9° Poèmes
p. 231-238
Texte intégral
Chairs
D’autres n’auraient peut-être pas touché la terre
A travers tes os
Ou l’auraient tu
Comme s’il n’était pas déjà en nous
Ce silence
De la dernière orgie.
*
Mon corps tu l’as vu changer en toi.
Qui ferait mieux que toi
Le total de mes anciens corps
Parfois blessés.
Comment vivre le désir quand
Quand la chair à l’arrière de l’éternité
Crie
Et tombe de nos corps
Un froid debout dans sa minerve.
*
Je voudrais
Ainsi qu’une corde oubliée
Vieillit dans un tas de foin
Disparaître
M’alléger
Dans ta chair
Comme l’apostrophe dans l’adieu.
*
Des années avant ta mort
J’aurai souffert de ta mort
Tout mon corps massé vers
Ta perte
Ne sachant qu’imiter
Ta chair.
*
Immaculée dernière fois
S’il le faut même chez le marbrier
Faites que je revoie la main
Qui annelait ma verge
Et la nuit de ma mort ah
Qu’ils tremblent, tes seins,
Dans deux des innombrables mains
Que j’eus pour eux, encore
Une dernière fois.
*
Le jour d’après ma mort, pourras-tu
Ouvrir notre lit, te pencher
Sur le puits noir de mes poils
Laver désormais l’inutile pantalon
Tes doigts glissant près de mon sexe disparu
Dernières miettes suspectes de mes chairs
Descendre au jardin dans mon vieil anorak
Les mottes de terre dessinant mes traits
Pourras-tu m’oublier dans le récit de tes membres
Répondre aux interpellations du lit
Sans redouter les compléments de ma jalousie
Et t’endormir sans me citer ?
On est, si peu
Qu’est-ce qu’on est, si peu
Dans l’ombre d’un pommier, feuillage
Ignoré de loin, pauvre
Horizon qui bute contre de l’herbe à l’ombre.
Au moins si l’on pouvait être ce bleu
Qui ressemble dans l’herbe à l’aventure
D’une tente de randonnée à deux
Places montée bleu roi dans l’émotion
Ce pré au moins son savoir rien
Qu’entiretés de gerbes, tas
De gestes dans le fenil
A la mémoire supérieure des odeurs
Au moins le foin, angles contre la peau
Dans la bagarre avec les mouches dans l’enfance,
Ses privautés avec les jambes
Et les parties honteuses, dites,
La vieillesse du bois, au moins
Une barrière de montagne, le manche
Epuisé d’une fourche, une branche de vieux
Tilleul encore tiède.
Au moins le dos cassé d’un éboulis, la veine
En érection d’une source dans le calcaire,
Au moins l’imprononçable union
Des voyelles entre elles.
Qu’est-ce qu’on est, seul avec peur, sinon
Ce corps dont les secrets sur les miroirs
Laissent des traces, parts
Féminines de la peur, seul dans son corps ?
Bonheur ancien laisse des traces
Même amères, tant mieux. Les chairs
Peuvent en témoigner
Les yeux bordés des vieux oiseaux des souvenirs.
Notre poussière est colorée de sang
Et d’os brûlés dans un hommage
Aux plus que dieux
De nos deux corps.
Cendres, atomes, détails, corps
Parfois recréés dans les mots
Après des heures consacrées au lit
A nos lèvres des quatre coins
A la délégation des mains
Même en l’absence de nos corps.
9 avril (à Philippe Chartron)
*
Parfois on dit l’instant ressemble
A la poussière. Un grain
Plus éphémère qu’un soupir
Et puis et on
N’a pas le temps
De regretter. Personne
N’en revient. On passe
Sur un corps sans éternité
Privé de souvenirs
Sans être
Ni avoir été
Aimé ou transformé
Par le dernier poème et puis
Le printemps de sonner à la porte du jardin.
14 avril
*
Un jour les jambes s’en iront, seules
Et faibles, la douleur immobile en elles,
Vieilles d’os, dans la dernière
Promenade rouge
Le cœur d’avoir battu en souvenir
Tous les chemins entre les ronces
Et les kakis maraudés dans les soirs
Qui se couchaient dans la poitrine.
D’autres moments se ruineront plus tard
Dans la Révolution sans suite
Et sans fidélité aux promesses des roses.
Son vieux cœur descendu
Dans les jambes et sa terre
Trouée. Définitivement ?
2 mai (à Henri Deluy)
*
Chargé d’encre il écrit seul, donc
Il erre, ça avance,
Mais à quoi, il n’entend rien
De très vivant, un cœur
Bat presque silencieux
Dans des feuilles déjà mortes
Déjà l’encre se fige.
Ecrire donc
C’est renoncer à l’autre corps et se soumettre
A la vieillesse
Ne plus entendre le chien noir
Sur la rive du sang
Ecrire comme attendre
Un enfant d’une autre vie. Sinon
3 mai (à Laurent Fels)
*
Ecrire, il pleut. Un coin
Du journal tache le matin, le pire.
On passe dans la rue, les conteneurs
En plastique gris mort.
Ecrire la liste du jour pour vivre
Pain huile beurre lait
Et un kilo de pommes
En terre, comme
Autrefois
Dans la cuisine de maman
Dans le meilleur.
Le journal plié dans sa tête
Le vieil homme réapprend à lire
Ecrire dans l’autre soleil.
4 mai (à Michel Cosem)
*
Tôles rouille planche bois
Mauvais pour les vivants.
L’air avec
Sa lie de terre.
Qui va là ?
Le temps mortel ?
Le froid résigné
D’avoir à toucher
Un visage sans avenir
De sang ?
Peut-être mais ne pas
Ne pas
Baisser les yeux. Visage aimé
Restaure tous les paysages.
7 mai
*
Matin à la bourrache bleue
Sous les cyprès du ciel
Vient jusqu’à la fenêtre
Bleue velue bourrue bleue
Bourrache en excès de fard.
Du ciel passe sur les vitres
Sans émotion.
Des cyprès sans saison
Intriguent.
Déjà du vieux dans le matin ?
Bleu de bourrache
Qui nous fait ici-bas
Dépositaires
Du très-haut Doute.
16 mai
(à Pierre et Ibéria Lanoë)
Auteur
Né à Toulon, rue de la Fraternité, en 1936, dans une famille ouvrière d’origine corse, membre du Comité de rédaction de plusieurs revues, il a publié de nombreux ouvrages de poésie chez différents éditeurs, en France et à l’étranger. Au sommaire de nombreuses revues, ouvrages collectifs, anthologies, il a réalisé plusieurs livres d’artistes avec des plasticiens. Lauréat des prix Jean Malrieu, Antonin Artaud, Des Charmettes/Jean-Jacques Rousseau. Livres parus en 2016 : Ruralités (ed. Alcyone) – Des jours, en s’en allant (ed. Petra).
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