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Mineurs, minorité. Jeunes, jeunesse en Roussillon et en Languedoc, XVIe-XVIIIe siècle

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Gilbert Larguier

Avant-propos

Gilbert Larguier

Texte intégral

  • 1 P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, éd. du Seuil, 1987 ; G. Levi, (...)

1L’intérêt porté par les historiens à l’enfant, aux jeunes un peu plus tard, est relativement récent1. Ils n’entraient en effet pas dans le champ d’investigation de la société telle qu’on avait commencé à l’interroger. On se préoccupait d’ordres, de rangs, de catégories, de classes sociales, de groupes homogènes éligibles à une approche prosopographique, lesquels, sans exception, étaient masculins. Leur qualité de mineur les laissait en dehors de tout cadre institutionnel, de la production documentaire susceptible de faire l’objet d’un traitement de type sériel, qu’il s’agisse de séries fiscales, notariales, ou autres.

  • 2 J. Dupâquier, Histoire de la population française, Paris, PUF, 1988, 4 t.

2Il est significatif, d’ailleurs, que les premiers travaux d’envergure sur les jeunes aient concerné l’éducation et la démographie. L’éducation, grâce à l’imprimé, offrait un corpus de publications accessible depuis les traités destinés aux princes, les utopies, jusqu’aux manuels conformes aux programmes élaborés par la puissance publique quand celle-ci entendit prendre en charge l’instruction depuis le plus jeune âge jusqu’à l’université. En démographie, la page était blanche2. Les rares dénombrements antérieurs au XIXe siècle auxquels on pouvait accorder foi ne distinguent qu’exceptionnellement les groupes d’âge. Les déterminer rigoureusement s’est révélé souvent délicat. La méthode de reconstitution des familles, à l’origine des meilleurs apports de la démographie historique, est peu efficace sur ce point, au village, en ville plus encore. Ainsi, comment mesurer la mobilité, saisonnière ou de plus longue durée ? Ce n’est pas un hasard si les travaux sur l’éducation ont relevé d’abord de la technique de l’histoire des idées, si l’on ne s’est ouvert que dans un second temps aux populations scolarisées, avec des résultats très inégaux.

3Mineurs, enfants, jeunes ; les termes ne sont pas interchangeables. Leur emploi et leur interprétation, souvent plus problématiques qu’on ne le pense au premier abord, ne vont pas sans réserver des surprises. Combien ne rencontre-t-on pas d’adultes âgés de plus de trente ans considérés encore comme mineurs ? Ce constat invite à procéder avec méthode, à considérer d’abord, avant d’aborder la question des groupes d’âge, l’état de minorité. Lors de la célébration des mariages, rares étaient les cas où les pères et mères des deux conjoints étaient encore vivants. Aussi, les réflexions des juristes sur la situation des mineurs avaient-elles été poussées très loin. Elles éclairent les comportements familiaux qui resteraient opaques si l’on n’en possédait pas une connaissance approfondie. Les mineurs jouissaient d’une protection, vivaient sous le regard des proches, voisins compris. Les dispositions testamentaires sont très éclairantes à cet égard. Sortir de l’état de minorité n’avait pas un caractère automatique. L’émancipation, toujours concédée pour des raisons soigneusement explicitées, donnait lieu chez les notaires qui en rédigeaient l’acte à une cérémonie soigneusement réglée, empreinte de solennité, dont la narration, pourtant sans recherche, traduit l’émotion. On ne peut rester insensible à la puissance des formules, à la symbolique des gestes : le genoux plié, les mains jointes, la tête nue.

4Ce cadre précisé – on voit là la richesse du dialogue entre historiens et historiens du droit – on peut aborder avec plus de fermeté le vécu et les représentations des mineurs. Les plus répandues, les plus prégnantes aussi, se trouvent insérées dans les retables. On sait la profusion des retables en Roussillon, jusque dans les plus humbles chapelles. L’enfant y est partout, pas seulement à titre illustratif ou d’accompagnement. Il est la vie et projet : c’est l’enfant désiré par le couple, par Dieu, dont Jésus est l’archétype, promesse de l’adulte qu’il préserve de l’égarement. L’enfant, sous le ciseau de Joseph Sunyer à Espira-de-Conflent, est, condensé de tous les âges, l’homme en devenir. L’éducation dispensée aux jeunes protestants visait au même but : former le chrétien autant qu’un homme – les deux se confondant. Long apprentissage où le jeune protestant est à la fois guidé et apprend lui-même à conduire car l’éducation reçue sera à reproduire et à transmettre ultérieurement. À travers ces représentations et cette pratique on perçoit bien ce qu’est le mineur : un être dépourvu d’autonomie dont les actions et la conduite n’ont de sens qu’en fonction de l’homme qu’il sera.

5Les mineurs seraient-ils dépourvus d’utilité sociale ? On est guère disert à cet égard bien que la majorité des jeunes soit occupée. La réflexion tombe sous le sens, l’observation est particulièrement délicate. On bute, à nouveau, sur une documentation indigente. On ne connaît guère que l’entrée au travail par le biais des contrats d’apprentissage. Encore apportent-ils des information précieuses lorsqu’on en réunit patiemment un nombre suffisant sur des activités qui réclament des aptitudes spécifiques comme les métiers d’art. Comment faisait-on un peintre, un sculpteur ? On s’est depuis longtemps interrogé, des carrières d’artistes ont été patiemment reconstituées. Mais derrière les plus grands sont les artistes de moindre renom dont il est plus difficile d’identifier la production. Étaient-ils issus de lignées d’artistes, restaient donc dans un même milieu qu’ils contribuaient à reproduire ou provenaient-ils d’horizons plus larges, socialement et géographiquement ? On ne peut s’interroger avec profit qu’en conduisant l’analyse dans un cadre territorial bien circonscrit, ce qui permet d’observer le terreau de la création, les acteurs, les influences. Les comtés nord-catalans constituent un bon observatoire, le XVIe siècle une période à découvrir entièrement car vierge jusqu’ici de toute investigation. Les conclusions auxquelles il est possible d’aboutir sont-elles transposables à des régions proches, à d’autres métiers moins élitistes où chaque garçon entrant en apprentissage ambitionnait de se faire un nom ? Au moins peut-on apercevoir comment l’adolescent, puis le jeune homme, s’insèrent progressivement dans la société.

  • 3 J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Le Charivari, Paris, éd. de l’EHESS, 1981 ; N. Pellegrin, Les bachell (...)

6Mais que sait-on des jeunes hors des cadres stricts où l’instruction et l’apprentissage du métier les enserrent ? Beaucoup moins qu’on le souhaiterait. Heureusement cette jeunesse, plein d’énergie, mineure encore, est-elle turbulente, et les désordres, redoutés ou réprouvés, sont producteurs d’archives. Les tapages juvéniles ont beaucoup intéressé naguère en raison des récits circonstanciés auxquels ils donnaient lieu. Ils sont une entrée, comme par effraction, dans des situation et des comportement qui sans eux nous resteraient méconnus3. Les jeunes, la Jeunesse ; les mêmes vocables sont employés partout, au village comme en ville. Les termes sont trop indifférenciés, trop englobants pour ne pas poser problème. De quoi parle-t-on en effet ? Les allusions, voire les plaintes, sont rarement précises sur le nombre des individus en cause ou sur leur identité. Ce terme générique concerne des garçons uniquement. Si les demoiselles apparaissent, c’est seulement comme victimes, à l’occasion de danses autour des feux de la Saint-Jean ; à moins que l’on ait affaire à quelques filles légères. Mais elles ne participaient jamais aux désordres. La différence est nette entre les désordres juvéniles et les mouvements contestataires ou les femmes peuvent être en première ligne. Les garçons ont tous plus de quinze ans, sont célibataires. La « petite jeunesse », rarement mentionnée, participe seulement aux chorales qui avec femmes et adultes vont chansonner des maris trop faibles, trompés, ou aux charivaris.

7L’analyse attentive des plaintes des habitants importunés, des ecclésiastiques tournés en dérision, des seigneurs dont l’autorité est bafouée, des consuls incapables de faire respecter leurs ordonnances, montre que les termes et expressions employés – jeunesse effrénée, dangereux « batteurs de pavé », jeunes débauchés, libertins, dévoyés... – pouvaient viser des groupes fort différents. Des nuances sont à établir entre les villages et les petites villes dont la population plus nombreuse est plus diversifiée, surtout si elle comporte un solide artisanat ; entre villages voisins dont les jeunes ne pensent qu’à rivaliser et à en découdre ; à l’intérieur même des communautés où des groupes s’affrontent, qu’il s’agisse de bandes de quartiers, de bandes composées de garçons de métiers, de fils de bonnes familles. L’excès révèle le fonctionnement de la société. La fête, les danses de carnaval, le tapage, sont tolérés tant qu’ils n’enfreignent pas des limites tacitement convenues. La bienveillance des familles est souvent stigmatisées. Elle est plus sélective qu’il ne paraît au premier abord. Les autorités agissent moins rigoureusement contre la « principale jeunesse », la « jeunesse du pays », les « fils de famille » que contre les individus plus modestes car ils ne représentent pas une menace pour l’ordre social.

8Au-delà des anecdotes, un fait apparaît très clairement : les comportements de la jeunesse sont partout identiques. La conformité du Languedoc et du pays catalan est remarquable, à quelques nuances près cependant – un abat de malgovern subsiste à Perpignan alors qu’on ne trouve plus guère d’allusions aux abbayes de jeunesse en Languedoc, au moins au XVIIIe siècle – : mêmes manières d’exprimer la dérision, mêmes formes d’actions, qu’il s’agisse des cris, des insultes, des armes employées – pierres, bâtons, très peu d’armes à feu même s’il en circule –, mêmes types d’expéditions perpétrées contre les villages voisins ou les bandes rivales. C’est à souligner car les régimes municipaux, le fonctionnement des communautés, l’organisation ecclésiastique, présentent de notables différences.

9Peut-on parler d’une montée des désordres juvéniles au cours du XVIIIe siècle ? On serait prêt à souscrire aux plaintes des consuls, inquiets d’une dépravation de la jeunesse qu’ils disent n’avoir jamais connu. On ne dispose pas de suffisamment d’informations sur les périodes antérieures pour répondre par l’affirmative.

10On le perçoit, le thème Mineurs, Minorité ; Jeunes, Jeunesse, est d’une remarquable fécondité si on tente de l’embrasser depuis la naissance jusqu’à son terme, l’émancipation. Fécondité, mais difficulté qu’il convient ni de sous-estimer ni de dissimuler. Le droit se saisit, car il est producteur de traités, de justifications soigneusement argumentées. Il trace des bornes. En leur sein, les choses se discernent moins nettement. C’est pourquoi il faut faire appel aux représentations ou aux contrats passés par devant notaire pour apercevoir les grandes étapes qui mènent à l’âge adulte : l’enfance, l’adolescence au moment de l’engagement dans un métier. La visibilité, c’est souvent le cas en histoire, n’intervient qu’avec la transgression, l’incident, l’accident. Mais exception faite de cas qui sortent de l’ordinaire, la transgression est toujours le fait de jeunes garçons célibataires âgés de plus de quinze à seize ans. En creux, par les dépositions des témoins, les discours des plaignants ou des représentants de l’ordre qu’elle suscite, elle révèle l’ordre des adultes, plus ou moins rigoureusement respecté selon les catégories sociales auxquelles on appartient.

11Roussillon et Languedoc, une fois de plus, par les différences et les convergences qu’ils donnent à voir, se révèlent des terrains d’enquête inépuisables.

Notes

1 P. Ariès, L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, éd. du Seuil, 1987 ; G. Levi, J.-C. Schmitt, Storia dei giovani, Roma, Bari, ed. Laterazza, 1994, 2 t.

2 J. Dupâquier, Histoire de la population française, Paris, PUF, 1988, 4 t.

3 J. Le Goff et J.-C. Schmitt, Le Charivari, Paris, éd. de l’EHESS, 1981 ; N. Pellegrin, Les bachelleries, organisation et fêtes de la jeunesse dans le Centre-Ouest (XVe-XVIIIe siècle), Poitiers, 1982 ; R. Muchembled, Société, cultures et mentalités dans la France moderne, XVIe-XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1994 ; J. Nicolas, La rébellion française, 1661-1789, Paris, éd. du Seuil, 2002.

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