L’Université de technologie de Compiègne
Brutalisme et architecture proliférante
p. 107-112
Texte intégral
1Créée en 1972, l’Université de technologie de Compiègne se veut, dès le départ, novatrice dans son système d’enseignement et de recherche et dans son fonctionnement. Ses promoteurs ont souhaité que son image architecturale en soit l’expression.
2Choisi à un moment où, sous l’impulsion de la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale –DATAR– les pouvoirs publics entendent desserrer le tissu des universités parisiennes, le site de Compiègne présente un certain nombre d’avantages :
proximité de Paris et de Roissy ;
raccordement facile à un réseau routier, autoroutier, ferroviaire et fluvial dense ;
mais aussi important potentiel de développement économique de la région picarde où sont déjà installés plusieurs centres de recherches industrielles et plusieurs grandes unités de production.
3Sur les emprises foncières que la municipalité de Compiègne libère, aménageurs, urbanistes et architectes imaginent une implantation du nouveau centre universitaire rejetant toute hypothèse « d’exurbanisation » de ses activités et cherchent, au contraire, un principe d’université intégrée à la ville. S’appuyant sur les axes de développement du tissu urbain compiégnois –guidé par des limites imposées par l’Oise et par la forêt– ils proposent d’implanter la nouvelle Université selon un schéma multipolaire original.

ill. 1 - L’UTC dans la ville, Techniques et Architecture, 295, novembre 1973.
4On distingue, sur ce schéma [ill. 1] :
un pôle central, lié à la ville ancienne, réparti entre la place du marché et la place Jean Mermoz et incluant des lieux d’enseignement, de bibliothèque et d’administration ;
un pôle périphérique, lié à la ZAC de Royallieu et aux zones d’activités des bords de l’Oise et incluant notamment des locaux technologiques et de recherche ;
reliant ces deux pôles, plusieurs bâtiments intégrés dans la ville, regroupant des logements, des restaurants et des activités culturelles et sportives pour les professeurs et pour les étudiants.
5Pour des raisons financières –le pays est alors sous le coup des chocs pétroliers– et organisationnelles, ce projet urbain très ambitieux n’est, malheureusement, que très partiellement réalisé. La municipalité en est alors rassurée, qui craint de voir se développer une architecture contemporaine en rupture avec celle de son centre ancien, mais aussi de voir s’installer une population jeune, jugée trop remuante –le spectre de 1968 n’est alors pas encore si loin– au sein d’une ville appréciée pour son calme. Du projet initial, il ne reste aujourd’hui que les deux implantations principales : le centre Benjamin Franklin –réalisé entre 1972 et 1975– et le centre Royallieu1 –réalisé entre 1972 et 1978– incompréhensibles du point de vue de leur localisation urbaine si l’on méconnaît l’histoire de leur conception, mais particulièrement intéressants d’un point de vue architectural dans la mesure où ils restent des témoignages forts des architectures qui se sont développées au cours des années 1970.
LE CENTRE BENJAMIN FRANKLIN [ill. 2]
6Construit, place Jean Mermoz, sur des terrains légèrement en pente vers l’Oise, le centre Benjamin Franklin constitue, par son emplacement et par sa forme architecturale, la porte d’entrée dans le centre de la ville de Compiègne.

ill. 2 - UTC, centre Benjamin Franklin, juillet 2010, photo Frédéric Seitz.
7Le parti architectural choisi par l’architecte, Adrien Fainsilber2, répond au souci d’intégrer l’université dans son environnement existant ou à venir, celle-ci devant jouer un rôle structurant dans le développement de la ville.
8Deux ensembles de bâtiments sont disposés sur un terrain d’environ 13 000 mètres carrés, de part et d’autre d’une rue – qui mène au centre-ville. Ils sont reliés entre eux, au deuxième niveau, par une passerelle conçue comme l’élément visible, depuis l’espace public, d’une véritable galerie intérieure ouverte –elle a été fermée par des façades vitrées dans les années 1990 pour protéger ses usagers des intempéries– qui devait être prolongée, au nord-ouest, jusqu’aux bords de l’Oise pour rejoindre une promenade aménagée sur ses rives et, au sud-est, vers la ville. Malheureusement, ce prolongement n’a jamais été réalisé.
9L’ensemble bâti d’Adrien Fainsilber est divisé en plusieurs éléments :
un bâtiment principal, haut de six niveaux, accueillant des locaux d’enseignement –amphithéâtres, salles de cours et de travaux pratiques– répartis de chaque côté d’une large circulation centrale ;
trois bâtiments plus petits, reliés les uns aux autres par un système d’escaliers, accueillant des salles banalisées et des bureaux ;
séparé des précédents par la rue Roger Couttolenc, un troisième bâtiment était réservé à la présidence de l’Université, aux bureaux de l’administration3 et à la bibliothèque universitaire.

ill. 3 - René Dottelonde, architecte, centre de recherche Royallieu, Université de Compiègne, 1972-1978, © Archiguide.
10Tous ces bâtiments sont montés sur pilotis pour laisser place à un parking. Extérieurement, un forum en forme de gradins, offre des espaces de rencontres pour les étudiants.
11La structure des bâtiments est en béton armé, brut de décoffrage. Elle est ordonnée selon une trame carrée de 7,20 mètres de côté, l’unité de base de cette trame étant constituée de quatre poteaux à consoles, reliés par des poutres moisées. Cette trame est subdivisée en sous-multiples de 1,20 mètre, dimension qui constitue l’unité de mesure de tous les équipements internes. Des panneaux de remplissage, en béton de gravillons lavés, sont insérés dans cette structure et constituent, en alternance avec des parties vitrées, les façades des bâtiments. Le choix d’une telle structure s’explique par le souci de l’architecte d’industrialiser les éléments constructifs de l’ensemble –l’industrialisation étant source d’économie financière et de gain de temps– et d’obtenir la plus grande flexibilité interne possible des locaux pour faciliter d’éventuelles modifications des cloisonnements et des réseaux en fonction de l’évolution des besoins des utilisateurs.
12Caractérisé par des formes géométriques quadrangulaires et répétitives, le centre Benjamin Franklin est l’un des rares témoignages, en Picardie, du mouvement architectural que l’on a appelé « brutaliste » et qui a été très en vogue, dans le monde entier, dans les années 1960-1970. Son vieillissement, l’évolution de ses usages et les transformations de son environnement ont conduit son maître d’ouvrage à y réaliser des travaux de rénovation. Une partie de ceux-ci a malheureusement nui à sa qualité architecturale. On regrettera notamment la modification de ses façades et la destruction de son forum extérieur qui prolongeait l’ensemble architectural au niveau de la rue.

ill. 4 - René Dottelonde, Centre de Recherche de Royallieu, 1973, © Photographe UTC, Jean Pierre Gilson.
LE CENTRE DE RECHERCHE DE ROYALLIEU
13Situé à environ cinq kilomètres du centre-ville, le quartier de Royallieu est choisi pour l’implantation du pôle de recherche de l’Université de technologie de Compiègne car il est alors promis à un fort développement. « Quand l’opération Royallieu nous a été confiée », explique l’architecte, René Dottelonde4, « la ville environnante n’existait pas encore mais nous étions assurés qu’elle allait se développer. Nous avons cherché une organisation spatiale permettant aux urbanistes et aux architectes qui viendraient travailler ultérieurement autour des bâtiments, de trouver des appels, des axes de circulation, une première trame, une première structure. Comme nous ne savions pas ce qu’allaient être les franges de l’ensemble, nous avons décidé de la création d’un espace vert conçu comme un espace de liaison. La couture devait se faire par le végétal, par des franchissements qui devaient permettre d’aller d’un quartier à un autre »5.
14Le centre de Royallieu [ill. 3 et 4] accueille, sur une surface d’environ 25 000 mètres carrés, des laboratoires, des ateliers, des salles de cours, des magasins devant recevoir des matériels lourds, des bureaux et les équipements nécessaires au fonctionnement de l’ensemble. Les bâtiments sont structurés autour des trois départements constitutifs de l’Université à ses débuts : les départements de Génie chimique, de Génie biologique et de Génie mécanique6. On accède aux locaux par une circulation interne –privée et non accessible au public– constituée d’une passerelle, de couleur jaune, située au premier niveau.
15« La forme du centre de Royallieu », explique encore l’architecte, « n’est pas un effet de mode. Elle est la conséquence d’une idée qui s’est développée après 1968 : celle de la pluridisciplinarité. On avait constaté que lorsque l’on dessinait un plan classique prévoyant des bâtiments séparés : un pour le génie chimique, un autre pour le génie mécanique, un troisième pour le génie biologique, etc., une certaine forme d’identification s’établissait entre le bâtiment, la discipline qui y était enseignée et la recherche qui y était menée. Cette identification aboutissait à la formation de territoires autonomes et fermés. C’est pourquoi nous avons réfléchi à la création, non plus de bâtiments, mais d’espaces qui s’interpénètrent, qui rendent insensible le passage d’un département à l’autre et qui, si cela est nécessaire, permettent des transferts de locaux entre les disciplines »7. On voit bien là les raisons du choix, par l’architecte, du système constructif tramé de l’ensemble, le module de cette trame étant, ici encore, de 7,20 mètres. Comme dans le cas du Centre Benjamin Franklin, ce système est privilégié pour sa souplesse et son caractère évolutif en fonction des besoins futurs des utilisateurs. Les bâtiments peuvent être facilement modifiés intérieurement comme ils peuvent être aisément agrandis extérieurement.
16Mais René Dottelonde ajoute de la complexité à la trame déjà utilisée par Adrien Fainsilber en utilisant sa diagonale. De sorte que son architecture prend, en plan, la forme d’un organisme cellulaire. Elle devient une géométrie des assemblages, dite « proliférante ». Cette typologie –qui répond parfaitement aux principes de l’industrialisation– a été largement utilisée par un certain nombre d’architectes des années 1970 pour tenter d’échapper aux modèles traditionnels et figés des blocs, des tours et des barres qui avaient prévalu jusque-là8. Le Centre de Royallieu en est un bel exemple en Picardie.
17On regrettera que la volonté des promoteurs de l’Université de l’ouvrir sur la ville, n’ait pas résisté aux évolutions sociales. Au début des années 2000, la multiplication des dégradations faites aux bâtiments et aux équipements universitaires comme l’augmentation du nombre des agressions dont sont victimes les personnels et les étudiants, conduisent la présidence de l’Université à clôturer l’ensemble de Royallieu. De sorte que les voies internes qui étaient empruntées par les riverains ne sont plus aujourd’hui accessibles au public. On regrettera aussi des travaux de maintenance et d’entretien qui ont largement dénaturé l’architecture des bâtiments. Tels des remplacements de menuiseries réalisés sans souci esthétique ou des reprises des bétons faites au début des années 2000, qui ont abouti à la disparition de l’aspect brut du matériau ainsi que de plusieurs fresques –réalisées par Marek Halter– qui ornaient les façades.
Notes de bas de page
1 Le centre Royallieu, tel qu’il existe aujourd’hui, ne représente que la moitié du projet initial. Celui-ci aurait dû en effet être complété par une seconde tranche de 30 000 mètres carrés qui a été abandonnée au profit du Centre de Transfert et du Centre Pierre Guillaumat.
2 Adrien Fainsilber, né en 1932, est architecte DPLG en 1960 puis poursuit sa formation à l’Académie royale d’architecture de Copenhague. Il travaille ensuite avec l’architecte paysagiste Hideo Sasaki à Cambridge, Massachusetts. De retour en France, il est chargé d’études à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme de la Région parisienne –IAURP– de 1965 à 1969 où il participe à la mise en œuvre du schéma directeur de la région. En 1970, il fonde son agence. Il y conçoit de nombreux projets dans les domaines de l’habitat et des équipements publics –dont la Cité des Sciences et de l’Industrie, à Paris, dans les années 1980. Enseignant à l’Institut d’urbanisme de Paris et à l’École d’architecture Paris-Tolbiac, membre de l’Académie d’Architecture et de l’Académie internationale d’Architecture, il reçoit la médaille d’argent de l’Académie d’architecture en 1982, le Grand prix d’architecture en 1986 et le prix Auguste Perret de l’Union internationale des architectes en 1990. Il est chevalier de la Légion d’honneur et officier des Arts et des Lettres.
3 La présidence de l’université et une partie de l’administration ont été réinstallées dans le nouveau centre Pierre Guillaumat, en 2007.
4 René Dottelonde, né en 1931 au Havre, est architecte DPLG en 1963. Installé à Paris, il débute sa carrière de constructeur à un moment où l’État, qui cherche à renouveler l’architecture universitaire en introduisant dans ses programmes de construction des principes de flexibilité et de participation, fait appel à une nouvelle génération d’architectes. Il se voit confier la réalisation de deux ensembles universitaires de grande échelle, l’un pour la Faculté des Lettres et Sciences humaines de l’Université de Lyon II à Bron Parilly, l’autre pour le Centre de recherches de Royallieu à Compiègne. Auteur d’une œuvre importante dans les domaines du logement et des équipements publics, il reçoit, en 2006, le prix « Architecture et lieux de travail » qu’il partage avec sa fille et associée, Phine Weeke-Dottelonde, pour la réalisation du siège de la Chambre de Commerce et d’Industrie du Havre.
5 René Dottelonde, « Le centre de recherche Royallieu de l’Université de technologie de Compiègne », dans Frédéric Seitz, Territoires en mouvement, Le cas de la Picardie, Éditions Licorne, 2008, p. 197-198.
6 L’Université de technologie de Compiègne compte aujourd’hui six départements d’ingénierie, en Génie biologique, Génie des procédés, Génie informatique, Génie mécanique, Génie des systèmes mécaniques et Génie des systèmes urbains, auxquels s’ajoute un département de Technologie et sciences de l’homme.
7 René Dottelonde, « Le centre de recherche Royallieu de l’Université de technologie de Compiègne », op. cit. p. 200-201.
8 On peut voir, par exemple, à Compiègne, l’ensemble de logements réalisé dans le cadre du programme d’architecture nouvelle 1973 par Archigroup. Cf. Frédéric Seitz, Promenades d’architecture contemporaine en Picardie, Amiens, Éditions Encrage, 2012.
Auteur
Architecte DPLG, Professeur à l’Université de technologie de Compiègne
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