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Introduction générale
p. 11-16
Texte intégral
1Lorsque la Seconde Guerre mondiale s’achève, en 1945, un monde nouveau est appelé à se reconstruire. Le conflit laisse l’Europe et l’Asie dans un état de dévastation et l’ampleur des destructions ainsi que les pertes matérielles et économiques sont incommensurables. Il en résulte, à l’échelle de l’humanité, une grave crise morale.
2En France, la réaction des pouvoirs publics, stimulée par la fin du conflit, montre une grande détermination à remettre en place les outils institutionnels et à les développer. La nécessité de restaurer va ainsi provoquer l’avènement d’une période de croissance rapide de l’économie.
3De l’autre côté de l’Atlantique, l’Amérique, sortie relativement indemne du conflit, s’enrichit de la puissance de sa monnaie. Influente et admirée elle voit sa popularité prendre un essor considérable.
4Partout dans le monde, les profondes mutations qui résultent du conflit mondial vont accélérer la transformation de la société industrielle née du XIXe siècle.
5Ces nouvelles politiques, en permettant aux populations d’accéder à la modernité et au confort, connaîtront des effets rapides.
6De ces bouleversements sont nées les universités de la seconde moitié du XXe siècle. Riches d’une longue histoire qui, pour certaines universités européennes remonte au Moyen Âge, elles ont connu, à partir du milieu du XXe siècle un développement exponentiel. Grâce au développement urbain elles sont confrontées à une nouvelle échelle spatiale. Grâce à l’épanouissement de l’architecture moderne, elles prennent un nouveau visage.
7Rassemblés en campus comme dans les pays anglo-saxons ou bien disséminés et intégrés au cœur des villes, jusqu’au XIXe siècle, les bâtiments universitaires adoptent des formes variées. Une typologie architecturale se met en place, articulée autour de la prééminence de deux édifices aux fonctions essentielles, la bibliothèque et le grand amphithéâtre. En Europe, à cette époque, les facultés, insérées dans des tissus urbains remaniés, occupent désormais des locaux pensés et adaptés pour accueillir enseignements et étudiants.
8Après la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction des villes entraine l’évolution des paramètres d’urbanisation. Une réflexion nouvelle sur la place des facultés dans la ville se développe. La référence au modèle anglo-saxon du campus, développé en Amérique du Nord, est alors considérée comme un concept applicable.
9Par ailleurs, tant en Europe que dans les pays en voie de développement, l’établissement d’une grande université apparaît comme le moyen d’obtenir une reconnaissance.
10De là naitront, à l’échelle de la planète, les premiers ensembles universitaires du XXe siècle.
11Dans le même temps, l’histoire de l’architecture du XXe siècle accepte l’héritage des Modernes. Depuis les années 1930, en effet, les architectes fondateurs du Mouvement Moderne ont mis en œuvre une volonté quasi visionnaire de rendre la construction plus performante du point de vue de ses fonctions, plus efficace du point de vue de sa fabrication, moins couteuse et plus rapide à mettre en place sans négliger pour autant la place significative de la question de style et de l’esthétique. Pour se reconstruire, le monde de l’après-guerre va devoir prendre conscience de la nécessité d’en référer à ces idées nouvelles. Il fait appel aux architectes Modernes puis à leurs héritiers. Si le logement est le domaine essentiel de l’activité constructive à cette époque, les services et les institutions sont également concernés. Les campus universitaires, matière à projets innovants, occuperont alors une place de choix dans le domaine des projets architecturaux1.
12Au cours des trente années qui suivent la Seconde Guerre mondiale, les facultés vont ainsi progressivement se développer pour se transformer en ensembles universitaires étendus à l’extérieur des villes. De fait, ces nouveaux « campus » se sont installés sur de larges espaces, permettant aux architectes de donner libre cours à leurs idées, les incitant à de nouvelles expériences, permettant à une nouvelle architecture de se développer.
13Montrant parfois les réminiscences d’un régionalisme éclectique, affirmant souvent un parti néo rationaliste, héritière de l’époque Beaux-Arts, la forme architecturale des universités des années 1945/75 revendique pourtant une modernité largement adoptée et déclinée sous ses configurations les plus diverses. La géométrie des formes s’impose généralement, l’abstraction parfois même, avec des constructions rectangulaires, des toits plats, des fenêtres-bandeau, des pilotis, des charpentes métalliques, de vastes surfaces froides et vitrées. De nouveaux modes de construction, fondés sur la normalisation font leur apparition. Le béton est le matériau privilégié et pas seulement pour ses qualités constructives. Travaillé comme une matière, rugueux, il porte la trace du coffrage et, sous l’influence d’architectes de renom et très actifs comme Alison et Peter Smithson, Sadrach Woods, Aldo Van Eyck ou encore Jacob Bakena, il se trouve ainsi souvent utilisé non seulement pour ses effets plastiques mais aussi pour sa massivité, sa monumentalité. Ces architectures sont nombreuses à se situer dans l’héritage corbuséen, elles se réfèrent aussi au Style international.
14Progressivement, à partir des années 19602, la démocratisation de l’enseignement supérieur ouvre la porte des universités à une nouvelle génération. Les constructions universitaires se développent en conséquence. Leur architecture adopte des programmes variés, sans typologie clairement définie mais selon des principes d’organisation que les architectes entreprennent de définir et de mettre en place.
15Parallèlement, la vie étudiante se transforme. Au début, avec l’installation des universités à l’extérieur des villes, sa singularisation traditionnelle par rapport à la cité s’accentue. Les facilités de communication avec la ville en sont encore à leurs balbutiements et la vie estudiantine tend à s’autonomiser au point souvent de se replier sur elle-même3, au sein des cités universitaires.
16À cette époque, l’idée de campus universitaire se développe dans le monde entier. Le concept pose un double défi à la fois en termes d’architecture et en termes de programme complexe. Il faut en effet non seulement prévoir des locaux d’enseignement et des auditoires, mais aussi des résidences d’étudiants et des services administratifs ainsi que des lieux de vie sociale et culturelle et de loisirs. Dans certains campus européens et africains, on voit ainsi une approche de communauté universitaire s’instaurer à l’image des campus outre-Atlantique.
17Ce sont ces architectures particulières qui intéressent notre propos. Âgées aujourd’hui de quelques 40 ans et plus, elles sont, dans leur ensemble, appelées à être reconsidérées. La démocratisation de l’accès à l’université, l’évolution du nombre des étudiants, le développement des propositions d’enseignements et de formation, l’importance du rôle de l’université dans le domaine de la recherche, obligent à repenser l’Université et par voie de conséquence les bâtiments qu’elle occupe4.
18Les plans de modernisation engagés depuis une vingtaine d’années concernent, à des degrés divers, l’ensemble des campus universitaires construit dans les années 1945-1975 à travers le monde. L’état de conservation de leurs architectures interroge parfois même sur l’intérêt de leur pérennisation et conditionne la mise en œuvre des procédures de réhabilitation, de réaménagement ou d’extension nécessaires au fonctionnement de ces institutions. L’amélioration des structures, la rénovation des locaux ne suffisent en effet pas, souvent, à mettre en place les conditions d’une performance fonctionnelle et humaine suffisante. Devenues parfois obsolètes, inadaptées aux nouvelles conditions d’utilisation, impossibles à adapter aux normes de sécurité, couteuses à restaurer, certaines de ces architectures sont appelées à disparaître5.
19Ce sont des constats que gouvernances universitaires, enseignants, étudiants, historiens et architectes sont amenés à faire et à prendre en compte aujourd’hui de manière systématique. Historiens chercheurs et architectes, urbanistes, sociologues et économistes se penchent désormais, chacun selon ses compétences, sur les aspects les plus divers du microcosme « savant » que constitue un campus universitaire. Ils étudient l’histoire de sa construction, en analysent les contextes politiques, sociaux, économiques, interrogent la mise en œuvre des liens qui unissent ces entités, autonomes par de nombreux aspects, à la ville qui les abrite. Ils se confrontent à l’actualité brulante des vastes projets de modernisation qui concernent un grand nombre de campus universitaires aujourd’hui à travers le monde. En France, par exemple, depuis l’année 2008, l’opération campus propose un plan de rénovation de l’immobilier universitaire de manière à favoriser l’émergence de campus d’excellence destinés à renforcer l’attractivité et le rayonnement de l’université française.
20Rencontres, colloques6, publications s’organisent ainsi pour permettre le croisement des recherches, des idées. Encore trop peu nombreux pour qu’une véritable pensée émerge sur le sujet de la restauration de l’architecture des établissements universitaires, ils permettent pourtant des échanges constructifs et incitent les « restaurateurs » à organiser, en amont des prises de décision, les études qui permettront une évaluation juste des architectures existantes.
21L’esprit critique s’impose car le projet est ambitieux, le débat souvent difficile et conflictuel. De même, la tâche est-elle immense et le travail parfois laborieux face à la grande diversité des expressions architecturales et de la disparité des politiques patrimoniales.
22Si les historiens de l’architecture, nous le verrons au fil de cet ouvrage, souhaitent prendre parole dans un discours constructif dont la finalité est de permettre aux rénovateurs et aux aménageurs d’aujourd’hui de s’appuyer sur une réflexion fondée sur un passé qui ne peut être ignoré, d’autres disciplines doivent être inévitablement convoquées. Urbanistes, sociologues et architectes sont ici conviés à exprimer des points de vue différents et complémentaires.
23Cette publication, à l’instar de l’ouvrage précédent7, se veut ainsi un outil de rencontres et d’échanges, une tribune pour tous ceux qui sont appelés à s’impliquer dans une réflexion constructive sur les politiques patrimoniales et en particulier ici sur le devenir d’une typologie architecturale éminente, les campus et les architectures universitaires conçus entre les années 1945 et 19758.
24Chaque auteur a accepté de poser un regard expert sur le campus universitaire de son choix. Il en résulte l’exposé d’une grande variété de situations et de contextes. Chacun s’exprimant à la mesure de sa propre perception des architectures évoquées, à travers le prisme de sa propre approche scientifique, le propos est libre, évocateur et sensible. Chaque auteur a traité son sujet sous un angle qui lui est propre, librement.
25Les choix portent sur des architectures universitaires situées aux quatre coins du monde.
26Si, l’actualité architecturale française occupe une part significative du débat, les chercheurs de tous les continents ont aussi accepté de présenter des exemples significatifs. Un catalogue de trente situations s’est ainsi composé.
27Afin d’en permettre une lecture aisée, une organisation bipartite des textes s’est imposée. Les études qui concernent les campus français seront abordées dans un premier temps. Les modèles étrangers seront développés ensuite.
28Abordées selon des points de vue diversifiés et singuliers, les problématiques qui touchent l’architecture universitaire des années 1945/1975 sont ainsi développées en une large approche panoramique. Le propos ne revendique pas l’exhaustivité. De nombreuses autres situations de réhabilitation architecturale méritent de participer à une future et indispensable réflexion.
Notes de bas de page
1 Gérard Monnier, L’architecture universitaire : les leçons de la croissance, Conférence-débat : L’architecture universitaire, 19 mars 1996, CIUP, Paris.
2 Sabine Delanes, « L’architecture universitaire en France, des années de croissance aux temps de crise (1960-1980) », Labyrinthe [En ligne], 4 | 1999, Actualité de la recherche (no 4), mis en ligne le 13 janv. 2005, consulté le 11 mars 2014. URL : http://labyrinthe.revues.org/298.
3 Pierre Merlin, L’urbanisme universitaire à l’étranger et en France, Éd. Presses de L’École nationale des ponts et chaussées, 1995.
4 Cf. Pablo Campos Calvo-Sotelo, Le concept du « Campus éducatif » et son application dans les universités espagnoles, CELE Échanges, 2010/8, © OCDE 2010. http://www.oecd.org/fr/edu/innovation-education/centrepourdesenvironnementspedagogiquesefficacescele/45566842.pdf, 18/11/2014.
5 Pour la France, voir : J.-P. Midant, Séminaire HATP, 21 octobre 2012, « Les campus universitaires... comme ensembles architecturaux, urbains et paysagers à préserver et à transformer ». J.-P. Midant a été chargé par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, de l’analyse de onze campus français, construits entre 1960 et 1969.
6 Cf. Journée d’étude octobre 2012 « Architectures des universités », http://www.sorbonne.fr/lenseignement-superieur-parisien-et-francilien/40-ans-universites-paris/journee-detude-octobre-2012-architectures-des-universites/, 18/11/2014. En particulier, G. Monnier, Le contexte : les universités bâties en France depuis 1947, S. Méchine et D. Peyceré, Sources d’archives pour une histoire des architectures universitaires, Jean-Paul Midant, Remarques sur les plans masses des campus français des années 1960.
7 C. Compain-Gajac, ouvrage coll. (sous la dir. de), Conservation - restauration de l’architecture du Mouvement Moderne, coll. Histoire de l’art no 2, Éd. Presses universitaires de Perpignan, 2012.
8 Pour une synthèse sur l’évolution des campus universitaires français à partir de 1950, voir Christian Hottin, « L’Architecture universitaire des Trente Glorieuses, Des temples du savoir à l’université de masse », in Universités et grandes écoles à Paris. Les palais de la Science, 222 p., 1999 ; p. 187-191.
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