Eaux claires, eaux troubles dans le comtat Venaissin (XVIIe - XVIIIe siècles)
|Quatrième partie. La modernité hydraulique comtadine
Conclusion de la quatrième partie
Texte intégral
1Les populations comtadines eurent-elles conscience des progrès accomplis grâce à une meilleure maîtrise de l’eau ? Dans la capitale et dans quelques bourgs proches, le rapport à l’eau consommé est profondément modifié dans un temps relativement bref au cours du XVIIIe siècle grâce à la reconstruction de réseaux anciens devenus inefficaces. C’est l’exemple même du progrès consciemment organisé et vécu comme tel. Mais il y eut d’autres évolutions beaucoup plus lentes qui ne furent pas toujours acceptées avec enthousiasme. Ainsi, la construction du canal de Cabedan-neuf, qui achève entre 1766 et 1770 un processus très ancien d’irrigation du terroir de Cavaillon, est-elle contestée par une partie de la paysannerie qui craint des détournements d’eau et une concurrence accrue. Le nouveau canal rencontre peu de succès dans les premières années qui suivent sa mise en service. Mais cette attitude contraste avec celle observée lors des périodes antérieures, lorsqu’un accès équitable à l’eau déjà dérivée cristallisait toutes les passions. En fait, les élites perçoivent parfaitement les enjeux, le reste de la population manifestant souvent plus de crainte mais se montrant tout à fait apte à utiliser les nouveaux équipements dès que leur fonctionnement est assuré.
2Malgré l’absence de grandes villes ou d’élites conquérantes capables d’en faire un modèle européen, le Comtat Venaissin témoigne tout au long de la période étudiée d’une étonnante modernité avec des débits moyens de plus de 100 litres par jour et par habitant aux fontaines de Carpentras, près de soixante fontaines privées reliées au réseau public dans cette ville, des équipements d’une qualité presque semblable dans les bourgs voisins de Pernes et de Monteux, et un réseau de canaux d’irrigation exceptionnellement dense dans le terroir de Cavaillon et dans l’État voisin d’Avignon. La progression des habitudes de propreté conjuguée avec la réalisation de nouvelles conduites rend possible et vite nécessaire la construction de lavoirs dans plusieurs communautés du haut Comtat au cours du XVIIIe siècle. Des lavandières y lavent quotidiennement le linge sans salir l’eau des fontaines conservée ainsi plus claire pour la population et le bétail. Le bas Comtat, pourtant plus dynamique dans beaucoup de domaines, reste à l’écart de ce progrès.
3C’est en revanche ce bas Comtat dont les paysages se transforment le plus sous l’effet de l’irrigation. Certes, la progression des arrosages est importante partout grâce à de nombreux micro-réseaux : de nouveaux domaines moyens ou grands commencent à utiliser les nouvelles potentialités offertes. Cependant, le dépôt de limon sur les terres de labour et l’extension modeste des prairies artificielles n’entraînent pas toujours une mutation sensible des paysages. L’absence de séries de dîmes conservées sur des périodes moyennes ou longues en Comtat rend impossible toute estimation de rendement. En fait, les prairies sur les paluds drainés sont parfois mieux mises à profit que les terres irriguées et sont introduites dans le cycle d’une économie spéculative, par exemple pour un élevage très localisé lié à l’existence d’une ferme de la boucherie dans presque toutes les communautés ou pour faire paître des troupeaux d’ovins qui peuvent largement dépasser la centaine de têtes sur les exploitations les plus vastes. La conquête des paluds est une opération de longue haleine. Les principaux drainages sont accomplis dès la fin du Moyen Âge, ce qui n’empêche pas de vastes espaces, le long du Rhône et dans le sud-ouest de la province, de rester très humides et impropres à la culture. Aussi la valeur des terres paludéennes est-elle souvent faible, mais la diffusion de la garance à partir des années 1770 modifie les habitudes et pousse à accentuer les efforts de drainage, les terres humides et lourdes se révélant particulièrement propices à cette culture.
4La mutation agricole la plus déterminante au cours des XVIIe et XVIIIe siècles réside en fait dans la multiplication des jardins ou clos autour de Cavaillon et d’Avignon, véritables exploitations qui pratiquent le maraîchage et l’arboriculture de façon autonome, et dans le développement des cultures irriguées de plein champ, surtout dans le terroir de Cavaillon, dès le XVIIe siècle. Les haricots notamment commencent à être cultivés en dehors des petits jardins potagers peu avant 1600. Au XVIIIe siècle, l’exemple est suivi sur des zones limitées du Comtat, même dans sa partie septentrionale. L’assolement biennal est moins systématiquement pratiqué. C’est un exemple intéressant de ces petits progrès qui caractérisent l’agriculture pendant la période moderne. Des possibilités de croissance et de spécialisation accrue existent déjà mais les débouchés pour la constitution d’une véritable agriculture commerciale sont encore trop faibles.
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