Avant-propos
p. 17-20
Texte intégral
1Le colloque « Vierges à l’Enfant médiévales de Catalogne : mises en perspectives » qui s’est déroulé les 1er et 2 décembre 2011 à l’Université de Perpignan, avait un double objectif, comme l’indique son titre.
2Son premier but était de mettre l’accent sur l’exceptionnelle richesse de la Catalogne pour la statuaire mariale de l’époque médiévale. L’importance de ces sculptures en bois consacrées au thème de la Vierge à l’Enfant est apparue progressivement, au fur et à mesure que nous travaillions sur le projet d’exposition qui a su rendre compte de cette richesse à travers une mise en scène d’une grande beauté. Les vingt-deux vierges étudiées ou restaurées ainsi réunies ont fait l’objet de notices dans un catalogue1 et sont déjà remarquables en elles-mêmes. Mais on a voulu élargir le contexte artistique de leur création par des mises en perspectives à travers d’autres productions, provenant d’univers variés et différents courants stylistiques ; c’est bien ce que ce colloque a souhaité mettre en valeur.
3Une première « mise en contexte » fut réalisée par l’inventaire de l’ensemble des Vierges du département mené par le CCRP (Centre de Conservation et de Restauration du Patrimoine) en amont de l’exposition et très heureusement publié dans ce même volume2, qui a révélé plus de 150 Vierges à l’Enfant médiévales, ce qui est un chiffre tout à fait considérable à l’échelle d’un aussi petit territoire que le département des Pyrénées-Orientales. En comparaison, il est intéressant de relever qu’Ilene Forsyth dans son livre Throne of Wisdom3 sur les Vierges à l’Enfant de l’époque romane en France, en recense moins d’une centaine pour le XIIe et le début du XIIIe siècle.
4Nous avons rapidement remarqué que ce nouvel inventaire des Vierges des Pyrénées-Orientales comportait beaucoup plus de Vierges dites « gothiques » que « romanes ». Aux XIIIe et XIVe siècles, correspond une bien plus importante période de production que celle de la seconde moitié du XIIe pour laquelle nous ne recensons qu’une quinzaine ou vingtaine de Vierges. C’est aussi pourquoi nous avons souhaité axer ce colloque sur la période gothique d’autant qu’elle est moins bien connue, au moins en Catalogne du Nord, que l’époque romane qui a bénéficié d’un grand nombre de publications.
5C’est donc dans ces perspectives que s’inscrivent les études proposées dans ce volume incluant une heureuse immersion dans la littérature médiévale qui anime ces Vierges d’actes ou de paroles, comme a su le mettre en valeur Paul Bretel. Marc Sureda, conservateur du Musée épiscopal de Vic, s’est intéressé dans une très riche étude à la topo-liturgie mariale en Catalogne, précisant le contexte environnemental et liturgique de ces sculptures de la Vierge à travers les exemples, particulièrement documentés, des cathédrales de Vic et de Gérone, tout en ouvrant également des pistes très nouvelles sur les Vierges de cloîtres catalans et les déplacements dont elles ont été l’objet au cours des siècles.
6L’intervention de Françoise Baron (†) a présenté une minutieuse enquête autour d’une Vierge catalane du XIVe siècle en albâtre dont l’analyse stylistique très pointue a permis de retrouver des « sœurs » en différents lieux. Celles-ci attestent d’une expansion de ces Vierges catalanes vers d’autres territoires et permettent d’établir les premiers jalons de l’histoire de leurs migrations dont l’auteur souhaitait qu’elle soit complétée par des analyses pétrographiques.
7Un écho de cette diffusion se livre peut être en Italie, et plus particulièrement en Toscane, que Paola Antonella Andreuccetti a étudiée à travers la polychromie de Vierges en pierre du XIVe siècle, dont elle analyse avec précision les matériaux. Elle montre que, dans certains cas, la sculpture pouvait ne pas être peinte, ou bien ne l’était que partiellement.
8Cette ouverture vers l’art italien aurait certainement mérité d’être approfondie par d’autres comparaisons stylistiques, avec le milieu pisan avec lequel Barcelone est historiquement en lien. Les Vierges de Catalogne peuvent aussi être mises en relation avec un territoire plus vaste.
9Des rapports étroits avec le Languedoc voisin sont attestés, dès le XIIe siècle, dans la sculpture romane, comme Jordi Camps l’a très bien montré dans son étude de la Vierge du cloître de Solsona qui, en effet, ne peut se comprendre sans ces références toulousaines4.
10Et il semble que de la même façon, aux XIIIe et XIVe siècles, les Vierges catalanes dépendent tout autant de modèles toulousains, en grande partie perdus, mais dont nous avons d’importants échos dans le Comminges. La production artistique de cette importante région pyrénéenne, en cours d’étude, a été présentée par Nicole Andrieu, conservateur des antiquités et objets d’art du département de la Haute-Garonne.
11À cette occasion, il convient de signaler des rapprochements stylistiques précis entre la Vierge de la cathédrale de Perpignan, la très célèbre et vénérée Notre-Dame « dels Correchs » et une sculpture de Sainte, non identifiée, tenant un livre, conservée au Musée national d’art de Catalogne de Barcelone dont l’inscription sur le socle nous livre la provenance commingeoise. Cet exemple vient confirmer l’utilité de porter les regards au delà des frontières, d’ailleurs mouvantes, de la Catalogne.
12Une réflexion sur le vocable de cette Vierge suffirait à le montrer. Notre-Dame « dels Correchs » est habituellement traduit « des ruisseaux », sans que les explications topographiques alléguées soient entièrement convaincantes. Sans doute serait-il plus juste de suivre une piste différente, celle de l’histoire de la liturgie, pour avancer, à titre d’hypothèse, une autre explication de ce nom curieux. Une Vierge représentée dans un vitrail célèbre de la cathédrale de Chartres, dit Notre-Dame-la-Belle-Verrière, montre sur ses genoux, un Enfant qui porte un livre ouvert sur lequel est inscrit « Omnis vallis implebitur »5, « Toute vallée sera comblée », extrait de l’Évangile de Luc, 3, 5, qui reprend cette expression de la prophétie d’Isaie (Is 40, 4) pour montrer la portée eschatologique de l’Incarnation. La venue du Christ comblera toute injustice. Cette phrase, transformée en antienne chantée durant le temps de l’Avent, pourrait, comme à Chartres, conférer une fonction liturgique à cette Vierge et expliquer ainsi son vocable. Mais seule une étude de la liturgie de saint Jean-le-Vieux et de la cathédrale, à partir du Coutumier qui en est conservé à Perpignan, permettrait de vérifier cette hypothèse. Celle-ci vient toutefois rappeler à quel point les images des grands sanctuaires mariaux, largement visités lors de pèlerinages, constituent un réservoir de sources iconographiques et stylistiques à ne pas négliger dans l’étude d’œuvres pourtant géographiquement éloignées6.
13Il est ainsi très regrettable de n’avoir pas su solliciter une communication sur la statuaire de Chartres qui est le sanctuaire marial par excellence au XIIe siècle, comme l’a bien montré Émile Mâle, et dont la très belle Vierge en pierre du tympan du portail sud de la façade occidentale, inaugure en quelque sorte, au milieu du XIIe, ces Vierges assises appelées Sedes Sapientiae, ou « trône de la Sagesse » dont nous retrouvons la formule iconographique illustrée par les Vierges dites romanes de Catalogne.
14Toutefois, les savantes réflexions de Jean-René Gaborit, conservateur général honoraire du patrimoine, sur « le trône de la Vierge » mettent en valeur cet exemple et bien d’autres qui peuvent très utilement être comparés aux Vierges assises en trône, celle de Corneilla-de-Conflent ou encore celle de Planès, toutes deux présentes dans l’exposition.
15Cette formule iconographique a été suivie par les Vierges catalanes jusqu’à une époque gothique avancée, et c’est ce phénomène des « Vierges assises gothiques » que Pierre-Yves Le Pogam, conservateur en chef au département des sculptures du Musée du Louvre, a su replacer, de manière très ouverte, dans le contexte d’« un héritage passéiste » ou d’une typologie signifiante avant de conclure que la persistance de ce type de Vierges assises à l’époque gothique occupe une large place dans la création sculptée du XIVe siècle français, à côté des Vierges debout.
16Sur le plan stylistique, la Vierge de l’église abbatiale de Saint-Martin-des-Champs à Paris, dont Philippe Plagnieux a présenté l’histoire et le très grand raffinement, n’a pas d’équivalent en Catalogne, mais il nous semble toutefois que la Vierge de Montbolo pourrait difficilement se comprendre sans une référence à cette sculpture du premier art gothique, en particulier telle que nous la connaissons à la cathédrale de Chartres, aux statues-colonnes du portail royal, avec ce cercle de tête dont aucune Vierge de Catalogne n’offre d’équivalent. La Vierge d’Espira, avec ses longues nattes, ne peut non plus se comprendre en dehors de ces mêmes références stylistiques.
17Enfin, une des spécificités du gothique catalan est qu’il ne semble se développer pleinement qu’à partir des années 1270 sous l’impulsion d’un sculpteur qui a manifestement visité les chantiers des cathédrales du Nord de la France, Maître Bartomeu de Gérone qui a réalisé la Vierge de Bellul dans le cloître de cette ville, dont la Vierge de Vinça constitue, dans les Pyrénées-Orientales, comme un écho. Cette spécificité du gothique catalan, qui présente dans la seconde moitié du XIIIe siècle, des Vierges assises, trouve un contrepoint dans la présentation par Isabelle Marquette, conservateur du Patrimoine, d’une « Vierge à l’Enfant du milieu du XIIIe siècle » debout.
18Il resterait bien d’autres aspects à éclairer de ces Vierges catalanes ainsi « mises en perspectives », mais ces deux journées de colloque ont constitué un apport scientifique de haute tenue à l’histoire de l’art médiéval dont les conclusions restent encore à élaborer.
Notes de bas de page
1 J. B. Mathon (dir.), Romanes et gothiques. Vierges à l’Enfant restaurées des Pyrénées-Orientales, Milan, Silvana Editoriale, 2011.
2 Voir Corpus des Vierges à L’Enfant (XIIe-XVe s.) des Pyrénées-Orientales, infra.
3 I. H. Forsyth, The Throne of Wisdom. Wood sculptures of the Madonna in Romanesque France, Princeton, Princeton University Press, 1972.
4 Cette communication n’a malheureusement pas pu être publiée dans ce volume.
5 Colette et Jean-Paul Deremble, Vitraux de Chartes, Éditions Zodiaque, Paris, 2003, p. 50.
6 Un autre exemple de ce type d’emprunt d’une image d’un sanctuaire très visité est, selon Marcel Durliat, la reproduction du grand Christ en croix dit « Volto Santo » vénéré à Pise, dans l’élaboration des « Majestats » catalanes romanes.
Auteur
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Marie-Pasquine Subes
Maître de conférences, Histoire de l’art médiéval Université de Perpignan Via Domitia
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