Chapitre IV. La part des hommes « de Saint-Tropez et autres lieux »
p. 151-194
Texte intégral
1Au terme de son séjour à Saint-Tropez, à la fin du XVIIIe siècle, Michel Darluc, homme des Lumières, ne se montre pas indifférent à la situation démographique et à quelques-unes de ses composantes :
« Cette ville contient environ 4 000 habitants. La population y augmente tous les jours par le commerce, l’aisance, les pêches et l’abord des étrangers1. »
2D’une manière concise sont ainsi formulées les principales réponses aux interrogations relatives à la situation du petit port provençal : nombre d’habitants, évolution de la population et facteurs de croissance. Peut-on mieux attester la symbiose entre la vie de la cité et le dynamisme de ses activités maritimes ? Il est vrai que l’observation se situe au terme du « temps de la gloire ».
3Observe-t-on alors, inscrite dans la longue durée, une corrélation entre le développement des affaires portuaires et l’orientation majeure du mouvement de la population ? L’évolution est-elle en phase avec les temps forts de la conjoncture ?
4La croissance de la flotte marchande, et par là la demande en hommes d’équipage, mais aussi les besoins des chantiers navals et surtout l’indispensable renouvellement des gens de mer à la vie si fragile, présentent une dimension démographique fondamentale, imposent un constant brassage humain. Quelles réponses la place, isolée aux pieds du massif des Maures, a-t-elle apportées à ces impératifs ?
La population tropézienne : une pesée globale
5Chiffrer la population des villes – grandes ou petites – de la modernité soulève nombre de difficultés et se heurte à bien des incertitudes. Saint-Tropez n’échappe pas à la règle de cette banale réalité. Aucune source directe, aucun véritable recensement n’autorise à proposer de manière sûre des chiffres de population pour le dernier siècle de l’Ancien Régime.
Évolution générale de la population au XVIIIe siècle
6Quelques dénombrements, estimations et enquêtes permettent, en dépit d’une fiabilité parfois toute relative, une première approche de l’évolution de la population que la consultation des registres paroissiaux peut préciser.
7Allant du mieux connu vers le méconnu, les données fournies par les opérations réalisées au moment de la création du département, en janvier 1790, attribuent à la cité 3 629 habitants2. Le recensement de l’an VIII utilisé par le préfet Fauchet n’accorde plus qu’une population de 3 156 personnes, et 3 342 en 1809. En 1819, avec 3 319 habitants selon l’Annuaire du département du Var, Saint-Tropez n’a toujours pas retrouvé le niveau atteint au moment de la Révolution, niveau dépassé seulement en 1835 avec 3 736 habitants3.
8Un quart de siècle avant la Révolution l’abbé Jean Joseph Expilly fournit dans son Dictionnaire… des Gaules et de la France un état de la population au lendemain de la guerre de Sept Ans. Réalisé grâce à la collaboration des vigueries et de relais locaux, le dénombrement, effectué en trois ou quatre ans et réuni en 1765, paraît assez fiable pour la Provence contrairement à d’autres provinces4. Les résultats de l’enquête, dont la trace se retrouve dans les archives municipales de Saint-Tropez5, donnent une population de 2 879 habitants, y compris 68 soldats mais auxquels il faut ajouter, selon la classification de l’abbé, les « étrangers Provençaux » (32) et « non Provençaux » (18), soit au global 2 929 habitants.
9Plus en amont encore un « dénombrement de Provence » a été réalisé au début du XVIIIe siècle dans des conditions qui nous échappent. Inséré dans les papiers de l’Intendant Le Bret cet « Estat du nombre des familles et des personnes de chaque lieu de Provence et de la qualité des fruits qui s’y recueillent » en 1716 – en fait établi entre 1695 et 1716 – indique, sans les étrangers semble-t-il cette fois, 437 familles et 2152 habitants6.
10Quelques indications éparses et inégales glissées à diverses occasions au fil du XVIIIe siècle apportent des points d’appui supplémentaires. Selon les termes d’un Mémoire sur la situation actuelle de la communauté de Saint-Tropez, rédigé pour l’Intendant par les autorités municipales en 1745-1750, la ville comptait alors « mille huit cents âmes de communion7 ». À quelle population correspond cette évaluation ? Lors d’un débat, en 1776, au sujet de la reconstruction de l’église paroissiale, cette notion de « communiants » est accompagnée d’utiles précisions :
« Le maire et les consuls font monter à environ trois mille le nombre des habitants en y comprenant les douze prêtres capucins et tous les prêtres séculiers. Le dénombrement fait en mil sept cent soixante cinq en fait foy ; les enfants à la mamelle, les valets et les servantes étaient du nombre et selon ce dénombrement il n’y avait environ que mille neuf cents âmes de communion8. »
11Outre le rappel de l’opération réalisée pour l’abbé Expilly cette remarque indique qu’une « âme de communion » représente environ 1,5 personne. Avec ce coefficient, les 1 800 âmes signalées au milieu du XVIIIe siècle correspondent à environ 2 700 habitants. Par ailleurs, le nombre « rond » de 3 000 habitants avancé au moment du débat de 1776 figure également en 1782 lors du procès relatif à la taille sur les bâtiments de mer9 ainsi que sous la plume avertie de Claude-François Achard dans sa Géographie de la Provence et du Comtat Venaissin publiée en 1788 mais rédigée quelques années plus tôt, alors que Darluc, plus approximatif sur ce registre, attribue en 1786 « environ 4 000 habitants10 ».
Tableau 31. – Évolution du montant de la ferme du piquet (1716-1776)11.
années | montant du bail pour 3 années |
1716 | 19 800 livres-tournois |
1719 | 20 400 ˝ |
1731 | 23 100 ˝ |
1740 | 26 000 ˝ |
1749 | 27 800 ˝ |
1755 | 29 500 ˝ |
1764 | 30 300 ˝ |
1767 | 30 500 ˝ |
1770 | 31 300 ˝ |
1773 | 33 000 ˝ |
1776 | 33 000 ˝ |
1779 | 42 700 ˝ |
1782 | 44 100 ˝ |
1785 | 48 500 ˝ |
1788 | 59 150 ˝ |
12L’absence de documents fiscaux ou leur présence fragmentaire – on songe aux registres de la capitation – n’autorise pas à mettre à contribution ce type classique de source. Seul le montant de la ferme du piquet – sur les huiles et les farines – pourrait constituer un indicateur partiel de l’évolution de la population.
13L’élévation du montant de la ferme est à considérer avec prudence dans la mesure où, comme le rappelle le prieur-curé Jean Joseph Garcin, « les inductions qu’on prétend tirer de l’augmentation du piquet pour l’augmentation de la population ne doivent être appliquées qu’aux effets du grand commerce de cette ville : cent trente ou quarante barques prenant leurs galettes dans cette ville en sont la cause principale12 ». Le gonflement du montant de l’arrentement ne serait donc lié qu’à une demande extérieure : le prieur-curé, peu enclin pour des raisons financières à la reconstruction de l’église, vise peut-être à minimiser l’accroissement de la population, à réduire le potentiel des fidèles à abriter aux offices. Ignore-t-il que « la plus grande partie des bâtiments embarquent le pain à Sainte-Maxime et autres lieux où il n’y a point de piquet […] ce qui est préjudiciable au piquet qui gagnerait si les gens des dits bâtiments restaient dans ce lieu13 » ? Le maire Cauvin et le consul Trullet, anciens capitaines et alliés aux familles de gens de mer, qui rappellent cette pratique affirment avec de bonnes raisons que « l’augmentation de la ferme du piquet prouve à l’évidence celle de l’habitation ».
14Les divers jalons recueillis çà et là laissent entrevoir une assez forte croissance de la population tropézienne à la fin de l’Ancien Régime, dans une Provence aux situations contrastées. Avec 2 152 habitants au début du siècle et 3 629 au moment de la Révolution, la croissance se situe autour de 68 % pour l’intervalle considéré, soit environ 0,75 % par an, soit l’accroissement moyen signalé en Provence au XVIIIe siècle14. Le dynamisme du dernier siècle de l’Ancien Régime rejoint les conclusions dégagées par l’étude de la conjoncture générale et à la fin du XVIIIe siècle, la cité a atteint un plafond démographique qui reste inchangé jusqu’au début du XXe siècle15.
Graphique 14. – Évolution de la population Page 1 de Saint-Tropez (XVIIIe-XIXe siècles).

15À l’échelle de la province, Saint-Tropez demeure une petite ville, cependant, la croissance de la population au fil du siècle, bien que modeste en valeur absolue, contraste avec le recul signalé dans la majorité des cités de la Provence orientale, littorales ou non.
Carte 6. – Évolution de la population de quelques communautés provençales au XVIIIe siècle16.

16En restant dans les limites de la presqu’île de Saint-Tropez on mesure davantage la place occupée sur le plan humain par la cité maritime.
Tableau 32. – Évolution de la population des localités proches de Saint-Tropez17.
localités | vers 1716 | vers 1765 | variation % |
Cogolin | 695 | 779 | + 12 |
Gassin | 301 | 273 | -9,3 |
Grimaud | 680 | 804 | + 18,2 |
La Garde-Freinet | 1 724 | 2 779 | + 61,2 |
Ramatuelle | 504 | 474 | - 6 |
Ste-Maxime | 317 | 678 | + 113,9 |
St-Tropez | 2 152 | 2 879 | + 33,8 |
Total | 6 373 | 8 666 | + 36 |
17Si les variations enregistrées sont particulièrement sensibles, Saint-Tropez représente toujours environ un tiers de la population totale de l’espace considéré : 33,7 % en 1716 et 33,2 % en 1765. Toutefois, et de manière plus significative, le poids des hommes est nettement plus fort en rapprochant ces chiffres des superficies des communautés pour proposer des densités moyennes au milieu du siècle, avec tout ce que ce critère appelle comme nuances.
Tableau 33. – Densités humaines moyennes des localités proches de Saint-Tropez (mi-XVIIIe siècle).
Localités | Superficies (km ²) | Populations vers 1765 | Densités moyennes |
Cogolin | 27,94 | 779 | 27,9 |
Gassin | 63,57 | 273 | 4,3 |
Grimaud | 44,59 | 804 | 18,0 |
La Garde-Freinet | 76,65 | 2779 | 36,3 |
Ramatuelle | 35,54 | 474 | 13,4 |
Ste-Maxime | 81,61 | 678 | 8,3 |
St-Tropez | 11,17 | 2879 | 257,8 |
Total | 341,07 | 8666 | 25,4 |
18L’étroitesse du territoire tropézien, soulignée à maintes reprises par les observateurs et les administrateurs locaux, rend compte de la très forte densité moyenne – dix fois plus élevée que la moyenne générale. La relative pression sur cet espace contraste avec les solitudes des communautés voisines, de Ramatuelle et plus encore de Gassin. Cette charge humaine, qui repose sur un fragment « stérile » de la presqu’île, ne doit-elle pas être mise en relation directe avec les capacités « nourricières » de la mer ? Prolonge-t-elle un élan amorcé antérieurement ?
Mise en perspective de la croissance démographique du XVIIIe siècle
19Sans remonter aux soixante familles refondatrices de la fin du XVe siècle – soit 240 à 300 personnes –, une mise en perspective peut être esquissée à grands traits en suivant les modifications de l’espace urbain et en interrogeant les registres paroissiaux.
Un indicateur : l’extension urbaine
20L’extension urbaine, que traduit depuis la refondation de la ville portuaire l’édification de plusieurs murailles, constitue assurément un indice fort de la croissance de la population. La formation de nouveaux quartiers et les aménagements urbains qui accompagnent ce remodelage marquent la plus forte pression démographique qui s’exerce alors. Qui plus est, la ville rassemblerait la totalité de la population locale dans la mesure où l’abbé Expilly n’a relevé, à partir d’indications transmises par ses correspondants, aucun habitant « dans les villages et les campagnes ». Près de deux siècles auparavant le cadastre de 1607 ne comprenait hors des remparts que quelques étables et « cazaux » dans des parcelles cultivées « sans habitation18 ». Certes des bastides figurent parmi les biens des Tropéziens énumérés dans ce document fiscal, et dans les suivants, ainsi que dans les clauses testamentaires et inventaires après décès, mais n’apparaissent guère comme des lieux d’habitat permanent.
21La ville se définit donc d’abord comme une agglomération de maisons. Toutefois l’évolution du nombre de celles-ci et leur capacité d’accueil demeurent trop mal connues pour pouvoir dégager des conclusions, même provisoires.
Tableau 34. – Nombre de maisons à Saint-Tropez (XVI-XVIIIe siècles)19.
Dates | Nombre de maisons |
1540 | 172 |
1607 | 352 |
1633 | 800 |
1765 | 455 |
22Ces éléments, clairsemés voire incertains, n’autorisent pas à avancer des indications précises sur le taux d’occupation. Seule une analyse minutieuse de tous les cadastres pourrait, avec la connaissance de la population totale, apporter quelques lumières en ce domaine.
L’enseignement des registres paroissiaux
23À Saint-Tropez les registres de catholicité de l’unique paroisse qui compose la cité ne fournissent les enregistrements des actes de baptêmes, mariages et sépultures qu’à partir de 1692. Des répertoires mentionnant les mariages et les sépultures depuis 1621 et les baptêmes depuis 1580 peuvent les compléter en amont et fournir de sommaires indications relatives à la situation familiale – Augiere Marguerite femme de Roux, Magne Marguerite veuve de Coste, Maurin Jean-Baptiste mari de Testanière, Martine Catherine illégitime… – ou à l’origine – Auban natif de Montauroux, André natif de Savoie…
24Ces répertoires ont été réalisés, en 1706 à partir des registres disparus, « par le curé de la paroisse à la prière de messire Honoré Augier prieur de Saint-Tropez20 ». Dans la mesure où les comparaisons effectuées entre les données contenues dans ces répertoires et celles portées dans les registres de catholicité pour les années immédiatement postérieures à 1692 ne montrent que de très légères différences il est possible de leur accorder un large crédit.
25À partir des séries des baptêmes et des taux de natalité proposés pour des bourgs provençaux il est possible d’obtenir quelques estimations de la population depuis le XVIe siècle21.
Tableau 35. – Estimations de la population de Saint-Tropez (XVIe-XVIIIe siècles).

26Ces estimations permettent d’entrevoir à grands traits le mouvement démographique général. La fin du XVIe siècle et la première moitié du XVIIe siècle paraissent correspondre à un temps de croissance régulière. Toutefois, le niveau proposé, y compris par les estimations hautes, est en deçà des informations transmises sur place à Séguiran par les consuls de la cité en 1633. En effet « il nous aurait été dit, selon le représentant de Richelieu, que le lieu de Saint-Tropez est composé de huit cents maisons esquelles y peut avoir cinq mille âmes22 ». Capacité d’accueil ou effectif réel ? Ce nombre, élevé pour le début du XVIIe siècle qui figure également dans un plaidoyer visant à la fin du XVIIIe siècle au rétablissement du droit de chasse, a peut-être alors été puisé à la même source23 Les premières décennies du XVIIe siècle appelleraient de fines recherches complémentaires pour saisir au mieux la réalité24.
27Pourtant, quel que soit ce résultat, et à l’inverse de la situation généralement rencontrée en Basse-Provence, la seconde moitié du XVIIe siècle montre un recul constant après la baisse brutale intervenue autour de 165025. L’arrêt de 1674, qui reconnaît la taille sur les bâtiments de mer, n’intervient-il pas précisément – ainsi que le rappellent avec une exagération certaine à la fin du XVIIIe siècle des responsables de la communauté – « dans un temps de calamité […] où Saint-Tropez n’avait pas la centième partie des habitants qui sont aujourd’hui dans son sein26 » ? Ce « temps de calamité » renvoie à celui de l’envasement du port, du dépérissement de la flotte et des assauts barbaresques conduisant à la mise en place de rondes nocturnes27.
28Après une reprise lente, heurtée, fragile durant la première moitié du XVIIIe siècle, la croissance devient nette et vigoureuse jusqu’à la veille de la Révolution. Pourtant, « et les registres publics en font foi […] la population n’est pas actuellement plus nombreuse qu’au commencement du XVIIe siècle, époque du plus grand lustre du lieu » fait remarquer Jean Joseph Martin, avocat en la Cour, renvoyant ainsi à l’âge d’or évoqué dans le procès-verbal adressé à Colbert un siècle et demi plus tôt28. Voilà qui, par ailleurs, accorderait quelque crédit aux estimations proposées à partir du nombre de baptêmes déclarés.
29En résumé, la croissance observée au fil du XVIIIe siècle ne s’inscrirait pas dans un mouvement ascendant de longue durée. Prenant la suite d’une grave dépression démographique, elle ne constituerait qu’une phase de récupération permettant à la cité de retrouver le niveau atteint deux siècles plus tôt. Une corrélation existe bien entre les fluctuations de la population de la ville portuaire et celles de ses activités maritimes. Pareille sensibilité est amplifiée par l’importance de la place occupée par les gens de mer dans la cité.
Les Tropéziens : avant tout des gens de mer
30À Saint-Tropez « les habitants du lieu se sont de tous les temps adonnés à la navigation29 », « tous les bras y sont destinés à la mer30 » et « la ville […] n’est qu’une pépinière de marins31 ». Dans quelle mesure ces affirmations lapidaires qui pourraient être multipliées sont-elles le reflet de la réalité ?
31Pour tenter de l’atteindre, le « marqueur professionnel » est essentiel mais difficile à saisir d’une façon générale et pratiquement impossible à obtenir pour les femmes. Devant les insuffisances des registres de catholicité en la matière – surtout pour la période antérieure au rappel à l’ordre de 1736 – le recours aux registres des classes se révèle indispensable mais ne permet de rassembler, par définition, que les hommes. Seule sera considérée ici la masse globale des gens de mer, réservant pour la suite de l’enquête l’analyse des diverses catégories ou grades de marins, tant dans la paroisse que dans le quartier maritime. Enfin, la répartition de la population par sexe et par grandes tranches d’âges indiquée par l’abbé Expilly fournit une référence relativement solide – en partie vérifiée à l’aide des registres de la paroisse – pour y confronter la part des travailleurs de la mer vers 1765. Afin de proposer d’autres points de comparaison dans le siècle les proportions de la répartition par sexe et par âges, notée au temps d’Expilly, ont été affectées, avec les réserves d’usage, aux années 1716 et 1788.
Tableau 36. – Place des gens de mer dans la population tropézienne au XVIIIe siècle32.
vers 1716 | vers 1765 | vers 1788 | |
population totale (avec troupes réglées, sans étrangers) | 2152 | 2879 | 3629 |
hommes | 1035 | 1393 | 1702 |
% des navigants/population totale | 28,9 % | 25,5 % | 23,5 % |
% des navigants/hommes | 60,1 % | 52,4 % | 50,0 % |
32En ne considérant que les habitants de plus de douze ans, ainsi que l’a fait Expilly, la part des gens de mer parmi les hommes serait la suivante :
Tableau 37. – Gens de mer de plus de douze ans dans la population masculine de Saint-Tropez au XVIIIe siècle33.

1. Des ouvriers « maritimes » – charpentiers, poulieurs, voiliers et surtout calfats – participent régulièrement à des campagnes en mer.
33Selon ces estimations – qui contiennent une dose de lacunes au détriment des gens de mer – entre les trois-quarts et les deux tiers des hommes de plus de douze ans peuvent alors être rangés parmi les travailleurs de la mer. À ce stock impressionnant, il faut associer tous ceux qui sont, de près ou de loin, impliqués dans les affaires maritimes de la cité : officiers de l’amirauté, agents du bureau des classes, marchands et « bourgeois » – derrière lesquels se devinent souvent des capitaines ayant « renoncé à la mer » – sans omettre bien entendu les enfants, les épouses et les veuves de marins.
34Une telle puissance numérique, presque sans égale sur le littoral provençal – à Bandol et à La Seyne ? – ne saurait gommer les autres catégories professionnelles – la boutique, l’échoppe et la terre – qui demeurent dans le cas présent souvent subordonnées aux choses de la mer. Face à une telle situation, comment ne pas admettre, avec ce magistrat tropézien de la fin du XVIIIe siècle, que « dans cette petite commune tout est marin34 » ?
35Cette profonde originalité constitue une composante majeure de la population locale et ne peut avoir que des incidences multiples sur l’évolution démographique générale. Au reste, cette pépinière, si fournie en marins et retranchée derrière le massif des Maures, suffit-elle à répondre aux besoins de la place ? Saint-Tropez « fille de la mer » avant Maupassant, comment le nier ? Mais en est-il de même des Tropéziens ?
Évolution démographique
Courbes paroissiales longues
36Si les répertoires paroissiaux mentionnent simplement les actes fondamentaux de la vie chrétienne dès 1622, et même 1580 pour les naissances, les registres disponibles à partir de 1692, et mieux renseignés avec le premier tiers du XVIIIe siècle, fournissent de plus amples précisions.
37Pourtant, ici comme ailleurs, ces registres comportent selon les années un certain nombre de lacunes – âge au mariage, profession de l’époux – et invitent à de classiques précautions dans leur exploitation : éviter le double comptage des ondoyés qui reçoivent ensuite un « supplément de cérémonie de baptême », des baptêmes répétés – ainsi cet enfant qui « a été baptisé à la maison par la sage-femme car se trouvant en danger de mort » mais baptisé plus tard par le prêtre qui « a un doute raisonnable sur la validité du sacrement35 » ; tenir compte des ondoyés décédés, des naissances gémellaires consignées dans le même acte et des « funérailles » dont le sens mérite précision.
38Un certain nombre d’actes de décès portent cette dernière mention ou celle de « service pour le repos de l’âme » ou « service pour le salut de l’âme » ou encore, plus rarement, « messe de requiem. » Le 3 avril 1715 a été « fait dans cette église paroissiale de Saint-Tropès un service pour le repos de l’âme de Louis Martin, matelot, fils de André Martin et de Marguerite Serize, décédé à l’Amérique étant embarqué sur un vaisseau du roy » et le 28 novembre 1753 « a été chantée une messe de requiem pour Jean François Belardy matelot sur le bâtiment de Claude Martin mort à Malte de maladie, suivant la lettre envoyée par le capitaine. » Dans ces cas il ne s’agit pas de « sépulture » ou d’« enterrement » dans la mesure où les corps ne reposent pas en terre paroissiale tropézienne ; on en dénombre ainsi 78, dont 73 mentionnés pour la seule période de 1694 à 1734 et aucun au-delà de 1758, ce que nous savons être, par d’autres sources, non conforme à la réalité. En fait, plus de 330 décès auraient pu, de 1694 à 1758, recevoir un tel « service pour le repos de l’âme » et autant dans les quarante années suivantes36. Ce constat révèle un sous enregistrement de décès de marins tropéziens – mais il est vrai que des non-Tropéziens sont ensevelis à Saint-Tropez – et traduit l’abandon d’un comportement sur lequel il faudra revenir.
39Les trois courbes paroissiales longues présentent à Saint-Tropez l’allure « fiévreuse et agitée » caractéristique à bien des égards de la démographie d’Ancien Régime37.
Graphique 15A. – Baptêmes, mariages et sépultures à Saint-Tropez aux XVIIe et XVIIIe siècles38.

Graphique 15B. – Baptêmes, mariages et sépultures à Saint-Tropez aux XVIIe et XVIIIe siècles (moyennes mobiles 5 ans).

40La fréquence des pics de mortalité et l’importance de certains d’entre eux demandent une attention particulière. Par ailleurs, tout au long des deux siècles si le minimum des baptêmes répond parfois au maximum des sépultures – ainsi en 1637, 1651, 1710 ou 1757 –, un tel accompagnement n’a rien de systématique. Souvent la courbe des décès se dresse sans que celle des baptêmes ne se creuse – comme en 1632, 1644, 1707, 1759 ou encore 1772 ; plus rarement, cette dernière fléchit alors que le nombre de décès ne croît plus ou guère – en 1682, 1691, 1740 ou 1751. Un regard sur la courbe des mariages éclaire parfois ces situations très diverses.
Dynamisme démographique de la première moitié du XVIIe siècle
41Les données insuffisantes pour le XVIIe siècle n’autorisent pas une analyse détaillée mais permettent une brève et nécessaire esquisse de la situation39.
42La forte natalité, associée à une nuptialité élevée durant la première moitié du XVIIe siècle, rend probablement compte du niveau de la population au temps de Séguiran, sans pouvoir mesurer la part du solde migratoire dans cette croissance. Ainsi, la moyenne annuelle du nombre de mariages se situe autour de 31,3 pour la période 1622-29, de 35,4 pour 1630-34 et 34,4 pour 1635-39 avec une moyenne de 5,1 et 4,3 enfants par mariage en 1630-34 et 1635-3940. L’accroissement naturel est globalement positif – excédent de 221 entre 1633-1636, de 656 entre 1639-49 – avec des périodes de fortes récupérations à la suite de brèves mais vives augmentations de la mortalité, parmi les plus importantes d’ailleurs des deux siècles considérés.
43La funeste trilogie « guerre, famine, épidémie » ne peut qu’être rappelée pour expliquer ces vigoureuses oscillations et tout particulièrement les brutales élévations de mortalité sans déterminer le rôle exact joué par chacun de ces fléaux. La part du fait d’armes est essentielle en cette frontière de mer si régulièrement menacée. Les habitants du littoral provençal, ainsi que le notait Séguiran, furent « sans cesse exposés aux attaques barbaresques. » Les Tropéziens n’y échappèrent pas et leur commerce fut « gêné par les pirates qui abordaient presque chaque jour leur port ». La guerre contre l’Espagne ajouta un motif supplémentaire d’insécurité pour les rivages, néanmoins, la force et la soudaineté des poussées de mortalité conduisent à en examiner certaines de plus près.
44Avec 357 décès consignés – fidèlement ? –, soit avec environ 10 % de la population, l’année 1637 offre la plus forte mortalité rencontrée dans l’histoire de Saint-Tropez depuis sa renaissance au XVe siècle. Cette année correspond à l’attaque de la cité par vingt-et-une galères espagnoles et un corps d’infanterie de près de quatre mille hommes. Voulant détruire deux galiotes et deux frégates du roi venues chercher refuge et carénage à Saint-Tropez le 24 mai 1637, après la bataille des îles de Lérins, les galères passèrent à l’action le 15 juin. À la suite d’un combat « d’environ trois heures » pour les uns, « de toute une journée » pour les autres, les Espagnols se retirèrent « avec beaucoup de confusion, de dommages et de morts […] comme des larrons pris en flagrant délit, avec perte à ce que l’on nous a rapporté […] de cent cinquante hommes41 ». Les Tropéziens n’ont pas enregistré autant de victimes et se plaisent à signaler la faiblesse des pertes subies grâce à l’intercession du saint protecteur éponyme de la cité. La flambée de la mortalité ne paraît pas directement liée à la guerre. L’objectif principal des assaillants était, ainsi que le remarque justement Sourdis, la destruction ou la capture des vaisseaux du roi et non la prise de la cité et il ne semble pas que des marins des bâtiments du roi, voire des soldats espagnols, aient été portés en terre à Saint-Tropez et comptabilisés dans les registres de la paroisse.
45L’ampleur des décès, coiffant également l’année 1638, et la nette baisse de la natalité qui l’accompagne inviteraient à superposer à l’événement guerrier les effets de difficultés alimentaires ou plus encore de la maladie épidémique. Comment ne pas songer à la peste ? Ce mal contagieux qui a frappé Saint-Tropez en 162142 n’est cependant pas signalé en 1637 et 1638. Les responsables de la cité ne mentionnent que la « fort mauvaise et méchante chair » que débite la boucherie, « ce qui paroit infester de grandes maladies morteles » et le manque de viande de mouton « causant la mort à beaucoup de malades ne pouvant faire de bouilhons43 ». Hormis ces propos, ne figure aucune plainte relative à une pénurie alimentaire alors que les Tropéziens nourrissent, par ailleurs, des troupes de passage – vecteurs d’épidémie ? Une recherche plus fine et la mise à contribution de nouveaux documents pourraient éclaircir l’origine de cette impressionnante hécatombe.
Reflux démographique de la seconde moitié du XVIIe siècle
46À partir de 1645-1650, la situation démographique de Saint-Tropez change. La seconde moitié du XVIIe siècle apparaît, jusqu’au début du siècle suivant, particulièrement « sombre ». En deux décennies (1645-1665), le nombre de naissances s’affaisse alors que la mortalité connaît toujours, comme en 1651, de brusques poussées. À cette dernière date, la variole explique probablement, comme à Marseille au même moment, l’élévation soudaine du nombre des décès44. Les épreuves subies dans le deuxième tiers du XVIIe siècle n’ont pu que contribuer à dégrader la situation démographique et l’économie d’une cité vouée à la mer.
47Les effets des guerres de Hollande et de la Ligue d’Augsbourg, avec les opérations des corsaires d’Angleterre et de Flessingue en Méditerranée, surtout à partir de 1693, ainsi que les incursions barbaresques – à Pampelonne en 1689 – accrurent l’insécurité générale. Les délibérations communales, les rachats de captifs et la perte de bâtiments de mer témoignent de la fréquence de ces troubles dont on ne peut mesurer avec précision les effets sur la population et les activités locales. Des départs de jeunes actifs vers d’autres horizons – Toulon, Marseille, Gênes – et sur les vaisseaux du roi demeurent difficiles à établir mais ont accompagné ce marasme et peut être participé à un certain « vieillissement » de la population restée sur place. Au seul regard du mouvement « naturel », la contraction de la population amorcée depuis le milieu du XVIIe siècle se poursuit dans la seconde moitié du siècle.
48Les relevés qui figurent à partir de 1692 dans les registres de catholicité d’une paroisse où la présence huguenote demeure infime apportent des indications pour éclairer les « années de misère » de la fin du règne de Louis XIV. La terrible crise de 1693-1694 affecte Saint-Tropez mais ne ressemble en rien au désastre observé en de nombreuses contrées du royaume45. Le littoral méditerranéen, comme d’autres franges maritimes proches ou plus lointaines – de Bayonne à Port-en-Bessin –, sont moins vulnérables aux crises de subsistances que le reste du pays. La possibilité de varier les ressources alimentaires et de faire appel aux « bleds de mer » atténue dans une large mesure la gravité de ces crises46.
Tableau 38. – Baptêmes, mariages et sépultures à Saint-Tropez : 1692-169547.
Baptêmes | Mariages | Sépultures | bilan naturel | |
1692 | 78 | 25 | 93 | -15 |
1693 | 73 | 29 | 96 | -23 |
1694 | 89 | 26 | 119 | -30 |
1695 | 92 | 28 | 87 | + 5 |
49Plus rudes apparaissent les effets de la crise de 1709-1710 sur fond de guerre de Succession d’Espagne qui dure depuis huit ans et s’ajoute aux autres guerres du règne. Le « grand hyver » n’a pas épargné les rives provençales. À Saint-Tropez, le curé, d’ordinaire peu prolixe, apporte, de manière aussi exceptionnelle que l’événement, une précieuse information à propos de la sépulture le 23 janvier 1709 :
« D’un matelot qu’on dit être de san rheme [San Remo] et dont nous n’avons pas le nom : il mourut il y a dix à douze jours de froid, venant du cap [de Saint-Tropez] où la barque avait fait naufrage ; il fut surpris par la neige et ne put s’en garantir s’étant trouvé suffoqué dans un tas de neige d’où il ne put se délivrer ; il a été enterré ce jour d’hui dans le cimetière de cette paroisse ; il était âgé de près de 25 ans48. »
50Même si le témoignage reste isolé, on est mort de froid à Saint-Tropez en ce mois de janvier 1709. La mort a pu surprendre sur la route cet homme jeune, éprouvé par le naufrage de son bâtiment, mais plus encore frapper à l’hôpital et dans des maisons peu ou pas chauffées. Il reste très difficile de faire la part entre la mortalité par le froid, la maladie et la faim, bref par la misère. Observons simplement que le froid provoque rapidement l’apparition de la maladie. En 1709, les deux tiers des décès de tout âge et de toute condition portent la mention « mort de maladie » et ce dès le mois de janvier. En 1710, avec une mortalité plus forte encore, ce sont les trois-quarts des décès qui sont accompagnés de cette annotation et qui ont lieu très souvent « à l’hôpital », modeste édifice contigu à la chapelle de la Miséricorde et situé au quartier saint-Roch. Le froid et les maladies pulmonaires sont les probables responsables des premiers décès de 1709 dont près de la moitié se place entre janvier et avril. En revanche, les décès plus nombreux de 1710 présentent une distribution annuelle différente puisque 63,5 % d’entre eux se produisent entre avril et septembre. Peut-être faut-il voir là les marques de la variole qui se propage quand l’air est sec et qui attaque de préférence les enfants de moins de 10 ans.
Tableau 39. – Répartition des décès par âge à Saint-Tropez : 1706-171049.

Tableau 40. – Répartition mensuelle des décès à Saint-Tropez : 1706-171050.

51À une mortalité infantile déjà forte (192 ‰ en 1697-1701 et 176 ‰ en 1706-1710) mais qui n’atteint pas les niveaux élevés observés sous l’Ancien Régime, s’ajoutent les effets de la maladie contagieuse : en 1710 les enfants de moins de 10 ans représentent 43,5 % des décès dont les trois-quarts se placent au cœur de l’été.
52Les rigueurs du « grand hyver », qui firent périr arbres fruitiers et oliviers, furent d’autant plus redoutables qu’elles atteignirent une population déjà éprouvée par les difficultés de 1707-1708. Ces années-là ce ne sont pas moins de 58 à 60 % des enfants de moins de 10 ans qui disparaissent. S’effectuant sur une tranche d’âges sérieusement malmenée deux ans auparavant les ponctions de 1709-1710 prennent une autre ampleur et préparent la formation d’une future classe creuse. Peut-on attribuer ces malheurs à l’invasion de la Provence orientale, à partir de juillet 1707, par les troupes de Victor-Amédée de Savoie et du Prince Eugène appuyées par des bâtiments anglais ? À Saint-Tropez l’état de siège fut proclamé, la bourgade mise en défense et la citadelle en alerte51. Mais située à l’écart de la route directe conduisant les forces savoyardes et impériales vers Toulon, la cité fut épargnée par la soldatesque et négligée par la flotte de l’amiral Showell. Les Tropéziens furent néanmoins soumis à contribution en versant au duc de Savoie 10 000 livres et des vivres – pain, vin, moutons – et en mettant une flottille à la disposition de l’amiral anglais. Après la levée du siège de Toulon, à la fin du mois d’août 1707, Savoyards et Impériaux se replièrent sur le Comté de Nice et ignorèrent, comme à l’aller, Saint-Tropez. Dans ces conditions il est difficile d’attribuer à l’invasion de 1707 la forte mortalité enregistrée cette année-là. Les décès de deux soldats en garnison à la citadelle « morts d’un éclat de canon » sont les seuls que nous puissions attribuer à l’invasion étrangère – sans connaître toutefois les circonstances exactes de ces décès – avec celle d’une jeune fille d’un couple venu de Cannes « se réfugier en ce lieu à cause des guerres du duc de Savoie52 ».
53Là encore, même si le curé se montre discret dans l’enregistrement des actes, la maladie a pu être responsable de la poussée de mortalité qui commence au début de l’été : 41,5 % des décès se situent de juillet à septembre et plus de 80 % de juillet à décembre, avec débordement sur les deux premiers mois de l’année suivante. La part des moins de 10 ans imprime également sa marque dans le calendrier des sépultures.
Graphique 16. – Répartition mensuelle et par âge des décès à Saint-Tropez : 1707-170853.

54La canicule estivale, la mauvaise hygiène, la promiscuité dans la cité mise en défense et peut-être affaiblie par les réquisitions exigées par le duc de Savoie, la mauvaise qualité des eaux tiédies où peuvent proliférer les bacilles conduisent à songer à quelques fièvres. Au début du XIXe siècle encore des responsables des Ponts et chaussées déploraient l’absence d’« aiguade (fontaine) dans cette cité au sol granitique […]. La ville de Saint-Tropez n’a qu’une seule fontaine située hors de son enceinte et qui est si peu abondante que dans la saison d’été elle ne suffit pas aux besoins des habitants54 ». L’importance des moins de 10 ans et la part des plus de 60 ans parmi les victimes invitent à écarter la responsabilité de la dysenterie présente dans de nombreuses régions françaises en 1706-1707. Ne faut-il pas davantage y voir les signes de la variole qui « atteint de préférence les enfants sevrés non immunisés par une précédente épidémie, en gros les enfants de 1 à 10 ans ou 15 ans55 » ?
55Pourtant les effets de ces crises ne sauraient se limiter aux poussées de mortalité si fortes et spectaculaires soient-elles. Par leur superposition et leur enchaînement les difficultés rencontrées ont affecté, plus discrètement mais plus profondément, les racines mêmes de la vie jusqu’au début du XVIIIe siècle. Le « déficit naturel » est avant tout le fait d’une réduction du nombre de naissances. Le nombre moyen de baptêmes par mariage, qui ne prétend pas se substituer au calcul de la fécondité, ne cesse de fléchir avant de se stabiliser.
Tableau 41. – Rapport des naissances aux mariages à Saint-Tropez : 1640-1714.
1640-1644 | 1660-1664 | 1680-1684 | 1700-1704 | 1710-1714 |
4,79 | 4,34 | 3,91 | 3,80 | 4 |
56Cette baisse, qui ne saurait en rien être le résultat d’une limitation volontaire des naissances, est à mettre en relation directe avec le recul de la nuptialité.
Tableau 42. – Moyenne annuelle des mariages à Saint-Tropez : 1640-1714.
1640-1644 | 1660-1664 | 1680-1684 | 1700-1704 | 1710-1714 |
37,2 | 21,4 | 20,4 | 17,8 | 16,2 |
Fragile reprise de la première moitié du XVIIIe siècle
57Jusqu’aux années quarante du XVIIIe siècle – 1745 plus exactement – le bilan naturel de la population tropézienne marque un certain immobilisme ou plutôt une croissance heurtée qui rappelle les hésitations observées dans l’analyse de la conjoncture, entre les premières expéditions levantines et la guerre de Succession d’Autriche. Ainsi, après une progression à l’ouverture du XVIIIe siècle et un fléchissement dans les dernières années de la guerre de Succession d’Espagne, le nombre des naissances comme celui des mariages progresse de manière irrégulière jusqu’au milieu du siècle.
Tableau 43. – Rapport des baptêmes aux mariages à Saint-Tropez : 1710-1744.
1700-1704 | 1710-1714 | 1720-1724 | 1730-1734 | 1740-1744 |
4,50 | 4,06 | 4,27 | 4,77 | 3,98 |
Tableau 44. – Moyenne annuelle des mariages à Saint-Tropez : 1710-1749.
1700-1704 | 1710-1714 | 1720-1724 | 1730-1734 | 1740-1744 |
17,8 | 16,2 | 19,4 | 19,0 | 19,2 |
58Dans cette même période la mortalité, en léger recul depuis plusieurs décennies, connaît de brusques sursauts. Cependant, si à Saint-Tropez la maladie figure souvent à l’origine des pics de mortalité, force est d’en constater l’absence en 1720-1721, soit au moment où la peste a durement frappé Marseille puis une partie de la Provence.
59Les Tropéziens n’ont pas vraiment ignoré la « contagion », ainsi que l’on qualifie la peste sans vouloir la nommer. Afin d’« éviter le triste inconvénient qui pourrait arriver […] à cause du mal contagieux qui a augmenté à la ville de Marseille » les autorités municipales prirent, dès le 2 août 1720, une série de « précautions tant sur terre que sur mer56 ». L’arsenal des mesures reste classique et se retrouve en d’autres temps et en d’autres lieux qui se mettent en défense « contre un ennemi invisible57 » : fermeture des portes de la cité, mise en place de billet de santé, établissement d’un corps de garde « pour veiller jour et nuit », désignation de sentinelles contrôlant tous les accès terrestres, augmentation du nombre des intendants sanitaires – parmi lesquels sont appelés deux capitaines –, envoi d’un bateau de garde pour observer les proches rivages, obligation à « tous les pêcheurs du corail de venir prendre un billet de santé toutes les semaines », refus de communiquer avec des bâtiments de mer venant du Levant et plus encore de Marseille, perquisition et destruction de marchandises de contrebande – toiles et indiennes –, achats de nourriture de bouche – blé, mouton dont la viande sera réservée aux malades58 – rendus nécessaires « à cause de la grande disette » mais peu commodes à réaliser vu la suppression des foires, la difficile circulation des hommes et la hausse des prix59. Comme ailleurs en somme, ne serait-ce que dans le petit bourg voisin de Ramatuelle, surveiller et nourrir demeurent les préoccupations majeures des responsables tropéziens60.
60Des bâtiments de mer venus à Saint-Tropez en provenance de Marseille « où le mal continue que trop » (7 août 1720) se virent refuser d’y faire la quarantaine et furent dirigés vers Toulon. Aux dires des consuls tropéziens la cité ne dispose « d’aucune infirmerie, ni lieu propre pour en faire » (7 août). S’il n’existe certes pas d’infirmeries à Saint-Tropez, moins encore de véritable lazaret, la pratique de la quarantaine n’y est pas inconnue : en 1688, le capitaine Jean Baptiste Brémond, de La Ciotat, en effectue une au port des Canebiers, sous la surveillance d’un bateau de garde avec un intendant de santé61. Ce cas est loin d’être isolé.
61Malgré ces précédents, les bâtiments indésirables furent contraints de se rendre à Toulon. Les infirmeries du port militaire étant alors surchargées de malades, les embarcations retournèrent à Saint-Tropez pour « parfumage et quarantaine dans la baie des Canebiers. » Les protestations et inquiétudes du conseil de ville restaient vives car « le lieu se trouve dépourvu de farines, de viandes et autres […]. Ce serait la famine à Saint-Tropez que de donner la quarantaine à un si grand nombre de personnes ». Néanmoins les « quarantenaires venus de Marseille en majorité pauvres insolvables furent abrités et parfumés » dans la bastide de la madrague des Canebiers où d’aucuns trouvèrent la mort. La peste rôde autour de Saint-Tropez mais n’y pénètre pas. Dès septembre 1720, à trois reprises, des Tropéziens revenant de Marseille succombent aux portes de la ville : Anne Raybaud qui « faisait quarantaine dans le bateau du patron Coste » (8 septembre), Jean Joseph Meiffredi « en quarantaine à la bastide de la madrague » (11 septembre) tout comme Jean Augier (23 septembre). Les intendants de la santé firent mettre en terre les trois pestiférés « au port des Canebiers, proche de la madrague62 ».
62Les effets de la contagion paraissent limités à ces cas. Sur le registre paroissial une dizaine de décès survenus au cours de l’hiver 1720-21 portent la précision « mort de maladie » sans que l’on puisse les attribuer à la peste. Il en est de même de la trentaine de « morts de maladie à l’hôpital » durant l’été 1721 alors qu’au printemps, à la veille de la bravade, « un feu de joie avait été allumé pour la cessation de la peste » (16 mai 1721). Rechute estivale, comme observée en d’autres lieux ou probable mortalité ordinaire d’une population peut-être sous-alimentée et soumise à la mauvaise qualité des eaux tiédies ? Quoiqu’il en soit la ville qui a su écarter le risque n’a pas connu d’hécatombe comparable à celles rencontrées en d’autres localités, portuaires ou non. Au reste, les Tropéziens victimes de cette épidémie hors de leur paroisse ne sont guère nombreux. Le registre des sépultures, certes non exhaustif pour les trépassés au loin, ne mentionne un « service pour le repos de l’âme avec sacrifice de la sainte messe » que pour deux individus : Anne Thérèse Amic « morte il y a un ou deux mois de contagion à Marseille » (5 mai 1721) et le chanoine Joseph Remonde, à Saint-Rémy, « mort ces jours passés de la maladie contagieuse qui affligeait la province » (23 août 1721).
63Cet épisode tragique, qui a jeté la suspicion sur tous les bâtiments provençaux, a eu des répercussions sur le trafic portuaire. Aussi, les consuls, impatients que soit rétablie la navigation certifient, attestent et répètent à tous avec force « que la santé grâce à Dieu est très bonne en cette ville qui n’a point été affligée du mal contagieux […]. Nous voulons donc que vous donniez libre entrée à tous les bâtiments qui partiront d’icy munis de patente de santé63… »
64« L’air qu’on respire à Saint-Tropez est vif et pur ; la peste ne s’y est jamais introduite quoique les lieux voisins en fussent infectés. » La qualité de l’air relevée par le voyageur Millin au début du XIXe siècle ne saurait expliquer la protection de Saint-Tropez64. Le combat mené par les autorités locales et la surveillance du rivage ont sans doute été efficaces, mais en rien nouveaux : on observe semblables précautions en 1657 après les contacts qu’eurent des marins tropéziens avec « des bâtiments de Maillorque qui ravageant les costes provençales ont pu prendre à bord des Génois alors que le mal contagieux est en Italie65 ». Cette vigilance est également attestée en 1698 « dans la conjoncture présente où il y a des bâtiments en mer qui sont attaqués de la peste et avec lesquels ceux qui abordent dans le port peuvent avoir pratiqué66 ».
65Située à l’écart des grands axes de communication, abritée par les Maures et les lointaines « barrières du Verdon » – cordon sanitaire avec « mur de peste » mis en place en Haute-Provence – Saint-Tropez, comme le reste de la presqu’île, est naturellement beaucoup moins vulnérable. Le mal, ne pouvant venir que par la mer, fut donc efficacement contenu67.
66À partir de 1728, afin de renforcer la surveillance sanitaire et la vigilance à l’égard du trafic portuaire, les bureaux de Marseille demandèrent « que soit louée à Saint-Tropez qui n’a point de consigne une boutique ou magasin à l’une des extrémités du port où les intendants pourront désormais s’assembler et tenir leur bureau68 ». L’émotion et la sensibilité des Marseillais avaient été éprouvées dès 1725 à l’annonce d’une soudaine mortalité survenue en plusieurs localités de la province. Les membres du bureau de la santé maritime redoutèrent de nouveaux assauts pesteux : n’avaient-ils pas été mis en alerte par leurs confrères niçois annonçant qu’à la suite de l’arrivée à Saint-Tropez d’un navire venant du Levant il y avait là telle « quantité de malades qu’il n’en a échappé pas un. Il est mort plus de deux mille personnes et ici toute la ville tremble69 ». Ce à quoi les correspondants tropéziens répondirent aux Marseillais effrayés par ces rumeurs :
« à l’égard des maladies qui règnent en ce pais nous pouvons vous assurer qu’elles ne sont que de mal de cotté et de fluxions sur la poitrine qui se sont faites ressentir, non seulement dans ce pais mais encore en plusieurs endroits de la Provence estant véritablement mort dans cette ville dans trois mois environ quarante à cinquante personnes, la plus grande partie des personnes décrépies et d’un âge fort avancé et quoique ce nombre soit assez grand nous ne croyons pas d’estre des plus mal traités eu égard aux pertes que d’autres païs ont fait pendant cet hiver par de pareilles maladies70. »
67Les registres paroissiaux confirment cette déclaration qui atteste le rôle des affections pulmonaires à l’égard des plus fragiles. Ces mêmes causes sont également à l’origine de l’élévation des décès de 1734-1735, alors que la flambée de 1742-1743, survenue au début de la guerre de Succession d’Autriche avec l’incendie des galères espagnoles venues se réfugier dans le port de Saint-Tropez, paraît liée à l’épidémie de forme broncho-pulmonaire signalée dans une large partie du royaume.
Poussée démographique de la seconde moitié du XVIIIe siècle
68Des lendemains de la guerre de Succession d’Autriche à la fin du XVIIIe siècle, les dénombrements indiquent une progression démographique, plus sensible encore lors du dernier quart du siècle. Ce mouvement, synchrone de celui enregistré dans l’activité maritime, se traduit par de nouvelles tendances.
69L’observation de la seule courbe des décès s’accorde difficilement avec le dynamisme attesté dans les dernières décennies de l’Ancien Régime. Alors que la mortalité tend à reculer, les pics de 1746-1747 et de 1756-1761 présentent, outre leur brutalité et leur localisation en temps de guerre, un certain nombre d’analogies. Les années 1747 et 1759, années de forte intensité de la mortalité – 8 à 9 % de la population totale – présentent quelques similitudes.
Tableau 45. – Caractères des crises de mortalité à Saint-Tropez de 1747 et 175971.
1747 | 1759 | |
nombre de décès | 201 | 238 |
mortalité infantile | 321 ‰ (161 ‰ en 1746-50) | 244 ‰ (157 ‰ en 1757-61) |
décès de - 10 ans | 54,3 % | 55 % |
dont décès de - 1 an | 13 % | 13,9 % |
dont décès de 1 à 5 ans | 37,3 % | 31,5 % |
dont décès de 6 à 10 ans | 4 % | 9,6 % |
hommes décédés | 64,2 % | 61,4 % |
femmes décédées | 35,8 % | 38,6 % |
part de soldats décédés par rapport à tous les décès | 15,4 % | 17 % |
période de forte mortalité | janvier à novembre (avec début en septembre 1746) | août à novembre : 64,3 % de décès |
70Ces indicateurs convergent pour attribuer la forte mortalité à la maladie et, directement ou non, à la guerre. L’importance des très jeunes enfants parmi les victimes et la période de virulence du mal conduiraient à privilégier la variole. Les soldats des régiments de Riom, Clermont, Thiers, Villefranche et surtout de Tarare, parmi lesquels figurent de très nombreux « morts à l’hôpital », venus à Saint-Tropez en garnison lors des guerres ont peut-être été ces vecteurs mortifères. La natalité n’est guère affectée par ces secousses : le nombre des naissances reste stable en 1746-1748, ne baisse que légèrement en 1757-1758 mais progresse vivement en 1759, reflétant la poussée du nombre des mariages des années précédentes.
71Un arrêt sur les dernières années du XVIIIe siècle, durant lesquelles la mortalité reprend sa marche en avant, témoigne de la fragilité et de la complexité du mouvement « naturel ».
Tableau 46. – Répartition des décès par âge à Saint-Tropez : 1786-179072.

Tableau 47. – Répartition mensuelle des décès à Saint-Tropez : 1786-179073.

72Jusque-là contenu, sauf en temps de crise aiguë, entre 150 et 180 ‰, le taux de mortalité infantile atteint et dépasse 250 ‰ à la fin du XVIIIe siècle à Saint-Tropez qui ignore, ou presque, la pratique de la mise en nourrice. La mortalité infantile ne croît-elle pas quand augmentent les naissances ? « Beaucoup de naissances, beaucoup de morts ; peu d’enfants, pas de décès74. »
73Au reste, d’une façon générale comme aperçu au début du siècle (1706-1710) mais plus nettement encore, ce sont les moins de 10 ans et les plus de 50 ans qui payent à la mort le plus lourd tribut : les premiers représentent 49 % des décès en 1786-90, les seconds 35 %. Il demeure délicat de déterminer les raisons de ces poussées. Observons simplement qu’en 1786 la tranche des 1-10 ans représente 40,6 % des décès dont 75 % pour les seuls mois de mars-avril. La fin de l’hiver et le début du printemps, mais plus encore les mois d’été, constituent les temps forts de la mortalité et amènent à songer ici aux conséquences des affections broncho-pulmonaires, là au cortège estival des troubles gastro-intestinaux, sans écarter une possible action de la variole.
74Des facteurs biologiques, géographiques et humains difficiles à démêler agissent régulièrement de façon simultanée : mauvaises conditions d’hygiène, carences alimentaires, « eaux dormantes des puits et croupissantes des cloaques », maladies de la petite enfance et affections contagieuses. La récurrence de ces dernières comme facteur explicatif des poussées de mortalité peut étonner celui qui se souvient des affirmations des observateurs de la fin du XVIIIe siècle et du début du siècle suivant : « Il règne peu de maladie, encore moins d’épidémie à Saint-Tropez » notait Darluc ; « le climat de Saint-Tropez est tempéré, l’air y est très sain. Aussi l’on n’y voit jamais de maladies épidémiques […] et l’on y a remarqué dans tous les temps beaucoup de vieillards plus qu’octogénaires. Cependant l’air salin et vif qu’on y respire est dangereux pour les personnes qui sont attaquées des maux de poitrine et l’on y en voit périr souvent de la phtisie pulmonaire » constate Achard. « La grande peste de 1580 et celle de 1720 presque aussi désastreuse n’y pénétrèrent point ; jamais les maladies contagieuses n’y ont exercé leurs ravages75 » affirmait Garcin.
75L’assimilation de l’épidémie à la seule peste rend-elle compte de ces jugements ? Il est vrai que la variole, à la fois épidémique et endémique, « fléau deux fois plus meurtrier au XVIIIe siècle que ne l’était la peste aux siècles précédents » bien intégrée dans la vie quotidienne est banale, « familière », suscitant la résignation ou l’indifférence plus que la terreur. « Maladie inéluctable chacun doit un jour ou l’autre lui verser son tribut » particulièrement lorsqu’on est dans la tranche des 1-5 ans76.
76Dans ces conditions atteindre les 10 ans constitue un cap difficile mais une fois ce seuil franchi grandes sont les chances de vivre jusqu’à 50 ans et au-delà. Les poussées de mortalité qui affectent assez peu les adultes ne touchent donc guère le « stock des mariables. » Qui plus est, les maxima de sépultures, étant du même ordre que ceux observés un siècle plus tôt mais pour un nombre de naissances en progression, le nombre croissant de « survivants » gonfle le marché matrimonial. Si brutales soient-elles les flambées de mortalité n’ont donc pas brisé la croissance de la population.
Tableau 48. – Moyenne annuelle des mariages à Saint-Tropez : 1750-1790.
1750-1759 | 1760-1769 | 1770-1779 | 1780-1789 |
21,9 | 23,6 | 23,6 | 31,2 |
77Le rapport entre les baptêmes et les mariages ne permet pas de mesurer la fécondité mais fournit, en l’absence de reconstitution de familles, un indicateur qui suggère qu’il n’y a pas vraiment eu empêchements à procréer.
Tableau 49. – Rapport des baptêmes aux mariages à Saint-Tropez : 1750-1789.
1750-54 | 1755-59 | 1760-64 | 1765-69 |
3,93 | 4,40 | 4,67 | 4,24 |
1770-74 | 1775-79 | 1780-84 | 1785-89 |
4,25 | 4,33 | 5,40 | 4,20 |
78La population tropézienne retrouve à la fin de l’Ancien Régime le niveau atteint deux siècles plus tôt. La progression démographique, qui est aussi récupération, n’a pas été cassée par les ponctions opérées par la mortalité dont les « clochers » jalonnent la courbe paroissiale longue. La tendance profonde de la croissance démographique apparaît dessinée par la natalité, commandée par la nuptialité. Cependant, les apports extérieurs ne participent-ils pas à ce jeu complexe, ne serait-ce que pour pallier les effets du déficit chronique en hommes ?
Tableau 50. – Naissances et décès des hommes et des femmes à Saint-Tropez au XVIIIe siècle77.

79Le déficit se perçoit à la fois à travers un nombre de naissances masculines moindre, une plus forte disparition des garçons avant l’âge d’un an et une surmortalité masculine finale qui, de plus, ne tient pas compte d’une partie des disparus hors de Saint-Tropez78, alors que l’on ne relève pas de surmortalité notable des femmes entre 20 et 40 ans en liaison avec le risque des couches. À l’époque de l’enquête de l’abbé Expilly ce déséquilibre au sein de la population adulte est éclatant :
Tableau 51. – Hommes et femmes à Saint-Tropez vers 176579.
Nombre | % du total | |
Hommes adultes | 739 | 45,3 % |
Femmes adultes | 895 | 54,7 % |
Total des adultes | 1 634 | 100 % |
80Ce déséquilibre chronique ne résulte-t-il pas de la place occupée dans la société tropézienne par les gens de mer – des hommes – et par la rudesse du métier exercé ? Constamment à l’arrière-plan de l’évolution générale de la population, la vie maritime ne favorise-t-elle pas le mouvement des hommes, n’exige-t-elle pas un apport régulier de « chair fraîche » ? L’étude de la mobilité géographique s’impose.
Mobilité géographique des hommes
81La ville d’Ancien Régime se distingue de la campagne par une plus forte mobilité de ses habitants, mais « l’insularité tropézienne » entrave-t-elle les mouvements de population ?
82Aborder la question du fait migratoire dans une ville portuaire avec garnison conduit à entrer dans une zone de forte turbulence. Turbulence d’abord étant donné la complexité des phénomènes, la multiplicité des formes de déplacement où se mêlent de manière incessante l’accueil et le départ, le temporaire et le durable, le volontaire et le subi. Turbulence ensuite des acteurs dans la mesure où les travailleurs de la mer, qui composent la majorité de la population active masculine, restent souvent insaisissables. La nature même du métier, les contraintes imposées aux gens de mer et les moyens parfois mis en œuvre pour les contourner rendent délicat le suivi de cette population semi-nomade, « libertine » par essence selon certains observateurs. Aussi, s’il est illusoire de vouloir quantifier les flux humains de manière satisfaisante, il reste possible d’en dégager les caractères principaux, d’en dessiner les orientations majeures afin d’entrevoir la place occupée par ce facteur dans l’évolution de la population et d’appréhender l’espace sous l’influence tropézienne.
Dispersion tropézienne
83Le XVIIe siècle et moins encore le siècle suivant n’ont connu de fuite, même provisoire, de la population tropézienne comme ce fut le cas trois siècles plus tôt. Les menaces extérieures n’ont pas provoqué de départs massifs et définitifs : les incursions barbaresques, l’invasion de la Basse-Provence en 1707 pas plus que les opérations militaires des guerres suivantes ne furent à l’origine de déplacements de population. Une partie de cette dernière tout au plus aurait cherché refuge « dans les bois » à l’intérieur de la presqu’île lors de l’attaque des galères espagnoles de 1637 ou des vaisseaux anglais un siècle plus tard80.
84Hormis les déplacements des travailleurs de la mer, il demeure difficile de connaître les départs qui ont pu affecter les autres catégories de la population. La pratique de la mise en nourrice n’a pas entraîné l’éloignement de nombreux nouveaux-nés hors de la paroisse. Les « frais de nourrice » rencontrés ne concernent que des « dépenses d’entretien, de langes et de nourrice » prises en charge par la communauté pour quelques enfants illégitimes abandonnés et confiés à l’hôpital Saint-Esprit de Toulon81.
85Plus nombreux sont les Tropéziens qui ont quitté leur cité pour une maison religieuse ou un séminaire. Faute de recherche dans les archives des différents établissements religieux, les actes notariés fournissent quelques indices de cette dispersion. Ainsi, entre 1720 et 1750, sont enregistrées deux dotations spirituelles au bénéfice de novices originaires de Saint-Tropez établies dans des couvents des Ursulines : l’une à Lorgues, l’autre à Brignoles et vingt-quatre « titres cléricaux avec biens et rente » à verser lorsque les bénéficiaires auront été « promus à l’ordre de sous-diacre » : deux de ces séminaristes sont alors au séminaire Saint-Charles, d’Avignon, les autres à celui plus proche de Fréjus. Enfin à l’occasion de transactions deux religieux tropéziens sont mentionnés parmi les Augustins de Marseille, un prêtre à Fréjus et un chanoine à l’église cathédrale de Sisteron82. Ces éléments, si imparfaits et partiels soient-ils, soulignent pourtant deux caractères essentiels : une plus forte représentation des hommes que des femmes hors de la paroisse originelle et un éloignement relativement limité puisque majoritairement (83 %) dans le vaste diocèse de Fréjus.
86Ainsi, par le nombre et l’espace ces mouvements demeurent secondaires. En fait la mobilité est avant tout liée à la forte présence de gens de mer dans la cité, ce qui est une composante même du métier car ces travailleurs sont d’abord gens du mouvement. Cependant pour la « petite patrie » avant de représenter le déplacement, la mobilité signifie l’absence d’une partie des siens. En 1776, en réfléchissant à la capacité d’accueil à donner à la nouvelle église paroissiale à reconstruire l’architecte Jean Antoine Torcat, de Lorgues, a consulté le prieur-curé et les membres du conseil de ville. Ces autorités locales, divisées sur la nécessité d’une pareille opération, s’accordent pourtant en estimant que « ce sont environ sept cents habitants de la cité qui sont sur mer en voyage au long cours […] continuellement absents et en voyage d’outre-mer », soit le quart de la population globale83. Une analyse des états de service des hommes de la mer confirme dans une large mesure cette déclaration.
87Bien entendu, le poids de l’absence varie selon les années et au sein de celles-ci sans que l’on puisse pointer de réguliers mouvements saisonniers comme ceux que provoque la pêche hauturière dans certains ports du Ponant. Toutefois, si les voyages au long cours sont à l’origine des absences de longue durée – comme le service sur les vaisseaux du roi en temps de guerre – les opérations à courte distance ne sont pas synonymes de stabilité. La multiplicité des rotations signifie pour de nombreux caboteurs des absences de six à huit mois par an, sinon davantage.
88Quelle que soit l’activité ou la raison de l’éloignement, le déplacement peut être momentané, temporaire mais aussi définitif, décidé ou non par le marin. Ces sorties sans retour ne sont pas sans incidence sur l’évolution générale de la population, comme le démontrent les cas des capitaines et patrons, ainsi que des officiers mariniers et matelots. Entre 1724 et 1794, ces groupes rassemblent les deux tiers de la totalité des travailleurs de la mer, soit plus de 2 500 individus enregistrés par le bureau du service des classes (1 953 officiers mariniers et matelots et 550 capitaines et patrons) Les perspectives d’emploi ou la conclusion d’un mariage, mais souvent les deux, conduisent des marins à quitter momentanément puis définitivement le domicile tropézien et par là à changer de quartier maritime voire de département sinon de pays.
Tableau 52. – Destinations des officiers mariniers, matelots, capitaines et patrons qui ont quitté la paroisse de Saint-Tropez (1724-1794)84.
Officiers mariniers et matelots | Capitaines et patrons | ensemble | |
Antibes | 2 | 2 | |
Cannes | 1 | 1 | |
Fréjus | 9 | 9 | |
Toulon | 16 | 1 | 17 |
La Seyne | 2 | 4 | 6 |
La Ciotat | 2 | 4 | 6 |
Marseille | 29 | 23 | 52 |
Sète | 2 | 2 | |
Bordeaux | 1 | 1 | |
Port-Louis | 1 | 1 | |
Catalogne | 1 | 1 | |
Malte | 1 | 1 | |
Barbarie | 2 | 2 | |
Inconnu | 2 | 5 | 7 |
total | 69 | 39 | 108 |
89Les 108 départs, dont 80 % situés dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, ne concernent que 4,3 % des travailleurs considérés et proportionnellement davantage les capitaines et patrons (7,1 %) que les officiers mariniers et matelots (3,5 %). Ils s’effectuent essentiellement en direction du littoral provençal ; Marseille et Toulon en recueillent plus des deux tiers avec cependant un éventail géographique plus ouvert pour les seconds. Si pour d’évidentes raisons économiques Marseille est la destination privilégiée des capitaines et patrons, Toulon à la fois plus proche et régulièrement fréquenté lors de la conscription sur les vaisseaux du roi, connaît l’installation de près du quart des matelots tropéziens qui changent de quartier.
90Les autres destinations restent marginales et reflètent à la fois les horizons maritimes du trafic tropézien et le destin de certains individus. Deux capitaines ciotadens installés à Saint-Tropez regagnent leur cité d’origine, tout comme Raphaël Forgues, matelot, retourne en Catalogne avec sa famille en 1732. Débarqué à Lorient après un service sur un vaisseau du roi, ce matelot se marie à Port-Louis et s’y s’établit, comme cet autre s’installe à Bordeaux au retour d’un voyage aux Iles d’Amérique. Le mariage est aussi à l’origine d’établissements vers des horizons plus familiers comme Fréjus et Antibes mais aussi Sète et Malte.
91À côté de ces travailleurs aux trajectoires en partie connues, nombreux sont ceux dont on ne sait rien ou si peu de chose. « On le dit en Amérique », « ses parents assurent qu’il est marié à Gênes », « selon sa sœur il serait en Levant », « on affirme qu’il poursuit son libertinage en Italie » : ces quelques formules émaillent les états de service et conduisent le greffier chargé de la tenue des registres à inscrire en marge de ceux-ci la mention « sans nouvelle85 ». Le nombre de ces marins disparus est nettement plus élevé que celui observé précédemment.
Tableau 53. – Officiers mariniers, matelots, capitaines et patrons habitant Saint-Tropez « sans nouvelle » (1724-1794)86.
Nombre | % du stock inscrit | |
Officiers mariniers et matelots | 228 | 11,7 % |
Capitaines et patrons | 14 | 2,5 % |
total | 242 | 9,7 % |
92Davantage enracinés dans leur port d’attache, qui est aussi port d’origine pour onze de ces « sans nouvelle » sur les quatorze, les capitaines et patrons figurent peu parmi ces absents. Les troubles de la fin du XVIIIe siècle, y compris en Méditerranée orientale, ne sont pas étrangers à cette situation dans la mesure où la moitié des « sans nouvelle » de ce groupe se place après 1788 – sans pour autant réapparaître après 1794. Les officiers mariniers et surtout les matelots se rencontrent plus fortement avec près de 12 % des enregistrés à Saint-Tropez entre 1724 et 1794 ; 92,5 % des « disparitions » se situent dans la seconde moitié du siècle et la moitié durant les conflits. Les non-natifs de Saint-Tropez sont plus nombreux dans ce groupe ; les moindres attaches locales peuvent expliquer ces discrètes disparitions mais en partie seulement car nombre de ces hommes étaient « habitués » de la cité depuis plusieurs années.
93Installation sous d’autres cieux, hors du royaume ou passés au royaume des morts, ces « sans nouvelle » ne se retrouvent pas parmi les Tropéziens morts hors de leur cité et pour lesquels a été célébré un « service pour le repos de l’âme. » Toutefois, ces mentions ne présentent qu’un fragment de la réalité. Ainsi, le 3 août 1728 est rendu un service pour le repos de l’âme du capitaine Antoine Bernard Pérou dont une tempête « sur les côtes de l’île de Sardaigne a englouti la barque où il était embarqué avec tout son équipage87 ». Alors que tout l’équipage a disparu le service solennel n’évoque avec précision que le seul capitaine ; si « tous ceux qui étaient dans son bord » sont associés à la prière, six à sept marins de la cité sont engloutis sans trace de funérailles. Par ailleurs l’abandon de cette pratique religieuse à Saint-Tropez au-delà de 1758 – à la suite d’un changement de curé ou pour éviter que ces mentions soient utilisées comme preuve devant la justice ? – engage à consulter d’autres documents comme les rôles d’équipage au désarmement et les registres matricules. De 1694 à 1798, parmi les catégories de travailleurs retenus, 838 qui résident à Saint-Tropez – dont 665 natifs de la cité – sont morts hors de cette paroisse, au lieu des 78 inscrits sur les registres de sépultures. Pour la période 1724-1794 retenue ci-dessus, les indications sont les suivantes :
Tableau 54. – Officiers mariniers, matelots, capitaines et patrons de Saint-Tropez morts hors de leur paroisse : 1724-179488.
nombre de décès | % du stock inscrit | |
Officiers-mariniers et matelots | 407 | 20,8 % |
Capitaines et patrons | 23 | 4,2 % |
Ensemble | 430 | 17,2 % |
94La part élevée des officiers mariniers et matelots morts hors de leur paroisse résulte de l’exercice du métier et des contraintes imposées aux gens de mer par l’État royal. Les principaux espaces où se produit cette la mortalité sont autant de marqueurs de la dispersion tropézienne.
Tableau 55. – Localisation de décès des officiers mariniers, matelots, capitaines et patrons morts hors de Saint-Tropez : 1724-1794.
Localisation des décès | Nombre |
Provence | 81 |
Corse | 4 |
Languedoc | 5 |
Espagne | 10 |
Italie | 27 |
Barbarie | 10 |
Levant | 155 |
Mer Noire | 1 |
Maroc | 2 |
Ponant | 17 |
Angleterre | 10 |
Amérique | 30 |
Océan Indien | 10 |
« En mer, sur vaisseau » | 64 |
Indéterminé | 4 |
95Le champ de la mobilité – qui est ici champ mortuaire – s’étend bien au-delà du cadre micro-régional jusque-là observé. Cette géographie macabre est liée aux activités maritimes de la petite cité portuaire et aux obligations de service des officiers mariniers et matelots : s’expliquent ainsi les pertes au Levant, en Amérique et dans l’océan Indien tout comme les décès sur les vaisseaux du roi ou dans les prisons et pontons d’Angleterre. Finalement près d’un tiers (31,2 %) des officiers mariniers, matelots, capitaines et patrons habitants et inscrits à Saint-Tropez entre 1724 et 1794 disparaissent de la cité au cours de leur vie active, et particulièrement dans la seconde moitié du siècle, en relation directe avec la plus grande activité de la place.
Tableau 56. – Officiers mariniers, matelots, capitaines et patrons ayant quitté Saint-Tropez : 1724-179489.
Nombre | % des inscrits | |
Changement de paroisse, de quartier | 108 | 4,3 % |
« sans nouvelle » | 242 | 9,7 % |
morts hors de Saint-Tropez | 430 | 17,2 % |
ensemble | 780 | 31,2 % |
96En considérant les autres composantes du monde de la mer, des mousses aux invalides – dont certains continuent à exercer le métier – en passant par les novices, les écrivains et les ouvriers navigants, on peut estimer à 40 % ces disparitions et départs qui renforcent la surmortalité masculine et creusent le déficit d’hommes adultes. Face à l’hémorragie d’hommes actifs et relativement jeunes peut-on alors concevoir la croissance démographique et le développement des activités maritimes sans l’apport d’un sang neuf extérieur à la cité ?
Attraction tropézienne
97Plus que les sorties les arrivées demeurent difficiles à comptabiliser. Ces entrées peuvent être de brèves durées ou marquer les débuts d’un établissement durable sinon définitif, les premières alimentent parfois les seconds.
Apports multiples, éphémères ou durables
98L’abri donné à des équipages de bâtiments naufragés comme l’accueil de réfugiés fuyant l’avancée des troupes ennemies restent exceptionnels et n’appartiennent pas vraiment aux phénomènes migratoires ayant pu susciter l’installation d’individus dans le port provençal. En revanche les fréquentes escales de bâtiments, tropéziens ou non mais avec des équipages d’horizons variés, ainsi que la venue régulière de pêcheurs napolitains et catalans génèrent rencontres répétées et parfois enracinement à l’image de Joseph Ferriol, Charles Caissan et Marianou Pin, pêcheurs originaires de Bagur en Catalogne.
99Ces déplacements temporaires qui conduisent à des installations définitives ne privilégient pas le seul chemin de la mer. Des muletiers et des charretiers fréquentent les médiocres routes qui serpentent à travers le massif des Maures pour acheminer des produits destinés à la consommation locale ou aux « cargaisons tropéziennes » et regagner ensuite Draguignan, Brignoles, Riez ou Digne munis de produits de la mer.
100À côté de ces mouvements qui fixent quelques individus existent des migrations saisonnières plus amples mais plus discrètes. Leurs incidences sont peu spectaculaires alors que leur rôle est essentiel à la vie de la cité. Ainsi que le rappellent des magistrats municipaux désireux de voir agrandir l’église paroissiale « il y a tous les ans l’hyver en cette ville aux environs de quatre cents païsans de la montagne ». Loin de mettre en cause cette affirmation les adversaires de la reconstruction de l’édifice, par la plume de l’avocat Jean Joseph Martin, signalent simplement que déjà « au XVIIe siècle ces montagnards venaient faire les travaux de la campagne comme ils le font aujourd’hui90 ». De longue date il est indispensable à Saint-Tropez, où « tous les bras sont destinés à la mer91 », de faire appel à de lointains et nombreux travailleurs pour mettre en valeur le terroir pourtant modeste. La présence de ces forains, en rien extraordinaire aux hommes du temps, constitue une permanence forte, mais au-delà de ce constat il reste difficile de fournir des précisions quant à l’origine de ces « montagnards ». De la montagne des Maures ou de la montagne alpine ? Il est tout aussi délicat de quantifier ces flux, de les cartographier et de déterminer la part des participants qui se fixèrent sur le rivage tropézien.
101La fonction militaire participe autrement à cette mobilité en entraînant à la fois une présence extérieure continue et la venue temporaire de divers régiments. Pour « assurer la garde du port et de la navigation de la côte » la citadelle accueille en permanence une cinquantaine de soldats et d’officiers92. L’abbé Expilly fait état dans son dénombrement de la présence vers 1765 de « 68 hommes de troupes-réglées suivant la revue du mois d’août93 » mais la capacité d’accueil de la citadelle dépasse largement cet effectif. Dans sa tournée d’inspection Milet de Monville estime que la place-forte peut recevoir une garnison de 600 hommes94. En période de conflit les militaires de passage et les troupes en garnison gonflent soudainement la population contenue dans les murs de la cité. Cette présence se lit dans les registres d’entrée des malades à l’hôpital95 et dans les actes de sépulture consignés dans les registres paroissiaux, ainsi que le montrent ces quelques années prélevées parmi les conflits du milieu du siècle.
Tableau 57. – Décès de soldats à Saint-Tropez96.
Années | Nombre total de décès | Nombre de soldats décédés | % de décès de soldats |
1747 | 201 | 32 | 16 % |
1759 | 238 | 41 | 17,2 % |
1761 | 86 | 15 | 17,4 % |
102La part des décès parmi les soldats venus « en quartier d’hyver en ce païs » doit être complétée parfois par ceux de membres de la famille de certains d’entre eux : ainsi, en 1747 il faut ajouter à ces décès ceux de l’épouse non-Tropézienne d’un militaire et de deux enfants d’un autre. Il demeure toutefois impossible de préciser l’origine exacte de ces étrangers, souvent non-Provençaux pour reprendre la classification de l’abbé Expilly, car ne figure dans l’acte de sépulture que le régiment d’appartenance : Naples, Flandres, Castelnaudary, par exemple, en 1747. Ces décès qui accentuent les pics de mortalité rencontrés sur la courbe paroissiale longue compensent en partie ceux des Tropéziens morts hors de leur paroisse.
103Plus stable et plus durable, l’installation de religieux est marginale. Le couvent des Capucins, seule maison religieuse établie à Saint-Tropez en 1617, reste de dimension réduite et de rayonnement modeste. Il ne constitue en aucun cas un puissant foyer d’appel et ne compte, au cours du XVIIIe siècle, qu’une douzaine de pères97 et ne peut guère avoir d’incidences sur l’évolution démographique de la cité. Néanmoins sur les quatorze pères morts au couvent au cours du siècle, les archives capucines indiquent la présence de dix religieux provenant de localités provençales parfois peu éloignées de la presqu’île : deux de Draguignan, un de Grasse, un d’Antibes, un de Sospel, un de Marseille, un de Carpentras, un d’Embrun et deux d’origine non précisée.
104La présence de forains parmi les travailleurs de la mer, plus forte et en progression, répond aux besoins croissants des activités de la place. Une estimation globale est permise à l’aide des registres du bureau du service des classes.
Tableau 58. – Gens de mer non natifs de Saint-Tropez98.
1736 | 1765 | 1788 | |
Ensemble des gens de mer de la paroisse de St-Tropez | 603 | 732 | 837 |
Gens de mer non-tropéziens | 77 | 140 | 224 |
% des non-Tropéziens | 12,7 % | 19,1 % | 26,8 % |
105Étant donné le manque de précision pour certains groupes de marins – novices, invalides – les résultats constituent des estimations basses mais montrent une nette croissance générale. Les simples matelots, avec 40 représentants extérieurs à la cité en 1736 et 117 en 1788 – soit plus d’un tiers de cette catégorie de marins – composent le plus fort contingent dans cet apport et impriment leur marque dans la progression enregistrée au cours de la période retenue. Les mousses non-tropéziens, faiblement représentés au début du siècle, figurent en plus grand nombre dans ses dernières décennies : aux 4 % de mousses forains de 1736 s’opposent les 23,3 % de 1788, signe, comme pour les matelots, de l’effective et nécessaire ouverture de la cité maritime.
Caractères de ces apports extérieurs
106Dans cet ensemble composite et mouvant, la part des forains établis durablement dans la petite cité demeure difficile à déterminer. Les actes et contrats de mariage constituent assurément la « grande source d’étude des mouvements migratoires » (J.-P. Poussou) et de l’ancrage social des nouveaux venus mais présentent des limites. En effet, si fine soit cette grille d’analyse, elle laisse passer entre ses mailles un certain nombre de migrants que la cité a pourtant retenus. Il s’agit notamment de tous ceux qui venus à Saint-Tropez ont disparu ou sont morts avant d’avoir pu fonder un foyer, situation en rien exceptionnelle pour nombre de marins. Une évaluation de la place occupée par les célibataires parmi les officiers mariniers et matelots forains peut être proposée grâce aux informations rassemblées dans les registres du bureau des classes.
Tableau 59. – Part des célibataires parmi les officiers mariniers et matelots forains99.

107Les officiers mariniers et matelots venus d’ailleurs et célibataires représentent une partie réduite de ces marins mais une partie croissante qui échappe à la grille de lecture établie à l’aide des actes matrimoniaux. Par ailleurs, si ces forains sont pour la moitié d’entre eux mariés, certains l’étaient déjà en venant s’établir à Saint-Tropez – 12 % en 1788, mais aucun 40 ans plus tôt – et ne figurent pas dans le lot des mariages examinés. Aussi, les actes et contrats de mariage n’offrent qu’une estimation basse de la quantité de forains présents à Saint-Tropez.
108Ces réserves posées, quelques coupes chronologiques effectuées dans le siècle indiquent le niveau auquel se situe la part des forains, marins ou non, installés à Saint-Tropez et soulignent sa croissance dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.
Tableau 60. – Conjoints non-tropéziens à Saint-Tropez au XVIIIe siècle100.

109L’absence de précision quant à la durée du séjour prénuptial ne permet pas de savoir si la présence des futurs époux est ancienne ou de fraîche date lors de l’union. Néanmoins alors que les forains représentent environ un conjoint sur cinq au début du siècle ils atteignent près d’un sur trois à la fin du XVIIIe siècle. Par ailleurs, dans cet apport la place des hommes reste dominante et ne cesse de s’élever passant de 33,7 % en 1694-1700 à 44 % en 1784-90 ; la part des femmes, modeste et stationnaire dans un premier temps, progresse également de 7,4 % à 17 % dans l’intervalle considéré.
110Ces hommes et ces femmes venus d’ailleurs paraissent se mêler et se fondre aisément dans la population locale en épousant des natifs de Saint-Tropez.
Tableau 61. – Place des Tropéziens parmi les conjoints des forains101.

111L’ouverture enregistrée au cours de la seconde moitié du siècle entraîne à son tour un plus fort brassage de la population : si 73 % de non-Tropéziennes épousaient des natifs du lieu en 1694-1700, elles ne sont plus que 19 % dans ce cas en 1784-90. Pour les hommes l’évolution est semblable (de 94 % à 70 %) dans la mesure où le marché matrimonial est déséquilibré avec un déficit d’hommes à la suite des pertes parmi les gens de mer.
112Dans quelle mesure cette attraction résulte-t-elle des activités maritimes de la place ? L’analyse des professions connues des époux non-tropéziens fournit un élément de réponse, en se souvenant néanmoins qu’une partie des nouveaux-venus – surtout des gens de mer – échappe, par le décès ou le célibat, à ce regard.
Tableau 62. – Activités des époux non-tropéziens102.

113Les indications du début du siècle demandent à être considérées avec prudence étant donné l’importance des lacunes dans les professions enregistrées. Dans les années 1730, un peu plus d’un tiers des nouveaux-venus et mariés à Saint-Tropez sont des travailleurs de la mer, proportion qui s’élève à près de 42 % si l’on considère les emplois induits avec cinq charpentiers et un poulieur parmi les artisans. Leur place se consolide au fil du siècle tandis que celle des paysans – travailleur, laboureur, ménager, journalier, paysan – fléchit légèrement sans trouver la trace des fameux « montagnards » saisonniers. Tâches effectuées par les hommes du lieu, intégration plus difficile de ces « montagnards » ou migrants mariés dans le haut-pays et par là absents de nos sources ?
Le bassin démographique
114À cette plus forte présence extérieure et à ce brassage humain correspond un plus intense drainage matrimonial, sans qu’il y ait au cours du siècle une véritable dilatation du bassin sollicité.
115La presqu’île de Saint-Tropez, contenue dans le rayon des moins de 10 kilomètres autour de la ville portuaire, ainsi que les proches contreforts des Maures – le pays du Freinet – demeurent un vivier majeur, surtout au début du siècle et principalement pour les hommes. Dans ce périmètre se situe, il est vrai, la majorité des paroisses du quartier maritime de Saint-Tropez : Gassin, Ramatuelle, Cogolin, Grimaud, Sainte-Maxime, mais aussi, déjà dans le massif, La Garde-Freinet et Plan de la Tour. De ce fait nombre d’hommes fréquentent régulièrement le port pour répondre aux besoins du commerce et à l’appel du service sur les vaisseaux du roi. Les relations nouées sur place avec les marins et les armateurs-propriétaires des bâtiments conduisent certains de ces « voisins » à y élire domicile et y prendre épouse. Ainsi 17,6 % des mariés à Saint-Tropez appartiennent à cet espace au début du XVIIIe siècle et 12,8 % à la fin.
Tableau 63. – Provenance des conjoints de Saint-Tropez103.

116Au fléchissement relatif de cette première zone répond l’affirmation d’un autre réservoir matrimonial, en forme de constellation autour du pôle central, avec une contribution féminine plus nette. Renforçant une tendance déjà perceptible au début du XVIIIe siècle l’attraction tropézienne s’exerce clairement au sein de cette couronne (30 à 65 kilomètres) suivant à grands traits la dépression périphérique des Maures. Alors que de cet espace plus lointain venaient 9,5 % des hommes et 2,7 % des femmes en 1694-1700, en arrivent respectivement 16 % et 7,8 % en 1784-1790.
117Au-delà de cette aire micro-régionale qui correspond essentiellement à la Basse-Provence orientale l’influence est plus limitée, plus ponctuelle et se heurte à d’autres bassins démographiques, à commencer par celui de Toulon. Cependant des espaces plus lointains, peu représentés ou pas du tout pour les femmes dans la première moitié du siècle, participent désormais de manière plus sensible aux flux migratoires en direction de Saint-Tropez. La Haute-Provence est ainsi atteinte par l’influence tropézienne, mais la coulée de gavots et plus encore de gavotes – si sensible à Toulon mais surtout à Aix-en-Provence et à Marseille – ne constitue ici qu’un mince filet. Quelques journaliers et domestiques quittent leurs petites patries bas-alpines pour le littoral en suivant probablement les chemins de transhumance empruntés pour l’hivernage par des bergers de Haute-Provence. Cependant, là encore les nombreux « montagnards » signalés par les autorités tropéziennes demeurent plus que discrets ; gens de passage mariés ou appellation appliquée aux gens du massif des Maures et collines de Basse-Provence ?
Cartes 7A et 7B – Origines des conjoints non-tropéziens 1694-1700 et 1784-1790.

118Deux sources de nature différente alimentent des courants lointains qui rappellent les deux fonctions majeures de la cité portuaire fortifiée. La première, masculine et conjoncturelle, échappant largement aux décisions des migrants, se trouve liée à la présence des régiments de soldats dans la place ; d’où ces mariages célébrés entre Tropéziennes et militaires venus d’Auvergne (Le Puy, Clermont), du Dauphiné (Die, Valence, Luz-la-Croix-Haute), du Comtat (Avignon). La seconde source, qui s’inscrit dans un mouvement plus profond et continu, doit être reliée aux contacts anciens entretenus et renforcés avec le Comté de Nice mais plus encore la rivière de Gênes. La présence sur les lieux de parents ou de connaissances favorise l’appel au païs et rend plus aisé l’établissement des nouveaux arrivants. Ce point d’ancrage constitue à son tour, selon processus bien connu, une nouvelle force d’attraction pour le courant migratoire.
119Les arrivées plus nombreuses en provenance de la rivière ligure accentuent la place occupée par les littoraux dans l’apport humain : alors que 16 % de forains mariés à Saint-Tropez étaient originaires de cités portuaires, italiennes ou non, en 1694-1700, la part se hisse à 31,3 % en 1784-1790, avec une prédominance des rives situées à l’est de Saint-Tropez.
120L’apport maritime demeure néanmoins second dans le renouvellement de la population tropézienne par migration. Saint-Tropez puise en fait une part croissante de sa vitalité dans les bourgs et campagnes de Basse-Provence. De là arrivent, et ce n’est guère surprenant, la majeure partie des travailleurs de la terre mais de là proviennent également une large fraction des matelots. Ainsi, en 1788, sur les 117 matelots non Tropéziens mariés ou non, 43 seulement, soit 36,75 % arrivent de cités portuaires – 23 de la rivière génoise et 20 de ports situés entre Cannes et Marseille. Près des deux tiers de ces nouveaux hommes de la mer sont d’origine terrienne et issus majoritairement du proche arrière-pays – presqu’île, Maures, dépression périphérique et pays dracénois – avec quelques « montagnards » de diocèses bas-alpins recherchant l’aventure et fuyant plus encore la misère.
121La mobilité des hommes, plus que des femmes, observée sous ses diverses dimensions, constitue une donnée fondamentale pour le destin de la cité portuaire. À l’écart des grands axes de circulation terrestre Saint-Tropez n’est pas ignoré, replié, isolé. Son bassin démographique proche s’élargit et s’étoffe afin de répondre aux exigences quotidiennes, principalement à celles du port et de son modeste terroir. Toutefois, au sein du monde de la mer la part prise par les migrations n’a pas la même force ou se montre plus sélective : alors que la ville « produit et conserve » une large majorité de patrons et capitaines, l’appel extérieur intervient fortement pour le recrutement de matelots.
122Après avoir enregistré une phase de repli tout au long de la seconde moitié du XVIIe siècle la population tropézienne connaît une lente reprise suivie d’un vif renouveau après 1745-1750, aboutissant presque à son doublement en un siècle. Largement dominée par la présence des gens de mer la ville est totalement à l’unisson de son port. La poussée démographique, qui replacerait la cité au niveau atteint à la fin du XVIe siècle, ne peut être dissociée du dynamisme des activités maritimes qui attirent et dévorent un nombre croissant de participants. A contrario les troubles et les mutations de la fin du XVIIIe siècle et du début du siècle suivant, qui modifient en profondeur la vie maritime de la place, font entrer Saint-Tropez dans une période de stagnation démographique plus que séculaire. Le « temps des Levantins » qui définit le XVIIIe siècle tropézien marque également l’épanouissement démographique de la cité, comme son effacement en marque ensuite l’immobilisme.
123À l’instar des autres villes des temps modernes l’évolution de la population obéit à une combinaison complexe de facteurs endogènes et exogènes104. Rendant compte, à la fin du XVIIIe siècle de l’augmentation de la population intervenue « depuis le dernier dénombrement » – celui de l’abbé Expilly – les autorités municipales évoquent avec clairvoyance ces deux moteurs du mécanisme démographique, à savoir :
« Les nombreux petits enfants d’alors devenus hommes » et les « familles et habitants qui sont venus habiter, de tout état et presque de tout art, de Brignolle, de Draguignan, de Toulon, d’Antibes, de Fréjus, de Coutignac, de Fayence de Rocquebrune, de Vidauban, de Nice, du Luc, d’Avignon, de Seillans, de Seranon, de Sainte-Maxime, de Grimaud, de Gassin et de plusieurs autres lieux et une quantité de la rivière de Gênes105. »
124L’essor de la vie portuaire ne pouvait guère s’affirmer sans la proximité de ressources humaines disponibles. L’insularité tropézienne, si forte soit-elle, ne signifie en aucun cas isolement et fermeture de la cité.
125Les incessants mouvements de population qui l’affectent engagent à classer sans hésitation Saint-Tropez parmi les villes maritimes à la fois « aimants et passoires » (J.-P. Bardet). Ce double rôle résulte d’abord de la guerre qui prélève une partie des forces vives de la cité, accélère les départs mais n’introduit, en compensation, qu’une faible dose d’hommes venus de lointaines contrées. L’ambivalence de la ville portuaire découle ensuite et surtout des affaires maritimes elles-mêmes. L’exercice du métier de la mer, qui provoque de nombreuses disparitions, exige un flot humain continu en remplacement des effectifs nécessaires à la composition des équipages, à la construction et à l’entretien des navires. Un vide que le solde naturel seul ne parvient pas à combler. Par ailleurs, si la route maritime n’est empruntée que par une minorité des nouveaux venus, c’est la « voye de mer » qui assure la diffusion du plus grand nombre hors de la cité ? À un bassin de recrutement micro-régional répond une vaste géographie de la dispersion qui traduit la variété des activités locales et la multitude des espaces maritimes fréquentés.
126La place de la mer, essentielle pour comprendre les soubresauts de la population tropézienne, imprime-t-elle, comme en d’autres localités littorales, certaines originalités aux comportements démographiques et aux stratégies sociales ? La connaissance du métier de la mer et des activités portuaires est indispensable pour proposer des réponses à ces interrogations.
Notes de bas de page
1 Darluc M., op. cit., p. 277.
2 Combet J., op. cit., p. 19. Le procès-verbal de l’assemblée communale établi pour le remplacement de l’agent municipal (10 germinal an V/30 mars 1797) mentionne « 773 citoyens pouvant voter » (AD V, 3E24-175, f° 251).
3 Fauchet J., préfet, Statistique…, op. cit., p. 99 et Annuaire du département du Var, Draguignan, 1802.
4 Dupaquier J. (dir.), Histoire de la population française, t. 2 De la Renaissance à 1789, Paris, 1988, p. 24-50. Expilly, abbé, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, Amsterdam, 2 vol., 1762-1770. À propos d’Expilly, « bien peu fiable pour le Sud-Ouest » on pourra consulter Pontet-Fourmigué J., Bayonne. Un destin de ville moyenne à l’époque moderne, Bayonne, 1990, p. 150-151. Pour la Provence on se reportera à Terrisse M. Peut-on connaître les Varois d’avant la Révolution ? ex. dactyl., 1974, 20 p. et du même auteur Le dénombrement de Provence de 1765 (résultats classés et publiés par l’abbé Expilly…)
5 AM Saint-Tropez. II. Liasse 1.
6 Ce recensement a été publié par Biraben J.-N., Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens, 2 vol., Paris-La Haye, 1975-1976, t. I, p. 338-362.
7 AM Saint-Tropez. Document non coté. Dossier divers.
8 AM Saint-Tropez. DD 33. 11 novembre 1776.
9 AM Saint-Tropez. FF 79. Procès Hermieu (1782).
10 Achard C.-F., Géographie de la Provence et du Comtat Venaissin, t. II, Aix-en-Provence, 1788, p. 457. Darluc M., op. cit., p. 277.
11 AD V 3E 66-2, 3E 24-146-150-157-161 et Arch. priv. Saint-Tropez. Fonds Courtin-Germondy.
12 AM Saint-Tropez. DD 33 – 1776.
13 Ibid.
14 Terrisse M. « Les habitants de la généralité d’Aix et des terres voisines », Emmanuelli M. F.-X. (dir.), La Provence moderne, 1481-1800, p. 134-135.
15 En 2005, Saint-Tropez comptait 5 635 habitants (après un pic de 6 213 en 1982), mais 35 000 résidents en été…
16 Selon Lebret et Expilly.
17 D’après : Expilly, op. cit., et Biraben J.-N., op. cit.
18 Expilly, op. cit., p. 960 et Letrait J.-J., « Étude du cadastre de Saint-Tropez en 1607 », Provence historique, t. XII, fasc. 49, juillet-septembre 1962, p. 249-258.
19 Pour 1540 le cadastre a été utilisé par Baratier É., Démographie provençale (XIIIe-XVIe siècles). Avec chiffres de comparaison pour le XVIIIe siècle, Paris, 1961, p. 152. Pour 1607 voir Letrait J.-.J, « Étude du cadastre… », art. cit. Les données de 1633 sont fournies par Sue E., Correspondance d’Henri d’Escoubleau de Sourdis, Paris, t. III, p. 285, à propos du voyage de Séguiran. L’indication de 1765 figure dans l’enquête d’Expilly, op. cit.
20 AM Saint-Tropez. Répertoires non cotés.
21 Pour la méthode suivie voir : Dupaquier J., op. cit., Baratier E., op. cit., et Terrisse M., « Notes à propos des aspects démographiques de la vie provençale au XVIIe siècle », Provence Historique, t. xxxix, fasc. 155, janv. mars 1989, p. 75-102.
22 Sue E., op. cit., p. 285.
23 AM Saint-Tropez. FF 19. Droit de chasse, 1787.
24 Observons simplement que les 5 000 habitants pour 800 maisons, tout comme les 2 879 habitants pour les 455 maisons du temps de l’abbé Expilly conduisent au même rapport d’environ 6,5 habitants par maison.
25 Une hausse de la population « couvrant presque tout le XVIIe siècle » caractérise la Basse-Provence de Baehrel R., Une croissance : la Basse-Provence rurale (fin du XVIe siècle-1789), Paris 1961, p. 231-237.
26 AM Saint-Tropez. FF 79. Procès Hermieu (1782).
27 Ibid.
28 AM Saint-Tropez. DD 33. 8 novembre 1776.
29 SHDM-T, V Art. 8, section 1, carton 1. Mémoire sur le port de Saint-Tropez, 1738.
30 AM Saint-Tropez. FF 79. Procès Hermieu, 1782.
31 Ibid., FF 19. Droit de chasse, 1779.
32 D’après Expilly, op. cit., et SHDM-T 4P. Les étrangers, au nombre de 50 en 1765, n’ont pas été pris ici en compte car il ne semble pas avoir été recensés en 1716. Cf. Biraben J.-N., op. cit., p. 338.
33 Ibid.
34 Archives privées. Saint-Tropez. Fonds Germondy. Mémoire sur la ville de Saint-Tropez, 1793-1794.
35 Ainsi parmi ces actes : AD V 7E 124-4, 6 et 10 novembre 1784. AM Saint-Tropez GG 57, 16 mai 1747.
36 Voir ci-dessous.
37 Goubert P., Beauvais et le Beauvaisis de 1600 à 1730, Paris, 1969, p. 45.
38 AM Saint-Tropez, Répertoires (non-cotés) et GG50 à 70, AD V 7E 124-1 à 4.
39 La démographie provençale au XVIIe siècle reste un terrain en friche. Voir : Terrisse M., « Notes sur… », art. cit., p. 75-102.
40 Le rapport baptêmes-mariages est calculé, ici comme dans la suite de l’étude, en prenant les baptêmes du quinquennat indiqué et les mariages du quinquennat précédent. Ce quotient ne fournit pas un nombre moyen d’enfants par famille. Il peut être considéré comme un indicateur très approximatif de fécondité et servir pour d’ultérieures comparaisons.
41 Sue E., op. cit., t. I, p. 424-425 et Grèzes H. de, op. cit., p. 23-24.
42 Honoré L., « Lieux pestiférés de Provence (1423-1722) », Le Var historique et géographique, no 19, 1924, p. 17.
43 AM. Saint-Tropez, BB 8, f° 45 et f° 47, juillet 1637.
44 Terrisse M., « Notes sur… », art. cit., p. 92-94.
45 Lachiver M., Les années de misère. La famine au temps du Grand Roi, 1680-1720, Paris, 1991.
46 Gouhier P., « Port-en-Bessin (1597-1792). Étude d’histoire démographique », Cahier des Annales de Normandie, no 1, 1962. Ainsi que le mentionne d’ailleurs Pierre Chaunu dans la préface à cette étude : « Le rythme de ce front de mer normand est assez curieusement celui de la méditerranéenne Provence. »
47 AM Saint-Tropez, GG50.
48 AD V 7E 124-1, 23 janvier 1709.
49 AM Saint-Tropez, GG 52-53.
50 Ibid.
51 AM Saint-Tropez, BB 10, juillet 1707.
52 AD V 7E 124-1, 19 juillet et 12 août 1707.
53 AM Saint-Tropez, GG 52-53.
54 AD V, 4S 39, Mémoire sur la ville de Saint-Tropez et le port, 25 prairial an XII.
55 Lachiver M., op. cit., p. 255.
56 AM Saint-Tropez, BB 11, 2 août 1720.
57 Cipolla C. M., Contre un ennemi invisible. Epidémie et structures sanitaires en Italie de la Renaissance au XVIIe siècle, Paris, 1992.
58 Cette directive n’est d’ailleurs pas sans rappeler le comportement observé lors de l’énigmatique mortalité de 1637-1638.
59 AM Saint-Tropez, BB 10, août-octobre 1720 et FF 126, fos 1 à 6.
60 AM Ramatuelle, BB, 6 août 1720.
61 AD BdR, 200 E - 387, 28 avril 1692.
62 AM Saint-Tropez, GG 54.
63 AD BdR, 200 E - 387, 22 février 1722.
64 Millin A.-L., op. cit., p. 467.
65 Arch. privées, Saint-Tropez. Fonds Prévost-Allard. Lettres des intendants de santé, 1657.
66 AD V, 3 E 24-133, 25 juin 1698.
67 AM Saint-Tropez, FF 126, f° 6 et Smilovici M.-L., La population de La Ciotat au XVIIIe siècle, mémoire de maîtrise, Aix-en-Provence, 1974.
68 SHDM T, 252, Règlement de 1728. Des fragments de ces archives se trouvent aux AD BdR, 200 E - 387.
69 Arch. privées, La Valette-du-Var. Fonds Trinquier. Lettre adressée à MM. les intendants de la santé de Marseille, le 9 février 1725.
70 AD BdR, 200 E - 387, 28 février 1725.
71 AM Saint-Tropez, GG 57-58-59.
72 AM Saint-Tropez GG 69-70 et AD V 7E124-4.
73 Ibid.
74 Maurice Halbwachs cité par Baehrel R., op. cit., p. 270.
75 Darluc M., op. cit., p. 279, Achard C.-F., op. cit., p. 457 et Garcin E., Dictionnaire historique et topographique de la Provence ancienne et moderne, Draguignan, 1835, p. 532.
76 Darmon P., La longue traque de la variole, Paris, 1986, p. 67-70.
77 AM Saint-Tropez, GG 54-55-58-59-66-67.
78 Voir ci-dessous.
79 D’après Expilly, op. cit., p. 960-961.
80 Grèzes H. de, op. cit., p. 23.
81 AM Saint-Tropez, FF 105-106. Liasses 1 et 2.
82 AD V, 3E 24 et 3E 66.
83 AM Saint-Tropez, DD 33. Liasse 33, 4 et 11 novembre 1776.
84 SHDM-T 4P 53 à 59.
85 SHDM-T, 4P 53 à 59.
86 SHDM-T 4P 39 à 42 et 4P 53 à 59.
87 AM Saint-Tropez, GG 55, 3 août 1728.
88 SHDM-T 4P 39 à 42 et 4P 53 à 59.
89 SHDM-T 4P.
90 AM Saint-Tropez, DD 33, 7 et 9 novembre 1776.
91 AM Saint-Tropez, FF 79, 1782.
92 Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, Ms 6446 Mémoire sur le golfe de Grimaud et la citadelle de Saint-Tropez, par Milet de Monville, 9 août 1752.
93 Expilly, op. cit., p. 961.
94 Bibliothèque de l’Arsenal, doc. cit.
95 AM Saint-Tropez, FF1 et FF2.
96 AM Saint-Tropez, GG 57 et 58.
97 Grèzes H. de, op. cit., p. 84-88.
98 SHDM-T 4 P53 à 133.
99 SHDM-T 4 P53 à 59.
100 AM Saint-Tropez, GG 50 à 70 et AD V 7E 124.
101 Ibid.
102 AM Saint-Tropez, GG, AD V 7E, 3E 24 et 3E66.
103 AM Saint-Tropez, GG 50 à 70 et AD Var 7E 124.
104 Lepetit B., Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, 1988.
105 AM Saint-Tropez, DD 33, 11 novembre 1776.
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