Introduction
p. 9-10
Texte intégral
1La retombée des Pyrénées sur la Méditerranée est un des secteurs du continent européen où s’est déterminée le plus anciennement une frontière nettement identifiable. Certes, celle qui délimite actuellement la France et l’Espagne, matérialisée par des bornes, est fixée définitivement plus récemment qu’on ne l’imagine souvent ; précisions de détail, apportées au cours de la seconde moitié du XIXe siècle quand la notion de frontière, la signification même du terme, s’enrichit de la qualification de séparation entre des États. Cette permanence, a-t-on avancé, proviendrait de la frontière « naturelle » constituée par la chaîne des Pyrénées en raison de versants et d’une ligne de crête bien marqués entre la Méditerranée et l’Atlantique. L’argument, tardif, à fonction justificatrice d’extensions territoriales antérieures et de leur conservation, a peu de pertinence on le sait.
2Les facteurs susceptibles de rendre compte de cette permanence sont nombreux, ainsi l’éloignement des foyers d’où provenaient les mouvements de peuple – les « grandes invasions » – qui a limité l’instabilité subie ailleurs. La partie orientale des Pyrénées n’est pas demeurée à l’écart de l’affaiblissement de l’Empire romain cependant, du délabrement de ses institutions, de l’émiettement des pouvoirs, du rétrécissement corrélatif des territoires sur lesquels ils s’exerçaient. Les limites perdirent de leur consistance pendant près de trois quarts de millénaire, fluctuèrent même au gré des fortunes seigneuriales. Cette solution de continuité, paradoxalement, contribue à faire de ce secteur un modèle frontalier car la perception de droits fixes en des points de passage bien identifiés disparurent avec les délimitations fermes. États, frontières, contrôles douaniers et fiscalité vont de pair.
3La situation prévalant autour de ce modeste territoire était complexe en effet. Phénomène rare, car surgi sans déplacement ni apport massif de population, un idiome original parlé des deux côtés des Pyrénées puis des institutions spécifiques s’étaient dégagés, d’où la coexistence, bientôt la superposition et la concurrence, de prélèvements de type seigneurial, d’États – il s’agit d’une assemblée représentative –, d’État. Les leudes apparurent les premières, les droits de la Généralité de Catalogne au cours de la seconde moitié du XIVe siècle, les droits forains ultérieurement. Ils suivent l’établissement des pouvoirs, les besoins de ressources financières, la capacité à en assurer la perception, ce qui ne put s’effectuer sans la mise en place d’organes administratifs. C’est ici que la capacité à exiger des droits, l’importance des taxes mises sur la circulation des produits par rapport aux ressources financières perçues par ailleurs, prennent toute leur signification. L'efficacité de leur collecte est fréquemment en relation étroite avec l’étendue des pouvoirs exercés, le développement d’administrations. Les leudes assorties de tarifs plus ou moins étendus en fonction de la diversité des marchandises transportées développent rarement des politiques économiques, ce que mirent en œuvre les États, à condition de disposer d'une autorité suffisante. L’insécurité en Catalogne, endémique au XVIe et dans la première moitié du XVIIe siècle, la faiblesse des moyens de coercition de la Généralité, réduisirent considérablement l’efficacité de son système douanier, doté de procédures de contrôle pourtant, bien qu’il lui procurât plus de la moitié de ses ressources financières.
4La Douane s’identifia bientôt si étroitement aux États cependant qu’elle en devint un des symboles les plus manifestes, en traça les contours, assura leur cohésion avec le centre, signala aussi finement leurs mutations lorsqu'ils s édifiaient ou évoluaient vers des formes inédites. Davantage qu'on ne le soupçonne souvent, en effet, la Douane informe autant sur l’intérieur des États que sur leurs relations avec les pays limitrophes. Le Roussillon constitue un bon observatoire à cet égard. Son annexion au royaume de France s’effectua quand l’Intendance, principal instrument d’unification du royaume au XVIIIe siècle, n’était pas encore répandue partout. D'où sa situation originale sur le plan douanier de province réputée étrangère. Mais il connut précocement les tentatives d'harmonisation et de suppression de droits, leurs hésitations aussi. La plupart des leudes fut supprimée en 1762, les traites entre le Languedoc et le Roussillon en 1785 ; prémisses, lorsque commençait à poindre l’idée d’une rationalisation des mesures, d’une unification du territoire, réalisée avec la Révolution et le renvoi de la Douane sur les frontières terrestres et maritimes.
5Les réorganisations douanières achèvent la construction des États jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ; la précèdent ensuite. Les principales « unités nationales » au XIXe siècle sont commencées et étroitement accompagnées par des réformes douanières. La seconde moitié du XXe siècle est encore plus démonstrative avec la construction européenne. C’est par son volet douanier que celle-ci commença à devenir réalité, s’ouvrit aussi à une réflexion dont on n’avait pas pressenti initialement l’ampleur. La suppression des barrières douanières n’entraîne ni l’effacement des limites entre les États, ni la disparition des services douaniers. Au contraire. La Douane retrouve actuellement une fonction sur l’ensemble du territoire, quasi oubliée depuis près de deux siècles, moins statique que précédemment, préparée depuis la fin de la Seconde guerre mondiale il est vrai par le développement des liaisons aériennes et la pénétration en de nouveaux points des espaces nationaux.
6Si les Pyrénées orientales furent si tôt traversées par une frontière c’est parce que l’expansion de Rome dotée très précocement d’institutions et d’un système fiscal atteignit la Méditerranée occidentale. Aussi, en tirant parti de cette situation privilégiée, a-t-on tenté d’apercevoir concrètement les Douanes, intimement liées à la forme des frontières et des États tout au long de deux millénaires, depuis leur établissement, leur effacement temporaire, jusqu’à leur rétablissement, leur renforcement, leurs mutations actuelles. Bien sûr, proposer une histoire exhaustive des systèmes douaniers, des agents en poste, des relations des Douanes avec le pouvoir central, reste prématuré ; trop d’aspects demeurent insuffisamment étudiés encore. Au moins s’est-on efforcé, avec les textes réunis, d’en tracer une esquisse et d’apporter une réflexion dépassant le cadre territorial restreint qu’elles envisagent.
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