Lecture. Campus, An American Planning Tradition, par P. V. Turner

Catherine Compain-Gajac

p. 17-32


Texte intégral

Image 1000000000000323000002650DC8B8BD501D9094.jpg

1Comment aborder l’architecture des campus universitaires de l’époque contemporaine sans en référer à l’histoire plus générale de cette typologie architecturale particulière. C’est aux États-Unis, dès le XVIIe siècle, qu’elle trouve incontestablement une part de ses origines profondes et de ce point de vue, l’œuvre de Paul Venable Turner, professeur d’histoire de l’architecture à l’université de Stanford, ne peut être ignorée. Quelques pages pour évoquer son ouvrage, « Campus, An American Planning Tradition » nous paraissent indispensables à la compréhension du propos qui sera développé ensuite1.

2C’est dans le modèle universitaire britannique que Paul Turner situe l’origine du campus universitaire américain. L’auteur caractérise ainsi l’image du campus par le regroupement, dans un même site, de tout ce qui est nécessaire aux études, à la manière d’un village, avec des habitations, des distractions, etc.

3Au fil de l’histoire, le campus américain s’est ensuite doté de caractères propres comme l’autonomie géographique parfois donnée aux colleges au sein des universités ou encore leur localisation rurale, voire en pleine nature, avec pour objectif de préserver les étudiants des corruptions de la ville. Ainsi l’université représente-t-elle une cité miniature, objet d’une recherche architecturale propre et le mot Campus a fini, au-delà de son étymologie, par définir un objet spécifique, identifié à de multiples titres, notamment architecturaux.

4Aux États-Unis, les études sur la planification des campus sont apparues dans les années 1980 et elles ont montré que leur conception et leur architecture ont été principalement influencées par celles de la Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure par celles de l’Allemagne, mais très peu par celles des pays latins européens. De ce vaste sujet, Paul Turner a choisi d’étudier quelques exemples.

5En introduction Paul Turner présente la physionomie générale de l’université britannique à la veille de la colonisation américaine. L’ouvrage s’organise en sept chapitres, correspondant à sept étapes fondamentales, depuis 1640, quelques années après l’installation des premiers colons, jusqu’aux années 1980. Il dresse ainsi un panorama documenté de l’histoire des universités américaines et plus particulièrement de la notion de campus :

  • L’université coloniale,

  • Les écoles d’une nation nouvelle,

  • L’expansion et la création d’un mythe,

  • L’université démocratique,

  • L’université comme « city beautiful »,

  • Le quadrilatère monastique et les idéaux universitaires,

  • Dynamisme, changement et renouveau.

L’UNIVERSITÉ COLONIALE

6Au début de la colonisation, l’importance donnée à l’éducation s’illustre par le nombre, la dissémination et la physionomie stricte, aux lignes épurées, des bâtiments universitaires. En 1640, la Nouvelle-Angleterre comptait déjà neuf établissements, dont Harvard et Yale, dont les bâtiments étaient parmi les plus grands de la colonie. Dans un esprit influencé par l’église presbytérienne, ces universités étaient situées en pleine nature pour éviter la corruption de la ville. Leur architecture, assez diverse, montrait quelques exemples de quadrilatères ouverts, des structures en village ou en bâtiments longs, uniques, ou multiples et alignés. La plupart comportaient de grands espaces verts, comme par exemple à Princeton. Ce sont ces espaces verts qui donneront probablement naissance à l’expression de campus. Un modèle architectural s’élabore alors, qui sera fréquemment adopté et dont les universités de Harvard, Yale, William and Mary et Princeton seront les archétypes.

7Située sur les hauteurs des rives de la Charles River à Cambridge, près de Boston, construite de 1638 à 1642, l’université de Harvard tient son nom de son bienfaiteur, J. Harvard, qui lui légua une grande partie de ses propriétés et de sa bibliothèque. Son terrain en longueur tenait sa forme des lots attribués aux colons pour l’élevage et la culture (yards). Le mot yard sera employé pour définir les espaces universitaires avant d’être supplanté par l’expression campus. Le bâtiment comprenait deux niveaux. Le premier niveau était destiné à la vie du collège, et le second comportait la bibliothèque et les chambres où logeaient de deux à quinze étudiants. L’université ne comportant pas de chapelle propre, les offices étaient suivis dans celle du village. L’architecture de Harvard comportait deux traits originaux :

  • son plan suivait la forme du E, ouvert, donc éloigné du quadrilatère britannique

  • son développement était prévu, non par l’extension du bâtiment initial, mais par la création de bâtiments nouveaux. On a pu voir, dans ce choix, l’influence de l’opposition de l’église presbytérienne à la tradition catholique ou anglicane, et sa volonté de préserver l’esprit de « communauté ». Par ailleurs, en se dotant de différents colleges, Harvard, se dotait de facto du statut d’université. Un siècle plus tard, la reconstruction des bâtiments révélait une conception correspondant à un plan à long terme et non à la satisfaction d’un besoin immédiat. En effet, le premier bâtiment fut conçu comme le repère d’un plan-masse organisé autour d’une cour à trois côtés. Le choix de conserver le schéma quadrangulaire ouvert montrait l’influence de l’Emmanuel College où J. Harvard avait été élève. Toutefois, au XVIIIe siècle, des unités distinctes ayant été ajoutées avec de nouveaux bâtiments à fronton orientés vers l’Ouest et la ville, on a pu constater qu’elles n’étaient pas intégrés dans ce schéma quadrangulaire.

8De fait, initialement inspirée du rectangle ouvert des universités britanniques, mais comportant rapidement des bâtiments distincts ouverts sur la ville ou la nature, l’université américaine à l’époque coloniale commençait à se doter de caractéristiques propres.

9Située en Virginie, avant même la construction d’un village et au milieu de plantations, dans ce qui deviendra plus tard Williamsburg, l’université William and Mary fut conçue par James Blair, prêtre anglican délégué de l’église de Londres en Virginie, avec l’appui du gouverneur Nicholson. Son plan était préconçu. Influencé par l’architecture d’Oxford, il respectait le principe du rectangle fermé. Deux des côtés furent initialement construits, le collège dans l’aile nord et les habitations dans le bâtiment principal à trois étages. Brûlée en 1705, reconstruite, à nouveau incendiée, l’université William and Mary adopta finalement une architecture éloignée du rectangle traditionnel. Bien qu’auteur d’Oxford et Cambridge, son concepteur, Christopher Wren, désapprouvait l’architecture traditionnelle des collèges britanniques, lui préférant un style baroque, avec logique axiale et points de vue significatifs. Il conçoit alors trois édifices distincts, un principal et deux de moindre importance2, axés par rapport à la ville de Williamsburg. On dira de cet exemple qu’il est significatif d’une architecture universitaire qui s’intègre comme composante d’une planification urbanistique générale.

10Ainsi, bien que l’ouverture sur la communauté humaine reste la référence essentielle, Harvard et William and Mary se distinguent elles, par la différence de traitement volumétrique des bâtiments.

11La volonté du Connecticut de se doter d’une université indépendante de celle d’Harvard et la mise à disposition du terrain sont à l’origine de la création de l’université de Yale à New Haven. Sans doute sous l’influence de références bibliques, l’urbanisme de la ville était organisé géométriquement, en neuf carrés, le carré central étant occupé par l’église, le bâtiment de l’université faisant face à celle-ci. Le peintre J. Trumbull et le trésorier du collège, J. Hillhouse, conçurent l’université selon un rythme binaire, composée de cinq bâtiments alignés comprenant chapelle, halls, dortoirs, bibliothèque, etc. À l’intérieur, l’architecture innovait, avec des suites pour étudiants, intégrant la chambre et le lieu d’étude. Avec des arbustes isolant les bâtiments et des parcours tracés en allées irrégulières, le paysage jouait un rôle très important.

12Avec Yale, on dispose du premier plan-masse d’une université aux États-Unis et, bien qu’ils dussent être détruits au début du XIXe siècle, ces bâtiments constituèrent, dans leur organisation linéaire, un modèle pour de très nombreuses autres universités aux États-Unis. Avec l’université William and Mary, celle de Yale est donc partie prenante d’une conception urbanistique d’ensemble.

13Enfin, créée en 1753 par des étudiants de Yale et conçue par l’architecte de Philadelphie, R. Smith, l’université de Princeton fut implantée dans un milieu rural sur des terrains offerts par des locaux, à l’écart de la principale route d’un petit village. Le bâtiment à fronton, de très grande taille, était conçu de manière simple et multifonctionnelle. Considéré comme une référence, il sera considérablement imité.

14À cette époque, l’usage du mot Campus se développe au point qu’au milieu du XIXe, il sera employé pour désigner presque toutes les universités américaines (plus de trois cents).

15Ainsi, à la fin de la période coloniale, les bâtiments des universités américaines montraient-elles à peu près toutes les caractéristiques communes suivantes : une implantation dans la nature, loin des tentations de la ville mais avec une ouverture sur celle-ci et une emprise foncière considérable, propre à l’esprit d’expansion colonial.

LES ÉCOLES D’UNE NATION NOUVELLE

16Après la Guerre d’indépendance, un débat fut lancé sur ce que devait être le système éducatif d’une nouvelle république et un grand nombre d’universités furent construites. Ce sont désormais des architectes, animés des principes propres à leur art, qui vont les concevoir. Quarante-cinq universités, réparties dans tout le pays ont ainsi été construites au fur et à mesure de son expansion. Considérées comme des « institutions-frontière », leur développement était en outre stimulé par la compétition entre groupes religieux. Ainsi un débat important se développait-il sur la nature de l’institution, sur ses aspects pédagogiques et sur l’éducation. En matière d’architecture, ces universités étaient de style très divers.

17L’université de Caroline du Nord semble avoir été la première à concevoir une formule fondée sur le principe de deux rangs d’immeubles parallèles formant, entre eux, un mall. Ce mall plan, adopté ensuite sous une forme un peu différente, dite en fer à cheval, par l’université de Caroline du Sud, devint, pour de nombreuses années, un modèle en matière d’architecture universitaire.

18À la fin du XVIIIe siècle, Samuel Knox conçut un projet d’université nationale qui ne fut jamais réalisé mais qui avait l’originalité de proposer des bâtiments rectangulaires, emboîtés les uns dans les autres.

19L’architecture commandée par l’université de Harvard à C. Bulfinch était également originale. D’un style en rupture avec l’architecture coloniale antérieure, elle s’intégrait dans un masterplan qui dépassait le champ de la stricte architecture des édifices.

20L’architecte B.H. Latrobe a incarné une nouvelle génération d’architectes qui proposèrent de nouvelles conceptions des campus universitaires. Auteur de huit universités et de divers bâtiments publics, Latrobe adopta un style caractérisé par un bâtiment central généralement surmonté d’un dôme et flanqué de deux ailes. D’inspiration européenne et originale à plusieurs titres3, cette architecture aura une forte influence sur la physionomie des universités américaines, en particulier celle de Virginie conçue par Thomas Jefferson, sans toutefois jouer un rôle directeur dans le processus général de conception et d’organisation des campus.

21Situé à Schenectady dans l’État de New York, l’Union College, conçu en 1813 par l’architecte français J.-J. Ramée, avait été fondé en 1795. Cet ambitieux campus incarnait les rêves visionnaires de la jeune république pour ses universités. En effet, dès ses débuts, il a véhiculé une conception ouverte et moderne de l’éducation. E. Noot, son président pendant plus de soixante ans, promouvait une université dans laquelle professeurs et étudiants devaient cohabiter, à l’écart du monde, dans une atmosphère familiale. Cette philosophie influencera considérablement la plupart des universités américaines. Le campus de l’Union College se compose de bâtiments reliés par des arcades autour d’une immense cour en demi-cercle au centre de laquelle se trouve un édifice surmonté d’un dôme imitant le Panthéon.

22Fondée et conçue par Thomas Jefferson, architecte et ancien président des États-Unis, et édifiée en 1825 à Charlottesville au terme de sept ans de travaux, l’université de Virginie comportait de nombreuses similitudes avec l’Union College. Elle montrait en effet une alternance de bâtiments destinés aux professeurs et aux étudiants, répartis de part et d’autre d’un mall, à l’extrémité duquel se trouvait un édifice surmonté d’un dôme, faisant fonction de bibliothèque. Jefferson souhaitait une université conçue comme un village américain, composée d’édifices modestes répartis sur de grands espaces. Cette organisation correspondait à une vision émergente de l’éducation américaine, à la fois progressiste et soucieuse d’efficacité, mais aussi familiale et susceptible de protéger les étudiants des « tentations du monde ». Sans doute influencé par ses séjours en Europe, notamment en France, et en réaction à l’architecture du William and Mary college où il avait fait ses études, Jefferson conçut ainsi un campus composé de neuf pavillons de styles différents reliés par des arcades.

23Cette architecture aura également une grande influence, mais assez tardive (XIXe siècle), sur celle des autres universités.

L’EXPANSION ET LA CRÉATION D’UN MYTHE

24Jusqu’à la guerre civile, l’université, comme la société américaine, vécut une crise provoquée par l’extension des frontières du pays et caractérisée, en matière d’éducation, par la lutte entre congrégations religieuses. Alors que le système éducatif restait ultraconservateur, les universités connurent, à cette époque, des problèmes de violence et de désordre qui se sont parfois illustrés par le recours à une architecture de style carcéral4. En réaction, et parallèlement au cursus officiel, les étudiants développèrent eux-mêmes un enseignement plus ouvert et plus pratique au sein de fraternités. Pour sa défense, l’université revendiqua sa vocation à promouvoir les idéaux américains et elle mit en exergue les vertus de la vie collective et d’une méritocratie égalitaire. Ces orientations eurent une influence sur l’architecture des campus du milieu du XIXe siècle.

25Au début du XIXe siècle, les idéaux de la Grèce antique devinrent aussi une référence commune à la République américaine : démocratie, sagesse, pureté, indépendance, se devaient d’être les vertus d’une « Nouvelle Athènes ». Ces principes exercèrent une influence considérable sur l’architecture des universités. La symétrie des bâtiments, qui adoptaient volontiers la forme de temples à portiques et colonnades, prit un caractère systématique.

26À cette même époque, l’attirance pour la nature5 devint également un critère déterminant pour la situation et la conception des universités. C’est ainsi que naquit l’expression et l’image du college-on-the-hill, à laquelle résistèrent seulement quelques universités d’influence catholique romaine qui conserveront une localisation citadine.

27Le renouveau gothique apparut en 1830. Son application à l’architecture des universités, principalement les établissements sous influence religieuse, avait pour but de donner un sentiment d’ancienneté et de respectabilité dans un pays neuf. On n’en abandonna pas pour autant les principes du schéma ouvert. Ce style gothique affichait une promesse de pérennité de l’institution universitaire, qualité que l’on ne reconnaissait pas aux premiers bâtiments universitaires américains, considérés comme excessivement utilitaires. Il proliféra littéralement.

28Au XIXe siècle, des universités de toute taille se multiplièrent ainsi aux États-Unis. Caractérisés par leur aspect monumental, leurs bâtiments n’étaient pas toujours en rapport avec les besoins vrais des états ou villes concernés, et contrastaient avec les modestes moyens fournis à l’enseignement lui-même. Il y eut floraison d’architectes spécialisés dans la conception des universités.

L’UNIVERSITÉ DÉMOCRATIQUE

29En 1862, une réforme des universités américaines, qui s’opposait à l’élitisme en vigueur, orienta l’enseignement vers plus de démocratie et de professionnalisme. Suivi par Harvard et Yale, le collège militaire de West Point fut le premier à enseigner des matières scientifiques. Cette orientation influença directement l’architecture des universités avec plus de simplicité fonctionnelle et une organisation modulaire des bâtiments. On suivit alors les principes adoptés par les high schools, en plein essor.

30Quant à l’accès des femmes à l’enseignement universitaire, il n’apparut qu’au milieu du XIXe siècle, avec les collèges d’Oberlin et d’Antioch dans l’Ohio. Le principe de la mixité de l’enseignement suscitant de nombreuses réticences, on lui préféra des établissements purement féminins.

31L’exemple le plus célèbre est celui de Vassar, à Poughkeepsie (N.Y.). Plus encore que pour les universités masculines, l’accent était mis sur la nécessité de préserver les étudiantes des tentations de la ville et de recréer pour elles une atmosphère familiale. Cela conduisit à adopter un style architectural dans lequel toutes les fonctions étaient rassemblées dans un même édifice, assez monumental, ou bien dans des édifices étroitement reliés.

32En 1862, une loi accorda à chaque État des terres du gouvernement fédéral, le produit de leur vente devant être consacré à la création d’universités agricoles et technologiques, les Land Grant Colleges. L’architecte paysagiste F. L. Olmsted conçut ainsi la future Université de Berkeley, à San Francisco. Pour lui, les universités ne devaient être situées, ni dans des lieux reculés, ni au centre des villes, mais à leur périphérie. Pour Berkeley, il imagina une organisation qui incluait des zones résidentielles, avec des petites routes reliant les différents ensembles et de nombreux espaces verts propices aux activités physiques. Les étudiants étaient logés dans des résidences collectives pour vingt et quarante personnes, comportant des parties communes. Mais à Amherst (Massachusetts), à Cornell (Ithaca, N.Y.) ou à Orono, l’université du Maine, pour lesquelles Olmsted avait repris le schéma conçu pour Berkeley, son projet fut refusé ou ses idées ne purent pas non plus être complètement mises en œuvre. Elles eurent cependant une influence sur la conception de nombreux Land Grant Colleges, notamment ceux du Michigan, de l’Iowa et du Kansas. Cela tenait sans doute à la dilection des Américains pour les vertus de la nature et des grands espaces, au caractère commode, car évolutif, d’un dispositif composé de nombreux petits édifices, mais aussi, de manière plus originale, à la rencontre de ce type d’architecture avec les besoins des fraternités d’étudiants, alors en plein développement.

33Jusqu’au milieu du XIXe siècle, les activités sportives étant généralement jugées incompatibles avec une bonne éducation, ce n’est que vers 1850 que leur pratique entraîna la construction de gymnases sur la plupart des campus. Les sports collectifs, susceptibles de valoriser les colleges, notamment les Land Grant Colleges, par rapport aux établissements plus prestigieux, connurent le plus grand succès et, consommateurs d’espace, ils favorisèrent la localisation d’universités en milieu rural.

L’UNIVERSITÉ COMME « CITY BEAUTIFUL »

34À la fin du XIXe siècle, on prit conscience qu’il était indispensable d’améliorer le contenu de l’enseignement dans les colleges. On les voulait plus scientifiques et professionnels, et l’on s’orienta vers le modèle germanique, en donnant priorité au contenu de l’enseignement, sans se préoccuper à l’excès de l’architecture, considérée comme accessoire.

35Cette tendance fut illustrée au Massachusetts Institute of Technology à Boston ou au college John Hopkins de Baltimore (Maryland), composé d’immeubles semblables à d’autres au sein même de la ville. Elle aurait pu annoncer la disparition même du collegiate system traditionnel, mais, si les exigences d’un meilleur enseignement étaient appelées à perdurer, l’esprit du collegiate system était ancré dans les esprits américains.

36Les deux tendances fusionnèrent donc, pour contribuer à la création de véritables universités. Par leur taille et la diversité des formations et services qu’elles offraient, celles-ci nécessitaient une véritable réflexion sur leur conception. Le changement d’échelle ne permettait plus qu’on emploie la métaphore du village : l’université nouvelle devait être conçue comme une véritable cité. Après l’exposition universelle de Chicago de 1893, les États-Unis connurent un engouement pour le style « Beaux-arts » et ses modèles d’organisation urbaine enseignés à Paris. Ce style inspira le mouvement City Beautiful et exerça une grande influence sur l’architecture des universités américaines. Celles-ci bénéficiaient alors du développement des donations privées6 et on vit émerger des styles particuliers, voire disparates dans les établissements déjà existants. Quelques exemples majeurs, comme ceux de Stanford (Palo Alto), de Chicago ou de Columbia (New York) ont ainsi préfiguré un style qui allait devenir commun à de nombreux projets d’universités américaines.

37À Stanford, si le master plan fut confié à F.L. Olmsted, et l’architecture des bâtiments à C.A. Coolidge, la conception de l’université fut influencée par son donateur, L. Stanford. L’université révéla un style monumental, adoptant le schéma quadrangulaire fermé avec arcades, organisé autour de grands axes nord-sud et est-ouest. Mettant fin à l’idéal de village d’Olmsted, l’ensemble constituait une véritable cité universitaire.

38À Chicago, dans un contexte très urbain, J.D. Rockefeller laissa une large marge de manœuvre aux concepteurs qui purent combiner leur goût pour les principes germaniques d’enseignement avec le respect du collegiate system américain. Cela conduisit à la construction de logements pour les étudiants dans l’enceinte de l’université, avec une ouverture de l’établissement sur la ville. En raison de la multiplicité des besoins à satisfaire, l’architecte I. Cobb conçut un schéma excessivement chargé en bâtiments d’un style pittoresque, dont la référence au style Beaux-arts était assez limitée.

39Le principe du concours d’architectes se généralisa. À New York, C.F. McKim conçut, dans un style correspondant aux canons de l’école des Beaux-arts, un schéma quadrangulaire, avec entrée sur une cour d’honneur donnant elle-même sur une bibliothèque surmontée d’un dôme. L’extension de Berkeley, dont le cahier des charges était lui-même très influencé par l’école des Beaux-arts, fut dotée d’un prix de 200 000 $, l’ambition affichée étant de créer une cité de la connaissance. La quasi-totalité des compétiteurs provenait de l’école des Beaux-arts et le prix fut attribué au français É. Bénard dont le projet constituait un archétype des principes de cette école. Mais le projet fut influencé par J.G. Howard chargé de son exécution, qui adopta le schéma du mall central flanqué des bâtiments d’enseignement et terminé par un édifice couvert d’un dôme.

40Cette nouvelle réminiscence de l’université de Virginie allait devenir la référence commune de l’organisation des campus universitaires de cette époque.

41Au début du XXe siècle, on plaide pour la généralisation du master plan dont on pense qu’il est seul capable de donner des réponses architecturales conformes aux besoins nombreux et variés d’une université. Berkeley et Columbia sont citées en exemple. Les vertus de l’esthétique architecturale sont vantées comme une illustration du goût des États-Unis pour le progrès de la connaissance. Mais le débat persiste. Tandis que les tenants du style Beaux-arts font la promotion de modèles susceptibles de répondre à toutes sortes de problématiques, défendent l’organisation axiale et contribuent à l’édification de campus au style inspiré de monuments parisiens7, d’autres architectes défendent le campus américain traditionnel.

42Oublié durant de nombreuses années, le modèle de l’université de Virginie fut redécouvert vers 1900. En opposition à celui de l’école des Beaux-arts, ce style ne suivait pas le principe d’unité. Afin de répondre aux besoins nombreux et variés des universités nouvelles, il fallait en effet organiser l’occupation d’espaces considérables

43Les architectes associèrent donc les deux écoles. Ils introduisirent de nouveaux axes, dans les constructions anciennes comme nouvelles8, orientés parfois en diagonale9, ainsi que des cours supplémentaires entourées de nouveaux édifices, en prévoyant de grands parcs à la française10 ou bien en combinant rotonde Jeffersonienne et cour d’honneur11.

44L’école des Beaux-arts mettant l’accent sur le schéma général des constructions (master plan) plus que sur l’architecture des immeubles, son influence ne faisait donc pas obstacle à l’adoption de styles variés et plus conformes à la part de goût américain pour l’austérité. Lorsqu’il devint prédominant, la question des campus existants fut considérée comme un véritable enjeu. Les solutions envisagées allaient de la destruction radicale de l’existant à la réorganisation de constructions nouvelles, en passant par le camouflage végétal, voire le déplacement, pierre par pierre, d’immeubles entiers. Certaines universités, initialement conçues selon un plan géométrique, connurent ainsi des modifications destinées à les doter de la symétrie axiale prônée par l’école des Beaux-arts12 et suivant généralement la tendance City Beautiful.

LE QUADRILATÈRE MONASTIQUE ET LES IDÉAUX UNIVERSITAIRES

45Avec le développement des grandes universités, le début du XXe siècle vit renaître l’engouement pour l’esprit collégial et culturel. Un enseignement plus élitiste et général au sein d’unités pédagogiques restreintes fut à nouveau prôné car il était censé favoriser l’émergence de communautés sociales parmi les étudiants non encore diplômés (undergradutate). Le système d’éducation anglais fut ainsi remis en vigueur dans certaines universités, comme Princeton, Yale ou Harvard. À cette évolution correspondait un nouvel engouement pour le mode architectural du quadrilatère monastique. Conforme à une vision plus élitiste de l’enseignement, on le pensait capable de favoriser la vie communautaire et on le crut capable de maintenir une discipline que le système « ouvert » avait mise à mal. La question du logement des étudiants était en partie résolue par les fraternités.

46À cette époque, l’architecte anglican R.A. Cram, conservateur et promoteur du style gothique, œuvrait pour le retour aux valeurs morales anglo-saxonnes traditionnelles. Condamnant le style Jeffersonien et estimant qu’un collège devait tenir en partie du monastère, il réintroduisit le quadrilatère fermé dans l’architecture de Princeton.

47Bien que peu répandue dans l’organisation des colleges américains, cette structure en quadrilatère fermé connut quelques exemples au XIXe siècle et au début du XXe siècle, comme à Yale, ou au Trinity College de Hartford.

Image 100000000000031E00000197395D26A01C822E63.jpg

Université de Fredonia, (New-York), I.M. Pei, Plan de circulation

Image 10000000000003200000020CE9892D52F14B608A.jpg

Behavioral Sciences Building, W. Netsch Campus, Chicago, 1966. In Historic Netsch Campus at UIC

Image 100000000000032100000118A7BA8E01260544EB.jpg

Massachussets Institute of Technology, Baker House, A. Aalto, 1949

48Des critiques en architecture comme A. Willard plaidaient avec force pour le quadrilatère traditionnel. Il fut parfois associé avec le goût pour la symétrie de l’école des Beaux-arts. Cela lui conférait un caractère plus régulier et géométrique que son modèle anglais. On le vit aussi se combiner avec le goût pour le néo-gothique, dans un compromis entre médiévalisme et classicisme, au Reed College de Portland (Oregon).

49Cependant, la mise en œuvre de ces projets oubliait souvent la fermeture du quadrilatère et révélait la force de rémanence du schéma américain traditionnel.

50En adoptant la référence au quadrilatère, les jeunes architectes W. Cope et J. Stewardson conçurent une œuvre originale. Ainsi, à Bryn Mawr, collège de jeunes filles de Philadelphie, bordèrent-ils l’extrémité sud d’un alignement irrégulier de constructions, rompu par deux entrées surmontées d’une tour. Pour l’université de Pennsylvanie, ils conçurent des logements pour étudiants en quadrilatères irréguliers et à l’université Washington du Missouri, ils imaginèrent un plan où des constructions en quadrilatères irréguliers succèdaient à des édifices organisés de manière axiale, selon le principe de l’école des Beaux-arts.

51À la fin du XIXe siècle, Princeton incarnait la tendance conservatrice de l’éducation universitaire et portait les idéaux d’un système collégial isolé du monde extérieur, élitiste et totalement consacré aux études, selon les principes prônés par Woodrow Wilson. Les bâtiments, dont la personnalité anglo-saxonne était mise en exergue par un style gothique, y formaient la limite extérieure d’une véritable ville. R.A. Cram, en charge de la supervision des constructions sur le campus, appréciait le caractère irrégulier des schémas de Cope & Steward son, qui ne suivaient qu’en partie l’axialité préconisée par l’école des Beaux-Arts et qui servaient le goût de W. Wilson pour le style gothique et le schéma en quadrilatère. Le graduate college de Princeton en est un exemple parfait. À cette époque, à Princeton, C. Klauder était un fervent défenseur du style gothique : dans ses réalisations, dortoirs et réfectoires d’étudiants étaient organisés en quadrilatères fermés, dominés par une tour et agrémentés d’un authentique cloître. Ultérieurement, Klauder conçut de nombreux bâtiments universitaires dans ce style, dont la Cathédrale de la Connaissance, un immeuble de quarante-deux étages édifié à l’université de Pittsburgh, est la plus spectaculaire illustration. Mais Klauder pouvait aussi adopter d’autres styles, comme à Boulder (Colorado), où il conçut un plan-masse qu’il qualifia d’Italien rural où les bâtiments, de style varié et rustique, étaient organisés selon les axes préconisés par l’école des Beaux-arts. L’architecte estimait qu’il était indispensable de programmer et de planifier la construction des colleges. Bien qu’attaché au quadrilatère médiéval, il faisait preuve de pragmatisme et estimait que le style architectural devait être adapté au contexte.

52C’est dans cet esprit que l’architecte J.G. Rogers édifia un complexe de résidences pour étudiants à Yale. Les bâtiments, d’un style gothique proche de l’outrance, y étaient organisés en fonction des besoins, avec une certaine variété. Le quadrilatère médiéval était ainsi redevenu une référence quasi générale.

53Dans les années 1930, il apparut nécessaire de donner aux résidences d’étudiants une taille plus modérée, plus appropriée à l’idéal d’une communauté universitaire. Cette tendance fut illustrée à Yale par la construction de huit colleges à l’identité distincte. De même, on construisit à Harvard six colleges dans un style proche de la tradition américaine.

Image 10000000000001A30000013D2E146BB7187624BC.jpg

Florida Southern College, F.L.Wright, 1938 : Bibliothèque, salle de lecture.

Image 100000000000017B0000019045F5264CE70BB3D8.jpg

Florida Southern College, F.L.Wright, 1938 : promenade couverte entre les bâtiments.

Image 10000000000001A4000001FE0F0E88E949A23472.jpg

Harvard Graduate Center, Walter Gropius, 1950

Image 100000000000017B000001A8A6D8661FD1FE9664.jpg

Black Mountain College, Walter Gropius, Marcel Breuer, 1939 : : in Black Mountain Bauhaus : The Gropius-Breuer Design for Black Mountain College par Charles Lee Sparkman III, 2009

Image 100000000000032200000181068B2393A02CE30A.jpg

Massachussets Institute of Technology, Kresge Auditorium, MIT, E. Saarinen, 1953-55

54La disposition des dortoirs était devenue le centre des préoccupations architecturales de l’époque. On en fit le sujet d’articles et de livres.

55Ces quelques exemples d’une organisation plus « domestique », de logements plus modestes, comme au Swathmore College de Pennsylvanie, ne mettaient en cause, ni la prédilection pour le quadrilatère fermé, ni la référence persistante à la symétrie axiale des bâtiments prônée par l’école des Beaux-arts.

DYNAMISME, CHANGEMENT ET RENOUVEAU

56De nouveau, après la Seconde Guerre mondiale, l’enseignement universitaire aux États-Unis connut des changements considérables. Le nombre des étudiants avait explosé. Le contenu des enseignements s’était diversifié et les universités s’associaient à des travaux de recherche et de développement. Surtout, la voiture envahissait le paysage. La planification des campus était devenue complexe et il fallait renouveler la réflexion sur leur construction, par une approche plus souple.

57Par son pragmatisme, le mouvement de l’architecture moderne était bien adapté aux besoins nouveaux des universités, mais il ne s’imposa que tardivement dans les campus, dont les autorités étaient plutôt conservatrices. Les promoteurs du nouveau courant architectural entretenaient un débat proche du conflit avec ces autorités, vantant sans nuance les mérites du Bauhaus de Walter Gropius et condamnant l’aberration du style gothique. Cette opposition était plus sensible du point de vue de l’architecture des bâtiments eux-mêmes qu’au niveau du plan-masse. On voit ainsi que l’Illinois Institute of Techonology de Chicago, conçu par L. Mies van der Rohe, moderne dans le style de ses bâtiments, ne renie pas, dans son organisation, les principes axiaux de l’école des Beaux-arts.

58Ce nouveau courant s’illustra dans la conception de quelques colleges de taille modeste (Goucher College de Baltimore, ou Southern College de Floride, conçu par F.L. Wright en 1938). Ne se souciant que modérément du plan-masse, F.L. Wright choisit des édifices variés, disposés irrégulièrement, de manière à apporter une souplesse inconnue de l’école des Beaux-arts ou du style gothique.

59Quant au projet de W. Gropius pour le Black Mountain College (Caroline du Nord), composé d’une série d’édifices de formes variées, au bord d’un lac, il se révéla typique de la réponse de l’architecture moderne aux principes nouveaux de l’enseignement universitaire aux États-Unis. La guerre empêcha son achèvement.

60À cette époque, la modification la plus importante du campus planning consista en l’abandon des grands schémas globaux préétablis au profit de dispositifs souples permettant l’évolution de la structure des campus. J. Hudnut, au sein de l’école du design de Harvard, fut l’un des premiers à énoncer les principes de ce nouveau concept et le Massachusetts Institute of Technology en vit la mise en œuvre, à travers les bâtiments conçus par A. Aalto et E. Saarinen.

61C’est à Yale que cette méthode fut systématisée. De nombreux architectes, libres d’exprimer leurs propres idées et leur talent, y furent appelés à concevoir des édifices.

62Ces principes furent également adoptés par des universités comme celle de Brandeis (Massachusetts), ou par l’académie de l’US Air Force (Colorado). Ils furent théorisés dans un ouvrage de R.P. Dober, paru en 1963 et intitulé « Campus Planning ».

63L’aménagement et la programmation des campus y étaient envisagés, non dans un but de cohérence de style ou d’uniformité, mais comme une méthode permettant de répondre à des besoins nouveaux et imprévisibles, sans considération pour un schéma final. Dober concevait cet aménagement comme un jeu de modules par fonctions (enseignement, bibliothèque, logement, sport, etc.), le positionnement des modules dépendant de son interrelation avec les autres modules à un moment donné, et pouvant être modifié.

64Ces principes architecturaux avaient ainsi pour ambition de répondre à une université d’après-guerre devenue complexe, dynamique et imprévisible.

65La notion de mouvement était une donnée importante des principes architecturaux du Bauhaus. W. Gropius considérait que le Harvard Graduate Center, dont on lui avait confié la réalisation en 1949, incarnait ce principe. Le développement de la circulation automobile posait à la conception des campus des problèmes que les architectes tentèrent de régler en concevant notamment des contournements routiers, assortis de parkings. Le but était de préserver la nature piétonne du cœur des universités et, de fait, les liaisons piétonnes furent l’objet d’une attention particulière.

66Ainsi, par exemple, pour la conception du Visual Arts Center de Harvard (1959), Le Corbusier perça-t-il le bâtiment d’une rampe traversante tandis que I. M. Pei, pour le Collège de l’Université d’État de Fredonia (New York) combinait un système routier circulaire avec une épine dorsale piétonnière.

67En 1966, au Toogaloo College (Massachusetts), G. Bickerts fit l’expérience d’un système à plusieurs plans, le plan inférieur étant consacré à la circulation automobile, le plan intermédiaire aux études et le plan supérieur aux logements. Ce projet illustrait l’idée de l’aménagement d’un campus comme celui d’une ville et répondait au problème croissant du manque de place pour les universités.

68Dans ces projets, l’organisation fonctionnelle était privilégiée au détriment de l’identité des enseignements. Cette « faiblesse » était assumée au nom d’une similitude avec la vie réelle (cf. O. Newman, 1966). Le cas de l’université de Chicago en constitue un exemple. Construite en 1966 près du centre-ville, au cœur d’un nœud routier, elle prétendait, selon son concepteur W. Netsch, reconstituer le micro-environnement d’une ville typique du XXe siècle. Organisée sur plusieurs niveaux, dont le niveau supérieur était piétonnier, elle suivait le principe de la fonctionnalité globale, au détriment de l’identité des enseignements, et compensait ce défaut en offrant des lieux de rencontre informels. Le caractère très urbain, dur et inflexible de ce concept, bien éloigné du campus traditionnel, lui valut de vives critiques.

69À partir de cette époque, beaucoup d’universités furent organisées en fonction des exigences de la circulation.

70À l’université de Governor State (Illinois, 1969), l’identité et des besoins spécifiques des facultés qui la composaient prévalaient, mais la mise en place de structures fonctionnelles communes illustrait l’esprit d’ouverture et d’égalitarisme en vigueur.

71À cette époque, le style urbain et concentré représentait une tendance générale, même pour de petites universités. La tendance allait pourtant s’inverser.

72Dans les années cinquante et soixante, l’accroissement du nombre et surtout de la taille des universités posait des problèmes auxquels on apporta, en Californie, une réponse comparable à celle que proposait E. Howard au siècle précédent avec sa « cité jardin ».

73À l’université de Santa Cruz, on imagina un système de facultés en clusters. Des unités d’enseignement autonomes, composées d’immeubles de dimensions modestes distribués autour d’un parc dans le respect d’un environnement naturel exceptionnel, regroupaient élèves et professeurs.

74À cette époque, le schéma général des campus (master-plan) est devenu plus important que l’architecture des bâtiments. Typiques de l’idéalisme des années soixante, les campus devaient favoriser l’épanouissement personnel des étudiants et l’exercice d’une vie communautaire. Au Kresge College, les architectes W. Turnbull et C. Moore invitèrent les étudiants à participer à la conception du campus. La méthode produisit une morphologie des édifices très diverse et symbolique de cet état d’esprit, avec des façades ornées d’hypergraphismes, des arches, des rues, des places, des lieux d’habitation individuels ou collectifs, etc.

75Ainsi, au-delà de l’influence des idées des années soixante, le campus retrouvait-il d’une certaine manière les idéaux utopistes du village académique, du cadre familial et de l’intégration dans la nature propres au college américain de W. Jefferson ou d’E. Nott.

76Dans les années quatre-vingt, la situation des Community Colleges, anciens Junior Colleges, dut être définie. Il s’agit d’universités qui offrent aux étudiants la possibilité d’obtenir un diplôme deux ans après leur sortie de la High School. Les Community Colleges connaissaient alors un développement considérable (six-cents en 1977). L’organisation de leurs campus a été influencée par le fait que ces établissements n’offraient généralement pas de capacités d’hébergement. Ils devaient donc être moins isolés et mieux desservis.

77Le campus de Foothill College, (1959, San Francisco) a longtemps été considéré comme le modèle de ce concept. Dans un environnement naturel, mais proche des voies de communication, il comportait une série de bâtiments à vocation diverse. Leur organisation, offrant des espaces ouverts de taille variée (petites places, auditoriums) qui les rapprochaient des villages universitaires de la tradition américaine, facilitait la circulation automobile. D’autres campus, comme celui du comté de Pima (Arizona), allèrent plus loin encore en créant des « maisons d’étudiants ». D’autres encore, comme le campus du Cypress College (Californie), accordaient une place prédominante à la desserte automobile. Pour préserver la vie sociale sur les grands campus, notamment dans un environnement urbain, on fit appel à des schémas d’aménagement sur plusieurs niveaux. On organisait aussi les bâtiments autour d’espaces de vie communautaire, comme sur les campus du Miami Dade College (Floride), du Hunter College (New York) ou de l’université d’État de Cleveland (Ohio).

78À cette même époque, alors que le développement de l’enseignement universitaire aux États-Unis rendait caducs les principes de l’école des Beaux-Arts ou le goût pour le quadrilatère médiéval, les architectes s’attachaient paradoxalement à la réinterprétation du passé dans l’exercice de leur art.

79E. Saarinen illustra cette tendance en 1960, dans deux nouveaux colleges de Yale. Sans être de style gothique, les bâtiments se rapprochaient, dans leur disposition, leurs formes et leur volume, des constructions existantes. Malgré la réaction des modernistes, la mode se répandit, sous des formes diverses : organisation de l’espace, forme et couverture des bâtiments, volumes, matériaux, etc. On vit apparaître des schémas symétriques pourtant condamnés jusque-là (campus d’Albany à l’université de l’État de N.Y.), des plans Jeffersoniens (campus de l’université du sud Massachusetts), ou même le quadrilatère médiéval (collège de l’université de Postdam, N.Y.).

80Dans les années 1970, la fin de la croissance des universités, la réduction des crédits et le goût naissant pour la préservation du patrimoine confirmèrent cette orientation. Les théoriciens du campus planning portèrent leur attention sur l’utilisation possible de bâtiments non-universitaires (usines, entrepôts et même chapelles) et surtout sur l’exploitation des bâtiments existants sur les campus. La tradition gothique reprit vigueur.

81En 1984, époque à laquelle il écrivit son ouvrage, P. Turner considérait que, les universités ne connaissant plus le rythme de croissance des années soixante/soixante-dix, la conception des campus devait être désormais considérée comme relevant de l’histoire.

82Le campus universitaire n’avait, en effet, pas seulement été perçu comme une réponse technique aux besoins physiques des universités, mais avait servi des idéaux d’enseignement et, plus généralement, des objectifs sociétaux.

83En conséquence, l’extrême variété des expressions architecturales, au cours des siècles, ne devait pas être considérée comme révélatrice de simples modes, mais plutôt comme le résultat de l’évolution des principes d’éducation aux États-Unis. Tous les campus peuvent faire valoir une identité propre, qui reflète, à travers leur agencement général, leur architecture ou même les deux, les idéaux d’éducation qui ont animé l’université à une époque et dans un lieu donnés.

84Selon P. Turner, l’architecture incarne l’esprit d’une université et doit être perçue, à ce titre, comme un élément du patrimoine de l’institution. C’est la raison pour laquelle elle mérite d’être prise en compte et préservée dans les réflexions et projets qui concernent l’aménagement futur des campus.

85En conclusion, Paul V. Turner évoque les deux caractéristiques qu’il estime essentielles pour définir le campus américain.

86D’une part, il montre que l’ouverture vers l’extérieur et l’installation et la construction en espaces ouverts doivent être considérées comme le facteur historique commun à l’organisation spatiale des campus américains, et ce, quelle qu’ait pu être l’influence du quadrilatère médiéval.

87Il observe, d’autre part, que le campus, terme qui illustre particulièrement l’idéal de l’Amérique pour l’éducation de ses enfants, est révélateur du pouvoir de l’environnement physique sur la personnalité d’une institution.

Notes de bas de page

1 Observations liminaires concernant la méthode de travail et le vocabulaire utilisés pour le résumé de l’ouvrage.
Méthode générale : Après une lecture attentive, le livre a fait l’objet d’un résumé, chapitre par chapitre. Des choix ont été faits entre ce qui paraissait au lecteur essentiel ou accessoire. Et, malgré son respect pour de la cohérence interne de l’ouvrage, il a pu commettre des erreurs, ou prendre des partis contestables.
En conséquence, le lecteur recommande aux personnes intéressées par l’ouvrage de se reporter à sa lecture intégrale, téléchargeable librement, sur le site de l’université de Stanford : http://searchworks.stanford.edu/view/1520907.
Traduction, vocabulaire : malgré une connaissance et une pratique raisonnables de l’anglais, le lecteur, auteur du résumé, ne saurait prétendre à la capacité de traducteur. Il s’est donc efforcé de prendre un parti acceptable de traduction, consistant, soit à conserver en italique l’expression d’origine en anglais, soit à employer les mots lui paraissant correspondre le mieux au sens recherché. Des choix ont notamment dû être opérés pour les termes suivants :
University, college, high school : il n’existe pas en français de terme correspondant exactement à ces entités. Le mot d’université a donc été employé chaque fois que l’expression du texte original paraissait, soit correspondre à la qualification générique d’un établissement d’enseignement supérieur, soit était l’expression même university. Dans les autres cas, on a utilisé le mot college en italique. L’expression college-on-thehill qualifie l’université en ce qu’elle représente un niveau supérieur et élitiste d’enseignement, par l’image de sa localisation. Le collegiate system est un ensemble des références morales, scientifiques et culturelles de l’enseignement et de la vie au sein des universités dans les civilisations anglosaxonne et américaine. Il met l’accent sur la capacité à vivre harmonieusement en société. Les land grant colleges sont des universités financées au moyen de la garantie offerte par des propriétés foncières d’État, transférées par le gouvernement fédéral au XIXe siècle aux différents États de l’Union. Le campus planning correspond à la conception, à l’aménagement et à la programmation de la construction d’un campus. Le mot dormitories correspond au dortoir au sens littéral, régulièrement utilisé pour traiter des lieux d’hébergement collectifs ou individuels des étudiants sur le site d’un campus. Les residences correspondent à la fois aux villages universitaires et qualifient aussi des ensembles d’habitations consacrées aux étudiants. Les greens, en contexte urbain, sont les espaces verts, souvent une pelouse, située au pied d’un bâtiment. Wilderness qualifie une nature sauvage et est traduit par espaces naturels. L’expression contemporaine « organe de gouvernance », pourrait traduire trustees, board of trustees. Le mall, très courant aux États-Unis, évoque un espace de promenade généralement bordé d’arbres alignés. Vient sans doute du français mail (promenade publique). Non traduit, le mot mall a été conservé. L’expression américaine coeducation définit l’enseignement supérieur mixte. Women’s colleges a été traduit par universités féminines ou universités pour jeunes filles. Athlectic campus a été traduit par campus sportif. Le City Beautifull est un mouvement architectural prônant les vertus de l’esthétique architecturale. Process a été traduit par procédé. Clusters est un groupe de bâtiments. Commuters signifie les personnes qui se déplacent de leur domicile à leur lieu de travail et n’a pas été traduit. Making the Big Small, titre d’un des sous-chapitres du chapitre VII du livre, pourrait être traduit par « Faire du petit avec du grand », ce qui n’est évidemment pas satisfaisant pour intituler la volonté des concepteurs de campus d’atténuer l’incidence du gigantisme des universités.

2 Composition qui pourrait correspondre à l’influence des maisons de campagne anglaises, elles-mêmes influencées par l’architecture palladienne du XVIe.

3 Notamment pour ce qui concerne les logements des étudiants – dormitories.

4 A.J. Davis.

5 Idée prônée par H.D. Thoreau.

6 Cornell, Vanderbilt, Rockefeller, Stanford, etc.

7 Comme le collège naval d’Annapolis.

8 Université de Virginie, American University de Washington.

9 Nouvelle université de Baltimore.

10 Architecte C. Gilbert, université du Minnesota.

11 MIT, Cambridge.

12 Hamilton College, université de Princeton.

Notes de fin

1 P. V. Turner, Campus, An American Planning Tradition, 1984, M.I.T. Press (Cambridge, Massachusetts and London, England) and the Architectural History Foundation (New York).


Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.