6° Corps, âme, esprit
p. 83-86
Texte intégral
1Ce corps qui est un lieu de rencontres intérieures se présente comme une interface avec laquelle nous sommes dans l’autre et dans les autres.
2Le corps révèle et cache nos membres constituent des outils des moyens d’action pour exprimer désir ou rejet.
3Notre corps symbolise un vis-à-vis de ce que nous sommes avec une matière corporelle et de notre personne dépourvue de corporéité.
4Toutefois la tête porte haut un visage, ce tout porteur de l’origine ethnique.
5Ce lieu de symptômes et d’énigmes emplit le regard de l’autre avec notre tête porteuse-emblème-visage-masque (Jean-Claude Larche, dans son ouvrage Théologie du corps, p. 19).
6 « […] on peut même dire que l’état de l’âme tout entier s’inscrit dans le corps et plus particulièrement sur le visage » (Saint Jean Cassien, Conférences VII, 1, et Saint Jean Callimaque, L’échelle XXX, 17).
7Ce visage est une face-façade-facette d’où jaillit le regard.
8L’objet du regard trahit nos pensées-émotions par rapport à nos passés-présents induisant des projections dans le devenir.
9Regard-signe de vie porteur du noyau dans lequel notre corps s’inscrit.
10Quelle forme anthropologique prend-il dans la réalité ?
11Regard traduisant notre personne dont l’intelligence doit descendre dans l’âme comme cela est exprimé dans l’anthropologie chrétienne, alors que, dans le platonisme, le corps (sôma) est considéré comme un tombeau (sêma) dans lequel l’âme, céleste par nature, a chuté et dont elle est devenue prisonnière...
12D’après l’anthropologie chrétienne l’âme est constituée de deux éléments l’âme proprement-dite (psychè, anima) et l’esprit (noûs, spiritus).
13L’état de l’âme s’inscrit dans le corps et particulièrement sur le visage, ce corps habitacle de paradoxes et d’ambiguïtés.
14Suppression du défilement des heures.
15Dislocation élongation accélération du temps ou décélération.
16Comment notre corps ressent-il la durée ?
17Celle-ci nous semble-t-elle un phénomène gratuit ?
18Que recouvre l’idée de gratuité de la durée ?
19Perdre son temps pour perdre les temps (ceux des tribulations) mais en le saisissant à bras le corps en allant vers la pratique de l’hésychasme, en vivant dans une attitude apophatique et quant aux apophtegmes des Pères du désert des IIIe et IVe siècles ils sont des invitations à prendre le temps plus ou moins à la manière des stylites perchés sur leur colonne pour déchiffrer le sens de nos actes donc de notre vie.
20La personne est-elle un élément constitutif du temps, un élément de comptage du temps avec la notion d’âge et d’empilement des générations ?
21La diversification de nos différents états symbolise le spatio-temporel à l’échelle humaine et notre corps se meut ainsi dans un espace quadridimensionnel largeur hauteur profondeur élongation du son en raison des vibrations qu’il génère.
22Les espagnols disent à propos de la vie « la vivance » dans laquelle tout se démultiplie en d’infinis fondus-enchaînés.
23Si le corps est matière palpable, il est également organe sonore.
24C’est le corps résonnant avec les sinusoïdes du souffle (le mishmat, le pneume) déclenchant ainsi des mouvements du diaphragme et il serait intéressant d’entrer dans cette notion à la fois psychique et physique.
25Qui dit son dit vibrations, dit déplacement d’air, ce qui m’amène à évoquer l’espace insondable de la liberté d’écoute de l’écriture.
26Cette dimension indicible de notre personne car nous n’avons que très peu conscience de ces vibrations intérieures que seuls les grands hésychastes peuvent maîtriser.
27Le corps doit écouter et s’écouter pour qu‘à certains moments se déclenche la phénoménologie du geste d’écriture faisant appel à la notion d’amplitude de l’« arsis » et du « thésis » qui sourdent et re-sourdent hors les murs que représente notre corps et hors les temps.
28Écriture, source qui s’écoule au fil des battements de l’âme.
29Nous nous déplaçons afin de dépasser ce que nous sommes afin de dépasser notre « moi » pour nous délester de nos tabous et inhibitions.
30Notre corps cherche le rythme qui lance et relance ce qui rappelle dans la polyphonie albanaise.
31Les rôles du « preneur » et du « repreneur ».
32Le corps est preneur, l’esprit est repreneur et vice-versa, le tout agité par le « rhuthmos » noyau répétitif qui crée des reliefs-textes.
33Le corps mouvant crée des synclinaux et des anticlinaux.
34Est-il à l’image des plaques tectoniques ?
35Cela sans compter les failles éboulis et autres perturbations faisant que la poésie déboule dans notre âme pour y développer des textes plateaux des combes des reculades des abîmes.
36Il y a toute une géologie de la poétique ou l’inverse.
37La sémantique s’empare de ces paysages enfouis et nous emmène dans le domaine de la symbolique des paysages de la poésie de Li Po auteur d’images écrites.
38Technique et poésie du coup de pinceau.
39Technique et poésie dans le tracé des nœuds des bambous où surgissent des fusions germinatives.
Et « quand la vocation s’est emparée de vous et de votre personne,
c’est comme si Dieu nous disait : toi tu joues, moi je touche les âmes. »
40Cette citation de la pianiste atypique Elisabeth SOMBART nous place au cœur du problème mais telle n’était pas la situation des artistes de la Renaissance au cours de laquelle l’homme était le centre de la société et le redevient.
41L’art spirituel, un moyen de valoriser son « moi » et ses émois terrestres.
42Faire traverser celui qui est mort.
43Croix-frontière de la vie retour-fuite.
44Traces de corps qui s’esquivent vers une photo d’ancêtres.
45Notre mémoire ainsi évite que nous soyons dispersés dans la brûlure d’une traversée silencieuse de la vie au-travers des ancêtres et des images archétypales du non-fini comme le moi.
46Traversée dans l’Un.
47 Invisible soyeux du passant que happe la poésie.
48Présence réciproque du silence dans l’assez du silence quand le sang voyage sous la main dans le corps de lettres amoureuses.
Auteur
-
Serge Popoff
Graveur plasticien, est né en 1944 à Abidjan. Il vit et travaille à Lescarène, dans l’arrière-pays niçois. Il se consacre notamment à des livres d’artiste, en collaboration avec des écrivains. Il indique comme essentiel son cheminement dans la religion orthodoxe, sous la direction du Père Igor K. Tout son travail est une longue méditation sur le rapport du corps à l’âme. Il écrit : « Gardien de l’unique nécessaire, le Père Igor K. m’a fait passer dans le diaphanum du temps recueilli dans les biffures d’une plaque de métal. Ordre de mon corps : métal, acide, encre pressée, eau-forte, gravure pour des « voyages extrêmes » grâce à la main-outil qui me mène de la matière à l’union avec l’âme. »
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