De la « Halle aux vins » à L’Université Pierre et Marie Curie

Brève et provisoire histoire de Jussieu

Christian Hottin

p. 61-92


Texte intégral

Une erreur (...) que seule une destruction totale pourra un jour effacer.1

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1Tout au long du XIXe siècle, l’histoire matérielle de l’Université à Paris est marquée par une misère, un dénuement qui vont de pair avec la résurgence périodique de projets destinés à résoudre cette situation. Tout commence, dès l’Empire, avec les projets de Poyet pour un palais déroulant sa façade de « 400 toises » sur le quai compris entre les Invalides et le champ de Mars. À partir de la Restauration et de l’installation des facultés à la Sorbonne, c’est cet édifice qui va servir de matrice à la plupart des projets de construction pour l’Université d’un établissement digne d’elle. Trois séries de projets seront mises au point. D’abord par Vaudoyer père, puis par Alphonse de Gisors et enfin par Vaudoyer fils, sans qu’un seul ne voie un début d’exécution.

2Il est intéressant de noter que tous ces projets visent, pour l’essentiel, à donner à la Faculté des Sciences des locaux adaptés à ses missions, lesquelles s’insèrent particulièrement mal dans les corps de logis élevés au XVIIe par Lemercier lorsque celui-ci rebâtit le collège de théologie qu’était alors la Sorbonne. Il ne s’agit pas alors seulement de représentation et de dignité de la fonction académique : le développement des sciences expérimentales, tant par leur perfectionnement que par leurs multiplications rendent nécessaires tout à la fois la création de nouveaux espaces et l’élaboration d’espaces techniquement mieux adaptés à leurs fonctions, qu’il s’agisse de l’élaboration, de la transmission ou de la conservation des disciplines scientifiques. Dès la Monarchie de Juillet, le constat est fait du retard pris par la Faculté des Sciences face aux Écoles spéciales (Polytechniques, Mines, Ponts et Chaussées), constat aggravé, sous le Second Empire par la découverte de l’avance considérable prise par les États allemands dans le domaine des constructions universitaires. On le sait, la réponse tardive et insuffisante à cette crise matérielle sera la reconstruction de la Sorbonne, entre 1885 et 1900, ce grand œuvre d’Henri-Paul Nénot ne constituant du reste que la partie la plus visible d’une transformation institutionnelle, professionnelle et méthodologique qui affecte la totalité du monde universitaire.

3La reconstruction de la Sorbonne nous conduit aux origines mêmes du projet d’une Faculté des Sciences « idéale » sur le site de la Halle aux vins2. Lieu idéal dans l’esprit des scientifiques, dans celui des architectes, et, surtout, dans celui des politiques : tout à la fois espace où seraient rationnellement disposées les différentes disciplines scientifiques, manifeste pour l’architecture universitaire et symbole de la puissance française3. Ainsi peut être considérée la tour réservée à l’administration de la faculté dans le projet d’Édouard Albert : un « beffroi » de l’Université française, pour reprendre l’expression utilisée quelques années plus tard par René Coulon.

4Reste que ce beffroi domine, aujourd’hui encore, non pas une œuvre parfaite, achevée de longue date et patiemment entretenue depuis, mais un chantier immense, difficilement lisible pour le passant, et parfois péniblement praticable pour l’usager. Rien n’est moins aisé que de comprendre le site de Jussieu. On s’y attachera ici, en tentant de saisir cette œuvre monumentale entre tous les possibles qui ont précédé sa réalisation (des années 1940 au commencement des années 1960) et tous ceux qui ont suivi sa réalisation inaboutie (entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1990), avant de conclure sur la reconstruction intégrale dont il fait l’objet depuis près de vingt ans.

5On tentera donc ici de retracer l’histoire de ce lieu singulier de l’espace parisien –« Jussieu » : les premiers projets d’implantation d’une Faculté des Sciences sur le site de la Halle aux vins, au cours de l’Occupation et sous la quatrième République, alors que l’Académie de Paris cherchait en vain une implantation en banlieue qui pourrait lui permettre de résoudre ses problèmes immobiliers, puis, la transformation radicale du projet grâce à la rencontre des idées d’André Malraux, de la volonté de Marc Zamansky et de la vision d’Édouard Albert, ensuite, l’histoire du chantier, de son interruption et les débats qui s’ensuivirent, enfin, les tentatives multiples de parachèvement du site, jusqu’au programme mis en place à la suite du désamiantage entrepris en 19964.

LA LENTE GENÈSE DE LA FACULTÉ DES SCIENCES DE LA HALLE AUX VINS

Une Faculté des Sciences modèle à la Halle aux vins : les idées du recteur Gidel et le projet de Roger Séassal

6En 1942, le doyen de la Faculté des Sciences adresse au recteur Gidel un très complet mémoire relatif à la possible translation de la Faculté des Sciences de l’Université de Paris sur le site de la Halle aux Vins5.

7Ce site de 14 ha, situé à l’extrémité de la rue des écoles, doté d’une forme générale quadrangulaire presque régulière, est occupé depuis le Premier Empire par un ensemble d’entrepôts accueillant, à l’intérieur d’une enceinte matérialisée par une grille de fer forgé, les négociants en vins de la place de Paris. Le terrain a déjà fait l’objet de projets pour des établissements universitaires (notamment pour le regroupement des institutions dédiées à la biologie), mais on a surtout envisagé d’y bâtir, dans les années 1920-1930, la nouvelle Faculté de Médecine. À l’appui de son initiative, le doyen rapporte les propos tenus le 9 novembre 1941 par le professeur de zoologie de la Faculté des Sciences Charles Pérez, qui évoque la possible mise en vente du site de la Halle aux vins par la Ville de Paris. D’un commun accord entre Jérôme Carcopino, Giraud, secrétaire général de l’Équipement national et Hautecoeur, secrétaire général des Beaux-arts, c’est Roger Séassal, premier grand prix de Rome et Architecte en chef des bâtiments civils et des Palais nationaux, qui est désigné pour préparer le projet. Le 31 janvier 1942 ce choix est ratifié par le Recteur Gidel.

8Le lancement de ce vaste chantier, évalué à 600 millions de francs, est justifié tant par les besoins en nouveaux locaux que par l’extrême dispersion des services de la Faculté des Sciences. Les auteurs du projet se livrent à une nouvelle –et radicale– critique de la Sorbonne et de ses insuffisances : « d’une part la Sorbonne avait été construite comme un paquebot dont la moindre place est utilisée. En second lieu, on n’avait pas songé à la création de disciplines nouvelles, dont le développement fut rapide et inattendu »6. Ainsi, le nombre de chaires est passé de 24 en 1900 à 43 en 1942, et la Faculté des Sciences compte 37 instituts, dont 20 seulement sont installés en Sorbonne. En conséquence, et c’est sans doute la première fois que cette donnée est prise en compte dans le programme de construction d’une Faculté des Sciences à Paris, est envisagé dès le départ l’accroissement du nombre de disciplines et le développement ultérieur de celles déjà existantes7 : 50 000 m2 sur les 140 000 du site sont réservés aux « sciences inconnues » sous la forme « d’espaces à réserver pour constructions futures » et à l’accroissement des bâtiments d’origine par adjonction d’un étage supplémentaire.

9Le doyen de la Faculté des Sciences pose en outre dans son rapport une question essentielle – à laquelle il s’empresse d’apporter une réponse, bientôt fidèlement traduite en plan par Roger Séassal :

Quelle doit être la forme architecturale de cette faculté nouvelle ? Une construction unique ne serait qu’une immense bâtisse où les diverses disciplines ne tarderaient pas à se gêner mutuellement. L’établissement de pavillons isolés correspondant à chaque discipline conduirait à un développement anarchique de cellules, rendrait impossible tout ensemble architectural harmonieux, multiplierait le personnel des services d’entretien et le matériel même des laboratoires.
Il semble que la solution pourrait être recherchée dans la construction de vastes bâtiments réservés aux grandes divisions des sciences expérimentales, séparés par de larges avenues plantées d’arbres, assez éloignés les uns des autres pour pouvoir se développer, assez peu élevés pour permettre une extension ultérieure en hauteur.
8

10C’est, en somme, la solution du campus qui est ici privilégiée, dans une économie de l’espace qui rappelle évidemment l’agencement paysager de la toute récente Cité internationale universitaire. On notera au passage que l’alternative entre grands bâtiments séparés les uns des autres et bâtiment unique pour l’ensemble des services (laissons de côté les modestes pavillons) sera au cœur des projets successifs d’aménagement du site entre 1955 et 1970...

11Le projet imaginé quelques mois plus tard par Roger Séassal traduit scrupuleusement les grandes lignes de cette vision9. Rares sont les plans de bâtiments universitaires qui rappellent à ce point les réponses des logistes au concours du Prix de Rome (à la notable exception de l’École navale de Brest de Hermant) : de fait, le site de la Halle aux vins, très vaste et formant presque un carré, se prête admirablement à la grande composition architecturale... La Faculté se donne à voir depuis la Seine, son entrée principale ouvrant sur le quai. Une large esplanade, bordée à l’Est et à l’Ouest par les pavillons de Mathématiques et de Radioactivité, est fermée au sud par le bâtiment principal, le seul dont l’élévation soit connue. Celle-ci n’est pas sans rappeler la façade de la Sorbonne donnant sur la rue des Écoles, avec ses cinq grandes portes en plein cintre au rez-de-chaussée et ses hautes croisées rectangulaires à l’étage noble, indiquant probablement l’emplacement d’un vaste salon de réception. Ce bâtiment rassemble en effet les services administratifs, le grand amphithéâtre et la bibliothèque. Tous les départements de la faculté sont groupés en six grands ensembles de constructions en forme de peigne. Trois occupent le centre de la parcelle, disposés en U autour des serres : Géologie, Botanique et Zoologie. Trois sont implantés le long des rues Cuvier, Jussieu et des Fossés Saint-Bernard : Physique, Institut de Chimie et Chimie. Le long de la rue Jussieu, de part et d’autre de l’institut de chimie, sont réservés des espaces libres pour des « bâtiments futurs ». Quarante ans après la Sorbonne, trente ans après le campus étriqué de la rue d’Ulm, est enfin imaginée en plein cœur de Paris, une Faculté des Sciences qui déploiera sans contraintes l’ensemble de ses services, tout en présentant pour ses espaces de prestige et de représentation une forme architecturale respectueuse de la tradition classique et revendiquant la filiation entre la Faculté et le Rectorat. Mais la période est propice aux grands projets privés d’exécution. Celui-ci demeure dans les cartons, et pour cause : informée du projet, la Faculté de Médecine rappelle l’antériorité de ses prétentions sur le site et se montre prête à abandonner l’immeuble de la rue des Saints-Pères –dont les travaux sont au point mort– pour faire édifier à l’emplacement de la Halle aux Vins une Faculté de Médecine, elle aussi, modèle. Le différent entre médecins et scientifiques est abordé lors de la séance du conseil de l’Université du 26 juin 1944. La Libération approchant, l’affaire en reste là10.

Les rêves de la Libération

12Une ordonnance du 24 octobre 1945 décide la création d’une cité universitaire scientifique sur les communes de Montrouge et Gentilly, au sud de la Cité universitaire11. La vocation académique de la banlieue sud de la capitale se voit ainsi confortée : bien des années auparavant, l’installation de l’École Normale Supérieure d’enseignement primaire de jeunes filles à Fontenay-aux-Roses avait été un premier jalon, tandis que la création de la Cité internationale universitaire, à la limite de Paris, mais bientôt desservie par une nouvelle gare de la ligne de Sceaux, était apparue comme une orientation plus définitive. L’intérêt des Facultés, des grandes écoles et des aménageurs de la Région parisienne pour les communes situées au sud de Paris et desservies par cette ligne de chemin de fer ne se démentira plus. La ligne de chemin de fer de Sceaux, future branche méridionale du RER B est en effet en relation directe avec le Quartier Latin et le siège des études grâce à la gare du Luxembourg.

13Là encore, il ne s’agit que de projet irréalisable, étant donné les circonstances politiques et économiques. Reste que le désir de refondation de la Nation conduit à de belles rêveries architecturales, très loin de la Sorbonne vieillissante et surpeuplée. Roger-Henri Expert imagine plusieurs projets d’implantation en banlieue sud : sur l’un d’entre eux, le Quartier Latin est représenté avec une grande précision, y compris la Faculté de la Halle aux Vins, conforme dans la disposition de ses instituts au plan dressé deux ans plus tôt par Séassal. Pour contenter les médecins, une toute nouvelle Faculté de Médecine voit le jour, au-delà de la Salepêtrière... Mais c’est par-delà des boulevards de ceinture que tout se joue désormais : une vaste cité scientifique se déploie entre la Cité internationale et le fort de Montrouge, tout entière organisée autour d’un parc à la française, tandis que plus au sud encore, c’est tout le parc de Sceaux qui est transformé pour devenir un immense parc résidentiel universitaire12...

14Et puis, rien : l’ordonnance est abrogée par une loi votée à l’Assemblée nationale en sa séance du 17 février 1948 et au Conseil de la République le 19 février de la même année13. Il faut revenir à des options plus réalistes et pragmatiques.

De Bagneux à Orsay, et ailleurs encore...

15La question de l’extension de la Faculté de Sciences reste néanmoins posée. Au début des années 1950, elle fait l’objet de nombreuses concertations administratives. Le problème de la dispersion des services et de l’obsolescence des équipements n’est plus la cause principale de cette effervescence : l’augmentation très rapide de la population étudiante est désormais –et pour longtemps– un des paramètres fondamentaux de l’équation à résoudre. Les effectifs étudiants de la Faculté des Sciences sont en effet passés de 3 037 en 1920 à 4 550 en 1940. Ils bondissent à 8 705 en 1950 pour atteindre 10 655 trois ans plus tard14.

16Pour quelle raison se tourner résolument vers la banlieue ? Le projet de la Halle aux vins paraît s’enliser et on n’imagine pas d’issue rapide15 –or les besoins sont immenses et la pression constante. En outre, nombreux sont ceux qui pensent, au sein de la Faculté, que les services et laboratoires ne sauraient se trouver pleinement à l’aise au cœur de Paris et que les générations futures de scientifiques pourraient reprocher à leurs devanciers leur absence de vision prospective. De plus, l’ensemble des laboratoires modernes exige la création d’équipements disposés sur de larges espaces.

17Le fort de Montrouge est un temps envisagé, car proche de la capitale, mais on recule devant la dépense que nécessite la démolition des casemates et casernements. En 1951, un vaste terrain de 90 hectares, situé non loin de la gare de Bagneux est alors pressenti. Situé dans l’axe des grandes réalisations universitaires, et notamment entre la cité du boulevard Jourdan et la toute récente résidence d’Antony, il paraît très bien disposé. Il se trouve en outre à proximité des parcelles réservées pour la construction de l’École Normale Supérieure d’Enseignement technique, sur la commune de Cachan. Hélas, une première instance de la Faculté est rejetée par la commission centrale des opérations immobilières, une contestation étant intervenue d’une part avec les HLM et d’autre part avec l’administration des Finances qui juge le projet prématuré, aucun crédit n’étant ouvert16.

18La Loi d’investissement et d’équipement affecte bientôt 12 milliards 200 millions de francs à la reconstruction de la Faculté17. Le projet est alors soumis à l’examen du comité d’aménagement de la Région parisienne lors de sa séance du 2 juillet 1951. Le Comité accorde la réservation des terrains au profit de la Faculté des Sciences, mais, simultanément, il donne gain de cause aux HLM de la Seine pour leur affecter la meilleure partie des espaces et à la ville de Bagneux, assez peu intéressée par la venue de la Faculté, en acceptant une importante modification du périmètre18. Plus grave, il apparaît que le terrain de Bagneux, d’une superficie, en définitive, de 67 ha. est en partie inconstructible : 36 ha. sont minés par d’anciennes carrières de gypse, dont 11 au moins sur trois niveaux19. Sur les 25 ha. restants, des constructions sont possibles, moyennant d’importants travaux de consolidation.

19Enfin, le domaine est amputé d’une parcelle, réservée pour la construction d’un groupe scolaire : le coût disproportionné de l’opération pousse le rectorat de l’Académie de Paris à renoncer : « dans ces conditions, le projet de Bagneux, véritable peau de chagrin, a perdu tout l’intérêt qu’il paraissait présenter primitivement. Il semble bien qu’il doive être abandonné, d’autant que l’édification d’une faculté à proximité des hideuses constructions des HLM serait à mon avis un non-sens »20.

20Plus loin encore de Paris, le domaine de Launay, à Orsay, sera l’aubaine tant espérée. Le doyen Pères expose en mai 1954 tous les avantages que présente cette option : un terrain vaste (130 à 160 ha.), de bonne qualité (terrain à bâtir, sur sables de Fontainebleau), bien desservi (avec trois gares à proximité : Le Guichet, Orsay et Bures-sur-Yvette) et peu coûteux (100 millions de francs pour le domaine, 20 pour le château et 30 d’indemnités d’éviction à prévoir, selon l’Inspection des domaines de Seine-et-Oise)21. À ces avantages qualifiés « d’extraordinaires », Pères ajoute un argument définitif, en comparaison des interminables négociations engagées avec les marchands de la Halle aux Vins : rien ne sera plus facile que d’acquérir ce domaine, puisqu’il est placé sous séquestre. Son propriétaire Guy Buneau-Varilla, condamné pour collaboration avec l’occupant (il était avec son père Maurice le propriétaire du Matin), est frappé d’indignité nationale et débiteur envers l’État de plus de 150 millions de francs. Les comités ministériels des 2 juin et 20 décembre 1954 confirment l’intérêt des scientifiques et des administrateurs pour cette opportunité : le projet d’Orsay est lancé.

21Toutefois, Orsay n’implique jamais l’abandon de la Halle aux Vins : tout indique que les projets sont étudiés non comme offrant une alternative, mais bien plutôt comme présentant une remarquable complémentarité : Péres souligne à plusieurs reprises que presque tous les enseignants et chercheurs de la Faculté sont favorables à une « politique mixte », « les deux projets devant être menés en étroite corrélation et avec un égal degré d’urgence ». La feuille de route du projet d’Orsay se trouve ainsi définie : « Pour les enseignements spécialisés, aux effectifs limités, mais dont le caractère de préparation à la recherche exige de vastes installations, pour les laboratoires de recherche de la Faculté, nécessitant de larges espaces loin des agglomérations turbulentes, dans un site propice à la méditation... »22.

Les premières et timides implantations sur le site de la Halle aux vins

22En 1955 la Faculté a enfin, encore que petitement, pris pied sur le site : une modeste construction de deux étages, destinée à accueillir le trop-plein des travaux pratiques du P.C.B. s’élève sur pilotis au-dessus des chais de la maison Dubonnet23. Deux autres bâtiments, de plus grandes dimensions et formant une équerre, sont projetés le long de la rue Cuvier et sur le quai Saint-Bernard24. Là encore, la construction sur pilotis doit permettre aux négociants de poursuivre l’exploitation de leurs concessions une fois les constructions achevées. Urbain Cassan25, Louis Madeline26 et René Coulon27 sont les trois architectes que le ministre Jean-Marie Berthoin a désignés pour œuvrer avec Séassal. Le 30 juin 1955 ils établissement un premier plan d’ensemble28, modifié le 30 avril 195629. Dans un cas comme dans l’autre, les architectes adoptent une configuration qui ne sera plus remise en cause : l’entrée principale de la faculté est située au sud, face à la place Jussieu. Pour le reste, et faute de connaître les élévations des bâtiments projetés, il semble qu’ils s’éloignent moins qu’on ne pourrait le penser du premier projet. Sur l’un comme l’autre plan, le site est divisé en deux parties d’inégales superficies. Le tiers méridional du terrain occupe une position plus élevée que la partie tournée vers le fleuve, la déclivité naturelle du site est soulignée par des escaliers monumentaux qui ferment la cour d’honneur. Reste que les liaisons entre bâtiments, traitées de manière sensiblement différente à un an d’intervalle, suggèrent quelques évolutions : en 1955 les architectes semblent avoir envisagé de grandes constructions isolées dans un parc, tandis que l’année suivante, ils optent pour de longues barres (d’une hauteur comparable à celle finalement réalisée sur le quai) reliées par un système de passerelles. Le dernier projet élaboré par cette équipe, celui de 1961, marque plus nettement encore leur attachement aux grandes masses indépendantes, puisqu’ils envisagent quatre barres perpendiculaires au bâtiment ABC –entre temps achevé– longues de cent soixante-quatre mètres et hautes de quelques soixante-dix30.

23Selon Bernard Marrey, il semble bien que la visite du chantier par André Malraux en 1962, alors que Madeline vient de mourir, ait été l’occasion pour le ministre de se saisir du dossier et d’inclure Édouard Albert dans l’équipe, non sans l’accord du nouveau doyen Marc Zamansky31.

LE GRAND DESSEIN DE LA RÉPUBLIQUE GAULLIENNE POUR LA SCIENCE FRANÇAISE

Une triple singularité : l’originalité du projet d’Édouard Albert

24Venant après ces années d’hésitations et de réalisations partielles, le projet mis au point entre octobre 1962 et mars 1963 se distingue par la cohérence de son parti, jointe à son inscription dans un programme institutionnel de grande ampleur. Enfin, l’implication personnelle d’André Malraux lui confère une valeur exceptionnelle et inédite.

25Si Albert conserve dans son plan-masse32 l’entrée principale au sud, il rompt en revanche résolument avec le principe auparavant dominant de la dispersion d’imposants bâtiments dans un espace arboré. Son plan de masse est un plan massif, puisque sa faculté, de quelques 400 000 m2, se présente comme un vaste quadrilatère de 275 m par 333 m, percé de vingt et une cours rectangulaires de dimensions identiques, à l’exception de la cour d’honneur, d’une superficie quatre fois supérieure aux autres, au centre de laquelle se dresse la tour d’administration, haute de 85 m, qui domine les autres corps de bâtiments, relativement peu élevés (22,5 m).

26Cette trame serrée formant un gril peut être décomposée en trois séries d’éléments : grands côtés des cours, petits côtés et tours de contreventement circulaires situées aux intersections ; la réunion de ces trois composantes forme un « L » qui correspond à une unité d’enseignement et de recherche (la branche courte abritant l’enseignement, la plus longue les laboratoires de recherche).

27Alors que tous les architectes précédents avaient scindé l’espace disponible en deux niveaux (haut vers la place et bas vers la Seine) Albert l’unifie en élevant sa faculté sur une dalle33 ; il crée de ce fait sur l’ensemble du site un double niveau : en bas les locaux techniques, les circulations et les parcs de stationnement, en haut une vaste dalle piétonne faite de cours et de galeries formant cloîtres. L’ossature des bâtiments est entièrement métallique, à base de poteaux de 22 cm de diamètre et de 4,90 m de hauteur, disposés en façade tous les 3 m. Chaque poteau supporte une poutre transversale de 18 m de longueur formant gondole. Au rez-de-chaussée, aucune construction, aucun mur ; l’ensemble constitue un système de galeries couvertes totalement ouvert aux vents. À partir du premier étage une trame plus serrée de poteaux (tous les 1,5 m) compose l’ossature des façades, entre eux sont disposés des châssis en acier inoxydable avec allèges en marbre de carrare34.

Une triple singularité : la construction de l’espace de la science selon Marc Zamansky

28Au moment où se dessine dans l’esprit des architectes une physionomie totalement nouvelle pour les bâtiments, l’institution universitaire lui assigne une fonction sensiblement différente de celle envisagée pour les précédents programmes. En effet, dans un premier temps, il a été question de transporter à la Halle aux vins la Faculté des Sciences tout entière ; par la suite, et notamment après l’acquisition du domaine d’Orsay, s’est posée la question de la répartition des services entre les deux sites. Un temps, une certaine prééminence paraît accordée à Orsay, dont l’importante superficie permet seule l’accueil des laboratoires de recherche les plus innovants et les plus gourmands en espace ; à la même période le site de la Halle aux vins, avec ses chantiers menés au pas de charge sous la pression d’un accroissement continu des effectifs dans les premiers cycles universitaires, apparaît plutôt comme un lieu voué à l’enseignement de masse, et non comme un centre de recherche.

29Cette opposition est dépassée, au début des années soixante, avec la réflexion que lance le nouveau doyen de la Faculté, Marc Zamansky. Celui-ci s’appuie sur une vision ambitieuse de ce que doit être une Faculté des Sciences35 : « un immense service public qui fournira [à la Nation] [s]es cadres36 (...), et continuera à se consacrer à son rôle fondamental qui est la recherche scientifique »37. Le triptyque qui détermine la réussite de cette institution est clairement énoncé : les hommes, l’argent et la liberté, celle-ci étant aussi la liberté d’utiliser comme on le veut l’argent obtenu.

30Pour réaliser ce dessein les dirigeants de la Faculté envisagent, dans le temps et l’espace, ses évolutions prochaines ; avec l’aide de la démographie on évalue la croissance à venir et la répartition par niveaux de la population étudiante, tout en pensant son insertion dans l’espace francilien selon une véritable politique d’aménagement du territoire régional. La traduction en terme d’implantations universitaires de ces évolutions est une structure pyramidale qui confère une place éminente à la Faculté de « Paris-centre »38. En 1970, une fois la Sorbonne totalement abandonnée, l’ensemble de la Halle aux vins doit accueillir 27 000 étudiants, dont 25 000 en deuxième et troisième cycle (sur un total de 45 000 pour toute la Faculté de Paris) et seulement 2 000 en premier cycle (sur un total de 15 000). Hors de Paris, les sites d’Orsay et de Paris-nord (Villetaneuse, qui est selon Zamansky « une nécessité sociale »)39 sont prévus pour recevoir chacun 12 000 étudiants répartis dans les trois cycles. Enfin, six collèges scientifiques universitaires (au nombre desquels se trouvent les antennes d’Orléans et de Reims) sont destinés à la formation, en premier cycle uniquement, de 9 000 étudiants.

31Si l’on ajoute à ces données que la Faculté de Paris centre est vue comme le futur siège administratif de l’institution, on comprend que le projet hors-norme d’Albert et de ses collègues est bel et bien destiné à devenir, une fois construit, le vaisseau amiral d’une colossale Faculté parisienne, forte de plus de 60 000 étudiants. Il en sera tout à la fois le centre névralgique et administratif, la tête chercheuse et pensante, le cœur vivant et la vitrine internationale. Ajoutons que la réalisation de ce programme modifierait sensiblement les rapports de force entre les facultés40 en consacrant la victoire des scientifiques sur les littéraires, les juristes et les médecins : aucune autre Faculté parisienne ne dispose alors d’un programme de développement aussi ambitieux et cohérent.

Une triple singularité : Un musée pour les chefs d’œuvres de l’art contemporain national

32Cette ambition rencontre celle du ministre chargé des Affaires Culturelles, désireux d’implanter au cœur de Paris une œuvre architecturale majeure41. L’intérêt d’André Malraux pour le projet est bien connu : il est à l’origine de l’entrée d’Albert dans le groupe des architectes en charge de l’édifice, il veut, surtout, donner une solennité toute particulière à son lancement en présidant personnellement la séance du Conseil général des bâtiments de France du 25 avril 1963 consacrée à l’examen du dossier. D’emblée il évoque la relation forte qui doit exister entre l’œuvre à bâtir et les œuvres qu’elle abritera :

Monsieur le ministre rappelle tout d’abord l’importance que le gouvernement attache à la construction de la nouvelle Faculté des Sciences sur l’emplacement de la Halle aux vins et tient à souligner l’attention particulière qu’il porte à cette réalisation qui constituera une tentative assez exceptionnelle d’architecture linéaire devant permettre, si elle est acceptée, de confier la décoration de l’édifice à quelques-uns des plus grands artistes contemporains42.

33Au cours des débats devant le Conseil il insiste de nouveau, rappelant que « nous sommes en effet, avec ce projet, en face d’un des problèmes les plus importants du siècle »43. L’intérêt d’André Malraux pour la Faculté ne se dément pas par la suite, comme en témoignent les nombreuses installations d’œuvres d’art faites dans le cadre du 1 %, même s’il faut souligner que les crédits prévus n’ont pas tous été utilisés et que les décors monumentaux les plus ambitieux n’ont pas été réalisés44 (on pense aux œuvres de Braque ou Léger)45.

34L’engouement pour ce « grand chantier » des deux septennats gaulliens semble du reste partagé par d’autres, comme en témoigne la convocation à titre de comparaison d’œuvres majeures de l’architecture occidentale, de l’Escurial aux Invalides, en passant par Oxford et Cambridge, dont l’architecture claustrale fascinait, dit-on, Édouard Albert. À la même époque, le quartier de La Défense commence à s’édifier selon un programme rigoureux et empreint de classicisme qui sera ultérieurement abandonné ; il suscite de semblables enthousiasmes, Robert Auzelle n’hésitant pas à citer Baudelaire à son propos : « le tout est ordre et beauté, luxe, calme et volupté »46. Une phrase qui dans l’esprit de ses promoteurs, pouvait sans aucun doute s’appliquer parfaitement à la Faculté des Sciences...

Jussieu, nouvelle Sorbonne

35Bien que la comparaison ne soit jamais posée en des termes explicites –il est alors plus avantageux d’invoquer les Invalides ou l’Escurial– c’est bien la Sorbonne vieillissante qui est la mesure de la nouvelle Faculté des Sciences.

36Dans l’esprit de ses créateurs, elle est une Sorbonne libérée des contraintes matérielles qui pèsent sur son aînée. Plus de problème de place, puisque Orsay offre des réserves foncières pour de longues années, mais aussi parce que les collèges universitaires implantés en banlieue ou à travers le bassin parisien ont vocation à accueillir les étudiants de premier cycle, la Faculté parisienne conservant en son sein les formations nobles et élitaires. Plus de problème d’évolution des locaux et de reconfiguration des laboratoires, puisque la conception modulable des espaces intérieurs permet leur adaptation en fonction de besoins changeants de la science. De même, en matière de commande publique, le projet s’inscrit dans la continuité de celui de la Sorbonne tout en rejetant l’héritage artistique de cette dernière, jugé alors fort piètre : en 1890 les peintres officiels avaient, comme il se doit, obtenu l’ensemble des commandes d’œuvres d’art... Puvis de Chavannes, Flameng et autres Dagnan-Bouveret avaient recouvert galeries et amphithéâtres de leurs pompeuses et raides allégories... En 1960, les plus grands artistes français, reconnus par les instances officielles mais aussi célébrés par le marché de l’art et la critique internationale, seront à l’honneur, et feront à la Science l’honneur de leur art.

37En revanche, une commune ambition politique anime les deux projets, un commun désir de montrer à la face du monde, en plein cœur de Paris, ce que la France, ce que l’État, peuvent pour la Science. À la gloire de la Troisième République laïque et émancipatrice répond la fierté d’une cinquième République technocratique et modernisatrice. À l’heure où Malraux entend célébrer les sept merveilles de la France éternelle, la Faculté de la Halle aux vins mérite de figurer au tableau d’honneur de la France contemporaine47.

HISTOIRE D’UN CHANTIER ET ENLISEMENT D’UN PROJET

L’inachèvement du gril d’Édouard Albert

38À partir du lancement des travaux en février 1964 le chantier avance rapidement, sans que soient pour autant tenus les objectifs fixés initialement par le doyen (« une Faculté des Sciences se construit en trois ans pour trente ans »). Les deux tranches de la Physique sont achevées en 1966, puis viennent les services de Géologie et de Mathématiques (entre 1967 et 1969), tandis que la Chimie est réalisée entre 1969 et 1971, en même temps que la tour destinée à l’administration ; enfin, on lance construction des services de Biologie, dont la première tranche est terminée en octobre 197248. À cette date les principaux inspirateurs du projet ont quitté la scène. Albert est mort brutalement en 1968, Urbain Cassan et René Coulon restent à leur poste, assistés de Constantin de Gortchakoff. Malraux n’est plus ministre depuis 1969, et Marc Zamansky n’est plus doyen, la Faculté des Sciences ayant éclaté entre plusieurs universités nouvelles issues des réformes consécutives à mai 1968. À la fin de l’année 1972, outre les bâtiments ceinturant la cour d’honneur et la tour, on a entièrement édifié les constructions ceinturant douze cours. Neuf autres, prévues sur le plan initial, n’ont pas été bâties. Au nord manque toute la ligne de bâtiments qui devait faire face à la barre ABC donnant sur le quai, à l’est seules les constructions entourant la cour la plus méridionale ont été élevées. Le riche programme décoratif prévu à l’origine n’a été que très partiellement exécuté. La disparition des plus fervents initiateurs est sans aucun doute, tout autant que la crise économique, la cause principale de l’arrêt des travaux, ou, plus exactement de leur fort ralentissement, en même temps que s’impose à tous le choix « d’achever » la construction en ne réalisant pas toutes les tranches du projet initial. Le programme de 1973, très modeste par rapport à celui de 1964, traduit en volumes ces nouvelles orientations49.

La concurrence des universités en quête d’espace

39Ceci étant, il faut songer que la suppression de la Faculté des Sciences et la répartition des locaux entre deux universités nouvelles qui s’opposent sur bien des points (et parfois s’affrontent vivement) figurent certainement parmi les raisons, plus ou moins directes, de l’essoufflement du chantier. Ces deux institutions, Paris VI et Paris VII, sont issues de la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur promulguée le 12 novembre 1968, qui prévoit l’autonomie des universités, et de l’arrêté ministériel du 21 mars 1970, qui définit les caractéristiques de l’ensemble des universités parisiennes. Entre temps, enseignants et chercheurs issus des anciennes facultés ont rejoint, généralement sur la base d’affinités scientifiques, syndicales ou politiques leurs nouveaux services de rattachement. Sur le site de l’ancienne Faculté des Sciences sont désormais présentes les universités Paris VI (dite depuis « Pierre et Marie Curie ») et Paris VII (dite aujourd’hui « Denis Diderot »). Si la première, plutôt conservatrice et centrée autour des Sciences et de la Médecine, peut être regardée comme la continuatrice la plus légitime de la faculté antérieure, la seconde, née autour d’un projet interdisciplinaire, s’inspire en partie de l’expérience contemporaine de Vincennes, se veut novatrice dans tous les domaines et est le lieu d’une intense activité politique50. Tout au long de la phase de définition du périmètre disciplinaire des universités, et plus encore au moment de la partition des locaux, Marc Zamansky a tenté de conserver au projet élaboré dans les années soixante pour la Faculté des Sciences son intégrité. Il s’est notamment opposé au partage du site entre institutions et a cherché à limiter autant que possible l’introduction de la pluridisciplinarité dans le projet de Paris VI. Les tensions épistémologiques et politiques entre les deux établissements sont très vives, la simple cohabitation parfois très problématique51. La question de la répartition des locaux est bien évidemment centrale, et se trouve âprement débattue en 1971 sous l’arbitrage du ministre de l’Éducation nationale. Elle paraît aboutir au mois de mars de cette année52, mais il semble bien que les décisions rendues n’aient pas été scrupuleusement appliquées, les universités passant entre elles des conventions qui amènent l’une à utiliser certains locaux qui sont la propriété de l’autre, et réciproquement. Les plans d’occupation dressés à différentes époques (198153 et 199154 notamment) mettent en évidence l’extrême complexité de la division des corps de bâtiment selon les cours et les niveaux : grosso modo, Paris VII tient (en propriété ou en « occupation ») les secteurs situés au nord et à l’est de la cour d’honneur, tandis que Paris VI est implantée vers l’extérieur du site, à l’ouest, au nord (vers la Seine) et à la pointe sud-est du bâtiment. Quant à la tour, elle est divisée en deux parties inégales : les onze premiers niveaux pour Paris VII et les suivants pour Paris VI55. Quoi qu’il en soit, par rapport au dessein initial, qui mettait explicitement en lien la monumentalité de l’architecture et l’aménagement du territoire, la situation observable en 1972 est révélatrice d’une perception toute nouvelle de l’espace bâti de « Jussieu », comme on l’appelle désormais : le site est considéré comme un ensemble de mètres carrés disponibles –en nombre fatalement insuffisant de surcroît56– qui sont susceptibles d’être répartis, au prix de négociations plus ou moins délicates, entre deux établissements aux intérêts divergents. Dans cette perspective, les nouvelles constructions à élever s’inscrivent moins dans la continuation des ambitions initiales que dans la recherche d’une satisfaction immédiate des besoins les plus urgents des universités. Du reste, la continuité avec le projet d’Albert n’est plus justifiée, car elle n’est pas en adéquation avec les fonctions des nouvelles institutions, en particulier celles de Paris VII, désireuse de locaux adaptés aux Lettres et Sciences Humaines (à commencer par des bibliothèques).

Un paysage urbain fracturé

40Enfin, l’arrêt des travaux rend bien visible une faiblesse pourtant présente dès l’origine dans le projet d’Albert : la problématique liaison entre son gril et les barres construites à la fin des années cinquante par Cassan, Coulon et Madeline. La construction de la totalité de la Faculté aurait dû ne laisser subsister entre les deux ensembles qu’une « rue » étroite et profonde, inesthétique, certes, mais aisément franchissable par des passerelles ; du fait de l’interruption du chantier, la dalle du gril s’interrompt brutalement, surplombant un vaste terrain vague qui ne va pas tarder à se remplir de constructions parasites, tandis que, vu depuis les barres, le bâtiment d’Albert offre le spectacle piteux de ses pignons dénudés et laisse apparaître ses substructions de béton qui enferment les niveaux techniques situés sous la dalle. La transition harmonieuse avec l’environnement urbain, et en particulier la différence de niveau entre la dalle et le quartier alentour, de délicate à traiter qu’elle aurait pu être devient désormais impossible, et toute l’architecture du site paraît littéralement « hors-sol »...

41Tel est l’édifice qui, trente années durant, sera l’objet de projets aussi nombreux qu’éphémères, tandis que peinent à y vivre étudiants et chercheurs et que défenseurs et adversaires de son architecture se combattent avec acharnement.

TRENTE ANS DE DÉBATS

Le mal-être des usagers

Quoi qu’il en soit et bien qu’inachevé, l’établissement actuel– d’ailleurs très visité –est marqué par une grande homogénéité architecturale et est assorti d’œuvres des grands artistes de l’époque. Ceux qui accèdent par l’entrée principale s’ouvrant sur la cour d’honneur ne manqueront pas d’être impressionnés par l’ampleur et les proportions de celle-ci, ainsi que par les œuvres qui l’entourent : grands pignons décorés par Gischia, mosaïque et sols de Lagrange, etc.
Or voici que Paris VII a manifesté l’intention d’installer quatre courts de tennis, entourés de grillage et qui occuperont une très importante partie du parvis de la cour d’honneur. Il est superflu d’accompagner de commentaire cette atteinte à un ensemble architectural qui a été minutieusement étudié et sur lequel a longtemps médité un ministre d’État ardent défenseur de l’art.
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42Commentons pourtant, tant il est vrai que cette lettre courroucée paraît bien poser les termes d’une opposition entre architectes et usagers qui se manifeste en ces années par d’autres signes : d’un côté une tentative certes iconoclaste, peut-être dans l’esprit du temps, mais visant à répondre à un besoin réel (celui des équipements sportifs) qui n’a pas été pris en compte lors de la conception du bâtiment ; de l’autre, avec la conscience de l’inachèvement du projet, sa défense et son illustration, étayée par la mise en avant des artistes et du grand homme.

43Les œuvres d’art, précisément, semblent dès cette époque peu ou mal perçues par les usagers de Jussieu ; tel chercheur interrogé sur elles les prend même comme point d’appui pour critiquer l’architecture du lieu :

44Avouons-le franchement, c’est un fiasco. (...) Je crois que les œuvres d’art auraient été bienvenues dans ce cadre architectural et d’abord elles l’auraient humanisé. Regardez ces couloirs, ces boyaux, ces petites allées, ces cellules, chaque étudiant travaille dans la sienne. La Faculté, ce n’est pas une œuvre d’art ; l’art y est totalement absent, c’est une usine, c’est d’ailleurs assez sinistre. Le Sarcelles de l’Éducation nationale, en mieux tout de même.58

45S’il est besoin de l’humaniser, c’est que Jussieu apparaît dès cette époque comme un lieu « inhumain », au sens où il s’agit d’une architecture qui a été pensée et exécutée sans tenir compte de l’avis des hommes qui vont y vivre, sans envisager la place de l’homme dans son environnement de travail59. Ce sentiment semble partagé par tous, du président d’université à l’étudiant de première année, il se manifeste avec force lors du débat organisé le 14 novembre 1972 par Paris VII sur le thème de « l’architecture de Jussieu ». Entièrement retranscrit et enrichi de commentaires, d’annexes et d’articles sur le même sujet, ce débat a été publié dans le journal de l’université, Le Saprophyte, en janvier 197360.

46Si les articles l’encadrant laissent transparaître les enjeux idéologiques qui sous-tendent cette véhémente critique de l’université « fauriste »61, le débat entre les architectes et le public, sous la houlette de Michel Alliot le président de Paris VII, est courtois, principalement consacré à rechercher un dépassement à l’incompréhension mutuelle des uns et des autres. Par exemple, René Coulon rappelle, avec sa fierté de maître d’œuvre, l’enthousiasme des débuts (« C’est sensationnel, construire en plein Paris, dans un terrain qui n’a pas bougé, avec une œuvre à faire, comme ça, pour l’enseignement, la jeunesse et la science. C’est formidable, formidable ! Je vous assure qu’on s’est beaucoup excité sur la question. »)62 et il défend l’essentiel de ce qui a été construit, y compris la tour (« On ne peut pas considérer de la même façon des tours de mètres carrés de bureaux commerciaux ou d’habitations et une tour comme celle de la Fac des sciences qui avait dans le paysage parisien une valeur de symbole. C’était un signal comme un clocher, un beffroi, c’était l’Université française »)63. Face à lui, Michel Alliot avance une tout autre idée de l’Université, qui subordonne manifestement l’architecture à une fonction toute immatérielle, celle de l’échange : « Pour moi une université c’est d’abord un lieu de rencontre, c’est un lieu de rencontre parce que l’enseignement supérieur se fait comme cela, par un tas de rencontres entre les enseignants et les étudiants. (...) Or j’ai l’impression que cette université a été faite pour éviter les rencontres »64. Si l’on retrouve là un argument proche de celui avancé par Michel Rat (« la concentration »), les solutions proposées s’en éloignent, puisqu’en fin de discussion Alliot suggère la création de magasins et de cafétérias dans la cour d’honneur pour « que cela reprenne une allure vivante... Des garçons de café ici, ça changerait beaucoup de choses. », avant de conclure : « Mais là, M. Coulon, vous allez me dire : non, ça gâche mon parti esthétique ». Et de fait, René Coulon répond : « Esthétiquement, je suis absolument opposé... Sur ce sujet, on pourrait discuter longtemps »65.

47Au cours des années suivantes, bien loin de s’atténuer, l’insatisfaction des usagers face à ce cadre de vie paraît n’avoir cessé de croître, tout en revêtant de nouvelles formes et un autre ton66. Il ne s’agit pas seulement ici d’une évolution politique : le passage de l’enthousiasme contestataire des « années de poudre »67 au désenchantement ironique des années quatre-vingt-dix s’accomplit au sein d’une université dont les conditions matérielles de travail ne cessent de se dégrader. Ainsi, la critique change d’objet, puisque d’agent d’oppression qu’elle était, l’architecture devient un stigmate, d’abord vécu en silence, avant d’être exposé avec toute l’ostentation que permettent les nouveaux médias. Au début du XXIe siècle, deux sites Internet prennent pour thème le délabrement et la saleté du campus de Jussieu : l’un est composé de photographies des endroits les plus sordides du site, assorties de commentaires douceâtres68, l’autre est une galerie hallucinante de vues des toilettes les plus sales de l’université69. Reste que ces sites ne sont que le reflet déformé, potache et sarcastique d’un problème de sécurité et de santé publique qui est devenu une réalité connue de tous depuis le printemps 1996 : le campus de Jussieu est étroitement associé au scandale de l’amiante, et ce plus encore après la déclaration tonitruante de Jacques Chirac, qui, lors de ses vœux du 14 juillet annonce « qu’il n’y aura plus d’étudiants à Jussieu à la fin de l’année ». Les problèmes posés par l’utilisation de l’amiante sont pourtant connus depuis la création en 1974 d’un collectif intersyndical amiante, qui en dénonce les risques, mais c’est en 1994, après la découverte de neuf cas de maladies professionnelles, qu’est créée le comité anti-amiante Jussieu. L’année suivante, les images de la pollution liée à l’amiante sur le campus en font un problème national, tout en liant durablement dans l’esprit du public « Jussieu » et « amiante »70. Si l’un des effets inattendus de cette crise réside dans la mise en route d’un plan de rénovation et d’achèvement du site, corollaire de son désamiantage, il n’en est pas moins vrai que, à travers elle, l’architecture de Jussieu n’est plus seulement perçue comme inhumaine, mais bien comme mortelle.

Des défenseurs mal à l’aise

48Devant tant de critiques, et de si rudes, on pourrait penser qu’il ne s’est trouvé personne pour reconnaître des qualités à cette architecture et la défendre envers et contre tout. Depuis le début de la fin, soit depuis 1973, cela est pourtant le cas. Là encore, comme pour les usagers, le discours des défenseurs évolue au fil des ans : proche de l’action et de celui des architectes au commencement, tourné vers la déploration de l’inaboutissement, il se transforme bientôt, revêtant les formes de l’analyse critique et distanciée propre au savoir universitaire.

49En 1975, lorsqu’il écrit pour la Revue de l’art son texte intitulé « Un grand projet inachevé : la Faculté des Sciences de Paris », Bernard Marrey dresse –involontairement– l’acte de décès du dessein d’Albert : il ne sera plus question désormais que de « parachèvement ». Surtout, il rappelle l’ambition initiale et consacre de longs développements au programme décoratif, resté très incomplet, et à la tour, dont l’aspect final révèle une trahison des idées d’Albert par ses continuateurs (jaloux ?). Son texte reste une référence essentielle pour les défenseurs futurs.

50Moins de dix ans après l’abandon du chantier, alors que le projet pour l’Institut du Monde Arabe attire de nouveau les regards vers le quai Saint-Bernard, est soutenue une thèse de troisième cycle consacrée au site de Jussieu71. Son contenu, bien documenté, reprend des analyses de Bernard Marrey72 ou de l’article de Philippe Schneyder et Jean Le Chevalier73. Cette précoce « objectivation » de Jussieu en annonce d’autres, œuvres d’historiens de l’architecture proches de l’étude du Mouvement Moderne et de ses continuateurs. Sourd aux critiques de tous ordres (nous sommes pourtant en 1998) et ne jugeant que la qualité plastique de l’œuvre, Joseph Abram livre un plaidoyer sans concession : « La rigueur du plan, la robustesse du socle, l’évidement du rez-de-chaussée, l’élégance raffinée de l’ossature métallique, la justesse des proportions, la présence des œuvres d’art, font de cet ensemble l’une des meilleures œuvres des années soixante »74. Logiquement, cette apologie va de pair avec sa traduction patrimoniale : tel est le sens de la proposition de Gérard Monnier, qui en réponse aux attaques d’Alain Griotteray75, propose non pas de « brûler Jussieu », mais bien, de le classer « sans attendre »76, comparant une éventuelle destruction à celle des halles de Baltard.

51En avançant, au-delà du jugement scientifique que légitime sa qualité de spécialiste de l’architecture contemporaine, une prise de position en faveur du caractère patrimonial de Jussieu, Gérard Monnier prend à contre-pied les défenseurs du patrimoine traditionnel, pour qui la Faculté est avant tout une atteinte à celui-ci : « Détruire Jussieu, ce serait admettre que la loi de 1913 sur la protection des édifices au nom de l’art et de l’histoire ne s’applique qu’aux édifices antérieurs à 1960, et que, si les instances de l’économie l’exigent, on peut donc raser aussi, entre autres édifices, le musée du Havre, Orly-Sud, et le parc des Princes »77. En effet, si la tâche des défenseurs de Jussieu est malaisée, c’est bien parce qu’ils se trouvent pris entre deux feux : d’un côté les usagers du lieu critiquent son inhumanité et sa dangerosité, restant insensibles aux arguments esthétiques, de l’autre, au nom d’une esthétique antagoniste, les historiens d’art et les spécialistes du patrimoine les plus conservateurs attaquent brutalement le monument.

Un malheur pour le patrimoine ?

52Cette forme de critique, déjà présente au cours de la phase active du chantier (notamment à propos de la construction de la tour), n’a jamais cessé. Elle revêt principalement deux formes : d’une part l’architecture de Jussieu est attaquée en raison de ses caractères intrinsèques, d’autre part elle constitue une offense au paysage parisien. La fin des années quatre-vingt-dix est particulièrement riche en critiques sur ces thèmes, avant comme après le scandale de l’amiante. Sans surprise, les continuateurs de l’œuvre de Louis Réau, Guy-Michel Leproux et Michel Fleury, déplorent, photographie judicieusement cadrée à l’appui78, la disparition des chais et leur remplacement par cet ensemble « bien représentatif de la médiocrité de l’architecture scolaire et universitaire en France : aucun effort d’adaptation au site, ni d’intégration au quartier, aucun parti original face à la Seine, aucune idée dans l’élévation des façades : un désert spirituel »79. Non loin d’eux, Alexandre Gady, qui oublie au passage de citer Albert parmi les architectes, dénonce cet édifice « froid et anguleux »80, « une erreur », selon lui, « que seule une destruction totale pourra un jour effacer »81. Mais l’attaque la plus violente est celle d’Alain Griotteray, publiée dans Le Figaro juste après l’intervention télévisée du chef de l’État. Voyant dans Jussieu « une des manifestations les plus pitoyables de la déréliction urbaine des années 1960 », il réclame sa destruction : « Jussieu doit disparaître pour en finir avec le martyr imposé depuis près de trente ans à cette partie des quais de la Seine et de l’île Saint-Louis. (...) une nouvelle mobilisation s’impose, celle de ceux qui ne se résignent pas à la laideur »82. S’il est aux antipodes des plaidoyers propres aux historiens de l’architecture contemporaine, cet argumentaire, tout comme ceux de Michel Fleury et Alexandre Gady, relève toutefois d’une même approche strictement architecturale et, en dernier lieu, patrimoniale, du site : rien n’est dit des difficultés quotidiennes induites par l’architecture de Jussieu. Inconciliables, ces points de vue antagonistes n’en sont pas moins cousins, étant tous deux largement insensibles à la perception de l’œuvre par ses usagers.

53Résumons-nous : Jussieu divise autant qu’il est divisé. Voulu comme une expression majeure de l’art contemporain et un symbole de l’unité universitaire (le « beffroi » cher à Coulon), le bâtiment est le lieu de vives tensions internes, et l’objet de non moins vives controverses, ces dernières revêtant une forme complexe, d’une part entre ceux qui « aiment » et ceux qui « n’aiment pas », d’autre part entre ceux qui « vivent » Jussieu et ceux qui le « voient ». L’affaire de l’amiante et ses suites médiatiques confèrent une nouvelle dimension, dramatique, à ces luttes anciennes. De même que son dénouement ultime, on le verra, passe par une solution architecturale, de même, les projets élaborés sans succès entre 1973 et 1993 peuvent être étudiés comme autant de tentatives –insuffisantes– pour gommer ces divisions et résoudre ces contradictions.

VINGT ANS POUR DIX PROJETS... DIX PROJETS EN UN AN (1972-1992)

Le SCAP83, les architectes et les universités

54À partir de 1973 et sous l’autorité du Service constructeur des académies d’Île-de-France sont menées un certain nombre de réflexions pour aménager le campus et y édifier de nouvelles constructions. En outre, plusieurs architectes ont mis au point des projets pour le site, apparemment sans avoir reçu pour cela une mission précise de l’administration : on peut y voir le signe d’un intérêt pour le lieu. Celui-ci fascinerait les créateurs, tant en raison de son architecture que du fait de son inachèvement. Parmi les architectes concernés, Jean Nouvel occupe une place à part : auteur de l’Institut du Monde Arabe, implanté à la pointe nord-ouest du site, il ne se contente pas de présenter des projets pour Jussieu ; de fait, son œuvre construite modifie profondément la perception du site et ses possibilités d’aménagement. Pour autant qu’on puisse en juger à la lecture des archives, les schémas ont été élaborés avec la collaboration des deux universités présentes sur le site, à l’exception du « projet Legrand » de 1992, émanation de Paris VI avec une simple « consultation » des instances de Paris VII84. Plus que la question des surfaces (en la matière, Jussieu n’est pas le site le plus mal loti en France), le désir contradictoire de rompre l’isolement dont souffrent les universités tout en mettant fin à leur promiscuité paraît être le plus petit dénominateur commun de ces réflexions.

55Dans un premier temps, alors que l’équipe comprend encore certains acteurs de la phase active du chantier, cette recherche passe par l’installation de nouveaux locaux dédiés à la vie en commun, tandis que l’on tente de poursuivre, bon gré mal gré, le plan initial. Après 1977, une fois celui-ci définitivement abandonné, les architectes missionnés par le SCARIF proposent des solutions modestes, faites de petits bâtiments accolés aux grands, mais l’installation de l’IMA les oblige à orienter leur réflexion dans une autre direction : le décloisonnement de Jussieu passe alors par des opérations d’aménagement urbain, qu’elles soient internes au campus ou qu’elles aient pour objectif de créer des liens entre lui et son environnement immédiat. Enfin, à partir de 1988, les idées avancées par Michel Autheman marquent un nouveau tournant : il n’est plus question désormais de contourner ou de noyer dans la verdure les constructions de Cassan et Albert, les architectes recherchent au contraire la confrontation avec l’existant. La relance de la construction de locaux universitaires dans le cadre du programme U200085 permet d’imaginer de nouveau de grands édifices, d’une taille comparable à ceux qui existent.

De la continuité à la confrontation

56Après la mort d’Albert, un nouvel architecte, Constantin de Gortchakoff, rejoint René Coulon et Urbain Cassan. En 1973, ils élaborent en fonction des besoins des universités un projet qui repose sur le même principe d’aménagement et les mêmes principes constructifs que celui de 1964. Il en est la version minimaliste : au nord une seule nouvelle cour est implantée, près de l’angle nord-ouest (il s’agit du « grand U »), tandis que deux autres laissées ouvertes à l’ouest sont fermées par des constructions (on parle de « grand L » et de « petit l »)86. Le terrain compris entre les barres et le gril est traité en jardin paysager, avec « un jeu de courbes et de dénivellations »87. Quoi que le parti formel du projet s’inscrive dans la continuité de l’existant, les logiques institutionnelles qui le sous-tendent sont très différentes de celles de la période précédente ; il s’agit en effet de remédier à l’enchevêtrement des services et à l’occupation précaire de certains locaux, en permettant aux universités de faire leur « pré carré ». De dures négociations ont alors lieu, Paris VII réclamant une part importante des surfaces à bâtir car elle estime avoir été lésée à plusieurs reprises depuis 197088. Faute de crédits, la plus grande partie du programme est abandonnée en 197789, une fois réalisés divers aménagements mineurs (une halle des sports sur les deux prévues et le tracé de voiries). En 1982, Constantin de Gortchakoff propose d’habiller de marbre de Carrare les « pignons provisoires » des tours 12 à 42, laissées à l’état brut après l’arrêt de l’extension. Un tel habillage ferait du provisoire qui dure un état définitif, mais aucune suite n’est donnée à son devis de 3 400 000 francs90.

57Le concours pour l’édification de l’Institut du Monde Arabe, fondé en 1980, est remporté par Jean Nouvel, Pierre Soria et Architecture Studio. Bien que cet établissement n’ait aucune relation institutionnelle avec les universités, son implantation à l’angle nord-ouest du quadrilatère, à la place des dernières constructions de la Halle aux vins encore debout, a des conséquences notables sur le devenir de Jussieu. Le bâtiment de Jean Nouvel est de même gabarit que les barres de Cassan voisines et il les prolonge tout en les masquant à la vue des promeneurs des quais de Seine91, mais cet édifice somptueux contraste violemment avec la pauvreté de son environnement, ce qui suscite diverses rancœurs chez les universitaires... Pourtant, là n’est pas l’essentiel : le parvis de l’IMA ouvre une brèche dans le site. Pour les aménageurs des projets futurs s’esquisse à cet endroit une nouvelle perspective, une grande avenue ouest-est ; on la retrouvera souvent exprimée dans les projets de la fin des années 1980. Mais tel n’est pas le choix de Jean Nouvel lorsqu’il propose, en 1983, un plan d’aménagement pour l’ensemble du campus. Son propos est beaucoup plus ambitieux, puisqu’il s’agit tout simplement de l’envahissement de Jussieu par le Jardin des plantes voisin ! Il part du constat que le site offre un grand « potentiel », alors que « les abords du bâtiment de la Faculté sont un espace de rejet »92, dès lors, la rue Cuvier doit disparaître en tant que telle pour être transformée en allée couverte. Au-dessus d’elle, les barrières sont abattues, le jardin se prolonge dans l’université, sur le terrain vague et jusque dans les cours, on crée des reliefs artificiels, comme autant de vagues93. Enfin, une passerelle permet aux étudiants d’investir les berges de la Seine. Rien n’est dit ou presque des bâtiments à construire, mais Jean Nouvel a posé un diagnostic essentiel : après 1983 toutes les recherches prendront en compte la nécessité d’une ouverture sur le quartier.

58Un travail « essentiellement urbanistique », et la « recherche de tout ce qui contribue à créer un cadre de vie agréable à l’extérieur des bâtiments »94 : tel est l’objectif de la mission confiée en janvier 1983 à l’architecte urbaniste M. Macary. Sans le lyrisme paysager de Jean Nouvel, tel est bien le contenu de sa proposition présentée en octobre de la même année. Macary imagine peu de constructions neuves, mais envisage divers aménagements censés créer sur le site des espaces conviviaux : après un escalier monumental, une grande allée plantée, de même niveau que la dalle, assure une continuité entre les barres et le gril, tandis que le parvis de la tour est flanqué de petites constructions inclinées, destinées à l’accueil. À l’angle des rues Jussieu et Cuvier, un petit édifice doit abriter des locaux syndicaux et une salle polyvalente, enfin, un pignon nu, orienté à l’est, reçoit un pavillon arrondi prévu pour des espaces culturels95. Bien que relativement modestes, les propositions de Macary ne sont pas suivies d’effets, comme en témoigne la résurgence périodique, dans certains courriers administratifs des mentions de « grand L » ou de « petit l » à élever : paradoxalement, le projet de 1973, alors qu’il s’enracine dans une esthétique obsolète et qu’il correspond à un mode d’aménagement de l’espace largement rejeté, est d’une grande longévité dans l’esprit des utilisateurs du campus96...

59Il faut attendre la fin des années 1980 pour assister, sous l’impulsion du SCARIF, à la reprise de la réflexion sur l’aménagement du site. Dans un contexte de relance de la construction universitaire et de développement des partenariats avec le monde des entreprises, on s’interroge sur la possibilité d’un « technopôle » à Jussieu97. Les propositions issues de la « réflexion Autheman » –du nom de Michel Autheman, architecte conseil chargé de l’étude– en sont le résultat. La partie la moins originale de sa proposition réside dans la construction de huit corps de bâtiments qui viendraient compléter la partie morcelée du gril. Son apport décisif tient à la recherche d’une cohésion renforcée entre les différentes entités du site. Autheman envisage l’aménagement de deux grandes allées est-ouest (parallèles à la Seine) et nord-sud (parallèle à la rue Cuvier), ainsi que la construction de deux bâtiments de grande hauteur. Le premier, relié au bâtiment F par un pont enjambant la rue Jussieu, prend la place de l’ancien P.C.N. qu’il faudrait donc détruire. Le second, formant une rotonde entre le bâtiment F et la barre ABC, à l’angle de la rue Cuvier et du quai, constitue un vaste belvédère dominant le fleuve98. Auparavant, les adjonctions architecturales n’avaient par rapport au traitement urbanistique du site qu’une valeur cosmétique : désormais il paraît admis que l’on ne peut résoudre les difficultés de vie sur le site que par la construction de nouveaux bâtiments.

60Tous les projets ultérieurs99, ceux de Michel Guy et François Cantal-Duparc en avril 1989, Michel Guy en 1990 et Jean-Claude Legrand en 1992 tiennent compte des acquis de la réflexion Autheman. Michel Guy et François Cantal-Duparc recherchent l’ouverture sur le quartier par la multiplication des entrées, et choisissent de placer la nouvelle porte d’accès principale à l’angle de la rue Cuvier et du quai, détruisant au passage le restaurant. Partant de cet angle, un grand axe de liaison piétonnier traverse l’espace libre et le gril pour aboutir au pied de la tour. 50 000 m2 de locaux nouveaux se greffent sur ce cheminement, implantés en diagonale par rapport au damier d’Albert et à l’équerre des barres de Cassan. Ils abritent, comme on peut s’y attendre des locaux destinés à l’accueil du public et aux rencontres : centre de conférences, restaurant, centre d’expositions100, etc. La proposition avancée en 1992 par Jean-Paul Legrand (président de Paris VI) et madame Abravanel (pour l’Association de sauvegarde du patrimoine historique et artistique de la France) est encore plus ambitieuse : à l’heure d’une collaboration étroite avec les entreprises, ils imaginent pour Jussieu un « centre scientifique international du Quartier Latin ». L’entrée en est à l’angle de la rue Cuvier et du quai, une longue diagonale mène jusqu’à la tour, trois pavillons de plan carré occupent l’espace entre le bâtiment ABC, et le gril, reliant le premier au second par un système de passerelles également disposées en diagonale...101. Ce projet s’accompagne d’une prise en compte de la valeur patrimoniale de l’îlot Cuvier, l’ancien P.C.N. qui abrita les laboratoires des Curie, et devrait être restauré. Précisons toutefois que la réflexion développée par l’Université Paris VI en 1992 paraît se faire en dehors des grands schémas directeurs de constructions universitaires. Ses auteurs n’hésitent pas à écrire : « ce projet ne devrait occulter en rien le plan "Université 2000" retenu par le Comité interministériel d’aménagement du territoire »... Une manière comme une autre d’écrire qu’il ne s’inscrit pas dans ce programme.

61En tout cas, l’évolution est sensible : il n’est plus question désormais de tourner autour des bâtiments d’Albert ou de Cassan en proposant, ainsi qu’au début des années 1980, le vide des « places », « mails » et autres « esplanades » comme autant de solutions à l’isolement des étudiants et des chercheurs. Si le problème de Jussieu vient de son architecture, c’est de l’architecture que viendra son salut, un salut qui passe par l’édification de grands bâtiments, dotés d’une architecture signifiante, un salut qui appelle de la part des architectes la recherche d’un dialogue avec l’existant, l’affirmation d’une continuité ou celle d’une rupture. Le regard des créateurs se transforme, comme en témoigne la proposition de Jean Nouvel pour les barres de Cassan102.

62Puisqu’il s’agit de construire un nouvel édifice, l’espace libre situé entre le gril et l’angle nord-est du site, proche du restaurant situé à l’intersection des deux barres de Cassan, paraît tout désigné pour l’abriter. Reste à savoir quel sera cet équipement neuf capable de créer à Jussieu une dynamique de vie collective toujours absente plus de vingt ans après l’arrêt du chantier.

Une bibliothèque, pourquoi ?

63En une belle vue cavalière de l’histoire culturelle récente, Pierre Nora a défini les années 1980 comme étant le « moment musées », symbolisé par le Grand Louvre, les années 1990 comme le « moment bibliothèques » avec la BNF, en attendant le « moment archives » des années 2000 avec le nouveau centre des Archives nationales à Saint-Denis103. C’est bien dans ce contexte général marqué par le grand chantier de Dominique Perrault qu’il faut placer la décision de doter le site de Jussieu d’un grand équipement abritant deux bibliothèques de recherche.

64D’un strict point de vue fonctionnel, ce programme correspond à un besoin réel et pressant pour les deux universités, et en particulier pour Paris VII. Au sein de cette dernière, les Lettres et Sciences humaines sont au départ peu présentes, mais le secteur se structure rapidement et compte bientôt sept UER (sur les dix-sept de l’Université). Aucun espace n’est prévu pour leur bibliothèque. En 1982, une bibliothèque est aménagée entre les tours 55 et 56 mais elle ne peut se développer que sur 660 m2, ce qui reste très insuffisant104. On compte alors une place de lecture pour 270 étudiants !105 Il s’agit donc, d’une part, de créer une bibliothèque pour Paris VII106, d’une surface de 6 500 m2 utiles avec une capacité de stockage de 14,5 kilomètres linéaires et huit cent dix places.

65D’autre part, les deux universités doivent se rapprocher au sein d’une bibliothèque interuniversitaire scientifique de recherche de 7 900 m2 utiles pour 27 kilomètres linéaires et quatre cents places107. Enfin, divers espaces de rencontre et une librairie seront des équipements communs installés dans le même bâtiment.

66Au-delà de ces impératifs quantitatifs, la décision de construire une bibliothèque s’inscrit pleinement dans la continuité des recherches menées antérieurement par le SCARIF, et les universités, pour structurer la vie sur le campus. Plus que les centres de rencontres ou de congrès évoqués dans les projets des années 1980, la bibliothèque est « un espace unitaire, espace d’identification de la communauté universitaire, dans lequel s’inscrit l’ordre des savoirs »108. Enfin, la bibliothèque marque le retour sur le site de Jussieu d’une implication au plus haut niveau de la sphère politique. Jack Lang, alors ministre d’État de l’Éducation nationale et de la Culture, manifeste un grand intérêt pour la question et suit de près le concours international qui est ouvert. Le parallèle avec l’action d’André Malraux en 1963 est évident, il est présenté de manière explicite dans le livre publié à l’issu du concours, puisque, à côté de la reproduction des articles de La revue de l’art et de Acier-Steel-Stahl, est donné un extrait du procès-verbal de la séance du Conseil général des bâtiments de France que présida le ministre. Le concours pour la bibliothèque, c’est bel et bien la renaissance de Jussieu, grâce à la création d’un grand geste architectural sur ce site exceptionnel mais depuis trop longtemps tombé en déshérence...

Koolhaas, Nouvel et les autres109

67Après une première phase de consultation, dix projets sont retenus pour examen par le jury.

68La force de l’architecture d’Albert impose à tous les concurrents de prendre parti par rapport à elle, soit pour s’inscrire dans son sillage, soit pour rompre avec sa trame110. Face à eux, les représentants de la génération précédente donnent également leur avis. Ainsi, Constantin de Gortchakoff tente un temps de s’opposer à toute transformation du gril, qu’il prétend « déposé et protégé ». En revanche, la veuve d’Édouard Albert laisse entière liberté aux architectes, « dans le respect de l’œuvre »111. Parfois associés, comme à Euralille où l’un conçoit le schéma d’ensemble tandis que l’autre crée le centre commercial, Rem Koolhaas et Jean Nouvel sont plus souvent rivaux112, et cette confrontation de deux esthétiques en annonce d’autres, avec en dernier lieu celle du concours pour la rénovation du Forum des Halles113. Leurs projets peuvent servir d’étendards aux deux grandes familles de concurrents en présence. Jean Nouvel, Cruz et Ortiz, Emmanuelle et Laurent Beaudoin font le choix de la continuité, le premier écrivant avec franchise : « je propose de suivre les lignes d’Albert. Fidèlement, rigoureusement et de vider largement le reste »114. Face à eux, emmenées par Rem Koolhaas, cinq équipes115 refusent de s’inscrire dans cette linéarité et placent leur bibliothèque entre gril et barres116. Koolhaas avec son « gros cube »117 « planté » à côté du gril parie que cette opposition permettra de régénérer les conditions d’existence du lieu. L’équipe de Coop Himmelblau (Prix, Swiczinsky et Weichenberger) se distingue en proposant un édifice en diagonale, à la structure complexe, fait de deux unités indépendantes réunies par une composition chaotique de verre et d’acier, « structure tridimensionnelle en forme de X ».

69Lors des débats, les rapporteurs des différentes commissions font ressortir les qualités respectives mais antagonistes des projets de Koolhaas et Nouvel118. Le jugement rendu donne lieu à de vifs mécontentements. Jean Nouvel est choisi pour l’aménagement d’ensemble du site, ce qui provoque la déception des universitaires, furieux de voir se prolonger l’architecture d’Albert119. Rem Koolhaas remporte le concours pour la bibliothèque, et recueille celle des bibliothécaires120. Ils critiquent en particulier l’agencement intérieur des salles121, où se trouvent 35 % de surfaces présentant des pentes de 0 à 4 ou 6 à 9 % ! Koolhaas livre certes un diagnostic que beaucoup pourraient approuver (« L’implantation de la nouvelle bibliothèque de Jussieu pourrait effacer le déficit social accumulé depuis son achèvement »)122, mais le remède paraît impossible à administrer. Outre l’inclinaison des surfaces, qui permet un cheminement continu de la base au sommet du bâtiment mais n’est pas adaptée à l’implantation des rayonnages ou des tables de lecture, on critique l’incrustation dans le sol de la bibliothèque des sciences, alors que celle des lettres « s’élève ». Cette configuration est jugée dévalorisante pour les scientifiques. Bien que lauréat, le projet doit être lourdement retravaillé avant d’aborder la phase de construction. Celle-ci tarde à venir. D’abord réduit en surface, le projet est bientôt purement et simplement abandonné. Aucune réserve budgétaire ne semble avoir existé pour financer la construction, mais il n’est pas exclu que son caractère éminemment politique lui ait en définitive beaucoup nui, puisque les élections du printemps 1993 entraînent un changement de majorité.

70Pour Jussieu, c’est un « enterrement de première classe »123. Vingt ans après le premier choc pétrolier qui sonna le glas des ambitions initiales, la réflexion sur l’aménagement du site est au point mort. Le gril demeure inachevé, il se détériore lentement, tout comme les barres de Cassan. Entre ces deux entités, sur le terrain vague que domine la dalle, ont poussé de petites constructions plus ou moins pérennes... dont les bureaux du SCARIF124 ! Le lieu reste cloisonné, construit en opposition avec le quartier environnant, son architecture est mal aimée des usagers. Timidement, on envisage une nouvelle opération, à l’emplacement du bâtiment Esclangon, pour une résidence destinée à l’accueil des étudiants étrangers... Mais, là encore, tout paraît bien incertain125. Que faire ?

LES TRIBULATIONS ARCHITECTURALES DE L’UNIVERSITÉ FRANÇAISE : JUSSIEU, SUITE ET FIN ? (1992-2014)

71Nous pensons que les mésaventures de Jussieu ne constituent pas un cas isolé dans l’histoire de l’architecture universitaire française. Bien au contraire. La complexité du dossier, évidente à la lecture de cette étude, en fait plutôt un cas d’école. Les créations d’institutions reposant sur des idées ambitieuses n’ont pas fait défaut au cours de notre histoire intellectuelle, du Collège de France au CNRS, en passant par la fondation de l’École normale ou celle de l’EPHE ; toutefois, outre le fait bien connu qu’il s’agit là de grands établissements ou de grandes écoles nées en dehors de l’Université, il faut souligner qu’elles sont souvent des créations immatérielles, reposant sur l’identification de l’enseignement supérieur à une communauté humaine qui naît et se développe à partir des échanges entre personnes plus que par l’installation dans un cadre matériel. Cette conception est celle défendue par Michel Alliot lors du débat de 1972, elle est aussi celle qui préside dès le XIIIe siècle à la naissance de l’Université de Paris, union de maîtres et d’élèves longtemps dépourvue de locaux propres. L’inscription de ces groupes dans la pierre semble en revanche beaucoup plus problématique. Cela est particulièrement vrai pour l’université depuis le début du XIXe siècle. Sous l’Empire, on dresse de nombreux plans pour un palais de l’Université impériale à proximité du Champ de Mars et du Palais des archives... Aucun ne reçoit un commencement d’exécution, tandis que l’institution universitaire, à la même époque, est nomade, connaît plusieurs logements de fortune et pour finir vient prendre ses quartiers dans la vieille Sorbonne. L’histoire des difficultés immobilières de cette dernière au XIXe siècle est sans doute celle qui se rapproche le plus des avatars de Jussieu ; on a montré ailleurs comment, après plus de cinquante ans de projets inaboutis (là aussi faute de financements...) on se lance au cours des années 1880 dans un chantier de grande ampleur, mais sur un programme ancien et en définitive inadapté aux nouveaux besoins de l’institution126. Le cas de la Faculté de Médecine de la rue des Saints-Pères est quelque peu différent : dans cette affaire, quoi que les difficultés ne manquent jamais, c’est bien le même projet qui est porté pendant plus de vingt-cinq ans. Déjà, on y retrouve la Halle aux vins comme implantation désirée. Une fois cette possibilité écartée, et après avoir exploré diverses pistes infructueuses, on se résout à construire sur le site de l’ancienne Charité. Entre temps les financements promis par la Fondation Rockefeller ont disparu. Les contraintes immobilières forcent Louis Madeline et son équipe à rétrécir toujours plus l’implantation au sol, tandis que le bâtiment ne cesse de gagner en hauteur, au mépris des règles d’urbanisme. Quelque trente ans avant la tour d’Albert, les terrasses de la Faculté de Médecine sont une première menace sur le ciel de Paris et une authentique « émotion patrimoniale ». Au final, le bâtiment inauguré en 1953 n’est plus que l’ombre du projet de 1936 et ne paraît plus en adéquation avec les besoins de l’établissement, comme la Sorbonne un demi-siècle plus tôt... Plus que d’autres types d’édifices, les constructions universitaires scientifiques sont rapidement frappées d’obsolescence, caractéristique qu’elles paraissent partager avec les architectures hospitalières.

72Plans par dizaines jamais suivis d’exécution, projets grandioses qui rétrécissent à force de chantiers languissants et de politiques d’aménagement erratiques, bâtiments venus trop tard et construits pour les générations qui les ont précédés : jusqu’aux atteintes faites au paysage parisien au nom de la Science, tout cela se retrouve à Jussieu. Sauf peut-être ce qui constitue le dernier acte de cette histoire, d’autant moins aisé à écrire pour l’historien qu’il s’y trouve contraint au journalisme et à l’observation directe, faute d’archives « ouvertes » (non qu’elles soient « interdites », mais tout simplement parce qu’elles sont « courantes »).

73En 1996 –mais depuis combien de temps ne s’en doutait-on pas ?– une histoire d’architecture universitaire et d’aménagement urbain rejoint un problème majeur de santé publique qui devient bientôt un scandale d’État. Comme l’a montré Sonya Bertrand, la publication du rapport de l’INSERM concernant les effets de l’amiante sur la santé intervient au moment où est déjà organisé sur le site un « collectif amiante ». Alors que les retombées du rapport constituent un fait majeur de l’actualité au printemps et durant l’été 1996, l’affaire de Jussieu, entretenue par les annonces de déménagements en catastrophe, prend la forme d’un feuilleton durable, ponctué d’articles fréquents, mais plus brefs que ceux traitant du rapport127. Au-delà du déménagement et des risques encourus par les populations vivant sur le campus, la question de sa démolition est posée... Mais peut-on supprimer une des plus importantes concentrations de scientifiques en France et laisser sans locaux des établissements dotés d’une renommée internationale établie ?

74Le désamiantage semble en définitive une solution plus appropriée128, et elle trouve un début de concrétisation le 17 janvier 1997 avec la création de l’Établissement public du campus de Jussieu. Outre l’assainissement des locaux, cette nouvelle structure est en charge de toutes les opérations devant permettre la continuité de la vie sur le site, depuis le relogement provisoire des unités jusqu’à la rénovation des édifices. À la même époque, le programme de construction U3M, dont une des priorités est le retour des universités dans les centres urbains, permet à l’Université Paris VII d’envisager une nouvelle implantation pour tous ses services129. La partie méridionale de la ZAC de Paris Rive Gauche en est le site130, les vestiges des Grands Moulins de Paris en sont les bâtiments phares, ceux qui abritent la bibliothèque qui a si longtemps fait défaut à l’université.

75Quant au site de Jussieu, désormais dévolu à la seule université Paris VI131, il fait l’objet d’un programme d’aménagement complexe, protéiforme, échelonné sur près de vingt ans mais toujours difficilement lisible à ce jour alors que de nombreuses constructions provisoires liées au désamiantage occupent les espaces libres. Un tel pullulement n’est pas dépourvu de charme, mais parait laisser entier le problème jamais résolu de la relation entre le gril, objet de toutes les attentions, et les constructions antérieures, encore délaissées. Le campus est d’abord travaillé sur sa périphérie, avant que ne soit traité son agencement interne. Deux bâtiments à usage d’enseignement, l’un de type industriel132, l’autre apparaissant comme un geste architectural de prestige133, s’accrochent aux barres inachevées à l’est. Sur la façade nord, les pignons laissés nus sont flanqués de pavillons, sans doute inspirés de ceux de Nouvel pour le concours de 1992, qui abritent des résidences pour chercheurs et étudiants134. Enfin, les opérations de rénovation du secteur ouest consistent en la création de deux axes de circulation se coupant à angle droit, l’un d’entre eux prenant naissance au niveau de la rue des Fossés Saint-Bernard et gagnant le niveau de la dalle par un long plan incliné, tandis que l’autre, sous la forme d’une rue intérieure fermée, accueillerait notamment les services de la scolarité et de la vie étudiante. Deux nouvelles bibliothèques sont les principaux équipements créés dans ce secteur135. Faut-il s’en étonner ? Un groupement d’architectes qui a écrit quelques-unes des grandes pages de la réhabilitation des châteaux industriels, Reichen et Robert, est le maître d’œuvre de cette opération. Plus que d’une rénovation, il s’agit d’une transformation radicale, trente ans après l’abandon du chantier.

76La reconstruction presque intégrale de la tour, la partie la plus visible du campus dans l’espace parisien et la moins aimée certainement, montre mieux encore que le désamiantage ne se limite pas à une simple opération d’assainissement. Thierry Vand De Wingaert, en la rendant translucide et lumineuse à la fois, a su, sans pastiche ni désir de restauration –au sens Violletleducien du terme, conférer à la tour le caractère inspiré qu’Albert avait souhaité pour elle, tout en en faisant l’emblème du renouveau de Jussieu.

Bibliographie

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Notes de bas de page

1 Gady, 1998, p. 33.

2 On fait remonter au Second Empire les premiers projets, attribués à Haussmann, pour l’installation de la Faculté des Sciences sur le site de la Halle aux vins. Louis Liard évoque cette idée dans son ouvrage : Liard, 1909, p. 97. La longue histoire de « Jussieu avant Jussieu » ayant fait l’objet d’une conférence, nous ne la reprendrons pas ici. Le texte de cette intervention sera prochainement mis en ligne sur le serveur d’archives ouvertes HAL-SHS : « Jussieu avant Jussieu : genèse de la Faculté des Sciences de la Halle aux vins (1860-1962) », communication au séminaire d’Alice Thomine-Berrada, EPHE (IVe section), 9 mai 2006.

3 Sur le projet lui-même, voir l’article de Marrey, 1975, repris dans Marrey 1993, p. 32-51.

4 Les deux dernières parties du présent article ont été publiées sous une forme abrégée en 2007 : « Jussieu l’inachevée : cinquante ans de projets pour la Faculté des Sciences de Paris-centre », Livraisons d’histoire de l’architecture, « Architectures de l’enseignement supérieur », no 13, 1er semestre 2007, p. 23-51.

5 Arch. nat. 2003 0410 89. Programme des besoins auxquels doit répondre la nouvelle Faculté des Sciences sur le terrain de la Halle aux Vins.

6 Arch. Nat. 2003 0410 89. Programme des besoins auxquels doit répondre la nouvelle Faculté des Sciences sur le terrain de la Halle aux Vins, « Reconstruction de la Faculté des Sciences. Principes d’une reconstruction ».

7 Arch. Nat. 2003 0410 89. Programme des besoins auxquels doit répondre la nouvelle Faculté des Sciences sur le terrain de la Halle aux Vins : « en quarante ans, la surface couverte a augmenté de 260 %. Il paraît raisonnable d’adopter au moins le même taux d’accroissement pour la deuxième moitié de vingtième siècle... ».

8 Arch. Nat. 2003 0410 89. Programme des besoins auxquels doit répondre la nouvelle Faculté des Sciences sur le terrain de la Halle aux Vins.

9 Arch. Nat. Cartes et plans. VA 206 112. Université de Paris. Nouvelle Faculté des Sciences. Plan daté de décembre 1943.

10 Arch. Nat. 2003 0410 89. Conseil de l’Université de Paris, séance du 26 juin 1944. Extrait du procès-verbal. Le conseil de l’Université se garde bien de trancher et renvoie la question à l’arbitrage du Ministre secrétaire d’État de l’Éducation nationale et des pouvoirs publics.

11 Arch. Nat 2003 0410 89. Comité d’aménagement de la Région parisienne, procès-verbal de la séance du 12 février 1951.

12 Arch. Nat. VA 206.

13 Arch. Nat 2003 0410 89. Comité d’aménagement de la Région parisienne, procès-verbal de la séance du 12 février 1951.

14 Arch. Nat. 2003 0410 89. Exposé des difficultés de la Faculté des Sciences devant le manque de locaux, p. 4.

15 Arch. Nat. 2003 0410 89. Exposé des difficultés de la Faculté des Sciences devant le manque de locaux, p. 8. « Le projet de la Halle aux Vins considéré comme seul possible s’avère terriblement compliqué. Sa réalisation sera d’une lenteur désespérante ».

16 Arch. Nat. 2003 0410 89. Exposé des difficultés de la Faculté des Sciences devant le manque de locaux, p. 11.

17 Journal Officiel de la République française du 8 février 1953. Chapitre 66.13.

18 Arch. Nat. 2003 0410 89. Exposé des difficultés de la Faculté des Sciences devant le manque de locaux, p. 12.

19 Arch. Nat. 2003 0410 89. Service des Mines de Paris, note sur l’aptitude à la construction de terrains situés dans les communes de Bagneux et de Bourg-La-Reine, datée du 15 janvier 1954.

20 Arch. Nat. 2003 0410 89. Exposé des difficultés de la Faculté des Sciences devant le manque de locaux, p. 12.

21 Arch. Nat. 2003 0410 89. Lettre du doyen de la Faculté des Sciences J. Péres au Recteur de l’Académie de Paris, datée du 18 mai 1954.

22 Arch. Nat. 2003 0410 89. Lettre du doyen de la Faculté des Sciences J. Péres au Recteur de l’Académie de Paris, datée du 18 mai 1954.

23 Il s’agit du bâtiment Félix Esclangon. Voir : « L’inauguration des laboratoires Félix Esclangon » Annales de l’Université de Paris, 27e année, no 2, avril-juin 1957, p. 204-205. La construction de cet édifice a d’abord été étudiée par le Conseil général des bâtiments de France : Arch. nat. (CHAN), F 21 6673.

24 Commencés en 1958, il seront achevés en 1961. Voir : Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Il s’agit des bâtiments ABC (sur le quai) et F (sur la rue), toujours en service aujourd’hui.

25 Urbain Cassan (1890-1979), architecte de la compagnie des Chemins de fer du Nord, architecte-conseil d’EDF, directeur général de la construction au Ministère de la Reconstruction, secrétaire général du conseil supérieur de l’Ordre des architectes. On lui doit notamment, dans le domaine des constructions universitaires, la Faculté d’Orsay. Il est également l’auteur de l’hôpital Beaujon et de l’hôpital de Lille.

26 Louis Madeline a construit avec Jean Walter et Jacques Debat-Ponsan la Faculté de médecine de la rue des Saints-Pères à Paris.

27 René Coulon a notamment travaillé dans le secteur industriel (sidérurgie, Charbonnages de France, Saint-Gobain). Dans le domaine des constructions universitaires, on lui doit la Faculté des Sciences d’Orsay et le campus d’HEC à Jouy-en-Josas.

28 Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Faculté des Sciences, étude de plan d’ensemble.

29 Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Université de Paris, nouvelle Faculté des Sciences, étude de plan d’ensemble.

30 Marrey, 1975, repris dans Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque, Paris, Sens et Tonka, 1993 p. 32-51, p. 35.

31 Marc Zamansky (1915-1996). Normalien et mathématicien, il commence sa carrière à Lille et participe à la résistance dans le Nord occupé. Il devient en 1961 doyen de la Faculté de sciences de Paris.

32 Pour des descriptions complètes du projet architectural voir : Marrey, 1975, repris dans Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque, Paris, Sens et Tonka, 1993, 251 p., 1993, p. 32-51, et Schneyder et le Chevalier, 1967, p. 209-219, repris dans Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque, Paris, Sens et Tonka, 1993, 251 p., p. 16-31. Voir aussi la synthèse de Delanes, 1999 p. 199-206.

33 Sur le principe de la dalle, voir : Lefebvre, 2003, p. 185-188.

34 Marrey, 1993, p. 32-51, p. 38-39.

35 Cette vision s’appuie sur les travaux d’économistes, notamment ceux de Jean Fourastié. Le IVe Plan de modernisation de la France prévoit le doublement du niveau de vie en quinze ans, entre 1960 et 1975. Cela suppose une croissance comparable du nombre d’ingénieurs, de cadres, de chercheurs, de techniciens et d’enseignants. Poullain, 1961, no 4, p. 8-10.

36 On reconnaît là la perception –et la construction– par les élites de cette nouvelle catégorie sociale, en partie sous l’influence du modèle américain. Voir : Boltanski, 1982. Voir plus particulièrement : « Les universités et les entreprises » (p. 354-358) et « La modernisation de l’université (p. 358-364).

37 Zamansky, 1961, p. 5-7, p. 6.

38 Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Programme pédagogique de Marc Zamansky pour la Faculté des Sciences [1962].

39 Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Programme pédagogique de Marc Zamansky pour la Faculté des Sciences [1962].

40 Sur la construction sociologique du conflit des facultés, voir : Bourdieu, 1984, p. 56-96.

41 Marc Zamansky écrit le 6 décembre 1962 à Malraux : « On peut espérer faire face dans d’assez bonnes conditions aux énormes besoins de l’enseignement supérieur parisien. Je ferai de mon côté tout le nécessaire pour que l’ensemble qui sera construit ne soit pas seulement un ensemble utilitaire, sans aucune valeur esthétique. Ce dernier aspect sera étudié très soigneusement et je demanderai que vous puissiez intervenir dans les problèmes de décoration de toute nature. Je suis profondément persuadé qu’il est possible de créer dans le cadre du plan qui nous a été soumis un ensemble qui fera honneur à la capitale ». Malraux lui répond le 21 janvier 1963 : « Je pense que si la construction de bâtiments bas répond aux exigences fonctionnelles et de préservation du site, elle peut donner lieu également à une expression architecturale affirmant le caractère d’un ensemble aussi important et ayant une telle distinction ». Arch. nat. (CHAN), F 21 6673.

42 Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Procès-verbal de la séance du 25 avril 1963 du Conseil général des bâtiments de France. Repris partiellement dans : Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque, Paris, Sens et Tonka, 1993, 251 p., p. 13-15, p. 13.

43 Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Procès-verbal de la séance du 25 avril 1963 du Conseil général des bâtiments de France. Repris partiellement dans : Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque, Paris, Sens et Tonka, 1993, 251 p., p. 13-15, p. 14.

44 Aujourd’hui considéré comme faisant pleinement partie du patrimoine de l’Université Pierre et Marie Curie, cet ensemble d’œuvres d’art a fait l’objet d’un important travail d’inventaire et de mise en valeur. Pour une étude complète et détaillée des œuvres du site, voir : Roche, 2012.

45 Sur les décors de Jussieu, voir Marrey, 1993 op. cit., p. 39-46.

46 Robert Auzelle, dans les Annales de l’industrie du B.T.P. en novembre 1961. Cité dans : Oboussier, 1982, p. 70.

47 Laurent, 2002, p. 113-125. Les monuments en question sont Fontainebleau, Versailles, Vincennes, le Louvre, les Invalides, Chambord, et la cathédrale de Reims. Voir plus généralement la thèse de Xavier Laurent : Grandeur et misère du patrimoine : d’André Malraux à Jacques Duhamel, 1959-1973, préf. de Jean-Michel Leniaud, Paris, École des chartes et Comité d’histoire du Ministère de la Culture, 2003, 380 p.

48 Institut français d’architecture (IFA), 133 IFA – 2/7. Dossiers de la Direction de l’architecture et du patrimoine, dossier Édouard Albert, p. X.

49 Institut français d’architecture (IFA), 133 IFA – 2/7. Dossiers de la Direction de l’architecture et du patrimoine, dossier Édouard Albert, p. XVIII.

50 Sur la fondation de Paris VII, voir : Marie-Claire Hoock-Demarle, La galaxie Diderot, les lettres et les sciences humaines à Paris 7-Denis Diderot, Paris, Syllepse, 2004, 286 p., p. 25-54.

51 Certaines lettres des archives du Rectorat donnent une idée du climat de l’époque : « J’ai réuni les directeurs d’UER de mon université (...). Ils souhaitent en effet voir s’établir une séparation entre les deux universités, eux qui souffrent d’une imbrication démentielle entraînant une contagion dangereuse et un voisinage intolérable. (...) Vous savez que Paris (...) veut être une université sérieuse et calme. Les directeurs d’UER y sont aussi déterminés que moi-même, eux qui souffrent plus que moi de certaines proximités ». Lettre d’un président d’université au directeur de cabinet du ministre de l’Éducation nationale, 9 novembre 1973. Archives du Rectorat, SCARIF, archives du site de Jussieu, boite no 8.

52 Voir la lettre du ministre de l’Éducation nationale du recteur de l’Académie de Paris, datée du 18 mars 1971. Archives du Rectorat, SCARIF, archives du site de Jussieu, boite no 8.

53 Archives de l’Université Paris VII, boite no 53-9. Répartition des locaux des deux universités en 1981.

54 Archives de l’Université Paris VII, boite no 53-11. Répartition des locaux de l’Université Paris VII en 1991.

55 Archives de l’Université Paris VII, boite no 53-9. Répartition des locaux des deux universités en 1981.

56 La Faculté, entièrement construite, était prévue pour l’accueil de 27 000 étudiants. Dans les années quatre-vingt, la population du site dépasse les 40 000 puis 50 000 personnes.

57 Arch. nat. (CHAN), F 21 6673. Lettre de l’architecte Urbain Cassan au recteur de l’Académie de Paris, datée du 7 juillet 1971.

58 Entretien avec un chercheur au laboratoire de zoologie, cité dans : Art et architectures. Bilan et problèmes du 1 %, ministère d’État aux Affaires culturelles - centre national d’art contemporain, Paris, 1970, n. p. Nous remercions Olivier Azzola, responsable des archives de Paris VII, pour la communication de ce document.

59 Cette inadéquation de l’œuvre à l’usager est parfois exprimée sur un mode mineur à travers un phénomène rumoral : il s’agirait alors d’une architecture prévue pour d’autres hommes sous d’autres cieux. Jussieu partage avec d’autres universités (comme celle du Mirail à Toulouse) cette rumeur qui en fait un édifice conçu pour l’Afrique du Nord (d’où les toits plats) et que l’on aurait construit finalement en France, après la décolonisation, sans songer à l’adapter au climat francilien.

60 « L’architecture de Jussieu », Le Saprophyte, le journal de Paris VII, janvier 1973, p. 5-10. Nous remercions Oliver Azzola, responsable des archives de Paris VII, pour la communication de ce document tout à fait exceptionnel.

61 Quelques « beaux morceaux » dans l’article de Michel Rat (membre de l’Alliance Marxiste Révolutionnaire) : « (...) Sans souci du froid et du vent traversant de part et d’autre cet immense morceau de gruyère, ne permettant aucun lieu de concentration des étudiants et du personnel, ramenant les distributeurs de tracs professionnels aux dures luttes des bolcheviks de Sibérie orientale » ; et plus loin : « Le problème politique essentiel étant donc ici le problème de la concentration. Rappelons que Jussieu est le symbole du point où peuvent aller le capitalisme et la technocratie pour réduire les luttes en général (...), et l’acquis du mouvement ouvrier et révolutionnaire dans les pays capitalistes avancés (la concentration) : ramenant le sujet révolutionnaire à cette maladie mentale qu’est l’égocentrisme, soutenu par son alibi philosophique : l’individualisme ». Michel Rat, « Jussieu à démolir », Le Saprophyte, le journal de Paris VII, janvier 1973, p. 3.

62 « L’architecture de Jussieu », Le Saprophyte, le journal de Paris VII, janvier 1973, p. 5-10, p. 6.

63 « L’architecture de Jussieu », Le Saprophyte, le journal de Paris VII, janvier 1973, p. 5-10, p. 7.

64 « L’architecture de Jussieu », Le Saprophyte, le journal de Paris VII, janvier 1973, p. 5-10, p. 5.

65 « L’architecture de Jussieu », Le Saprophyte, le journal de Paris VII, janvier 1973, p. 5-10, p. 10.

66 Il est frappant de constater que le vice-chancelier des universités et les deux présidents concernés, dans leur préface à l’ouvrage publié en 1993 lors du concours pour la bibliothèque, exaltent la vitalité intellectuelle du campus, mais ne parviennent guère à parler avec enthousiasme des lieux : froideur, isolement, courant d’air... Se retrouvent sous une forme atténuée les critiques des autres usagers, y compris celle qui vise les toilettes ! Javoy, 1993, p. 58-63.

67 Hamon, Rotman, 1988.

68 http://jussieu.golgothe.net/.

69 http://chiottes.jussieu.free.fr/. En guise d’introduction ce petit texte avertit le visiteur : « Comité d’Hygiène Irrité par les Odeurs Terrassantes et autres Traces ou Effluves Suspectes... de Jussieu. Voilà quelques photos des toilettes de notre chère fac. Si vous ne connaissez pas Jussieu nous vous invitons à découvrir ce diaporama ; si vous étudiez, enseignez ou travaillez à Jussieu, nous vous invitons à redécouvrir ces toilettes que vous vous évertuez à fuir ».

70 Voir : Bertrand, 1997.

71 Oboussier, 1982.

72 Marrey, 1975, p. 100-107.

73 Schneyder, le Chevalier, 1967, p. 209-219.

74 Abram, 1999, p. 190.

75 Griotteray, 1996, p. 25.

76 Monnier, 1996, p. 4.

77 Monnier, 1996, p. 4.

78 Réau, 1994, p. 949. En dessous d’une émouvante photographie des chais aux noms pittoresques, la vue en contre-plongée d’une des barres des Cassan, et non du gril d’Albert, sert effectivement de repoussoir.

79 Réau, 1994, p. 949.

80 Gady, 1998, p. 222.

81 Gady, 1998, p. 33.

82 Griotteray, 1996, p. 25.

83 Service constructeur de l’Académie de Paris créée par l’arrêté du 8 juin 1965. Ultérieurement dénommé SCARP, il devient le SCARIF (pour « académies d’Île-de-France ») par arrêté du 8 mai 1981.

84 Archives de l’Université Paris VII, fonds Pierre Barrat, boite no 15. Le « Centre scientifique international du Quartier Latin », projet d’achèvement du campus universitaire Jussieu (Paris-centre).

85 Le plan Université 2000 mis en place en 1990 a pour objectif de faire face à une forte croissance des effectifs universitaires et aussi d’opérer certains rééquilibrages qualitatifs et quantitatifs : entre l’Île-de-France et les régions, entre grandes villes et villes moyennes, entre filières d’enseignement, l’accent étant mis sur le développement des cursus scientifiques, techniques et professionnalisés.

86 Selon la nomenclature en usage pour désigner les bâtiments de Jussieu, il s’agit des barres 11-12, 12-21, 22-21 et de la cour 11-22 (« grand U », de la barre 42-52 et de la cour 42-53 (« grand L ») et de la barre 64-65, de la demi-barre 64-54 et de la cour 54-65 (« petit l »). Archives du Rectorat, SCARIF, archives du site de Jussieu, boite no 8. Lettre du secrétaire d’État aux universités au recteur de l’Académie de Paris, datée du 1er août 1974.

87 Concours pour la construction de deux bibliothèques, présentation générale du concours, deuxième cahier, p. 32. Document transmis par Madame Arlette Pailley-Katz et Madame Catherine Tresson. Je tiens à les remercier pour la communication de cette documentation.

88 Archives de l’Université Paris VII, fonds de la présidence, document non coté (« travaux 1976-1980 et constructions 1975-1980 »). Lettre du président de l’Université Paris VII au secrétaire d’État aux universités, datée du 19 juillet 1974.

89 Archives de l’Université Paris VII, fonds de la vice-présidence chargée des locaux, boite no 30. Copie d’une lettre du président de l’Université Paris VI au recteur de l’Académie de Paris, avril 1982.

90 Archives du Rectorat, SCARIF, archives du site de Jussieu, boite no 13. Lettre de Constantin de Gortchakoff au directeur du SCARIF, datée du 10 mars 1982.

91 En 1966, on cherche déjà à habiller le pignon nu de la barre ABC, qui fait face à l’île Saint-Louis. Il est alors question d’une mosaïque inspirée d’une œuvre de Fernand Léger. Archives du Rectorat, SCARIF, archives du site de Jussieu, boite no 6. Note anonyme datée du 14 octobre 1967.

92 Archives de l’Université Paris VII, document non coté. Projets anciens pour Jussieu (1984-1993).

93 À une échelle plus modeste, ce travail fait penser au projet du même Jean Nouvel pour l’aménagement de la ZAC de Paris Rive Gauche : la BNF est insérée dans un immense jardin d’où émergent quelques « châteaux » industriels conservés, les constructions nouvelles sont rejetées vers la périphérie du site. Sur ce projet : Morgan, 1999 Morgan, 2001-2002, Paris, Centre Pompidou, 2001, n.p.

94 Archives de l’Université Paris VII, fonds de la vice-présidence chargée des locaux, boite no 30. Parachèvement du campus Jussieu, compte rendu de la réunion du 14 décembre 1982.

95 La décoration de sa façade serait confiée à un artiste pour un budget maximal de 400 000 francs. Archives de l’Université Paris VII, fonds de la vice-présidence chargée des locaux, boite no 32. Projet de consultation d’artistes pour l’aménagement d’un pignon du campus de Jussieu, juillet 1984.

96 Archives de l’Université Paris VII, fonds Pierre Barrat, boite no 15. Projet de construction de 20 000 m2 sur le campus Jussieu, 19 octobre 1988.

97 Archives de l’Université Paris VII, locaux et cadre de vie, aménagement du campus (1989-1991), boite no 576. Lettre du directeur du SCARIF J.-P. Grunspan à la présidente de l’Université Paris VII et note jointe, datées du 24 mars 1988.

98 « La suggestion d’un point fort à la pointe nord-est à l’angle Cuvier Saint-Bernard peut redonner à cet espace neutre, une hiérarchie dans la découverte de ses vues. C’est pourquoi il est nécessaire d’adopter pour ce secteur nord-est une hauteur suffisamment importante pour apparaître comme une valeur d’appréciation et de référence capable d’assurer une meilleure découverte à un espace qui, aujourd’hui, ne comporte ni entrée, ni sortie ». Archives de l’Université Paris VII, locaux et cadre de vie, aménagement du campus (1989-1991), boite no 576. Diagnostic sur le campus Jussieu, par Michel Autheman, 25 juillet 1988.

99 Il faut citer pour mémoire le projet de D. et A. Sloan, présenté en mars 1989, mais qui ne semble se rattacher à aucune réflexion institutionnelle : un grand bâtiment courbe, de même hauteur que les constructions du gril, en épouse toutes les infractuosités, depuis le parvis de l’IMA jusqu’à l’angle des rues Jussieu et Cuvier. Archives de l’Université Paris VII, locaux et cadre de vie, aménagement du campus (1989-1991), boite no 576.

100 Concours pour la construction de deux bibliothèques, présentation générale du concours, deuxième cahier, p. 38.

101 Archives de l’Université Paris VII, fonds Pierre Barrat, boite no 15. Campus Jussieu, projet de centre scientifique international Quartier Latin, avril 1992.

102 Jean Nouvel veut faire émerger la « symbolique navale » cryptique de ces constructions en révélant, à l’aide de superstructures, leur silhouette de porte-avions. Javoy, 1993, p. 58-63, p. 63. Les planches du projet de Jean Nouvel sont présentées en illustration du texte de Marc Javoy. Voir aussi : Goulet, 1994, p. 42-43.

103 Voir : Christian Hottin, « Compte rendu du colloque Les Français et leurs archives », p. 4. Notice HAL-SHS : http://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00087967.

104 Entretien avec Arlette Pailley-Katz et Catherine Tresson, novembre 2006.

105 Crosnier, Radlak, 1993, p. 104-112, p. 109. À titre de comparaison, les préconisations pour les bibliothèques littéraires en Angleterre et aux États Unis sont d’une place pour quatre étudiants....

106 En 1989 on pense installer une bibliothèque plus vaste (1 500 m2) dans la barre 54-55, mais l’idée fait long feu... Entretien avec Arlette Pailley-Katz et Catherine Tresson, novembre 2006.

107 Crosnier, Radlak, 1993, p. 104-112, p. 110-112.

108 Crosnier, Radlak, 1993, p. 104-112, p. 105.

109 Les professions de foi des candidats et les documents de présentation sont reproduits dans l’ouvrage Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque (Paris, Sens et Tonka, 1993, 251 p.) aux pages 126 à 243.

110 Pour une synthèse sur les projets : Attali, 1993, p. 118-125.

111 Madame Albert juge cette liberté préférable à des interdictions, « l’œuvre de son mari ayant déjà été largement bafouée par la réalisation de la tour centrale ». Archives de l’Université Paris VII, boite no 58 - 2. Campus de Jussieu, concours pour la construction de deux bibliothèques universitaires, procès verbal du jury (19 et 24 novembre 1992), daté du 4 février 1993.

112 Sur les rapports entre ces deux architectes, voir : Tabet, 1996.

113 Fromonot, 2005.

114 Jean Nouvel, « Le vide est une vertu », Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque, Paris, Sens et Tonka, 1993, 251 p., p. 144-162, p. 144. Comme au temps d’Albert, une citation baudelairienne s’impose en exergue de son texte : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes... ».

115 Outre OMA - Rem Koolhaas, il s’agit de Jacques Hondelatte, Pierre du Besset associé à Dominique Lyon, Toyo Ito et Coop Himmelblau.

116 Enfin, deux équipes récusent cette alternative. Herzog et de Meuron ferment au sud et à l’ouest l’espace libre avec deux bibliothèques distinctes, donnant naissance à une grande cour intérieure traitée en jardin. Architecture studio tourne le dos au gril et préfère investir la base de la barre donnant sur le quai pour offrir aux lecteurs une large vue sur le fleuve... Mais ce projet laisse irrésolue la question des relations entre les édifices à l’intérieur du quadrilatère.

117 Fromonot, 2005, p. 68.

118 Jean Attali, pour la commission « Accueil et vie sociale » écarte Nouvel mais plébiscite Koolhaas, tandis que M. Tonka, rapporteur pour « Architecture - relation avec l’œuvre d’Albert et pertinence du projet » met en avant le schéma de Jean Nouvel et Emmanuel Cattani. Archives de l’Université Paris VII, boite no 58 - 2. Campus de Jussieu, concours pour la construction de deux bibliothèques universitaires, procès verbal du jury (19 et 24 novembre 1992), daté du 4 février 1993.

119 Le président de Paris VII fait part de sa « grande déception », celui de Paris VI « confirme ces propos ». Archives de l’Université Paris VII, boite no 58 - 2. Campus de Jussieu, concours pour la construction de deux bibliothèques universitaires, procès verbal du jury (19 et 24 novembre 1992), daté du 4 février 1993.

120 Lors des débats, Michel Melot, alors vice-président du Conseil supérieur des bibliothèques, écarte le projet de l’OMA « qui n’est pas adapté à une bibliothèque mais à un musée » et « présente de graves problèmes de fonctionnement ». Archives de l’Université Paris VII, boite no 58 - 2. Campus de Jussieu, concours pour la construction de deux bibliothèques universitaires, procès verbal du jury (19 et 24 novembre 1992), daté du 4 février 1993.

121 Entretien avec Arlette Pailley-Katz et Catherine Tresson, novembre 2006.

122 OMA - Rem Koolhaas et Christophe Corubert, [« Projet pour les bibliothèques de Jussieu »], Campus universitaire de Jussieu, naissance d’une grande bibliothèque, Paris, Sens et Tonka, 1993, 251 p., p. 126-143, p. 126.

123 Entretien avec Arlette Pailley-Katz et Catherine Tresson, novembre 2006.

124 Devenu le SCAP (Service constructeur de l’Académie de Paris), il a précédemment occupé les dernières constructions datant de la Halle aux vins, mais l’IMA a été édifié à leur emplacement.

125 Archives de l’Université Paris VII, fonds de la vice-présidence chargée des locaux, boite no 44. Projet Erasmus (1993-1995), SCAP, compte rendu de la réunion du 30 juin 1993.

126 Hottin, 2007, p. 74-97.

127 Bertrand, 1997.

128 Le fantasme de la destruction réapparaît toutefois à l’occasion. Ainsi, Le canard enchaîné publie des extraits d’un rapport de l’Inspection des finances préconisant la destruction de la tour plutôt que son désamiantage, pour des raisons d’économie. Le canard enchaîné, 27 avril 2005.

129 La présidence de Paris VII souligne dans les documents d’information sur ce projet que l’extrême imbrication des services à Jussieu est une des causes majeures de son désir d’autonomisation. En 1997 ce projet est déjà bien lancé. Archives de l’Université Paris VII, document non coté. « Une université dans la ville », daté de décembre 1997.

130 Notons qu’au même moment le CNRS envisage de se doter d’un campus de recherche à l’autre extrémité de Paris, sur les friches industrielles de l’île Seguin. Île Seguin, campus de recherche sur les mondes et l’international, CNRS - Sciences humaines et sociales, 23 p. (Documentation interne).

131 Un troisième établissement scientifique, l’Institut de physique du globe, est présent sur le site. Il est prévu de l’implanter dans l’îlot Cuvier, dont ne seraient conservées que quelques parties anciennes, telles que le pavillon d’entrée et celui des Curie. « Implantation sur l’îlot Cuvier de l’Institut de Physique du Globe de Paris et de la bibliothèque des Sciences de l’Univers », document du Bureau d’information de l’EPA Jussieu, février 2004.

132 Il s’agit du bâtiment Esclangon, élevé à l’emplacement des laboratoires du même nom. Il est l’œuvre d’Alain Sarfati. « Esclangon. Construction d’un nouveau bâtiment sur le campus », document du bureau d’information de l’EPA Jussieu, novembre 2000.

133 D’une surface de 16 000 m2, il est destiné à l’accueil des étudiants de premier cycle et est conçu par l’Agence Périphériques. « Un bâtiment pédagogique de 16 000 m2 sur le campus », document du bureau d’information de l’EPA Jussieu, juin 2003.

134 « La rénovation du secteur ouest du campus de Jussieu », document du bureau d’information de l’EPA Jussieu, février 2005.

135 Ces travaux entraîneront inévitablement le déplacement ou la destruction de certaines œuvres d’art, telles que les mosaïques de Lagrange sur la dalle...


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