L’enfant et ses représentations dans les retables baroques de la province du Roussillon
p. 107-120
Texte intégral
1Mon propos porte sur l’enfant et ses représentations dans les retables baroques de la province du Roussillon. Il ne s’agira pas d’un inventaire des églises ou des retables mettant un enfant en scène, ni d’un répertoire des différentes typologies de l’enfant, mais de mettre en lumière la façon dont l’Église catholique parle de l’enfant à travers des images faisant écho à des textes.
2En effet, après le concile de Trente, l’Église tient un discours nouveau sur l’enfant. Jean Hervieu Bazan de Flamenville, évêque de Perpignan, promulgue en cette année sainte 1700, un Abrégé de la doctrine chrétienne en catalan et en français1 qui sera lu et commenté lors des prônes du dimanche et mis en images par les sculpteurs des retables baroques. Véritable catéchisme diocésain, tant attendu, plus de 134 ans après la publication du Catéchisme de l’Église catholique, l’ouvre de Flamenville décrit le trajet de l’enfant depuis sa conception jusqu’à son passage à l’âge adulte. Nous allons le suivre.
3La représentation de l’enfant commence en son absence. C’est l’enfant-projet de Dieu et de deux êtres qui se donnent l’un l’autre en mariage. En venant au monde, il procure un surcroît de bonheur. Ce bonheur peut très vite se transformer en angoisse lorsque l’enfant prend un mauvais chemin ou est victime de persécutions. Heureusement l’ange gardien veille sur lui selon le verset du livre de Tobie : L’enfant partit avec l’ange, et le chien suivit derrière. Guidé par son ange, ses parents, ses maîtres, et fortifié par les sacrements, l’enfant devient alors un adulte.
I. La représentation de l’enfant désiré (source de bonheur)
4Dans les églises roussillonnaises, l’image archétype de l’enfant désiré par le couple comme par Dieu est celle de Jésus.
L’enfant désiré par un couple
5Dans la théologie catholique, tout commence par l’union d’un homme et d’une femme pour qu’il y ait la naissance de l’enfant. Voici la définition que donne le droit canon du mariage chrétien : « L’alliance matrimoniale, par laquelle un homme et une femme constituent entre eux une communauté de toute la vie, [est] ordonnée par son caractère naturel au bien des conjoints ainsi qu’à la génération et à l’éducation des enfants »2. Le Catéchisme du concile de Trente expose aussi les motifs qui doivent déterminer l’homme et la femme à se marier. « Le premier motif, c’est l’instinct naturel, qui porte les deux sexes à s’unir, dans l’espoir de s’aider mutuellement, et de trouver dans cette réciprocité de secours plus de forces pour supporter les incommodités de la vie et les infirmités de la vieillesse. Le deuxième motif et qui nous intéresse plus particulièrement aujourd’hui, est le désir d’avoir des enfants, moins il est vrai pour laisser des héritiers de ses biens et de ses richesses, que pour donner à Dieu des serviteurs croyants et fidèles ». Et J.-H. Bazan de Flamenville, de préciser dans son Catéchisme que « le sacrement du mariage unit saintement l’homme et la femme pour élever chrétiennement leurs enfants »3.
6Dans l’église d’Espira-de-Conflent, se trouve la Série des Sept Sacrements inspirée de Nicolas Poussin : le prieur Raphaël Cruzat, théologien et esthète, demande en 1705 à Josep Sunyer de les reproduire sous forme de panneaux sculptés afin de les disposer sur chaque pilier de l’église. Pour représenter le sacrement du mariage (ill. 1 en fin d’article), Josep Sunyer n’a pas choisi n’importe quel couple, mais Marie et Joseph, unis par la volonté de Dieu symbolisée par la colombe de l’Esprit Saint planant au-dessus d’eux, les ailes déployées.
7Au centre, Marie et Joseph agenouillés unissent leur main sous la bénédiction du grand prêtre qui pose ses mains sur leurs épaules. L’homme du sacerdoce est habillé comme un évêque du XVIIe siècle, avec aube, chape, fibule, mais sa mitre tournée d’un quart de tour évite la confusion.
8Famille et amis entourent les mariés. Sunyer a représenté les parents de Marie côte à côte, comme Poussin. À gauche, trois femmes s’approchent pour observer la scène tandis qu’un jeune enfant tout nu demande à être hissé dans les bras de sa mère pour en faire autant. À droite, les jeunes amis de Joseph au nombre de six accourent eux aussi pour s’associer à l’évènement. L’enfant désiré par le couple est aussi un enfant désiré par Dieu.
L’enfant désiré par Dieu
9Ainsi, le Concile réaffirme que la naissance d’un enfant est une histoire divine. L’enfant est créé et voulu par Dieu. Jérémie avait prophétisé : « Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai connu ; avant même que tu sois sorti du sein, je t’ai consacré ; comme prophète des nations, je t’ai établi »4. C’est pourquoi revient si souvent, dans les testaments conservés aux Archives départementales, cette formule : « Je recommande mon âme à Dieu qui m’a tiré du néant ».
10Josep Sunyer dans le panneau de l’Annonciation du retable du mas Girvès à Llo (ill. 2), actuellement conservé au Palais des rois de Majorque, nous donne à voir qui est à l’origine de la vie. Dieu accompagne la conception de l’enfant dans le ventre de la mère, par l’intermédiaire de l’Esprit Saint représenté par la colombe. Ainsi, pour les théologiens, l’homme est appelé à une plénitude de vie qui va bien au-delà des dimensions de son existence sur terre, puisqu’elle est la participation à la vie même de Dieu. La profondeur de cette vocation surnaturelle révèle la grandeur et le prix de la vie humaine, même dans sa phase temporelle. En effet, la vie dans le temps est une condition fondamentale, un moment initial et une partie intégrante du développement entier et unitaire de l’existence humaine. Ce développement de la vie, de manière inattendue, est éclairé par la promesse de la vie divine et renouvelé par le don de cette vie divine ; il atteindra son plein accomplissement dans l’éternité (cf. 1 Jn 3, 1-2).
11L’enfant est donc perçu comme un don de Dieu. Et comme tel il procure au couple le bonheur.
L’enfant du bonheur
12Voici une Nativité (ill. 4) qui provient du retable de Notre-Dame du Rosaire de l’église de Vinça. Josep Sunyer la réalise en 1707. Le panneau se trouve à la prédelle du retable, encadré par deux autres bas-reliefs : l’Adoration des Rois Mages et la Fuite en Égypte.
13L’artiste représente donc l’enfant Jésus nu couché dans une mangeoire ; nous apercevons juste derrière l’âne et le bœuf. Sa mère nous le présente en ouvrant devant nos yeux le linge blanc dévoilant l’humanité de Jésus. Celui-ci est couché sur des gerbes de blé qui rappellent le nom de sa ville de naissance – Bethléem –, la maison du pain. Mais ce blé signifie aussi le mystère de cet enfant, à la fois vrai homme et vrai Dieu, le pain devenant le corps du Christ au moment de la consécration eucharistique. L’enfant est entouré de ses parents en admiration.
14Cette Nativité d’un retable baroque est très différente des représentations de l’époque médiévale. « La Nativité, telle que l’avaient conçue les derniers siècles du moyen âge, était une scène pleine d’humilité, de silence et de ferveur. Le nouveau-né était étendu tout nu sur la terre, plus pauvre que les plus misérables des enfants des hommes. Le bœuf et l’âne rappelaient que le Fils de Dieu était né dans une étable. Rien n’était mieux fait pour toucher le cœur de cette pauvre famille abandonnée de tous, ignorée du reste du monde »5. Après le concile de Trente, la Nativité de l’Enfant Jésus est toute autre, car les artistes nous montrent ce que l’arrivée d’un enfant provoque dans un couple : le bonheur. Nous lisons en effet ce bonheur sur les lèvres et dans les yeux de Marie et de Joseph.
15Ce moment devient purement humain. L’artiste d’ailleurs ne représente plus la sainteté des personnages, puisqu’il ôte les auréoles au dessus des têtes des parents. Les familles roussillonnaises pourront se reconnaître dans ce tableau. Marie contemple son Fils avec un bonheur si profond qu’elle ne remarque même pas les visiteurs qui se sont approchés ; elle couve sa félicité, indifférente au reste du monde. Cependant, au lieu d’envelopper l’Enfant de ses bras, la Vierge soulève les langes pour le montrer aux bergers : elle sait que le Fils de Dieu n’est pas né pour elle seule, mais pour tous les hommes. L’Église va répandre cette représentation de la Nativité dans toute l’Europe catholique pour développer le thème de l’oubli de soi. L’enfant mis au monde par la mère ne lui appartient pas. Elle doit le laisser vivre pour qu’il accomplisse sa vie en toute liberté.
16D’ailleurs, la mère confie cet enfant qu’elle vient de mettre au monde à la protection divine représentée par l’ange qui les mains jointes se réjouit lui aussi de cette naissance. Josep Sunyer représente en effet l’ange gardien du nouveau-né, celui qui doit le protéger tout au long de sa vie. La famille roussillonnaise est appelée à imiter la Sainte Famille et à demander la protection de l’ange gardien afin que l’enfant puisse grandir en toute sagesse et en toute liberté. Mais la vision chrétienne de l’enfant n’est pas une vision angélique au sens péjoratif qu’on lui confère aujourd’hui. Théologiens et évêques insistent sur les embûches pouvant se dresser devant l’enfant et interférer dans son éducation chrétienne. Cet enfant voulu et créé par Dieu peut même se détourner de son créateur : c’est ce que l’on appelle la liberté de l’Homme.
II. La représentation de l’enfant se détournant de la vérité ou victime de l’égarement des adultes
L’enfant éloigné de la vérité
17Le bonheur décrit précédemment peut ainsi être remis en cause très rapidement, dès que l’enfant se détourne de la vérité.
18Les récits de l’enfance de Jésus, essentiellement regroupés dans l’évangile de Matthieu, étant peu loquaces, une littérature abondante a fleuri, notamment l’évangile de l’Enfance dit du Pseudo-Matthieu qui rapporte à la fois l’histoire d’Anne et de Joachim et celles de la naissance de Marie puis de Jésus6. Les artistes catalans vont puiser dans ces textes une iconographie dont nous allons voir quelques exemples.
19À l’église de Vinça, toujours à la prédelle du retable du Rosaire, Josep Sunyer met en scène l’Adoration des Mages (ill. 3). Ceux-ci, au nombre de trois, signifient les trois âges de la vie : de gauche à droite, un jeune mage, imberbe ; un autre dans la force de l’âge dont la barbe forme un collier autour du menton, et enfin un vieillard à la barbe beaucoup plus longue.
20Marie, sur un trône, présente l’enfant nu assis sur son bras : il regarde fixement le roi âgé qui s’est agenouillé avec empressement. Josep Sunyer a bien senti, avec son instinct de poète, qu’il était beau d’amener depuis les extrémités de la terre jusqu’au berceau du Christ ce vieillard qui possède tous les secrets de l’Orient mais qui, lassé de tout, vient chercher ici la vérité. Le jeune mage s’en étonne, au point de fixer son attention sur le vieux roi au lieu d’adorer l’enfant Jésus.
21La scène est royale : un trône avec marchepied, des rois couronnés, de longs manteaux aux étoffes précieuses, un décor d’architecture aux colonnes cannelées et un attelage composé de chevaux splendides. L’artiste n’oublie pas de représenter deux jeunes serviteurs qui prennent soin des chevaux qu’il faut entretenir, garder, nourrir. Ils sont préoccupés par des tâches certes nécessaires mais demeurant secondaires. Tournant le dos à la scène principale, ils ne voient pas où réside l’essentiel. Il leur faudra avancer en âge pour être attiré davantage vers la vérité. La vérité n’est-elle pas la recherche de toute une vie ?
22La même idée est véhiculée à Espira-de-Conflent, à la prédelle du retable du Christ, où l’artiste représente la dernière Cène (ill. 5). La situation relève du tragique : le Christ prévient ses apôtres que l’un d’eux va maintenant le trahir. Cependant, l’enfant présent au repas, assis au pied de la cheminée, est davantage préoccupé par le rôti en train de cuire au feu de bois que par ce qui se joue autour de cette table. L’enfant est vu comme un être déraisonnable, comme le constate François Lebrun : « L’image de l’enfance que le Moyen Âge finissant lègue aux siècles suivants est profondément pessimiste et négative. L’enfant, être humain non encore développé, provoque malaise et méfiance. On s’étonne devant sa versatilité et son inconséquence ; bref, on lui reproche de ne pas se comporter en adulte »7.
23Encore loin de la vérité, l’enfant peut en outre être la victime de ceux qui malgré l’âge s’en détournent.
L’enfant persécuté
24Restons à l’église d’Espira-de-Conflent. Dans le bras du faux transept sud, le grand tableau sculpté (1,50 m de large sur 2,15 m de long) illustre la scène du massacre des Innocents (ill. 6). Œuvre unique dans toute la province par son thème et par sa taille, elle l’est aussi par son origine puisque c’est la reproduction sculptée d’un tableau de Pierre Paul Rubens exposé aujourd’hui à la Pinacothèque de Munich. Daté de 1707, il comporte une inscription en latin : Herodes iratus occidit multos pueros in Bethléem Judae civitate David (Hérode en colère fit tuer beaucoup d’enfants à Bethléem de Juda, cité de David). L’artiste a mis en scène, avec de nombreux détails conformes à l’original peint, les soldats qui sur ordre du roi massacrent les enfants. Les femmes pleurent la mort des leurs au milieu de cette folie meurtrière voulue par un seul homme : Hérode.
25Si le prieur de la collégiale de Sainte-Marie d’Espira-de-Conflent, Raphaël Cruzat, décide de commander une telle œuvre pour son église, c’est pour une raison bien déterminée que son emplacement, demeuré identique depuis plus de 300 ans, nous révèle. En effet, le tableau du Massacre des Innocents a trouvé place auprès du retable des trois archanges, c’est-à-dire des panneaux historiés de l’archange Raphaël avec Tobie, de saint Michel terrassant le dragon et de Gabriel protégeant la Sainte Famille. À la prédelle on remarque les bas-reliefs du songe de Joseph et de la Fuite en Égypte où l’artiste représente l’enfant sauvé.
26Raphaël Cruzat souhaite mettre en lumière pour ses paroissiens la différence d’une vie avec Dieu et d’une vie sans la protection divine. D’un côté, les enfants sont massacrés par les malheurs des temps : les guerres, les maladies, les disettes. On voit en haut à droite du tableau que ces enfants persécutés sont honorés par des anges au ciel qui tiennent des couronnes de martyr : ils ne sont pas responsables, mais victimes du désordre de ce monde. De l’autre côté, l’enfant est protégé, en l’occurrence par les archanges Gabriel, Michel et Raphaël.
III. L’enfant sauvé, conduit et fortifié
L’enfant conduit par les anges
27La perpétuelle aspiration que l’on relève chez les prédicateurs comme dans les ouvrages de dévotion et dans ces images qui circulent dans l’Europe catholique, est d’unir le ciel et la terre, à la suite de saint Jérôme : « Oh ! Combien grande est donc la dignité de nos âmes, pour que chacun de nous ait depuis sa naissance, un ange député à sa garde »8. Le culte de l’ange gardien (ill. 7) a pris naissance à Rodez, au début du XVIe siècle. Un évêque, le bienheureux François d’Estaing (1460-1529) affirme son culte dans tout son diocèse9. Le pape Clément X, le 13 septembre 1670, fixe la fête des Saints Anges Gardiens au 2 octobre. Saint François de Sales exhorte au culte des anges dans l’Introduction à la vie dévote10.
28Raphaël Cruzat qui commande le retable d’Espira-de-Conflent le dédie aux trois archanges dont il porte l’un des prénoms. C’est dans cette chapelle qu’il décide de se faire enterrer dans son testament daté du 3 août 171411.
29En priant devant la statue de l’archange Raphaël et du jeune Tobie, les épouses et les mères d’Espira trouvaient le réconfort, demandant que l’archange protège leur descendance. Le Catéchisme du concile de Trente affirme : « De même que les parents donnent des gardes et des défenseurs à leurs enfants, lorsqu’ils les voient entreprendre quelque voyage difficile et périlleux, ainsi dans ce voyage que nous faisons tous vers la céleste patrie, Dieu notre Père nous a confiés à la garde d’un ange, afin que son secours et sa vigilance nous fassent éviter les embûches secrètement préparées par nos ennemis ».
30Au pied du retable est encore conservée une petite statue de dévotion qui représente l’ange gardien montrant le chemin, la direction du ciel à Tobie. Le livre de Tobie rapporte en effet que Dieu donne un ange gardien à l’enfant pour qu’il le guide dans son voyage. « Tobie sortit, en quête d’un bon guide capable de venir avec lui en Médie. Dehors, il trouva Raphaël, l’ange, debout face à lui, sans se douter que c’était un ange de Dieu [...] L’ange entra dans la maison. Tobit salua le premier, et lui dit : Puis-je encore avoir du bonheur ? Je suis aveugle, je ne vois plus l’éclat du ciel, je suis plongé dans l’obscurité, comme les morts qui ne contemplent plus la lumière. L’ange lui dit : Aie confiance, Dieu ne tardera pas à te guérir. Aie confiance ! Tobit lui dit : Mon fils Tobie désire aller en Médie. Veux-tu te joindre à lui comme guide ? L’enfant partit avec l’ange, et le chien suivit derrière. Ils marchèrent tous les deux, et quand vint le premier soir, ils campèrent le long du Tigre. Et l’ange lui dit : Attrape le poisson, et ne lâche pas ! L’ange lui dit : Ouvre-le, enlève le fiel, le cœur et le foie ; mets-les à part, et jette les entrailles, parce que le fiel, le cœur et le foie font des remèdes utiles. Ainsi Tobit, le père de Tobie retrouva la vue »12.
31La prédelle du retable illustre le retour de Tobie dans la maison de son père après ce long voyage. L’ange est celui qui enseigne l’enfant et qui le guide sur le chemin de la vie et non de la mort. C’est pourquoi les parents apprennent à leurs enfants la prière de l’ange gardien qu’ils doivent réciter tous les jours : « Ange de Dieu, à qui j’ai été confié par la bonté céleste, illumine-moi aujourd’hui, garde-moi, dirige-moi, gouverne-moi »13.
32Un autre exemple nous est donné à l’église Saint-Jacques de Perpignan. Dans le retable de Josep Sunyer dédié à saint Liboire, évêque du Mans, le titulaire est encadré de chaque côté par deux archanges : Michel terrassant l’ennemi et Raphaël avec Tobie (ill. 8). L’enfant qui vient de naître est ainsi confié par ses parents à la protection des archanges14.
33La présence de ces nombreuses sculptures des archanges dans les églises roussillonnaises confirme la grande dévotion que doivent avoir les enfants en leur ange gardien pour obtenir la grâce de Dieu tout au long de leur vie15.
34Les prédicateurs insistent, pour que les enfants bénéficient de la grâce de Dieu, sur une catéchèse des sacrements, le Baptême et la Confirmation en particulier, sacrements de l’initiation.
L’enfant sauvé par le Baptême
35Dans son Abrégé, l’évêque de Perpignan définit le sacrement du baptême comme « un sacrement qui efface le péché originel, nous fait chrétiens et enfants de Dieu »16. Il en vient ensuite à poser la question de sa nécessité, pour répondre : « On ne peut être sauvé sans être baptisé »17. C’est pourquoi une attention particulière sera demandée aux desservants des paroisses de la province pour mettre en valeur le rôle de ce sacrement, dans un lieu privilégié.
36Au fond de l’église d’Espira-de-Conflent, à côté du baptistère, le panneau sculpté du baptême représente celui de Jésus (ill. 9).
37Dans la scène centrale, saint Jean-Baptiste, le bras droit levé, verse l’eau du baptême au moyen d’une belle coquille dorée. Le Christ, mains croisées sur les épaules, a enfoncé le pied droit dans les eaux tumultueuses du Jourdain, tandis que l’autre demeure à sec sur un rocher. Il est à moitié dévêtu, et un jeune serviteur lui tient son vêtement précieux afin que celui-ci ne se mouille pas. À l’extrême droite, un ange au visage fin et au regard éthéré, tenant un linge, effectue une admirable contorsion de tout son corps de forme très longitudinale pour admirer la scène. Celle-ci ne serait complète sans la colombe de l’Esprit Saint18. Elle arrive dans une nuée toute lumineuse, blanche et or, d’où partent des rayons d’or descendant sur le Christ.
38C’est alors que les autres personnages, venus pour être eux aussi baptisés par Jean dans le Jourdain19, sont saisis de frayeur : l’un, au premier plan, un genou à terre, cache son visage de la main car la vision de l’Esprit Saint est trop éblouissante. Derrière lui, trois jeunes personnages sont aussi interloqués. L’un regarde la nuée, l’autre celui qui est à terre, et le troisième la scène centrale. Tous les âges sont représentés puisqu’un enfant craintif se retourne et se réfugie dans les bras de son père tandis que celui-ci se met aussitôt à prier.
39Pour les théologiens le baptême est bien le sacrement de la régénération par l’eau dans le baptême : « Par la nature nous naissons enfants de colère ; mais par le baptême nous renaissons en Jésus-Christ, comme enfants de la miséricorde, car Dieu a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu à tous les hommes qui croient en son Nom, qui ne sont nés ni du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté, mais de Dieu »20. Il est d’ailleurs demandé explicitement aux évêques « d’enseigner aux fidèles que ce sacrement est absolument nécessaire à tous sans aucune exception, pour obtenir la vie éternelle »21. L’Église admet, d’après les canons du Concile, trois manières de baptiser les enfants : en les plongeant dans l’eau, en versant l’eau sur eux, ou en les arrosant par aspersion.
40Juste à côté de ce panneau on remarque dans une alcôve, sous la tribune de l’église, les personnages de la mise au tombeau. Cet ensemble de statues repose sur l’autel dont la nappe dissimule le baptistère. Les inscriptions du médaillon surplombant la scène nous expliquent la raison de cette juxtaposition : Consepulti Christo in baptismo (Ensevelis avec le Christ dans le baptême). Cette mise en scène illustre de façon remarquable et unique dans toute la province les versets de l’apôtre Paul dans sa lettre aux Romains22 : « Baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés. Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions aussi dans une vie nouvelle ».
41Mais qui instruira ces enfants pour qu’ils persévèrent dans cette voie vers la vie éternelle ? L’évêque et son vicaire général insistent beaucoup, dans les cartells de visita, sur l’instruction chrétienne des enfants, le dimanche, après la messe au cours de laquelle ils auront pu méditer devant les œuvres sculptées. Il est demandé formellement au curé d’enseigner les rudiments de la foi.
42Et si les prêtres manquent de temps pour s’occuper des enfants, alors à qui s’adresser ? C’est sur les parrains et marraines que s’appuie l’Église : ils doivent accompagner l’enfant sur ce chemin de salut. Voilà ce que dit le Concile à leur sujet : « Dès qu’un enfant a vu le jour, il a besoin des secours et des soins d’une nourrice et d’un maître, pour s’élever d’abord et pour s’instruire dans les sciences et dans les arts. Ainsi ceux qui commencent à vivre de la vie spirituelle puisée aux Fonts du baptême, ont besoin d’être confiés à une personne remplie de foi et de prudence capable de les instruire des préceptes de la religion chrétienne, de les former à la pratique de toute les vertus, et de les faire croître peu à peu en Jésus-Christ, jusqu’à ce qu’ils deviennent, avec la grâce de Dieu, des hommes (des chrétiens) parfaits »23.
43Mais le baptême et une éducation chrétienne ne sauraient suffire pour que l’enfant suive un chemin de perfection. C’est pourquoi les évêques insistent sur l’appui que procure un autre sacrement : la Confirmation.
La Confirmation
44La Confirmation, deuxième étape de l’initiation chrétienne, est définie par Jean Hervieu Bazan de Flamenville comme un sacrement « institué de Notre Seigneur pour nous rendre parfaits chrétiens »24. L’Abrégé fournit des détails sur les modalités de la réception de ce sacrement en formulant plusieurs questions/réponses, notamment : Que reçoit-on dans ce sacrement ? Qu’est-ce que le Saint-Esprit ? Peut-on recevoir plusieurs fois ce sacrement ? À quel âge peut-on recevoir ordinairement ce sacrement ? À cette dernière question, l’évêque répond : « Quand on a atteint l’âge de raison, pourvu qu’on soit suffisamment instruit ».
45Dans l’église d’Espira-de-Conflent sur le panneau de la Confirmation (ill. 10) sculpté par Josep Sunyer, Pierre, à la suite du Christ25, transmet le sacrement à de jeunes enfants. Il accomplit sur eux le rite essentiel après l’imposition des mains, l’onction de l’huile sainte. Cette huile, bénie lors de la messe chrismale pendant la Semaine Sainte, est portée sur un plateau d’argent par un acolyte, et conservée à l’intérieur d’un chrémeau.
46Après avoir reçu l’onction, un jeune garçon passe devant un diacre qui lui essuie la tête avec un linge, puis retourne auprès de ses parents. À la gauche du panneau, un autre hésite à quitter sa mère, tandis qu’un troisième, au premier plan, est par sa mère délicatement poussé vers saint Pierre. La polychromie, dans les tons rose, or et bleu, confère un surcroît de douceur à l’événement.
47Il signifie le passage à l’âge chrétien adulte. Le confirmé reçoit la force qui lui est et sera nécessaire pour professer la foi dans les actes du culte et de la vie. Le Catéchisme distingue clairement le baptême qui engendre à une vie nouvelle les enfants et la confirmation où les enfants engendrés deviennent des hommes faits, en laissant ce qui tient de l’enfance. Dans les effets du sacrement de Confirmation, les évêques établissent un parallèle entre les apôtres et les enfants. Les apôtres avant la Passion sont des timides et des faibles qui, lors de l’arrestation du Christ, prennent la fuite. En revanche, le jour de la Pentecôte, remplis de l’Esprit Saint, ils se mettent à prêcher hardiment, en toute liberté, l’évangile aux juifs mais aussi à l’univers entier. De la même manière, les enfants pourront témoigner et à leur tour devenir apôtre.
48Nous entrons alors dans l’état d’adulte.
Conclusion
49L’enfant, après le concile de Trente, entre dans les églises roussillonnaises pour tenir une place de choix dans les retables. Les évêques ont le souci de lui donner une catéchèse appropriée.
50Cet être qui, à l’époque médiévale, était vu comme incapable d’accéder à la connaissance et à l’amour de Dieu, est à l’époque moderne l’objet d’une attention toute particulière des théologiens et des hommes d’Église. L’enfant est guidé et fortifié dans cette recherche de toute une vie, celle de la vie éternelle.
Notes de bas de page
1 J.-H. de Flamenville, Abrégé de la doctrine chrétienne, Perpignan, 1700.
2 Code de droit canonique, Montréal, Wilson et Lafleur, 1990, Can. 1055.
3 J.-H. de Flamenville, Abrégé de la doctrine chrétienne..., 1700, p. 69.
4 Jérémie 1, 5.
5 E. Mâle, L’art religieux après le concile de Trente, Paris, 1932, p. 242-243.
6 Évangile de l’enfance du pseudo-Matthieu, écrits apocryphes chrétiens, tome I, sous la direction de F. Bovon et P. Geoltrain, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1997, p. 107 à 140. Cette composition est connue généralement, dans les manuscrits, sous le nom de De nativitate (sanctae) Mariae (virginis) ou de Liber de nativitate (beatae) Mariae et infancia Salvatoris. D’autre part, les manuscrits ne s’accordent pas sur l’auteur de ce récit : outre à saint Jacques, ils l’attribuent également à saint Matthieu ou à saint Jean. Dans tous les cas il s’agit évidemment de pseudonymes.
7 F. Lebrun, « La place de l’enfant dans la société française depuis le XVIe siècle », in Croyances et cultures dans la France d’Ancien Régime, Paris, 2001, p. 253.
8 Saint Jérôme, Sur l’évangile de saint Matthieu, 18, 10.
9 C. Belmon, Le bienheureux François d’Estaing, évêque de Rodez, Rodez, 1924, p. 369. François d’Estaing fut le principal artisan de la célébration liturgique des anges gardiens. Il fit rédiger un Office en l’honneur des Saints Anges Gardiens par un franciscain, Jean Colombi, et cet Office fut approuvé par le pape Léon X, le 18 avril 1518.
10 Saint François de Sales, dans son Introduction à la vie dévote, 2e partie, chapitre 16, exhorte : « Rendez-vous fort familiers avec les anges ; voyez-les invisiblement présents à votre vie, et surtout aimez et révérez celui du diocèse dont vous êtes, ceux des personnes avec lesquelles vous vivez, et spécialement le vôtre ; suppliez-les souvent, louez-les ordinairement, et employez leur aide et secours en toutes vos affaires, soit spirituelles, soit temporelles, afin qu’ils coopèrent à vos intentions ».
11 Arch. dép. Pyrénées-Orientales, 5 Mi 186.
12 Tobie, chapitres 5 à 12.
13 E. Mâle, op. cit., p. 306.
14 Origène, Homélies sur Ezéchiel 1, 7. Dans son homélie sur Ezéchiel, Origène s’écrit : « Viens, ange, reçois en charge l’homme que le Verbe a détourné de l’erreur primitive. Après l’avoir reçu, comme un bon médecin, réchauffe-le, instruis-le. C’est un tout petit, car il vient au monde aujourd’hui ce vieillard redevenu petit enfant. Reçois-le après le baptême de régénération, appelle à ton secours tes compagnons de service et, tous ensemble, donnez l’enseignement de la foi à ceux qui autrefois furent séduits. Il y a plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de conversion. »
15 Bossuet, Sermon pour la fête des Saints anges gardiens, le 2 octobre 1659, « Je dis donc, et je vous prie de bien entendre, que ce qui attire les anges, ce qui les fait descendre du ciel en la terre, c’est le désir d’y exercer la miséricorde ».
16 J.-H. de Flamenville, Abrégé de la doctrine chrétienne..., p. 41.
17 Ibid.
18 « Dès qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau. Voici que les cieux s’ouvrirent et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et voici qu’une voix venant des cieux disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu’il m’a plu de choisir », Matthieu 4, 16.17.
19 « Alors Jérusalem, toute la Judée et toute la région du Jourdain se rendaient auprès de lui ; ils se faisaient baptiser par lui dans le Jourdain en confessant leurs péchés », Matthieu 3, 5.6.
20 P. 158.
21 Ibid., p. 160.
22 Romains 6, 3 sq.
23 Catéchisme du concile de Trente, op. cit., p. 169.
24 J.-H. de Flamenville, Abrégé de la doctrine chrétienne..., p. 119.
25 « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église », Matthieu 16, 18.
Auteur
Doctorant en histoire, Université de Perpignan Via Domitia
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les monarchies espagnole et française au temps de leur affrontement
Milieu XVIe siècle - 1714. Synthèse et documents
Jean-Pierre Dedieu, Gilbert Larguier et Jean-Paul Le Flem
2001
La désorganisation
Contribution à l’élaboration d’une théorie de la désorganisation en droit de l’entreprise
Muriel Texier
2006
Le Livre Vert de Pierre de la Jugie
Une image de la fortune des archevêques de Narbonne au XIVe siècle. Étude d’une seigneurie
Marie-Laure Jalabert
2009