Conclusion générale
p. 519-522
Texte intégral
1641-L’inspiration de l’étude entreprise était de contribuer à renforcer la cohérence d’ensemble et l’efficacité de la notion de désorganisation afin de révéler l’existence d’une théorie de la désorganisation. Ces travaux partaient d’un constat : la multiplication du recours à la notion de désorganisation dans le droit positif sans réelle précision sur le contenu de ce vocable et tout cela en l’absence de réflexion générale sur cette notion. La finalité de cette thèse était alors de consolider l’assise de cette notion et de démontrer les diverses utilisations qui pouvaient en être faite.
2642-Il a été rendu compte de l’émergence de la notion de désorganisation en droit de l’entreprise. L’appréhension juridique effective de la notion présentait pourtant diverses difficultés.
3La première difficulté consistait à déterminer précisément ce que signifiait la terminologie. La recherche de la définition de la notion de désorganisation fut une entreprise délicate. Prétendre à une définition générale de la désorganisation impliquait préalablement de discerner ce qu’était une organisation économique, avant de préciser la nature juridique de la désorganisation. L’organisation caractérisant une catégorie juridique particulière invitait à considérer le marché et l’entreprise au sens global du terme. Pour établir la nature juridique de la désorganisation, il fallait commencer par se défaire des approches divergentes de la notion qui auguraient de réelles complications. Le manque de clarté et d’efficacité de la jurisprudence, procédant davantage par allusion que par justification précise, constituait également un obstacle à surmonter.
4Parvenu à la conclusion suivant laquelle la désorganisation est un dommage, il convenait de préciser les caractères de celui-ci. En effet, le juge comme tout juriste a besoin de repères simples susceptibles de guider son action. Prenant en considération cet objectif, nos développements ont permis de retenir deux critères. Il est apparu que la notion de désorganisation se révèle être un dommage certain et significatif.
5Si ces critères apparaissent nécessaires à la naissance de la désorganisation, ils sont néanmoins insuffisants à la reconnaissance de la notion en raison notamment de la considération portée au dommage concurrentiel licite. En effet, il existe des libertés économiques qui autorisent chaque opérateur économique à agir selon son propre intérêt même si cela peut occasionner des dommages chez un concurrent ou un partenaire contractuel. Aussi, un dommage significatif ne peut être qualifié de désorganisation qu’en deux circonstances : lorsque celui-ci résulte d’un comportement fautif ou bien, en l’absence de faute, lorsqu’une valeur concurrentielle de l’organisation est directement affectée. Nous sommes parvenus à la conviction selon laquelle la désorganisation est une notion autonome. Elle se démarque de notions voisines en ce qu’elle a trait à la perte d’un élément nécessaire au fonctionnement de l’organisation.
6643-Une fois levé le voile de confusion entourant la désorganisation, il devenait alors possible de la définir. La désorganisation est un dommage certain, significatif et illicite subi par une organisation économique, constitué par la perte d’un élément de l’organisation ou par la perte d’une valeur concurrentielle nécessaire à son fonctionnement. De ce fait, la définition retenue, bien que n’intéressant pas uniquement le domaine de la concurrence déloyale, révèle les aspects critiquables de la casuistique élaborée par le Doyen Roubier. Si la classification proposée par cet auteur a le mérite de consacrer la notion de désorganisation, elle présente des insuffisances dans la mesure où elle met à des niveaux semblables des comportements, tels que le dénigrement, et des effets tels que la désorganisation.
7644-Les développements consacrés à l’émergence de la notion de désorganisation ont non seulement permis de proposer une définition de ce vocable, mais ils ont également permis de mettre en lumière la pertinence de cette notion. Pour ce faire, il ne pouvait être nié les risques auxquels conduit parfois l’utilisation de ce concept. En effet, une entreprise peut se trouver à tort le théâtre d’une ingérence prétorienne en raison d’une utilisation incertaine de la notion. Une utilisation inappropriée de cette terminologie peut conduire à un certain immobilisme des opérateurs économiques, certains invoquant de manière injustifiée la désorganisation pour préserver leurs acquis.
8Cependant, les risques liés à l’utilisation du terme de désorganisation ne remettent nullement en cause son efficacité. Nous proposons une saine conception des choses consistant à faire preuve de vigilance lors de l’identification des éléments nécessaires à la survenue de la désorganisation. Maîtriser la notion de désorganisation permet de pallier ses inconvénients. Ce n’est que par une telle maîtrise que l’intérêt de recourir à cette notion apparaît clairement.
9Pour parvenir à une explication satisfaisante de l’utilité de recourir à la notion de désorganisation, l’intérêt protecteur et l’intérêt régulateur de ce concept ont été mis en exergue. La théorie de la désorganisation a pour finalité de protéger l’organisation. La protection offerte s’avère parfois même considérable dans la mesure où il est admis que la désorganisation permet la mise en œuvre de la responsabilité civile objective, en des circonstances précises. La désorganisation invite à une prise en considération de l’intérêt général dans un concept considéré à tort comme uniquement l’expression des intérêts particuliers. Elle offre la possibilité de concilier différents intérêts en présence sur un marché, tout en présentant l’avantage d’une grande souplesse. La notion de désorganisation présente dès lors des atouts non négligeables qui invitent à conclure à sa pertinence.
10645-Une fois la notion appréhendée, il apparaissait essentiel de se livrer à l’étude exhaustive du régime juridique de la désorganisation. Les situations de désorganisation méritent mieux qu’une utilisation opportuniste du concept, qui se limiterait à l’invoquer ou l’occulter au gré des circonstances ou des objectifs du moment. Le sentiment de confusion afférent à la superposition ambiguë de problèmes distincts, pourra être surmonté par une application cohérente de la notion.
11Dans un souci de préservation des libertés économiques, c’est une appréciation rigoureuse des conditions de la désorganisation qu’ont finalement choisi de faire prévaloir les magistrats. Ils font preuve d’une plus grande sévérité dans l’appréciation des éléments susceptibles de provoquer la désorganisation. Cette rigueur tend à être observée aussi bien pour la désorganisation de l’entreprise que pour la désorganisation du marché considéré.
12Toutefois, s’agissant de la désorganisation du marché, la rigueur ne saurait être synonyme de rigidité. La stricte délimitation des conditions ne devrait pas aboutir à un encadrement trop étroit, facteur d’inconvénients. La désorganisation ne provient pas uniquement de la mise en œuvre de la puissance économique détenue par des agents sur le marché. Il a été démontré que la faiblesse pouvait être aussi pernicieuse que la puissance. Cependant, en ces circonstances aussi, la multiplication des interventions légales révèle une volonté de contrôle accrue. Or, l’encadrement étroit des conditions de la désorganisation n’apparaît pas toujours opportun. Confrontés à l’ingéniosité et à l’imagination sans cesse féconde des différents intervenants sur le marché, le législateur ne peut parvenir à délimiter efficacement l’ensemble des circonstances conduisant à la désorganisation. Quand il s’évertue à persévérer dans cette voie, les insuffisances ou la trop grande rigidité de son intervention ne font que corroborer l’affirmation. Aussi, c’est à l’œuvre prétorienne qu’il appartient de déceler ces conditions. Il a été permis de vérifier l’attrait de la théorie de la désorganisation en dehors de toute intervention légale.
13Une appréciation rigoureuse des conditions de la désorganisation est désormais privilégiée. L’ampleur des effets de la désorganisation explique vraisemblablement cette évolution. Ces effets sont une manifestation de l’originalité de la désorganisation. Il est permis à la victime de réagir à la désorganisation en ayant recours à des moyens en principe prohibés. Il est également reconnu à la victime le droit d’obtenir la sanction du dommage de désorganisation. La sanction prononcée témoigne de singularité. Tout d’abord, par la multiplication des moyens mis en œuvre pour pallier la désorganisation, que cela soit en terme de prévention ou de réparation ; ensuite par la nature de la sanction infligée au désorganisateur. La sanction punitive est étendue au champ de la responsabilité civile ayant classiquement vocation à être concernée par la réparation par équivalent.
14La recherche qui s’achève aura tenté de contribuer à une meilleure intelligibilité de la notion de désorganisation dans le but de convaincre tout un chacun de l’existence d’une véritable théorie de la désorganisation. La place singulière occupée par cette notion et son efficacité suscitent un intérêt grandissant. Osons espérer que la désorganisation, initialement reçue comme un concept prétorien à l’état d’ébauche soit désormais accueillie comme une notion technique assimilée à un concept juridique bien déterminé afin d’offrir aux juristes un outil fiable à leur disposition.
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