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Chapitre II. « Les sourds-muets et les aveugles. » Genèse d’une catégorie d’État
p. 73-101
Texte intégral
1La catégorie de handicapés sensoriels est l’une des énigmes qui a nourri la curiosité au principe de cette enquête. Le questionnement de l’introduction générale comprenait plusieurs temps : comment comprendre la mise en équivalence de deux populations, les sourds et les aveugles, qui se différencient si nettement par ailleurs ? la logique de classement médico-administrative propre à la construction du handicap ne fait-elle que reprendre une proximité biologique de sens commun ? ne faut-il pas aussi interroger le rôle de l’activité d’éducation dans la production de l’équivalence ? Si l’hypothèse d’une équivalence entre sourds et aveugles du point de vue de leur éducabilité pouvait s’appuyer sur la prégnance éducative du terme « sensoriel » au XXe siècle, le chapitre précédent apporte plusieurs indices supplémentaires. L’invention de l’éducation collective et adaptée est presque concomitante : une vingtaine d’années séparent les projets de l’Épée et Haüy. Mieux, la mise en relation des deux causes pédagogiques est systématique, d’abord chez Haüy, qui a tout intérêt à ce qu’on associe son école à l’œuvre réputée de l’Épée, mais aussi chez les philanthropes des années 1780, les députés des assemblées révolutionnaires ou les instituteurs des sourds-muets. De surcroît, les deux écoles sont réunies physiquement et assimilées fonctionnellement en 1791. Si la séparation physique est consommée dans des délais assez brefs (1794), les décrets de 1795 reproduisent l’assimilation fonctionnelle des établissements, en leur appliquant au nom d’une même ambition universelle les mêmes dispositions (définition des populations bénéficiaires, centralisation de la surveillance).
2Il semble ainsi que les instituteurs posent l’équivalence, et que le législateur la valide. Peut-on pour autant reprendre à la lettre l’expression de Dora Weiner quand elle soutient qu’à partir de 1791, le gouvernement français parle des aveugles et des sourds « dans un même souffle », comme s’ils étaient inséparables, comme s’ils ne formaient qu’une seule population ? Oui, car l’historienne pointe une rupture importante, la montée en généralité d’une équivalence. Non, car ce qui est rendu équivalent en 1791 et en 1795, ce ne sont pas exactement les individus sourds ou aveugles, mais leurs instituteurs et leurs écoles. La nuance peut paraître une vétille de la part d’un esprit imperméable à la pensée métonymique. Mais l’on a déjà montré que la protection des sourds et des aveugles par la « Nation » pendant la révolution était en fait une faveur faite à des instituteurs par leurs puissants protecteurs : on essaiera donc de se tenir à l’écart de la réification des collectifs, et de se demander dans ce chapitre de quelle manière « l’État » se représente, et agit sur, ce et ceux pour lesquels il est censé travailler.
3Placer d’emblée les groupes des aveugles et des sourds comme « sujets de la préoccupation de l’État » serait en effet présumer de ce qu’est l’État de la Révolution à la fin du XIXe siècle, et de ce qu’il peut et veut faire d’une mission qui, en 1795 du moins, consiste simplement à surveiller trois écoles ! Ce serait donc s’interdire de regarder dans les rouages et les soutes de l’administration centrale pour y observer ceux qui assurent concrètement ces missions, les moyens dont ils disposent et la manière dont ils infléchissent éventuellement les tâches qui leur sont confiées. En prenant les dispositions légales pour ce qu’elles sont, sans céder à une emphase littéraire trop souvent entachée de surinterprétation, on s’accorde la possibilité de comprendre ce que l’État fait de ses missions, comment il parvient à les transformer et, ce faisant, à se transformer. Or l’État – encore moins le gouvernement révolutionnaire – ne s’intéresse pas aux sourds et aveugles dans les années 1790 : « son » attention aux populations est à la fois nettement postérieur (le Second Empire), discret (administratif) et indirect (statistique). En revanche, un partie de l’administration centrale s’intéresse à « ses » établissements, ceux qu’elle a en charge, et construit durablement leur association, avant de l’étendre aux activités elles-mêmes et à leur population. Après avoir montré que l’intérêt pour les sourds et les aveugles au cours du XIXe siècle est avant tout un souci de l’éducation, qui profite d’ailleurs surtout aux sourds-muets, ce chapitre examinera précisément l’action proprement juridique, politique et administrative afin de montrer que si l’État est au principe de la catégorie « aveugles et sourds », c’est une fois encore de manière indirecte, sinon incrémentale : c’est une politique qu’on pourrait qualifier d’institutionnelle, relative à des établissements, qui permet de construire progressivement la catégorie « aveugles et sourds ».
Le souci de l’éducation
4Pour les sourds comme pour les aveugles, le XIXe siècle est marqué par la focalisation des préoccupations sur l’enjeu éducatif, mais l’éducation est nettement plus développée pour les premiers que pour les seconds.
L’action institutionnelle spécialisée au XIXe siècle
5Un inventaire systématique des institutions spécialement destinées aux sourds et/ou aux aveugles montre clairement que l’enfant constitue la cible privilégiée des ardeurs bienfaitrices. Précisons. L’élève des établissements d’éducation, d’abord, est en général admis entre 9 et 14 ans pour une durée moyenne d’instruction de 6 années, voire de 8 années s’il fait partie des « mieux doués ». L’« enfant » en question peut donc avoir 9 ans comme 22 : on voit combien la frontière entre l’enfance et l’âge adulte est lâche. Bien des institutions généralistes, ensuite, sont bien sûr susceptibles, tout au long du siècle, d’accueillir des sourds et des aveugles : hospices, bureaux de bienfaisance, hôpitaux, viennent en aide à tous les « indigents ». Mais on fait l’hypothèse que saisir les logiques de construction des groupes sociaux « sourds » et « aveugles », et leur éventuelle mise en équivalence, exige d’examiner d’abord les groupement spécialisés1. Cette hypothèse n’a d’ailleurs aucune valeur générale : le groupe des « enfants anormaux d’école », par exemple, est issu de catégories inventées non pas dans les écoles, mais dans les asiles (avec les nosographies de Bourneville), les laboratoires de la psychologie expérimental (avec l’échelle métrique de l’intelligence de Binet), et les établissements de sourds-muets (avec Baguer)2.
6Le souci de l’éducation est manifeste sur le plan institutionnel : il existe 40 établissements d’éducation pour sourds-muets ou aveugles en 1844, 57 en 1858, contre une douzaine de groupement pour adultes3. Seuls les premiers sont recensés par l’administration, les seconds la laissant largement indifférente. Les populations des aveugles ou sourds-muets sont évaluées de manière très approximative jusqu’au milieu du XIXe siècle. C’est en 1851 seulement que le recensement général de la population fournit, pour la première fois, un dénombrement des « sourds » et des « aveugles », accompagné de quelques critères de différenciation – le domicile, le sexe, et l’âge4. Si l’on considère le critère de l’âge, qui distingue trois classes (moins de 5 ans, de 5 à 15 ans, et plus de 15 ans5), il ressort que, sur environ 52 000 sourds-muets et aveugles de naissance estimés6, plus des quatre cinquièmes (43 000) sont âgés de plus de 15 ans, et moins d’un cinquième (9 000) ont entre 5 et 15 ans. Quoique les « adultes » soit cinq fois plus nombreux les « enfants », leur sort n’intéresse pas le fonctionnaire qui présente ces chiffres, l’inspecteur général A. de Watteville. Celui-ci évoque uniquement la question de l’éducation, dont le « bienfait » est jugé « indispensable » à ces catégories de « déshérités7 ».
7Sur la base d’une estimation très approximative, fondée sur l’âge des enfants de 5 à 15 ans, mais aussi sur leur « état de santé » supposé, l’auteur fixe à 4 600 le nombre d’individus (3 000 sourds-muets et 1 600 aveugles) pouvant recevoir avec profit le « bienfait » de l’éducation ; dans la mesure où les établissements d’éducation accueillent en 1858 environ 2 750 élèves, il déduit de ces approximations successives que plus d’un enfant susceptible d’éducation sur deux est effectivement pris en charge dans un établissement d’éducation8. Au contraire, même si on ne dispose pas des chiffres des effectifs des institutions pour adultes, il est évident qu’elles ne viennent en aide qu’à une proportion infime des 42 000 individus potentiellement concernés, desquels il faut décompter, en toute rigueur, à la fois les dizaines de ceux qui, âgés de 15 à 22 ans, sont encore instruits dans les établissements d’éducation, les centaines de malades et vieillards pris en charge par les hospices ou les bureaux de bienfaisance9, ainsi que tous les « favorisés » à qui la fortune familiale permet de jouir d’une situation qui leur assure l’existence ou qui peuvent exercer un métier sans assistance. Les « sourds adultes » et les « aveugles adultes » désignent bien sûr des ensembles socialement hétérogènes.
8La centralité de l’éducation est telle que les institutions pour adultes s’avèrent en fait, pour la plupart, destinées aux anciens élèves des établissements d’éducation. Tel n’est certes pas le cas de la doyenne et la mieux connue d’entre elles, l’Hospice des Quinze-Vingts10. Fondé par saint Louis en 1260 pour abriter 300 chevaliers aveugles (quinze fois vingt), très riche ment doté sous l’Ancien régime, il fait office au XIXe siècle à la fois d’hospice et de bureau de bienfaisance pour les seuls aveugles indigents de plus de 21 ans pouvant justifier d’une cécité complète et incurable. Grâce à une subvention inscrite au budget du ministère de l’Intérieur, l’Hospice abrite 300 pensionnaires « internes », ainsi que leurs conjoints et enfants éventuels, dans des logements particuliers et fournit des secours en argent à des pensionnaires « externes » en nombre croissant (environ 500 en 1835, environ 2 800 en 1910)11. Structure traditionnelle de secours charitable, accordant des pensions sans contrepartie sous forme de travail, il est de plus en plus critiqué, notamment par les instituteurs d’aveugles (mais aussi de sourds-muets), au fur et à mesure que la capacité des aveugles de travailler s’impose dans la société12. Ce n’est que dans les années 1880 que l’Hospice passe à l’avant-garde de l’innovation institutionnelle en accueillant une clinique ophtalmologique, une société d’assistance par le travail, et une école-asile.
9Au cours du XIXe siècle, les institutions d’avant-garde sont les structures d’assistance par le travail, « asiles », « ateliers » ou « maisons de refuge », en général fondées par les administrateurs des Institutions d’éducation pour leurs anciens élèves, et reliées à elles par des sociétés de patronage. Un atelier situé boulevard d’Enfer à Paris accueille par exemple dans les années 1840 d’anciens élèves de l’Institution des jeunes aveugles de Paris formés aux métiers de la tisseranderie, de la vannerie et du rempaillage du chaises ; il est soutenu par une Société de patronage et de secours des aveugles travailleurs, fondée en 1841 par P.-A. Dufau, directeur de l’Institution, et administrée par le personnel de l’Institution13. Le principe de ce type d’asile est de faciliter l’exercice d’un métier en fournissant matériaux, outils, et débouchés. La rémunération monétaire n’est pas systématique, la protection (logement, vêtement, nourriture) constituant éventuellement une contrepartie suffisante au travail exigé : c’est le cas, par exemple, de la Maison de refuge fondée par le Comité des dames de l’Institution de sourds-muets de Paris pour les anciennes élèves sourdes-muettes dès 182914. Mais ces institutions demeurent exceptionnelles, de l’ordre de la dizaine dans la seconde moitié du xixe pour les sourds-muets, pas plus de deux pour les aveugles avant les années 188015 ! En outre, le nombre d’individus placés dans des structures d’assistance par le travail dépasse rarement la vingtaine, alors que le soutien du patronage peut en revanche atteindre la centaine (120 sourds-muets reçoivent des secours de la part de la Société centrale d’éducation et d’assistance en 1868)16.
10Malgré le grand intérêt que les instituteurs lui portent, la mise au travail des sourds-muets et des aveugles adultes dans des structures spécifiques est donc encore un phénomène balbutiant à la fin du Second Empire, ce qui n’a rien d’étonnant. Conçus dans les années 1820 contre les pratiques charitables traditionnelles et afin de traiter le phénomène nouveau du paupérisme, l’assistance par le travail et le patronage se réclament de la doctrine philanthropique libérale et chrétienne-sociale, incarnée par la Société de morale chrétienne (fondée en 1821), selon laquelle les classes inférieures doivent être éduquées et moralisées par l’inculcation institutionnalisée de la vertu de la prévoyance (Caisses d’épargnes puis Sociétés de secours mutuels), mais aussi par la socialisation dans la relation de tutelle entre le bienfaiteur et l’indigent17. Avant tout destinées aux valides, ces structures connaissent leur âge d’or dans les années 1880. Mais elles ne s’étendent que très modestement aux infirmes, au travers d’expériences « thérapeutiques » menées dans des colonies agricoles et dans des asiles. L’intérêt des instituteurs des sourds-muets (dans les années 1820) et des aveugles (dans les années 1840) est ainsi relativement précoce et exceptionnel18.
11Il existe en fait un lien entre l’ancienneté des établissements d’éducation et la création d’une structure d’assistance par le travail, voire d’une société de patronage, qui ont davantage pour origine le souci pratique des directeurs pour l’avenir de leurs élèves que leur intérêt philosophique pour la doctrine philanthropique. Ce souci peut prendre diverses formes, depuis le simple don en argent à la sortie de l’établissement jusqu’au suivi individualisé des élèves de leur admission jusqu’à leur vie après l’établissement. Le travail de Dufau, directeur de l’Institution des jeunes aveugles de 1840 à 1858, représente sans doute la forme la plus rationalisée pour l’époque du patronage. Dufau s’appuie en effet sur des données biographiques précises des élèves, recueillies auprès de leurs parents et protecteurs, et sur le profil des métiers de leur région d’origine pour anticiper l’orientation « professionnelle » des élèves dès leur scolarité.
12Dans la lettre qu’il envoie aux parents le 1er mai 1845, Dufau souligne que « ce n’est pas assez [pour l’instituteur] d’avoir formé le cœur, éveillé l’intelligence, développé l’aptitude manuelle de l’aveugle, il faut encore que ces dons de l’instruction lui soient rendus véritablement profitables pour l’époque où il aura quitté notre école ». Il cherche donc à savoir si la position sociale de l’enfant l’obligera à travailler pour subvenir à ses besoins, et, dans l’affirmative et en fonction des besoins de sa localité de résidence, quel métier lui serait « le plus avantageux ». La plupart des enfants ne pouvant devenir professeurs ou musiciens, il leur faut des métiers, mais pas n’importe lesquels :
« On peut initier les aveugles à presque tous les ouvrages qu’exécutent les voyants, mais ce seraient des tours de force sans utilité, et il faut s’attacher surtout à ceux où la privation de la vue n’oppose qu’un faible obstacle à la rapide exécution de l’œuvre, de telle façon que l’aveugle puisse rivaliser, ou à peu près, avec son concurrent pourvu de tous les sens, mais bien souvent moins ingénieux et moins constant dans ses efforts19. »
13À partir des données qu’il recueille sur les parcours des élèves sortis de l’établissement (237 entre 1840 et 1852), Dufau parvient à estimer les besoins d’assistance au travail des anciens élèves à une vingtaine de places en atelier. De fait, les données compilées par Dufau indiquent en creux les limites de la formation « initiale » à un métier, dispensée dans l’Institution. L’« élite » représente un quart des effectifs (12 professeurs, 47 musiciens ou accordeurs de piano), soit moins que le « rebut » (les « sorties » pour incapacité, indiscipline, ou décès) de l’ordre du tiers (pas moins de 40 décès, un sixième des sorties, en 12 ans…) ; ceux simplement « rentrés dans leur famille » représentent un cinquième ; finalement, à peine plus d’un élève sur dix exerce « avec plus ou moins de succès », le métier qu’il a appris lors de sa formation20. Si les réalisations ne sont pas à la hauteur des ambitions, il demeure que les « adultes » sourds ou aveugles visés par l’assistance par le travail sont par définition les anciens élèves des établissements d’éducation. L’éducation est bien l’enjeu primordial du XIXe siècle quand il s’agit de porter secours aux sourds et aveugles. L’éducation des sourds-muets, surtout, mobilise les énergies et soulève les vocations.
L’éducation des sourds-muets comme enjeu à part
14La disproportion entre les établissements d’éducation pour aveugles et pour sourds-muets est très nette d’après les données officielles de 1858 : quatre établissement sur cinq sont en fait destinés aux seuls sourds-muets. Il n’existe que deux véritables établissements pour aveugles : l’Institution de Paris, qui compte 200 élèves en 1858, soit les deux tiers des aveugles scolarisés, et une école à Nancy, fondée en 1852 sur le modèle de la première21. Les autres sont de petites écoles, et beaucoup de simples classes annexées à des établissements de sourds-muets, n’accueillant pas plus de 10 élèves. Au contraire, les créations d’établissements pour sourds-muets sont régulières tout au long du siècle. Quatre écoles sont ouvertes par l’Épée et ses élèves avant 1789 (dont celles de Paris et de Bordeaux)22. De simples individus, abbés ou laïcs, ou des congrégations religieuses les imitent après la période révolutionnaire, avec un pic dans les années 1830 et 1840 : le nombre d’établissements passe ainsi de 7 en 1815, à 20 en 1827, 39 en 1844, 47 en 1858, 54 en 1866, 70 dans les années 188023. Conséquemment, le nombre d’enfants sourds-muets scolarisés est largement plus élevé que celui d’enfants aveugles scolarisés : en 1858, les premiers sont estimés à environ 2 400, les seconds à peine à 30024. Il faut également signaler l’existence de deux sociétés de patronage ayant pour objet l’éducation des enfants sourds-muets en milieu « ordinaire » (i. e. les écoles d’instruction primaire), qui sous le Second Empire, tenteront en vain d’intéresser à leur cause l’administration à leur cause25. Plusieurs facteurs concourent à cette disproportion de l’intérêt institutionnel au profit de l’éducation des sourds-muets : les besoins y sont plus importants, la tâche plus noble, la curiosité médicale plus grande, et l’histoire moins heurtée.
15Les enfants sourds sont d’abord plus nombreux. Le fait n’est établi qu’en 1851, quand le recensement indique que les enfants sourds sont environ deux fois plus nombreux que les enfants aveugles (5 800 contre 3 100) âgés de moins de 15 ans26 ; des recensements étrangers, plus anciens, indiquaient une disproportion encore plus marquée27. On peut penser que la supériorité numérique des sourds-muets a favorisé le développement des établissements. Même ignorée au niveau agrégé, national, le grand nombre d’enfants sourds-muets devait être perceptible localement par les directeurs d’établissements à qui ces enfants étaient présentés. Il l’était assurément par les administrateurs de l’Institution de Paris, qui constataient dès les années 1800 que les demandes de places gratuites pour les sourds excédaient largement l’offre de bourses du gouvernement, comme le ministère de l’Intérieur l’avait déjà observé sous le Directoire28. L’hypothèse ne signifie pas pour autant que l’intérêt public pour une population dépend de sa taille. L’éducation des sourds s’est développée alors même qu’on supposait les enfants aveugles plus nombreux que les enfants sourds-muets au motif que, en général, les aveugles étaient plus nombreux que les sourds-muets – l’argument avait permis à Haüy en 1791 d’obtenir un personnel et des pensions légèrement supérieurs à ceux octroyés à Sicard. Trois changements au tournant des années 1830 ont mis à mal l’hypothèse en contribuant à dévoiler la structure par âge différente des deux populations : les recensements effectués à l’étranger29, la diffusion des techniques de calcul statistique, et notamment de l’instrument de la moyenne, sous l’influence des travaux de Villermé30, et la sophistication des classifications médicales de la surdi-mutité et de la cécité (tardive ou précoce, partielle ou complète) par la prise en compte de leur moment d’apparition. À partir des années 1850, il est entendu pour l’administration centrale que la surdi-mutité frappe beaucoup dans l’enfance, alors que la cécité atteint les adultes dans trois cas sur quatre (et notamment les vieillards)31 ; toutes choses différentes par ailleurs, « les sourds » forment une population représentative de la population générale du point de vue de l’âge, alors que « les aveugles » constituent une population structurellement plus âgée.
16Les sourds-muets n’étaient pas seulement relativement plus importants, mais aussi relativement plus intéressants. Communément perçus comme des infirmes et des inutiles au monde au début du xixe, sourds et aveugles sont l’objet de stigmatisations différentes. Le sourd est rabaissé au rang du sauvage, voire de l’animal, « toujours sur le point de devenir un monstre », obéissant aux seules lois de la nature et sans égards pour les conventions sociales32. Instruire le sourd-muet, c’est tout simplement le rendre à l’humanité, à la civilisation et sauver son âme33. L’« art » inventé par l’Épée au siècle des Lumières attire des individus intéressés aussi bien par la rédemption des âmes ou l’action pédagogique que les progrès de la connaissance sur l’homme et le langage – voir, plus prosaïquement, par la recherche de la notoriété. L’aveugle, en revanche, appartient à l’humanité, au pire à sa « frange » la plus « vile », celle des vagabonds et des mendiants, au mieux à la masse des incapables et des inutiles. Mais son éducation suscite peu de vocations. La différence de traitement à l’égard des sourds et des aveugles dérive en partie des caractéristiques supposées de leurs déficiences : au contraire de l’aveugle, que le langage oral, la conversation, maintient dans le monde social, le sourd-muet serait placé à l’écart du monde social par sa déficience qui lui interdit toute communication avec les êtres dotés du langage. La supériorité de situation de l’aveugle relativement au sourd est du même coup communément admise dans le monde social, et parmi les aveugles34. Il convient cependant de ne pas durcir exagérément ces déterminations. On l’a dit en introduction, la surdité est plus facile à dissimuler dans l’espace public que la cécité, et elle n’empêche pas le travail manuel. Il semble qu’au Moyen-âge, les sourds-muets aient bénéficié du caractère discret de leur stigmate et de leurs aptitudes au travail manuel, comme de l’existence des congrégations silencieuses qui les employaient volontiers35. En 1779, le sourd-muet Pierre Desloges, relieur et « colleur de papier pour meubles », décrit dans un texte célèbre les sourds-muets « ouvriers de Paris », qui, bien qu’analphabètes, « ont été trouvés si bien instruits de leur religion par la seule voie des signes, qu’on les a jugé dignes d’être admis aux sacrements de l’Église, même à ceux de l’eucharistie et du mariage36 ». On peut cependant faire l’hypothèse qu’au XIXe siècle encore, l’instruction d’un aveugle-né est considérée comme une affaire délicate, mais possible (les exemples illustres le montrent), alors que celle d’un sourd continue d’être perçue comme miraculeuse. Il est d’ailleurs significatif que, dans l’historiographie de l’éducation spéciale, l’accent est mis d’un côté sur les aveugles eux-mêmes, de l’autre sur les instituteurs de sourds. On ne connaît en d’autres termes presque aucun nom d’instituteurs d’aveugles et d’élèves sourds-muets, comme si le mérite de l’instruction revenait aux instituteurs dans le cas des sourds, et sur les élèves dans le cas des aveugles. L’instruction comme tâche est plus difficile pour les sourds, donc plus noble.
17Si l’on comprend dès lors que l’éducation des sourds-muets ait soulevé tant de vocations, c’est aussi leur diversité qui doit être relevée. L’activité a notamment attiré l’attention des médecins, lesquels, loin de se cantonner à l’activité thérapeutique, clinique ou sanitaire, ont pris une part active au développement des méthodes pédagogiques. L’« otologie » (médecine de l’oreille) et l’ophtalmologie connaissent au XIXe siècle des degrés de développement très contrastés. Toutes deux bénéficient en revanche pareillement de l’émergence de l’approche anatomo-clinique (les investigations sur la physiologie et la pathologie des organes autorisent de nouvelles taxinomies de la surdité et de la cécité)37 et du mouvement hygiéniste (l’épidémiologie met en évidence les effets des maladies infectieuses sur la surdité et la cécité chez l’enfant). Mais alors que l’ophtalmologie est une spécialité reconnue (il existe des chaires sous l’Ancien régime), notamment grâce aux opérations de la cataracte, l’otologie constitue une spécialité neuve, véritablement fondée à partir de la publication, en 1821, du Traité des maladies de l’oreille et de l’audition du docteur Itard, médecin à l’Institution de Paris38. Du point de vue de l’activité éducative, le rôle des otologues et ophtalmologues diffère tout aussi nettement si l’on juge à travers l’exemple des deux Institutions parisiennes. Alors que les médecins de l’Institution des aveugles mettent leurs connaissances au service de l’activité éducative, les médecins de l’Institution des sourds-muets entendent, au nom de leur savoir, infléchir l’orientation de cette activité dans ses fondements mêmes. Cette différence tient essentiellement au mode d’intégration des médecins dans les Institutions, lui-même fonction du degré inégal de développement des savoirs médicaux : déjà constituée en spécialité, l’ophtalmologie est pratiquée ailleurs (notamment à l’Hospice des Quinze-Vingts) que dans les établissements d’éducation, où elle n’a que peu d’effets ; largement constituée au sein même de l’Institution de Paris, l’otologie est partie prenante des luttes pour la détermination des méthodes pédagogiques.
18Les médecins ont occupé des positions importantes à l’Institution des aveugles. Ce sont des médecins, diplômés de la faculté de médecine de Paris, qui dirigent l’Institution de 1815 à 1840. Les docteurs Guillié et Pignier ne reçoivent pas de traitement en tant que médecins, même s’ils exercent aussi la pratique médicale (le poste de médecin est créé en 1837). Ils soignent les élèves, veillent à l’amélioration de leurs conditions sanitaires et leur régime alimentaire, mais semblent s’interdire toute expérimentation à visée curative, au contraire de leurs collègues ophtalmologues, qui rivalisent d’imagination et d’audace dans la recherche de moyens de guérison de la cécité39. Il existe ainsi une nette distinction entre éducation et médecine curative. L’action curative n’est pas pratiquée dans l’Institution ; le certificat médical du postulant doit établir que sa cécité est « complète » et « ne paraît pas curable ». Lorsqu’il définit les aveugles-nés comme « des hommes à quatre sens, effectuant des considérations comme nous, et n’imaginant pas qu’il soit besoin d’en avoir cinq, pas plus que nous ne comprenons nous-mêmes ce que pourrait faire un homme qui en aurait six40 », Guillié rejette d’ailleurs implicitement la possibilité même d’une intervention médicale correctrice. Limitant l’exercice de leur savoir ophtalmologique au seul diagnostic, Guillié et Pignier se contentent de sélectionner les candidats à l’instruction en fonction de critères physiques (absence d’épilepsie, de « scrofules au second degré » et de « maladies contagieuses », vaccination contre la variole, absence d’« infirmité » rendant « inhabile aux travaux dont les aveugles sont capables »), et « intellectuelles41 ».
19Le rôle revendiqué avec un certain succès par les médecins dans l’Institution des sourds-muets est autrement plus important. En sus des soins et conseils qu’ils prodiguent aux élèves, les médecins profitent de leur position institutionnelle pour contribuer au progrès des connaissances médicales, notamment en matière curative, et prétendre, au nom de leur savoir médical, peser sur les choix effectués en matière pédagogique. Officier de santé considéré comme le fondateur de l’otologie, Itard, en poste de 1800 à sa mort en 1838, est l’inventeur de la première taxinomie des types de surdités42 ; Ménière, son successeur de 1838 à 1862, découvre une pathologie de l’oreille qui porte aujourd’hui encore son nom43 ; Blanchet, en poste de 1862 à 1867 après avoir été chirurgien de l’Institution de 1847 à 1862, multiplie les interventions chirurgicales et travaille à la mise au point de méthodes curatives de la surdité.
20C’est Jean Itard qui ouvre la voie. Après avoir consacré plusieurs années à l’enfant sauvage de l’Aveyron, qui lui a été confié dans l’établissement44, Itard se lance à partir des années 1810 dans une série d’expérimentations audacieuses – audace hélas largement partagée à l’époque45 – sur le corps des élèves de l’Institution afin de les « guérir » : décharges électriques dans l’oreille, sangsues dans le cou, injection de liquides dans une sonde enfoncée jusqu’à la trompe d’Eustache (la « sonde d’Itard »), recouvrement de l’oreille avec des cataplasmes imprégnés de soude caustique, application d’un bouton métallique chauffé à blanc derrière l’oreille… ! Ayant conclu de ses échecs, à regret, que l’oreille est le plus souvent « morte chez le sourd-muet » et que « la science [médicale] n’a plus rien à y faire46 », Itard se lance sans plus de succès dans la stimulation sonore intensive des enfants ayant des restes auditifs. À la fin des années 1820, il réoriente son inventivité vers les enjeux éducatifs. Son raisonnement est simple : puisqu’on ne peut corriger l’audition, il faut restituer la capacité à parler ; faute de guérir la surdité, il faut agir sur la mutité. Itard se fait alors le défenseur de l’enseignement par l’articulation artificielle et nourrit deux argumentations appelées à un bel avenir parmi les oralistes. Il dénonce d’abord les effets néfastes du langage des signes sur la santé des enfants sourds, notamment sur leur « système phono-respiratoire » (augmentation supposée des maladies pulmonaires), et souligne au contraire les effets positifs pour la santé de l’exercice même artificiel de la parole articulée. Il propose ensuite de distribuer l’enseignement en fonction des « degrés de surdité » (alors déterminés de manière pour le moins vague47) des élèves : l’éducation « ordinaire », c’est-à-dire orale, pour ceux qui ont des restes auditifs, qu’il appelle « sourds parlants » ; l’éducation « mixte » pour les « demi-sourds » ; l’éducation mimique, par les signes pour les « sourds complets48 ». En 1828, Itard ouvre la première classe d’articulation dans l’Institution de Paris, avec l’approbation mesurée de l’Académie royale de médecine, pour laquelle « toute surdité congéniale [congénitale], ou de bas âge, quelque légère qu’elle soit, rend l’éducation mimique indispensable49 ». Itard se heurte à l’opposition des enseignants à la méthode orale (la classe ferme en 1832), mais son action connaît un succès posthume (un legs de sa part permet la réouverture définitive de la classe en 1743).
21Le successeur d’Itard en 1838, Prosper Ménière, professeur agrégé de médecine, est nommé à un moment de reflux des méthodes orales. La position de Ménière s’oppose en tous points à celle d’Itard : il se montre réticent à l’égard de l’articulation artificielle, critique envers les interventions chirurgicales, et favorable à la langue des signes qu’il considère comme la plus adaptée à l’instruction intellectuelle des sourds-muets. En 1847, un fonctionnaire du ministère constate avec stupeur et regret que la guérison des sourds-muets est considérée comme un « malheur » dans l’Institution50. Chirurgien de l’Institution, Blanchet revendique au contraire l’héritage d’Itard. Il soutient que « tout ce qui se rapporte à l’amélioration et à l’éducation des sourds-muets est du domaine de la médecine51 », défend ardemment les méthodes orales et entend même relancer des expérimentations de guérison de la surdité52. Les divergences des deux médecins de l’établissement ne sont pas seulement théoriques53, mais c’est bien le différend quant aux méthodes orales qui entraîne une intervention officielle. Sur saisine du ministère de l’Intérieur, l’Académie de médecine se penche en effet sur les méthodes d’éducation des sourds-muets en 185354. Après quatre journées « longues et orageuses » (d’après Ménière), l’Académie dénonce les expériences de Blanchet, mais décrète l’éducation par la méthode orale profitable aux sourds-muets, notamment à ceux qui parlaient avant de devenir sourd. Le résultat le plus net de la controverse est de conférer une légitimité au point de vue médical sur les principes mêmes de l’éducation. Citant Blanchet, l’introducteur des débats soutient l’idée que « tout ce qui se rapporte à l’amélioration et à l’éducation des sourds-muets est du domaine de la médecine » et qu’on ne saurait admettre qu’« il y ait deux parts à faire, l’une pour la médecine, l’autre pour la pédagogie55 ». De fait, les prises de position des médecins sur les enjeux pédagogiques seront de plus en plus nombreuses à partir des années 185056.
22Un dernier facteur du développement plus important de l’éducation des sourds-muets par rapport à celle des aveugles réside enfin dans les débuts mêmes de l’histoire de ces deux activités. Sous l’Ancien régime, la création de l’école de Haüy suit d’une génération environ (soit un quart de siècle) la création de l’école de l’Épée, lequel a déjà formé plusieurs émules en France comme à l’étranger57. La période révolutionnaire est, on l’a vu, une période difficile : trois écoles reçoivent certes la protection de l’État, mais peu de nouveaux établissement sont créés, d’autres disparaissent. Surtout, la prise du pouvoir par Napoléon Bonaparte s’avère une catastrophe pour l’Institut des aveugles travailleurs, autoritairement réuni avec l’Hospice des Quinze-Vingts en 1800. Les carrières personnelles de Haüy et Sicard sous le Consulat et l’Empire donnent une idée de l’évolution de leurs établissements. Haüy, rétrogradé au sein du nouvel établissement unique des aveugles, quitte Paris en 1806 pour un long exil en Russie ; Sicard cumule honneurs (membre de l’Institut) et fonctions (professeur à l’École normale supérieure). L’histoire contrastée des deux Institutions sous l’Empire n’est pas sans effets après 1815. Bien établie, l’Institution des sourds-muets pourra susciter la création (et encadrer le fonctionnement) de nouveaux établissements sur le territoire français ; réhabilitée mais entièrement à reconstruire, l’Institution des aveugles concentrera toute son attention sur son propre développement. On décrira plus en détail dans le chapitre 4 le développement de l’éducation des sourds-muets au XIXe siècle. C’est en effet l’intervention de l’État sur cette activité qu’il faut maintenant examiner : de quelle manière l’État s’acquitte-t-il au XIXe siècle des responsabilités qui lui ont été confiées en 1795 ? plus généralement, que fait l’État en faveur des sourds, des aveugles et de leur éducation ?
L’État et « ses » Institutions
23Dans le contexte d’une forte indifférence du pouvoir législatif à l’égard des populations de sourds et d’aveugles, tant au niveau de la production normative que du débat parlementaire, l’administration centrale a les coudées franches pour remplir sa mission de surveillance des Institutions, et, en occupant à sa manière le rôle qu’on lui fait jouer, pour passer de la protection à la promotion des Institutions.
L’exceptionnalité de l’État tuteur
24Au XIXe siècle, le législateur ne s’intéresse pas aux populations d’aveugles et de sourds-muets avant… la loi du 28 mars 1882 sur l’instruction primaire obligatoire. En disposant dans son article 4 qu’un règlement particulier déterminera les modalités de mise en œuvre de l’obligation scolaire pour les sourds-muets et les aveugles, la grande loi républicaine les constitue en effet en catégories légales d’ayant-droit pour la première fois. Il existe certes, tout au long du siècle, une législation relative aux sourds-muets et aux aveugles clairement identifiable58, mais elle formée pour l’essentiel par des mesures relatives aux rares établissements placés sous la protection directe de l’État central. Saisie à travers le prisme de la production législative, l’action de l’État en faveur des aveugles et des sourds-muets dessine ainsi la figure maigre d’un État tuteur de quelques institutions spécialisées, non celle d’un État protecteur de catégories légalement reconnues. Que l’État ne soit pas protecteur n’a rien d’étonnant : de manière générale, la politique de l’État au XIXe siècle en matière de secours aux infirmes et aux indigents se caractérise par le refus d’élaborer une législation productrice de droits. Qu’il se constitue en tuteur l’est davantage : ce sont d’ordinaire aux communes qu’incombe la surveillance des établissements de bienfaisance.
25Après l’échec des projets révolutionnaires déjà évoqués, l’État ne reconnaît plus de droits aux secours jusqu’aux grandes lois d’assistance de la Troisième République. La volonté de l’Assemblée constituante de promouvoir l’État comme incarnation de la Nation et de l’intérêt général s’était manifestée, dans le domaine de la bienfaisance, par le remplacement de l’édifice clérical d’assistance, démantelé dès juillet 1789 puis par la loi le Chapelier. Dans l’esprit des hommes de 1789, c’était à l’État de défendre le pauvre et l’infirme, la bienfaisance devait être « nationale ». Le programme libéral du Comité de mendicité évitait bien sûr que l’État n’intervienne dans l’organisation du travail59, mais proposait d’accorder le droit aux secours à l’ensemble de « ceux auxquels l’âge ne permet pas encore, ou ne permet plus de travailler [et de] ceux qui sont condamnés à une inaction durable par la nature de leurs infirmités, ou à une inaction momentanée par des maladies passagères60 ». La générosité du Comité, pour lequel « l’assistance de la classe infortunée est une charge de l’État comme le paiement des fonctionnaires publics, comme les frais du culte, comme toute autre charge nationale61 », s’accompagnait cependant d’une absence complète de propositions quant à l’organisation concrète des secours. Ce n’est qu’au printemps 1793 que la Convention jacobine prévoit par décrets la création d’agences cantonales subordonnées à l’administration centrale et disposant du monopole de la distribution des secours aux nécessiteux62. Sous la contrainte de difficultés financières considérables, le Directoire procède cependant à un « désengagement63 » de l’État et refonde la « politique » de bienfaisance selon deux principes, la faveur et la proximité. De « nationale », la bienfaisance devient « publique ».
26La faveur, d’abord : les secours sont facultatifs, l’administration est libre de les accorder ou de les refuser64. Les juristes de la Troisième république justifieront ce principe en soulignant que l’homme vit en société non pour garantir sa « subsistance », mais sa « sûreté » : le secours n’est pas un « devoir de justice », mais un « devoir de charité65 ». On retrouve ici la distinction libérale entre le droit et la morale. L’objet du droit est l’égalité, non les inégalités, et son objectif n’est pas d’exercer une contrainte, mais au contraire de la limiter. Le devoir de bienfaisance s’appliquant aux inégalités, par ailleurs naturelles et nécessaires, il ne peut être constitué en obligation juridique, mais simplement en obligation morale66. La proximité, ensuite. Le secours, « tout en étant une charge de la nation entière, est, avant tout, une charge de la fraction de la nation au milieu de laquelle vit l’individu qui réclame des secours67 ». Dans la répartition des responsabilités à l’égard de l’indigent, la famille précède la commune, le département et, en dernier ressort, l’État central. Loin d’être neuve, cette exigence de proximité entre le bénéficiaire des secours et l’instance dispensatrice était déjà l’un des vecteurs fondamentaux des pratiques d’assistance au Moyen Âge68 ; elle est également conforme à la conception philanthropique libérale de l’action bienfaitrice, selon laquelle la réussite de la moralisation de l’indigent par son bienfaiteur réside en partie dans la personnalisation durable de leur relation.
27En vertu de ces principes, les institutions de la bienfaisance publique sont confiées à la surveillance des autorités locales. Rétablis, hôpitaux et hospices dépendent des communes, lesquelles ont également la tutelle des bureaux de bienfaisance chargés d’assurer l’assistance à domicile (1796) ; leur financement repose sur les dons des particuliers, les subventions communales, et une taxe de 10 % sur les spectacles pour les bureaux de bienfaisance. Remis sur pied plus tard (1808), les dépôts de mendicité dépendent des départements, comme les asiles d’aliénés créés en 183869. Ce « secteur public de la bienfaisance », départemental et communal, cohabite avec de nombreuses institutions fondées par des particuliers, des sociétés philanthropiques et des groupements confessionnels. Bien que placé sous le contrôle de l’État (les préfets, puis dans les années 1830 des inspecteurs généraux spécialisés), il demeure à la fois hétérogène et surtout partiellement « privé ». Sous le Second Empire, environ un tiers des communes possède un bureau de bienfaisance70, et les sommes attribuées annuellement aux indigents par le biais de ces institutions vont de moins de 2 francs à près de 900 francs, par bureau, selon les départements71. En outre, la bienfaisance publique ne cantonne pas seulement l’État dans une fonction, assez peu assumée, de contrôle, mais délègue de facto la gestion de la bienfaisance à des notables locaux, détenteurs des capitaux économiques, sociaux et culturels qui leur permettent de s’investir au niveau local dans l’action philanthropique bénévole. Branche de l’administration, la bienfaisance publique est finalement en grande partie confiée à des personnes privées : pour reprendre la formule lapidaire de C. Duprat, « la Révolution a érigé la philanthropie en institution72 ».
28Le tableau de ce secteur est cependant incomplet : il faut également mentionner la dizaine d’« établissements généraux de bienfaisance », au nombre desquels, justement, les Institutions des sourds-muets et d’aveugles, qui ont pour particularité de déroger au principe de proximité, en cela que leur surveillance est directement assurée par l’administration centrale du ministère de l’Intérieur73. Autrement dit, les sourds-muets et les aveugles comptent parmi les rares populations qui bénéficient du petit nombre d’établissements que l’État, en contradiction avec le principe de proximité, a placés sous sa protection directe. Le tableau est aussi flou si l’on oublie d’insister sur la formidable inertie du législateur au cours du XIXe siècle. Le baron de Gérando – figure illustre de la philanthropie et personnage central de l’éducation des sourds-muets – le notait en 1839 avec acuité : « Par un contraste remarquable, la puissance législative qui, pendant quelques années, à la fin du siècle dernier, s’était appliquée à créer un système entier de bienfaisance publique, a bientôt cessé de s’en occuper ; et le régime de la bienfaisance publique est resté depuis quarante ans dans le domaine de l’autorité administrative74. » De fait, entre 1800 et 1870, deux lois seulement accordent des mesures spécifiques à des catégories d’individus définies positivement : celle de 1838 en faveur des « aliénés », qui place les asiles sous la tutelle des départements75, et celle de 1841 sur les « enfants trouvés76 ». Les fous et les enfants trouvés ont le privilège d’être édifiés en catégories légales à raison de la menace qu’ils représentent pour l’ordre social (pour des « considérations d’ordre public », selon l’expression des futurs spécialistes de droit administratif77). Les sourds et les aveugles, pour leur part, n’incarnent aucun danger. Certains ont pu poser des problèmes de police : les revues spécialisées rendent compte de plusieurs procès intentés à des sourds-muets ayant commis des délits, ou de mesures répressives prises à l’encontre d’aveugles mendiant dans les grandes villes. Ces cas ont nourri bien des spéculations hasardeuses sur le caractère fondamentalement dangereux du sourd-muet sans instruction ou sur la propension propre aux aveugles à s’abaisser à la mendicité, mais ils n’ont jamais attiré l’attention des garants de l’ordre public sur les aveugles ou les sourds en tant qu’entités collectives.
L’État, les aveugles, les sourds-muets : une politique d’établissement
29Pourtant, une législation d’« assistance aveugles et aux sourds-muets » peut être identifiée au XIXe siècle, mais elle porte presque exclusivement sur les Institutions protégées par l’État, qu’on appellera désormais, par commodité, « Institutions d’État ». Ce sont également ces Institutions qui motivent les rares débats parlementaires où sont évoqués les aveugles et les sourds-muets78. Rien d’étonnant, dès lors, à ce que l’administration ne conçoive ces populations qu’au travers des Institutions d’État : on peut parler d’une « politique d’établissement » de l’État, comme politique progressivement instituée, réservée à « ses » établissements, qui constituent et doivent constituer le cœur de l’éducation spéciale.
30L’action normative du pouvoir politique en faveur des sourds-muets et des aveugles consiste pour l’essentiel à entretenir les Institutions d’État créées par les décrets de 1791, 1793 et 1795. La liste des mesures est courte. L’Institution des aveugles de Paris est réunie avec l’Hospice des Quinze-Vingts en 1802, puis à nouveau constituée en établissement autonome en 1815 (sous le titre d’« Institution royale des jeunes aveugles »). En 1841, une ordonnance royale crée le statut d’« établissement général de bienfaisance et d’utilité publique » au profit de cinq établissements : les Institutions royales de sourds-muets et de jeunes aveugles, l’Hospice des Quinze-Vingts, et la Maison royale de Charenton, établissement destiné aux aliénés de la Seine. Elle modifie radicalement, on le verra dans le chapitre 4, le mode de direction et d’organisation des Institutions d’État. En 1859, un décret impérial met fin à la mixité des Institutions de sourds-muets, les garçons sont désormais accueillis à Paris, les filles à Bordeaux. Une troisième Institution de sourds-muets est créée en octobre 1861 à Chambéry, à la suite de l’annexion de la Savoie en 1860. Les Établissements généraux de bienfaisance sont enfin placés en 1865 sous le haut patronage de l’impératrice, à laquelle, conséquemment, est confiée la responsabilité de prononcer les admissions à titre gratuit79. Il existe une autre pratique juridique de l’État, celle consistant à accorder la reconnaissance « d’utilité publique » à des œuvres charitables « privées » – c’est-à-dire tous les établissements autres que les Institutions d’État. Mais les actes de reconnaissance d’utilité publique sont rares et tardifs (à l’exception de celle favorable à la « Maison de refuge » de l’Institution des sourds-muets de Paris en 1833), ils datent du Second Empire, quand la catégorie même d’« établissement d’utilité publique » est définie juridiquement (1862)80.
31De la même façon, la question des sourds et/ou des aveugles n’intéresse les membres des assemblées parlementaires qu’à l’occasion de l’examen de la discussion annuelle du budget du ministère de l’Intérieur, où sont inscrits les chapitres relatifs aux subventions des Institutions d’État, discussion constitutionnalisée sous la Restauration81. À aucun moment, les assemblées ne se préoccupent des populations en tant que telles. Il est très vraisemblable que, pour la quasi-totalité du personnel parlementaire, sourds et aveugles existent uniquement, et au mieux, au travers des Institutions d’État en faveur desquelles sont votées chaque année des subventions importantes sur le budget du ministère de l’Intérieur. En outre, quand ils existent, ces débats sont souvent motivés par les propositions d’augmentation des subventions que déposent des députés également administrateurs des Institutions, comme le comte Alexis de Noailles en 182482. Ce n’est finalement pas par la loi ou par le verbe que l’action de l’État en faveur des aveugles et des sourds se concrétise, mais bien par la surveillance administrative créée par la loi.
32C’est en effet le ministère de l’Intérieur qui, dans le cadre des attributions légales très larges qui lui sont conférées, prend en charge les Institutions d’État. La position des Institutions d’État dans l’organisation ministérielle connaît plusieurs transformations de la Restauration à la Troisième République83. Sous la Restauration, elles dépendent, en tant qu’institutions de bienfaisance, des bureaux qui surveillent par ailleurs l’administration locale de la bienfaisance publique, au sein de la Division des hospices. Dans les années 1830, elles sont considérées comme des « établissements d’utilité publique » parmi les grands établissements scientifiques et pédagogiques. Après la création, en 1841, du statut d’Établissement général de bienfaisance et d’utilité publique, elles sont, en tant qu’Institutions royales (impériales, nationales), nettement distinguées des établissements de bienfaisance locaux et tendent à dépendre d’échelons de plus en plus élevés du ministère (jusqu’au secrétariat général). Tout les distingue donc symboliquement des autres institutions de bienfaisance, mais tout les place aussi dans une configuration de relations spécifiques. Formant à elles seules l’essentiel des attributions de leur bureau de tutelle, elles ont toutes les chances d’entretenir avec le chef de bureau des relations étroites de protection et de surveillance propres à restreindre leur autonomie ; dépendant du secrétaire général par le biais de la division du secrétariat, elles sont également plus vulnérables aux décisions de hauts fonctionnaires ayant des contacts directs avec le ministre (auquel ils doivent le plus souvent leur poste). En bref, la position des Institutions d’État dans l’organigramme ministériel favorise leur insertion dans un système d’interdépendance étroite avec les hauts fonctionnaires chargés de leur surveillance. Concrètement, la protection se traduit progressivement par une politique de promotion des Institutions d’État.
33La « politique » de l’administration en matière d’éducation des sourds et des aveugles est de type incitatif. Elle consiste pour l’essentiel à inciter les conseils généraux à payer des pensions gratuites pour les enfants sourds-muets et aveugles. À partir de l’Empire, l’administration intervient en effet au moyen de « circulaires » envoyées aux préfets, chefs de l’administration départementale hiérarchiquement subordonnés au ministère de l’Intérieur84. Importée dans le langage administratif dans les dernières années de l’Ancien régime, le terme « circulaire » désigne une lettre d’avis reproduite à plusieurs exemplaires pour être envoyée à plusieurs individus à la fois85. La circulaire ne comporte aucun aspect impératif : qu’elle accompagne à titre explicatif une nouvelle réglementation ou qu’elle forme la totalité de l’objet de la correspondance, elle contient des instructions dont l’exécution est encouragée, en aucun cas obligatoire. Le ministère fournit ainsi très régulièrement aux préfets des informations sur les Institutions d’État, et les incite à faire pression sur les conseils généraux pour qu’ils créent des bourses, ou, plus rarement, pour qu’ils contribuent à l’échelon du département à la production des dénombrements statistiques.
34Les bourses constituent un enjeu tout à fait significatif de la vision d’État vis-à-vis de l’éducation des sourds-muets et l’éducation des aveugles, lesquelles, sans être à proprement parler confondues, sont pour l’administration confrontées aux mêmes enjeux. Jusqu’en 1841, le ministère attire l’attention des conseils généraux sur les écoles locales en faveur des sourds-muets et des aveugles86. Elles demandent parfois aux préfets une série de renseignements sur ces écoles (mode d’organisation, nombre d’élèves, type d’enseignement prodigué…), de manière à identifier les plus méritantes87. Il s’agit alors de développer l’activité d’éducation, à laquelle les Institutions d’État ne pouvent suffire, sans engager le budget national. À partir de 1844, l’administration du ministère de l’Intérieur se désintéresse des établissements d’éducation en général, pour se focaliser sur les seules Institutions d’État, auxquelles les bourses départementales doivent être destinées en priorité88. Ce n’est plus l’activité en général qui être promue, mais bien les seules Institutions d’État. Dans les dernières années du Second Empire, les Institutions de sourds-muets de Paris et Bordeaux et des jeunes aveugles sont présentées comme « établissements modèles », sans rivales, où sont étudiées et appliquées les meilleurs méthodes d’enseignement89.
35L’exaltation des Institutions impériales est pour partie la conséquence du haut patronage que l’Impératrice Eugénie leur a accordé : en confortant et rehaussant la protection étatique, le patronage impérial vaut aux établissements l’honneur d’une publication officielle, dans laquelle le marquis de La Valette, ministre de l’Intérieur, vante en termes dithyrambiques leur « réputation européenne90 ». La politique d’établissement s’explique aussi par la situation de concurrence grandissante dans laquelle se trouvent alors les Institutions d’État. Le ministère de l’Intérieur dénonce à la même époque le fait que les bourses des conseils généraux profitent très majoritairement aux écoles locales, pourtant incapables, au contraire des Institutions d’État, de fournir une éducation « complète91 », et tente de modifier la donne par différents stratagèmes (contribution de l’État, à hauteur de la moitié, aux bourses départementales dans les Institutions d’État, sensibilisation à l’orientation des meilleurs élèves vers ces Institutions, etc.)92. Mais elle tient, plus fondamentalement encore, à la logique même d’un travail administratif centré depuis plusieurs décennies sur les seules Institutions d’État, et au développement corrélatif des intérêts corporatistes de l’administration de l’intérieur, de plus en plus intéressée par les débouchés qu’elles offrent en termes de postes. Au final, les populations des sourds et des aveugles n’existent pratiquement pas aux yeux des agents de l’État en tant que telle : n’existent que de grandes Institutions à surveiller, protéger et promouvoir.
Des établissements aux populations : la généralisation d’une équivalence
36C’est ainsi l’éducation spéciale qui fait le lien entre les sourds et les aveugles au XIXe siècle à la fois pour les institutions de bienfaisance en général, et pour la bienfaisance publique au travers des Institutions d’éducation. L’équivalence concerne d’abord les établissements, puis leurs élèves, avant de « profiter » aux populations dans leur ensemble.
Des établissements aux enfants
37L’équivalence entre les écoles peut se concrétiser par leur réunion physique, sur le modèle des écoles parisiennes regroupées en 1791 dans le Couvent des Célestins, mais le cas de figure demeure rare. Une demi-douzaine d’établissements de sourds-muets ouvrent une classe en faveur d’enfants aveugles en effectifs très faibles. Une cinquantaine d’enfants environ y sont éduqués, certaines écoles (Rodez, Montpellier ou Soissons) accueillant moins de cinq enfants aveugles93. Les classes et les méthodes d’éducation demeurent distinctes, mais les enfants sont élevés ensemble, le plus souvent en internat. Signalons que des établissements communs existent à l’étranger94, et que certaines sociétés françaises de patronage en faveur des sourds-muets étendent leur secours aux aveugles95.
38Les « établissements de sourds-muets et d’aveugles » constituent avant tout une catégorie spécifique et stable dans les classifications officielles. Plus précisément, ce sont les Institutions d’État qui forment une catégorie administrative bien définie, du Directoire à la Troisième République, dans des classifications par ailleurs en perpétuel changement : dans les attributions des bureaux ou dans les lignes budgétaires, l’Institution des jeunes aveugles est toujours liée aux Institutions de sourds-muets de Paris et Bordeaux. Les autres Institutions apparaissent dans les organigrammes ministériels seulement en 1855, lorsque le ministère se voit chargé de contrôler les établissements « privés » d’éducation parmi d’autres « institutions de bienfaisance » départementales (asiles d’aliénés, service des enfants assistés, etc.). Les « Institutions de sourds et d’aveugles » sont alors constituées en une nouvelle entité cible du travail administratif. L’Essai statistique sur les établissements de bienfaisance publiée en 1846 par l’inspecteur général Watteville reproduisait déjà la classification administrative du domaine de la bienfaisance publique en distinguant l’ensemble des « Institutions de sourds-muets et d’aveugles », à propos desquelles il livrait quelques informations sommaires (effectifs, caractère laïque ou confessionnel de la direction), des autres institutions, « Hôpitaux et hospices », « Bureaux de bienfaisance », « Monts de piété » ou « [service des] Enfants trouvés96 ».
39Du point de vue de l’État et de ses bureaux, il n’existe ainsi longtemps que des écoles pour sourds et/ou aveugles et des élèves sourds ou aveugles. L’extension du point de vue administratif aux populations survient d’abord par l’opération statistique du recensement de 1851, qui prévoit de les dénombrer – opération dont on ne connaît pas l’origine et dont on peut douter de la précision. C’est surtout l’usage des résultats du recensement par le ministère de l’Intérieur qui modifie le regard administratif en portant l’attention sur une population intermédiaire, les enfants éducables, catégorie qui fait particulièrement sens sur le plan pratique pour l’administration en tant qu’elle est potentiellement amenée à fréquenter les institutions d’éducation. Publiée en 1861, la seconde étude officielle présentée par Watteville obéit apparemment à la même logique classificatoire que l’Essai statistique de 1846. Elle valide la catégorie d’établissements d’éducation de sourds et d’aveugles en lui consacrant le dernier rapport d’une série consacrée à la Statistique des établissements de bienfaisance (leur titre commun), sous-titré « les aveugles et les sourds-muets, et les établissements consacrés à leur éducation97 ». Comme en 1846, le rapport de 1861 ne livre aucune donnée relative aux différentes structures destinées aux « adultes ». Mais il innove en insistant sur les « enfants aveugles et sourds-muets de naissance » en tant qu’objets d’une prise en charge éducative – insistance qui amène son auteur à présenter au long de plusieurs pages les opérations de correction et de redressement des dénombrements de 1851 qui lui permettent d’obtenir une estimation du nombre des candidats à l’éducation. Le déplacement de l’objet mis en équivalence, des établissements d’éducation vers la population éducable, les enfants déficients de naissance, est justifié dès la phrase d’introduction du rapport : « De tous les maux qui affligent l’humanité, ceux qui frappent l’homme à son berceau sans laisser après eux l’espérance sont assurément les plus dignes de pitié. […] Tels sont les aveugles et les sourds-muets98. »
40Du point de vue de l’administration, l’équivalence entre sourds et aveugles découle donc logiquement de l’existence, en faveur des enfants sourds et aveugles, d’établissements considérés par elle comme du même type, et elle apparaît d’autant plus légitime que ces deux types d’enfants ont pour caractéristique commune d’être des déficients de naissance – en fait, des enfants dont la déficience est relativement précoce. Le moment d’apparition de la déficience constitue pourtant bien un principe de justification plutôt qu’un principe d’explication : d’autres types d’enfants atteints de déficiences précoces, souffrant par exemple de malformations physiques ou d’incapacités mentales, ne sont pas pris en considération, alors même qu’ils bénéficient souvent d’une prise en charge institutionnelle généraliste (dans les hospices) ou spécialisée (dans les asiles d’aliénés). L’équivalence entre enfants déficients de naissance apparaît d’autant plus robuste que l’État, par l’intermédiaire de son travail administratif de classement de ses attributions, ici des établissements à protéger ou contrôler, ne fait rien d’autre que retrouver le point de vue des instituteurs spécialisés eux-mêmes qui considèrent l’enfant sourd-muet de naissance et l’enfant aveugle-né comparables en vertu de leur commune éducabilité, et non de leur déficience.
Les instituteurs et l’éducabilité des sourds et des aveugles
41L’opération de mise en équivalence des enfants sourds-muets de naissance et des aveugles-nés n’est pas l’apanage du travail administratif de représentation et de catégorisation du monde social. Elle est aussi le fait des instituteurs de sourds-muets et d’aveugles, notamment dans les revues spécialisées que les plus actifs d’entre eux publient à partir des années 1820. Au contraire de l’administration, tenue par sa logique de contrôle, les instituteurs sont moins intéressés par les établissements que par les enfants, leurs élèves ; ils tendent du même coup à rendre explicite, pour mieux la mettre en valeur, la caractéristique qui fonde l’équivalence des sourds-muets et des aveugles, à savoir leur caractère communément éducable.
42Les premières revues ou « journaux mensuels » consacrés à l’éducation des sourds-muets et/ou des aveugles apparaissent dans les années 1820. Il s’agit en fait, le plus souvent, de la publication d’un seul homme à la recherche d’un surcroît de notoriété, comme Piroux, directeur de l’établissement de Nancy, et rédacteur principal de L’ami des sourds-muets (1838), ou Guadet, censeur de l’Institution des jeunes aveugles et fondateur de L’instituteur des aveugles (1855). Quelques revues présentent la particularité de consacrer leurs colonnes à la fois aux établissements de sourds et d’aveugles, ce qui implique nécessairement la mise en œuvre d’une collaboration : Le sourd-muet et l’aveugle (1837) ou le Bienfaiteur des sourds-muets et des aveugles (1853) sont ainsi publiés par les directeurs des établissements mixtes (accueillant les deux types d’enfants) de Bruges et de Soissons. D’autres revues « mixtes » sont fondées par des spécialistes, tels que le Journal de l’instruction des sourds-muets et des aveugles, publiée par Bébian, ancien censeur de l’Institution des sourds-muets de Paris (dès 1826-1827), ou, surtout, les Annales de l’éducation des sourds-muets et des aveugles, créée en 1844 par Morel, professeur à l’Institution des sourds-muets de Paris. Les Annales ont pour particularités remarquables, par rapport aux autres revues, de paraître à échéance régulière (trimestrielle), de durer relativement longtemps (six années), et d’être d’autant plus riches en contenu (250 pages par livraison annuelle) qu’elles se donnent pour objectif de remédier aux carences de la « cause » de l’éducation des sourds-muets en France99, par une large mobilisation des instituteurs français100. Comme leur titre et sous-titre l’indiquent, les Annales s’intéressent aussi aux aveugles et aux « Institutions qui leur sont consacrées en France et à l’étranger101 ». Pour Morel en effet, l’homologie de situation dans laquelle sont placés les deux types d’enfants et l’existence d’établissements communs justifient le domaine de la revue. Les aveugles forment « une autre classe d’infortunés, non moins nombreux, non moins dignes de la sympathie publique » que les sourds-muets ; eux aussi « attendent encore, la plupart, le bienfait de l’éducation » ; d’ailleurs, « dans plusieurs établissements, les deux genres d’infirmité se trouvent réunis102 ». Il n’existe en fait qu’une seule et même cause, celle de la généralisation de l’éducation à l’ensemble des individus dont il est désormais établi que, bien que déficients, ils sont susceptibles d’en tirer profit.
43Les Annales contribuent d’ailleurs largement à renforcer l’équivalence entre les deux types d’enfants, en favorisant les échanges entre instituteurs et fonctionnaires103, en se faisant l’écho de projets de réunion (par exemple, celui d’une salle d’asile mixte pour les enfants de moins de 9 ans), et, surtout en usant systématiquement de la comparaison entre les deux populations. Si elle s’appesantit sur les différences entre les aveugles et les sourds-muets, la revue conforte l’idée selon laquelle ils sont comparables les uns aux autres. L’usage de la comparaison s’observe plus fréquemment chez les instituteurs des aveugles qui, depuis Haüy, ont toujours eu intérêt à rapprocher leur activité, peu répandue, à celle des instituteurs de sourds-muets, plus étendue. En insistant en 1785 sur l’infériorité de sa propre découverte par rapport à celle de l’abbé de l’Épée, Haüy les rendaient bel et bien équivalentes : « Le Talent d’Imprimer dans l’âme des idées nouvelles en parlant aux yeux seuls, par des gestes infiniment plus éloquents que tous ceux de nos Orateurs, est bien supérieur au talent de réveiller dans l’âme, des idées qui y sont déjà gravées, en faisant concourir à l’impression de la voix, sur l’organe de l’ouïe, avec la finesse d’un tact exercé à saisir les reliefs les plus délicats104. » Un demi-siècle plus tard, le même argumentaire est employé dans les écrits de Dufau ou Guadet, à ceci près qu’il ne leur est plus nécessaire de rabaisser la valeur des procédés en vigueur dans l’éducation des aveugles105. Guadet, par exemple, soutient l’idée que le sourd-muet, parce qu’il dispose de toutes ses facultés physiques, notamment de la vue, est avantagé physiquement par rapport à l’aveugle, mais que l’aveugle, parce qu’il est « en rapport constant avec le monde moral » grâce aux facultés de l’ouïe et de la parole, est avantagé dans son développement intellectuel et moral par rapport au sourd-muet. Il en conclue que les deux types d’enfants sont également dignes de considération, et que les efforts entrepris en matière d’éducation méritent d’être plus équitablement répartis a profit des aveugles – visant principalement les écoles qu’il appelle « mixtes », où de « pauvres aveugles » font « l’appoint » des sourds-muets106.
Naissance d’un prototype ?
44Différentes – notamment du point de vue leur volume –, les activités d’éducation des sourds-muets et des aveugles n’en sont pas moins pensées ensemble au XIXe siècle par leurs acteurs comme par l’État. Établie et consolidée dans les classifications administratives et dans les classements des éducateurs, l’équivalence des activités entraîne la formation d’une équivalence entre les types d’enfants, fondée sur leur éducabilité, qualité « découverte » presque simultanément par l’Épée et Haüy. Si la déficience différencie de manière incontestable les deux populations, et appelle des établissements et (surtout) des méthodes d’éducation distincts, la catégorie « aveugles et sourds-muets » constitue ainsi une catégorie de classement dans le monde de la bienfaisance au XIXe siècle. Catégorie opératoire, dont l’opérationnalité se poursuit au XXe siècle, et connaît une forme de consécration ou du moins d’institutionnalisation en recevant le nom de « déficients » sensoriels après avoir été brièvement bénéficié de celui d’« enfants anormaux ». Au terme de ce chapitre, il est possible de soutenir l’hypothèse que les « enfants sourds-muets et aveugles de naissance » objets des faveurs du XIXe siècle constituent les prototypes de la catégorie plus large (elle inclue les adultes, les devenus sourds et aveugles) des « handicapés sensoriels » d’aujourd’hui : les « plus handicapés sensoriels » des handicapés sensoriels seraient ces individus qui, déficients de naissance, ont reçu une éducation spéciale différente mais équivalente.
45Dans la problématique sociologique classique, catégoriser c’est diviser, classer, organiser un domaine en y introduisant des discontinuités et des continuités, des distinctions et des regroupements ; la catégorie est un principe de division du monde social, un schème classificatoire107. Depuis les travaux de psychologie cognitive d’Eleanor Rosch sur les jugements de catégorisation comme jugements prédicatifs quant à l’appartenance d’un objet à une classe – jugements de comparaison de deux représentations mentales, celle de l’objet et celle de la classe -, on dispose de deux théories sur la logique de la catégorisation. Selon la théorie classique, aristotélicienne, l’appartenance d’un objet à une classe est avérée quand l’objet possède les propriétés nécessaires et suffisantes de la classe. Un sourd et un aveugle appartiendraient ainsi à la catégorie des « handicapés sensoriels » parce que l’un et l’autre sont atteints d’une déficience de type sensoriel, propriété nécessaire et suffisante de la catégorie. De manière générale, la théorie classique est le principe constitutif et opératoire des classifications savantes, qui définissent des classes d’objet de manière purement logique. La catégorie « handicapé sensoriels » offre précisément un bon exemple d’une classe définie de manière strictement logique, comme division de catégories plus larges (handicapé, handicapé physique). L’un des principaux défauts de cette théorie est qu’elle est peu opérationnelle pour les jugements pratiques de catégorisation. De fait, la catégorie « handicapé sensoriel » n’est pas socialement très utilisée : un travail expérimental sur des jugements prédicatifs relatifs à un sourd (ou un malentendant) ou un aveugle (ou un malvoyant) conduirait sans doute à la conclusion que les recours à la catégorie « handicapé sensoriel » sont bien plus rares que les usages des catégories « sourds », « handicapé auditif », « aveugles », « handicapé visuel », voire « handicapés » ou « infirmes » (ou encore « malheureux », « bien à plaindre » voire « parasites », « monstres »). La catégorie « handicapé sensoriel » existe logiquement, et même pratiquement (juridiquement, notamment) mais elle a peu de fondement social : quand on associe les sourds et les aveugles, ce n’est généralement pas en raison de leur commune perte d’un sens.
46Dans ses travaux, Rosch a élaboré une théorie alternative, dite « du prototype », qui nous semble particulièrement adaptée à notre question108. Cette théorie définit des « catégories naturelles » qui se distinguent des « classes d’objets » de la théorie classique en cela que l’appartenance d’un objet à une classe n’est pas définie par la possession de propriétés fixées de manière logique, donc abstraite, mais sur une similitude avec un objet exemplaire, le prototype. Plutôt qu’une série de propriétés, c’est une ressemblance, la manifestation de traits fondamentaux partagés, qui est nécessaire et suffisante. L’une des particularités des catégories naturelles est de tolérer des degrés d’appartenance, le prototype correspondant au degré le plus élevé d’appartenance. Les enfants déficients de naissance et éducables, catégorie que l’État désignait sous l’expression « aveugles et sourds » au XIXe siècle, constituent des candidats crédibles au statut de prototype historiquement institué de la catégorie « handicapés sensoriels ».
Notes de bas de page
1 Pour reprendre Boltanski L., op. cit.
2 Cf. Pinell P., « L’invention de l’échelle métrique de l’intelligence », Actes de la recherche en sciences sociales, no 108, 1995, p. 19-35.
3 Watteville A. (de), Essai statistique sur les établissements de bienfaisance, Paris, Alexandre Héos, 1846 ; Watteville A. (de), Statistique des établissements de bienfaisance, Rapport au ministre de l’Intérieur sur les aveugles et les sourds-muets, et les établissements consacrés à leur éducation, Paris, Imp. impériale, 1861.
4 Les recensements quinquennaux recourent aux critères du sexe depuis 1801, et de l’âge depuis 1836, mais le recensement de 1851 est le premier dont les données par âge sont exploitées (totalisées et analysées), et le premier à comptabiliser les étrangers en fonction de leur nationalité. Cf. Dupâquier M., « Quelques étapes dans le développement des publications démographiques au xixe », et Desrosières A., « Éléments pour l’histoire des éléments des nomenclatures professionnelles », Pour une histoire de la statistique, Paris, Économica, INSEE, t. 1, 1977, p. 111-123 et p. 155-231.
5 Cette division reproduit vraisemblablement les divisions médicales classiques (depuis Hippocrate et Galien) entre la « première enfance » (de 0 à 6 ou 7 ans) et la « deuxième enfance » (de 6 ou 7 ans à 14 ans). Comme l’a montré Jean-Noël Luc, c’est à partir des années 1840 que la perception globale des six premières années de la première enfance s’estompe chez la quasi-totalité des médecins, et que la notion de « seconde enfance » (de 2 ans à 6 ans) est définitivement consolidée (Luc J.-N., « La découverte médicale de la seconde enfance [1750-1900] », Revue d’histoire moderne et contemporaine, vol. XXXVI, 1989, p. 83-113).
6 Les chiffres précis du recensement sont de 29 433 pour les « sourds-muets » et de 37 662 pour les « aveugles », soit exactement 67 095 individus. Ces chiffres sont critiqués par Watteville, lequel suppose que des « muets » non sourds, ou des vieillards devenus sourds, ou devenus aveugles tardivement ou incomplètement, ont été indûment enregistrés. Watteville retranche donc, en vertu de critères non précisés, 7000 à 8000 individus de chacun des totaux obtenus, pour parvenir aux chiffres de 21576 « sourds-muets » – 5806 individus âgés de moins de 15 ans et 15770 de plus de 15 ans –, et 30214 « aveugles » – 3133 individus âgés de moins de 15 ans et 27081 de plus de 15 ans.
7 Watteville A. (de), Statistique…, op. cit., p. 5-6.
8 Ces opérations sont bien sûr extrêmement approximatives. D’une part, Watteville ne livre pas les outils qu’il utilise pour évaluer les proportions d’enfants selon leur âge et leur état de santé. D’autre part, il compare deux chiffres obtenus selon des procédures différentes (estimation à partir du recensement général et enquête auprès des établissements) et à des dates éloignées (1851 pour le premier, 1858 pour le second, soit 7 ans d’écart, ce qui fait que tous les enfants de moins de 5 ans changent de classe d’âge entre les deux enquêtes…). Enfin, il néglige le fait que les établissements accueillent aussi des individus âgés de plus 15 ans. En outre, les chiffres produits ici additionnent les groupes des sourds et des aveugles, dont la prise en charge éducative est très inégale.
9 Les cas de prise en charge assistantielle spécifique existent sans doute, mais on a trouvé trace d’un seul exemple, celui, à Bordeaux, d’un « commissaire spécial » chargé sous l’Empire de distribuer des secours aux sourds-muets adultes (600 francs mis à disposition par la ville), de leur donner des conseils et de réprimer les écarts de conduite (cas évoqué incidemment dans une « Lettre à M. Dufaure », novembre 1850, dans Valade-Gabel J.-J., Lettres, notes et rapports, Grasse, E. Imbert & Cie, 1894, p. 25-27.
10 Sur cet établissement, Weygand, Z. Les causes de la cécité et les soins oculaires en France au début du XIXe siècle (1800-1815), CTNERHI, 1989. À Chartres, un hospice semblable, fondé lui aussi au 13e siècle, ne comptait que 10 pensionnaires au milieu du XIXe siècle.
11 Pour les chiffres de 1835 : Dufau P.-A., Des aveugles, considérations sur leur état physique, moral et intellectuel, Paris, Jules Renouard et Cie, 1850 (1re éd. 1837), p. 264-265. Pour ceux de 1910 : de la Sizeranne M., « La question des Quinze-Vingts », Revue Philanthropique, nov. 1909, p. 22-48, plus spécialement p. 26.
12 Des ateliers furent parfois créés dans l’Hospice, en particulier sous l’Empire. Cf. Dufau P.-A., op. cit., et l’introduction des Annales de l’éducation des sourds-muets et des aveugles, 1844, p. 12.
13 Annales de l’éducation des sourds-muets et des aveugles, 1850, p. 31-61.
14 Ordonnance royale du 11 juillet 1833, Bulletin des Lois LXIII, no 3371.
15 Le Bienfaiteur des sourds-muets et des aveugles, 1856 (p. 4-12) signale la fondation d’« asiles » auprès des établissements d’Angers et d’Auray (1825), de Paris (1829), de Lille (1840), de Lyon, Bordeaux et Soissons (1850). 9 « asiles » ou « ouvroirs » existant en 1901 sont présentés dans Dupont M., « Les œuvres d’assistance pour les sourds-muets adultes », Revue Philanthropique, avril 1901, t. 8, p. 667-684. Voir Montès J.-F., Travail infirme, des aveugles travailleurs aux travailleurs handicapés, genèse de la (re) mise au travail des infirmes, mémoire de Diplôme d’Études Supérieures en Économie Sociale, 1989 ; « L’assistance par le travail : des valides aux invalides », in Les Cahiers de la Recherche sur le Travail Social, no 19, 1990, p. 29-40 ; « La rééducation professionnelle et l’emploi des aveugles entre 1880 et 1945 », Valentin Haüy, 1990-19, p. 18-21.
16 Cf. Dufau P.-A., op. cit., pour la Société de placement et de secours ; AN F 17 9677 pour la Société centrale d’éducation et d’assistance.
17 Sur la Société de morale chrétienne, voir Duprat C., Le temps des philanthropes. La philanthropie parisienne des Lumières à la monarchie de Juillet. Pensée et action., thèse d’histoire, Université Paris 1, 1991, 4e partie. Sur les logiques intellectuelles des différents courants de l’« économie sociale » de la première moitié du siècle, voir Ewald F., Histoire de l’État-providence, Livre de poche, Paris, 1996 (1re éd. 1986), et Procacci G., op. cit., troisième partie.
18 Montès J.-F., art. cit.
19 Archives INJA, Document imprimé de l’Institution Royale des Aveugles, ministère de l’Intérieur, 1er mai 1845.
20 Dufau P.-A., Notice historique sur l’Institution Nationale…, op. cit.
21 Sur l’établissement de Nancy, voir Thévenin E., « L’institution des jeunes aveugles de Nancy, de sa fondation (1852) à 1914 », contribution au Colloque de l’association Alter, Les associations et l’État dans la construction sociale du handicap au 20e siècle, 12-14 janvier 1995, INJEP, Marly-le-Roi.
22 Angers en 1777 par mademoiselle Blouin, Rouen en 1780 par l’abbé Huby, Bordeaux en 1785 par l’abbé Sicard.
23 Outre Watteville A. (de), Essai statistique…, op. cit., Watteville A. (de), Statistique…, op. cit., et le Bienfaiteur des sourds-muets et des aveugles, op. cit., les principales sources utilisées sont les Circulaires à toutes les institutions des sourds-muets de l’Europe et de l’Amérique de l’Institution Royale de Paris (publiés chez Plassan en 1827, 1829, 1832 et 1836) ; ainsi que Institutions de sourds-muets. Statistiques 1901. Currières, imprimerie de l’école de sourds-muets, 1901 ; et Piroux J., Mémoire à M. le Maire et à MM. les membres du conseil municipal de la Ville de Nancy, pour les engager à fonder un institut de Sourds-Muets, Nancy, Vincenot et Vidart, 1827.
24 Watteville A. (de), Statistique…, op. cit ; que Institutions de sourds-muets. Statistiques 1901, op. cit.
25 La Société générale d’assistance, de prévoyance et de patronage en faveur des sourds-muets est fondée en 1849 par le docteur Blanchet. Elle expérimente dans les années 1860 l’enseignement mixte dans une douzaine d’écoles parisiennes pour la plupart dirigées par des congrégations, mais ne parvient pas à intéresser le ministère de l’Instruction publique (Blanchet A., Moyens d’universaliser l’éducation des sourds-muets sans les séparer de la famille et des parlants, mémoire lu à l’Académie des sciences morales et politiques, Paris, Labé, 1856 ; ainsi que AN, F 17 9677 et F 17 12529-12530). La Société pour l’instruction et la protection des sourds-muets par l’enseignement simultané des sourds-muets et des entendants-parlants est fondée en 1866 par Augustin Grosselin, sténographe, rédacteur, directeur d’une maison d’édition, puis dirigée par son fils Émile, sténographe à la Chambre des députés. Elle a pour but la propagation de la « phonomimie », méthode associant des signes à des syllabes, inventée par Grosselin père, dont la diffusion bénéficie de l’appui de rares instituteurs et inspecteurs d’académie (cf. AN F 17 9677 et F 17 12529-12530, et Revue Philanthropique, tome 1, juin 1897, p. 266-268 ; tome 11, juin 1902, p. 248-250).
26 Watteville donne une proportion du même ordre à propos des enfants susceptibles d’éducation du fait de leur âge et de leur état de santé (3 000 sourds-muets et 1 600 aveugles).
27 Par exemple, le recensement effectué en Prusse en 1831 recense environ 840 enfants aveugles et 3 400 sourds-muets de moins de 15 ans, soit un rapport de 1 à 4 (cité dans Dufau P.-A., Des aveugles…, op. cit., p. 219).
28 Un exemple encore antérieur : chargé de la réception des recensements de sourds-muets opérés dans les communes à partir de 1794, à la demande des députés de la Convention, le chef du bureau des secours du ministère de l’Intérieur remarquait, en 1795, que « les états fournis jusqu’à ce jour par la moitié, environ, des Départemens, des enfans sourds-muets et indigents existant dans leurs arrondissements respectifs, démontrent que, si les facultés du Gouvernement égalaient ses bienfaisantes intentions […], il faudrait en créer, non pas trois, mais au moins six et davantage encore » (extrait d’un dossier consacré à un projet d’Institution nationale pour la ville de Toulouse, AN, F 15 2601).
29 Notamment dans la Seconde Circulaire de l’Institution de Paris (1832) ou dans Dufau P.-A., Des aveugles…, op. cit., p. 218-220.
30 Thévenot L., « Statistique et politique. La normalité du collectif », Politix no 25, 1994, p. 5-20 (ici p. 8).
31 Hubert-Valleroux M.-E., Des sourds-muets et des aveugles, mémoire sur l’état actuel des institutions à leur usage et sur les réformes à y apporter, Paris, V. Masson, 1855 (1re éd., 1852), p. 4, ou Dufau P.-A., Des aveugles…, op. cit., p. 219.
32 Propos de l’abbé Périer, directeur de l’Institution de Paris.
33 L’évangélisation des sourds supposés incapables d’accéder à la révélation divine, a motivé l’engagement massif du personnel ecclésiastique, tout particulièrement congréganiste, dans l’activité pédagogique. Point très important aux États-Unis, d’après Baynton D.C., Forbidden Signs : American Culture and the Campaign against Sign Language, 1996, Chicago UP.
34 Ce type de caractérisation est très répandu chez les aveugles instruits ou leurs instituteurs. L’une des figures intellectuelles parmi les aveugles du début du XXe siècle, Pierre Villey (docteur ès lettres), écrivait ainsi, en 1914, que « le sens de l’ouïe est un sens plus intellectuel […] que la vue », que « l’ouïe sert de véritable lien entre les esprits », et que, par conséquent, si « dans le travail manuel, le sourd-voyant est supérieur à l’aveugle », « au point de vue intellectuel, […], la position de l’aveugle qui entend est préférable à celle du sourd » (cf. Villey P., Le monde des aveugles, op. cit.).
35 Cf. notamment de Saint-Loup A., « Les sourds-muets au Moyen-âge : mille ans de signes oubliés », art. cit., p. 11-20.
36 Desloges P., op. cit.
37 Sur la naissance de l’approche anatomo-clinique, Foucault M., Naissance de la clinique, Paris, PUF, 1963.
38 Il existe trois fois moins d’ouvrages relatifs à la « thérapeutique des affections de l’oreille » que d’ouvrages relatifs à la « thérapeutique oculaire » dans le Catalogue des sciences médicales, Paris, Librairie Firmin Didot Frères, 1893, t. 2, p. 410-423 et 423-426. L’ouvrage de Itard J.M.G., Traité des maladies de l’oreille et de l’audition (Paris, Méquignon-Marvis, 1821) constitue la référence obligée de la spécialité jusqu’à la fin du siècle.
39 Guillié donnait en outre des consultations et des soins gratuits aux aveugles de Paris, sur le modèle du dispensaire. Guillié S.M., Rapport fait à S.E. le ministre, secrétaire d’État au département de l’Intérieur, Paris, J.-L. Chanson imp., 1818.
40 Cf. Guillié S.M., Essai sur l’instruction des aveugles, ou exposé analytique des préocédés employés pour les instruire, Paris, imp. par les aveugles, 1817, p. 49.
41 Dufau P.-A., Notice historique sur l’Institution Nationale des Jeunes Aveugles de Paris, imp. de l’Institution, 1852, p. 15.
42 Sur Itard, voir Lane H., op. cit., p. 135-159 ; « Histoire chronologique de la répression de la langue des signes en France et aux États-Unis », Langages no 56, décembre 1979, p. 92-124 ; Cuxac C., Le langage des sourds, op. cit., chapitre 6.
43 La « maladie de Ménière » est une destruction massive et brutale du labyrinthe de l’oreille qui provoque la surdité totale, des bourdonnements et des vertiges.
44 Itard J.M.G., De l’éducation d’un homme sauvage ou des premiers développements physiques et moraux du jeune sauvage de l’Aveyron, Paris, Gouvon, 1821.
45 Ce type d’expériences n’a rien d’original au XIXe siècle, les médecins faisant preuve d’une imagination féroce. Ménière, hostile aux expériences « chirurgicales », dénonçait encore en 1851 la trépanation du crâne réalisée par un médecin sur une jeune fille afin de la « faire entendre par la cicatrice » (Lettre du 5 septembre 1851, publiée dans Coup d’œil, no 40, 1984, p. 48, et reproduite dans le catalogue édité par D. Séguillon à l’occasion de l’exposition « Une histoire à corps et à cri » pour le bicentenaire de l’INJS, en 1994 [p. 27]). Ménière ajoutait : « Cet enfant n’est pas moins sourde qu’avant cette opération si grave, si audacieuse. » La position de Ménière est plus pragmatique que théorique, puisqu’il considérait par ailleurs que « comme la surdi-mutité est bien véritablement une infirmité, il est du devoir de la science d’intervenir et de chercher à réparer un mal plus ou moins fâcheux pour celui qui en est atteint » (Lane H., op. cit., p. 149).
46 Cité dans Esquiros A., « Les sourds-muets », in Paris au XIXe siècle, Paris, Imprimerie unis, 1847, vol. 2, p. 412.
47 Même Gérando, pourtant bien disposé à l’égard des recherches de Itard et de la méthode de l’articulation artificiel, faisait observer que les « demi-sourds » étaient bien moins nombreux dans l’Institution de Paris que ce que Itard, en s’appuyant sur les critères de sa taxinomie, prétendait.
48 Cité dans Institution Royale de Paris, Seconde Circulaire, op. cit., p. 30-31.
49 Cité dans Ménière P., De la guérison de la surdi-mutité et de l’éducation des sourds-muets, exposé de la discussion qui a eu lieu à l’Académie de médecine, Paris, Germer-Baillère, 1853, p. xiv.
50 L’expression est de Adolphe de Watteville, dans un rapport au ministre du 20 novembre 1847, rédigé au moment de la nomination de Blanchet comme chirurgien de l’Institution (cf. Archives INJS, Fonds Pinart, liasse Blanchet.
51 Cité dans Cuxac C., Le langage des sourds, op. cit., p. 120.
52 En 1856, Blanchet présente le langage articulé comme seul « propre […] à faciliter [les] relations [des sourds-muets] avec la société dans laquelle ils doivent entrer » (dans Blanchet A., Moyens d’universaliser l’éducation des sourds-muets dans les séparer de la famille et des parlants, op. cit., p. 16). D’autre part, il était l’auteur en 1851 d’un Rapport à M. le ministre de l’Intérieur sur l’enseignement et le développement de la parole dans les établissements des sourds-muets belges et allemands (Paris, Labé, 1851).
53 Plusieurs documents, dans les Archives de l’INJS, éclairent la rivalité entre Ménière et Blanchet. Ménière s’est opposé à la nomination de Blanchet comme chirurgien de l’Institution en 1847 : jugeant les expériences de ce dernier « dangereuses » pour « [ses] jeunes sourds-muets », Ménière avait demandé au ministre de l’Intérieur de le dégager de toute responsabilité au cas où ces expériences, faites d’après les ordres du ministre, « auraient quelques conséquences fâcheuses pour les enfants qui les auront subies » (lettre de Ménière à Duchâtel, ministre de l’Intérieur, du 12 août 1847, Archives INJS, Fonds Pinart, liasse Blanchet). Il reprochait également à Blanchet d’« exploiter indignement », pour sa clinique “privée”, son titre de chirurgien attaché à l’Institution des sourds-muets de Paris « en guise de grosse caisse », alors que lui-même, malgré sa haute qualification (il est professeur agrégé de médecine) était statutairement contraint de délivrer gratuitement les soins aux sourds étrangers à l’Institution (lettre de Ménière à Manceaux, secrétaire général, du 7 octobre 1854, ibid.). Enfin, il craignait (avec raison) que Blanchet ne convoite son poste, qu’il envisageait de céder à son propre fils, étudiant en médecine (lettre de Ménière à Billault, ministre de l’Intérieur, du 21 novembre 1854, ibid.).
54 La discussion se déroule les 19 avril et 7, 14 et 21 juin 1853. Les protagonistes en ont donné un commentaire évidemment favorable à leurs thèses respectives : Blanchet A., Rapport de l’Académie impériale à M. le ministre de l’Intérieur sur un mémoire relatif à l’enseignement de la parole aux sourds-muets, Paris, Maulde et Renou, 1853 ; Ménière P., De la guérison de la surdi-mutité…, op. cit. Cf. également Malgaigne Dr., Discussion sur la surdi-mutité à l’Académie impériale de médecine, Paris, N. Remquet et Cie, 1853, et Poizat M., op. cit., p. 144-146.
55 Cité dans Ménière P., De la guérison de la surdi-mutité…, op. cit., p. 61 ; repris dans Poizat M., op. cit., p. 145.
56 Cf. les travaux de Hubert-Valleroux, auteur d’une évaluation complète et détaillée de tous les aspects de l’éducation des sourds-muets en 1855 (Des sourds-muets et des aveugles…, op. cit.). À partir des années 1860, plusieurs méthodes de « démutisation » des sourds-muets sont élaborées et rendues publiques par des individus non médecins.
57 L’antériorité de l’éducation des sourds-muets sur celle des aveugles sera d’ailleurs reconnue bien volontiers par Haüy, lequel trouvait intérêt à la comparaison de son œuvre encore méconnue avec celle de l’Épée, d’une grande notoriété.
58 Par exemple dans Dada N., op. cit.
59 Castel R., art. cit., p. 488.
60 Bloch C. et Tuetey A., op. cit. p. 312, cité dans Castel R., art. cit., p. 484.
61 Ibid., p. 483.
62 Au terme des décrets des 19 et 24 mars et du 28 juin 1793, ces agences doivent se substituer à toutes les institutions charitables, “publiques” (hôpitaux, hospices) ou non.
63 Le terme, quelque peu anachronique mais très parlant, est emprunté à P. Rosanvallon (L’État en France…, op. cit., p. 148).
64 Cf. l’article « assistance publique » dans Block M. (dir.), Dictionnaire de l’administration française, Paris, Berger-Levrault et Cie, 2e éd., 1878, p. 148-149.
65 Cette opposition est empruntée à Béquet L., Régime et législation de l’assistance publique et privée en France, Paris, Paul Dupont, 1885, p. 25.
66 Sur l’opposition entre la morale et le droit, voir le premier chapitre du livre I de F. Ewald (op. cit.).
67 Béquet L., op. cit., p. 24.
68 Castel R., Les métamorphoses…, op. cit., p. 60-64.
69 Créés à partir de 1767, les dépôts de mendicité ont pour objectif la mise au travail forcé des indigents valides. Fermés par Turgot en 1776, ils sont rétablis par le décret impérial du 5 juillet 1808 sur l’« extirpation » de la mendicité, à raison d’un par département. Il en existe encore 22 en 1862.
70 Plus exactement 37 % (Castel R., Les métamorphoses…, op. cit., p. 233).
71 Chiffres tirés de de Watteville A., Rapport à M. le Ministre de l’Intérieur sur la situation du paupérisme en France et sur l’administration des secours à domicile, Paris, Imp. impériale, 1855, repris dans Rosanvallon P., L’État en France…, op. cit., p. 146.
72 Duprat C., « Pour l’amour de l’humanité »…, op. cit., p. 112.
73 Institution des jeunes aveugles de Paris, Hospice des quinze-vingts, Institutions des sourds-muets de Paris et Chambéry, Institution des sourdes-muettes de Bordeaux. À partir de 1859, l’établissement de Bordeaux est réservé aux filles, et celui de Paris aux garçons. Seule l’Institution de Chambéry est fondée (bien) après la période révolutionnaire, en 1861.
74 Gérando G. (de), De la bienfaisance publique, Paris, J. Renouard, t. 4, 1839, p. 487.
75 Sur la loi de 1838, Castel R., L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme, Paris, Minuit, 1976.
76 Castel R., Les métamorphoses…, op. cit., p. 233 ; de Laubier P., « L’intervention de l’État et la politique sociale depuis la révolution industrielle », Revue française des affaires sociales, no 3, juillet-septembre 1971, p. 97-120. Pour des historiques du XIXe siècle, de Watteville L., Législation charitable, Lib. de A. Héos, Paris, 1843 ; Béquet L., op. cit., notamment p. 347-392 ; et Société internationale pour l’étude des questions d’assistance, Législation française en vigueur sur l’assistance et la bienfaisance, Melun, Imprimerie administrative, 1920.
77 Voir par exemple la notice consacrée à l’assistance publique dans Block M. (dir.), op. cit., p. 148-149. R. Castel a montré que les « fous », bien que « quantitativement dérisoires », posaient à la société contractuelle le problème de la contradiction entre le respect théorique des libertés privées et familiales et la nécessité pratique du maintien légal de l’ordre public, contradiction que l’intervention aliéniste fondée sur l’internement promettait précisément de résoudre à moindre coût (Castel R., L’ordre psychiatrique…, op. cit., chap. 1).
78 Dada N., op. cit. p. 49-52. En complément : de Watteville L., op. cit. ; Société internationale pour l’étude des questions d’assistance, Législation française en vigueur sur l’assistance et la bienfaisance, op. cit.
79 Bulletin des Lois, partie supplémentaire, DLXIV, no 8346 ; Bulletin des Lois CMLXXII, no 9608 ; Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur (désormais BOMI), 1865, p. 443.
80 N. Dada cite l’acte de 1833, ainsi que celui en faveur de l’Asile lyonnais des sourds-muets adultes (décret impérial du 17 janvier 1859). Il en existe d’autres, en faveur de l’Institution des sourds-muets et des jeunes aveugles d’Arras (décret du 22 juin 1857), l’Institution pour les sourds-muets protestants de France de Saint-Hyppolyte (décret du 3 mai 1865), l’Institut des jeunes aveugles de Nancy (décret du 14 juillet 1865), l’Institution des jeunes aveugles et l’Institution des sourds-muets de Marseille (décret du 6 juillet 1870), et de la Société centrale d’éducation et d’assistance pour les sourds-muets (décret du 16 mars 1870). Cf. Conseil supérieur de l’assistance publique, Assistance aux sourds-muets et aveugles par l’éducation professionnelle, fascicule no 44, 1891.
81 La discussion parlementaire du projet de budget naît en France avec le régime parlementaire. L’article 48 de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 stipule en effet qu’« aucun impôt ne peut être établi ni perçu, s’il n’a été consenti par les deux Chambres et sanctionné par le Roi » ; les budgets des ministères sont donc discutés dès 1816.
82 Voir par exemple la discussion du 13 juillet 1824 (AP, 2e série, t. XLII, p. 245).
83 Almanachs royaux, nationaux et impériaux de 1814 à 1870.
84 L’analyse se base sur le dépouillement exhaustif de deux séries complémentaires de documents officiels : la première série est formée par les cinq volumes qui composent les Recueils des circulaires et instructions du ministère de 1790 à 1837 ; la seconde, par les Bulletins officiels du ministère reliés en volumes annuels à partir de 1838. Cf. Recueil des circulaires et instructions émanées du ministère de l’Intérieur de 1790 à 1830 inclusivement (3 tomes) ; Recueil des circulaires et instructions émanées du ministère de l’Intérieur de 1831 à 1837 inclusivement, et des circulaires et instructions émanées du ministère du Commerce et des Travaux publics de 1831 à 1837 (2 tomes) ; Bulletin officiel du ministère de l’Intérieur (noté BOMI), disponibles dans AN, ADXIX I 144.
85 Le substantif apparaît en 1787 dans le langage administratif selon le Dictionnaire historique de la langue française (op. cit., t. 1, p. 424).
86 Instruction du 8 février 1822 précitée ; Circulaire du 2 juin 1834.
87 Circulaires du 6 août 1840 et 14 août 1841, BOMI, 1841, p. 334.
88 Circulaires des 10 juillet 1844, et 21 juillet 1845. Circulaires des 19 octobre 1848, 8 octobre 1859, 16 juillet 1866, 28 août 1869, mais aussi, sous la IIIe République, les circulaires des 19 novembre 1883, 3 août 1887 ou 20 avril 1896.
89 Circulaire du 17 août 1866, BOMI 1866, p. 361 et 368.
90 Les établissements généraux de bienfaisance placés sous le patronage de l’impératrice. Monographies présentées à sa majesté par La Valette, ministre, Paris, Imp. impériale, 1866.
91 La quasi-totalité des départements (85 sur 89) consacrent en 1866 environ 320 000 francs au financement de bourses pour l’éducation d’enfants sourds-muets, mais la majorité de ces bourses (celles votées par quatre départements sur cinq, soit 68 départements) profitent uniquement aux écoles « privées » (circulaire du 17 août 1866). La situation est évaluée dans les mêmes termes pour les aveugles : la circulaire précitée du 4 août 1866 déplore en effet que « 22 départements seulement ont fondé des bourses à l’Institution Impériale de Paris, mais un grand nombre de conseils votent, chaque année, des allocations à l’aide desquelles de jeunes aveugles des deux sexes sont placés dans des écoles locales pour recevoir dans une certaine mesure, l’instruction intellectuelle et professionnelle ».
92 Ces deux points, mis en valeur dans les deux circulaires d’août 1866, sont rappelés en 1867, 1868, 1872.
93 Watteville A. (de), Essai statistique…, op. cit., p. 41.
94 À Bruges, l’institut dirigé par l’abbé Carton, éditeur du journal mensuel Le sourd-muet et l’aveugle (1837-1838) ou à Zurich (Institution Royale de Paris, Troisième Circulaire, op. cit., p. 68-69).
95 La Société fondée à Nancy se préoccupe aussi bien du sort des aveugles que de celui des sourds-muets et des aliénés ; la Société générale de Blanchet entreprend également de favoriser l’insertion des enfants aveugles dans les écoles parisiennes (cf. les bourses qu’elle obtient de la Ville de Paris pour deux enfants aveugles, AN F17 9677). La Société de placement et de secours, destinée aux aveugles, projette en 1847 de créer une salle d’asile mixte pour jeunes enfants sourds-muets et aveugles (Annales de l’éducation des sourds-muets et des aveugles, tome 3, 1847, p. 200-214).
96 Watteville A. (de), Essai statistique…, op. cit., p. 4 et suiv.
97 Avant elle sont parus des rapports relatifs au « service des enfants trouvés et abandonnés » (1849), aux « Monts-de-piété » (1850), à « l’administration des hôpitaux et des hospices » (1851), à « l’administration des bureaux de bienfaisance » et à « la situation du paupérisme » (1854), à « la situation du paupérisme et l’administration des secours à domicile » (1855), enfin à la question des « tours », des « abandons », des « infanticides » et des « morts-nés » (1856).
98 Watteville A. (de), Statistique…, op. cit., p. 5.
99 Annales de l’éducation des sourds-muets et des aveugles. « Introduction », t. I, 1844, p. 15. Morel dresse une liste de 12 thèmes pour sa revue. Ibid., p. 18-21.
100 Morel obtient d’emblée le concours de ses collègues professeurs dans les Institutions royales de Paris et Bordeaux, et de quelques instituteurs d’établissements privés, comme Gruel, de Caen, Bouchet, d’Orléans, ou Piroux, lequel met un terme à sa propre revue.
101 Prospectus. INJS.
102 Ibid., p. 2.
103 Durieu, « chef de section au ministère de l’Intérieur », fait partie des collaborateurs de la revue en tant que vice-président de la Société de placement et de secours pour les aveugles, dont Morel est le secrétaire-général, et Dufau le directeur.
104 Haüy V., op. cit., p. 96-105.
105 Guadet J., L’institut des jeunes aveugles de Paris. Son histoire et ses procédés d’enseignement, Paris, E. Thunot & Cie, 1849, spécialement p. 5-10, et « Coup d’œil général sur les institution d’aveugles et les fonctions d’instituteurs », in L’instituteur des aveugles, no 1, octobre 1855, p. 5-13 ; Dufau P.-A., Des aveugles, op. cit., p. 231-232.
106 « Coup d’œil… », p. 6.
107 Quéré L., « Présentation », dans Fradin B., Quéré L., Widmer J. (dir.), L’enquête sur les catégories. De Durkheim à Sacks, Paris, Éditions de l’EHESS, 1994, p. 7-40.
108 Rosch E., « Prototype classification and logical classification : the two systems », dans Schlolnick E.K. (éd.), New trends in cognitive representation : challenges to Piaget’s theory, Hillsdale NJ, Lawrence Erlbaum Associates, 1983, p. 73-86.
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L’administration des faveurs
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