-il, parmi les 44 certificats délivrés au cours de ces onze mois, de l’attestation de la tartane du patron Joseph Roux :
« Nous Pierre Bonnaud maistre-constructeur de cette ville de St Tropès a deffaut de gardes jurés et prud’hommes du métier de charpentier nommé par Mrs les officiers de l’amirauté certifions avoir jaugé la tartanne de patron Joseph Roux de ce lieu et trouvé estre du port de quinze cents quintaux faisant soixante tonneaux ; en foy de quoy nous avons fait et signé le présent certificat à St Tropès le 27 mars 1708. Signé Bonnaud et Massel, greffier30. »
25Les rapports de jauge établis à la chancellerie de France d’Alexandrie à la fin du XVIIe siècle par deux capitaines, dont un Tropézien, montrent semblable équivalence appliquée avec une égale fermeté : les 1 250 qx de la barque Saint Tropez, du capitaine Antoine Pérou, correspondent à 50 tx et les 2 500 qx de la « petite nave ou vaisseau » Ste Croix Velocita, du capitaine toulonnais Etienne Tourre, représentent 100 tx31.
26Par ailleurs, la multitude des unités employées en Méditerranée ne trouble aucunement les déclarations faites à Saint-Tropez. Sur plus d’un millier d’enregistrements relevés, une seule référence renvoie à une autre unité aussitôt accompagnée de son équivalence : « la barque ND des Grâces de 1 700 qx d’Italie soit 2 000 de nos qx32 ».
27Au vrai, les discordances croisées ne paraissent pas liées à un quelconque tâtonnement dans les conversions. Pour un même bâtiment, la portée exprimée en tonneaux varie parfois d’une inscription dans les registres matricules à l’enregistrement suivant, d’une telle immatriculation à celle consignée dans les rôles d’armement et de désarmement, d’un voyage à l’autre, lors d’une déposition devant les responsables de l’amirauté – à l’occasion d’une prise ou d’un naufrage – d’un acte passé devant notaire ou d’un changement de quartier. La barque Saint Jean-Baptiste inscrite à Saint-Tropez avec 80 tx provient de Marseille où elle se trouvait déclarée avec une portée de 60 tx alors que la tartane Saint Jean-Baptiste de 48 tx à Marseille, en 1764, n’est dite que de 20 tx lors de son inscription à Saint-Tropez en 176633. D’une manière générale, pareilles divergences, qui ne privilégient pas de périodes particulières, concernent surtout les petites embarcations – bateaux et tartanes – sans qu’il y ait eu de modifications apportées à leur structure et n’induisent qu’une très faible marge d’erreur. Les estimations de jauge effectuées au moment des achats par la République de bâtiments réquisitionnés pour les convois de l’expédition d’Égypte (1798-1801) n’apportent guère de modifications par rapport aux tonnages déclarés aux autorités de l’Inscription maritime34.
28Au final, élimination faite de quelques cas troublants et fantaisistes35, ces variations individuelles, qui affectent 98 bâtiments soit 7,8 % de la flotte tropézienne et moins de 3 % du tonnage global, ne perturbent ni les données rassemblées, ni les statistiques établies étant par ailleurs proches de la tolérance du quarantième, admise par l’ordonnance de 1681, comme en usage tacite dans les milieux maritimes.
Tableau 65. – Tonnages déclarés et tonnages employés par les bâtiments tropéziens (1763-1765)36.
Types | Noms | Tonnages déclarés | Tonnages utilisés |
bateau | Ste Anne | 8 | 10 |
tartane | St Jean-Baptiste | 30 | 37 |
bateau | St Joseph | 25 | 34 |
barque | Ste Anne | 75 | 126 |
tartane | St Jean-Baptiste | 40 | 74 |
bateau | St Nicolas | 10 | 15 |
tartane | St Joseph | 60 | 82 |
bateau | St Jacques | 10 | 25 |
pinque | Union | 100 | 126 |
barque | Ste Barbe | 60 | 62 |
barque | Heureux Victor | 100 | 148 |
tartane | St Jean-Baptiste | 20 | 37 |
tartane | Marie-Rose | 30 | 61 |
29La comparaison entre le tonnage déclaré et la portée utilisée montre un écart plus fort. En août 1723, de retour de Barbarie, le patron tropézien Jean Joseph Caussemille commandant la barque ND de Bon Voyage de 80 tx (soit 2 000 qx) écrit, de Gênes, à son oncle Jean Martin resté à Saint-Tropez : « Je n’ai pas encore vendu l’eau-de-vie […] j’ai porté 2 500 qx de sel des Gerbis. Ainsi ma barque porte plus que la plupart des philosophes de Saint Tropès s’étaient proposés37. » Le cas n’est pas isolé. Certaines cargaisons tropéziennes, comme celles de blé mentionnées dans les déclarations faites aux bureaux de la Santé maritime de Marseille, font connaître ce que le navire pouvait porter et le comparer au tonnage avoué. Un échantillon prélevé au lendemain de la guerre de Sept Ans montre ces discordances.
30Les déclarations officielles de tonnage correspondent peu aux capacités effectives de transport et se situent toujours en deçà. Ces exemples, insuffisants pour dégager un cœfficient de correction et envisager une extrapolation à toute la flotte, n’ont pour objectif que de mettre en garde contre les tonnages déclinés. Pour des raisons fiscales, les armateurs et les capitaines sont tentés de sous-évaluer leurs bâtiments, en même temps qu’ils ont tendance à surestimer leurs capacités lors des affrètements. Comme Jean Joseph Caussemille, nombre de patrons dépassent sans doute les limites de sécurité en s’efforçant d’utiliser au mieux l’espace. Commentant l’ordonnance de 1681, Valin le faisait remarquer avec justesse :
« Autant un maître de navire est soigneux d’en déclarer au juste le port et même l’augmenter lorsqu’il frète, aussi est-il attentif de le diminuer lorsqu’il en fait la déclaration pour le paiement des droits. »
31Chaque bâtiment présente un cas d’espèce et il ne saurait être question de passer en revue la flotte tropézienne connue comme « il ne faudrait pas pousser trop loin le scrupule critique38 ». Ces remarques qui renvoient à la complexité de la question de la jauge invitent à nuancer la rigidité des données recueillies à différentes sources.
Tableau 66. – Types et tonnages des bâtiments de la flotte tropézienne au XVIIIe siècle39.
types de bâtiments | tonnage minimum | tonnage maximum | tonnage unitaire moyen |
tartane | 16 | 130 | 40,2 |
bateau | 1 | 29 | 7,9 |
barque | 36 | 214 | 79,6 |
pinque | 32 | 130 | 57,2 |
polacre | 48 | 226 | 123,4 |
vaisseau | 60 | 521 | 164,8 |
brigantin | 47 | 190 | 111,1 |
bombarde | 61 | 130 | 99,2 |
bisque | 10 | 25 | 17,7 |
senault | 40 | 212 | 120,7 |
corvette | 80 | 235 | 127,3 |
brick | 116 | 200 | 147,6 |
goélette | 50 | 80 | 52,6 |
keich | 20 | 100 | 70,0 |
chebek | 77 | 80 | 78,5 |
32Les écarts rencontrés pour la plupart des types de bâtiment – après retrait de quelques cas aberrants comme cette tartane de 2 tx ou ce bateau de 49 – démontrent la forte hétérogénéité du matériel nautique employé. Si le tonnage unitaire moyen donne une image relativement fidèle de la majorité des types rencontrés, il masque, par définition, l’évolution générale de la portée au cours de la période.
Tableau 67. – Évolution du tonnage des principaux types de bâtiments de la flotte tropézienne40.

33Les deux principaux types représentés dans la flotte tropézienne – tartane et bateau – enregistrent une très forte progression du tonnage moyen ; le doublement de la portée, effectif pour les bateaux dès le premier tiers du XVIIIe siècle, se produit au cours de la seconde moitié pour les tartanes. La progression doit être mise en liaison avec la croissance globale du trafic et la participation plus forte des tartanes aux expéditions levantines.
34Vaisseau, corvette et polacre connaissent également une nette poussée à modérer cependant dans la mesure où ces types, peu nombreux dans la première partie du siècle, ne permettent pas de proposer alors une moyenne vraiment significative. Leur présence plus fréquente après la guerre de Sept Ans résulte peut-être de progrès dans la construction navale mais répond surtout aux besoins suscités par l’extension de l’espace commercial et les transformations des échanges. L’apparition, au même moment dans ce niveau supérieur de tonnage, des brigantins, bombardes et senaults est liée à ces mêmes changements. Seuls les pinques et les barques, largement présents dans la flotte tout au long du siècle – avec un effacement progressif des pinques – montrent une réelle stabilité. Ces bâtiments, d’une portée d’environ 80 à 100 tx, conviennent davantage aux facultés des armateurs de la place et plus encore à la situation du marché levantin – fret disponible, demandes des affréteurs, rapidité. Ainsi que le conseille ce correspondant averti établi à Smyrne : « Pour avis, il faut [pour les Échelles] des petits bâtiments de 1000 à 1200 charges [120 à 150 tx]41. » N’est-ce pas affirmer de la sorte l’existence de seuils de rentabilité pour les bâtiments expédiés dans les eaux ottomanes ? Le navire est d’abord adapté au marché qu’il dessert. En effet, les gros bâtiments induisent des coûts de fonctionnement plus élevés – équipage, avitaillement, taxes diverses –, conviennent pour d’imposantes cargaisons, exigent de longs temps à quai pour les chargements et déchargements, se montrent plus lents et plus vulnérables en mer. Ceux rencontrés dans le dernier quart du siècle, lors de la forte expansion du trafic, ne répondent pas exactement aux mêmes usages que les tartanes et les barques : les premiers sont surtout affectés aux voyages en droiture, les seconds au cabotage dans les eaux ottomanes.
Équipage
35La mise en œuvre de cette flotte exige un personnel nombreux et qualifié, placé sous le contrôle du commissaire des classes. Les équipages forment un groupe hétérogène, souvent mal connu, qui recouvre une variété de fonctions que l’on ne retrouve pas systématiquement sur tous les bâtiments42.
36L’état-major peut se composer de trois ou quatre personnes : le capitaine, son second, un écrivain et parfois un maître-chirurgien dont la besogne ne se limite pas aux seuls soins de l’équipage. À ce noyau, s’adjoignent parfois un lieutenant et un subrécargue, représentant les chargeurs du bâtiment. Intermédiaire entre le commandement et les hommes de bord, le maître d’équipage dirige les marins, épaulé parfois par un contremaître ou nocher. Sous leurs directives travaillent, sur les bâtiments les plus importants, des matelots qualifiés tels le maître de chaloupe – assurant les contacts avec la terre ou les embarcations croisées en mer –, le calfat, le charpentier, le cuisinier et le dépensier ou préposé aux vivres. Lors des périodes d’insécurité, les bâtiments sont munis de canons dont l’usage ne paraît pas être confié à un canonnier désigné ; un officier marinier de bord, sinon le capitaine – comme le fit Barthélemy Pérou à Alexandrie en 1777 –, assume ce rôle, au besoin, sans que cette qualification soit expressément mentionnée sur les rôles d’équipage.
37Les matelots constituent la catégorie la plus nombreuse : sur eux reposent les opérations de manœuvres, de gréement et d’entretien du bord ; aux escales, ils aident aux chargements et déchargements des marchandises. Novices et mousses complètent ces équipages ; sans tâches spécialisées, ils apprennent, sur le tas, le métier de la mer, observant, écoutant et participant aux différents temps de la navigation.
38Parmi ces hommes d’équipage figure parfois un « volontaire ». La fonction, sur les vaisseaux du Roi, est réservée aux « fils de gentilshommes, aux jeunes gens de bonne famille se destinant à commander les bâtiments des particuliers43 ». Il s’agit ici de fils de propriétaires, de marchands ou de capitaines qui surveillent la conduite des opérations commerciales ou se préparent à l’examen de capitaine au long cours – après quatre ans de navigation dont deux sur les vaisseaux du Roi, avec une réception dès l’âge de 23 ans au lieu des 25 officiels.
39Cette composition – toute théorique – diffère selon les types de bâtiments et les activités pratiquées. Sur les bâtiments qui se livrent au petit cabotage, d’une portée en général inférieure à 50 tx, l’équipage type se limite à un patron assisté d’un second, avec deux ou trois matelots, un novice et/ou un mousse. La variété est plus grande sur les plus gros porteurs à destination du Levant, sans pour autant présenter toutes les catégories évoquées.
40Qu’ils soient expédiés au petit cabotage ou au voyage lointain, les bâtiments comptent un nombre de marins en diminution au fil du siècle.
Tableau 68. – Évolution de la taille moyenne des équipages selon le type de tonnage pour des bâtiments expédiés en Levant, Barbarie et Italie du Sud44.

Bâtiments de 20 à 59 tx (tartanes surtout, pinques).

Bâtiments de 60 à 89 tx.

Bâtiments de 90 à 150 tx.
Tableau 69. – Évolution de la taille moyenne des équipages selon le type de tonnage pour la navigation à court rayon (Rivière de Gênes/côte)45.

41La compression du personnel de bord est plus sensible sur les plus gros bâtiments : 45 % à 40 % de marins en moins sur les embarcations qui jaugent entre 60 et 150 tx allant au Levant et en Barbarie. La réduction est de l’ordre de 27 à 31 % pour les bâtiments inférieurs à 50 tx destinés au Levant ou au trafic de proximité. Cette réduction des effectifs atteint principalement les officiers mariniers et non mariniers. Le même individu occupe alors plusieurs postes : dépensier et cuisinier ou écrivain ; écrivain et second ou chirurgien ; contremaître et maître de chaloupe. Le nombre de matelots connaît également un recul sur toutes ces catégories, particulièrement sur les gros bâtiments, tout comme les mousses. La formation des jeunes garçons s’effectue avant tout au petit cabotage. La diminution globale du personnel entraîne automatiquement celle du nombre de mousses embarqués qui, théoriquement, doit être proportionnel à la taille de l’équipage – un mousse pour dix hommes d’équipage selon les ordonnances royales.
42Le coefficient obtenu en rapprochant la portée des bâtiments du nombre d’hommes embarqués (tonneaux/homme) montre, pour tous les types de bâtiments et dans tous les espaces fréquentés, un gain de productivité comparable à celui observé dans d’autres espaces46.
Tableau 70. – Rapport tonneaux/homme selon le type de bâtiment et le secteur d’activité47.

43Ce choix répond à la volonté de réduire les coûts d’exploitation du navire afin d’accroître les profits et faire face à la concurrence, principalement dans les eaux levantines ; il n’est pas étranger à l’adoption de nouveaux types de bâtiments dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le type de gréement de ces nouveaux modèles, moins exigeants en main-d’œuvre eu égard le tonnage, favorise assurément un gain de productivité. A contrario les progrès moins sensibles sur les barques résident peut-être dans un besoin plus grand en hommes pour maîtriser un gréement plus complexe. Là se situe probablement la raison de la disparition des pinques, au profit des polacres et brigantins, de plus forts tonnages, moins exigeants en hommes et mieux adaptés au marché levantin où s’affirme une rude concurrence dans la seconde moitié du siècle.
Origine et destin de la flotte
Origines de la flotte tropézienne
44Une soixantaine de chantiers navals, échelonnés entre Agde et Naples, fournissent des bâtiments à Saint-Tropez, bâtiments neufs ou d’occasion, provenant parfois de prises – d’où ces quelques unités construites dans des chantiers de la mer du Nord. Cependant, pour près de 45 % (530 sur 1 259), l’origine est méconnue car mentionnée ni à l’amirauté, ni sur les registres matricules. Il s’agit souvent, il est vrai, de petites embarcations, probablement issues en grande part des chantiers tropéziens qui livrent, en nombre et plus encore en tonnage, la majorité de l’outillage nautique nécessaire. En un siècle, les chantiers navals de Saint-Tropez ont livré à la flotte locale près de mille bâtiments d’un port total de 45 000 tonneaux. Ces livraisons n’ont cependant pas pu faire face au renouvellement des bâtiments et l’appel aux marchés extérieurs – du neuf comme de l’occasion – a été indispensable tout au long du XVIIIe siècle pour répondre aux besoins de l’armement.
Tableau 71. – Origines connues des constructions de la flotte marchande de Saint-Tropez48.
Lieux de construction | % du tonnage construit |
Saint-Tropez | 51,9 % |
La Seyne/Sanary | 9,7 % |
Martigues/Saint-Chamas | 9 % |
Toulon | 5 % |
La Ciotat | 4,8 % |
Marseille | 3,9 % |
Antibes/Cannes | 2,5 % |
Agde/Sète | 2,2 % |
Rivière de Gênes | 4,2 % |
Livourne | 2 % |
Royaume de Naples | 2,7 % |
Espagne | 0,6 % |
Divers | 1,5 % |
45Le tiers de cette flotte provient des chantiers proches de Saint-Tropez avec trois ensembles majeurs : La Seyne – Toulon – Sanary (14,7 %), Martigues – Saint-Chamas (9 %) et Marseille – La Ciotat (8,7 %). Seul le pôle La Seyne – Toulon – Sanary intervient à la fois pour des bâtiments neufs et d’occasion, les autres localités ne participent que pour cette dernière catégorie.
46À la fin du XVIIe siècle, alors que se profile l’élan commercial, de nombreux achats ont pour cadre les ports de la rivière de Gênes – huit achats de gros bâtiments de 1698 à 1702. Les chantiers de Saint-Tropez ne sont-ils pas en mesure de répondre aux nouveaux besoins de la cité ? Désirant faire construire un vaisseau de 2 000 qx (environ 80 tx) le capitaine Charles Caussemille se heurte à « la difficulté de trouver du bois […] et au peu de bons charpentiers qu’il y a sur les lieux ». Il prend la résolution d’aller à la côte d’Italie pour acheter un tel vaisseau. En une semaine l’achat est conclu « à la plage d’Oneille », avec Charles et Augustin Calsamiglia, cousins du capitaine. La carence des chantiers tropéziens n’explique peut-être pas totalement la décision de Charles Caussemille qui ne devait pas ignorer l’occasion offerte par le proche réseau familial49.
47Les prix des bâtiments demeurent difficiles à établir faute de pièces comptables sûres et précises. Quelques devis ne sauraient donner une idée exacte du montant final et, les prix, parfois mentionnés sur les registres matricules, ne stipulent pas si l’équipement est pris ou non en considération. Quelques exemples donnent des ordres de grandeur.
Tableau 72. – Prix de bâtiments de la flotte de Saint-Tropez50.

48Pour le marché de l’occasion, les écarts considérables de prix se justifient à la fois par l’âge des bâtiments – souvent signalé – mais aussi par leur état – passé sous silence. Établir un argus à partir de ces données reste périlleux. La part du marché de l’occasion, plus grande au début du XVIIIe siècle qu’à la fin, porte sur tous les types de bâtiments. Toutefois, la flotte de Saint-Tropez est relativement neuve dans la mesure où les bâtiments neufs en composent plus de la moitié et les deux tiers ont cinq ans ou moins au moment de leur inscription.
Tableau 73. – Âge moyen des bâtiments de Saint-Tropez au moment de leur attachement51.
âge des bâtiments | % de la flotte |
1 an et moins | 55,3 % |
2 à 5 ans | 11,9 % |
6 à 10 ans | 13,5 % |
11 à 20 ans | 15,9 % |
+ de 20 ans | 3,4 % |
Construction navale à Saint-Tropez
49En l’absence d’archives de « constructeurs de bâtiments de mer » ou « maîtres-charpentiers » il est difficile d’atteindre la construction navale tropézienne. Nombre d’entrepreneurs apparaissent au fil de notre documentation, particulièrement parmi les actes notariés, sans pouvoir dépasser une simple identité : les frères Joseph et Jean Joseph Sevoule, Vincent Talon, Jean Pierre Becassy, Pierre Bonnaud, Jean Baptiste Roubaud, Jean Joseph Brun, Claude Berthole. Des liens familiaux les unissent aux maîtres-constructeurs de localités voisines : les Sevoule de Saint-Tropez aux Sevoule de Cannes ; Pierre Bonnaud, de Saint-Tropez avec les frères Barthélemy, Gaspard, Étienne Bonnaud de Fréjus. Des contacts sont également attestés avec les constructeurs de chantiers plus lointains : les Daniel, de La Seyne ou les Fassy, de La Ciotat.
50Le relatif silence des chantiers de Saint-Tropez contraste avec la réputation des navires fabriqués. Du rapport adressé à Colbert en 1665 aux observations laissées par diverses personnalités au début du XIXe siècle – le préfet Fauchet ou Louis Garneray – le constat ne varie guère : « Les navires construits à Saint-Tropez sont renommés par leur durée et leur bonne qualité à la mer ; ils occupent un assez grand nombre d’ouvriers pour leur construction52. »
51La construction navale ne se limite pas, en effet, aux seuls « maîtres d’ache ». Pour assurer les constructions, les réparations et les radoubs interviennent les représentants de divers corps de métier : scieurs de bois, charpentiers, calfats, voiliers, poulieurs, pégouliers ou péguiers. Ces derniers doivent d’ailleurs recevoir « privilège de tirer et faire de la poix de pinèdes à condition de ne pas couper de bois vifs » ainsi que le précise la permission accordée par Joseph Martin, bourgeois, procureur général de Jean Baptiste de Suffren, à deux péguiers de Claviers, qui devront verser 99 livres pour « pouvoir pendant un an cuire de la poix et faire une cabane pour logement dans la forêt de la Molle53 ».
52Les chantiers navals de Saint-Tropez disposent à proximité de matières premières car « au centre de forêts qui couvrent la côte depuis Hyères jusqu’à la Napoule54 ». Toutefois il est excessif de prétendre comme le firent les représentants de Saint-Tropez à l’adresse de Colbert en 1665 que « les bois de haute futaye y sont de toute abondance ». Il est vrai qu’ils désiraient que leur port soit choisi par « S. M. pour la construction ou le séjour de quelques navires ou galères de son armée » afin de redonner vigueur à la cité engourdie. Il n’en demeure pas moins vrai, ultime argument des Tropéziens, que « le voisinage de l’État de Savoye et de Gênes fournit les chanvres pour les cordages, les étofes étoupes de calfat et le fer à meilleur compte en ce lieu qu’aux autres qui sont plus avant dans la province ».
53Lors de la commande pour la construction d’un bâtiment, le futur capitaine passe en son nom, et parfois aux noms d’autres intéressés, un accord avec un maître-constructeur. Cet acte, enregistré devant notaire ou passé sous seing privé, prévoit le type de construction, les dimensions, le temps de réalisation, le prix, le mode de paiement et les matériaux. Le maître-constructeur apporte rarement les matériaux et autres petites fournitures. Il demande d’une manière générale « qu’il soit obligé de rien fournir que ses mains55 ». Le client avance le nécessaire à la construction souhaitée, puisant dans ses pinèdes, dans celles de ses associés ou achetant le bois. En guise de paiement, le marchand de bois peut demander ainsi que le fait le négociant Pierre Abbé de Sainte-Maxime, à prendre un intérêt, pour tout ou partie de la somme due, sur le bâtiment à construire56.
54Lorsque le patron Marc-Antoine Demore s’adresse, en 1749, au maître-constructeur Vincent Talon, pour construire un « bateau de négoce », le contrat précise que le bateau « aura 37 pans de long d’un capian57 à l’autre et de l’hauteur et largeur convenable et proportionnée ». De telles indications suffisent, à ces hommes de la mer, pour déterminer le modèle à construire58. Le patron Demore « fournit tout le bois nécessaire savoir : la quille, les ossements ou membres (bois de chaine blanc) et les bordages (pin et pin pinier), ainsi que les cloux, étouppe et poix. Le terme de la mise à la mer est fixé à 3 mois à partir de ce jour, pour un prix de trois cens trente livres versées cens vingt à la commande, cens dix dans un mois et cens à la livraison59 ». En cas de nombreuses commandes et de possibles retards, le constructeur s’engage à « faire travailler avec lui deux autres maîtres-charpentiers, donnant ainsi toutes les fois qu’il sera permis quelques journées à d’autres patrons ».
55Les types de bâtiments construits à Saint-Tropez sont en parfaite concordance avec la composition de la flotte et son évolution.
Tableau 74. – Chantier naval de Saint-Tropez : types de bâtiments construits60.

56Aux quatre modèles mis à la mer en 1700 s’opposent les onze types de 1775 ; si les nombres de bâtiments construits sont proches (14 et 17), le tonnage livré est quatre fois plus important en 1775 qu’au début du siècle (800 tonneaux contre 200 environ). Les constructeurs s’adaptent rapidement aux demandes, adoptent des modèles venus d’ailleurs et diversifient leur production. L’exemple des brigantins est particulièrement significatif. Sur les dix-neuf brigantins, attachés à un moment ou à un autre à Saint-Tropez, dix ont été construits par les chantiers navals de la cité ; mais toutes ces constructions se placent après les achats des neuf brigantins effectués hors de Saint-Tropez, entre 1762 et 1783. Ces bâtiments d’occasion ont assurément servi de modèle aux maîtres-constructeurs tropéziens.
57Darluc, tout comme Chardon, commissaire départi de la marine en tournée d’inspection en 1785, ne dissimulent pas leur étonnement devant l’activité des chantiers tropéziens : « En ce moment, note ce dernier, dans son rapport, il y a 7 navires sur le chantier, dont deux d’un port de 200 à 250 tx. » En vérité, seule une partie de la production de chantiers navals peut être saisie, à savoir celle qui se trouve directement destinée à la flotte locale. En effet, ainsi que le rappelle la Statistique morale du département du Var, au début du XIXe siècle, « indépendamment de ceux qui étaient commandés, des spéculateurs à La Seyne et à Saint-Tropez, faisaient construire des bâtiments de 500 tx et au-dessous pour les vendre à Marseille, en Italie et dans les différents ports du département […]. Mais cette industrie n’a plus lieu depuis nos guerres maritimes61 ». De 1783 à 1792, onze navires de plus de 200 tx furent ainsi construits pour Marseille62. Ces bâtiments livrés à une clientèle extérieure et les spéculations associées exigeraient une recherche dans tous les ports de Provence et Languedoc.
58L’enquête du duc de Castries, lancée en 1786 avec le commissaire général aux classes Poujet comme cheville ouvrière, donne une idée de la vitalité des chantiers navals du Royaume, de la fin de la guerre de Sept Ans à la veille de la Révolution63. Pour la Provence, les résultats sont les suivants :
Tableau 75. – Constructions navales en Provence (1762-1787)64.

59Une confrontation de ces données avec celles consignées dans les registres matricules devrait, par la différence dégagée, laisser entrevoir la part livrée hors de Saint-Tropez. Mais ce rapprochement, loin d’apporter la réponse attendue, pose problème car les registres matricules indiquent, à destination de Saint-Tropez seulement, la construction de 218 bâtiments représentant 15 035 tx durant la période considérée. La réponse adressée par certaines amirautés – et non par le service des classes – aux bureaux versaillais ne s’est pas faite avec le sérieux attendu65.
60L’irrégularité des constructions et les délais de livraison donnent une allure très heurtée à cette courbe mettant en lumière les temps morts et les brutales poussées d’activités induites par la demande locale.
61Les moyennes mobiles décennales atténuent quelque peu les secousses et rappellent, en forçant un peu le trait, les grandes tendances de l’activité maritime, à commencer par le renouveau de la fin du XVIIe siècle.
62Les « quinze glorieuses » des lendemains de la guerre de Sept Ans ont également eu de larges répercussions pour les travailleurs des chantiers navals. « Plus la population est excessive à Saint-Tropez, plus le nombre de bâtiments à construire est considérable » note ce magistrat de la cité, vers 177866. Cette affirmation ne se vérifie pourtant pas car l’accroissement démographique du dernier tiers du siècle est en discordance avec le reflux observé après la guerre d’Amérique. Le fléchissement résulte de la conjugaison de deux phénomènes : d’une part, une plus grande rotation des bâtiments en service ne nécessite pas de plus fortes constructions, d’autre part les bâtiments perdus ne sont plus systématiquement remplacés.
Graphique 18. – Construction navale à Saint-Tropez (tonnages annuels)67.

Graphique 19. – Tonnage livré à la flotte de Saint-Tropez (moyennes mobiles)68.

Destin de la flotte
63La durée moyenne de vie d’un bâtiment au sein de la flotte tropézienne (14 ans) présente de profondes différences d’une unité à l’autre : une dizaine disparaît après moins d’un an de service alors que trente quatre naviguent pendant plus de trente cinq ans. Sur l’ensemble du XVIIIe siècle la moitié des bâtiments, quels qu’en soient le type et le motif, est radiée des cadres avant quinze ans.
Tableau 76. – Âges des bâtiments au moment de leur radiation des registres matricules69.
âge des bâtiments | % de la flotte |
5 ans et moins | 16,5 % |
6 à 10 ans | 19,8 % |
11 à 15 ans | 14,4 % |
16 à 20 ans | 14,5 % |
21 à 25 ans | 12,5 % |
26 à 30 ans | 8,3 % |
+ de 30 ans | 13,8 % |
64Ces radiations accompagnent surtout les grands conflits du siècle, particulièrement la guerre d’Amérique et les guerres de la Révolution et de l’Empire.
Graphique 20. – Radiation de bâtiments de la flotte de Saint-Tropez70.

65Les effets directs des guerres, par les prises de bâtiments, provoquent moins de 15 % de la radiation du tonnage, mais leurs conséquences indirectes apparaissent tout aussi fortes avec la vente, aux Ottomans, de bâtiments bloqués au Levant par la menace corsaire.
Tableau 77. – Destin des bâtiments de la flotte de Saint-Tropez71.

66Hormis la Provence où se situent « naturellement » 69,7 % des démolitions et 56,6 % des ventes, l’espace levantin constitue le principal cimetière de la flotte tropézienne dans la mesure où près de 30 % de sa capacité de transport s’y trouve perdue et ce dans des conditions tragiques pour les trois quarts des bâtiments (naufrages et prises).
Tableau 78. – Principales localisations du destin des bâtiments marchands de Saint-Tropez (en % tx)72.
Destin | Levant | Provence | Italie |
naufragé | 49,9 % | 12,4 % | 12,9 % |
pris | 31,1 % | 14,9 % | 11,7 % |
vendu | 30,3 % | 56,6 % | 10,8 % |
démoli | 18,9 % | 69,7 % | 6,9 % |
67Cette géographie des pertes est le reflet de celle du trafic. Il n’est donc guère surprenant que le domaine liguro-tyrrhénien, de la Provence orientale à l’Italie du sud, fréquenté par les caboteurs et les bâtiments faisant route vers le Levant et la Barbarie, soit le second espace de disparition, non loin des rivages comme constaté en d’autres temps et lieux73.
Entre les mains des hommes et sous la protection des cieux ?
Quirataires de la flotte tropézienne
« Il est certain qu’il n’y a point de possédant de biens à Saint-Tropez qui n’ait un certain intérêt sur les bâtiments de mer du pays. Il est certain que plusieurs habitants y en ont de très considérable et quelques-uns même leur fortune entière74. »
68Ayant pour objectif de démontrer l’utilité d’une taille imposée sur tous les bâtiments de mer, ce constat est sans doute un peu excessif. Il a néanmoins le mérite de souligner la place de la flotte dans les préoccupations des possédants. La prise de participation à « l’économie des transports » passe en premier lieu par le contrôle de l’outillage nautique.
69Si le bâtiment peut être la propriété d’un seul individu, il est, d’une manière générale, possédé par plusieurs intéressés ou participes. Aux XVIe et XVIIe siècles, les bâtiments sont divisés en tiers, quarts, sixièmes, plus rarement douzièmes. Sur le vaisseau Saincte Catherine Bonne Venture, « la moytié est a patron George Nabon du présent lieu de Sainct-Troppès, ung tiers de l’autre moytié au patron Jehan Couquet et les autres deux-tiers de lad. moytié sont a Sr Jehan Calvin dud. lieu75 ». Ce système, que l’on rencontre en Provence comme en Languedoc, disparaît à l’extrême fin du XVIIe à Saint-Tropez pour laisser place à un découpage en vingt-quatre parts ou quirats (carats ou quairats ou kirats). L’accroissement des tonnages des bâtiments, donc des prix d’achat et des coûts d’entretien, conduit à créer des parts plus nombreuses et d’un montant plus faible, ainsi que déjà pratiqué en Italie76.
70Au moment de la construction d’un bâtiment ou de l’achat d’une embarcation d’occasion, le capitaine, à la recherche de capitaux pour assurer le financement de l’opération, propose des prises de participations. L’offre s’adresse naturellement à ses proches et, lorsque ce ne sont pas les mêmes, aux personnes avec lesquelles il a peut-être déjà travaillé. Dans cette recherche, le notaire joue un rôle d’intermédiaire de premier plan, tout comme certains officiers de l’amirauté – les Martin de Roquebrune, les Laudon ou Ganteaume. Il est vrai que nombre de notaires appartiennent à la même parentèle ou sphère sociale que certains capitaines (au moins onze sur les dix-huit en charge durant la période étudiée)77.
71Dans d’autres cas, des participes, ayant déjà eu ou non l’occasion de composer une société, compagnie ou colonne, réunissent les capitaux nécessaires à l’acquisition d’un bâtiment. En 1763, Jean Arnaud (2 quirats), Marcel Arnaud (3 q), Joseph Martin (6 q), Madeleine Martin veuve Antoine Guirard, négociant de Saint-Tropez (1 q) et le capitaine Charles Tropez Arnaud (12 q) ont acheté, en société, le keich Saint Esprit qu’ils confient à ce dernier pour aller en Levant78.
72Durant la période de vie des bâtiments les propriétaires de quirats, ou quirataires, peuvent se dessaisir de leurs parts provoquant un renouvellement partiel ou massif de la propriété du navire et de la société originelle. Le prix du quirat est fonction de la valeur du bâtiment à la construction ou de sa valeur vénale s’il est déjà ancien. Les prix s’échelonnent de 30 à 500 livres-tournois, voire 700 en de rares cas. Le quirataire court les « risques, périls et fortunes de mer ». Il reçoit, à chaque retour de voyage, une part des profits ou des pertes au prorata du nombre de quirats possédés. Chaque quirataire doit, par ailleurs, participer aux frais d’entretien du bâtiment – radoub, réparations diverses – et à son avitaillement avant chaque campagne, en fonction de son intéressement à la propriété.
73L’identification des quirataires de la flotte tropézienne est permise grâce aux déclarations de participes transmises au siège de l’amirauté, ou enregistrées devant notaire, ou inscrites sur les registres matricules des navires. Cependant, afin de ne pas mettre sur un même pied d’égalité le quirat possédé sur un brigantin de plus de 120 tx avec le quirat d’un bateau de moins de 10 tx, il m’a paru nécessaire d’établir une unité d’équivalence79. Enfin, pour ne pas être gêné par les divers changements de quirataires au fil des années, les calculs ont été établis pour les années correspondant aux ouvertures des registres matricules, qui sont des moments de mises à jour des inscriptions. Dans ces conditions on peut approcher au mieux la « domiciliation du capital ».
Tableau 79. – Répartition géographique de la propriété de la flotte marchande de Saint-Tropez en pourcentage de quirats-équivalent tonneaux80.

74Les Tropéziens possèdent 73 à 80 % de leur flotte. Les localités inscrites dans le quartier maritime demeurent très peu représentées dans cette propriété, tout comme celles de l’aire toulonnaise. Le capital marseillais constitue le seul élément extérieur de quelque importance, comparable à ce qui peut être mesuré à Martigues (10 à 12 %) mais inférieur à la situation de ports comme Cannes et Antibes (5 à 7 %)81.
75Le développement des activités maritimes se perçoit à travers l’ouverture du capital de la flotte aux intérêts extérieurs, si modestes soient-ils. Plus d’une trentaine de localités sont impliquées en 1788, contre moins de dix en 1720 tandis que la perte de dynamisme du début du XIXe siècle se traduit par un repli de la propriété – 86,6 % pour Saint-Tropez et la presqu’île – et un désengagement de Marseille.
76Concentrée géographiquement, la propriété de la flotte se trouve également rassemblée entre quelques catégories socioprofessionnelles toujours délicates à déterminer.
Tableau 80. – Répartition socioprofessionnelle de la propriété de la flotte marchande de Saint-Tropez82.
Catégories | % quirat-équiv tx |
capitaine | 45,7 % |
négociant | 23,7 % |
bourgeois, officier | 17,7 % |
marchand | 3,7 % |
artisan | 3,5 % |
pêcheur | 0,3 % |
clerc | 0,3 % |
matelot | 0,2 % |
noble | 0,2 % |
paysan | 0,2 % |
militaire | 0,1 % |
? | 4,4 % |
total | 100 % |
77Les capitaines et anciens capitaines possèdent près de la moitié de la flotte locale. Une telle proportion n’a pas fléchi, à l’inverse de ce qui a pu être constaté en d’autres ports de taille moyenne83. Bourgeois, officiers de l’amirauté, négociants et marchands possèdent ensemble une part presque égale à celle des capitaines.
78Dans ce groupe se rencontrent, au fil d’inventaires après décès, de testaments ou d’accords successoraux, quelques gros participes. De 1738 à 1776 le bourgeois Jean-François Martin a investi plus de 30 600 l.-t. en quirats sur des bâtiments tropéziens. Lors de son décès, en 1734, François Laborel, trésorier des Invalides à l’amirauté de Saint-Tropez, participe pour 62 quirats sur 24 bâtiments, soit une somme de 8 250 l.-t.84. La participation sur les bâtiments de mer représente près de 20 % de l’avoir du bourgeois Pierre Laudon en 1711.
79Le terme de négociant qualifiant les propriétaires du quart environ de la flotte ne saurait cependant renvoyer à la définition utilisée dans les grandes places85. La nature des affaires brassées, l’étendue des horizons, la force des réseaux, l’importance des spéculations et l’ampleur des facultés qui les soutiennent situent les hommes de places comme Marseille à un tout autre niveau que celui occupé par les négociants de Saint-Tropez.
80Néanmoins les activités de ces derniers, vu à travers le prisme notarial, se distinguent de celles des bourgeois et plus encore des marchands, par leur diversité, leurs plus larges horizons et l’intérêt précisément porté aux choses de la mer. La prise de participation à la propriété d’un navire permet de contrôler en partie un outil de « négoce », un support pour des opérations commerciales proches ou plus lointaines86. Au début du XVIIIe siècle, ils sont très étroitement associés, sinon confondus avec les « patrons de négoce » auxquels les attachent souvent des liens familiaux87.
81Au vrai, les bâtiments sont fréquemment des entreprises familiales. Le cas signalé du keich Saint Esprit, aux mains des familles Arnaud et Martin, n’est pas isolé. En 1786, parmi les quirataires de la tartane Saint Roch, à côté du capitaine Antoine Roch Masclet, se trouvent Joseph Masclet, le père (cordonnier), Jean Joseph Masclet, le fils (charpentier), Jacques Masclet, fils (profession non indiquée), François Masclet, (négociant) ainsi que de Jacques Lombard (marchand, de Draguignan) et le capitaine tropézien Jean-Louis Moissac. Des liens de parenté ne sont pas à exclure entre les Masclet et ces derniers. Le bourgeois Jean Martin achète des quirats sur les bâtiments de ses deux neveux, Jacques Guirard et Jean Joseph Caussemille, et engage son entourage à l’imiter. Des reconstitutions de familles permettraient de dégager des réseaux et de décrypter la composition de ce milieu entrepreneurial.
82Pères, fils, frères, souvent associés accueillent neveux, beaux-frères et gendres. Par voie testamentaire les capitaines lèguent leurs quirats à leurs héritiers – le plus souvent en parts égales – mais il n’est pas rare également de voir des quirats circuler au sein des dots des filles de capitaines. Le capitaine Moisson donne six quirats – évalués à 600 livres – des douze qu’il possède sur le pinque Saint Félix qu’il commande, à sa fille Madeleine lors du mariage de celle-ci avec le capitaine Jean Charles Cauvin – pour une dot d’un montant global de 1 500 livres-tournois88. Ainsi en est-il de ce « tissu social pratiquement inusable où, sans fin, s’entrecroisent la chaîne des pères et des beaux-pères et la trame des gendres, des beaux-frères et des neveux89 ».
83Les autres catégories socioprofessionnelles restent largement à l’écart de ces entreprises maritimes, à l’exception de quelques artisans ayant dû parfois accepter des quirats en guise de paiement : constructeurs de bâtiments, fournisseurs à la construction et au gréement ou à la réparation, cordonniers et boulangers – intéressés aux indispensables approvisionnements de la cité en « blés de mer » – ne constituent qu’une minorité de participes.
84Les membres de la noblesse et du clergé restent peu intéressés par ces choses de la mer. Le cas de messire Guillaume Hiblé, ancien bénéficiaire de l’église cathédrale de Fréjus, demeure rare. L’influence de son frère François, dit marchand puis bourgeois, qui possède en 1718, 30 quirats sur 12 bâtiments marchands, et se trouve le parrain du bourgeois Jean François Martin, n’est peut-être pas étrangère à cet intérêt du ciel pour la mer90. Nous ne retrouvons donc pas vraiment à Saint-Tropez la « curieuse synthèse sociale » croisée en Catalogne91.
85Liés par cette commune propriété, ces hommes et ces femmes (6 % de l’ensemble) confient au capitaine la tâche de faire fructifier le navire et aux cieux celle de le protéger.
Recherche de la protection céleste ?
86Avec la mise à l’eau, le bâtiment reçoit un nom qui l’identifie et le place sous une protection. La dévotion des gens de mer transparaît-elle à travers ces choix ? La question n’a pas le mérite de la nouveauté et le cas tropézien n’apporte qu’une donnée ponctuelle à partir d’un corpus de près de 1 300 noms pour un siècle et demi (1670-1820)92.
87Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, les références strictement religieuses marquent de manière écrasante (98 %) l’onomastique navale. Seulement douze références religieuses se partagent 50 % des noms de la flotte. Le taux est plus élevé en regroupant certaines dévotions : ND de Miséricorde, la Vierge de Miséricorde, l’Annonciade (provençal), l’Annonciation (français) et ND de l’Annonciation. Globalement les patronymes des saints et des saintes en composent près des deux tiers, la référence mariale concernant le reste de ces appellations – y compris en association Jésus Marie Joseph, Jésus Marie Sainte Anne.
Tableau 81. – Principaux noms des navires de la flotte marchande de Saint-Tropez (sur 1 259 bâtiments)93.
Noms | nb | % |
St-Joseph | 141 | 11,2 % |
Ste-Anne | 107 | 8,5 % |
St-Jean-Baptiste | 83 | 6,6 % |
St-Tropez/Heureux St-Tropez | 81 | 6,4 % |
St-Pierre | 61 | 4,8 % |
ND de Miséricorde/Vierge de Miséricorde | 38 | 3,0 % |
St-Jean | 34 | 2,7 % |
St-Antoine | 31 | 2,5 % |
Jésus Marie Ste-Anne | 20 | 1,6 % |
St Jacques | 19 | 1,5 % |
Jésus, Marie, Joseph/Sainte Famille | 18 | 1,5 % |
Vierge du Rosaire | 17 | 1,4 % |
St-Nicolas | 15 | 1,2 % |
St-Alexis | 14 | 1,1 % |
Annonciade/Annonciation | 14 | 1,1 % |
St-François | 13 | 1,0 % |
St-Louis | 12 | 1,0 % |
St-Esprit | 11 | 0,9 % |
Ames du Purgatoire | 10 | 0,8 % |
ND Conception | 10 | 0,8 % |
ND Bon Voyage | 8 | 0,6 % |
Ste-Barbe | 8 | 0,6 % |
Vierge de Grâce | 8 | 0,6 % |
Marie | 7 | 0,6 % |
Vierge de la Garde | 7 | 0,6 % |
Rosalie | 6 | 0,5 % |
St-Gaëtan | 6 | 0,5 % |
Ste-Croix | 6 | 0,5 % |
Rose | 5 | 0,4 % |
Ste-Claire | 5 | 0,4 % |
Ste-Marie | 5 | 0,4 % |
88Dans le choix du patronage chrétien nous distinguons différentes influences. L’écho des dévotions encouragées par la Réforme catholique est sensible, ainsi que le montre la forte présence des ND de Miséricorde, ND du Rosaire, Vierge du Rosaire, Vierge de Piété, Ames du Purgatoire, ND du Mont Carmel, ND de la Conception, Sainte Croix et surtout Saint Joseph, nom le plus porté par les flancs des navires à Saint-Tropez. Mais n’est-ce pas également, dans ce dernier cas, le patron des charpentiers et des constructeurs de bâtiments de mer qui disposait d’une chapelle depuis le milieu du XVIIe siècle ? La place de sainte Anne, que l’on perçoit aussi avec Jésus Marie Sainte Anne, reflète la dévotion des Tropéziens à la protectrice de la cité. La chapelle Sainte-Anne, à la limite de la ville et proche de celles de Saint-Joseph et de Saint-Pierre – pour les pêcheurs –, accueille les marins avant leur embarquement et recueillera, au siècle suivant, de nombreux ex-voto94. Sainte Anne jouit d’une réputation bien établie surtout dans l’ouest français. Aussi a-t-on pu poser la question du rôle des marins bretons dans la diffusion de ce culte95. C’est vers cette chapelle que se dirigent en procession les fidèles, au terme de la bravade en l’honneur de saint Tropez (18 mai).
89Le patron éponyme de la cité est largement recherché pour assurer la protection des bâtiments de mer. L’invocation du martyr pisan se retrouve certes, entre la Toscane et la Provence orientale, mais occupe ici une place exceptionnelle et originale dans la mesure où rares sont les paroisses côtières qui sont placées sous la protection d’un « saint maritime ». Par ailleurs, une telle protection constitue le « monopole » de la cité portuaire dans la mesure où les bâtiments nommés Saint Tropez sont rares hors de cette localité ; quelques-uns à Cannes, Toulon, ou Antibes pour des bâtiments il est vrai anciennement attachés à Saint-Tropez et n’ayant pas été renommés en changeant de quartier. Inversement, une influence extérieure se manifeste à Saint-Tropez : les Ames du Purgatoire et les ND de Caderot proviennent surtout de Martigues, comme les Vierge du Mont Carmel des ports de la rivière de Gênes.
90Ces noms de saints et de saintes, donnés aux bâtiments de mer, se retrouvent parmi les prénoms de la population locale, à commencer par Tropez, mais aussi Joseph, Jean-Baptiste, Anne, Pierre, François, Antoine, comme premier ou second prénom.
91Les références religieuses demeurent nombreuses au Siècle des Lumières et restent, globalement, majoritaires. Toutefois, en sélectionnant au fil du siècle les noms des nouveaux bâtiments inscrits chaque année dans la flotte – et non en procédant par coupe sur la totalité des bâtiments pour ne pas intégrer dans ce carottage des noms attribués plusieurs décennies plus tôt – un changement intéressant est perceptible. À partir de 1755-1760, les noms laïcs font une nette irruption dans l’onomastique navale alors que s’effondrent les références religieuses.
Graphique 21. – Évolution des noms des bâtiments entrant dans la flotte de Saint-Tropez96.

92Cette déprise s’inscrit dans une tendance générale, entre le XVIIe et le XIXe siècle, avec quelques décalages et variations régionales. Ainsi, la Corse voisine n’est guère sensible à ce décrochage très net à Saint-Tropez97. Les noms, qui apparaissent dans cette dernière localité, appartiennent à différents registres.
Tableau 82. – Principaux noms non-religieux des navires de la flotte marchande de Saint-Tropez98.
Noms | Nb |
Marie | 7 |
Rosalie | 6 |
Rose | 5 |
Espérance | 4 |
Fortune | 4 |
Providence | 4 |
Victoire | 4 |
Deux Amis | 3 |
Deux Frères | 3 |
Félicité | 3 |
Marianne | 3 |
Marie Anne | 3 |
Marie Fortunée | 3 |
Union | 3 |
Nom | Nb |
Ambitieuse | 2 |
Amitié | 2 |
Colombe | 2 |
Désiré | 2 |
Dragon | 2 |
Fortunée | 2 |
Françoise | 2 |
Honorine | 2 |
Marie Élisabeth | 2 |
Marie Rose | 2 |
Mignonne | 2 |
Pêcheur | 2 |
Thérèse | 2 |
93Les prénoms féminins constituent la moitié de ces nouveaux choix, comme pour placer une présence féminine dans le huis clos masculin que représente le navire en mer. La place de Marie et Marie Anne parmi ces prénoms marque une transition dans le changement qui s’opère. Noms d’animaux, fabuleux ou non – Dragon, Serpent, Belette, Hirondelle –, qualités humaines, concepts philosophiques ou maçonniques, références géographiques – Afrique, Postillon de Catalogne, Postillon des Lecques –, politiques et littéraires – Émilie, Virginie, Héloïse – composent l’éventail dans lequel les choix ont été opérés.
94Avec la période révolutionnaire des bâtiments sont purement et simplement renommés : Saint Tropez devient Héraklée – car tel est le nom révolutionnaire de la cité –, le Saint Joseph est transformé en Petit Joseph, la Marie Antoinette en Marie Elisabeth, la Comtesse de Provence en Citoyenne Honorine, la Marie Anne en Marianne – mais l’usage de Marianne est bien antérieur à 1789 –, le Saint Jean en Sans Culotte 1er. Des appellations nouvelles traduisent l’air du temps : le Républicain, la Nouvelle Constitution, la Paix (en 1802), l’Etoile de Bonaparte ou la Joséphine.
95De quelles réalités ces noms et leurs modifications sont-elles le reflet ? Comment interpréter cette laïcisation qui pointe, dès le milieu du XVIIIe siècle, sans faire disparaître les références chrétiennes ? Un regain religieux se manifeste au début du XIXe siècle, à la fois par une légère reprise des patronages chrétiens et par le rétablissement d’anciens noms : la Fauvette redevient la Volonté de Dieu, le Régalé reprend le nom de Saint Pierre, le Sans Culotte celui de Saint Jean. Néanmoins le Carnaval, la Zoé, le Petit Marius et la Sardine, s’inscrivent, à côté de bien d’autres, sur les coques des bâtiments de Saint-Tropez99.
96Le tournant, observé à partir de 1755-1760, marque-t-il un décrochage du sentiment religieux100 ? Le phénomène est moins sensible dans le petit monde de la pêche avec deux tendances : une coïncidence fréquente entre le prénom du patron et celui du bateau, et la place centrale occupée par Saint Pierre ou Saint Tropez. Quelques Saint Pierre deviennent Régalé ou Héraklée durant la période révolutionnaire, mais les précisions sont trop minces à leur sujet pour que nous puissions, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, débusquer ou non un changement significatif.
97Dans la flotte marchande, où les modifications sont autrement perceptibles, demeure la question de la responsabilité du choix du nom du bâtiment. Un attachement personnel, familial, y préside, qu’il soit religieux ou non. Si l’équipage reste à l’écart d’un tel geste, la coloration familiale de certains d’entre eux ne peut être négligée. Le capitaine, surtout si intéressé à la propriété du bâtiment, n’impose pas le nom du bâtiment, mais a une influence déterminante. Le capitaine Charles François Maille commande une corvette Amazone de 1750 à 1754. En 1754, il participe à l’achat d’un bâtiment nommé Stella Matutina dite La Diane, qui ne tarde pas à devenir La Marie dite l’Amazone, puis l’Amazone : la coque de la première a, il est vrai, servi à fabriquer la seconde. En 1775, Charles François Maille et son neveu François Donat Alliez – ex-écrivain sur la Stella – prennent part à l’achat d’un senau neuf, construit à La Seyne, confié à Alliez et appelé Jeune Amazone. De telles permanences se retrouvent pour d’autres noms et marquent le profond attachement d’un petit groupe, sinon d’un homme, à un nom, à une protection. Ce lien n’est sans doute pas étranger, au souvenir de belles navigations terminées, comme ce fut le cas avec l’Amazone, par la réalisation d’« honnêtes profits ».
98Une relation forte, discrète ou non, unit le nom du bâtiment au capitaine et/ou aux coquirataires. Roch Masclet commande la tartane Saint Roch dont il est propriétaire avec une large partie de sa parentèle. Dauphine Marianne Olivier est la plus importante quirataire du keich la Dauphine (1775). Le principal propriétaire de la tartane Saint Antoine la coullombe n’est autre que le sieur Coullomb, de Marseille (1786). Jean Joseph Colomb, ancien capitaine, possède les plus grosses parts sur le brigantin la Colombe (1787), tout comme Marianne Carpenel sur la Nouvelle Marianne (1786). Si la citoyenne Mariane Borry ne possède que 6 quirats sur le bateau Mariane (1800), les 18 autres sont au capitaine qui commande, à savoir Jean Joseph Thomas Olivier, son mari.
99De tels exemples, qui pourraient être multipliés, montrent le nom du bâtiment intimement lié sinon au seul capitaine, tout au moins au groupe socioprofessionnel intéressé à sa propriété : capitaines, marchands, « négociants », bourgeois aux liens étroits. Des relations plus personnelles, plus « terrestres » se mêlent à la protection céleste recherchée.
100Les références politiques et les concepts maçonniques ne sont pas étrangers, sinon à la totalité du monde des capitaines, tout au moins à une fraction de celui-ci. Dans la période révolutionnaire, la cité est prise en charge par ces mêmes hommes mâtinés des choses de la mer : les Martin de Roquebrune, Charles François Maille, François Donat Alliez, Caussemille et bien d’autres encore se montrent attentifs aux événements parisiens et toulonnais. Au reste, si quelques Tropéziens ont été maçons sous l’Ancien Régime – à commencer par les Suffren – aucune loge n’a travaillé dans la cité contrairement à Fréjus dont l’influence ne peut être écartée. En effet, parmi les huit maçons qui mettent en place la loge Les Amis devenus Frères, durant l’hiver 1784-1785, se trouvent des bourgeois possédant des parts de bâtiments tropéziens, ainsi que le commissaire des classes et le procureur du roi au siège de l’amirauté. Dans la loge La Parfaite Égalité, qui se substitue à la précédente, figurent parmi les sept fondateurs un négociant, un maître toilier et deux capitaines commandant des bâtiments de mer de SaintTropez (Pierre Martin, Joseph Vian). Les Tropéziens ont difficilement pu ignorer ces présences101 et méconnaître la puissante loge Saint Jean d’Écosse présente à Marseille, à forte coloration maritime et négociante102. En 1810, la loge des Amis de la Vertu s’allume à Saint-Tropez et dans le nouvel atelier, installé en mai 1812, on identifie, parmi les vingt frères, onze capitaines, anciens capitaines et intéressés à la propriété des bâtiments tropéziens de la fin du XVIIIe siècle.
101La flotte marchande attachée au port de Saint-Tropez a atteint dans la seconde moitié du XVIIIe siècle sa plus haute capacité et son plus grand nombre d’unités. Ce gonflement, signe d’une réelle vitalité, n’a pas été accompagné de véritables bouleversements, d’innovations techniques majeures. La place a su néanmoins s’adapter aux besoins du marché en empruntant et en imitant des modèles conçus ailleurs dans la mesure où ceux-ci permettaient des gains de productivité par un abaissement du nombre d’hommes d’équipage, sans sacrifier vitesse et sécurité.
102L’hétérogénéité croissante du matériel naval répond à une plus forte intensité du trafic portuaire, à la fréquentation de plus larges horizons et au pressant besoin de renouvellement d’une flotte soumise aux caprices de la mer, aux convoitises des hommes et au feu de la guerre. Des propriétaires ont préféré vendre au loin leurs bâtiments plutôt que de courir les risques de prises et de longues immobilisations. Cette décision économique marque les limites de leur hardiesse, signale leur relative fragilité et montre, en même temps, une certaine expérience des affaires maritimes. La modicité des tonnages permet une rapide reconstitution du matériel nautique, à condition de ne pas avoir subi de graves revers et surtout que ne se dissipent pas les perspectives d’armement qui animent la place et font vivre les hommes, à commencer par les gens de mer.
Notes de bas de page
1 AM Saint-Tropez. CC 15 – 1671.
2 AD V. 3E 66-8. 1749.
3 AM Saint-Tropez. CC 15 – 1671.
4 SHDM T, 4P 39-40.
5 SHDM T, 4P 39-40-41-42-133-134.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 AD V, 7B et SHDM T, 4P.
9 Selon la description de Rambert G., Histoire…, op. cit., p. 430.
10 Voir Annexe VII, p. 433.
11 SHDM T, 4P 39.
12 SHDM T, 4P 184.
13 SHDM T, 4P 39-4P 156 - 4P 180.
14 Fauchet J., op. cit., 283-284.
15 Voir Annexe VIII, p. 433.
16 Paris R., Histoire du commerce de Marseille, t. V, Le Levant (1660-1789), Paris, 1957, p. 155.
17 Encyclopédie méthodique. Marine, t. III, Paris, 1787, p. 91. Voir Annexe IX, p. 434.
18 Voir Annexe X, p. 434.
19 AD V, 11B-Saint-Tropez, 5 mai 1758.
20 Voir Annexe XI.
21 Arch. privées. Saint-Tropez Fonds Prevost-Allard. Extrait du « Journal des routtes tenues pandent le voyage sur la Polacre la Stella Matutina dite la Diane commandée par le capitaine Ch. F. Maille de Saint-Tropez, 27 mars 1754 ». Voir reproduction chapitre ix.
22 Voir Annexe XII, p. 435.
23 Ces termes sont localement synonymes ; ainsi en est-il de l’Occasion, 170 tx, qualifié de vaisseau dès sa construction en 1774 à Saint-Tropez puis de navire, cf. SHDM T 4P 40, 4P 41 et 4P 133.
24 Jal A., Glossaire nautique, Paris, 1848.
25 SHDM T, 4P 134-135.
26 AD V, 7B et SHDM T, 4P.
27 Rambert G., Histoire… op. cit., p. 430-437. Morineau M., « Jauges et méthodes de jauge anciennes et modernes », Cahier des Annales no 24, Paris, 1966. Barandon D., « La jauge des navires à Marseille au début du XVIIIe siècle », Commerce de gros, commerce de détail dans les pays méditerranéens (XVI-XIXe siècles), CMMC, Nice, 1976, p. 43-73.
28 Rambert G., Histoire… op. cit., p. 431 note 5.
29 Ibid, p. 432.
30 AD V, 7B 4 — Présentation des causes (1708-1709).
31 SHDM T, 1R 1 - Main courante de la chancellerie de France à Alexandrie (1696-1699), f° 370 et f° 382 pour ces deux cas retenus sur la quinzaine présentée.
32 SHDM T, 4P 36.
33 SHDM T, 4P 40 Saint-Tropez et 13P 6-1 Marseille.
34 SHDM T, 1R 1-2.
35 Parmi quelques cas aberrants, cette tartane Sainte Famille déclarée de 36 tx au service des classes lors de son enregistrement et de 132 moins de dix ans après, SHDM T 4P 41.
36 SHDM T 4P39 à 4P40 et AD BdR, 200E. 519-520-521. Pour l’équivalence des charges de blé en tonneaux nous avons adopté les données suivantes : 1 charge = 120 kg, une livre poids de marc = 0,4875 kg et un tonneau d’affrètement ou de jauge = 2 000 livres ; ce qui conduit à un tonneau = env. 8,1583 charges de blé.
37 AD V, 12J6. Lettre de Jean Joseph Caussemille à Jean Martin, 3 août 1723.
38 Morineau M., Jauges… op. cit., p. 118.
39 SHDM T 4P36 à 4P42 ; 4P133 à 4P135 et AD V 7B.
40 SHDM T 4P36 à 4P42 ; 4P133 à 4P135 et AD V 7B.
41 ACCIM, L IX-725 – Smyrne. J.A. Boulle, 8 septembre 1741.
42 Zysberg A. et Barré E. (dir.), L’équipage, du navire antique aux marines d’aujourd’hui, Tatihou, 2001.
43 Jal A., op. cit., art. Volontaire.
44 SHDM T, 4P.
45 Ibid.
46 Voir Le Goff T.J.A., « Offre et productivité de la main d’œuvre dans les armements français au XVIIIe siècle », Histoire, Économie et Société, 1983, no 3, p. 457-473. Les résultats proposés dans cette étude pour le Levant mériteraient d’être revus en tenant compte de la forte rotation des hommes à bord. Voir chapitre vi.
47 SHDM T, 4P.
48 Ibid.
49 AD V, 7B2. 1699 et 7B3. 1698.
50 AD V, 3E et 7B. SHDM T, 4P.
51 Ibid.
52 Garcin E., Dictionnaire… op. cit., p. 530-532. Voir Annexe 4.
53 AD V, 3E 24-142 – 1727.
54 AD V, 4S 39. Rapport sur Saint-Tropez par un ingénieur des Ponts et Chaussées, 1819.
55 AD V, 3E 24-132 – 1694.
56 AD V, 3E 24-169 – 1786.
57 Sur les bâtiments méditerranéens le capian est la partie saillante de l’étrave.
58 Sur les questions des conceptions et des constructions de navires, sur le contenu des savoir des concepteurs on pourra consulter Rieth E. (dir.) « Concevoir et construire les navires. De la trière au picoteux », Revue d’Anthropologie des connaissances, vol. XIII, no 1, 1998.
59 AD V, 3E 66-8 – 1749.
60 SHDM T 4P 36 à 41 et P 133 à 135, AD V, 7B.
61 Fauchet, Statistiques, op. cit., p. 269-270.
62 David J.-M., L’Amirauté de Provence et des mers du Levant, thèse de droit, Aix, 1942, p. 164-165.
63 Le Goff T.J.A., Meyer J., « Les constructions navales en France pendant la seconde moitié du XVIIIe siècle », Annales E.S.C., no 1, 1971, p. 173-185.
64 D’après ibid. p. 178.
65 Comme soupçonné par Le Goff T.J.A. et Meyer J., art. cit., p. 181.
66 AM Saint-Tropez. FF79. 1782.
67 SHDM T 4P 36 à 41 et P 133 à 135, AD V 7B.
68 Ibid.
69 SHDM T, 4P.
70 SHDM T, 4P et AD V, 7B.
71 Ibid.
72 Ibid.
73 Ainsi pour l’Adriatique Tenenti A., Naufrages, corsaires et assurances maritimes à Venise (1592-1609), Paris, 1959. Voir carte en Annexe XIII, p. 436.
74 AM Saint-Tropez, FF 79, 1782.
75 Arch. privées, Saint-Tropez. Fonds Prévost-Allard, 17 avril 1577.
76 Nouveau Glossaire nautique Jal, Voir article Carat.
77 À titre de comparaison : Buti G., « Notaires de la côte. Le notaire, le marin et la mer à Cassis et La Ciotat au milieu du XVIIe siècle », Audisio G. (dir.), L’historien et l’activité notariale, Toulouse, 2005, p. 145-166.
78 AD V, 3E24-162.1773.
79 Unité établie de la manière suivante : tonnage du bâtiment/24 quirats x nombre de quirats possédés = quirat-équivalent tx. Ainsi 3 quirats sur un bâtiment de 240 tx représentent 30 q-é tx, alors que 3 quirats sur un bâtiment de 48 tx correspond à 6 q-é tx.
80 SHDM T, 4P et AD V, 7B.
81 SHDM-T, 13 P 2-5 et 16P 2.
82 Ibid.
83 À Agde, la part de capitaines dans la propriété de la flotte locale, qui était de 1/3 à 1/4 à la fin du XVIIe siècle, s’amenuise au XVIIIe siècle, en même temps que croît le tonnage. Cf. Gaussent J.-C., « La flotte d’Agde et son activité de 1666 à 1720 », Annales du Midi, t. 95, 1983, p. 148.
84 AD V, 3E 24-151. 1759.
85 Carrière C., Négociants…, op. cit., p. 237-297.
86 Voir chapitres viii et x.
87 SHDM T, 4P 36/1698-1701.
88 AD V, 3E66-7. 1745.
89 Dermigny L., Cargaisons indiennes, tome I, Paris, page 47.
90 AD V, 2J 296. Papiers Hiblé.
91 Vilar P., La Catalogne dans l’Espagne moderne, 3 vol., Paris, 1962, t. 3, p. 189.
92 Cabantous A., Le ciel dans la mer. Christianisme et civilisation maritime (XVI-XIXe siècle), Paris, 1990, p. 123-171. Batteau C., Des noms de bateaux. Navires francisés ou attachés au port de Marseille entre 1793 et 1874, Mémoire de maîtrise, U. de Provence, 1990.
93 SHDM T, 4P et AD V, 7B.
94 Cousin B., op. cit., p. 131-136. Voir Annexe XIV.
95 Cabantous A., Le ciel…, op. cit., p. 144.
96 SHDM T, 4P et AD V, 7B.
97 Bénac S., Mentalité et milieu social des gens de mer du Cap Corse, thèse 3e cycle, Paris1, 1979, p. 260-275.
98 SHDM T, 4P et AD V, 7B.
99 Pour toute cette étude on se reportera aux registres matricules des bâtiments de commerce de Saint-Tropez. SHDM T 4P 36 à 4P 135.
100 L’analyse, en cours, des testaments fournira une piste.
101 Hivert-Messeca Y., « Les loges fréjusienne et tropézienne sous l’Ancien Régime et l’Empire », Annales du Sud-Est varois, t. XVI, 1991, p. 47-54.
102 Beaurepaire P.-Y., « Saint Jean d’Écosse de Marseille, une puissance maçonnique méditerranéenne », Les cahiers de la Méditerranée, no 72, juin 2006, p. 61-95.
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