Chapitre III. Nouvel élan maritime et fracture (XVIIe-XVIIIe siècles)
p. 93-150
Texte intégral
1S’introduire dans la société maritime d’une petite cité portuaire méditerranéenne et se ranger aux côtés des travailleurs de la mer constituent les axes majeurs de l’enquête. Toutefois, la dimension de celle-ci demeure imprécise sans la détermination d’une période d’observation, « une période dont le choix ne doit être ni découpé en fonction de critères extérieurs1 », ni imposé par la documentation rassemblée, pléthorique en aval mais tellement médiocre en amont.
2Situer dans le temps la reprise des affaires maritimes après la profonde décadence déplorée par les responsables tropéziens au milieu du XVIIe siècle, restituer les grandes respirations des activités portuaires et retrouver les ruptures annonciatrices de temps nouveaux, exigent des indicateurs qui mêlent supports quantitatifs et données qualitatives sans perdre de vue les spécificités de l’objet de l’étude. Ainsi, suivre l’évolution de la flotte tropézienne conduit à entrevoir les temps forts de l’activité générale de la cité et permet de placer le XVIIIe siècle dans une perspective de longue durée. Toutefois, ne dissimulons pas les faiblesses ou la complexité de cet indicateur car le volume de la flotte attachée au port ne coïncide pas toujours avec la capacité utilisée et l’équipement nautique peut répondre aux demandes d’une clientèle extérieure à la cité. De ce fait le mouvement global porte l’empreinte d’impulsions venues d’ailleurs et ne traduit ni nécessairement, ni exactement la situation économique locale tout en rejaillissant pourtant sur elle.
Aux racines du renouveau maritime
3Ces limites posées ne sauraient conduire à refuser le niveau de la flotte marchande comme marqueur de l’état économique de la place et le procès-verbal établi en 1665 par les officiers de l’amirauté à l’intention de Colbert, le considère ainsi à bien des égards.
Désintégration et renouveau de la flotte au XVIIe siècle
Ressources documentaires
4L’approche statistique de la flotte peut être menée à l’aide des résultats des trois enquêtes diligentées au XVIIe siècle par le pouvoir central : le rapport d’inspection sur les côtes de Provence de 1633, « l’Inventaire général » de 1664 et le « Rolle général des bastimens de mer » de 1686.
5Le rapport du voyage effectué sur les côtes provençales du 11 janvier au 17 mars 1633 par Henri de Séguiran, seigneur de Bouc et « lieutenant général du Grand Maître », constitue une première pièce officielle. Cette inspection réalisée à la demande du Cardinal après de semblables missions sur les côtes de la Manche (1627) et de l’océan (1629-1631), fournit des détails sur les établissements de la Marine, les ports, les fortifications, les bâtiments et les gens de mer en état de servir, d’Arles jusqu’à Antibes. Le 17 février 1633, Séguiran parti de Bormes arrive à Saint-Tropez où il recueille les informations relatives à « l’état et la qualité du commerce et du négoce maritime » de la bouche même des consuls en présence de « leur conseil, des plus apparents et des officiers de l’amirauté2 ». Alors qu’à Marseille Séguiran n’a recensé que les bâtiments « trouvés aux îles [Pomègues et Ratonneau] et au port », excluant de ce fait les absents, il semble avoir relevé à Saint-Tropez, comme dans les autres petits ports provençaux, l’état complet de la flotte. Celle-ci comprenait alors
« […] sept vaisseaux de la portée de trois mille quintaux, trois polacres de deux à deux mille cinq cents quintaux. Dix-neuf barques dont la moindre porte huit cents quintaux et la plus grande deux mille à deux mille cinq cents. Douze tartanes de trois à neuf cents quintaux de portée et trente bateaux pour la pêche3 ».
6L’enquête de 1664 réalisée à l’initiative de Colbert vise à établir un « Inventaire général de tous les vaisseaux de quelque fabrique qu’ils puissent estre4 ». L’objectif premier est d’ordre militaire, puisque l’opération doit atteindre les « bastiments de mer propres à esquiper en guerre et marchandise », mais cette restriction ne fut pas de mise car les bâtiments se livrant au cabotage et à la pêche furent recensés. Au lieu de confier, comme au temps de Richelieu, l’exécution de l’enquête à de hautes personnalités mandatées, Colbert en chargea directement les officiers des amirautés – Bretagne exceptée. Ces détenteurs de l’autorité royale en matière de justice maritime connaissent bien par leurs résidences et leurs activités les armateurs et leurs navires. Au terme d’une enquête qui n’a pas dû exiger beaucoup de temps, ils font état d’une flotte tropézienne réduite à moins de dix bâtiments de commerce5. Dans le prolongement direct de cette enquête un rapport fut dressé le 30 avril 1665 à la suite de « l’arrest du conseil d’estat du roy du 24 janvier dernier que nous avons receu de la part de Monseigneur de Colbert conseiller du Roy en ses conseils et Intendant des finances ayant le despartement de la Marine6 ». Le procès verbal, qui souligne le marasme dans lequel est alors le port de Saint-Tropez menacé d’ensablement, fournit un éclairage qui confirme et complète le précédent recensement.
7Vingt-ans après, l’enquête de 1686, réalisée cette fois par les commissaires de la Marine royale à la demande de Seignelay dans tous les « départements » – c’est-à-dire dans les circonscriptions utilisées pour la levée des gens de mer – exprime par son titre les objectifs recherchés par l’administration centrale :
« Rolle général des bastiments de mer employez au commerce contenant en dix colonnes, leurs noms, ceux des propriétaires, capitaines, Mes et patrons qui les naviguent, combien lesdits bastiments portent de tonneaux, le nombre de canons ou de pierriers dont ils sont armez, le nombre de leurs équipages, le temps auquel ces bastiments ont été construits et le lieu, avec les divers voyages qu’ils ont fait pendant les années 1683, 1684, 1685 et 1686, le tout divisé par départemens suivant l’ordre des classes. »
8Les informations de ce « rolle » attribuent à Saint-Tropez 21 barques et 46 bateaux7. Entre ces trois moments forts nous pouvons glisser les données extraites des cadastres tropéziens de 1607 – revu et corrigé en 1625 – et de 1671. Ces documents fiscaux se présentent sous la forme de gros registres avec sous le nom de chaque propriétaire la description sommaire des biens soumis à la taille, ainsi que leur estimation. Or, à côté des maisons et des terres figurent les embarcations de toute sorte et le matériel de pêche. Dans le cadastre de 1671 ces éléments sont exceptionnellement rassemblés au cœur du registre, associé au cheptel, avec de multiples surcharges qui correspondent aux mises à jour successives jusque vers 16838.
9Enfin, pour compléter ce panorama, un relevé des « capitaines et patrons de négoce de Saint-Tropez », réalisé par les bureaux du service des classes en 1699-1700, permet de dresser un état de la flotte9.
Sombre XVIIe siècle ?
10Ces sources conduisent à proposer pour le XVIIe siècle un état accompagné d’une estimation en tonnage établie à partir des éléments joints aux recensements et des types de bâtiments10.
Tableau 6. – Évolution de la flotte marchande de Saint-Tropez au XVIIe siècle.

11La première moitié du XVIIe siècle paraît avoir été particulièrement tragique. Le cadastre de 1607 révisé en 1625 signale en effet dans cet intervalle 12 vaisseaux « perdus » (naufragés) et la capture de 17 autres, ainsi que 4 barques et une tartane « pris ou brûlés par les Turcs11 ». La présence des Barbaresques est attestée au long des délibérations du conseil de ville où se mêlent rumeurs, inquiétudes, protections, « présents aux galères turques pour éviter les déprédations12 », constat de la « ruine de la navigation et du commerce par les incursions des pirates turcs13 » et des « larecins que les Turcs et pirattes de mer anglais ont fait aux patrons navigans du lieu14 ». Les mesures envisagées pour la « délivrance des pauvres esclaves natifs de Saint-Tropès capturés par les Turcs » ainsi que la fondation d’une confrérie « pour le rachat des pauvres esclaves du présent lieu détenus par les infidèles15 » rappellent, comme en d’autres points du littoral provençal, l’insécurité du temps. N’est-ce pas dans le premier tiers du XVIIe siècle que se situe probablement l’apogée de l’insécurité maritime en Méditerranée16 ?
12Au moment de son inspection Séguiran constate que « les corsaires ayant détruit et ruiné entièrement leur négoce, ils [les Tropéziens] n’ont point de fonds qui leur soient propres et s’emploient à la conduite de leurs navires lorsqu’ils trouvent à les noliser17 ».
13Le deuxième quart du siècle, plus catastrophique encore, conduit à l’anéantissement total de la flotte. Mais l’inventaire de 1664 prend-il vraiment en compte les bâtiments tropéziens ?
14Dans les copies des procès-verbaux qui figurent parmi les papiers personnels de Colbert Saint-Tropez est associé sinon confondu avec Fréjus. Pourtant, depuis 1649, Saint-Tropez dispose d’un siège d’amirauté créé aux dépens de celui de Fréjus. Jusque 1665, nous le savons, François Hugollen occupe les deux charges sous le titre de « lieutenant en l’amirauté de Fréjus, ports de Saint-Tropez et Saint-Raphaël » mais réside à Saint-Tropez, « Fréjus n’ayant pas de port ». Cette lente transition explique la mention « Fréjus transporté à Saint-Tropez » dans la présentation générale des localités prises en considération dans le ressort du Parlement d’Aix. Le « rolle des bastiments qui se trouvent a la Rade de fréjus et ses dépendances » indique une flotte réduite à trois tartanes de 300 à 500 quintaux, cinq bateaux de 120 à 200 quintaux et « plus 30 à 40 bateaux en forme de chaloupe du port de 80 à 100 quintaux qui servent pour la pêche ». L’importance relative de la flottille de pêche signifie-t-elle une compensation par cette activité du déclin du commerce ? Et la flotte marchande tropézienne est-elle vraiment décomptée dans ce maigre ensemble – atteignant à peine 200 tonneaux – où les propriétaires des huit bâtiments de quelque importance sont tous dits originaires de Fréjus ? En fait, l’oubli probable de la flotte marchande de Saint-Tropez exprime simplement son insignifiance plutôt qu’une quelconque dissimulation. Le bourgeois Honoré Cauvin n’a-t-il pas reçu quinze livres du conseil de ville pour avoir fait alors un « état de touts les vaisseaux et barques que les Turcs ont pris18 » ?
15Les résultats de l’enquête réalisée un an plus tard confirme que « ce serait une véritable apocalypse qu’aurait vécu Saint-Tropez durant la première moitié du XVIIe siècle […] où toute une flotte a été engloutie entre 1612 et 166419 ». En avril 1665, après avoir consulté les représentants tropéziens et parcouru « leurs livres cadastres exhibés depuis l’année 1600 », les officiers de l’amirauté reconnaissent le cataclysme. Leurs conclusions rédigées à l’adresse de Colbert sont formelles :
« Dans lesquels livres nous avons trouvé, qu’environ le dit temps, il y a eu plus de quatre vingts navires ou polacres et un plus grand nombre de barques et tartanes, appartenant aux habitants de ce lieu […] Le port suffisait à tant de bastiments […] jusqu’à ce que les dernières guerres entre la France et l’Espagne, ayant donné licence aux corsaires d’exercer toutes sortes de piraterie sur la mer, tous les susdits navires, polacres, barques et autres gros bastiments, contenus aux dits cadastres – sans exception d’un seul – ont tous péri malheureusement, les uns par quelques accidents de mauvais temps ou tempête de la mer, les autres par des incursions des corsaires d’Espagne et Maillorque, et la plus grande partie par les pirateries continuelles des Turcs d’Afrique, où lesdits bastiments avec leurs équipages et chargements ont été emportés. […] Les pertes de tant de facultés ont si fortement incommodé les habitants de ce lieu, que n’ayant plus les moyens de rétablir leur commerce, ils ont été réduits à ne faire plus construire que des bateaux et quelques tartanes20. »
16Les données contenues dans le cadastre de 1671 éclaircissent-elles ce tableau sombre ou noirci ? Saint-Tropez dispose à ce moment-là d’une flottille de 34 « bateaux et frégatons », de 25 « bateaux de négosse ou petites tartanes », mais aussi de 17 tartanes et 4 barques, auxquels il faut ajouter 27 « bateaux et barcades de pêche21 ». Cet état ne peut discréditer celui de 1665 car en plus de cinq ans la situation a eu le temps de changer. En ce domaine la récupération peut être d’autant plus rapide que le tonnage global reste modeste et qu’il ne se trouvait pas vraiment réduit à néant en 1664, même si fractionné en de nombreuses petites unités considérées comme négligeables.
Fragile mais réel frémissement de fin de siècle
17Ce redressement à l’ampleur incertaine connaît toutefois un ralentissement dans les années qui conduisent à l’état de la flotte établi en 1686. En effet, le cadastre de 1671, régulièrement mis à jour, mentionne à côté de quelques achats divers naufrages, « fontes » et prises (15 à 20) à mettre à l’actif des Majorquins, des Génois, des Turcs et surtout des Espagnols. En 1674 ces derniers capturent la « barque lattine du patron Charles Coste » construite en 1672, en même temps que la tartane de Jacques Coste achetée à Martigues en 1672. Les Turcs s’emparent en 1681 d’une autre « tartane latine » que ce dernier patron avait achetée « en rivière de Gênes » en 1680. Barques, tartanes et « bateaux de négosse » constituent les proies privilégiées le long du littoral provençal durant la guerre de Hollande (1672-1679) particulièrement entre 1674 et 1678. Ainsi en est-il des deux plus grosses unités du moment à savoir les « grandes barques latines » de Pierre Taurel et de Jean Villecroze, prises par les Espagnols. Néanmoins ces pertes, qui atteignirent sans aucun doute l’activité locale, paraissent n’avoir ni paralysé la vie du port, ni contraint les Tropéziens à « renoncer à la mer ».
18Sans sombrer dans un hypercriticisme, la régression observée au moment de l’enquête de Seignelay mériterait d’être doublement nuancée pour Saint-Tropez. Certes, les 21 bâtiments qualifiés de « barques » ne sauraient, avec un tonnage global déclaré d’à peine plus de 250 tonneaux – tonnages sans doute sous-estimés – correspondre à ce type de bâtiments qui jaugent chacun entre 50 et 80 tonneaux. Quelques bâtiments qui figurent dans l’enregistrement effectué en 1699-1700 par les agents du bureau du service des classes autorisent des comparaisons.
Tableau 7. – Comparaison de la portée de mêmes bâtiments de mer de Saint-Tropez22.

19Cet échantillon conduit à récuser la dénomination de barque attribuée à des bâtiments qui paraissent en vérité n’être que des tartanes. Une telle confusion ne signifie pas tromperie mais traduit une imprécision dans les appellations que l’on retrouve parfois chez les praticiens de la mer eux-mêmes. À titre d’exemple, le 17 avril 1673, le bourgeois et ancien capitaine Honoré Martin prend une participation sur la « barque tartane » St Joseph Bonaventure du patron Jean Martin23. Par ailleurs, le triplement du tonnage constaté en 1699 pour près de 20 % des bâtiments de 1686 appelle à revoir à la hausse la portée déclarée au temps de Seignelay.
20Finalement la balance entre les disparitions, pour quelque motif que ce soit, et les acquisitions enregistrées dans le cadastre de 1671, invite à placer de réelles difficultés autour des années 1674-1682. Ainsi, en tenant compte de la correction suggérée des tonnages, le « rolle » de 1686 se situerait à un moment où s’amorce une légère reprise, qui s’amplifie dans les années suivantes.
21La dernière décennie du siècle marque assurément un tournant, à la fois par le nombre de bâtiments qui compose la flotte et, plus encore, par le tonnage global. La lutte menée par les autorités françaises contre l’insécurité en Méditerranée n’est pas étrangère à ce réveil. Croisières d’escadres sur le littoral de Barbarie, bombardements répétés et signatures de traités – en 1685 avec Tunis et Tripoli, en 1689 puis 1694 avec Alger – enrayèrent dans une large mesure l’audace des pirates24. À la veille de la guerre de Succession d’Espagne le noyau central de la flotte, composé de tartanes, pinques, barques et polacres, soit de bâtiments jaugeant de 30 à 80 tonneaux, représente 72 % de l’ensemble des navires et près de 90 % du tonnage. L’unique vaisseau étonne par la faiblesse du tonnage déclaré (60 tx) : erreur de transcription ou terme abusif pour ce bâtiment de construction génoise ?
22Quoi qu’il en soit, les difficultés observées depuis la visite de Séguiran sinon avant semblent effacées. Certes, la nouvelle guerre qui ouvre le siècle porte un coup sévère à cette reprise, mais après 1715 le sursaut intervient et la progression, d’abord hésitante, ne cesse de s’affirmer jusque dans le dernier quart de siècle. L’élan est donné dans les années 1680/90-1715. Là se situe, en deux temps, le véritable démarrage du renouveau tropézien. À Saint-Tropez aussi « le XVIIIe siècle commence au XVIIe » (Pierre Chaunu) ainsi que le suggère et le précise le rayon d’action de plusieurs entreprises maritimes locales.
Élargissement des horizons tropéziens à la fin du XVIIe siècle
23La fréquentation d’espaces lointains accompagne le redressement de la vie maritime locale à la fin du XVIIe siècle, mais s’agit-il d’un élément nouveau dans l’histoire tropézienne ?
Au XVIe siècle : en « Méditerranée aussi bien que dans l’Océan » ?
24Les grands horizons ne sont pas ignorés des marins tropéziens. Selon les enquêteurs de 1665 « la paix précédente [ soit avant 1635] leur avait permis de continuer leur commerce ordinaire dans tous les Estats, Pays, Isles et Royaumes de la mer Méditerranée, aussi bien que dans l’Océan et à la Terre Neuve ». Effet de rhétorique destiné à assombrir le tableau brossé en 1665 ou réalité ? Le mythique âge d’or d’un vaste monde commercial parcouru par la flotte tropézienne, notamment par les 35 vaisseaux présents en 1607, serait à examiner avec soin. Les échanges avec la proche Italie, la Sardaigne, le Languedoc, l’Espagne méditerranéenne et la Barbarie affleurent en tout point de la documentation consultée à l’image de ces livraisons de « sel pris à Yères pour porter a Gennes ou Ligorne », de ces « septiers de bleds vendus a Nisse », de ces achats de « corail, chair sallée et fromaiges » effectués en Sardaigne ou de cette caisse de sucre livrée par erreur « en Aliquan » et ramenée à Gênes25. Le bassin occidental de la Méditerranée constitue l’espace privilégié des activités maritimes de Saint-Tropez mais le monde levantin a également été fréquenté par quelques aventureux dont les traces demeurent rares et incertaines. La première clairement débusquée se situe en 1577. Cette année-là, les propriétaires du « vaissel et gallion Sainct-Troppès » parmi lesquels « noble Geoffroy Anthibol », donnent procuration au patron tropézien Jacques Anthibol « dict Mores pour prendre a Florence, Pize, Ligorne ou autres lieux la somme de 1 500 escus au risc, peril et fortune des merchantz et l’employer […] au voiage qu’il va faire de present en Levant26 ». Au reste, dans un des premiers cadastres de la cité figure un « Anthoni Antibol alias Turquo, frère de Giorgii », signalé par ailleurs comme marchand de grains et de peaux27, puis premier consul vers 1573. Dans ces conditions la fameuse « maison du Maure et du Nègre » située au quartier de la Bourgade correspond peut-être à « l’hostal » possédé là par les Antiboul. Ornant une des portes de ladite maison, la tête de Maure, en serpentine verte, avec longue moustache et crâne au trois-quarts rasé d’où file une longue mèche de cheveux présente le stéréotype du Turc28. Traces de liaisons avec le Levant ou la Barbarie ? L’indice, mince, fragile, séduisant mais subjectif, ne saurait suffire pour attester l’existence de fortes relations avec le monde ottoman, même en y joignant la proximité d’un « Anthoine Avoust dit Famagoust29 ».
25Au reste des traces d’expéditions « océaniques » existent mais restent limitées aux parages de Gibraltar : ainsi, toujours en 1577, une « barche et vaisseau nommé Saincte-Catherine-Bonne-Venture a esté nollizé a Ligorno per Lisbonne chargée de bledz30 » ; en 1594-1611 des « saètes de Saint-Tropez vont jusqu’à Séville31 » et en 1612 un vaisseau de Saint-Tropez arrive à Marseille en provenance des îles Canaries porteur de sucre, de laine et d’orseille32. Les liens noués avec la Péninsule ibérique par l’intermédiaire de Livourne, dont « la vie montante » entraîne dans son sillage nombre de petits ports provençaux, ont-ils conduit les Tropéziens à fréquenter les lointaines pêcheries de Terre-Neuve ? « Terre-Neuve de Biscaye » ou Terre-Neuve de… Sicile ? Il faut se résigner pour l’heure à ranger cette affirmation des consuls tropéziens de 1665 parmi « les cas aberrants et les problèmes sans solution33 ». Ces faits hors série et l’importance des affaires maritimes aperçues dans les registres notariés militent pour l’existence d’un « beau XVIe siècle » que seule une minutieuse exploration des sources pourrait ou non confirmer34.
Au XVIIe siècle : repli sur le bassin occidental de la Méditerranée
26Rien de tel entre 1664 et 1686, si ce n’est, en 1680, cet énigmatique voyage au départ de Marseille pour Amsterdam d’un non moins énigmatique « vaisseau du port de Saint-Tropez de 150 tonneaux » croisé par Paul Masson35. Témoignage inattendu de la vitalité tropézienne en cette période troublée, dont je n’ai pour l’heure trouvé trace, mais qui ne constitue pas la direction dans laquelle s’engagent les Tropéziens une décennie plus tard36, car la nouveauté de la fin du XVIIe siècle réside dans la fréquentation de la Méditerranée orientale.
27Les papiers conservés de marchands et marins tropéziens demeurent rares pour le XVIIe siècle. Ceux de Sébastien Martin – patron, marchand puis bourgeois – et de son fils Honoré – au semblable itinéraire socioprofessionnel –, hautes figures de la place, descendants d’un des « pères refondateurs » de 1470 (Johannès Martini) et ancêtres des futurs Martin de Roquebrune, n’en sont que plus précieux37. Ils dévoilent, pour un groupe d’associés, des activités dont le cadre privilégié reste le bassin occidental de la Méditerranée. Transport, commerce et pêche – poisson et corail – se déroulent le long des côtes provençales, sur les littoraux d’Italie, de Corse, de Sardaigne, d’Espagne méditerranéenne et d’Afrique du nord, théâtres de multiples péripéties comme cette prise par les Turcs en 1630 ou ce « naufrage dedans le Rosne » en 1652. Ces hommes appartiennent sans nul doute à ces « postillons des mers » évoqués par un mémoire de 1682 « qui ne font autre trafic que d’aller en Italie, en Barbarie, en Espagne porter et rapporter des marchandises et courir de part et d’autre avec une diligence incroyable38 ». Toulon, Marseille, Caillery (Cagliari), La Bastide en Corse (Bastia), Ligorne (Livourne), Oneille, Gênes, Valence « en Espaigne » et Tabarque de Barbarie forment autant de points d’ancrage et abritent des correspondants de confiance où percent les liens de parenté – les Coste, Cauvin, Martin et Antiboul.
28La Méditerranée orientale semble ignorée dans cet ensemble dominé par la circulation d’étoffes et de céréales. Quelques fragments d’actes prélevés dans des papiers de notaires invitent pourtant à rejeter l’idée d’une Méditerranée arabo-musulmane inconnue des Tropéziens. Le nolisement, en 1641, de la barque Saincte-Anne de 1600 quintaux, commandée par le patron Marquès pour aller à Alexandrie d’Égypte chercher des marchandises destinées à « Ligorne en Toscane », témoigne de l’existence de relations commerciales avec le monde levantin39. Ces liaisons qui replacent Livourne – ce « Levant rapproché » selon la belle formule de Louis Dermigny – au cœur des circuits marchands, demeurent réduites avant la désintégration de la flotte tropézienne du milieu du siècle.
29Pareillement, les relations n’apparaissent ni amples, ni suivies, ni fructueuses avec l’Afrique du nord pourtant familière aux Tropéziens dès le XVIe siècle : quelques uns continuent d’aller directement « naviguer et coralher aux parties de Barbarie40 », d’autres figurent, dès 1585, parmi les patrons engagés dans la Compagnie du corail41, alors qu’à la même époque des « mariniers de Saint-Tropez » apportent leur caution dans des actes passés devant le vice-consul de France à Alger et que d’aucuns y nolisent leurs bâtiments à des affréteurs locaux42. Des Tropéziens sont également couchés sur les listes d’esclaves détenus à Tunis, Tripoli et Alger43 alors que deux renégats originaires de Saint-Tropez ont été entendus par les tribunaux du Saint-Office44.
30Les voyages successifs effectués à partir de Saint-Tropez par les navires répertoriés dans l’enquête de Seignelay, de 1683 à 1686, confirment cette situation. La rive nord-ouest de la Méditerranée demeure privilégiée, avec une prédominance des liaisons avec Toulon et Gênes, alors que les attaches avec la Barbarie s’avèrent très lâches et absentes avec le Levant : seuls trois bâtiments fréquentent officiellement la rive sud en se rendant à Tunis. Les Tropéziens ne se pressent guère non plus dans cette direction au départ de Marseille. Un état des bâtiments sortis de ce port, de 1680 à 1683 à destination du Levant et de la Barbarie, mentionne 371 navires45. Sur cet ensemble ne figure, parmi les 81 Provençaux, qu’un seul Tropézien et ce à destination de la Barbarie (Bastion de France). La même insignifiance se lit à travers les états des bâtiments français dressés à Livourne et Gênes en provenance « des pays de la domination du Grand Seigneur » et soumis au cotimo46 : aucun Tropézien dans cette situation parmi les 212 bâtiments arrivés à Livourne entre 1678 et 168947, aucun parmi les 73 arrivés à Gênes en 1685-168648. Au-delà de ces dates leur présence, au retour de Tunis, Tabarque et du Cap Nègre devient régulière, tout comme les retours du Levant.
Fin XVIIe siècle : ouvertures levantines
31En fin de XVIIe siècle, Saint-Tropez noue des liens directs, réguliers et intenses avec le Levant. Là se place sans nul doute le point de départ d’une orientation nouvelle des activités maritimes du petit port provençal. Certes, avant cette période les polices de chargement, passées à Tarente le 28 juillet 1668, puis au Cérigo le 14 octobre de la même année à destination de la Crète par l’écrivain de bord Maille pour le capitaine tropézien Pierre Taurel, commandant la barque Saint Joseph Bonaventure, demeurent trop isolées pour attester l’existence de circuits assidûment fréquentés49.
32Les contacts commerciaux sont plus nombreux dans l’ultime décennie du XVIIe siècle. À deux reprises, le 1er septembre 1691 puis le 13 mai de l’année suivante, le capitaine Jean François Cauvin de Saint-Tropez, commandant le vaisseau Saint Louis entre à Livourne venant d’Alexandrie50 ; ce vaisseau est capturé au retour d’un autre voyage « par deux galiottes, étant mouillé au golfe de Saint-Florent a l’isle de Corse » le 17 mars 169751. Le 3 octobre de cette même année le patron Antoine Pérou arrive également à Livourne avec la barque Jésus Marie Ste-Anne de Saint-Tropez, après avoir « laissé Smyrne le 27 juillet » et touché auparavant Tripoli, Alexandrie et Chypre52. Il gagne ensuite directement Saint-Tropez le 10 novembre 1697 où il est dit « venu de Ligourne vuide53 ».
33Les opérations qui se succèdent ouvrent alors une page nouvelle de l’histoire de Saint-Tropez. Ces premiers voyages présentent les caractéristiques qui seront celles des nombreux armements effectués vers le Levant au cours du XVIIIe siècle. Ainsi, en juin 1700, le patron Joseph Ollivier entre à Marseille avec la barque Notre Dame de Grâce en provenance de Durazzo, via Messine, Livourne et Gênes54. Le patron Louis Meifredy de Saint-Tropez fait escale au dit lieu le 19 juin 1700 venant de Marseille avant de se diriger vers le Levant avec son pinque Notre Dame des Carmes55. En 1701, le patron Barthélémy Pérou effectue avec le pinque Saint André un voyage à Seyde56 et l’année suivante Jacques Pérou, commandant le pinque Saint Tropez, d’environ 25 tonneaux, obtient « congé et passeport pour deux ans pour un voyage au long cours aux eschelles du levant57 ».
34Le mouvement est lancé. Pour la seule année 1703, nous enregistrons les retours à Saint-Tropez du capitaine Antoine Ratou avec le pinque Vierge des Reliques en provenance (19 mai) de Constantinople, après avoir relâché à Livourne, puis du patron Jean Roux, commandant la tartane Annonciade venant (19 août) de l’Archipel, les retours le 10 juin puis le 24 décembre du capitaine Jean Serize après deux voyages au Levant avec la barque Jésus Marie Ste-Anne – le second muni d’un congé daté du 10 août – et enfin le passage, le 24 décembre, du capitaine Balthazar Guirard arrivant de Marseille avec la tartane Ste-Anne, sur lest, avant de partir pour le Levant58. De 1704 à 1708, huit bâtiments tropéziens avec des capitaines de Saint-Tropez sont au départ de Marseille à destination du Levant, plus précisément « d’esmyrne59 ».
35Les hommes qui s’élancent dans les eaux du bassin oriental de la Méditerranée ont, pour la plupart, fréquenté auparavant la Barbarie : Antoine Moisson se trouvait à Tripoli en 1689, Jean Baptiste Cauvin à Tripoli et Zuara en 1691, Antoine Ratou à Tunis en 1698, Barthélémy Pérou « au golfe de la Sude de Barbarie » la même année, Joseph Ollivier à Tripoli en 170060.
36Parallèlement à ces expéditions une organisation des Tropéziens se fait jour avec l’installation de correspondants dans l’espace arabo-musulman. À l’occasion d’un règlement financier on surprend un certain Melchior Martin, originaire de Saint-Tropez et patron de tartane, habitant en 1706 – mais depuis quand ? – « la ville de Scio dans le Levant où il est marié », tout en restant en contact avec ses frères Étienne et Jean-François restés dans la petite patrie provençale61. En juin 1709 Antoine Martin accepte de prendre livraison et de « patronnizer le pincou Sainte Anne » acheté par son frère Balthazar, également patron, sur le lieu de résidence de ce dernier, à savoir Naples de Romanie62.
37Sur ces mouvements planent les ombres de Marseille et surtout de Livourne. Les liens établis par les Tropéziens avec ce dernier port, attestés depuis la fin du XVIe siècle, paraissent se renforcer à la fin du siècle suivant. Le grand port toscan conserve un rôle prépondérant dans le trafic méditerranéen. À la fois entrepôt et plaque tournante entre deux mondes « Livourne est une autre Alger » (Fernand Braudel) où s’entassent les produits orientaux et où demeurent de dynamiques négociants disposant de correspondants dans les principales Échelles. Aller à Livourne – plus encore qu’à Marseille – c’est, comme le font au même moment des Languedociens, participer indirectement au trafic levantin et regarder vers un espace que la puissante cité provençale entend jalousement contrôler.
38Par ailleurs, au-delà de leur diversité et de l’impulsion reçue de Livourne et de Marseille, ces expéditions ont un dénominateur commun dans la mesure où les céréales – orge, riz et surtout blé – constituent le principal objet des cargaisons. Il n’est donc guère surprenant d’observer une brutale accélération des voyages tropéziens en 1709-1710, soit au moment de la redoutable pénurie de grains que connaît le Royaume à la suite du « grand hyver ». Pour faire face à la disette les négociants marseillais se lancèrent à la recherche des « bleds de mer ». Les perspectives de profit expliquent ce soudain intérêt pour une marchandise dont se détournaient généralement les grands négociants de la place63. Ils mobilisèrent pour ce faire la flotte locale disponible et s’adressèrent à celle des ports voisins pour aller puiser dans les greniers d’Italie (10 %), de Barbarie (30 %) et surtout du Levant (60 %). D’octobre 1709 à la fin de l’année suivante les Tropéziens réalisèrent une vingtaine de voyages (sur environ 350) : sept en direction du Cap Nègre au service de la Compagnie d’Afrique, treize vers le Levant pour le compte de négociants marseillais dont certains grands « bladiers » de la ville comme Nicolas Compian ou Pierre et Hyacinthe Rémuzat64. À cette occasion – au moins à trois reprises – des Tropéziens n’hésitèrent pas à acheter des bâtiments « pour aller faire un chargement de blé au Levant et l’apporter en Provence65 ». Les facilités accordées par l’ordonnance royale du 1er mai 1709 – recopiée à l’amirauté de Saint-Tropez le 31 du mois – visant à favoriser « les arrivages de blé en France » encouragèrent peut-être les Tropéziens dans leur décision : aides aux armements et radoubs, levée de matelots moins contraignante et réduction des prélèvements royaux sur les opérations. Les risques de prise en cette période de guerre ne les arrêtèrent pas. Certains se glissèrent dans les convois organisés pour déjouer la menace des vaisseaux anglais tandis que d’autres furent pris par ces mêmes vaisseaux66.
39Au terme de ce parcours quelques conclusions s’imposent. Après un XVIIe siècle relativement grisâtre voire tragique, surtout après 1635-1640, les premiers frémissements du renouveau tropézien se placent dans les dernières décennies du règne de Louis XIV. La « grande crise de la fin de règne » a largement épargné Saint-Tropez comme la plupart des franges maritimes du royaume. Qui plus est, ces difficultés mêmes, en particulier les menaces de disettes liées aux crises frumentaires, ont incité des Tropéziens à lancer leurs navires, malgré les risques liés à la guerre, sur d’autres routes maritimes et à se tourner vers des horizons nouveaux ou un temps délaissés.
40Alors que le trafic de proximité et la pêche restent pratiques essentielles mais anciennes, les opérations en direction de la Méditerranée arabo-musulmane infléchissent désormais durablement le destin maritime de Saint-Tropez. Elles constituent, malgré d’inévitables à-coups, la discrète lame de fond qui porte la croissance dans ses composantes quantitatives et qualitatives. En cela ces armements maritimes tracent la véritable ligne de départ du XVIIIe siècle tropézien.
41L’initiative de cette ouverture appartient certes à un petit noyau d’entrepreneurs locaux mais leur exemple ne tarde pas à être suivi et à affecter, directement ou non, l’ensemble de la place. L’établissement de nouveaux circuits, l’apprentissage de techniques commerciales, la modification de la structure de la flotte, l’affirmation d’un groupe de capitaines, la consolidation d’une pépinière de gens de mer, le gonflement des armements, la mise en place de réseaux, la création de sociétés et l’émergence d’un micro-capitalisme résultent en large partie de cette dilatation de l’espace maritime amorcée dans les années 1690-1710. Pour Saint-Tropez débute une période véritablement nouvelle. Commence alors le temps des Levantins.
Les respirations du « glorieux » XVIIIe siècle
42En ouverture de ce XVIIIe siècle, pourrait être reprise, en l’adaptant à Saint-Tropez, l’interrogation formulée naguère par Charles Carrière au sujet de Martigues : « Y-a-t-il eu un XVIIIe siècle à Saint-Tropez ? », soit, globalement, un cycle de croissance et de prospérité67.
43Passant allègrement de l’avènement du Roi-Soleil à l’épopée napoléonienne, les études tropéziennes – rares il est vrai – n’accordent guère de place au XVIIIe siècle. Le mémoire rédigé en 1665 par les responsables locaux à l’adresse de Colbert décrit, nous le savons, une cité engourdie, inanimée, au trafic portuaire anéanti et à la flotte désintégrée68. Pour qui se place un siècle et demi plus tard la situation semble tout aussi figée. Un état des lieux dressé en 1819 présente, tant par la modestie des « bâtiments existants » que par la faiblesse du « nombre d’armements et de désarmements », une étonnante similitude avec le milieu du XVIIe siècle69. Le siècle des Lumières n’offre-t-il donc, comme à Martigues « rien de saillant », hormis l’ombre écrasante de Marseille et celle tout aussi épaisse du Commandeur, entendez du bailli de Suffren ?
44Fin observateur, le naturaliste Darluc fournit pourtant une piste. En effet, en brossant vers 1780, le tableau de la petite ville portuaire ce voyageur ne dissimule pas sa surprise :
« Il n’y a pas trente ans que l’on y vivait avec plus de simplicité et moins de besoins qu’aujourd’hui. Le peuple y était continuellement occupé, et les personnes les plus aisées, les Dames même, ne s’attachaient qu’à leurs travaux domestiques. Que les temps sont changés ! Le commerce sur mer et les fortunes qui en sont résultées, surtout dans la dernière guerre des Russes avec le Turc, où les navigateurs se répandaient dans tout le Levant, ont amené avec les richesses, le luxe, le faste et les frivoles dépenses. On ne reconnaîtrait plus cette ville aujourd’hui, en la comparant avec ce qu’elle était à l’époque citée. […] On peut dire que St.-Tropès a gagné du côté du commerce70. »
45Voilà qui invite à se tourner résolument vers la mer pour écouter et comprendre les respirations de la place, pour atteindre les tendances lourdes et les discrètes mutations de la période considérée. Toutefois pour un port d’armement, lié en partie par la nature même de cette fonction aux demandes extérieures, les rythmes de la conjoncture internationale ne peuvent être ignorés. Michel Darluc le souligne en rappelant les effets de la « dernière guerre des Russes contre le Turc ».
46Pour saisir les grandes phases qui scandent le siècle et estimer, sinon mesurer avec exactitude, les activités de la cité maritime j’ai privilégié trois indicateurs complémentaires à savoir le trafic portuaire, le rythme des armements et l’évolution de la flotte marchande.
Le mouvement du port
47La totalité des entrées et des sorties, exprimées en nombre et en tonnage, donne une première vision globale de l’activité et de ses variations.
La documentation
48Faute de pouvoir disposer des congés, pièces que devaient obligatoirement prendre capitaines et patrons quittant le port, les enregistrements de visites de bâtiments effectuées par les autorités de l’amirauté renseignent sur le mouvement du port. Dès son arrivée, le patron était tenu de prévenir immédiatement les officiers de l’amirauté. Nul ne devait quitter le navire, aucune marchandise ne pouvait être débarquée avant la visite du lieutenant général, du procureur du roi et du greffier. Ces responsables relevaient la nature des produits transportés – rarement les quantités –, le nombre de personnes se trouvant à bord – équipage et passagers –, la destination ou la provenance, et d’éventuels événements de mer. Ainsi,
« le 10 janvier 1789 est comparu Jean Louis Lautier de cette ville patron de la tartane Ste Anne du port de 35 tonneaux, a été visité et trouvé équipé de six personnes, lequel nous a déclaré être party de Bastia en Corse le 20 du mois dernier chargé de son lest pour cette ville, est encré en ce port ce jourd’huy n’ayant rien apris contre le service du Roy, et acte71 ».
49Ces officiers effectuaient une semblable visite à la sortie, au tout dernier moment afin que ni la cargaison, ni l’équipage ne puissent être modifiés après leur passage :
« Le 22 janvier 1773 le bateau couvert St Joseph du port de dix tonneaux, patron Jean Joseph Isouard de Saint-Tropez a été visité et trouvé équipé de trois personnes et un passager en tout chargé de son lest pour Bandol avec son congé expédié en ce siège ce jourd’huy no 1468 pour un mois dans lequel temps il promet de se représenter sous les peines de l’ordonnance, et acte, reçu pour nos droits de visite et certificat d’icelle cinq sous ensemble deux sous pour les huit sous pour livre72. »
50Les droits de visite perçus variaient selon le type du navire, la nationalité et la provenance :
Tableau 8. – Droits de visite perçus au milieu du XVIIIe siècle : exemples73.

51Malgré des lacunes partielles pour quelques mois ou complètes pour certaines années, la base documentaire permet de restituer les grandes tendances du mouvement portuaire. Néanmoins, les lacunes rencontrées aux entrées et aux sorties ne se situant pas toujours aux mêmes années, il n’est guère possible de cumuler ces deux données pour proposer de manière satisfaisante l’image du trafic global74. Des bâtiments ont sans nul doute échappé aux enregistrements, notamment parmi ceux qui se sont arrêtés dans la rade des Canebiers, mais les officiers percevant les droits de visite n’ont guère dû laisser passer beaucoup d’embarcations entre les mailles de leur vigilance.
Entrées et sorties dans le port de Saint-Tropez
52Leur évolution offre une première image de la vie du port mais deux observations s’imposent avant d’en analyser les temps forts.
Graphique 4. – Navires entrés dans le port de Saint-Tropez (1698-1820)75.

Graphique 5. – Navires sortis du port de Saint-Tropez (1698-1820)76.

53Loin de s’équilibrer les flux annuels d’entrées et de sorties montrent une disparité avec un déficit pour ces dernières. Le mauvais contrôle administratif des uns et la fraude des autres ne sauraient expliquer totalement ce phénomène. En fait parmi les bâtiments venant dans le port certains ne cherchent qu’un refuge provisoire. Ces entrées, qui ne sont que brèves relâches, n’en demeurent pas moins soumises, mais à l’arrivée uniquement, à la visite des officiers de l’amirauté et au paiement de la taxe. En gonflant le mouvement des entrées, elles rendent compte dans une très large mesure de l’écart relevé entre les arrivées et les départs. Cette précision, formulée à partir de 1720, permet de corriger le mouvement réel du port tout en notant la fréquence et les motifs des relâches.
Tableau 9. – Entrées et relâches dans le port de Saint-Tropez au XVIIIe siècle77.
Périodes | Entrées et relâches cumulées | Relâches | % de relâches |
1721-23 | 800 | 99 | 12,37 |
1729-31 | 742 | 132 | 17,78 |
1741-43 | 1131 | 165 | 14,58 |
1754-56 | 1838 | 371 | 20,18 |
1764-66 | 2396 | 461 | 19,24 |
1775-77 | 1860 | 612 | 32,90 |
1785-88* | 2182 | 487 | 22,31 |
* Absence de l’année 1787.
54La progression du nombre des relâches doit être mise en relation avec la plus grande vigilance des autorités portuaires, mais plus encore avec la croissance même du trafic. Ainsi, dans la seconde moitié du siècle, les relâches représentent un cinquième voire un tiers du nombre total des entrées : en 1776, pour 661 entrées on dénombre 223 relâches, soit 33,7 % du total. Outre de mauvaises conditions météorologiques quelques événements exceptionnels expliquent parfois l’importance de ces simples arrêts : en 1732, la brutale élévation du nombre d’entrées dans le port – 482 contre 240 en moyenne les années précédentes – résulte en partie des relâches, en avril-mai, d’une cinquantaine de bâtiments napolitains pratiquant la pêche du corail sur les côtes provençales78.
55Le nombre de bâtiments retenu ici pour l’analyse du mouvement portuaire au lieu du tonnage appelle une seconde remarque générale. Les droits de visite étant fonction du type de bâtiment et non de sa portée – avec un nécessaire lien entre les deux – cette dernière n’est qu’irrégulièrement mentionnée dans les dépositions enregistrées, surtout dans la première moitié du siècle. Cependant, l’observation du mouvement portuaire exprimé en nombre de bâtiments donne une image relativement fidèle du trafic étant donné l’écrasante majorité des petites embarcations qui fréquentent le port tout au long du siècle et la domination de la circulation à court rayon :
Tableau 10. – Principaux types de bâtiments sortis du port de Saint-Tropez79.
1714-16 | 1755-57 | 1775-77 | |
bateaux et bisques (-25 tx en moyenne) | 54 % | 52 % | 53 % |
tartanes (de 25 à 50 tx en moyenne) | 36 % | 42 % | 37 % |
autres | 10 % | 6 % | 10 % |
Tableau 11. – Aires commerciales des bâtiments fréquentant Saint-Tropez80.

56Une mesure du trafic en tonnage – calculé en affectant une portée moyenne aux divers types de navire à partir des mentions portées sur certaines déclarations, peu falsifiées car ne servant pas de base au calcul de la taxe, et à l’aide d’informations puisées dans les registres du service des classes – recoupe ces tendances81.
Les grandes tendances du trafic portuaire
57Trois temps forts se détachent dans l’évolution générale.
58De la fin des années 1690 aux années 1740-1745, malgré des lacunes dans les enregistrements, le trafic portuaire apparaît relativement stable avec quelques oscillations et un fléchissement passager dans les années 1720, plus précisément en 1727-1730. Au-delà de cette courte période, le niveau précédent est retrouvé avec la forte poussée de 1732 aux entrées liée au passage de 47 corailleurs napolitains.
59À partir de 1745-1748 le trafic connaît une nette croissance et se maintient à un palier élevé jusqu’à la veille de la Révolution. Certes, le choix, par le Maréchal de Belle-Isle, de Saint-Tropez pour l’établissement du magasin général de son armée en lutte contre les Austro-Sardes, explique la venue en 1747-1748 de nombreuses embarcations chargées de farine, d’orge, de foin et d’avoine. Cependant, après cet épisode militaire, le mouvement conserve un niveau annuel deux fois supérieur à celui observé durant les précédentes décennies. Des fluctuations marquent pourtant cette partie médiane. À la brève croissance qui suit la guerre de Sept Ans – durant laquelle les données sont très fragmentaires – succède un réel fléchissement, particulièrement net au moment de la guerre d’Indépendance américaine au terme de laquelle s’amorce un vif renouveau. L’ampleur du retrait doit être atténuée et corrigée par l’examen des tonnages disponibles ou évalués comme mentionné ci-dessus. La régression du trafic est alors moins sensible que ne le laisse entrevoir le seul indicateur du nombre de navires.
Tableau 12. – Mouvement du port de Saint-Tropez au XVIIIe siècle (tonnages).
1714 | 1728 | 1742 | |
entrées totales | 4390 tx | 4755 tx | 9120 tx |
entrées sans les relâches | ? | 3973 tx | 7991 tx |
sorties | 3695 tx | 4 1601 tx | 5755 tx |
1. En 1726.
1755 | 1767 | 1776 | 1788 | |
entrées totales entrées sans les | 13940 tx | 15480 tx | 16775 tx | 18830 tx |
relâches | 11226 tx | 12896 tx | 11116 tx | 14795 tx |
sorties | 9098 tx | 10595 tx | 10025 tx | 13 5522 tx |
2. En 1787.
60La progression du tonnage unitaire moyen des bâtiments au fil du siècle, y compris et proportionnellement surtout chez les petits caboteurs – environ 16 tonneaux en 1714-1716 et 25 tonneaux en 1786-1788 – explique cette rectification.
61Néanmoins, si le tonnage demeure un instrument de mesure qui permet de mieux suivre l’évolution du trafic portuaire, le tonnage retenu exprime ici un potentiel de transport et non un tonnage effectif de marchandises ; il inclut aussi bien les bâtiments chargés partiellement que ceux, nombreux, entrant ou sortant « sur lest » (vides). Les registres du début du XIXe siècle fournissent de telles précisions, mais il demeure difficile d’en déduire la situation pour le XVIIIe siècle et plus encore son exacte évolution.
62La capacité effectivement employée est médiocre – surtout aux entrées – et très fluctuante ; il est vrai que la période retenue pour ce test et imposée par les sources, correspond à une phase de net recul de l’activité portuaire locale ; le début du XIXe siècle retrouve un nombre de bâtiments à peine équivalent à celui des premières décennies du XVIIIe siècle, une baisse très sensible qui n’est pas alors compensée par une progression du tonnage. Par ailleurs, le trafic lointain ne figure plus désormais parmi les provenances et les destinations déclarées alors qu’il couvrait, dans la seconde moitié du siècle précédent, 3 à 5 % du nombre de bâtiments assurant le trafic global et 8 à 14 % du tonnage.
Tableau 13. – Capacités déclarées et capacités utilisées par les bâtiments fréquentant le port de Saint-Tropez au début du XIXe siècle82.

63Au terme de cette première approche, l’image d’un immobilisme ou d’un inexorable déclin tropézien au XVIIIe siècle doit être nuancée. Après un temps de relative stagnation durant le premier tiers du siècle, le mouvement portuaire connaît un réel gonflement tant en nombre de bâtiments qu’en tonnage. Les effets des grands conflits de la période – guerre de Succession d’Autriche, guerre de Sept Ans, guerre d’Indépendance – se lisent clairement dans cette croissance mais ne la bouleversent pas. Il en va autrement à la fin du siècle où le vif mouvement ascendant est brisé sans que nous puissions, faute d’enregistrements entre 1788 et 1800, en préciser la chronologie fine.
64Cette première image, utile pour entrevoir les temps forts de la conjoncture, montre également ses limites. Au reste, les déclarations enregistrées par le personnel de l’amirauté conduisent à mesurer tout le mouvement des bâtiments qui fréquentent Saint-Tropez sans tenir compte du port d’attache. De ce fait le trafic global ne coïncide en aucun cas avec les activités directement animées par les hommes de la place. Ici comme ailleurs se combinent dans le mouvement d’ensemble un trafic assuré par des navires « forains » et un mouvement directement induit par des bâtiments du port équipés par les armateurs locaux. Un tiers à deux-tiers des bâtiments qui entrent ou sortent de Saint-Tropez lui sont, selon les années, étrangers comme le signalent ces quelques années en rien exceptionnelles :
Tableau 14. – Origines des bâtiments entrés dans le port de Saint-Tropez83.

65Les flux impulsés par les Tropéziens peuvent davantage se lire à partir des armements.
L’armement tropézien
La connaissance des opérations
66Les registres d’armement sont les meilleures pièces pour atteindre les opérations directement commandées par les entrepreneurs locaux. Depuis l’ordonnance royale de 1681, tout capitaine ou patron doit prendre, au bureau du service des classes du port où le navire est armé, un rôle sur lequel figurent les noms de toutes les personnes embarquées, du capitaine au(x) mousse(s) à côté d’indications relatives au navire – nom, type, tonnage, propriétaire principal… Ces rôles, établis en quatre exemplaires, permettent de suivre le rythme des armements ; toutefois, pour Saint-Tropez n’ont été conservées que quelques pièces des seules années 1714-172084.
67Certes, au-delà de ces dates existent les registres de désarmement, mais le mouvement des retours ne présente ici qu’un intérêt second car n’est-ce pas le moment où les acteurs de la place décident d’armer les navires qui offre le plus d’intérêt ? N’est-ce pas le départ, plus que le retour, qui est en relation étroite avec de possibles affaires, avec des perspectives de travail, de profit, et qui dessine les temps forts de la conjoncture ? À y regarder de plus près les registres désarmés contiennent pourtant indirectement les précieuses indications recherchées. Et même davantage. Au retour de voyage le capitaine remet notamment aux officiers du service des classes un rôle d’équipage comprenant les modifications intervenues en cours de campagne. Ces rôles désarmés rappellent aussi les dates précises de l’armement et du départ, ainsi que le lieu et le numéro annuel d’armement. Un dépouillement systématique de ces pièces suivi d’un classement effectué sur les dates d’armement permet de reconstituer les documents disparus et de rétablir alors sans interruption la chronologie des opérations à partir de 1726. Bref, en combinant les informations contenues dans les registres d’armement et de désarmement nous disposons de la plus belle série continue – virtuelle certes mais relativement sûre – de tous les ports de la France méditerranéenne85.
68Le mouvement de l’armement ainsi recomposé appelle certaines précautions et mérite quelques précisions avant d’en analyser les points essentiels. Parmi les expéditions effectuées à Saint-Tropez se glissent de temps à autre des bâtiments n’appartenant pas à la flotte locale. Aussi il demeure indispensable d’isoler ces cas pour reconstituer au plus près le mouvement réel de l’armement tropézien défini par la « domiciliation du capital » (Louis Dermigny). Ce tri effectué montre la part écrasante des Tropéziens dans ces opérations.
Tableau 15. – Origines des bâtiments armés à Saint-Tropez (1714-1820)86.
Saint-Tropez | 96,7 % |
Marseille | 1,1 % |
Cannes | 0,4 % |
Antibes | 0,3 % |
Fréjus | 0,3 % |
Sainte-Maxime | 0,3 % |
Toulon | 0,2 % |
Bormes | 0,2 % |
Autres | 0,5 % |
69Les bâtiments non tropéziens, exclus de l’analyse globale, n’apparaissent pourtant pas tout à fait extérieurs à la petite cité maritime dans la mesure où 80,5 % d’entre eux ont un capitaine tropézien, 48,9 % ont au moins un propriétaire établi à Saint-Tropez et 44,6 % présentent un capitaine et un propriétaire tropéziens. Dans ces conditions il n’est guère surprenant de retrouver souvent les mêmes navires dans pareille situation. La moitié des armements de bâtiments d’Antibes est ainsi le fait de la seule tartane la Marie commandée par le capitaine tropézien Jean Baptiste Bonnet. De même, deux tartanes marseillaises, la Bienveillante et la Marie Magdeleine, avec capitaines tropéziens, réalisent plus d’un tiers des armements de bâtiments marseillais à Saint-Tropez. Finalement, les bâtiments non-tropéziens, totalement étrangers à la cité mais armant à Saint-Tropez, ne représentent qu’une infime minorité de l’ensemble.
70Par ailleurs, les bâtiments tropéziens expédiés dans un autre port sont également minoritaires.
Tableau 16. – Lieux d’armement des bâtiments de Saint-Tropez (1714-1820)87.
Saint-Tropez | 92,5 % |
Marseille | 5,6 % |
Toulon | 0,7 % |
Autres | 1,2 % |
71La flotte tropézienne est donc très largement équipée sur place. Seul Marseille occupe, parmi les autres lieux d’armement, une place non négligeable. Il s’agit de bâtiments essentiellement destinés au commerce lointain avec, dans plus d’un tiers des cas au moins, un Marseillais copropriétaire du navire ; toutefois, là encore ce sont souvent les mêmes navires tropéziens que l’on retrouve. Avec respectivement 12 et 9 armements la barque Saint Alexis du capitaine tropézien Jean Augier et la polacre Saint Tropez commandée par Honoré Teisseire réalisent près de 10 % de ces armements effectués à Marseille. Il en va autrement pour Toulon où les 29 armements de Tropéziens sont le fait de 24 bâtiments différents. N’échappent donc dans cette reconstitution que les navires, assez rares au demeurant, qui ont armé et désarmé hors de leur port d’origine.
72Enfin, ainsi que le mentionnent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle nombre de rôles désarmés, un armement ne correspond pas nécessairement à un unique voyage. Pour le trafic à courte distance un armement ou « expédition » recouvre en moyenne trois opérations, et dans quelques cas plus d’une dizaine. Le bisque Saint Tropez du patron Antoine Joseph Tournel effectue treize voyages entre l’armement le 28 décembre 1786 et le désarmement le 25 décembre 178788. Le bateau Saint Joseph du patron Antoine Ricard réalise huit voyages « à la côte » du 12 mars 1745 au 7 juillet de la même année dans le cadre d’un seul armement89. Cette réalité, qui caractérise avant tout le mouvement de proximité, s’observe parfois pour le trafic lointain mais avec une ampleur et une fréquence moindres. Les quatre voyages de la polacre l’Engageante du capitaine Jean Baptiste Gardanne armée le 7 septembre 1785 à Saint-Tropez pour aller au Levant et désarmée en ce même port le 17 décembre 1787 restent exceptionnels90.
Les fluctuations de l’armement
73Reconstitué à l’échelle du siècle, l’armement tropézien offre une évolution comparable à celle fournie par l’observation générale du trafic portuaire. Néanmoins, ce mouvement permet d’éclaircir des zones laissées dans l’ombre et de mettre en lumière la lame de fonds qui agit sur l’activité de la place.
Graphique 6A. – Armement de la flotte de Saint-Tropez, 1714-1820 (nombre)91.

Graphique 6B. – Armement de la flotte de Saint-Tropez, 1714-1820 (tonnage)92.

74Les armements, mesurés tant en nombre de bâtiments qu’en tonnage, présentent de fortes variations annuelles. En ne retenant que les seules périodes de paix ils se situent annuellement entre une soixantaine et plus du double avec une portée passant de 1 000 à 6 000 tonneaux.
75Au-delà de ces vives oscillations et de ce déroulement chaotique, sur lesquels il faudra revenir, l’armement maritime – exprimé en tonnage plus qu’en nombre de bâtiments – présente dans la première partie du siècle le même palier rencontré pour le mouvement du port affecté par les effets de l’épidémie de peste qui a frappé la Provence entre 1720 et 1722 – avec fermeture du port et Marseille mis « en interdit » – et les conséquences des opérations militaires de la guerre de Succession d’Autriche (1744-1748).
76Après une phase de recul au moment de la guerre de Sept Ans, la croissance est très vigoureuse jusqu’à la veille de la Révolution mais entaillée d’une profonde encoche (1777-1782) au moment de la guerre d’Indépendance américaine. Avec 136 armements et plus de 6 600 tonneaux armés, l’année 1787 constitue assurément le « sommet du siècle » mais un sommet rapidement et brutalement abandonné : après le vif glissement des années 1789-1792, intervient la cassure de 1793-1795.
77La reprise en deux temps, en 1797-1798 puis en 1802-1803, ne doit pas faire illusion car il ne s’agit que de sursauts de brèves durées au-delà desquels l’armement se situe, tant en nombre qu’en tonnage, à un niveau sensiblement inférieur à celui de la première moitié du siècle et le reste au fil des décennies suivantes.
Tableau 17. – Rythmes de l’armement à Saint-Tropez (1715-1819).
périodes | nb annuel d’armements | tonnage annuel armé | indice tonnage |
1715-1719 | 56 | 1 760 | 29,5 |
1726-1730 | 74 | 2 476 | 41,5 |
1738-1742 | 67 | 2 132 | 35,8 |
1765-1769 | 85 | 3 085 | 51,8 |
1785-1789 | 124 | 5 961 | 100,0 |
1805-1809 | 60 | 1 722 | 28,9 |
1815-1819 | 40 | 1 522 | 25,5 |
Approche sectorielle de l’armement
78Cette profonde et brutale rupture doit être mise en relation étroite avec l’évolution d’une composante fondamentale de l’armement tropézien, à savoir les expéditions pour le trafic lointain. Passant presque inaperçue dans le mouvement portuaire général, cette branche d’activité occupe en fait ici une place centrale. Les armements en direction de l’Afrique du nord ou Barbarie et plus encore du bassin oriental de la Méditerranée ou Levant donnent l’impulsion de fond et impriment leur rythme à l’ensemble du mouvement tout en y répercutant les effets des grands conflits du siècle. En quantité certes limitée par rapport à la totalité des opérations, ils représentent néanmoins un volume de première importance :
Tableau 18. – Armement global et armement au commerce lointain (1715-1819)93.

79Pour un nombre réduit de navires employés – environ une vingtaine annuellement soit près d’un sixième de la flotte – les armements destinés au trafic lointain recouvrent plus d’un tiers du tonnage armé dans le deuxième quart du XVIIIe siècle, près de la moitié dans la seconde partie du siècle, avoisinant les deux tiers à la veille de la guerre de Sept Ans, pour s’effondrer et disparaître au début du XIXe siècle. Cette lame de fond disparue, l’armement global demeure alors à un niveau réduit.
80Le rythme de l’armement maritime permet donc de préciser le moment de la cassure – devinée mais restée floue, faute de données, dans le mouvement du port –, tout en confirmant les effets durables des changements intervenus. Des signes d’affaiblissement sont perceptibles dès 1788 – sinon avant, j’y reviendrai – mais la rupture majeure dans le destin maritime de la cité se situe dans les années 1790-1795.
81Il faut cependant dès à présent apporter un complément indispensable à cette analyse. En effet, le suivi annuel de l’armement, si instructif soit-il, ne reflète pas exactement l’activité maritime de la place. Les armements destinés au Levant correspondent en général à des opérations qui se déroulent sur plusieurs années et immobilisent de fait une partie de la flotte marchande, et non la moindre, en volume et en hommes. Cet éloignement réduit nécessairement la possibilité de nouvelles expéditions et les armateurs tropéziens doivent attendre, parfois longuement, pour pouvoir réaliser de nouvelles opérations. Cette rigidité, liée au stock de navires disponibles, en relation avec les capacités de la place, rend compte aussi de certains à-coups dans le rythme des armements. Au boom de 1776 – 6 493 tx pour 108 bâtiments armés dont 36 vers le Levant – répond mécaniquement la chute aussi soudaine de 1777 – 3 362 tx pour 69 bâtiments armés dont 10 vers le Levant. Ainsi s’explique parfois la discordance entre le tonnage annuellement armé et le tonnage en activité.
Graphique 7. – Tonnage armé et tonnage en activité de la flotte tropézienne (1726-1820)94.

82Le fléchissement momentané en 1764, en 1770, ou encore en 1775, ne signifie pas crise ou déclin de l’activité de la flotte, dont une partie armée bien avant ces dates, reste active parfois de longues années encore avant le désarmement. Seule une diminution prolongée de l’armement, laissant alors à quai de nombreux bâtiments désarmés, révèle un ralentissement sensible des affaires, avec tout de même là encore, un temps de réaction de deux à trois ans. Ainsi en est-il de la baisse des armements observée à partir de 178895.
83D’une manière générale l’engagement des Tropéziens dans le bassin oriental de la Méditerranée est à l’origine du décalage aperçu dans le temps entre les décisions des hommes de la place et la traduction de celles-ci dans l’activité maritime.
La flotte tropézienne
84L’évolution de la flotte attachée au port et les modifications qui affectent l’outillage nautique peuvent être suivies à partir des inscriptions portées sur les registres matricules du service des classes dès le début du XVIIIe siècle96. Quelques bâtiments ont pu échapper à l’enregistrement administratif, comme c’est le cas dans la première moitié du siècle pour de petites unités ou pour des navires en activité quelque temps avant leur inscription officielle. Ainsi, la tartane Jésus-Marie-Joseph, de 62 tonneaux, commandée par Joseph Alexis Fabre de Saint-Tropez, inscrite en ce port le 14 juillet 1783, circule dans de mêmes conditions depuis mai 178297. Il en est de même de la tartane Sainte Barbe, de 50 tonneaux, du capitaine Philippe Antoine Raimondis, qualifiée de « non-enregistrée » du 14 février 1786 au 30 août de l’année suivante, avant son immatriculation à Saint-Tropez le 26 octobre 178798. Repérés au moment du désarmement grâce à la mention « non-enregistré » ces bâtiments, « fantômes » quelques mois durant, ont été pris en considération dans la mesure où, assurant un trafic contrôlé par des Tropéziens, ils ne tardent pas à être classés sur place.
85Retenons donc pour l’instant le seul mouvement général de la flotte réservant pour la suite une analyse en profondeur de sa structure – types, tonnages, origines, propriétaires….
Graphique 8A. – Évolution de la flotte attachée à Saint-Tropez, 1698-1820 (nombre)99.

Graphique 8B. – Évolution de la flotte attachée à Saint-Tropez, 1698-1820 (tonnage)100.

86Cette évolution générale qui rejoint celle révélée avec le suivi des armements présente néanmoins certaines originalités.
87Globalement la première moitié du XVIIIe siècle – saisie ici dès 1698 – est un temps de croissance modérée et irrégulière. Des incertitudes dans l’enregistrement de quelques navires rendent en partie compte du plus faible niveau initial mais ne masquent pas les effets destructeurs de la guerre de Succession d’Espagne (1702-1714). La croissance, plus vive encore dans son expression en tonnage, est profondément mais momentanément affectée par la guerre de Succession d’Autriche (1744-1748) et plus encore par la guerre de Sept Ans (1756-1763). Dès la fin de ce conflit, voire même quelques mois avant, la reprise ouvre une phase de formidable essor jusqu’à la guerre d’Indépendance américaine (1776-1783) aux effets sensibles à partir de 1780. Les années 1777-1779 constituent ici le « sommet du siècle » car la flotte marchande tropézienne ne retrouvera jamais un tel niveau, tant en nombre qu’en tonnage.
88La reconstitution de la flotte, rapide à partir de 1784, est interrompue dès 1790. Avec la désintégration de l’outillage nautique, et l’effondrement des armements qui lui est associé, la dernière décennie du siècle présente une rupture majeure et le redressement qui suit la paix d’Amiens ne résiste ni aux guerres de l’Empire, ni à la nouvelle donne méditerranéenne.
89Aussi, vers 1815-1820 la flotte tropézienne, en tonnage comme en nombre – environ 1800 tx et une soixantaine de bâtiments –, est assez semblable à celle disponible un siècle plus tôt.
90Après le choc de la fin du XVIIIe siècle Saint-Tropez ne se détourne pas de la mer mais dispose d’un « parc de navires » en activité ou tirés à terre totalement métamorphosé. L’effondrement du tonnage inscrit au début du XIXe siècle est en étroite liaison avec la disparition du trafic lointain – particulièrement vers le Levant et la Barbarie. Une modeste flottille suffit désormais à répondre aux exigences du port.
Les grandes séquences de la conjoncture
91Le discret petit port provençal n’est ni à l’écart de l’environnement international, ni à l’abri des tourmentes locales.
92De 1700 à 1790 plus de trente années de conflit perturbent directement l’espace méditerranéen. Ce dernier ne se situe plus au centre des préoccupations des grandes puissances, tournées vers les prestigieux horizons océaniques, mais demeure un théâtre d’âpres rivalités. La concurrence qui oppose aux Échelles les négociants des grandes nations européennes, la recherche de « blés de mer » levantins, italiens et nord-africains souvent indispensables au ravitaillement, la part croissante prise par les produits coloniaux dans les envois vers le monde arabo-musulman et les intérêts affirmés pour cet espace par les Russes et les Impériaux sont quelques raisons parmi d’autres qui perturbent le trafic méditerranéen.
93Saint-Tropez n’est certes pas au cœur de ces rivalités où se mêlent enjeux économiques, dynastiques et nationaux, mais n’échappe pas à leurs remous, bénéfiques ici, tragiques là. Les affaires maritimes tropéziennes ne semblent-elles pas d’ailleurs prendre leur élan pendant un conflit, celui de la Succession d’Espagne, pour s’effondrer lors des guerres de la Révolution et de l’Empire ? Ce qu’une guerre favorise une autre peut le détruire. L’ambivalence du fait d’arme dans la vie commerciale, et plus particulièrement dans « l’économie des transports », est bien réelle.
Hésitations et affirmation de la croissance
94Le XVIIIe siècle peut être scindé en deux périodes de durée très inégale. Les trois premiers quarts de siècle correspondent à une phase de croissance, lente et mesurée jusqu’à la guerre de Sept Ans, vive et forte après ce conflit. Les nombreux épisodes militaires qui marquent cette épaisse tranche chronologique ont certes affecté le trafic portuaire, l’armement et l’outillage nautique sans briser le mouvement ascendant des activités. Les guerres de « Tripoli » (1728-1729), de Succession de Pologne (1734-1735) et de Tunisie (1741-1742) ont eu à des degrés divers des répercussions sur la circulation en Méditerranée. Ainsi, en 1734 les « petits corsaires impériaux fourmillant dans l’Archipel » suscitèrent une réelle émotion chez les armateurs sensibles à tout ce qui pouvait accroître l’insécurité de la navigation101. La capture de quelques bâtiments vint renforcer cette inquiétude malgré la surveillance exercée par les « galères de la Religion » et l’organisation de convois102. Les perturbations provoquées par la guerre de Succession d’Autriche sont autrement plus graves dans l’ensemble du bassin méditerranéen et, dès 1742, le long du littoral provençal. En juin de cette année-là l’amiral anglais Matthews, dont l’escadre bloquait Toulon depuis février, fit incendier cinq galères espagnoles venues se réfugier à Saint-Tropez. L’encombrement du port par les carcasses calcinées et l’insécurité liée aux opérations militaires se déroulant alors entre Toulon et la côte ligure ne manquèrent pas de gêner la circulation maritime. Toutefois, ces mêmes opérations animèrent le trafic portuaire à la suite du choix de Saint-Tropez comme pôle de ravitaillement pour l’armée du maréchal de Belle-Ile en lutte contre les Austro-Sardes (1746-1747). Bref, la guerre à la fois destructrice et moteur du commerce.
95Dès la fin du conflit et l’enlèvement des carcasses (1748), la reprise fut vigoureuse et les pertes subies par la flotte rapidement colmatées. Entre 1749 et 1755, ce sont 162 armements qui eurent le Levant comme destination, soit 10 175 tx armés sur 17 437 officiellement expédiés pendant cette période, c’est-à-dire 58,3 % de la totalité. Mais la reprise fut de courte durée. La guerre de Sept Ans a cassé cette dynamique et provoqué un net fléchissement de l’activité générale, avec un tonnage armé inférieur de moitié à celui estimé à la fin du règne de Louis xiv. La progression du petit cabotage, à partir de 1760 seulement, ne compensa la chute puis l’arrêt du trafic lointain. Le suivi des expéditions en direction de la Méditerranée orientale montre l’ampleur des perturbations subies par cette branche d’activité.
Graphique 9. – Armements de bâtiments tropéziens pour le Levant (1750-1770)103.

96La puissante vague d’armement qui caractérise l’avant-guerre est doublement brisée par le conflit. Les hostilités ont provoqué un arrêt presque complet des opérations avec une vingtaine seulement d’armements dont la moitié réalisée à la veille du traité de Paris (février 1763). Par ailleurs, parmi les 48 bâtiments qui se trouvaient au Levant au début de la guerre ou qui étaient partis dans cette direction pendant le conflit, 32 (soit 1 902 tx) n’ont pas regagné pas leur port d’attache : six (282 tx) ont été pris, seize (1 080 tx) furent vendus et dix (545 tx) firent naufrage104. Avec 2 000 tx en 1761 la flotte marchande tropézienne a perdu plus de la moitié de sa capacité par rapport à l’avant-guerre (4 236 tx en 1754). Ce recul brutal, qui touche surtout les unités relativement grosses (60 à 100 tx), place la flotte dans une situation comparable à celle du début du siècle.
97Cependant, la vivacité et l’ampleur de la reprise sont plus impressionnantes que ces pertes et la quasi-paralysie du commerce lointain. Hormis quelques bâtiments qui ont réussi à traverser le conflit, une nouvelle vague tropézienne déferle sur les rivages levantins dès la fin du conflit, voire même avant. Le redressement immédiat et puissant observé dans cette direction, comme dans les échanges de proximité, rejoint les fameuses « remontées d’éclatantes prospérités des lendemains de guerres105 ». L’armement annuel exprimé en tonnage dépasse nettement celui d’avant-guerre (3 610 tx en 1763 contre 2 604 en 1754). La reconstitution de la flotte est plus lente mais dès 1768 sa capacité a doublé et se situe au-dessus du niveau atteint avant le conflit (4 525 tx déclarés en 1768 contre 4 236 en 1754). Tant pour l’armement que pour la flotte et le mouvement du port, cette reprise donne le signal d’un vif essor qui s’affirme jusqu’à la guerre d’Indépendance américaine. Seule la première guerre russo-turque (1768-1774) ébrèche, après 1770, cette expansion mais sans vraiment l’atteindre. En réalité, à y regarder de plus près, cette guerre fut pour les Tropéziens, et les marins provençaux en général, un « coup de fortune » (Paul Masson), un véritable accélérateur de la croissance. En effet, pour assurer les transports maritimes le pavillon français devint alors la seule ressource pour les Turcs. Le gonflement de la flotte tropézienne destinée à la Méditerranée ottomane et la forte augmentation des armements en direction du Levant résultent de cette conjoncture exceptionnellement favorable. Saint-Priest, ambassadeur de France à Constantinople ne le dissimulait pas en écrivant, en 1772, que « le commerce et la navigation firent de tels gains que cette période est appelée vulgairement par nos négociants de cette ville le temps de la gloire106 ». Des Tropéziens surent tirer profit de ces « quinze glorieuses ». Les racines des transformations observées à Saint-Tropez par le voyageur Michel Darluc plongent, sans nul doute, dans ce terreau.
Décrochage et déclin
98La prospérité est brutalement interrompue au moment de la guerre d’Indépendance américaine qui marque le passage dans une seconde phase plus troublée et plus douloureuse. Les échos de l’événement lointain atteignent la Méditerranée qui devient champ d’affrontement, secondaire mais réel, pour les belligérants. Les secousses enregistrées par les divers indicateurs économiques montrent, à travers le cas tropézien, les coups assénés aux ports secondaires. L’état des pertes subies – 63 bâtiments et près de 5 000 tx – témoigne de la dureté de l’épreuve :
Tableau 19. – Bâtiments tropéziens perdus pendant la guerre d’Indépendance américaine107.

99Redoutant les prises infligées par l’ennemi, malgré la mise en place de convois, les propriétaires et armateurs tropéziens préfèrent bien souvent se dessaisir de leurs bâtiments, particulièrement lorsqu’ils sont dans les eaux ottomanes. Près de la moitié du nombre de bâtiments « perdus » et rayés des matricules et près des deux tiers du tonnage connaissent un tel sort durant ce conflit. La pratique ne s’avère ni nouvelle, ni exceptionnelle. Face au « risque de mer » cette stratégie de repli apparaît comme un réflexe, comme une permanence, tout au long du XVIIIe siècle dans le comportement des Tropéziens menacés et vulnérables.
Graphique 10. – Évolution des grands secteurs de l’armement tropézien au XVIIIe siècle108.

100Ce conflit marque un discret mais réel renversement de tendance qui atteint, à des degrés divers, la flotte et son usage. Certes la reprise « fulgurante » des armements et la recomposition de l’outillage nautique après ces pertes témoignent de la vitalité de la place. Néanmoins, au-delà d’un vigoureux redémarrage, assez comparable à celui enregistré après la guerre de Sept Ans, quelques symptômes annoncent des modifications en cours qui touchent les structures mêmes de la vie maritime locale. L’armement annuel rattrape et dépasse globalement le niveau atteint avant le conflit (6 609 tx en 1787 contre 6 493 en 1776) mais ses composantes ne présentent plus tout à fait les mêmes tendances : le trafic lointain progresse mais sans se hisser au niveau d’avant-guerre, alors que les échanges de proximité font preuve d’un essor qui compense la moindre vigueur de la précédente branche.
101Grâce à leur emboîtement dans plusieurs ensembles économiques – rives nord-occidentales de la Méditerranée et espace arabo-musulman – les marchands et transporteurs tropéziens ont pu jouer un temps sur des conjonctures différenciées pour compenser l’affaissement d’un segment d’activité par la vigueur d’un autre. La diminution du tonnage global de la flotte marchande et du nombre de bâtiments attachés au port, près de dix ans avant le recul de l’armement, accompagne ce nouvel équilibre qui s’esquisse entre les diverses branches d’activités maritimes de la place. L’outillage nautique s’adapte à de nouvelles orientations : un nombre plus réduit de bâtiments suffit désormais pour assurer sur de plus modestes distances davantage de rotations ; l’étude des grandes branches d’armement, et notamment des relations nouées avec le bassin oriental de la Méditerranée, permettra de saisir le sens et l’ampleur de ces transformations.
102Pour l’heure, ce changement, modeste mais effectif, ne prépare-t-il pas la chute amorcée à partir de 1789-1790, accélérée après 1793 ? En une décennie la page est tournée. Les guerres de la Révolution et de l’Empire cassent la vie portuaire, réduisent à néant les expéditions lointaines et modifient sensiblement le rapport des Tropéziens à la mer. En cela s’affirme localement l’originalité d’un XVIIIe siècle bien diffèrent des siècles qui l’encadrent.
103Des rapports préparés pour Colbert, en 1664-1665, à l’état des lieux dressé en 1819 rien ne semble avoir bougé et pourtant tout a changé. La guerre a scandé de manière incessante la vie portuaire locale. Sans être un objectif stratégique, Saint-Tropez, par sa position de frontière de mer et par sa fonction de port d’armement, s’est trouvé pris dans les mailles serrées des multiples querelles et rivalités internationales, et ce aux différentes échelles de ses activités. Située entre Marseille et Toulon d’un côté, Gênes et Livourne de l’autre, la modeste place provençale a subi, sans aucune prise, le feu croisé des belligérants. Par ailleurs, la fréquentation de la Méditerranée orientale inscrit ses expéditions au sein d’un jeu d’affrontements complexes qui désorganise une branche d’activité discrète mais devenue fondamentale pour le petit port. Ce trafic lointain qui entraîne en profondeur le mouvement général participe fondamentalement à la définition même du XVIIIe siècle tropézien.
104Sur cette toile de fond les trois indicateurs économiques retenus pour l’analyse – mouvement du port, armement et flotte – dessinent par touches successives les temps forts d’un XVIIIe siècle qui est assurément phase d’expansion, certes difficile à mesurer mais qui offre unité et importance. Par l’élargissement de l’espace économique mis en œuvre, par la transformation des structures et le gonflement des affaires, l’essor offre un aspect à la fois quantitatif et qualitatif intimement lié aux liaisons établies avec le monde ottoman. Le petit port provençal a bien participé à la grande croissance du commerce maritime sans être étouffé par la puissance marseillaise. À l’inverse de Martigues, il y a bien eu un XVIIIe siècle à Saint-Tropez dont l’épanouissement, après la guerre de Sept Ans, s’accorde parfaitement avec les « choses vues » par Darluc.
105La fortune tropézienne ne tarde guère pourtant à vaciller, à s’effriter, à se briser. Cependant, la cassure finale, clairement inscrite sur nos courbes, appelle une analyse plus précise. En somme, ce XVIIIe siècle tropézien quand et pourquoi s’achève-t-il ?
Fin de siècle à Saint-Tropez
106La fragilité, la rareté et la dispersion de la documentation chiffrée ont parfois rendue hésitante la progression pour déterminer au plus juste le début du XVIIIe siècle. Rien de tel pour en fixer le terme. Les indicateurs économiques sollicités pour suivre le rythme de la croissance restent opératoires, exception faite du mouvement du port inaccessible dans la documentation réunie pour la fin du XVIIIe siècle, soit précisément dans les années où se place l’inflexion majeure. Armements et flotte marchande renseignent suffisamment sur les changements intervenus, en privilégiant le trafic lointain dominé par les expéditions en direction du Levant. En effet, si les échanges à court rayon occupent un rôle considérable dans la vie du port, les armements en direction de la Méditerranée orientale ont donné l’impulsion décisive de départ et façonné le siècle. Là se joue également le destin de la place.
107Au reste, étant donné l’influence croissante exercée par Marseille sur le complexe portuaire provençal n’est-il pas séduisant d’étendre à toute la Provence littorale la cassure brutale que constitue pour ce port l’année 1793, ce coup de tonnerre inattendu dans un ciel limpide109 ? Pour préciser le moment où s’opèrent les changements décisifs et comprendre leur mécanisme priorité doit être donnée à la lecture de critères locaux.
Les temps difficiles : rythmes et manifestations
108Reposant sur des chiffres abondants et relativement solides les courbes qui tracent l’évolution de l’armement et de la flotte marchande attachée au port convergent pour déterminer le moment, ou plus exactement les étapes, qui aboutissent à la rupture. Pareille analyse débouche nécessairement sur la recherche des motifs qui ont porté le coup fatal au « temps de la gloire ».
Profond recul de l’armement
109La reprise de l’activité maritime, après le recul lié à la guerre d’Indépendance, est régulière et soutenue jusqu’en 1788.
Tableau 20. – Armement de la flotte de Saint-Tropez : 1786-1800110.
années | nb d’armements | tonnage armé dans l’année | indice tonnage 100 pour 1787 |
1786 | 134 | 6 163 | 93,2 |
1787 | 136 | 6 609 | 100,0 |
1788 | 126 | 6 562 | 99,2 |
1789 | 118 | 5 486 | 83,0 |
1790 | 90 | 4 326 | 65,4 |
1791 | 108 | 4 367 | 66,0 |
1792 | 96 | 3 887 | 58,8 |
1793 | 70 | 2 357 | 35,6 |
1794 | 38 | 1 601 | 24,2 |
1795 | 28 | 1 273 | 19,2 |
1796 | 68 | 2 652 | 40,1 |
1797 | 73 | 2 626 | 39,7 |
1798 | 56 | 2 158 | 32,6 |
1799 | 40 | 1 274 | 19,2 |
1800 | 44 | 1 006 | 15,2 |
1801 | 54 | 997 | 15,1 |
1802 | 109 | 3 467 | 52,5 |
1803 | 78 | 2 428 | 36,7 |
1804 | 70 | 1 933 | 29,2 |
1805 | 66 | 1 466 | 22,2 |
1806 | 82 | 2 258 | 34,2 |
1807 | 58 | 1 738 | 26,3 |
1808 | 53 | 1 519 | 23,0 |
1809 | 42 | 1 631 | 24,7 |
1810 | 49 | 1 378 | 20,9 |
110À partir de 1788-1789 se produit un premier fléchissement prolongé jusqu’en 1790. L’armement tropézien ne représente alors plus que les deux tiers du tonnage moyen des années 1786-1787. La situation, stabilisée à ce niveau jusqu’en 1792, connaît un net affaissement en 1793, confirmé et aggravé durant les deux années suivantes. Après un léger rétablissement en 1796-1798, une rechute intervient qui fait glisser l’armement tropézien à un niveau comparable à celui des pires années de la guerre de Sept Ans, jusqu’à ne représenter que 15 % du niveau atteint en 1786-1788. La soudaine reprise en 1802 est brève et passagère car, dès 1804-1805, l’armement descend à un niveau inférieur à celui du début du XVIIIe siècle pour s’y maintenir. Ces à-coups se retrouvent avec quelques discordances dans les deux grands secteurs de l’armement.
Tableau 21. – Évolution des grandes branches de l’armement tropézien (1786-1800)111.

111Après un progressif repli entre 1790 et 1792 le trafic de proximité connaît à partir de 1793 et plus encore de 1794, malgré un bref sursaut en 1796, un net recul jusqu’à la fin du siècle, trouvant alors le niveau qui sera le sien durant les premières décennies du XIXe siècle. Étant donné leur rôle moteur pour la place les expéditions en direction de la Méditerranée orientale méritent une attention particulière. La succession des opérations et la durée de ces campagnes fournissent une image saisissante de l’évolution de cette activité essentielle pour le XVIIIe siècle tropézien.
Graphique 11. – Armements de bâtiments tropéziens pour le Levant (1783-1803)112.

112Relativement dense et régulier avant 1789 le mouvement présente un premier décrochage à partir de cette date et cesse totalement en 1793-1795. Seuls restent alors dans les eaux levantines les bâtiments qui ont été armés avant cette période. En fait, les campagnes engagées en 1797-1798, puis en 1802-1803, sont les ultimes lueurs d’une activité en voie d’extinction. En trois secousses d’intensité inégale, 1788-1790, puis et surtout 1793-1795 mais aussi 1799-1801, l’activité maritime animée par les Tropéziens s’effondre : ici provisoirement, là définitivement.
Déclin et mutation de la flotte
113L’évolution de la flotte marchande fournit des indices complémentaires pour situer et comprendre le bouleversement de la vie maritime tropézienne en cette fin de siècle.
Tableau 22. – La flotte tropézienne dans la tourmente de la fin du XVIIIe siècle113.
années | nombre de bâtiments (au 1er janvier) | tonnage de la flotte (au 1er janvier) |
1786 | 91 | 6268 |
1787 | 96 | 6892 |
1788 | 104 | 7008 |
1789 | 109 | 7475 |
1790 | 101 | 7229 |
1791 | 91 | 6251 |
1792 | 86 | 6049 |
1793 | 84 | 6131 |
1794 | 65 | 4158 |
1795 | 60 | 3650 |
1796 | 55 | 3412 |
1797 | 51 | 3035 |
1798 | 50 | 2863 |
1799 | 51 | 2751 |
1800 | 46 | 2263 |
114Le redressement entrepris après la guerre d’Amérique ne se poursuit pas également au-delà de 1789-1790, avec une perte de plus de 1 000 tonneaux au cours de cette dernière année. Si le nombre de bâtiments attachés au port s’approche en 1789 de celui de 1777 (122) la flotte ne retrouve plus la capacité qui était la sienne avant la guerre d’Indépendance (8 203 tx déclarés en 1777). La différence est à juste titre minime voire dérisoire car une dizaine de barques ou une demi-douzaine de polacres suffirait à combler cet écart. Cela représenterait certes, à l’échelle du port, un équipement supplémentaire d’importance, mais l’effort n’aurait-il pas été soutenu si la perspective d’un retour à l’âge d’or, au « temps de la gloire », avait été entrevue ? Ce décalage, qui signifie réduction du tonnage unitaire moyen, révèle de discrets changements qui affectent la vie maritime locale. N’est-ce pas le signe d’une orientation nouvelle des trafics ou d’un essoufflement de certains d’entre eux ? À Saint-Tropez, et dans d’autres places provençales comme La Ciotat, quelques voix s’élevèrent pour signaler la réduction des activités et notamment un manque à gagner en direction du Levant. Ce genre de plainte appelle à la prudence mais ne peut être totalement rejeté.
115La cassure intervient clairement au cours de l’année 1793 avec une réduction de près de 2 000 tonneaux : 6 131 tonneaux au 1er janvier 1793 et 4 158 au 1er janvier de l’année suivante. Un tiers du tonnage de la flotte disparaît au fil de cette année et 23 bâtiments sont rayés des registres matricules. Le déclin se prolonge jusqu’à la fin du siècle et la flotte attachée à Saint-Tropez ne représente plus, en 1800, que 44 % du nombre de bâtiments inscrits dix ans auparavant et un tiers de son tonnage.
116Cette chute ne signifie pas une simple disparition de navires. En effet, en même temps que ces pertes, de nouvelles embarcations ont pris place dans la flotte tropézienne témoignant d’une résistance ou d’un espoir en des jours meilleurs, ou tout au moins d’une adaptation aux nouvelles conditions du temps. Cependant, ces nouvelles inscriptions ne compensent pas les radiations enregistrées :
Tableau 23. – Inscriptions et radiations de bâtiments à Saint-Tropez (1786-1800)114.
Périodes | Tonnage inscrit (moy. an.) | Tonnage radié (moy. an.) | Bilan (moy. an.) |
1786-1788 | 832 tx | 430 tx | + 402 tx |
1789-1791 | 145 tx | 619 tx | -474 tx |
1792-1794 | 294 tx | 1094 tx | -800 tx |
1795-1797 | 186 tx | 449 tx | -263 tx |
1798-1800 | 106 tx | 339 tx | -233 tx |
117Les radiations affectant essentiellement les grosses unités et les inscriptions introduisant de petits bâtiments modifient profondément en quelques années la structure de la flotte.
118Les embarcations de portée inférieure à 15 tx, destinées essentiellement au trafic à court rayon, occupent à partir de 1793-1795, et surtout après 1805, une part croissante dans la flotte locale, en tonnage et plus encore en nombre. Loin de correspondre à une option passagère de repli cette évolution de l’outillage nautique accompagne une mutation des activités maritimes.
Graphique 12A. – Évolution de la flotte marchande de Saint-Tropez, 1783-1820 (nombre).

Graphique 12B. – Évolution de la flotte marchande de Saint-Tropez, 1783-1820 (tonnage).

119L’année 1793 est bien un tournant majeur dans l’affaissement de l’activité maritime de Saint-Tropez. Néanmoins, tant pour la flotte que pour son utilisation, quelques fissures étaient déjà apparues dans l’édifice. La radiation de 23 bâtiments et de 2 100 tx au cours de la seule année 1793 demeure impressionnante et unique pour le XVIIIe ; elle ne saurait cependant masquer la disparition de 32 bâtiments représentant 2 436 tx au cours des quatre années précédentes. Le choc de 1793 qui intervient donc sur un organisme déjà affaibli sinon malade est suivi d’autres secousses.
Les motifs de la rupture
120La crise qui s’abat sur les activités maritimes à la fin du XVIIIe siècle n’est pas le fruit d’une seule et unique cause. Elle résulte de la superposition de difficultés de nature et d’origine diverses, locales ou non.
Premières fissures : fortune de mer et difficultés levantines (1788-1792)
121Les premiers changements étant perceptibles dans la période 1788-1792, il est impossible d’ignorer le rôle de la Révolution. Déception et colère lors de la conclusion d’un long procès contre le seigneur au sujet de la prohibition de la chasse sur le territoire de la communauté115, agitation au moment de la rédaction des cahiers de doléances, écho des événements marseillais et toulonnais (mars 1789) provoquent une certaine émotion au printemps 1789. L’effervescence grandit avec les mauvais approvisionnements en grain à la suite d’un rude hiver alors que déjà, en temps ordinaire, ainsi que le rappellent les autorités municipales, « le terroir ne récolte pas de grains pour nourrir ses quatre mille habitants indépendamment des équipages des quatre vingt bateaux pêcheurs de la rivière de Gênes présents dans le Golfe ». Le maître-maçon Jean-Baptiste Castel a noté dans son livre de raison les conditions épouvantables de cet hiver dans le pays de Saint-Tropez :
« Une grande gelée, un grand vent au levant et au mistral a commencé dans le mois de décembre [1788] et a continué pendant 15 ou 20 jours : jamais la neige n’était restée si longtemps dégelée […]. Toute la terre était couverte de neige, jamais homme au monde n’a vu un si mauvais temps de misère de tous côtés. Grande quantité de bâtiments ont investi la terre sans être capable de se pouvoir défendre du mauvais temps, du vent au levant. La mer était en courroux d’une façon que tous les bâtiments qui étaient proches de la terre se sont perdus. Rien qu’ici, sur notre côte jusqu’à Cavalaire on en a compté 25, tous à travers de la terre qui faisaient pleurer de voir tous ces pauvres capitaines et les équipages. On prétend que ce mauvais temps est passé partout. Je vous laisse à penser la quantité de bâtiments qui doit être perdue. Toute la terre gémissait. Le gros vent a été le 6 du mois de janvier [1789]. Il a duré 3 jours de l’année 1789, il a gelé tous les orangers et quantité d’oliviers116. »
122Dans cette description de l’exceptionnelle rudesse hivernale, l’importance accordée par le maître-maçon Castel aux mauvais traitements subis par les navires, tropéziens ou non, souligne, si besoin était, la place centrale occupée par la vie maritime dans le devenir de la cité et de ses hommes.
123Les responsables de la communauté n’hésitèrent pas à faire saisir, dans le golfe de Saint-Tropez, un navire chargé de près de 400 sacs de grains destinés aux vaisseaux du roi, malgré les protestations du Commissaire général de la Marine. Les années 1790-1792 connurent un calme tout relatif ponctué, ici comme ailleurs, de troubles liés à diverses réformes : mise en place d’une milice, choix des chefs-lieux de district, création d’une « Société des Amis de la Constitution et de la Liberté », démarches auprès de l’Assemblée nationale visant à obtenir l’aliénation des biens ecclésiastiques, choix de l’avocat tropézien Charles Louis Antiboul comme administrateur du Var (novembre 1791), puis député du département à la Convention (septembre 1792). Si denses et mouvementés furent-ils, ces événements, où intervinrent nombre d’intéressés aux affaires maritimes, n’eurent pas de répercussions fondamentales sur les activités portuaires de la place. Seuls les caprices météorologiques paraissent avoir de nouveau fait peser de graves inquiétudes. Ainsi, toujours selon Jean-Baptiste Castel :
« Le 14 janvier [1791] vient de faire un coup de vent au nord que jamais homme a connu à Saint-Tropez. Il a commencé à huit heures jusqu’à midy le matin. Dans sa plus grande force il a jeté des bâtiments à terre et d’autres ont fait naufrage, et s’il tenait encore un peu tous les bâtiments du port périssaient117. »
124Ces « fâcheux événements », qui n’ont pas affecté que la seule flotte tropézienne, fournissent pourtant une piste : ne dénombre-t-on pas treize naufrages (991 tx) durant la période 1789-1792, soit autant qu’au cours de la précédente décennie118 ? Les « accidents de mauvais temps ou tempêtes de la mer », pour reprendre les termes du procès-verbal de 1665, seraient-ils alors à l’origine du déclin de la vie portuaire ? Le fait n’est pas exceptionnel : ainsi relève-t-on quinze naufrages (1 059 tx) entre 1776 et 1779, soit pour la même durée de temps. La nouveauté observée en 1789-1792 réside dans la non-récupération de cette partie de flotte engloutie pour plus de la moitié dans des opérations lointaines. Le peu d’empressement pour surmonter ces épreuves ou l’incapacité à le faire constitue le symptôme d’un malaise.
125D’une manière générale le commerce à court rayon demeure toujours actif : le nombre d’armements engagés et le nombre d’entrées à Marseille de bâtiments tropéziens fournissent de solides indicateurs de cette vitalité.
126Rien de tel pour le trafic lointain où le « temps de la gloire », aussi éclatant qu’éphémère, cède le pas à celui du doute et des incertitudes. À partir de 1786-1788 les activités dans le bassin oriental de la Méditerranée sont sérieusement compromises. L’apparition de nouveaux concurrents (Autriche, Russie), l’action directe ou non des marins et marchands grecs, le retour en force de l’Angleterre, la moindre vigueur du corso maltais, le dynamisme génois et la deuxième guerre russo-turque (1788-1792) conduisent à un regain d’insécurité et mettent à mal la situation privilégiée et protégée du pavillon français. La Révolution ajoute une touche d’inquiétude car dans les Échelles « le mouvement révolutionnaire fût un puissant ferment de discordes. Les anciennes coteries, autant que les convictions sans doute, classèrent les marchands en patriotes et contre-révolutionnaires119. »
127Dans ce contexte nouveau, les armateurs tropéziens hésitent ou perdent confiance à partir de 1788-1789 en réduisant sensiblement leurs expéditions dans cette direction lointaine sans accroître fortement la circulation à court rayon.
Le choc : guerre et blocus (1793-1795)
128Les mouvements s’accordent pour placer la rupture majeure en 1793. La crise est évidemment liée à la guerre générale qui à partir d’avril dresse contre la France régicide les Bourbons d’Espagne et de Naples, la Toscane et surtout l’Angleterre. Cette dernière, maîtresse de la mer, entame aussitôt un blocus des côtes provençales. En surveillant étroitement Marseille et Toulon, ainsi que les liaisons avec la rivière de Gênes, les bâtiments anglais portaient atteinte aux directions essentielles du cabotage tropézien, désorganisaient la circulation traditionnelle, gênaient le ravitaillement de la cité et multipliaient les risques de prise. À la chute de l’armement pour le commerce de proximité répond, par exemple, l’effondrement des entrées des bâtiments tropéziens dans le port de Marseille.
Tableau 24. – Entrées de bâtiments tropéziens dans le port de Marseille (1789-1795)120.
années | entrées de bâtiments tropéziens dans le port de Marseille |
1789 | 208 |
1790 | 164 |
1791 | 229 |
1792 | 206 |
1793 | 54 |
1794 | 25 |
1795 | 66 |
129La « navigation à la côte » est particulièrement touchée quand, en 1794-1795, l’Italie dans sa presque totalité prend parti contre la France. Craignant un raid anglais Barras envoya dès l’été 1793 deux bataillons à Saint-Tropez avant de se rendre sur place pour inspecter la citadelle et envisager la mise en défense de la côte entre Fréjus et Brégançon par un système de batteries. En septembre 1793, à la demande du représentant en mission : « Il sera formé une compagnie de marins à laquelle sera conférée la garde de la citadelle […] compagnie composée des marins de la ville de Saint-Tropez et du golfe. » La cité ne subit pas les attaques des frégates anglaises croisant entre Toulon et Antibes, malgré les menaces de l’amiral Hood, mais perdit pourtant un nombre élevé d’embarcations. De 1793 à 1795 ce ne sont pas moins de 38 bâtiments (3 023 tx) qui sont rayés du registre matricule de l’inscription maritime sans être, et de loin, remplacés. Certes, de 1779 à 1781, pendant la guerre d’Amérique, 45 bâtiments furent radiés de la sorte, soit 3 443 tx, mais le conflit fut suivi d’une rapide récupération. Rien de semblable cette fois-ci. Les motifs des radiations de 1793-1795 renseignent sur le comportement des copropriétaires de navires et révèlent une différence fondamentale dans l’appréciation de la situation.
130Parmi les 38 bâtiments rayés des cadres en 1793-1795 nous relevons trois prises (182 tx) mais vingt-huit ventes dont quatorze (1 432 tx) au Levant pour la seule année 1793. Certes la pratique se retrouve aussi pendant les guerres de Sept Ans et d’Amérique. Réduire les risques et se mettre à l’abri participent de la même attitude de repli chez les armateurs tropéziens. Toutefois, en 1793, contrairement aux cas précédents, le mouvement de ventes, en rien fictives ou « masquées », est brutal et massif. Il traduit les faibles espoirs dans une rapide amélioration de la situation et le produit des ventes réalisées de toute urgence ne prend pas l’incertain chemin de la mer.
131Au reste, les possibilités de l’armement tropézien sont également réduites par la mobilisation des équipages : sur près de 650 officiers mariniers et matelots inscrits à Saint-Tropez environ 150 hommes servent sur les bâtiments de la République. À ces hommes il faut ajouter plusieurs dizaines de capitaines passés sur ces bâtiments, abandonnant parfois et pour toujours, la navigation au commerce. Les itinéraires, en rien isolés, de quelques capitaines de Saint-Tropez soulignent le poids pris par la guerre et les mutations politiques du temps dans le destin de nombre de marins.
Tableau 25. – Entre guerre et marchandise : états de services de quelques capitaines tropéziens à la fin du XVIIIe siècle.
sur bâtiment de l’état (guerre) | sur bâtiment de commerce | total | |
Salvy | 2 ans 6 mois 23 jours | 13 ans 6 mois 27 jours | 16 ans 1 mois 17 jours |
Teisseire | 12 ans 10 mois 11 jours | 11 ans 11 mois 8 jours | 24 ans 9 mois 19 jours |
Sibille | 12 ans 4 mois 26 jours | 17 ans 4 mois 14 jours | 29 ans 8 mois 10 jours |
Guichard | 15 ans 1 mois 27 jours | 10 ans 1 mois 21 jours | 25 ans 3 mois 18 jours |
Tableau 25. – Motifs de radiations des bâtiments de Saint-Tropez (1786-1801)121.

Graphique 13. – Répartition des services122.

132La guerre confisque aux activités marchandes et à « l’économie des transports » des hommes d’expérience mais offre au même moment à certains d’entre eux l’activité que le commerce leur refuse. D’aucuns retrouveront le commandement de navires marchands à la sortie de ce long épisode guerrier mais dans des conditions radicalement différentes et bien souvent au service d’armateurs marseillais.
133La participation directe à la guerre avec l’armement en course, surtout en 1793, prélève au commerce un nombre relativement important de matelots : une tartane qui utilise environ huit à dix hommes d’équipage en embarque près d’une cinquantaine pour la course123.
134Enfin il ne saurait être question de passer sous silence les multiples répercussions du siège de Toulon (décembre 1793). Un état dressé par la municipalité de Saint-Tropez en date du 26 frimaire an II (16 décembre 1793), soit quarante-huit heures avant la prise de la ville par les troupes de Dugommier, mentionne les noms de 35 officiers mariniers et matelots en service à Toulon. Quelques-uns, comme Jean-François Besson ou François Alexis Martin sont, par exemple, sur le vaisseau la Victoire ou « Antifédéraliste » du capitaine Savary ; d’autres qui ont choisi le camp de la République ont été, comme Jean François Thimotée Trullet, enfermés sur le Thémistocle transformé en ponton. À ces hommes il faut ajouter dix officiers venus se mettre au service de la « flotte de Louis xvii » en ralliant Toulon où se trouvaient déjà réfugiés une trentaine de Tropéziens ayant quitté leur cité au moment de la « chasse aux suspects » engagée par Barras, Fréron et Cadar avec le soutien de la Société populaire locale (septembre-octobre 1793). Au moment de la levée du siège, certains Tropéziens suivirent les coalisés : de gré, comme cette quarantaine de personnes qui prirent place sur les navires anglais, espagnols ou napolitains, avant d’être débarquées pour la plupart sur la côte ligure, et ces officiers ralliés à la cause royaliste, excepté Jean Gervais Robiche, enseigne entretenu, fusillé avec Barthélémy Ripert à Toulon, sur le Champ de Mars, le 30 frimaire an II (20 décembre 1793)124 ; ou bien de force, comme les marins se trouvant à bord des seize bâtiments de guerre de la République emmenés par les coalisés.
135À ces émigrés et prisonniers, dont le relevé exact reste délicat à établir, se superposent les départs effectués depuis Saint-Tropez vers la proche et familière rivière de Gênes, les arrestations d’une soixantaine de « sectionnaires suspects125 » et de membres du « club des Sans-Culottes républicains » ou « Société populaire de Saint-Tropez/Héraclée » à commencer par son président Jean François Martin « dit Roquebrune », une des plus grosses fortunes de la place étroitement liées aux affaires maritimes. Les conséquences de l’émigration et des incarcérations, même provisoires, demeurent difficiles à évaluer, mais n’ont pas été négligeables. Les émigrés tropéziens, au nombre de 58, ne représentent que 1,6 % de la population communale mais 46,4 % des émigrés repérés dans le district de Fréjus126. La forte représentation des capitaines, marchands, magistrats, notaires, « bourgeois », « propriétaires », officiers de santé, matelots impliqués dans ces événements a eu des incidences sur la vie économique de la cité. Les départs d’hommes et de femmes participant à la propriété des navires et des madragues, intéressés à l’armement et au commerce, perturbèrent la vie maritime déjà fortement troublée.
136Bref, un Levant devenu moins prometteur, la menace anglaise croissante et redoutable, la flotte malmenée, la fuite d’une partie de l’élite animant les « choses de la mer », la dispersion et la disparition de gens de mer font des années 1793-1795, après les inquiétudes des années 1789-1792, un tournant majeur dans le destin tropézien.
137Par opposition les deux années suivantes, 1796 et 1797, apportent un réel apaisement à mettre au crédit de la paix de Bâle, de la progressive création d’une « Italie française » et de Thermidor. La nette reprise du cabotage et les nouvelles tentatives en direction du bassin oriental de la Méditerranée témoignent de ce regain de vitalité à Saint-Tropez. Toutes les ressources n’ont donc pas été anéanties. Le travail de la mer, à bien des égards indispensable à la vie même de la cité ne serait-ce que pour ses approvisionnements en grains, conserve un attrait. Pourtant le redressement est partiel et fragile (cinq prises) : la rotation des bâtiments est plus forte mais le déclin de la flotte continue. Le répit est éphémère. Dès 1798 une nouvelle et ultime secousse jette à terre les derniers pans de l’édifice.
Ultime secousse : l’expédition d’Égypte (1798-1801)
138La guerre ouverte contre les Ottomans et la surveillance accrue de la flotte anglaise conjuguent leurs effets pour casser le sursaut enregistré au cours des années 1796-1797. L’expédition d’Égypte ou « expédition secrète », à laquelle participa le fils aîné du maçon Castel, rencontre précisément ces deux menaces. En associant littoraux provençaux et lointains rivages levantins elle associe les deux domaines maritimes privilégiés des Tropéziens.
139Les faits sont bien connus et ne nécessitent pas d’être relatés dans le détail127. Rappelons que renonçant à une « descente en Angleterre » le Directoire a fixé, en mars 1798, les grandes lignes d’une opération militaire en direction de l’Égypte. La rapidité de l’exécution constitue un élément décisif du succès de l’entreprise. Une Commission d’armement des côtes de la Méditerranée, aux ordres de Bonaparte, est ainsi chargée de rassembler, de gré ou non, les forces navales et de composer les convois qui depuis Toulon, Marseille, Gênes, Civitavecchia et Ajaccio gagneront l’Égypte128. Pris dans ce dispositif Saint-Tropez n’échappe ni à l’effervescence des préparatifs, ni aux effets ultérieurs de l’opération. La demande toulonnaise en fournitures diverses – vin, bois, fourrage – a des incidences immédiates à commencer par le maintien de l’armement à un niveau proche de celui atteint les années précédentes avec une forte rotation des petits caboteurs de Saint-Tropez au cours du printemps 1798129.
Carte 5. – Composition du convoi de Toulon à destination de l’Égypte (mai 1798) et participation de la flotte marchande de Saint-Tropez.

140Des conséquences plus profondes et plus durables que ce soudain dynamisme conjoncturel accompagnent l’opération. Bien que diminuée depuis 1789-1795, la flotte marchande tropézienne a fourni 17 bâtiments (1 608 tx) à l’expédition de Bonaparte. Ils se trouvaient en activité hors de Saint-Tropez – Antibes, Toulon, Marseille – lors de l’embargo décidé de toute urgence par la Commission d’armement pour former les convois de « l’armée d’Orient » et figurent dans trois convois différents : un parmi celui de Marseille, un parmi celui d’Ajaccio et quinze au départ de Toulon, soit 21 % du nombre de navires et près de 17 % du tonnage de ce dernier convoi.
141Ce prélèvement, relativement modeste à l’échelle des convois, représente un tiers de la flotte tropézienne mais 56 % de son tonnage dans la mesure où les réquisitions ont affecté les plus gros porteurs. Sur ces dix-sept bâtiments seize ont été rayés des registres de l’inscription maritime au terme de l’expédition : six étant restés aux mains des Anglais après la capitulation d’Alexandrie (août 1801) et dix ayant été achetés par la République, soit pour accompagner la division Perrée sur les côtes de Syrie, soit pour servir, après dépeçage, de « charbon ou bois à brûler ». À Saint-Tropez ce ne sont pas moins de 74 copropriétaires ou quirataires qui se trouvent affectés par le destin de ces bâtiments. Ont-ils été bénéficiaires ou perdants dans cette opération ? La réponse est assez simple pour les bâtiments capturés et peu assurés. Pour les navires achetés par la République quelques éléments peuvent être avancés, tout en ayant conscience des limites du procédé :
Tableau 27. – Prix de bâtiments tropéziens achetés par la République à Alexandrie130.

142L’écart est considérable pour la Bonne Foy et la Parfaite Victoire entre l’estimation faite à Alexandrie et la valeur signalée quelques années plus tôt pour des bâtiments peut-être alors non armés et ayant ultérieurement subi des transformations (nouvelle mâture). Divers paramètres devraient être pris en compte pour envisager au mieux un bilan de l’opération : état des bâtiments, nolis versés, activités dans les eaux ottomanes avant l’achat par la République, durée d’amortissement, délai d’encaissement des lettres de change remises aux capitaines à Alexandrie131. Seule la réunion d’autres pièces autoriserait de proposer une réponse plus satisfaisante. Quoiqu’il en soit, spoliés ou non, un fait est certain : les copropriétaires se détournent largement des affaires maritimes d’une flotte très affaiblie.
143Les incidences humaines apparaissent plus discrètes mais autrement plus fortes. Deux des treize vaisseaux de l’escadre de l’amiral Brueys se trouvaient placés sous le commandement de Tropéziens, en l’occurrence des frères Trullet : Louis Léonce à la tête du Thimoléon, de 74 canons, et Jean François Timothée dirigeant le Guerrier, de 74 canons, à Aboukir où périrent au combat plus d’une vingtaine de matelots tropéziens. De manière plus anonyme et plus significative pour la vie de la cité de nombreux marins ont participé à cette lointaine aventure. Dès mars 1798 le commis de la Marine à Saint-Tropez, Gaudet, avertit l’ordonnateur à Toulon, Najac, « qu’il n’y aura plus à la fin du mois sur le terroir de ce quartier aucun marin de service132 ». Quelques semaines plus tard, le 16 germinal an VI (5 avril 1798), promettant la plus active surveillance pour diriger les marins vers Toulon le commis affirme :
« […] ce petit quartier a déjà fourni dans la dernière levée, indépendamment des marins qu’il avait au service, plus de deux cents hommes, aussi nous sommes dans une pénurie à ne pouvoir armer les bâtiments de transport arrêtés pour le service. Je vais faire effort pour inviter les enseignes non-entretenus et les anciens maîtres au petit cabotage qui peuvent se trouver encore dans ce quartier de donner une nouvelle preuve de leur amour pour la République ».
144Alors que les préparatifs de l’expédition touchent à leur fin le commis, non sans quelque démonstration de zèle, précise à Najac :
« En moins de deux mois j’ai porté la dernière levée de ce quartier à 254 hommes y compris les 20 scieurs de long et j’ai armé 14 bâtiments dont les équipages, se montant à 72 hommes, ont été pris parmi les capitaines au long cours, les maîtres au petit cabotage, les marins hors de service et invalides et les étrangers […] Je me propose de ne laisser qu’une scie et un calfat, de plus de 50 ans, car il en faut si avarie133. »
145Peu après avoir fait reconduire à Toulon une trentaine de déserteurs, Gaudet, composant un ultime envoi avec 32 officiers mariniers et matelots pour être « employés tant sur les vaisseaux de l’État que sur les transports pour l’expédition particulière », fait d’ailleurs remarquer à Najac que « la presque totalité des 14 officiers mariniers de manœuvre sont de l’âge de 50 à 60 ans134 ». En totalisant les gens de mer effectuant le service ordinaire, ceux de la levée générale exigée par la Commission d’armement, y compris les ouvriers, devenus « introuvables à Saint-Tropez », et ceux des bâtiments de commerce des convois, nous approchons environ six cents individus ayant quitté Saint-Tropez en quelques semaines et pour plusieurs mois ou années, sinon pour toujours. Dans la mesure où la cité compte alors près de 3 600 habitants, et qu’elle fournit l’écrasante majorité des gens de mer du quartier maritime, la levée a pu toucher, directement ou non, 55 % des hommes de plus de douze ans. Un Mémoire de la ville et du port de Saint-Tropez, dressé par un ingénieur des Ponts et chaussées en date du 25 prairial an XII (14 juin 1804), ne signale-t-il pas que « les marins des bâtiments du pays ont presque tous été employés dans l’expédition de l’Égypte135 » ?
146Une telle ponction, même provisoire, engendre une série de conséquences pour la société littorale et rejaillit sur les activités maritimes de la place, touchées par ailleurs dans ses relations de proximité par les événements italiens de 1799 et plus encore par le cumul des difficultés subies au cours de la décennie. Il est vrai que l’insécurité du temps ne frappe pas seulement les bâtiments ayant pris part à cette opération dans la mesure où huit bâtiments tropéziens, en plus des six des convois (919 tx au total), ont été capturés entre 1798 et 1801, soit davantage que pendant toute la guerre d’Indépendance (778 tx)
147Aussi, et toujours selon le mémoire de 1804 : « Il ne reste aujourd’hui aux habitants de Saint-Tropez de leur ancien commerce que la pêche au thon qui se fait à l’entrée du golfe au moyen de vastes filets nommés madragues. »
Et après ? Amorce de temps nouveaux ?
148L’expédition d’Égypte clôt une décennie éprouvante pour les activités portuaires de Saint-Tropez. Toutefois, loin d’apporter un quelconque apaisement les années suivantes précipitent la mutation en cours.
149Certes, le retour momentané de la paix, au printemps 1802, favorise la reprise du trafic de proximité et encourage les expéditions en direction du Levant, mais la rupture de la paix d’Amiens affecte ce bref sursaut dès mai 1803. La surveillance exercée en Méditerranée par la flotte anglaise se traduit par la capture de six bâtiments tropéziens (586 tx) en 1803-1804 et de huit (468 tx) en 1808-1810. Dans ces conditions : « Comparer l’état actuel du commerce avec l’ancien, c’est mettre en parallèle la mort et la vie136. » Ce constat, formulé par Millin en visitant Marseille en 1808, pourrait aussi s’appliquer à Saint-Tropez.
150Les années impériales prolongent la dégradation en cours et annulent les modestes tentatives de reconstitution de la flotte :
Tableau 28. – Flotte tropézienne : inscriptions et radiations (1804-1815)137.
Périodes | Tonnage inscrit (moy. an.) | Tonnage radié (moy. an.) | Bilan (moy. an.) |
1804-1809 | 246 tx | 343 tx | -97 tx |
1810-1815 | 214 tx | 488 tx | -274 tx |
151Cet affaiblissement affecte toutes les catégories de bâtiments, tous les secteurs d’activité, du cabotage à la petite pêche côtière, et plus encore le commerce lointain. En vérité les relations directes avec le bassin oriental de la Méditerranée s’effacent. En 1808 le voyage de la Colombe, brigantin de 187 tx commandé par Jacques Tropez Bertrand, constitue une ultime tentative qui se solde, au retour de Smyrne, par la prise du navire « par les ennemis » au large de Menton, en février 1810138. Par ailleurs, la poussière d’embarcations de un à deux tonneaux de portée, qui n’entrent pas dans la composition de la flotte marchande, connaît également l’atonie frappant le port : dix bâtiments de ce type sur 46 se trouvent « hallés à terre » en 1814-1815 et quatorze « hors d’usage ou démolis ».
152Accompagnant une Carte topographique du quartier de St-Tropez les données suivantes résument la situation en 1819139 :
Tableau 29. – « Armements et désarmements, en prenant un terme moyen dans les quatre dernières années… » (soit 1815-1818).

Tableau 30. – « ... et bâtiments existant au 1er avril 1819140 ».
Désignation des bâtiments | nombre |
moins de 200 tx pontés | 45 |
bateaux pour la pêche du poisson | 80 |
bateaux pour la pêche du corail | 7 |
bateaux pour la navigation locale | 13 |
153Le petit cabotage domine désormais la vie portuaire avec le littoral provençal et la rivière de Gênes comme espaces de parcours privilégiés alors que la pêche compense une part de l’activité perdue. Toutefois les quatre-vingts bateaux de pêche mentionnés en 1819 ne doivent pas faire illusion dans la mesure où « 42 seulement sont armés. Il en reste 38 en radoubs ou prêts à armer lorsque la pêche offre quelque avantage. De même pour le corail ». Quant aux treize bateaux qui se livrent à la « navigation locale », ils assurent en fait « les transports dans le golfe et le va-et-vient de St-Tropez à Ste-Maxime ».
154À côté de cette micro-navigation ou bornage, le long cours n’a pas totalement disparu. Au fil des années 1820-1830, quelques bâtiments tropéziens fréquentent de nouveau Malte, Tripoli, Salonique, La Canée ou Alexandrie, mais encore le Sénégal ou New-York. Ainsi en est-il, dans ce dernier cas, du Yoloff, brigantin de 141 tx, appartenant pour moitié à Alphonse Fabre, de Saint-Tropez, et à Victor Régis et Joseph Brun, de Marseille141. Cependant ces navires, à la propriété de plus en plus pénétrée par le capital marseillais, arment et désarment désormais à Marseille où ils ne tardent pas d’ailleurs à être attachés, suivant en cela la même trajectoire que celle suivie par la plupart des capitaines tropéziens142. L’autonomie de Saint-Tropez n’a pas résisté à la nouvelle donne observée en Méditerranée et au-delà.
155Au même moment se dessine une autre orientation, riche d’avenir pour la vie portuaire locale, concrétisée par l’ouverture de registres matricules pour les bateaux « d’agrément » et « pour pêcher à la ligne ». Ainsi, en 1834, le Titi, le Sans Souci et le Petit canard figurent aux côtés du St Jean Baptiste et de la Vierge de Miséricorde parmi les 54 inscrits de ce type143. Un demi-siècle avant l’enregistrement du Faux-Col de Paul Signac144, s’esquisse un nouveau chapitre de l’histoire maritime de Saint-Tropez qui contribue à repousser progressivement dans l’oubli le temps des « voyages à l’aventure » dans les eaux levantines145.
156Fertile en événements de nature diverse la fin du XVIIIe siècle constitue un tournant essentiel pour le destin tropézien. L’année 1793 est capitale du fait de l’effondrement de l’activité maritime. Ici aussi en 1793 « le XVIIIe siècle se brise inachevé146 ». Toutefois, contrairement à la situation marseillaise il est difficile de considérer cette année comme un brutal coup de tonnerre dans un ciel serein. L’édifice ne présente-t-il pas des lézardes depuis quelques années déjà et les rudes secousses de l’expédition d’Égypte ne portent-elles pas une lourde part de responsabilité dans le destin final ? Écartant l’idée d’une cause unique et soudaine il est préférable de retenir « l’addition des malheurs » ou la « réunion de circonstances désastreuses147 » dans un monde en voie de transformation.
157À l’inverse des phases belliqueuses précédentes, la guerre est alors bien plus qu’un simple élément perturbateur rapidement surmonté. Certes, la durée des opérations militaires, la vigueur du blocus anglais et la faiblesse de la riposte rendent compte de la gravité du choc mais ne sauraient suffire pour expliquer le bouleversement général. Au vrai, cette fois « la guerre dépasse la guerre » (Charles Carrière) dans la mesure où se produit en même temps une profonde mutation. L’émergence de nouveaux concurrents et la prépondérance maritime de l’Angleterre provoquent un ébranlement général et façonnent un nouveau monde commercial, n’offrant guère de place aux modestes ports isolés.
158Les effets destructeurs du conflit maritime et l’essoufflement du trafic avec les Échelles, suivi de la coupure de la route du Levant, ont affecté d’une façon globale le complexe portuaire provençal et porté un coup mortel au dynamisme maritime tropézien.
159En effet, parmi les différentes activités de la place les relations nouées avec le bassin oriental de la Méditerranée marquèrent l’ouverture du XVIIIe siècle et l’entrée dans des temps nouveaux. Certes, à côté de ces armements pour le Levant d’autres ressources maritimes comme la pêche et le petit cabotage existaient déjà et continuèrent à animer durablement la vie portuaire. Mais ces pratiques, nullement marginales, ne caractérisent en rien le XVIIIe siècle. D’ailleurs pour ces deux branches d’activité les véritables changements se situent au-delà du XVIIIe siècle et doivent être recherchés dans la seconde moitié du siècle suivant : nouvelle réglementation ici, impact du chemin de fer et de la route là. Rien de tel avec les navires expédiés en direction du Levant. Ici la rupture de ces liaisons annonce la fin du « temps des Levantins » et sonne en même temps la fin du XVIIIe siècle tropézien.
160En entrant dans le XIXe siècle, Saint-Tropez présente un nouveau visage assez proche de celui qui fut le sien au milieu du XVIIe siècle à savoir celui d’un « paisible petit port de pêche et de cabotage ». Désormais, et comme en écho aux lamentations des consuls de 1665 :
« … l’on peut te plaindre, pauvre port de Saint-Tropez ! Car ce ne sont plus de ces fringants navires aux banderoles écarlates qui mouillent dans tes eaux désertes ; non, c’est quelquefois un lourd bateau marchand, un maigre mystic ; et si, par hasard, une mince goélette, au corsage étroit et serré comme une abeille, vient s’abattre à l’abri de ton môle, tout le bourg est en émoi148 ».
161Partageant l’amertume d’Eugène Sue d’aucuns souhaitent que Saint-Tropez renoue au plus vite avec son « ancienne splendeur » et que ses enfants retrouvent les « bains parfumés sous les sycomores, les tapis de cachemire et les coupoles élégantes aux peintures mauresques » d’un Orient rêvé. Pour cela n’espèrent-ils pas, avec force, que « la colonisation d’Alger permettra de mettre à profit les avantages maritimes de Saint-Tropez et lui rendra l’aisance qu’elle a perdue149 » ? Espérance déçue, faut-il le préciser ? À peine plus d’une génération après la prise d’Alger « les moindres habitations de Saint-Tropez, délabrées et en ruine, sentent la misère et l’abandon […] leurs couleurs vives se reflètent dans les eaux d’un bassin presque désert150 ».
162Assurément, le XVIIIe siècle tropézien se confond avec la discrète mais glorieuse parenthèse levantine.
Notes de bas de page
1 Carrière C., Négociants…, op. cit., p. 33.
2 Ce rapport retrouvé par Eugène Sue dans les archives du cardinal de Sourdis figure dans l’édition de la Correspondance d’Escoubleau de Sourdis, op. cit., p. 223-319. Une présentation en a été proposée par Ferrier J., « La Méditerranée, mer ouverte à la France : le tournant historique de 1633 », Villain-Gandossi C. (dir.), Méditerranée, mer ouverte, 2 vol., Malte-Aix-Montpellier, Malta International Foundation, 1998, t. 1, p. 63-72.
3 Corespondance… op. cit., p. 285. Les types de bâtiments sont présentés avec l’analyse de la flotte de Saint-Tropez.
4 L’enquête a donné lieu à diverses études et présentations. On pourra se reporter à Morineau M., « Flottes de commerce et trafics français en Méditerranée au XVIIe siècle (jusqu’en 1669) », XVIIe siècle, no 86-87, 1970, p. 135-171. Richard R., « Comptes et profits des navires terreneuviers du Havre au XVIIe siècle », Revue d’histoire économique et sociale, 1976, p. 476-524. Morineau M., « De l’efficacité de l’administration en France au début du règne de Louis XIV. À propos de l’Inventaire de la Marine de commerce de 1664 », Beihefte der Francia, t. IX, Munich, 1980, p. 26-32. Zysberg A., « La flotte du Havre en 1664 et 1686 », Cahiers havrais de recherche historique, 1993, p. 43-73.
5 Les procès-verbaux sont conservés au département des manuscrits de la Bibliothèque nationale, fonds Cinq Cents Colbert, no 199, f° 181 à 208 pour la Provence, f° 199 pour Fréjus-Saint-Tropez.
6 Une copie de ce procès-verbal est au Musée de la Marine, Paris, V Ib/28.091.
7 Une copie d’époque est conservée à la bibliothèque de la Chambre de commerce de Dunkerque (manuscrit B 19) mais une transcription, minutieusement réalisée en 1963-1964 par F. Reynaud et A. Pellegrini, est disponible à la Chambre de commerce et d’industrie de Marseille (D 473 R et D 474 R). La situation de Saint-Tropez est présentée en D 474 R f° 245. Cette enquête a été utilisée par plusieurs chercheurs dont Rébuffat F., « La flotte de Martigues en 1686 », Provence historique, fasc. 55, 1964, p. 69-76. Pfister-Langanay C., Ports, navires et marchandises à Dunkerque (1660-1792), Dunkerque, 1985. Morineau M., « Morlaix, la chevauchée du sénéchal de Lesneven et celle du sénéchal de Brest. 1664 », Mélanges offerts à Jean Tanguy, Brest, 1996, p. 275-287. Pour une approche comparée des enquêtes de 1664 et 1686 on se reportera à Turgeon L., « Colbert et la pêche française à Terre-Neuve », Mousnier R. (dir.), Un nouveau Colbert, Paris, 1985, p. 255-268, à Zysberg A., « Pêche et commerce maritime sur les côtes de Poitou, Aunis et Saintonge, au cours de la seconde moitié du XVIIe siècle », Rochefort et la mer, Jonzac, 1992, no 7, p. 53-70 et à Buti G., « La flotte de commerce et de pêche de la France méditerranéenne à la fin du XVIIe siècle », Tourville et les marines de son temps, Saint-Lô, Archives départementales de la Manche 2003, p. 49-90.
8 Le cadastre de 1607 a été présenté par Letrait J.-J., « Étude du cadastre de Saint-Tropez en 1607 », Provence historique, t. XII, fasc. 49, juillet-septembre 1962, p. 249-258. Le cadastre de 1671 est conservé, ainsi que les autres, aux AM Saint-Tropez, CC 15. Cadastre de 1671. Les bâtiments de mer sont regroupés dans les fos 1 à 79 placés entre les folios 623-624. Les « bestiaux, bœufs, chevaux et autres bestes a bast », sont alors soumis à une imposition semblable à celle pesant sur les filets et les bâtiments au-dessous de 100 quintaux.
9 SHDM-T, 4P 51-52.
10 Les Provençaux emploient au XVIIe siècle le quintal pour la mesure de la jauge. Un tonneau correspond à 24 à 25 quintaux.
11 AM Saint-Tropez, CC 12.
12 AM Saint-Tropez, BB 7. 1627 f° 833.
13 AM Saint-Tropez, EE 5. 1602.
14 AM Saint-Tropez, BB 6. 1601, f° 215.
15 AM Saint-Tropez, BB 7. 1633, f° 1029.
16 Fontenay M., « L’Empire ottoman et le risque corsaire au XVIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XXXII, avril-juin 1985, p. 185-208, cf. p. 188.
17 Correspondance…, op. cit., p. 286.
18 AM Saint-Tropez. CC 131, 6 décembre 1664.
19 Morineau M., « Flottes de commerce… », art. cit., p. 146.
20 Procès-verbal de 1665, doc. cit.
21 AM Saint-Tropez. CC 15.
22 Enquête Seignelay et SHDM-T 4P 51-52.
23 Arch. privées, Saint-Tropez. Fonds Prévost-Allard. Acte notarié, 17 avril 1673.
24 Bono S., Les corsaires en Méditerranée, Paris, 1998, p. 32-45.
25 Arch. privées, Saint-Tropez. Fonds Prévost-Allard. Notaire Antoine Jacaran. Année 1577.
26 Ibid. 28 mai 1577, f° 201. Ce galion Sainct-Troppès correspond au seul bâtiment de Saint-Tropez relevé par F. Braudel et R. Romano à l’entrée du port de Livourne parmi les 25 revenus du Levant au cours des douze années connues inscrites dans la période 1573-1593. Cf Braudel F., Romano R., Navires et marchandises à l’entrée du port de Livourne (1547-1611), Paris, 1951, p. 44.
27 AM Saint-Tropez, CC2 Cadastre, vers 1520, f° 14. Arch. privées, Grimaud. Fonds Long. Protocole de Maximin Monin, notaire de Grimaud, 1548, f° 54 et f° 162.
28 Voir Annexes V et VI p. 432. Un voisin d’Antoine Antiboul est un certain Antoine Martin « dit la negro ».
29 Arch. privées, Grimaud. Fonds Long. Protocole de Monin, notaire de Grimaud, 1548, f° 133 et f° 146.
30 Ibid., 4 avril 1577, f° 144.
31 F. Braudel et R. Romano, op. cit., p. 60.
32 G. Rambert, Histoire du commerce de Marseille, t. IV, 1660-1789, Paris, 1954, p. 117.
33 Braudel F. et Romano R., op. cit., p. 65-75.
34 Outre les cadastres de Saint-Tropez et les registres de délibérations du Conseil de ville on aura recours à la vingtaine de registres de notaires déposés aux AD V, 3E 3388-3406 et au riche fonds Prévost-Allard en cours d’inventaire.
35 Masson P. (dir.), Les Bouches-du-Rhône. Encyclopédie départementale, t. III, Marseille, 1921, p. 217.
36 Certes, en 1662, une notice hollandaise signalée par Michel Morineau énumère quinze vaisseaux marseillais dont quatre seulement repérés dans l’inventaire de 1664 (« Flottes de commerce… », art. cit., p. 140). En est-il de même pour ce vaisseau tropézien absent du cadastre de 1671 pourtant actualisé au-delà de 1680 ?
37 AD V et fonds privés (voir sources).
38 Cité par Masson P., Histoire du commerce Français dans le Levant au XVIIe siècle, Paris, 1896, p. 510.
39 Arch. privées, Grimaud. Fonds de Me. Long. Papiers Monin, notaire de Grimaud.
40 AD V, 12J. Arch. privées, Saint-Tropez. Fonds Prévost-Allard.
41 Masson P., La Compagnie du corail, Paris, 1901, p. 238-239.
42 AD BdR, IX. B171. 1580, f° 50 et f° 52.
43 AM Saint-Tropez, BB7, f° 1034.
44 Bennassar B. et L., Les Chrétiens d’Allah. L’histoire extraordinaire des renégats (XVIe-XVIIe siècles), Paris, 1989, p. 477.
45 ACCIM, I 1. État des bâtiments partis de Marseille à destination du Levant et de la Barbarie, du Ponant, de l’Italie et de l’Espagne (1680-1683).
46 Le cottimo est une taxe établie provisoirement en 1608 et définitivement en 1660 pour supporter les frais et dettes des Échelles du Levant. Elle était perçue à l’importation à Marseille soit par la Chambre de commerce soit par ses représentants installés dans d’autres ports (Salonique, Livourne, Gênes…). Le montant variait selon le type du navire (et non le tonnage) ; les bâtiments transportant certaines denrées (riz, blé et légumes secs) étaient exclus de cette taxe mais figurent dans les relevés avec la mention « exemptés. » Le cottimo sera supprimé en 1766.
47 ACCIM. K 91. États des bâtiments français arrivés à Livourne en provenance du Levant et de Barbarie (1677-1698).
48 ACCIM. K 111. États des bâtiments français arrivés à Gênes assujettis aux droits de cottimo et de tonnelage (1685-1720).
49 AD V, 7B 3. Copies de polices de chargement enregistrées à Saint-Tropez le 5 juillet 1669.
50 ACCIM. K 91. États des bâtiments français arrivés à Livourne venant du Levant et de Barbarie (1677-1698).
51 SHDM-T. 4P 51 f° 70.
52 ACCIM. K 91. États des bâtiments français arrivés à Livourne venant du Levant et de Barbarie (1677-1698).
53 AD V. 7B 4.
54 ACCIM. K 111. États des bâtiments français arrivés à Gênes assujettis aux droits de cottimo et de tonnelage (1685-1720).
55 AD V. 7B 15.
56 SHDM-T. 4P 51 f° 70.
57 AD V. 7B 4.
58 AD V. 7B 15.
59 ACCIM, I 2. État des bâtiments expédiés de Marseille pour les Échelles du Levant (1703-1710) et SHDM-T 4P 36 pour l’identification des capitaines et des navires.
60 SHDM-T. 4P51.
61 AD V. 3E24-134, f° 280, le 10 février 1707.
62 AD V. 7B4, le 3 février 1709.
63 Badet C., « La crise de 1709 à Marseille. Les problèmes de ravitaillement en blé (1709-1710) », Miège J.-L. (dir.), Les céréales en Méditerranée, Marseille, 1993, p. 69-84.
64 AD BdR, 200E-474.
65 AD V. 7B4.
66 SHDM T, 4P 36. Ainsi furent pris par les Anglais et venant du Levant : en 1707 la barque Jésus Marie Ste Anne du capitaine Louis Gauthier, en 1708 le pinque ND de Bon Secours du capitaine François Lautier, en 1709 les barques ND de l’Annonciade et Jésus Marie Ste Anne des capitaines Joseph Roux et Jacques Serize, en 1710 la tartane Sainte Marie du capitaine Honoré Aubert, « revenant du Levant chargé de bled » et en 1713 la barque ND de Miséricorde du capitaine Charles Ganteaume.
67 Carrière C., « Y-a-t-il eu un XVIIIe siècle à Martigues ? », art. cit, p. 53-68.
68 Bibliothèque du Musée de la Marine, Paris. PH 36524 V 1b — 28091. Extrait du greffe de l’amirauté de Saint-Tropez. Le port de Saint-Tropez en 1665.
69 SHDM-T, 1E 9-16. Divers. Carte topographique du quartier de Saint-Tropez au 1er avril 1819 (état des lieux).
70 Darluc M., op. cit., p. 277.
71 AD V, 7 B 17, 10 janvier 1789, f° 40.
72 AD V, 7 B 10, 22 janvier 1773, f° 201.
73 AD V, 7B.
74 Les entrées et les sorties ne sont disponibles que pour 24 années communes.
75 AD V 7 B15-16-17 et SHDM-T 4P143-144.
76 AD V 7 B9-10 et 12 J8 et SHDM T 4P143-144.
77 AD V, 7B 9-10 et 15-17.
78 Les rythmes mensuels des relâches seront examinés lors de l’étude du petit cabotage.
79 AD V, 7B et 12J 38.
80 AD V, 7B et 12J 38.
81 La question du tonnage des bâtiments sera reprise à propos de la structure de la flotte attachée au port.
82 SHDM-T, 4P 143-144.
83 AD V 7B 15-16 et 12 J 38.
84 SHDM-T, 4P 158-159. Saint-Tropez, rôles d’armement (1714-1720).
85 SHDM-T, 4P 160 à 196. Saint-Tropez, désarmements. Ces 37 registres utilisés pour notre enquête couvrent la période 1726-1820, soit plus de 7 000 opérations. Les numéros d’armement permettent de recouper les informations et de valider les reconstitutions des registres perdus.
86 SHDM-T, 4P 160 à 196.
87 Idem.
88 SHDM-T, 4P 184.
89 SHDM-T, 4P 168.
90 SHDM-T, 4P 184-no 134.
91 SHDM-T 4P.
92 Ibid.
93 SHDM-T, 4P 158 à 185.
94 SHDM-T 4P.
95 L’utilisation de moyennes atténuerait ce décalage et révélerait le mouvement général mais masquerait la réalité de la vie portuaire et de l’activité vécue par les hommes.
96 SHDM-T, 4P 51-52 et 37 à 43.
97 SHDM-T, 4P 182 no 44 et 4P 41.
98 SHDM-T, 4P 184 no 114 et 4P 41.
99 SHDM-T, 4P.
100 Ibid.
101 ACCIM, L IX, 988. Rotterdam. Lettres de Thymon Van Meel (1731-1741). 2 septembre 1734.
102 Pour une étude des pertes voir ci-dessous le chapitre consacré à la structure de la flotte.
103 SHDM-T, 4P 170 à 185.
104 SHDM-T, 4P 40 et 4P 170-171.
105 Braudel F. et Labrousse C.-E. (dir.), Histoire économique et sociale de la France, t. II, 1660-1789, Paris, 1970, p. 556.
106 Mémoire de l’ambassade pour 1772, cité par Masson P., Histoire du commerce français dans le Levant au XVIIIe siècle, Paris, 1911, p. 414.
107 SHDM-T, 4P 41 et 4P 180-181-182.
108 SHDM-T, 4P.
109 Carrière C., op. cit., p. 109-152.
110 SHDM-T, 4P 183-187.
111 SHDM-T, 4P 183-187.
112 SHDM-T, 4P 182 à 190 et 4P 133-135.
113 SHDM-T, 4P 41 et 4P 133-134.
114 SHDM-T, 4P 41 et 4P 133-134-135.
115 AM Saint-Tropez, FF 19 (1787-1789).
116 Arch. privées, Saint-Tropez. Fond Mouret. Livre d’heures de Jean-Baptiste Castel, maître-maçon du lieu de Saint-Tropez (1774-1808).
117 Ibid.
118 Pour la géographie des naufrages et les autres motifs de pertes voir l’étude de la flotte ci-dessous.
119 Masson P., Marseille depuis 1789, Paris, 1921, p. 60.
120 AD BdR, 200 E. 606-607
121 . SHDM-T, 4P 41-42-133-134.
122 SHDM-T, 4P 42 et SHDM-V, CC 7. États de service.
123 SHDM-T, 4P 187-188. Pour la course tropézienne voir ci-dessous.
124 SHDM-T, 4P 43.
125 Voir la liste dans Rosati J., op. cit, p. 289-294.
126 Poupée L. H., L’émigration dans le Var (1789-1825), Draguignan, 1923, p. 265-272.
127 La Jonquière C., L’expédition d’Egypte (1798-1801), 5 vol., Paris, 1899-1907 et de Laurens H., L’Expédition d’Egypte (1798-1801), Paris, 2e éd., 1997.
128 Buti G., « Des convois pour l’expédition d’Égypte », Cahiers de la Méditerranée, décembre 1998, no 57, p. 173-205.
129 SHDM-T, 4P 187.
130 SHDM-T, 1R 2 - 1R 13-14 - 4P 41 - 4P 133 et AD V, 3E 24.
131 Pour les difficultés et la lenteur des paiements on se reportera aux tracasseries rencontrées par les propriétaires de la tartane l’Hirondelle. Voir Buti G., « Des convois pour… », art. cit., p. 197-203.
132 SHDM-T, 1A2-197. Correspondance de St-Tropez avec Najac, ordonnateur à Toulon, 24 ventôse an VI (14 mars 1798).
133 Ibid., 28 germinal an VI (17 avril 1798).
134 Ibid. 14 floréal an VI (3 mai 1798).
135 ADV, 4S 39. Mémoire sur la ville et le port de Saint-Tropez. Draguignan, 25 prairial an XII (14 juin 1804).
136 Millin A.-L., op. cit., p. 254.
137 SHDM-T, 4P 134-135.
138 Ibid.
139 SHDM-T, 1E 9-16. Divers.
140 Ibid.
141 SHDM-T, 4P 137.
142 SHDM-T, 4P 46.
143 SHDM-T, 4P 141.
144 SHDM-T, 4P 142.
145 Voir Buti G., « Naviguer pour son plaisir à Saint-Tropez. Contribution à l’histoire de la plaisance », Revue de la Société des Amis du Vieux Toulon et de sa région, no 129, 2007, p. 439-456.
146 Carrière C., Négociants…, op. cit., p. 152.
147 Garcin E., op. cit., p. 540.
148 Sue E., La Salamandre, Paris, 1832 ; rééditée, Romans de mort et d’aventures, 1993, p. 305.
149 Garcin E., op. cit., p. 531.
150 Lenthéric C., op. cit., p. 294.
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