Préface

1L’indépendance est un droit de l’homme qui se manifeste de nombreuses façons. Les valeurs européennes de démocratie, de prééminence du droit et des droits de l’homme ne sont pas seulement des slogans ou des proclamations symboliques, elles supposent des engagements en hard law (droit dur ou droit contraignant) des traités relatifs aux droits de l’homme. En effet, la démocratie est une expression de l’autodétermination, de même que l’autodétermination est une composante essentielle de la démocratie. Le droit de s’exprimer, le droit de choisir les mesures politiques, les plébiscites et les référendums sont indispensables pour assurer la corrélation entre la véritable volonté de la majorité et les hommes politiques concernés. Il ne s’agit pas de populisme, mais du principe de gouvernance démocratique qui repose sur la règle de la majorité dans le respect des points de vue et des intérêts des minorités et d’autres groupes – tout en restant au service de la dignité humaine.

2Ce livre aux multiples facettes arrive à un moment opportun et propose un angle pragmatique, lucide et optimiste. Avec une approche fondée sur les droits de l’homme en matière de gouvernance démocratique, les auteurs s’appuient sur le récit antique de la démocratie athénienne et se concentrent sur l’interdépendance des droits, sur le droit à l’autodétermination tel qu’énoncé dans l’art. 1 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), et enfin sur les revendications historiques du peuple catalan et la viabilité de la Catalogne en tant qu’entité indépendante et membre à part entière de l’Union européenne. Cet ouvrage s’inscrit dans le sillage du rapport Catalonia’s Legitimate Right to Decide1, coécrit par une Commission d’experts internationaux, récemment publié par les professeurs Nicolas Levrat (Université de Genève, Suisse), Sandrina Antunes (Universidade do Minho, Braga, Portugal), Guillaume Tusseau (Institut d’Etudes Politiques de Paris, France) et Paul Williams (American University, Washington DC, États-Unis) et présenté au sein des Nations Unies à l’occasion du Conseil des droits de l’homme, que j’ai accueilli le 13 septembre 2017.

3Mon rapport de 2014 à l’Assemblée générale des Nations Unies (réf. A/69/272) est entièrement consacré à tous les aspects de l’autodétermination et formule quinze critères dans lesquels l’autodétermination interne ou externe peut être exercée, ainsi que les conditions de cet exercice. Même si le rapport ne se focalise pas sur une nation ou sur un peuple en particulier qui aspirerait à l’autodétermination et même s’il n’identifie pas les détenteurs du droit à l’autodétermination aujourd’hui, il est clair que la prise en compte de ces critères favoriserait la réalisation de l’autodétermination interne ou externe des Catalans, des Corses, des Sahraouis, des Tamouls, des Kurdes, des Palestiniens, des Tyroliens du Sud, des Kosovars, des Russes de Crimée, des Papous occidentaux, des Moluquois, des Rapa nuis et de beaucoup d’autres peuples.

4Le droit à l’autodétermination est jus cogens (en latin « droit contraignant », souvent traduit par « norme impérative »), ancré dans la Charte des Nations Unies et les Pactes relatifs aux droits de l’homme. Certains États continuent d’y être réticents et érigent le principe de l’intégrité territoriale en principe absolu. Cela n’a pas été le cas pendant de nombreuses décennies, et même le processus d’Helsinki de 1975 a reconnu la possibilité de modifier les frontières par des moyens pacifiques et des référendums. L’intégrité territoriale n’est certainement pas supérieure au droit des peuples à l’autodétermination, et en cas de conflit, c’est ce dernier qui doit prévaloir.

5Plus important encore, la réalisation de l’autodétermination devrait être considérée comme une stratégie de prévention des conflits. En effet, de nombreux conflits armés depuis 1945 trouvent leur origine dans le déni de l’autodétermination. Il aurait été approprié pour les Nations Unies d’offrir ses bons services pour conduire une médiation, en temps opportun, entre les États et les peuples invoquant leur droit à l’autodétermination. Les Nations Unies ont organisé et surveillé des référendums en Éthiopie/Érythrée, au Timor oriental et au Soudan, qui ont conduit à l’émergence de nouvelles nations indépendantes et de nouveaux membres des Nations Unies. Mais il aurait été préférable que les référendums aient lieu avant et non après le massacre de dizaines de milliers de personnes dans des conflits armés évitables. À l’avenir, les Nations Unies devraient organiser et surveiller activement les référendums d’autodétermination là où ils s’avèrent nécessaires, y compris en Catalogne.

6La Convention de Montevideo de 1933 est citée en droit international coutumier pour sa formulation des quatre exigences nécessaires à l’émergence d’une entité en tant que membre de la communauté internationale d’États : (a) une population permanente ; (b) un territoire défini ; (c) un gouvernement et (d) la capacité à entrer en relation avec les autres États. La Catalogne répond à ces exigences. C’est une entité viable qui a le droit à l’autonomie ou à l’indépendance comme le peuple de Catalogne devrait pouvoir décider par référendum, avec toutes les garanties de la démocratie, de la prééminence du droit et des droits de l’homme.