Chapitre 3. Une réalité complexe, un héritage incontournable
p. 185-275
Texte intégral
I. Débats et mises au point
1Si un certain nombre d’éléments peuvent être établis sans difficultés, d’autres, nous l’avons vu, peuvent être sujets à des interprétations différentes. Beaucoup seront l’objet de polémiques lors du procès, mais elles n’intéressent pas vraiment l’historien, car il s’agira plus de prouver la culpabilité ou l’innocence de tel ou tel protagoniste que de débattre des questions de fond que pose la Commune de Narbonne. Pourtant, elles peuvent nous aider à faire ressortir un certain nombre d’axes de réflexion, qui peuvent être autant de moyens pour une bonne compréhension de l’insurrection narbonnaise. Il s’agit ici de rassembler des éléments que nous avons pu apercevoir plus haut, en les enrichissant de documents supplémentaires, et en les développant. C’est en fait une manière de synthétiser avant d’aller plus loin.
2Par ailleurs, on peut dégager à Narbonne une idéologie intéressante, car double à la fois dans ses sources et dans ses directions. Double dans ses sources, car elle est autant l’émanation de sentiments confus mais déterminés du peuple que le résultat d’une mise en forme par Digeon, qui y apporte une ligne directrice par sa propre dimension de pensée. Double dans ses directions, car s’il faut considérer comme acquis le fait que l’insurrection, ici plus qu’ailleurs, soit essentiellement le résultat d’un républicanisme exacerbé par les manœuvres des conservateurs, il n’en reste pas moins qu’elle a choisi la voie communaliste comme moyen d’expression.
A) Les acteurs
3Sous ce titre se cache un essai d’analyse de l’essence même de la Commune de Narbonne : s’intéresser aux divers protagonistes revient à analyser leurs actions, et par là à voir quelle a été leur œuvre, la Commune.
Rôles respectifs d’Émile Digeon et du Club de la Révolution
4L’historiographie traditionnelle de la Commune de Narbonne accorde une telle importance à Digeon qu’elle réduit presque l’insurrection à ce seul personnage. Il est vrai que la plupart des sources confirment cette tendance, focalisant déjà sur Émile Digeon. D’une part, les autorités parlent de « Digeon et consorts »1, et trouvent en se concentrant sur Digeon un excellent moyen pour réduire l’importance réelle de l’insurrection, faisant d’un puissant mouvement populaire une simple émeute, artificiellement provoquée par un dangereux révolutionnaire. D’autre part, les écrits de communards aussi parlent surtout de Digeon : l’intéressé nous décrit logiquement son action en tant que chef de l’insurrection2, et Prosper Nègre, se défaussant de toute responsabilité, cède bien souvent à la tentation de tout attribuer à Digeon3. Pourtant, de nombreux éléments prouvent qu’il ne faut pas se laisser entraîner par ce « Digeon-centrisme ». C.-E. Guthrie, qui fait une étude sur Narbonne4, prend le contre-pied de cette vision, et montre comment la Commune de Narbonne n’est pas le fait d’un homme mais bien le résultat d’une action des « masses populaires ». Pour lui, c’est le peuple de Narbonne qui fait la Révolution, Digeon n’est qu’un personnage célèbre à qui on fait appel une fois que la Révolution est accomplie pour avoir de l’impact dans le département. Ces remarques de C.-E. Guthrie par rapport à l’historiographie traditionnelle sont tout à fait pertinentes. Mais elles n’en sont pas moins une réaction, et, pour cela, vont certainement trop loin dans le contre-pied. Il faut trouver une bonne mesure entre ces deux tendances, et analyser la Commune de Narbonne comme le résultat de la rencontre de ces deux éléments : un homme et une population, indissociables l’un de l’autre.
5Le Club de la Révolution, ou Club Lamourguier, est l’ossature indispensable à un mouvement révolutionnaire sérieux. C’est lui qui réunit, organise, motive, bref, fait l’opinion républicaine avancée de Narbonne. C’est dans son cadre que prendront forme les principales revendications, qui, non satisfaites, provoqueront la Commune. Et lorsque éclate la Commune de Paris, c’est le Club, émanation directe des militants républicains narbonnais, qui va prendre les choses en main, et tenter d’organiser un soulèvement. Et, aucun membre du Club ne se sentant capable d’assumer la direction d’un tel mouvement, on invita Émile Digeon, que l’on pensait plus apte à entraîner les foules, comme à légitimer le mouvement à l’extérieur de Narbonne. Ce point est très important : Digeon ne s’est pas, comme a voulu le faire croire un procès-verbal de gendarmerie, « emparé de l’Hôtel de Ville à la tête d’une bande de factieux »5, mais il a adhéré à une proposition qui lui était faite, puis a donné forme à un mouvement et y a mis de l’ordre, alors même que la mairie était déjà prise. Il ne faut pas oublier qu’il était encore chez Auguste Bouniol lorsque la foule pénétra dans l’Hôtel de Ville.
6Pourtant, Digeon est un homme exceptionnel, dont il ne faut pas sous-estimer le rôle, et sans qui la Commune de Narbonne aurait eu beaucoup moins d’éclat. Lissagaray écrit fort justement à son propos : « L’homme de tête et d’action qui fît défaut aux mouvements du Midi se trouva dans l’insurrection de Narbonne »6. Digeon fut, avec Armand Barbès, homme qu’il vénérait, un des fondateurs du parti républicain dans l’Aude en 18487. Il fut proscrit en 1852, avec son père, républicain comme lui. Ils furent déportés en Afrique du Nord, « rivés à la même chaîne » au camp de Birkadem8, d’où ils s’évadèrent en 1854, et se réfugièrent à Palma de Majorque9. Émile Digeon se distingua particulièrement par sa conduite lors d’une épidémie de choléra qui sévit alors dans l’île. Revenu en France avec l’avènement du ministère Ollivier, il est irréconciliable avec l’Empire. Il participe dès sa fondation à la rédaction de La Fraternité, journal de la démocratie de l’Aude, fondé par Marcou. Après la proclamation de la République, il fait partie des plus virulents dans la dénonciation des errements du gouvernement, et s’engage dans les ligues. Il est une personnalité incontournable dans le département de l’Aude, et a une dimension nationale. Ainsi, lorsque le gouvernement français repoussa les offres de Garibaldi qui se proposait de venir en France avec ses « chemises rouges » pour lutter contre les prussiens et pour la défense de la République, c’est à Digeon que le révolutionnaire italien s’adresse, lui écrivant à la suite d’une lettre de son aide de camp :
« Caprera, 27 septembre 1870
Cher M. Digeon,
Votre gouvernement ne veut pas de nous.
Bien à vous
G. Garibaldi »10.
7Aussi est-ce à un homme d’envergure, aux idées particulièrement avancées, que s’adresse le Club de la Révolution pour proclamer la Commune. De plus, il ne faut pas oublier que c’est Digeon lui-même qui fit un discours au Club le 12 mars, dans lequel il demandait l’armement de la Garde nationale, l’adoption du drapeau rouge, et lançait un véritable appel aux armes à Narbonne11. On ne peut donc pas dire qu’il ait été un simple « invité ». Il a su se poser, volontairement ou non, puisqu’il s’en défend, en homme idéal pour les Narbonnais, à qui il disait exactement ce qu’ils voulaient entendre. Aussi, si l’initiative de proclamer la Commune vient bien des Narbonnais, il faut souligner que le choix de Digeon semblait naturel à beaucoup.
8Et, après proclamation de la Commune, Digeon se montra digne de la confiance qui lui avait été faite. Il mit toutes ses forces et toute son inventivité au service de la Commune. Son honnêteté sans faille n’acceptait pas la moindre compromission. Même le capitaine Blondlat, otage, reconnut avoir été traité avec « beaucoup de courtoisie » de la part de Digeon12. De Soulages, chef de bataillon du 52ème arrêté puis relâché sur son refus de participer à la Commune, déclara lors du procès, « Quel que soit le verdict, je considérerai M. Digeon comme un honnête homme »13. Sa sincérité est louée par ses amis, et, il faut le dire, utilisée par ses ennemis. Tous savaient que Digeon ne mentirait jamais. Cela le desservit parfois, car il avait tendance à oublier que les autres pouvaient lui mentir. C’est pour cela qu’il se scandalisa tant du manquement du procureur général Agniel à sa promesse d’amnistie, ne pensant pas qu’un républicain pouvait mentir ainsi14. Digeon avait foi en un certain nombre de principes, et ne s’en écartait jamais. S’il évolua par la suite politiquement, c’est en vertu de ce qu’il croyait être vrai. Il n’aurait jamais dévié de ses convictions pour une manœuvre politique circonstancielle. Marcou écrit à ce propos : « Il a toujours suivi la ligne droite, il a servi sa cause avec une inflexibilité sinon de sectaire, du moins de stoïcien »15. Un homme qui applique de tels principes ne peut que donner une ampleur supplémentaire au mouvement qu’il dirige. Il force l’admiration, ou la haine si l’on s’attache à son intransigeance, mais ne laisse personne indifférent. Aussi domina-t-il les autres protagonistes de la Commune de Narbonne, qui n’apparaissent que comme des exécutants, alors qu’ils furent à l’origine du mouvement. Il faut par ailleurs rappeler que Digeon fut le seul qui resta dans la mairie, décidé à mourir pour son idéal, après avoir fait évacuer tout le monde après les sommations du procureur général. Retiré de force par la foule qui ne voulait pas le voir mourir, il écrivit au procureur général de le faire arrêter, refusant de fuir et voulant assumer ses actes jusqu’au bout.
9Il est évident que cette attitude héroïque et quelque peu teintée de romantisme révolutionnaire ne pouvait être celle de l’ensemble des communards narbonnais. Il existait souvent un réel décalage entre Digeon et les militants, lesquels, s’ils reconnaissaient tous Digeon comme chef et obéissaient la plupart du temps à ses ordres, avaient leurs propres envies et leurs propres sentiments, et agirent souvent en toute indépendance. Parfois, nous l’avons vu, cette action occasionna quelques débordements. Mais c’était elle qui avait fait la Révolution. Ce sont les militants narbonnais, membres ou non du Club, qui l’ont soutenue jusqu’à la fin.
Qui étaient les communards de Narbonne ?
10Il ne s’agit pas ici de dépeindre tel ou tel personnage de la Commune de façon détaillée, mais plutôt d’essayer une étude d’ensemble d’une population, étude à la fois sociologique et typologique.
11Narbonne est sociologiquement un hapax : c’est la seule ville de France à avoir connu une Commune importante qui ne soit ni une très grande ville (Paris, Marseille, Lyon, Toulouse ont connu des Communes), ni une ville à forte population ouvrière, propre à développer un sous prolétariat nombreux et organisé (comme Le Creusot ou Saint-Etienne)16.
12Narbonne a une population hétérogène et diversifiée. Ces données d’ensemble de la population narbonnaise sont-elles directement transposables sur la population communaliste ?
13Il est matériellement difficile de répondre à une telle question, car les sources sont à ce niveau très incomplètes. S’intéressant à Paris, Jacques Rougerie a pu examiner des milliers de dossiers d’arrestation, de façon à dégager les traits principaux du communard moyen parisien17. Mais il disposait d’un échantillonnage suffisant pour être fiable. À Narbonne, rien de tel n’existe, même si on pourrait croire que proportionnellement à Paris, les documents existants, bien qu’en petit nombre, sont suffisants. Car les arrestations ont été opérées de façon très sélective, et il semble que bien souvent, on n’ait pas arrêté ceux qui avaient le plus participé au mouvement communaliste, mais ceux qui avaient le plus de chances d’être condamnés, à cause de leurs antécédents judiciaires. Digeon protestera d’ailleurs lors du procès contre cette volonté du gouvernement de dépeindre les communards comme des criminels. En tout quarante quatre civils seront arrêtés (dont trente deux seront accusés), et dix neuf militaires. On n’a pas de traces personnelles sur les autres militaires, dont plus de deux cents ont subi des sanctions disciplinaires.
14Nous avons pointant essayé de pallier ce manque d’information, en cherchant dans les documents du procès des traces de simples mentions de personnes, non arrêtées mais qui semblent avoir participé à la Commune18. L’ensemble de l’échantillon étant porté à cent dix personnes19, on a obtenu des résultats qui, au-delà de leur intérêt purement descriptif des hommes et des femmes de la Commune pris de façon très personnelle, reflètent l’impression de grande diversité des professions que nous avions déjà pour l’ensemble de la population narbonnaise. Nous allons procéder à une étude plus détaillée. Il faut toutefois savoir que ces statistiques réalisées d’après les mentions d’individus disponibles, n’ont pas la fiabilité des échantillons représentatifs des instituts de sondage actuels. Pourtant, ils nous semblent donner une bonne image de ce qu’ont pu être les communards de Narbonne.
15Dans les sources, il est difficile de discerner les patrons des employés ou ouvriers. On ne peut donc établir de véritable tableau par catégories socioprofessionnelles sans risquer d’avoir une marge d’erreur de beaucoup supérieure aux limites du raisonnable. Aussi doit-on se contenter d’une répartition par secteurs d’activité, qui, elle, se montre très intéressante (échantillon de quatre vingt seize individus).
Répartition par secteurs d’activité

16La moyenne d’âge générale est de 31,5 ans (soldats compris). Celle de la garnison, nettement moins élevée, est de 23,5 ans. Soit la répartition par tranches suivante, avec un échantillon de soixante-sept individus :
Répartition par tranches d’âge

17Les communards narbonnais constituent donc un ensemble très jeune. De plus, si les jeunes de 21 à 30 ans dominent, on remarque l’importance des mineurs de 18 à 20 ans (15 % de l’ensemble sur une tranche de trois ans, plus petite que les autres).
18Il est intéressant d’observer les lieux de naissance et de domicile des communards de Narbonne. La majorité des insurgés sont originaires de Narbonne, où ils vivent Mais ce sont là des civils. Les soldats, eux, sont pour la plupart extérieurs au département, et ne sont qu’en garnison à Narbonne. Mais il faut savoir qu’en trois ans (beaucoup stationnent à Narbonne depuis 1868), certains sont devenus de véritables Narbonnais d’adoption.
19On peut donc dégager un portrait du communard narbonnais moyen, qui serait de façon très simple un homme jeune, manuel, domicilié à Narbonne, dont il n’est pas toujours originaire.
20Mais au-delà de cette analyse sociologique, qui reste tout de même assez limitée par des sources dont la représentativité est douteuse, une différenciation typologique importante peut être introduite ; il existe en effet de grandes différences entre les communards narbonnais.
21Il y a ceux qui sont retranchés dans l’Hôtel de Ville, insurgés actifs qui sont plus de cinq cents. Parmi eux, deux cent cinquante militaires, qui savent encourir de très lourdes peines pour désertion, et trois cents gardes nationaux armés, militants décidés à se battre pour la Commune. On a trop tendance à réduire les communards à ce seul personnel armé. Car, s’ils sont effectivement le cœur de l’insurrection, ils n’en sont pas la plus grande partie.
22Les sympathisants et autres communards sont nombreux dans le centre de la ville, aux alentours de l’Hôtel de Ville. Et ils ne sont pas moins actifs. Monier, qui s’est fait tuer sur les barricades, n’était jamais entré à la mairie. Les 2000 personnes qui se pressèrent sur la place le jour de la proclamation de la Commune ne sont autres que ces anonymes extérieurs à la mairie, mais qui ont fait l’insurrection. Tout au long de la Commune, le tocsin sonnera pour rassembler les énergies. À partir du 30 mars, c’est spontanément que les habitants du centre ville vont dresser des barricades, délimitant un périmètre retranché communaliste bien plus important que le seul Hôtel de Ville. Et, parmi cette foule, les femmes vont se distinguer par leur activité particulièrement importante.
Le rôle des femmes
23« Les femmes sont les plus enragées », assure le Messager du Midi, organe conservateur20. Sympathisants ou détracteurs, tous sont unanimes pour décrire des femmes se distinguant par leur activité à Narbonne.
24Le 25 mars, ce sont elles qui, avec leurs enfants, entourèrent les soldats pour leur faire mettre la crosse en l’air21. Les soldats résistèrent aux ordres de leurs chefs, qui leur demandaient de charger à la baïonnette. Ce sont des femmes qui se jetèrent sur le capitaine Blondlat et le maltraitèrent avant de l’amener vers l’Hôtel de Ville22. Ces femmes sont évidemment traînées dans la boue par les feuilles conservatrices, qui les accusent d’employer « toutes sortes de séductions » pour « embaucher » les militaires23. Il semble surtout que ceux-ci n’étaient pas des assassins, et qu’ils se sentaient plus proches de la cause des communards que de l’autorité qu’ils étaient censés représenter.
25Mais l’action des femmes ne se limita pas au 25 mars. « On ne saurait donner une idée des mauvaises passions qui animent les femmes des émeutiers », écrit le Messager24. Ces femmes dans la rue effraient les conservateurs. Elles sont en fait la preuve de l’intensité révolutionnaire du phénomène communaliste narbonnais. Toutes les valeurs de la société traditionnelle sont atteintes, et la femme s’émancipe. Jules Vallès, parlant de Paris, note :
« Des femmes partout. Grand signe. Quand les femmes s’en mêlent, quand la ménagère pousse son homme, quand elle arrache le drapeau noir qui flotte sur la marmite pour le planter entre deux pavés, c’est que le soleil se lèvera sur une ville en révolte »25.
26L’acte d’accusation du procès des civils de la Commune de Narbonne consacre une part à la description de ces femmes, qui « s’étaient jointes en grand nombre aux insurgés »26. On y voit des femmes dont le rôle ne se limite pas à apporter des vivres ou à soigner des malades, et autres blessés. Elles exhortaient les hommes à participer à la Commune, agressant verbalement et parfois physiquement ceux qui ne montraient pas beaucoup d’enthousiasme. Aimées de baïonnettes passées à la ceinture, quelquefois emmanchées au bout d’un bâton, elles parcouraient les rues à la recherche des matériaux nécessaires à la défense, ou en affichant les proclamations de la Commune. On a beaucoup parlé à ce sujet de l’achat de pinceaux par les femmes, qui voulaient coller des affiches, mais qu’on accuse de vouloir badigeonner d’essence les monuments publics ainsi que bon nombre de maisons particulières27. Ceci fit les délices des réactionnaires comme de l’acte d’accusation qui trouvaient à Narbonne leurs « pétroleuses ». Il est vrai qu’elles étaient nombreuses dans la chasse à l’homme organisée contre le fils Viennet. C’est un débordement, mais il prouve leur détermination.
27Les préparatifs de défense furent un de leurs principaux centres d’activité. On les voit arracher des pavés28, porter des pierres, des poutres et toutes sortes d’objets sur les remparts de l’Hôtel de Ville, pour les lancer contre les agresseurs29. Ce sont des femmes qui commencèrent à placer des chariots au travers des rues pour construire des barricades le 30 mars.
28Digeon, lui, voyait dans ces femmes des lacédémoniennes modernes. Terminant sa proclamation en réponse aux autorités qui menaçaient d’attaquer l’Hôtel de Ville, il écrivait : « S’ils osent vous faire égorger, ô femmes héroïques, femmes dignes des enfants de Sparte, ils seront maudits dans leurs enfants, dans toute leur descendance »30.
29Finalement, peu de femmes seront arrêtées proportionnellement au rôle qu’elles semblent avoir joué. Seules deux d’entre elles feront partie des accusés du procès de Rodez, Anne Clavel et Clima Salles, épouse Crabes. Deux autres, la femme et la fille d’Eugène Gondres, avaient été arrêtées puis relâchées. Les préjugés de la société faisaient-ils craindre au procureur qu’un trop grand nombre de femmes accusées desservirait sa démonstration selon laquelle les communards étaient d’odieux criminels ? C’est probable.
30Après avoir examiné les principaux acteurs communalistes, il appartient de s’intéresser de façon plus détaillée au côté de la répression.
Des autorités civiles et militaires divisées
31La répression finale était implacablement organisée militairement, et était capable d’écraser les insurgés sans que l’issue des combats fasse le moindre doute. Pourtant, cette façade cache de profondes divisions entre civils et militaires. Les tensions, exacerbées entre les nouveaux protagonistes extérieurs à Narbonne, existaient déjà entre le 52ème de ligne et la municipalité.
32Les militaires du 52ème de ligne sont tous unanimes pour dénoncer l’incapacité des autorités civiles municipales au début de la Commune. Le 24 mars, le maire était absent et le sous-préfet, se sentant menacé, prit la fuite, se réfugiant à la gare. Des autorités de substitution se mirent alors en place, Antoine Raynal, dit Raynal aîné, premier adjoint, faisant normalement fonction de maire, et son frère, Théodore, ancien préfet, n’ayant plus aucune prérogative réelle, faisait visiblement office de sous-préfet31. La haine que vouaient les frères Raynal à Digeon, d’ailleurs réciproque, était certainement pour beaucoup dans cette entreprise. Une réunion rassembla les deux hommes et le lieutenant colonel Vilar, le procureur général et le capitaine de gendarmerie32, qui décidèrent d’une action concertée pour couper court dès le début à l’expérience communaliste. Les autorités civiles devaient aller, le 25 mars, lire une proclamation aux insurgés, fis seraient accompagnés d’une troupe du 52ème de ligne, armée ostensiblement, qui devait dissuader les insurgés d’aller plus loin33. Les soldats avaient ordre de laisser passer ceux qui sortiraient sans armes, et ne devaient agir par la force qu’après les sommations légales du procureur de la République34. Pourtant, lorsqu'à l’heure dite, les soldats furent sur la place de l’Hôtel de Ville, ils ne trouvèrent pas les autorités civiles. C’est alors qu’assaillis par la foule, ils mirent la crosse en l’air. Les officiers militaires sont catégoriques lors du procès : « L’attitude de l’autorité civile a été désastreuse ; tous ont manqué à leur devoir et sont la cause de ce qui est arrivé »35. Pourtant, si la faute des autorités civiles est avérée, les choses ne sont pas si simples. Car ce sont bien les soldats qui ont mis la crosse en l’air. Leurs officiers, dont certains savaient qu’ils ne pourraient les faire marcher sur le peuple, auraient pu émettre des réserves, au lieu de s’en remettre à d’autres qui ne connaissaient pas la troupe. Mais ils pensaient bien n’avoir qu’à appuyer l’autorité civile, en faisant œuvre de dissuasion36, ce qui fut une grosse erreur. Car il était évident que la foule chercherait à entraîner la troupe. Antoine Raynal ne chercha pas à nier l’absence des autorités civiles, déclarant très maladroitement lors du procès : « Ce n’est pas notre métier que d’avoir du courage, nous ne sommes pas payés pour cela ». L’effet fut désastreux sur l’assemblée : non seulement il avouait sa culpabilité, mais encore il faisait profession à la fois de mesquinerie et de lâcheté.
33Pourtant, après la défection du 52ème, les autorités narbonnaises (civiles et militaires), furent remplacées par une force d’action extérieure. On pouvait penser que celle-ci, débarrassée des contentieux locaux, agirait dans l’unité. Cela ne fut vrai que dans un premier temps, où le préfet, le général Robinet et le procureur général semblaient d’accord pour adopter une stratégie de conciliation, voulant tous éviter, pour des raisons différentes, l’emploi de la force. Mais le général Reybaud, de Perpignan, envoya le capitaine Perrossier, militaire sans scrupules, avec des ordres agressifs. Robinet, vieillissant, est rapidement écarté. Dès lors, des tensions éclatent, tensions qui seront encore accrues par l’arrivée du général Zentz, tout aussi expéditif que Perrossier. Ces derniers ont un but simple : écraser l’insurrection aussi vite que possible, par tous les moyens. Ils ne répugnent aucunement à faire couler le sang : au contraire, cela serait pour leur avancement une campagne brillante, facile et bien menée. D’où leur intention de faire bombarder l’Hôtel de Ville, et de proclamer l’état de siège. Les insurgés ayant survécu à ce traitement devaient passer en conseil de guerre, pour être aussitôt fusillés37. La philosophie était simple et dangereuse. Mais les autorités civiles, que Digeon a pourtant tant décriées, veulent éviter à tout prix un tel bain de sang. Tous républicains, certes conservateurs, ils ne veulent pas d’une lutte fratricide entre républicains, même de tendances opposées38. Le préfet Trinchan et sans doute surtout le procureur général Agniel auront réussi, en louvoyant entre deux positions extrémistes (celle de Zentz et celle de Digeon), et en trompant les uns et les autres, à terminer pacifiquement le conflit. Tout d’abord, ils s’opposèrent à la proclamation de l’état de siège, dont ils finirent par obtenir de Zentz le retrait, contre une réquisition pour agir par la force. À partir de là, constatant l’échec de ses tentatives de négociation avec Digeon, le procureur général fit évacuer l’Hôtel de Ville, de manière peu honnête pour les communards, en leur promettant l’impunité. Se présentant avec un petit détachement, il menaça d’attaquer, faisant les sommations qu’exigeait la loi, mais court-circuitant complètement le général Zentz. « Nous étions roulés », écrit à ce propos Perrossier39. Effectivement, les communards avaient pu quitter la mairie, et rien ne justifiait plus une attaque sanglante. En dépit des promesses faites, on procédait aux premières arrestations, et les « turcos » envahissaient l’Hôtel de Ville.
Le rôle exact des « turcos »
- Qui étaient ces « turcos » ?
34Le détachement de « turcos » commandés à Narbonne par le capitaine Perrossier était constitué de deux compagnies, basées à Perpignan. Un demi bataillon du 3ème tirailleurs algériens, formant trois compagnies, avait d’abord été expédié de Philippeville40 à Marseille, afin de servir pour la formation d’un régiment de marche demeuré à l’état de projet Ces troupes avaient été oubliées dans le Midi, et se déplaçant de Marseille à Perpignan, elles avaient plusieurs fois rempli dans la région « le salutaire (sic) office de croque-mitaine »41.
35Effectivement ces mercenaires, logés et payés par le gouvernement nourris de la propagande colonialiste qu’on leur avait faite, étaient persuadés qu’ils devaient défendre leur pays, la France, contre les prussiens comme contre les désordres intérieurs. Ils constituaient une troupe sûre, chacun étant prêt à se faire tuer sur un ordre de son supérieur. Isolés dans leurs casernes, ils n’avaient aucun contact avec les populations des villes où ils séjournaient (à Perpignan, ils étaient enfermés dans la citadelle). Ils ne pouvaient de toute façon pas en avoir, tant ils étaient ressentis comme différents, donc rejetés, et ce doublement Tout d’abord, ils étaient des soldats, considérés comme de métier, et la haine de l’uniforme était presque aussi forte dans tout le Midi de la France que celle de la soutane. Et loin d’atténuer leur aspect militaire, en prenant une attitude décontractée comme les hommes du 52ème à Narbonne, les tirailleurs algériens, très fiers de leur situation, en rajoutaient plus qu’autre chose, se montrant intraitables dès que l’occasion s’en présentait. Par ailleurs, ils étaient confrontés au racisme ambiant, quasi unanime. Effectivement, l’anticolonialisme n’était pas encore né, et l’antiracisme, qui l’a suivi, était loin d’être devenu une des valeurs principales de la gauche. Digeon lui-même considérait les tirailleurs comme de « vrais sauvages »42. Lors du procès, il ira jusqu’à déclarer : « Je me décidai à vouloir employer ce pétrole pour le jeter sur les sauvages turcos qu’on voulait envoyer contre nous ; je ne l’aurais pas employé contre des soldats français »43. Marcou, lui, parle de « ces soldats nés dans le pays des hyènes et des chacals »44.
36En fait, il existait un véritable cercle vicieux qui, au fur et à mesure, ne faisait que creuser le fossé entre « turcos » et populations civiles. Les tirailleurs suscitaient d’emblée une réaction de rejet, à laquelle ils répondaient par des actes violents, qui ne faisaient qu’augmenter la réaction des populations... Les autorités militaires étaient conscientes de ce phénomène et l’exploitaient autant que possible. Les officiers adoptaient vis-à-vis de leurs « bons turcos » une attitude paternaliste, tant ils se considéraient comme supérieurs à « ces natures primitives »45. Perrossier était fier d’eux comme de chiens qu’on a bien dressés46. On relève dans tout son fascicule un seul vrai laudatif à leur égard, lorsque, « en vrais fils du désert », ils ne réagissent pas aux avancées des communards voulant fraterniser, lors des combats sur les barricades dans la nuit du 30 au 31 mars. Les morts de la Commune, tués par les tirailleurs47, étaient plus le résultat d’une action prévisible et même inévitable qu’une véritable surprise : les turcos étaient là pour cela, c’était eux que l’on chargeait du « sale boulot ». Et c’est bien ainsi que l’entendait Perrossier, qui avait tout manigancé pour qu’une confrontation sanglante éclate, et qui ricane lorsque les autorités civiles apprennent avec stupeur et consternation qu’il y avait du sang versé48. Mais le traumatisme chez les Narbonnais est évidemment bien réel. C’était le but d’une telle action et elle a réussi Pourtant, Digeon saura prendre les mesures nécessaires, ordonnant l’abandon des barricades, afin d’empêcher de nouvelles effusions de sang, craignant les réactions inconsidérées de la population touchée au cœur.
- Le problème des pillages
37Après cette action, les tirailleurs se considérèrent comme en campagne. Aussi se livrèrent-ils à tous les débordements de militaires en pays conquis. Zentz, lui les encouragea, leur faisant, de façon non moins classique, distribuer de l’eau de vie à volonté49. « Lâchés » dans la ville, selon le terme même de Perrossier, les turcos devaient terroriser la population, avant de passer à l’action, qui devait être un bain de sang.
38Ils commençaient par saccager les cafés aux abords de la gare. Leur méthode était simple : ils entraient par la force, chassaient les personnes qui se trouvaient à l’intérieur, et se faisaient servir des consommations50. Parfois, cela se faisait de nuit comme au café du Midi, où les turcos, après avoir enfoncé la porte, firent lever le propriétaire, et l’obligèrent à les servir, pendant que deux hommes tenaient en respect son épouse et son enfant51. Au café des Quatre Vingt Six Départements, ils brisèrent les verres et les glaces, pillèrent les liqueurs, pendant que l’un d’entre eux tenait un pistolet placé sous la gorge de la femme du propriétaire. Ces deux cafés étaient connus comme lieux de réunion des républicains de Narbonne. Les « turcos » y ont donc certainement été conduits.
39Puis, après l’évacuation de l’Hôtel de Ville par les communards, ils se jetèrent à l’intérieur, et s’emparèrent de tout ce qu’ils trouvèrent. Même leur chef reconnaît ces faits, déclarant : « tout butin leur était bon, jusqu’aux capotes des sergents de ville et au drap mortuaire de la cathédrale »52. Tous les témoignages concordent, les tirailleurs sont ressortis chargés de toutes sortes d’objets, allant jusqu’à piller les appartements du concierge53. Argent, couvertures, bijoux, victuailles, lingerie, tout fut emporté54. Un « capitaine des turcos » (s’agissait-il de Perrossier ?) fut surpris le lendemain tenant à la main la canne d’un agent de police demeurant à l’Hôtel de Ville, et refusa de la restituer55. La plus grande partie du musée, la salle des anciennes archives et la bibliothèque, dont les portes étaient fermées à double tour, furent épargnées56. Certains objets furent restitués par les sous-officiers, comme le drap mortuaire de la cathédrale. Mais la plupart furent gardés par les soldats qui les ont revendus à Perpignan.
40Cette invasion de l’Hôtel de Ville se traduisit aussi par de nombreux bris de meubles ou d’objets, et des rideaux lacérés : le sinistre est tellement important qu’une commission municipale spéciale sera nommée le 11 août 1871 afin de constater les dégâts, de les évaluer, et de rembourser les victimes (agents de police logés à la mairie, concierge, sociétés de secours mutuels corporatistes [cordonniers, tonneliers]). Elle présentera son rapport le 11 mai 187257.
41En sortant du bâtiment, les turcos déchaînés dansèrent sur la place « une sarabande épileptique »58, avant de festoyer avec les denrées abondantes qui avaient été emmagasinées par les insurgés afin de soutenir un siège.
42Cet épisode fut traumatisant pour la population qui vit là se déchaîner ceux qu’elle percevait comme des sauvages, sans qu’elle puisse comprendre les motivations profondes de ce comportement des tirailleurs. Perrossier semble les avoir mieux saisis, quand il explique comment, pour les turcos « la razzia, couronnement de toute opération de guerre, constitue le bénéfice de la victoire »59. Effectivement, ce type d’opérations est le résultat d’un héritage culturel. Mais il faut ajouter que les autorités militaires n’ont rien fait pour empêcher les turcos de se livrer à ces pillages, au contraire, elles les y ont encouragés, exploitant ce comportement pour terroriser les Narbonnais.
43Et ce traumatisme, aidé par un racisme et des phantasmes latents, précipitera les turcos dans la légende noire de la Commune. Il y a effectivement une focalisation excessive sur eux. Il ne faut pas oublier qu’ils ne représentent que deux cents hommes, sur un effectif total de six cents à mille hommes, selon les sources, et mille cinq cents hommes en garnison. Leur rôle est donc assurément surévalué. On oublie par exemple très souvent dans les sources qu’il n’y avait pas que des turcos à la mairie le 31 mars, mais aussi le génie, des chasseurs à pied et des hommes du 17ème de ligne60. Personne n’a accusé ces hommes de vols61. Mais il est fort possible qu’en entrant dans l’Hôtel de Ville, ils aient commis des dégâts matériels rejetés sur les turcos. Pourtant, par leurs actions et leurs exactions, ces hommes apparaissent bien comme des soldats zélés impitoyables, méritant bien cette apostrophe de Jules Guesde : « Ces Suisses de la réaction d’aujourd’hui »62.
44Mais au-delà des hommes, il importe de s’intéresser maintenant plus précisément aux idées auxquelles ils adhéraient, et à la pensée qu’ils essayèrent de formuler.
B) L’idéologie
45Si de grandes directions, aisément repérables, apparaissent dans la pensée des communards de Narbonne, il est difficile de cerner un programme précis, ou des subtilités idéologiques. En effet, très peu de sources sont disponibles sur le sujet, alors même qu’elles contiennent toutes les mêmes grandes idées républicaines et sociales. Pourtant cela ne signifie pas qu’aucune idéologie précise n’ait existé à Narbonne. Au contraire, Jeanne Gaillard, voulant montrer qu’il existe une philosophie originale dans les Communes de province, cite comme exemple Narbonne, affirmant : « Un Digeon est mieux que ‘confus’ ». C’est certain. Mais il n’exprime ses idées que très vaguement dans les documents disponibles sur la Commune. Ce n’est que plus de dix ans plus tard qu’il rédigera des brochures politiques précises63, et on ne peut les utiliser pour la Commune de Narbonne sans risquer un anachronisme important. Car Émile Digeon a évolué politiquement après la Commune, devenant, selon ses propres termes, un « anarchiste rationnel ». Il importe de s’attacher à la pensée de Digeon, mais, au moment de la Commune, et pas après. C’est en fait surtout une vision d’ensemble qu’il faut dégager, à travers des hommes dont il reste des écrits ou des discours, comme Digeon, mais aussi Limouzy, Nègre, ou Gondres. Tout en étudiant les grands axes de leur philosophie politique, il importera d’essayer d’y discerner des influences, ou des images récurrentes.
La Révolution pour la République
46À la veille de la Commune, le régime en place, est, quoi qu’il en soit, une République. Or les communards font la révolution. On a donc pu croire, non sans quelques raisons, que, non contents d’un régime républicain, ils cherchaient un nouveau type d’organisation sociale, plus égalitaire, dans lequel beaucoup verront les prémices d’une organisation communiste, « la première révolution prolétarienne », dira Karl Marx. Effectivement, les communards de Narbonne étaient mécontents des orientations que prenait le régime en place, et firent la révolution parce qu’ils aspiraient à une société plus juste et plus égalitaire. Mais, et nous espérons qu’à ce stade le lecteur en est déjà convaincu, ils plaçaient tous leurs espoirs dans une forme républicaine démocratique et sociale, très influencée par la Révolution de 1848. Il y a donc un paradoxe apparent : des républicains en République font la révolution pour instaurer un régime républicain. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais il faut ajouter que beaucoup ont l’impression qu’il y a plus de distance entre la République démocratique et sociale appelée de leurs vœux et la République conservatrice de Monsieur Thiers qu’entre cette dernière et un régime impérial, ou tout simplement monarchiste. Effectivement, on s’aperçoit que la forme républicaine est loin d’être monolithique, et offre un éventail d’interprétations. Ainsi, si ceux qui se disent républicains sont nombreux, ils ont des conceptions très diverses de leur idéal. Que de différences entre Digeon et les frères Raynal, pourtant tous républicains proscrits sous l’Empire !64. Et les uns comme les autres n’acceptent pas que celui qui a une conception de la République différente de la sienne puisse être également républicain. Chacun veut « sauver la République » des menaces que le comportement de l’autre lui fait subir. Du côté « versaillais », « sauver la République » sera bien souvent un simple prétexte à une répression effrénée, et aura surtout une importante fonction rhétorique. On doit souligner comment toutes les proclamations des autorités à Narbonne porteront systématiquement en en-tête la mention « République Française ». Le 27 mars 1871, Hérail, substitut du procureur général, écrivait : « On a compris que la République n’a pas de plus irréconciliables ennemis que la licence et l’anarchie ». C’était évidemment une argumentation tendancieuse, les communards de Narbonne ne s’étant jamais dits anarchistes, et aspirant à « fonder le bien »65, et non à la « licence » ; mais elle est significative de la perception qu’ont eue de la Commune les conservateurs, même républicains. Pour eux, c’est un attentat contre l’ordre établi, et, celui-ci étant la République, la Commune ne peut que viser à détruire l’ordre social républicain.
47Les communards de Narbonne, eux, sont persuadés qu’il faut sauver la République des griffes des conservateurs. Mais il ne faut pas réduire leur action et leurs espoirs à une réaction contre les menaces monarchistes. Ils font la Révolution pour « sauver la République », mais aussi pour en instaurer une nouvelle, qui corresponde à leurs aspirations d’égalité, de justice sociale, de fraternité et de liberté. C’est ce qu’expose Baptiste Limouzy, dès le 22 janvier 1871, dans son discours inaugural lors de la création du Club de la Révolution :
« Appelé par vos suffrages à la présidence du Club, je me crois obligé d’exposer devant vous les doctrines et les principes qui sont une règle de conduite, ainsi que le but de mes aspirations, car si ces doctrines et ces aspirations n’étaient pas les vôtres, si nous n’étions pas en communion d’idées, je ne pourrais présider à vos réunions et je devrais laisser la place à un autre qui répondrait mieux à ce que vous êtes en droit d’attendre de votre président.
Citoyens ! Je suis révolutionnaire avec vous ; je dis avec vous puisque vous avez voulu que notre club prît le nom de Club de la Révolution. Mais entendons nous sur ce mot de Révolution trop souvent si méchamment interprété par nos adversaires politiques, si mal compris par les sots et les imbéciles auxquels on la présente comme un épouvantail.
Pour moi donc comme pour vous, la Révolution est ce passage obligé d’un état social à un autre ; ce passage ne peut s’effectuer que par la substitution d’hommes nouveaux, de lois et d’institutions nouvelles à ce qui vient d’être renversé. Nous avons renversé le plus affreux, le plus monstrueux des despotismes avec toute la cohorte de scélératesses qui le soutenait. De ce honteux régime qui a mis notre patrie dans l’état où nous avons la douleur de la voir, nous voulons faire succéder le droit, la justice, la vérité, l’amour, la franchise, la loyauté, la sagesse, la constance et la fermeté. Toutes ces vertus sont indispensables à un peuple qui veut jouir de la liberté, qui veut vivre en République, et, pour arriver à la République, il faut passer par la Révolution. Toutes ces vertus se résument dans la moralité dont l’empire et la royauté nous ont fait oublier et mépriser la pratique, et par laquelle seule la République peut vivre.
La Révolution, loin d’entraîner après elle un débordement de maux, la licence et ses fureurs, comme il se trouve trop de gens mal intentionnés ou aveuglés pour le dire, doit au contraire nous mettre sur la route du bien, nous détourner de celle du mal et du vice ; et voilà pourquoi nous sommes révolutionnaires.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous ne voulons pas qu’on nous livre à une bande de fripons et de vandales. Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons faire respecter le foyer domestique, l’honneur de nos femmes et de nos filles.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons être régis par des lois fondées sur le droit et la justice, et librement consenties par nos mandataires.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons honorer le travail et tuer la misère.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons que la fortune publique ne serve plus à engraisser une bande de parasites, fléau de la société.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous ne voulons plus, oh ! non plus que l’on dise de nos enfants : voilà de la chair à canon.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons que tout homme s’élève en connaissance, en science et en dignité en proportion de ses facultés et aptitudes.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons pour tous la liberté de conscience, la séparation de l’Église et de l’État.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons pour tous la liberté pleine et entière d’expression par la parole et par la plume.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons que chacun contribue aux charges publiques en proportion de sa fortune.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons étendre la fraternité à tous les peuples.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons faire cesser l’exploitation de l’homme par l’homme.
Nous sommes révolutionnaires parce que nous voulons tous ici, unis de cœur et de sentiments, travailler de tout notre pouvoir à détruire le mal et à fonder le bien ; et c’est pourquoi je termine par ce cri : Vive la Révolution ! Vive la République ! »66
48On ne saurait être plus clair. Révolution et République ne sont pas antithétiques, au contraire, elles sont indissociables. Et cela, Prosper Nègre l’avait déjà affirmé quelques jours auparavant, écrivant à propos de ses principes : « La République seule, à l’exclusion de toute autre forme de gouvernement, a le pouvoir de les réaliser, de les faire passer dans la pratique, de constituer l’édifice social sur des bases inébranlables », et ajoutant : « Nos pères de 92 ont souffert, sont morts pour les introniser dans le monde ; à notre tour de lutter, de poursuivre sans hésitation leur œuvre inachevée. Peut-être succomberons-nous à la peine (...) »67. Digeon lui aussi s’inscrivait dans cette optique. Le 12 mars 1871, au Club de la Révolution, il appelle à l’armement de la Garde nationale « pour défendre la République », affirmant qu’« un fonctionnaire qui refuserait d’armer le peuple ne saurait être républicain », et que c’est « la Révolution qui doit faire disparaître les tyrans et leurs séides »68.
49Mais cette révolution républicaine en République ne saurait être que très avancée. A l’image de Limouzy, il convient d’essayer de mieux la définir, autour de concepts fondamentaux.
Grands thèmes et influences de cette « République » nouvelle
- Dans l’analyse que font les communards de la société
50Eugène Gondres, s’il emploie souvent le terme de « républicains » pour désigner les hommes qui s’engageront dans la Commune de Narbonne, parle aussi de « démocrates », ou plus précisément, de « chefs de la démocratie radicale »69. Effectivement, il est indéniable qu’il existe un radicalisme latent chez les communards de Narbonne. Il s’inscrit tout à fait dans le sillage quarante-huitard, qui reste, nous l’avons vu, l’élément moteur le plus puissant de l’insurrection narbonnaise. Ce radicalisme, né sous Louis-Philippe, et qui avait éclos sous la seconde République de Ledru-Rollin, connaît une nouvelle vigueur à la fin du Second Empire, avec la publication par Gambetta du « Programme de Belleville », ferme dans ses propos, irréconciliable avec l’Empire, lors des élections de 1869. Pourtant, Gambetta va très vite être rejeté à Narbonne. Digeon dira à ce propos : « Gambetta fut le plus révolutionnaire des candidats à la députation, et ensuite, il eut toutes sortes de ménagements et de caresses pour ses collègues réactionnaires »70. Mais si les Narbonnais rejettent l’évolution de l’homme, ils retiennent nombre de ses idées d’avant sa « compromission ». Une telle perception de Gambetta, même si elle est très influencée par la haine cordiale que lui vouait Marcou, montre l’extrémisme de leurs positions, puisque Gambetta, même au pouvoir, est considéré alors par beaucoup comme d’extrême gauche. Mais ce radicalisme n’est qu’une seule des composantes qui forment l’idéologie des communards de Narbonne. En fait, thèmes et influences sont multiples.
51Ils ont foi dans de grandes vertus nécessaires à la liberté et à la République, que Limouzy énumère comme étant le droit, la justice, la vérité, l’amour, la franchise, la loyauté, la sagesse, la constance et la fermeté71, et qu’ils pensent constituer une « morale » indispensable. Cette idée est issue en droite ligne du Contrat Social de Rousseau. Selon Prosper Nègre, cette pratique de la morale ne doit pas être confondue avec une assimilation des préjugés, mais doit être définie par rapport à une loi de vérité morale, qui serait « agir avec les nôtres comme nous voulons qu’ils agissent avec nous »72. La pensée de Nègre, déiste et croyant en des principes de charité universelle, est très empreinte de celle de l’abbé Félicité de Lamennais73 (après l’encyclique « Mirari vos » [1832]), qui prône un déisme social et révolutionnaire74. Pourtant, beaucoup, comme Émile Digeon, sont athées, et rejettent le principe même de charité. « Le travail relève l’homme, la charité le dégrade », déclara-t-il le 12 mars 1871, après avoir expliqué que sa seule religion était sa foi politique en la République75. Mais tous se rejoignent dans un anticléricalisme virulent. Limouzy dénonce le système de la confession76. Il appelle à la liberté de conscience, à la séparation de l’Église et de l’État. Digeon, lui, parle des « conseils de soumission et d’asservissement dictés par des hommes à robe noire qui sont les gendarmes du cœur et de l’âme, comme le soldat est le gendarme du corps ». Il dénonce « ceux qui, après avoir dit que leur royaume n’était pas de ce monde, font tout pour s’emparer de la puissance terrestre ». Il voit dans les évêques et les « prêtres d’aujourd’hui » des « marchands de médailles et d’indulgences », et des « exploiteurs de miracles », « que le Christ, tel que le représentent les évangiles », « chasserait du temple »77. Car cet anticléricalisme n’exclut pas des références multiples à la culture chrétienne, que Digeon utilise pour des parallèles audacieux, que l’on pourrait presque qualifier d’interprétation révolutionnaire du christianisme. Ainsi, il affirme que « la vraie morale du Christ n’est en somme que celle de la sublime devise républicaine : Liberté, égalité, Fraternité ». Digeon tient beaucoup à parler de martyrs de la cause républicaine ; le 31 mars, alors qu’il croyait vivre sa dernière heure, barricadé dans le bureau du maire, il écrivait à sa femme : « Dis à ma mère que je mourrai martyr de ma foi républicaine, comme les martyrs chrétiens qu’elle vénère moururent pour la foi chrétienne. Eux aussi, ils étaient les anarchistes et les pillards du temps ; aujourd’hui, on leur dresse des autels »78. Ceci lui permet aussi de développer une ample rhétorique à propos du drapeau rouge :
« Ils vous diront que le drapeau rouge est le drapeau du sang : oui, c’est le drapeau du sang parce qu’il a été trempé dans le sang de nos martyrs, depuis celui que Bailly et La Fayette firent couler au champ de Mars jusqu’à celui qui a été successivement répandu par les thermidoriens, le Premier Empire, la Restauration, Louis-Philippe, Cavaignac, Napoléon III et même le gouvernement de la prétendue défense nationale (...) »79.
52Car les références à la culture chrétienne sont souvent battues en brèche par celles à la culture républicaine. Les communards narbonnais s’inscrivent dans une tradition de combat contre « les oppresseurs et les exploiteurs », qui, selon eux, ont successivement gouverné la France. Prosper Nègre développe ce thème, estimant que la Révolution de 1789 est incomplète, et qu’il faut la conclure. Il voit dans les Révolutions de 1830, 1848 et 1870 des tentatives d’achèvement de 1789, « inintelligemment ou méchamment rabaissées et insultées par les partis qui en ont souffert »80. Ceci est une profession de foi républicaine avancée. Mais Prosper Nègre va plus loin, donnant une interprétation révolutionnaire de la Révolution de 1789, directement issue de penseurs comme Gracchus Babeuf et Buonarroti. Selon lui, la Révolution a été « un règlement de comptes entre la noblesse, le clergé » et la « bourgeoisie », qu’il assimile au Tiers-État. Ce « Tiers-État ou bourgeoisie » fut le grand vainqueur de la Révolution, laissant de côté un quatrième ordre, le peuple, alors que c’était lui qui avait fait la Révolution (on remarque que Nègre raisonne en termes d’« ordres » et non de « classes »). Nègre explique comment ce quatrième ordre social, délaissé par une bourgeoisie « ingrate et aveugle », « tend et arrivera à prendre la tête du mouvement social », absorbera tous les autres « par l’exercice chaque jour plus régulier et plus éclairé de ses droits »81. Et, si Nègre réaffirme son républicanisme, il rejette 1789, qu’il tient pour responsable des inégalités criantes qui l’entourent. La dénonciation des inégalités reste d’ailleurs un thème fondamental chez les communards de Narbonne. Nègre cite Pecqueur82, dénonçant « les intérêts satisfaits et vainqueurs », « égoïstes », des bourgeois83. Limouzy voit une « bande de fripons et de vandales, de parasites, fléau de la société », s’engraisser sur le dos du peuple84. Digeon affirme, lui, « que la Révolution n’est que l’émancipation de ceux que la misère courbe sous le joug des riches et des intrigants »85. Cette dénonciation s’étend chez Prosper Nègre à celle « de la corruption, de l’égoïsme et des appétits matériels »86, puis glisse dangereusement vers un mépris globalisé vis-à-vis des partis politiques, le parti républicain du 4 septembre compris, tous accusés d’avoir pour seul objectif les hautes fonctions administratives et lucratives. Mais c’est la seule trace de poujadisme87 latent que l’on puisse trouver. Ailleurs, cette analyse reste résolument ancrée à gauche. Le même Nègre parle souvent en termes de « luttes de classes », mais raisonne dans des termes qu’un marxiste qualifierait de « collaboration de classes ». En effet, il dénonce le fait que « l’omnipotence des riches ait empêché des éléments du prolétariat d’accéder à la bourgeoisie, et qu’à l’inverse, des éléments de la bourgeoisie aient été refoulés dans les rangs du prolétariat »88. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ce type de raisonnement n’est pas une déviance du marxisme, due à une mauvaise interprétation, mais bien une thèse typiquement proudhonienne. On peut aussi souligner le fait que la première Internationale, par ailleurs très mal en point dans la France entière en 187189, n’a eu aucune influence à Narbonne, où elle ne comptait qu’un seul affilié, très tourné sur l’Hérault, et pas de section jusqu’à l’année suivante. Mais, par les écrits qui nous restent, on peut dire que l’influence de Proudhon, certainement indirecte, a été importante, bien que diffuse à Narbonne. Ainsi, Limouzy, comme Nègre dénoncent « l’exploitation de l’homme par l’homme », que Nègre nous décrit comme une « monstrueuse iniquité, qui sous des noms divers – esclavage, servage, salariat, prolétariat, paupérisme – pèse sur les races humaines depuis leur berceau ». Digeon, lui, parle de « guerre des opprimés contre les oppresseurs ». Ainsi, ils fixent pour but à la Révolution « l’amélioration progressive du sort de la classe la plus nombreuse », selon la devise « tout pour le peuple et par le peuple ». Et Prosper Nègre de proposer comme solution « un état social où la souveraineté sera exercée par tous au profit de tous ». Puis il appelle à la République, « non la République bourgeoise, non la République provisoire, mais la République vraie et définitive », autrement dit, la République démocratique et sociale. Cette position, Nègre la résume très bien dans une formule, « Travailleurs-républicains », qu’il utilise pour désigner les communards de Narbonne.
- Les solutions proposées :
53Si certaines revendications essentielles, tenant à la liberté (« liberté pleine et entière d’expression »), à l’égalité (« que tout homme s’élève en connaissance, en science et en dignité en proportion de ses facultés et aptitudes »), à la fraternité (« étendre la fraternité à tous les peuples »), ou à la justice (« être régis par des lois fondées sur le droit et la justice, et librement consenties par nos mandataires »)90, semblent apporter peu d’éléments supplémentaires aux principes proclamés par la Révolution du 4 septembre91, beaucoup, d’inspiration proudhonienne ou même anarchiste, sont radicalement plus avancées (les communards de Narbonne ne les dissocient pas de leur République d’un type nouveau, ils les y intègrent). Mais parallèlement à ces analyses sont envisagées quelques solutions concrètes.
54On trouve récurrente, chez Digeon, l’idée du mandat impératif, d’inspiration anaicho-proudhonienne. Selon lui, la forme républicaine ne peut exister que dans un gouvernement où « tous les fonctionnaires sont nommés par le peuple et toujours révocables par leurs électeurs ». Il développe sa théorie et l’applique aux députés, sur lesquels, les électeurs, pour être souverains, devraient, selon lui, avoir un « droit incessant de révocation ». Ainsi les députés élus sur un programme précis seraient obligés de le réaliser, ou de tout faire pour, sans déviation aucune, faute de quoi ils seraient déboutés par les électeurs : c’est le « mandat impératif »92. Digeon y voit le seul moyen pour que les députés soient vraiment « les représentants de la volonté nationale ». H pense en effet que « dans un gouvernement vraiment démocratique, la représentation nationale ne doit être que l’expression incessante des modifications progressives de l’opinion publique ». Selon lui, ce système, qui, ü le reconnaît, aurait infailliblement pour résultat de rapprocher les périodes électorales, consoliderait les bons députés, systématiquement réélus, puisque ayant respecté leurs engagements. Ceci semble très idéaliste, car on voit nettement les risques de déstabilisation que des révocations incessantes pourraient provoquer sur l’appareil démocratique, ainsi que le risque de lassitude des populations trop souvent appelées aux urnes, et qui risqueraient de s’en détourner (il est évident que Digeon, combattant pour la démocratie, ne peut concevoir l’existence même d’un tel phénomène). À cela s’ajoutent les difficultés d’organisation matérielle d’un tel système, une élection étant toujours une machine extrêmement lourde à mettre en place, et qu’il faut préparer. Digeon se rend compte de ce dernier problème, et répond à ceux qui crieraient « contre l’utopie », expliquant que « en attendant », il faut chercher « tous les moyens possibles de nous rapprocher du but », à savoir la réduction de la durée légale du mandat, et l’adresse aux députés de « significations collectives » pour qu’ils tiennent compte des désirs des citoyens. Mais il est intéressant de voir comment ce système de démocratie directe ne saurait, dans le meilleur des cas, être applicable que dans un cercle réduit, où les électeurs seraient proches les uns des autres, et limités en nombre : on peut penser ici à la cité grecque de l’époque classique, mais le rapprochement avec la Commune à venir semble plus judicieux : dans une démocratie fonctionnant sur le principe de l’autonomie communale, et où les principales décisions se prendraient à ce niveau, on pourrait peut être se prendre à rêver d’un tel système. Mais, à l’heure où Digeon écrit ces lignes, la Commune n’existe pas encore, et il pense clairement à une application nationale. La Commune découlerait elle, pour une part infime bien sûr, d’une réduction d’échelle nécessaire à un tel raisonnement ?
55D’autres revendications, ou idées avancées, existent chez les communards de Narbonne. Baptiste Limouzy rêve, de façon très proudhonienne, à l’établissement d’une sorte de banque du travail. Il explique comment on pourrait remplacer le système en fonctionnement, basé sur le capital, « qui fonctionne uniquement en faveur des capitalistes et des propriétaires », par un système basé sur le travail, et où l’on accorderait « pour le travail le crédit qu’on accorde au capital »93. Ainsi, selon Limouzy, on permettrait aux travailleurs de « vivre en travaillant, sans avoir besoin de faire appel à la charité ». L’idée est séduisante, mais on perçoit mal ses applications matérielles, qui restent très floues. Digeon, lui, projette « l’abolition des armées permanentes »94, idée anarchiste, mais qui puise ses racines plus profondément encore ; car elle se réfère surtout au concept de levée en masse, vieux mythe de 93, et à celui d’une armée citoyenne qu’est la Garde nationale dans chaque commune95 (car Digeon ne rejette pas encore unilatéralement l’armée). Les « baïonnettes citoyennes » de la Garde nationale protégeraient la République. Digeon se prononce également contre une revanche envers l’Allemagne, expliquant qu’une telle démarche équivaudrait à accepter « la perpétuité de la guerre »96. Car il est fondamentalement pacifiste, voulant espérer en « une paix définitive entre les peuples ». Et, de façon très proudhonienne là encore, il déclare que ce n’est qu’après la révolution que « la paix existera autour du drapeau de la fédération républicaine des peuples libres ». Digeon préconise également une réforme radicale des impôts, prônant leur suppression « pour le petit propriétaire et pour le journalier qui n’a que ses bras » (ils constituent l’essentiel des Narbonnais ayant participé à la Commune), et se prononçant pour un impôt pesant sur les plus riches, « les charges pécuniaires devant être imposées au superflu et aucunement au nécessaire », « tant que chacun n’aura pas le nécessaire », but de la société nouvelle. La revendication de la liberté d’association est également au programme de Digeon, qui veut ainsi réorganiser le monde du travail97. Très logiquement, il prône une mesure qui va de pair avec la séparation de l’Église et de l’État, la suppression du budget des cultes.
56Mais une fois encore, il faut souligner que ces mesures, si elles sont celles d’un républicanisme avancé, ne sont en aucune façon collectivistes, communistes ou marxistes. Digeon l’affirmera dans sa proclamation au « peuple de Narbonne »98, le 30 mars 1871, pendant la Commune, « malgré l’effervescence publique, les propriétés et les personnes ont été respectées ». De plus, il ne faut pas oublier que la population de Narbonne est en grande partie constituée de petits propriétaires, attachés à leur parcelle comme à la prunelle de leurs yeux. Même s’il existe de très grandes propriétés à partager, ils auraient sûrement eu tendance à avoir peur pour leur bien plutôt qu’à envisager ce qu’ils pouvaient gagner. La revendication pour la terre n’existe quasiment pas à Narbonne. Mais Digeon est de toute façon d’un tempérament trop légaliste pour vouloir s’attaquer à la propriété. Par contre, il veut associer les paysans à la Révolution, n’attribuant leur vote réactionnaire du 8 février qu’à leur peur de la guerre, et à la domination qu’exercent sur eux « les hommes noirs et les hobereaux qui exploitent leur ignorance et leur misère »99. Il ne voit dans les réticences des paysans que la nécessité d’un effort d’éducation d’envergure.
Diffusion des Lumières et foi dans le progrès.
57Prosper Nègre se prononce pour « la plus grande diffusion possible des lumières »100. Il se place dans la lignée du XVIIIe siècle, mais la façon dont il entend le mot « lumières » est très caractéristique d’un homme du XIXe. Il développe tout un champ lexical des « ténèbres », de l’ignorance qu’il oppose aux « propagateurs de la lumière » que seraient des associations contre l’ignorance qu’il se propose de créer. Nègre est persuadé que la connaissance est nécessaire car elle donne une perception nouvelle du monde qui nous entoure, « comme une intuition de la vie universelle », qui recule les horizons.
58Et cette diffusion des lumières, qu’il assimile à une lutte contre l’ignorance, Nègre entend l’accomplir par un effort sur l’enseignement, qui doit être « la principale préoccupation du pouvoir ». Son analyse de la situation n’est pas exempte de nationalisme, que l’on pourrait plutôt qualifier de patriotisme républicain. Selon lui, si la France a été battue, c’est par l’infériorité de son enseignement par rapport à l’Allemagne. Il veut reconquérir ce qu’il estime être « l’esprit de saillie », « l’originalité » et la « gaieté », « traits caractéristiques de l’esprit français » disparus. Pour cela, il préconise une réforme radicale de l’enseignement, consistant dans « l’extension la plus large de l’éducation et de l’instruction, sans distinction de classes ». Cette intention égalitaire traduit en fait un souci de s’occuper particulièrement de « l’enseignement populaire, qui appelle les plus larges réformes ». Réaliste, Nègre tient compte du système en place, enseignement de classe dont on ne peut faire abstraction, mais qu’il faut supprimer en remontant le niveau de la base. Tout cela ne peut se faire que par une revalorisation des instituteurs, envers lesquels Nègre reconnaît des efforts récents, mais toujours insuffisants : « Ayons de bornes écoles, de bonnes méthodes d’enseignement, de bons maîtres. Il s’en trouvera quand ils seront rétribués et honorés convenablement ». On peut faire remarquer toutefois que Nègre étant un ancien professeur de collège, cette solution proposée comme un remède miracle peut cacher une revendication corporatiste. Mais on peut penser qu’une majorité de personnes sont sensibles à ces arguments101.
59Au delà du système scolaire proprement dit, Nègre explique comment il voulait faire à Narbonne, avant la Commune et ce qui s’ensuivit (son arrestation), « des lectures publiques, spécialement destinées aux hommes du peuple », se plaçant ainsi dans la grande tradition quarante-huitarde. Il propose l’organisation d’un enseignement destiné aux adultes, avec des « conférenciers » spécialisés qui traiteraient chacun d’un thème particulier, et donneraient « les notions élémentaires sur les sciences et les arts ».
60On remarque les différences d’appréciation existant sur ce sujet entre Digeon, le politique, et Nègre, le scientifique. Digeon est bien sûr en entier accord avec les thèmes de réforme proposés par Nègre, mais il y voit surtout un moyen d’éducation civique : c’est en luttant contre l’ignorance que l’on gagnera les paysans à la République102. Nègre, lui, croit en l’enseignement pour lui-même, pour la science qu’il apporte à l’homme, et les bienfaits qui la suivent.
61Partout, on retrouve une foi inébranlable dans le progrès, typique du XIXe siècle. Si Nègre ne précisait pas sa foi en l’existence d’un Dieu, on pourrait presque parler de nouvelle religion scientifique : « La science ne trompe ni ne ment, et c’est la vérité qui alimente le flambeau dont elle se sert pour éclairer les intelligences et dissiper les ténèbres de l’erreur »103, écrit-il. Et de se lancer dans des explications astrophysiques dithyrambiques, peinture d’un monde où tout semble quantifiable, rationalisé, et à la fois indéfini, comme les limites du champ d’application de la science. Dans la pratique, Nègre propose la création d’associations pour diffuser la science, organisées de façon centralisée autour de Narbonne : un comité directeur y siégerait, et il aurait des correspondants dans chaque canton. Il explique comment la marche vers le progrès devrait permettre le remplacement de l’exploitation de l’homme par l’homme par « l’exploitation permise et recommandée de plus en plus intégrale du globe terrestre par l’homme, son seigneur et maître ». Cette soif de connaissance ne se limite d’ailleurs pas à la science au sens restrictif du terme, mais s’étend à toutes les disciplines, lettres, arts, histoire ou même droit. La croyance dans la technique, la science, le progrès ou l’éducation s’accompagne chez Nègre d’une foi en l’homme, en ses capacités et en son devenir toute aussi constante. L’ensemble est marqué par un manichéisme imperturbable. Ainsi, Nègre prône « la diminution du mal dans le monde, l’accroissement du bien », annonce que « le mal diminuera progressivement, combattu efficacement par la science et l’amour », et croyant dans la « loi des destinées », pense qu’il est inévitable qu’on aboutisse à ce à quoi il aspire, à savoir « le triomphe de la justice sur l’iniquité, du bien sur le mal (...) »104, la venue d’un monde nouveau et l’arrivée d’un « nouvel état social »105. On retrouve ce manichéisme chez Limouzy106. En conclusion de son ouvrage, Prosper Nègre, se dit utopiste. Effectivement, depuis la synthèse sur les idées socialistes de Louis Reybaud107, et plus généralement depuis 1848, date qui marque son assimilation, les utopistes se réclament de l’utopie. Ainsi, Nègre écrit : « le temps viendra où l’utopie deviendra vérité »108.
62L’ensemble des aspects de ce républicanisme nouveau ayant été étudié, il importe maintenant de s’intéresser plus particulièrement à ce qui fit que justement, le mouvement révolutionnaire de mars 1871 n’essaya pas seulement d’instaurer une nouvelle République : la forme communaliste.
L’idée communaliste : simple modèle utilisé pour exprimer une revendication, ou vœu décentralisateur réel ?
63Nous avons pu observer comment, malgré des idées souvent empruntées à des socialistes avancés, les communards de Narbonne étaient essentiellement républicains. Mais dans ce cas là, on peut légitimement se poser la question : pourquoi ont-ils choisi de proclamer la Commune pour satisfaire leurs revendications ?
64D’une part, on observe que les revendications éclosent contre le gouvernement de la Défense Nationale, et qu’expérience après expérience, réunion après réunion, les militants du Club de la Révolution se persuadent qu’il leur faut s’insurger pour défendre la République démocratique et sociale qu’ils appellent de leurs vœux. On ne peut dire que Narbonne, à la différence de Marseille ou Lyon, ait précédé Paris sur la voie du mouvement communaliste pendant l’été ou l’automne 1870109. Quand Paris s’insurge, le 18 mars 1871, il fournit indéniablement un modèle aux Narbonnais, qui voient dans un soutien à la capitale le meilleur moyen de défendre la République, ainsi que la solution à tous leurs problèmes. Ainsi nait la Commune de Narbonne.
65Pourtant, l’idée communaliste à Narbonne est plus profonde qu’il n’y paraît. Si c’est effectivement un modèle, on ne peut la réduire à cette simple dimension. Et ce pour plusieurs raisons.
66Tout d’abord, il s’agit d’une réaction face au centralisme de l’Empire110. Les républicains ont lutté contre cet état fort, qui par le centralisme de son administration tenait le pays entier sous sa coupe, et dirigeait d’en haut à la fois la vie politique, et les grandes initiatives économiques (qui furent, cela peut paraître paradoxal, de forcer les entrepreneurs au libre échangisme). L’Empire « parlementaire » reste tout aussi centralisé, et ne permet pas de véritable contrôle des électeurs sur les élus111. Les Narbonnais, qui se sentent trahis par la Révolution du 4 septembre, ont le sentiment que leurs députés sont toujours incontrôlables, et ont failli à leurs promesses. Ils pensent donc qu’une plus grande décentralisation permettrait un meilleur contrôle de l’action de leurs élus, qui, plus proches, seraient plus faciles à atteindre. Digeon, dans ce contexte, propose le mandat impératif, qui, nous l’avons vu ne peut se concevoir qu’à petite échelle, donc convient très bien à la forme communaliste (on remarque d’ailleurs que lors de la Commune, Digeon prendra le titre de « chef provisoire », entendant bien se retirer dès que lui ou le peuple le jugerait nécessaire).
67De plus, nous l’avons vu, les idéologues narbonnais sont influencés, même sous forme diffuse, par Proudhon. Et celui-ci est un chantre du fédéralisme112. Il comprend l’État fédéral comme une société non hiérarchisée formée de groupes autonomes. C’est en grande partie le principe qui sera repris dans l’organisation d’une France communaliste, formée d’une fédération de communes autonomes, mais unies au gouvernement de Paris. Il y a donc hiérarchisation, Paris étant reconnue comme capitale. Digeon sera d’ailleurs très clair sur ce point, puisqu’il parlera de la « Commune centrale de l’arrondissement de Narbonne », « avec union à la Commune nationale de Paris ». Le mouvement communaliste a donc son originalité idéologique propre. Mais s’il doit y avoir recherche d’influence, elle semble à Narbonne beaucoup plus proudhonienne que bakouniniste, puisque Narbonne semble avoir échappé complètement à la zone d’influence de ce dernier113.
68Environ un mois après la Commune, un journaliste intéressé interviewa Digeon dans sa prison de Rodez, afin de lui demander des explications sur son « système » communaliste114. Il le résuma comme « un système très large de décentralisation ». Digeon maintint que la Commune n’était en aucun cas une atteinte à l’unité de la France, mais un moyen d’améliorer la démocratie. Selon lui, la Commune étant l’unité de base de l’organisation administrative, elle était comparable au simple citoyen, unité de base du système électoral. Et, si ce dernier était libre de s’occuper de ses biens, la Commune devait, elle aussi, être libre chez elle. Digeon préconisait d’étendre cette indépendance aux échelons supérieurs, cantons et départements. Il ajoute que cela ne dispenserait pas ces structures de fournir un concours politique et financier à l’État. Cette décentralisation, et le concept de mandat impératif, impliquent un nouveau système électoral. Les électeurs n’éliraient directement que les membres de « l’Assemblée » communale, aisément contrôlables. Ceux-ci nommeraient des délégués au conseil cantonal, qui nommerait des délégués au conseil général du département, qui, à son tour, nommerait les représentants à l’Assemblée nationale. On peut toutefois objecter qu’à la fin d’une telle chaîne, on voit mal quel pourrait être le contrôle réel des électeurs sur les députés ! Digeon ajoute que ce système aurait dû s’imposer de lui-même, sans insurrection.
69Mais, à Narbonne, la force du sentiment communaliste sera sa préparation latente dans les mois qui ont précédé la Commune, par deux faits majeurs. Tout d’abord, le détachement d’une ville républicaine, qui veut s’émanciper de sa campagne conservatrice, et aspire à former, selon le mot de Jacques Rougerie, une « République des villes »115. Ensuite, et surtout, nous avons pu voir quel avait été le rôle très important qu’a joué la formation des Ligues républicaines, qui, même si elles s’en défendaient, étaient organisées suivant un principe fédératif. De plus, elles s’ancrent dans la tradition quarante-huitarde116. Elles ont créé un antécédent majeur.
70Le sentiment et l’idée communaliste ont une originalité et une importance indubitables. Dus aussi bien à des influences idéologiques qu’à des circonstances historiques particulières, ils ont su trouver leur place à Narbonne, où ils avaient des antécédents puissants bien avant que Paris insurgé ne dorme clairement un modèle insurrectionnel communal. C’est ainsi qu’une insurrection fondamentalement républicaine et sociale put prendre ce tour communaliste, fédéraliste, qui effraya tant une France foncièrement jacobine.
II. Devenir des hommes, mythe de la Commune et héritage
71Battus, les communards n’en étaient pas moins vivants. Si certains étaient emprisonnés, d’autres étaient libres, acquittés ou en exil, et entendaient bien faire entendre leur voix. La République conservatrice installée, cela semblait très difficile. Pourtant, le mouvement insurrectionnel communaliste avait des racines profondes à Narbonne, et il ne pouvait disparaître totalement du fait d’une répression. De nombreux troubles vont secouer Narbonne dans les années 1870. Il serait totalement faux de faire de l’avenir socialiste de Narbonne un simple prolongement de la Commune. Pour autant, on ne peut nier l’importance du legs de la Commune à Narbonne. Les orientations politiques principales de l’extrême gauche ayant complètement changé, la Commune ne constituera jamais un modèle, mais plutôt une référence, une gloire dont on se dispute l’héritage. Le souvenir des « martyrs de la Commune » sera entretenu régulièrement, devenant rapidement plus un mythe qu’une réalité.
72Cette transformation du regard porté sur la Commune sera facilitée par l’évolution idéologique des communards eux-mêmes. Ceux-ci restèrent actifs et s’engagèrent dans la vie politique narbonnaise, souvent au nom de principes qui avaient beaucoup évolué depuis la Commune. Il est intéressant d’étudier précisément comment toutes ces interactions ont pu se faire, d’observer quels ont été l’action et le comportement des hommes, et d’examiner comment peu à peu le souvenir de la Commune de Narbonne passera du domaine de la réalité à celui du mythe, les frontières entre les deux n’étant jamais très nettes.
A) Les communards et Narbonne jusqu’au retour des condamnés (1879)
73Le verdict d’acquittement de tous les prévenus prononcé en novembre 1871 faisait penser à tous que le principe insurrectionnel communaliste sortirait grandi et triomphant. Les ex-prévenus de Narbonne étaient auréolés de prestige. Narbonne comptait nombre de militants prêts à s’engager dans la lutte contre les monarchistes au pouvoir, et ce par des voies qui pouvaient être très différentes de la Commune. Ils n’en perpétuaient pas moins une tradition insurrectionnelle narbonnaise. Digeon était vénéré par tous les républicains du Midi de la France. Aussi va-t-il s’investir de nouveau dans le combat pour ses idées contre la réaction, aussitôt après sa libération.
L’action de Digeon immédiatement après son acquittement
74Il veut monter une organisation républicaine dans le Midi afin de résister à la réaction au pouvoir. Début décembre, il réaffirmait sa foi dans les principes communalistes qui l’avaient poussé à s’insurger contre le gouvernement de Versailles, montrant comment les sept mois de détention préventive qui lui avaient été infligés n’avaient en aucun cas ébranlé ses convictions117.
75Le 17 décembre 1871, il présidait une réunion à Béziers, composée de délégués des communes de l’Hérault, du Gard, de l’Aude, de l’Aveyron, des Pyrénées-Orientales ou du Gers118. Les menées monarchistes de la majorité versaillaise inquiétaient les républicains, à juste titre, et il s’agissait de mobiliser à nouveau les républicains pour former un barrage contre la réaction. C’était bel et bien un organe de résistance à l’état conservateur que l’on se proposait de créer. Les hommes réunis sous la présidence de Digeon ne reculaient devant aucune forme d’action politique, refusant que certaines, comme l’insurrection, soient taxées d’illégales. Ils créèrent un comité provisoire119, et, afin de se donner des moyens d’action réels, ils décidèrent de la création d’un journal, La Fédération Radicale, qui serait l’organe de l’association120. Le comité, et le journal, se donnaient pour but de diffuser un programme révolutionnaire d’inspiration communaliste, où l’on sentait l’importance de l’apport de Digeon. Cette tentative de Digeon fut un échec121. Elle n’en était pas moins significative de sa volonté à titre personnel, et de celle d’un grand nombre de militants avancés de tout faire pour lutter contre les menaces pesant sur la jeune République.
76En janvier 1872, après l’échec de La Fédération Radicale, Digeon s’exile en Espagne, à Palma de Majorque122. Il sera donc totalement absent de la vie politique narbonnaise, et ce jusqu’en 1880. Mais l’exil va aussi lui permettre de travailler plus librement à la Révolution en France. Il retrouvait à Palma Baptiste Limouzy, lui en exil forcé. Aux Baléares existait une forte section de l’Internationale, organisation que Digeon semblait peu connaître, mais qu’il regardait avec sympathie. Il avait un grand projet révolutionnaire, voulant unir les révolutionnaires espagnols et ceux du Midi de la France pour tenter un coup de force, en s’emparant des villes placées de part et d’autre de la frontière, les Espagnols faisant leur mouvement et les Français le leur, les Pyrénées servant de base arrière commune d’où les deux mouvements pouvaient mutuellement se prêter main forte123. Le projet, dans lequel on mesurait tout le romantisme révolutionnaire de Digeon, était d’inspiration blanquiste, une conspiration menée par un petit groupe d’individus devant entraîner les masses. Pour réaliser ce soulèvement, Digeon était conscient qu’il manquait cruellement d’argent. Trompé par le prestige de l’Internationale, il croyait que celle-ci pouvait disposer des ressources financières nécessaires. De plus, il ignorait complètement que l’action qu’il proposait était contraire à tous les principes fondamentaux de l’Association. Aussi contacta-t-il Eudes, blanquiste affilié à l’Internationale124, réfugié à Londres, pour lui exposer son projet et lui demander de tout faire pour le faire accepter par l’Association125. Ce projet blanquiste surprend chez Digeon, que l’on connaît moins guerrier. Car il ne pouvait ignorer que sa réalisation ferait obligatoirement couler le sang. Or on sait que c’est une chose qui lui répugnait profondément. Bien évidemment, il n’y eut pas de suites réelles. Pourtant, un groupe de réfugiés français à Barcelone, dirigé par Paul Brousse, Charles Alerini et Camille Camet126, reprit à son compte l’idée d’un soulèvement révolutionnaire dans le Midi de la France, fondant en avril 1873 un « Comité de propagande révolutionnaire socialiste de la France méridionale », afin de préparer en France un mouvement insurrectionnel. Comme Digeon, ils prenaient pour point de départ la solidarité entre révolutionnaires français et espagnols. Et on peut penser que Digeon, aux Baléares, était certainement au courant de l’activité des proscrits de la péninsule127. Correspondant de La Fraternité, il rendait compte des bouleversements politiques et militaires qui agitaient l’Espagne, croyant fermement dans la victoire des républicains128. Il avait donc encore un pied dans l’Aude, par l’intermédiaire de La Fraternité. Mais, à Narbonne, c’est sans lui que des mouvements vont se faire jour.
Troubles populaires dans l’arrondissement de Narbonne (1871-1872), « communards » de Quillan (mars 1872)
77Les militants avancés, à Narbonne et dans ses environs se trouvaient depuis l’échec de la Commune placés sous la domination des notables républicains, souvent modérés129. Ils soutenaient ces notables contre les conservateurs monarchistes ou bonapartistes, mais n’avaient pas pour autant abandonné leur idéal de République démocratique et sociale. Aussi manifestaient-ils leurs différences lors de fêtes républicaines populaires. Le 4 septembre, dont la célébration était interdite par la République conservatrice, faisait systématiquement l’objet de manifestations festives illégales, à Narbonne et dans tout le département130. Ainsi, à Coursan, en septembre 1871, on avait promené dans les rues une statue de la République voilée de rouge. La répression fut spontanée : deux compagnies d’infanterie de Narbonne furent appelées, et l’homme à la statue fut arrêté. À Cuxac d’Aude, on a dansé malgré les interdictions, et pavoisé de nombreux drapeaux aux fenêtres. À Narbonne, on fit un grand banquet, de même qu’à Ouveillan. À Carcassonne, un grand nombre d’habitants, dont le maire (Marcou), mirent un drapeau à leurs fenêtres. L’année suivante, des fêtes similaires eurent lieu à Fitou et à Lézignan. Le maire de Lézignan, qui avait organisé les festivités et écrit un couplet ridiculisant le préfet, fut poussé à la démission par les autorités.
78Les fêtes populaires et folkloriques traditionnelles, comme le carnaval, donnaient elles aussi lieu à des manifestations républicaines avancées. Ainsi, à Cuxac d’Aude, on fit défiler une méchante parodie des officiers versaillais : trois hommes, habillés avec des uniformes gouvernementaux, firent le tour de la ville montés sur des mulets, sous les vivats de la population131. Souvent, les festivités on ne peut plus traditionnelles commençaient de façon tout à fait innocentes, puis, face à l’action du gouvernement, se transformaient rapidement en protestation politique. Ainsi à Fleury (canton de Coursan), les habitants du village organisèrent un charivari contre un homme âgé qui avait séduit une jeune femme. Quand les gendarmes arrivèrent pour disperser l’attroupement bruyant, les « radicaux » locaux incitèrent la foule à résister, et forcèrent la police à se replier. Le lendemain, deux brigades de gendarmerie arrivaient dans le village, opéraient vingt cinq arrestations, et suspendaient le maire, qui était impliqué dans l’affaire132.
79Un événement plus directement encore lié à la Commune se produisit à Quillan lors du 1er anniversaire du 18 mars. Une grande fête eut lieu le 18 mars 1872, et, après le repas, les convives descendirent dans les rues en chantant des airs patriotiques, et en poussant des « cris séditieux », d’après l’acte d’accusation. Ils avaient crié haut et fort : « Vive la Commune ! »133. Aussitôt, la gendarmerie intervint, et arrêta sept ou huit protagonistes qu’on conduisit à la prison de Limoux, enchaînés. Les républicains se mobilisèrent, et une pétition fut signée, qui disait ne rien trouver de « séditieux » dans cette affaire, et qui accusait les autorités d’avoir intérêt à grossir l’affaire134. Le jugement ne se fit pas attendre, et, le 23 mars, le tribunal correctionnel de Limoux prononçait des peines de prison ferme, pour des délits verbaux135.
Émeutes antimilitaristes (août-septembre 1872)
80En août et septembre 1872 éclatèrent à Narbonne des émeutes antimilitaristes qui prirent rapidement une tout autre ampleur que les événements précédents. Depuis la répression de la Commune par les turcos, l’antimilitarisme était vivace à Narbonne. En février ou mars 1872, le 27ème bataillon de chasseurs à pied, qui avait réprimé dans le sang la Commune de Marseille, s’était installé en garnison à Narbonne. Aussitôt, la population avait manifesté son hostilité. Chaque jour, les clients du café de Bordeaux et les habitués du Cercle de la Fraternité sifflaient et huaient copieusement les militaires. Les incidents, bousculades et autres altercations entre civils et militaires étaient devenus monnaie courante136. Les militaires, obéissant à leurs consignes, étaient toujours restés calmes. Mais un affrontement était inévitable.
81Il se produisit le 23 août. Le soir, à huit heures et demie, les clairons de « la retraite » regagnaient leur quartier du Séminaire, en passant par la rue Entre-deux-villes. Arrivés à la hauteur des cafés de Bordeaux et Barrière, ils furent accueillis par des sifflets, des huées, des cris, parmi lesquels on distinguait ceux de « capitulards »137. Cela était habituel. Mais ce jour-là était celui du tirage au sort : les conscrits abondaient dans les cafés, et pendant toute la journée, n’avaient cessé de provoquer les militaires. Les insultes contre les clairons étaient plus qu’ils n’en pouvaient supporter. Ils retournèrent poser leurs instruments à la caserne, puis revinrent devant le café Barrière pour connaître les noms de leurs insulteurs. Le propriétaire refusa de les leur donner, et leur défendit de pénétrer chez lui, déclarant qu’il se respectait trop pour admettre des soldats dans son café. Pendant la discussion, un individu saisit une bouteille et en asséna un coup terrible sur la tête d’un soldat. Aussitôt, les soldats dégainèrent leurs armes et se précipitèrent vers l’intérieur de l’établissement. Es furent accueillis par une grêle de bouteilles, de verres et de chaises qui tombaient du haut du balcon. Deux autres soldats furent blessés. Es se replièrent aussitôt dans leurs quartiers, pour en revenir avec le bataillon tout entier. Pendant ce temps, les membres du Cercle de la Fraternité, qui composaient en grande partie les occupants du café, avaient rassemblé des soutiens : c’est cinq cents personnes armées de bâtons, de couteaux, de pierres et de bouteilles que trouvèrent les soldats à leur retour, criant « capitulards ! », « Bouchers de Marseille ! ». Les deux camps eurent plusieurs blessés, mais les soldats n’eurent pas grand peine à l’emporter. La foule était importante, dans la rue, et on donna l’ordre de faire circuler de fortes patrouilles pour dégager des passages. Des îlots de résistance furent vaincus à coup de crosse et de plats de sabre. On procéda à des perquisitions, et vers minuit, quinze personnes étaient arrêtées, dont Jean Miss, un des acquittés de Rodez138. Mais cette « pacification » militaire n’avait fait qu’exacerber encore plus les tensions existantes, et les militants narbonnais ne supportaient plus de voir certains des leurs en prison.
82Aussi, le 1er septembre 1872, ou plutôt dans la nuit du 1er au 2, de nouveaux événements éclatèrent. Vers onze heures et demie du soir, un attroupement, formé de trois ou quatre groupes de vingt à vingt cinq individus, s’était formé sur la place devant la caserne St-Bernard. Les hommes se promenaient de long en large, en se rapprochant ostensiblement de la sentinelle. Celle-ci crie : « au large ! ». Aussitôt, on l’invective. Le soldat croise sa baïonnette, et appelle aux armes. Ses camarades arrivent aussitôt à la rescousse, et reçoivent une grêle de pierres. L’un d’eux en reçoit une en pleine poitrine et tombe à la renverse. Les soldats se précipitent sur son agresseur et l’arrêtent, le cernant de leurs baïonnettes : il s’agit d’Astruc, ouvrier tonnelier qui a joué un rôle important pendant la Commune. Paul Authier, cultivateur, est également arrêté. L’arrivée du commissaire de police permet de dégager la place, et huit autres arrestations sont opérées139. L’affaire était donc facilement réprimée. Mais elle avait effrayé à la fois le gouvernement et les républicains modérés, ou même relativement avancés. Le lendemain, deux proclamations, l’une du maire, l’autre du préfet, condamnaient ces événements. Les responsables républicains s’efforçaient, à l’image de Marcou, de présenter l’émeute comme le fait d’un groupuscule isolé, sans aucun lien avec la mouvance républicaine, mais étant de vulgaires tumultes juvéniles, inspirés par la vanité, la boisson et le stupre. En fait, Marcou voulait à tout prix éviter que l’on ne voie dans le tumulte narbonnais les signes avant coureurs d’une nouvelle Commune, de façon à ce que les monarchistes de tout bord ne puissent reprocher aux républicains d’être le parti du désordre140.
83Effectivement, Thiers voyait d’un très mauvais œil cette agitation à Narbonne. Le caractère insaisissable de l’ancienne cité communarde lui inspirait de vives craintes. De plus, attaquer l’armée constituait pour lui une des choses les plus graves qui soient. Aussi lui paraissait-il particulièrement important de faire respecter les militaires dans la seule ville où, pendant la Commune, des soldats avaient mis la crosse en l’air. Les conservateurs narbonnais, Lambert de Sainte-Croix et Charles de Rouquairol, amis du président de la République, l’encourageaient dans sa sévérité face aux événements de Narbonne. Aussi, le 2 septembre, Thiers écrivait-il au ministre de l’intérieur, Victor Lefranc, une dépêche dans laquelle il demandait une répression sans faille141. Les militaires de Narbonne demandaient la proclamation de l’état de siège, qui leur aurait permis de se faire justice eux-mêmes. Thiers la refusait, mais écrivait au procureur général de Montpellier afin que celui-ci incline la justice ordinaire à une plus grande sévérité142.
84Le jugement fut rendu très rapidement, les 9 septembre et 5 octobre, de façon séparée pour les deux affaires, devant le tribunal correctionnel de Narbonne. Les vingt cinq personnes arrêtées précédemment comparurent. Après un réquisitoire énergique du procureur, les juges proposèrent des peines allant de quatre à quinze mois de prison. Par ailleurs, les autorités supprimaient la licence du café de Bordeaux, et, un an plus tard, dissolvaient le Cercle de la Fraternité143. Le fait que certains accusés soient d’anciens communards ou des personnes récemment poursuivies pour avoir organisé des réunions illicites ne joua pas en leur faveur144. Cette rigueur de la justice sembla apaiser les craintes des « honnêtes gens ».
85L’épisode avait marqué une fracture entre les militants antimilitaristes narbonnais et leurs dirigeants, qui, à l’image de Marcou, s’étaient désolidarisés du mouvement, estimant que « Narbonne a besoin de calme et de repos »145. Alors que, face aux divisions des monarchistes, Thiers semblait se rallier définitivement à la République, le conseil municipal de Narbonne l’assurait que « le parti républicain de Narbonne » « ne se compromettra pas au moment où il assiste au triomphe de la République »146. Et, comme pour creuser encore le fossé qui désormais séparait les militants narbonnais de leurs dirigeants, d’autres actions antimilitaristes, certes de moindre ampleur, virent le jour à Narbonne pendant les mois qui suivirent147. Seul Émile Digeon, de Palma, ne se désolidarisait pas des militants, reconnaissant avec douleur dans les colonnes de La Fraternité que certains de ses amis avaient été arrêtés148. Mais les antimilitaristes n’étaient pas seuls à inquiéter le parti de l’ordre à Narbonne.
L’Internationale (groupe brisé en mars 1873)
86Nous avons suffisamment insisté sur le fait que l’Internationale n’existait pas à Narbonne pendant la Commune, et qu’on ne pouvait lui attribuer aucun rôle dans le soulèvement de mars 1871. Pourtant, assez rapidement, une section va être fondée à Narbonne. Jean Miquel149, condamné à mort pour sa participation à la résistance au coup d’état à Béziers, amnistié en 1852, et qui depuis travaillait comme mécanicien à Narbonne, fut admis dans l’organisation par Bastelica en 1870150. Mais il ne fonda pas de section de l’Internationale à Narbonne immédiatement, et resta seul membre narbonnais de l’Internationale pendant plus d’un an. Immédiatement après la Commune, il commence à recruter, engageant son futur gendre, le mercier Canutis, en avril 1871. Celui-ci deviendra correspondant de l’Internationale à Béziers151. Miquel recruta également Paul Revel, président du Cercle de la Fraternité, récemment formé à Narbonne152, Charles Darié, Pierre Marc Gaillard, commissionnaire en vins, Eugène Gondres, ancien dirigeant de la Commune, Cathala, chef des francs-maçons de Narbonne, Lalande, Blauer, Girod, et certainement beaucoup d’autres encore, qui n’ont pas été arrêtés par la suite, et dont il ne reste aucune trace153.
87La section de Narbonne était en liaison avec les autres sections françaises, notamment celles de Toulouse (par l’intermédiaire de Dentraygues, un des trois délégués de l’Α.Ι.Τ. en France), d’Oullins (dans le Rhône), et de Béziers, par Canutis. La liste des relations présumées ou prouvées des affiliés de Narbonne est impressionnante. On s’aperçoit que Canutis est un ami politique de Louis Salvan, fondateur du groupe biterrois de l’Α.Ι.Τ. en 1871, de Calas, membre de la section de Montpellier, qu’il correspond avec Jules Montéls, à ce moment-là en exil en Suisse, et avec Rogelet, également membre de l’Internationale. Canutis est présenté comme un ami de Serailler, condamné à mort par contumace pour son rôle dans la Commune de Paris, en exil à Londres, et correspondant français du Conseil Général de l’A.I.T.154. Gaillard serait lui aussi connu de Serailler, Pey, Calas, Dentraygues, et Digeon. Ancien communard, il aurait envoyé sa photo à Montéls avec cette légende : « souvenir d’un communeux ». Gaillard était en outre possesseur d’une carte nominative de la ligue du Sud-Ouest.
88On voit donc l’importance des anciens communards de Narbonne dans cette organisation. Il faut toutefois considérer Jules Montels comme un cas particulier. Car si sa participation à la Commune de Narbonne est prouvée, nous avons vu qu’il ne fallait pas lui donner trop d’importance. Il s’est beaucoup plus investi dans la Commune de Paris. En exil à Genève, il était condamné par contumace à la déportation à perpétuité dans une enceinte fortifiée pour sa participation à la Commune de Narbonne, et était condamné à mort, toujours par contumace, pour son rôle dans l’insurrection parisienne. En Suisse, Montels milite au sein de la fédération jurassienne bakouniniste. Il est en contact avec Jules Guesde, lui aussi en Suisse avant de se réfugier à Milan. Tous deux connaissent une évolution identique : militants à la Section de Propagande et d’Action Révolutionnaire Socialiste de l’A.I.T., ils évoluent vers l’anarcho-communisme de Bakounine (avant bien sûr de prendre des voies différentes). Ils sont tous les deux en contact avec les internationalistes de l’Hérault155. Montels correspond aussi avec les Narbonnais, et particulièrement avec Miquel, qui, jusqu’à sa mort en décembre 1872156, reste le dirigeant incontesté de la section de Narbonne. Les internationalistes narbonnais adoptaient une philosophie politique prônant l’abstention et l’emploi exclusif de moyens révolutionnaires. L’essentiel de leurs projets concrets résidait dans la diffusion de leur mouvement. Le militantisme passait aussi par l’acquisition d’une culture et d’une connaissance des grands auteurs socialistes. Ainsi, on apprend que Charles Darié avait commandé des livres prohibés à la librairie centrale républicaine. Gaillard, lui, a reçu de la même librairie une caisse de livres prohibés, parmi lesquels on remarquait les œuvres complètes de Bakounine, La Révolution de Gambon, etc.... Par ailleurs, afin d’accroître leur influence, Gaillard et Miquel projetèrent de créer un journal international, idée à laquelle s’intéresse le haut responsable de 1’A.I.T. Serailler157.
89La section de l’Internationale à Narbonne était donc particulièrement fertile. Pourtant, la mort de Miquel en décembre 1872 sembla marquer un coup d’arrêt158. Mais les ennuis devaient venir de la justice, qui allait réaliser un formidable coup de filet sur l’ensemble de l’Association dans le Midi. Au mois de mars 1872 avait été votée la loi Dufaure qui fait de l’appartenance à l’A.I.T. un délit159. Or, pour procéder à l’établissement de sections, les dirigeants avaient demandé aux militants d’établir des listes de « citoyens socialistes », afin d’avoir le plus d’adresses possibles, et de pouvoir continuer plus facilement la propagande. Dans l’Hérault, Calas, qui avait de nombreuses relations, avait rédigé des listes, qui ne devaient servir qu’aux internationaux. À Narbonne, Miquel comptabilisait régulièrement ses nouvelles adhésions160. Il suffisait donc d’une dénonciation, ou d’un mot imprudent, pour que, de liste en liste, la police, ayant un nom, trouve tous les autres. Or de vives tensions existaient à ce moment là entre marxistes et bakouninistes au sein de lΆ.Ι.Τ. Paul Brousse s’était engagé aux côtés des seconds : sur proposition de Calas, il est exclu de la section de Montpellier, le 19 septembre 1872. Guesde, furieux de la façon dont avait été éconduit son ami, lança dans un journal belge, en octobre, des accusations publiques contre les internationaux de l’Hérault, allant jusqu’à citer le nom de Calas, qu’il appelait Colas. Il est difficile de dire s’il s’agissait de la part de Guesde d’une dénonciation consciente, ou d’une simple imprudence. Mais la police pouvait mettre la main sur un homme essentiel, et déclencher ainsi un gigantesque processus d’arrestations. Un an plus tard, Marx, Engels et Lafargue parlaient de la « dénonciation » de Guesde. C’était une catastrophe, l’organisation était démantelée dans tout le Midi. Une série de procès s’ensuivait : à Béziers (en février 1873), à Toulouse (en mars), à Montpellier (en mai), et à Narbonne (en mars-avril)161.
90Neuf internationalistes comparurent devant le tribunal correctionnel de Narbonne, les 29, 31 mars, 1er et 2 avril 1873. Gaillard était condamné à six mois de prison et deux cents francs d’amende, Canutis, Cathala et Revel à cinq mois et deux cents francs d’amende, Darié à quatre mois et cent francs d’amende, Gondres à un mois et cinquante francs d’amende, tous les six étant privés de leurs droits civiques pendant cinq ans. Lalande, Blauer et Girod étaient acquittés162. Le mouvement insurrectionnel à Narbonne était fortement affaibli. Ce sont bien souvent les exilés qui sont alors les plus actifs163.
Réunions clandestines, surveillance puis répression sous l’Ordre Moral
91C’est un euphémisme que de dire que la République conservatrice accepte mal de voir se développer une quelconque organisation avancée. Pour Thiers, la priorité était le maintien de « l’ordre ». Il écrivait ainsi en septembre 1872 au ministre de l’intérieur Victor Lefranc : « il faut se contenter de réprimer énergiquement tout ce qui prend le caractère de l’émeute, comme à Narbonne, par exemple (...) »164. Tout allait donc être mis en œuvre pour empêcher une quelconque insurrection. Le mouvement narbonnais allait être une des premières victimes de cette politique. Les réunions publiques, base de toute action politique sérieuse, étaient interdites.
92En juin 1872, se tint à Narbonne une immense réunion politique clandestine. Elle avait été présentée comme privée aux autorités par ses organisateurs, mais attira plus de huit cents personnes165. Parmi les dirigeants qui avaient mis sur pied cette réunion, on trouvait une majorité d’anciens communards et des membres de l’Internationale. Antoine Ponsol, Paul Narbonne et Eugène Gondres, qui avaient tous été arrêtés après la Commune, firent des discours166. Paul Darié et Paul Revel, membres de l’Internationale, étaient eux aussi impliqués. Tous les cinq furent condamnés à des peines allant de un à quatre mois de prison. Le gouvernement avait marqué sa détermination. La répression des émeutes antimilitaristes, puis le démantèlement du groupe de l’Internationale achevèrent de briser les velléités des militants avancés narbonnais.
93En mai 1873, Thiers est évincé par l’Assemblée qui considérait qu’il laissait la part belle au « péril radical »167. Mac-Mahon est élu président de la République. L’ordre moral s’installe en France. Les monarchistes étant à la tête de la République, le maire de Narbonne, Léon Bonnel, républicain conservateur, est révoqué en février 1874 par le ministre de l’intérieur, qui le considérait comme trop avancé. Jules Vié-Anduze est nommé maire168.
94Commence alors une période où les extrémistes de gauche semblent complètement désorganisés. Le 3 juillet 1875, Mac-Mahon, venu dans le Sud-Ouest pour visiter les régions inondées, descendit à Narbonne. Toutes les autorités de la ville, en grand apparat, étaient venues l’accueillir à la gare. Le maire prononça un petit discours, puis le maréchal se rendit à l’Hôtel de Ville. Il fut ensuite accueilli dans la cathédrale, où l’archiprêtre se livra à un discours à la fois dithyrambique et confus169. Mac-Mahon repartit aussitôt. Pendant tous ses déplacements, la foule était partout dans les rues, sous la pluie, et criait « Vive le président de la République ! Vive la République ! »170 ou « Vive le maréchal ! Vive Mac-Mahon ! »171. Fait impensable en 1871, aucune manifestation de réprobation ne se produisit172. Le maire était tellement étonné de la « bonne conduite » de ses administrés, qu’il fît afficher une proclamation affirmant sa satisfaction. La « Cité Rouge » chère à Pierre Guidoni173 semblait bien calme, voire écrasée.
95Mais, après la crise du 16 mai 1877, la République était confortée. Dans l’Aude comme ailleurs, les élections d’octobre 1877 voient la victoire des républicains, avec l’élection de Marcou dans la circonscription de Carcassonne, et celle de Bonnel à Narbonne174. Ce sont des républicains opportunistes qui l’ont emporté (Marcou ayant beaucoup évolué), et en aucun cas l’extrême gauche. Mais celle-ci va pouvoir désormais bénéficier de plus larges espaces politiques, la répression de l’Ordre Moral n’étant plus à l’ordre du jour.
96À Narbonne, à partir d’août 1879, parut un journal d’extrême gauche, Le Petit Narbonnais. Gustave Rouanet, futur membre du parti socialiste parisien, et député de Paris, y faisait ses premières armes. Les positions du « journal littéraire et satirique » étaient un peu plus avancées que celles de La Fraternité, mais on ne pouvait pas encore parler de journal socialiste. Pointant, Rouanet, le jeune rédacteur en chef, s’affirmait comme résolument de gauche, polémiquant avec les républicains modérés à ses risques et périls. Après trente numéros, le journal cessa de paraître le 2 janvier 1880175. Après une période difficile pour l’extrême gauche narbonnaise, la fin des années 1870 semblait marquer un léger renouveau. Mais les déportés manquaient.
L’amnistie et le retour des condamnés du 52ème (septembre 1879)
97Le sort des militaires ou des civils, condamnés pour leur participation à la Commune de Narbonne, emprisonnés, déportés ou en exil, n’a pratiquement pas été envisagé ici. Les deux seuls civils à avoir été condamnés effectivement, Asperges et Grauby, seront emprisonnés en France, séparément, et purgeront leur peine jusqu’en janvier 1877 pour le dernier, et octobre 1878 pour le premier176. Les sept autres condamnés civils, par contumace, étaient réfugiés en Espagne ou en Suisse. Les militaires eurent un sort beaucoup plus difficile. Dix neuf d’entre eux furent déportés dans des bagnes en Nouvelle Calédonie. Leur peine fut successivement commuée, puis enfin remise le 15 janvier 1879177. Près de deux cents autres soldats communards, qui avaient été arrêtés mais qui n’avaient subi aucun jugement, furent mutés dans des bataillons disciplinaires, certains dans l’île d’Oléron, mais la plupart dans divers corps de l’armée d’Afrique178. On perd leurs traces par la suite.
98Jusqu’en 1877, la République « sans les républicains » ne voudra jamais entendre parler d’une amnistie pour les communards, demandée dès septembre 1871 par Henri Brisson, puis chaque année par les radicaux. La République installée n’offrit l’amnistie qu’avec retard, car le sénat ne devint majoritairement républicain qu’en janvier 1879 (date de la remise de peine des militaires de Narbonne)179. L’amnistie, partielle, intervint en mars 1879180. Elle amnistiait la plupart des condamnés de la Commune. L’amnistie totale n’intervint qu’en juillet 1880181.
99L’événement était constitué par le retour des bagnards de Nouvelle Calédonie. Le trajet durant plusieurs mois, les républicains de Narbonne avaient le temps de s’organiser. Les condamnés devaient arriver, par vagues successives, à Port-Vendres, puis regagner leurs régions d’origine en train, donc en passant par Narbonne. Narbonne fut donc un petit peu « court-circuitée » par les militants de Port-Vendres et de Perpignan, à qui revenait la primeur de l’accueil.
100En août 1879 se constitue à Perpignan un comité roussillonnais de secours aux amnistiés, présidé par Lazare Escarguel, maire opportuniste de Perpignan, et animé par Jules Pams, futur ministre de l’intérieur en 1918182. À Narbonne, il en fut de même, comme sur tous les points d’arrêt prévus des convois ferroviaires rapatriant les communards. Les républicains voyaient ce retour avec sympathie, mais étaient divisés dans leurs appréciations. Ainsi, les plus modérés, qui ne voulaient en aucun cas être accusés de sympathie envers les communards ou leurs idées, expliquaient que leur participation aux comités de secours était purement humanitaire, et que l’on se devait de faire quelque chose pour ces hommes et ces femmes dénués de tout183. D’autres laissaient éclater leur joie, sans cacher leurs sympathies. D’autres encore, sans cacher leur satisfaction de voir les communards rapatriés, s’écriaient, avec une ironie amère, comme le communard Justin Alavaill :
« Les opportunistes s’efforcent de ramener à la vie les malheureux qu’ils ont laissés pendant neuf ans dans les tortures avec le secret espoir de les faire mourir. C’est admirable. »184
101C’est au début du mois de septembre qu’arrivèrent à Port-Vendres les premiers bâtiments. Les arrivées se succédèrent avec des intervalles parfois assez longs, car certains navires empruntèrent le canal de Suez, alors que d’autres, trop importants, doublèrent le Cap Horn, le dernier arrivant le 15 octobre. Cet étalement dans le temps donna certainement une importance supplémentaire à ces arrivées aux yeux des populations. L’état de fatigue et de délabrement dans lequel les bagnards débarquèrent choquera beaucoup les spectateurs. Parmi ces hommes et ces femmes qui débarquaient, on distinguait Casimir Bouis, rédacteur du Cri du Peuple et de Combat, Humbert, rédacteur au Père Duschesne, Nathalie Lemel, compagne de Louise Michel, et d’autres personnalités. On sert à tous à boire et à manger à volonté, dans une ambiance chaleureuse et fraternelle, et on ne les laissa pas monter dans le train sans leur donner des vivres185. L’accueil à Port-Vendres s’était fait dans une belle unanimité entre la population et les autorités.
102Lors du passage du premier convoi, il n’en fut pas de même à Narbonne. La préfecture craignait, comme l’avaient laissé entendre les journaux conservateurs, que ne se développe à l’occasion de l’arrivée des premiers amnistiés une grande manifestation politique, de sympathie au souvenir de la Commune. Aussi, des mesures de sécurité disproportionnées avaient été prises : la gendarmerie toute entière occupait la gare et ne laissa passer que cinq ou six membres du comité de secours. Puis, le train, entré en gare, déposa quelques voyageurs ordinaires et fît immédiatement machine arrière, pour aller stationner à un kilomètre de la ville, de façon à éviter tout contact avec la population. Malgré tout, les républicains de Narbonne accueillirent les amnistiés en criant « Vive la France ! Vive l’amnistie ! Vive la République ! » et des wagons on répondait : « Vive la République ! Vivent les Narbonnais ! ». Le Républicain de Narbonne, outragé par « ces mesures aussi injurieuses qu’inopportunes », notait : « le spectacle était touchant, mais il était triste »186.
103L’affaire fit un tel scandale que lors du passage du second convoi, toutes ces mesures avaient été abolies. Une « foule immense » attendait à l’intérieur et à l’extérieur de la gare. Les membres du comité de secours aux amnistiés avaient installé un grand buffet dans la gare, et les Narbonnais ont aussi donné des secours en argent et en vêtements. Narbonne donne cette fois l’exemple d’une mobilisation unanime. Aussi certains amnistiés, parmi lesquels d’anciens communards de Narbonne, ressentirent le besoin d’adresser une lettre de remerciement aux membres du comité républicain de Narbonne187. Les autres convois reçurent un accueil tout aussi chaleureux. Un convoi, acclamé à Narbonne, est ensuite accueilli à Paris par quinze à vingt mille personnes, à la tête desquelles Louis Blanc188. Ce même Louis Blanc, qui s’était opposé à la Commune en 1871, sera à Port-Vendres le 15 octobre pour accueillir les amnistiés du dernier bâtiment189. Il sera le 16 en visite à Narbonne, salué par les républicains190.
104Narbonne avait montré que sa sympathie restait vive envers les communards. Les accusés contumaces de Narbonne avaient bénéficié de l’amnistie de mars. Plus aucun communard narbonnais n’était sous le coup d’une condamnation. Une ère nouvelle s’ouvrait, où certains d’entre eux allaient jouer un rôle important, auréolés de prestige ; mais ils avaient souvent beaucoup évolué, et c’est dans des voies souvent très différentes du mouvement communaliste de 1871 qu’ils s’engagèrent.
B) Influence des communards sur la vie politique narbonnaise au début des années 1880
105Émile Digeon ne tardait pas à rentrer en France, et, immédiatement, se replongeait dans la lutte politique et sociale. Il allait s’investir particulièrement à Narbonne, où il retrouvait des anciens communards, qui avaient pris de l’importance politiquement, comme Paul Narbonne.
Émile Digeon, un idéologue anarchiste original
106Depuis la Commune, Digeon, tout en restant aussi intransigeant sur ses grands principes, avait beaucoup évolué. Louise Michel, dont il était un proche, s’en félicitait et notait avec satisfaction :
« Brave Digeon ! Il avait vu tant de choses, qu’au retour de Calédonie, nous l’avons retrouvé anarchiste, de révolutionnaire autoritaire qu’il avait été, sa grande intégrité lui montrant le pouvoir comme source de tous les crimes entassés contre les peuples. »191
107Cette évolution, Digeon la consigna dans deux brochures conséquentes, Droits et devoirs dans l’anarchie rationnelle, en 1882, puis Propos Révolutionnaires, en 1884192. Cela va nous permettre d’essayer d’analyser les grandes lignes de sa philosophie politique rénovée.
108Digeon s’affirme tout d’abord différent de ceux qu’il appelle des « anarchistes absolus ». Il pense que certains « socialistes libertaires », cherchant, selon lui avec raison, à réagir contre les tendances autoritaires d’autres socialistes, sont tombés dans des « excès d’individualisme dangereux pour la liberté qu’ils veulent défendre »193. Digeon met pour limite à la liberté individuelle le respect de la liberté d’autrui. Aussi craint-il que trop d’individualisme de la part des uns ne nuise aux autres. En cela, il réfute la négation de toute règle sociale, et affirme la nécessité d’un pouvoir public qui ne serait pas gouvernemental, mais purement préservatif, et serait exercé tour à tour par les citoyens. Cela est pour lui la simple prise en compte des nécessités et des devoirs sociaux que la nature a imposés à l’homme, en ne lui permettant pas de vivre autrement qu’en société. Affirmant et revendiquant l’existence de droits, Digeon proclame aussi celle de devoirs. C’est ce qui constitue l’essentiel de son concept de « philosophie rationnelle ».
109Sa pensée se base sur l’idée de justice sociale, qu’il considère comme la première valeur, « l’idée supérieure », dont découle la devise républicaine, Liberté, Égalité, Fraternité. Il affirme comme la première loi de justice sociale le devoir de réciprocité, qui est celui de l’entraide, de la solidarité que chacun doit aux autres dans la mesure de ses forces et selon ses aptitudes. Cette réciprocité serait le frein indispensable à l’égoïsme auquel l’homme, constate Digeon, ne serait que trop enclin. Chose constante chez Digeon, il affirme que nul ne peut « s’approprier ce qui est indispensable à autrui pour vivre »194. Il attache une telle importance à ce principe de réciprocité qu’il le pose comme « la base de toute société humaine ». Et cette réciprocité, si elle ne peut être assumée individuellement, doit l’être collectivement par la société toute entière. De plus, dans les questions d’intérêt général, les intérêts particuliers devraient être sacrifiés quand ils sont en opposition avec ceux de la collectivité.
110Digeon ajoute à cette idée celle, qu’il plaçait aussi déjà au premier plan en 1871, du mandat impératif. Il croit fermement dans le « sens commun » du peuple, qui, selon lui, sait quels sont ses droits imprescriptibles, et saurait les faire respecter si on lui en laissait la possibilité. Il réfute les autorités morales traditionnelles que sont « les prêtres de toutes religions », ainsi que l’existence même d’un quelconque « Dieu ». Et il considère certaines confréries laïques, et particulièrement la franc-maçonnerie, comme étant aussi nuisibles que l’était le catholicisme en son temps195. Digeon affirme, qu’au lieu de donner le pouvoir au peuple, le système prétendument démocratique de la IIIème République, instauré par « l’assemblée usurpatrice » de 1875, « n’est en somme que le despotisme de quelques uns au lieu du despotisme d’un seul ». Digeon est scandalisé par le fait que des députés puissent voter des lois de toute nature, sans en rendre compte au peuple, pendant toute la durée du mandat qui leur est imparti, consacrant la supériorité du mandataire sur le mandant, ce qui est pour lui l’inverse de la vraie démocratie, à savoir la supériorité du mandant sur le mandataire, librement révocable196.
111Aussi Digeon définit-il sa solution, « l’anarchie rationnelle », qui « consiste à n’admettre aucune autorité en dehors de celle du peuple exercée directement dans le vote des lois, et par l’intermédiaire de délégués toujours révocables ». Or il ne croit pas que les détenteurs du pouvoir puissent un jour remettre d’eux-mêmes « le peuple en possession de sa souveraineté ». Aussi appelle-t-il le peuple à « faire respecter, au nom de la justice sociale, envers et contre tous, la barrière respective des droits mutuels » ; à se tenir prêt à faire respecter ses droits lorsque viendra la « grande initiative révolutionnaire ». Digeon pense que cette initiative peut venir des « collectivistes » ou des « anarchistes absolus », dont il rejette les propositions, même s’il les juge préférables « à ceux de l’organisation sociale actuelle qui perpétue l’exploitation de l’homme par l’homme »197. Il est très sévère vis-à-vis des collectivistes, ou communistes :
« Je considère le communisme absolu et le collectivisme de production comme des rêves de sectaires trop disposés à sacrifier la liberté aux systèmes égalitaires qu’ils ont imaginés. Ces inventeurs oublient que l’homme n’est pas fait pour vivre comme un bœuf qu’on nourrit abondamment à l’étable, après son travail de la journée, et que la liberté nous est aussi chère que le bien-être matériel »198.
112Il dénonce également la façon dont les collectivistes se figurent avoir inventé le groupement des travailleurs en parti distinct, rappelant que « presque tous les partis contiennent une masse d’ouvriers au nom de laquelle on prétend agir », et « que, de plus, les porte-drapeaux du collectivisme sont eux-mêmes, plus ou moins, ce qu’on appelle des bourgeois ». De plus, il ne croit pas à la réussite des communistes, même s’il les considère avec sympathie comme étant de bonne foi ; pour lui, les échecs des tentatives précédentes, de Cabet, Fourier, Pierre Leroux ou Robert Owen, dont les théories étaient tout aussi talentueuses que celles des « collectivistes actuels », montrent la faillite de ce genre de solution : elles se sont selon lui toutes « heurtées fatalement aux nécessités absolues qui découlent de la différence des situations et de la diversité irrémédiable des organismes individuels »199.
113Aussi Digeon propose-t-il, en précisant bien qu’il n’a aucune prétention à l’universalité, ses idées personnelles. Il veut, afin d’éviter la « socialisation générale du travail », qui selon lui ne pourrait se faire qu’en opprimant la liberté individuelle, procéder de manière différente, non coercitive, en suscitant des associations libres d’individus, où tous auraient « les moyens de travailler et de vivre isolément, selon leurs goûts et leurs besoins ». Pour cela, il propose la mise à disposition du crédit à la portée de tous, soit en outillage, soit en matière première, par une association générale d’échange entre des individus ou des groupes producteurs. Il propose aussi un système permettant d’établir une valeur fixe des produits, en dehors de tout esprit de concurrence et de spéculation sur la rareté des marchandises. L’application concrète reste assez floue. Digeon précise que les producteurs auraient l’entière liberté de vendre directement leurs produits à qui ils voudraient, ou de les remettre à l’association générale aux prix établis.
114En fait, ces positions en matière de politique économique sont un reflet direct des positions idéologiques de Digeon, et des grandes valeurs auxquelles il est attaché : la liberté (avant tout), et la justice sociale, d’où découlent l’égalité et la fraternité, ou solidarité200.
115Son rejet des « anarchistes absolus », lui, découle plus précisément de sa crainte de l’égoïsme, qui, sans le frein régulateur de la justice sociale, déborderait et serait la cause de tous les abus et de toutes les injustices. Digeon croit fermement que la société est nécessaire, afin de protéger les faibles contre les abus de la force. Pourtant, il accuse les « anarchistes absolus » de ne pas être aussi « absolus » que leurs formules, rédigées intentionnellement pour frapper l’imagination, ne pourraient le laisser penser. Il montre comment, sur de nombreux points, ils acceptent implicitement l’idée d’un état, en acceptant celle d’une organisation sociale, de façon à garantir certaines libertés201. Or en cela, Digeon se sent proche d’eux.
116Mais Digeon, à la différence des « anarchistes absolus », se prononce contre l’abstention électorale, qui pour lui, n’a d’autre résultat que de favoriser l’ennemi, et, nous le verrons, met ses idées en application, en se présentant aux élections. Selon Jean Maitron, il sera, en 1883, le seul « candidat anarchiste » connu202. Pourtant, il va opérer une brutale volte-face, étonnante, et par ailleurs seule que l’on connaisse chez cet homme de convictions. On peut penser que ses propres candidatures lui ont donné beaucoup à réfléchir. En 1884, dans ses Propos Révolutionnaires, il développe la thèse opposée203. Digeon dénonce « les rêveurs de solutions pacifiques », qui croient pouvoir amener des majorités réformatrices dans les assemblées délibératives. Mais il dit constater que par le passé, les communistes, fouriéristes, ou blanquistes, qui avaient obtenu des sièges de députés « ont foulé aux pieds leurs convictions », sont « devenus renégats ». Aussi vante-t-il désormais les mérites de l’abstention. Il semble maintenant persuadé que, si tous les socialistes s’unissaient dans l’abstention, le « candidat officiel » (gouvernemental), serait laissé seul en compétition, et, élu avec un nombre de suffrages insignifiant par rapport aux abstentions totales, il serait sans force morale204. Par ailleurs, Digeon pense que mettre en avant sa candidature, c’est faire croire à l’efficacité des moyens légaux. Aussi prône-t-il désormais une participation aux réunions lors des élections, mais afin de préconiser l’abstention. Digeon ira jusqu’à rédiger une brochure de propagande abstentionniste, Ne Votons pas !, pour les élections municipales de 1884. Elle sera publiée par le groupe anarchiste La Liberté205.
117Mise à part cette volte-face, les Digeon de 1882 et de 1884 sont semblables, le second étant peut être encore plus radicalement révolutionnaire que le premier. Il appelle à la révolution, affirmant que le peuple ne « voudra pas plus de l’état paysan de M. Ferry, que de l’état ouvrier des collectivistes ou de l’état des blanquistes »206. Mais globalement, de 1871 à 1884, on note une évidente radicalisation. Le Digeon de 1871 appelait à « la Révolution pour la République », et criait « Vive la Révolution ! Vive la République ! » ; celui de 1884 appelle à la « République révolutionnaire », et crie « Vive la Révolution ! Vive toujours la Révolution ! ».
118Par ailleurs, il existe une continuité non moins évidente. Digeon a été profondément marqué par l’expérience de la Commune. Il garde cette image de communard, que ses contemporains lui attribuent, et la revendique ; en 1884 comme en 1871, la décentralisation reste une de ses priorités. Ses exemples favoris de massacres du peuple ou de persécutions, qui, en 1871, étaient le 2 décembre sont maintenant « les carnages de mai 1871 ». Regrettant l’éparpillement des soutiens à Paris, et surtout leur mauvaise coordination, il écrit « Il faut que ce terrible passé nous serve de leçon : qu’à la prochaine échéance, chaque ville, chaque commune fasse sa révolution »207. Même s’il a rejoint la mouvance anarchiste, c’est avant tout un communard.
119Outre les écrits cités précédemment, Digeon a été l’auteur de quelques opuscules : Proposition de mise en accusation de Gambetta et de ses ministres, en 1881208 ; la première brochure antimilitariste révolutionnaire, À l’armée, à laquelle participa Emile Pouget, reproduite dans La lutte, de Lyon, le 22 juillet 1883, et qui fut traduite dans Freiheit, de New York, en 1883209 ; Le 14 juillet 1789, aperçu historique du vrai rôle du peuple clans la prise de la Bastille, en 1884210, et enfin La Commune de Paris devant les anarchistes, daté du 18 mars 1885, qui sera republié dans L’Insurgé, journal de Bruxelles, le 22 mars 1895211. Les écrits de Digeon ont donc connu une diffusion internationale. On peut ajouter que le communard Émile Digeon aura une influence importante sur le jeune anarchiste Émile Pouget, lors de l’arrivée de celui-ci à Paris212.
Digeon candidat socialiste
120Rentré de Palma, Digeon sait que presque dix ans après la Commune, c’est à Narbonne qu’il trouvera le plus grand écho politique. Il veut mettre en avant ses idées, et pense que cela doit se faire par des candidatures : élu, il pensait pouvoir peser sur les décisions à l’Assemblée Nationale.
- Élection législative partielle, février-mars 1880
121Le 18 janvier 1880, Léon Bonnel, député-maire républicain de Narbonne, meurt après une longue maladie213. Il est aussitôt remplacé à la mairie par Gimié, de même tendance, voire assez avancé. De nouvelles élections vont être organisées en février-mars pour pourvoir son siège de député laissé vacant. À Narbonne et dans les villages environnants, bon nombre d’éléments avancés du parti républicain étaient depuis quelque temps inquiets de l’évolution du parti, qui, à l’image du Républicain de Narbonne, était contrôlé par les gros propriétaires et les négociants214. Jusqu’en 1877, le danger bonapartiste était resté pressant, et beaucoup d’électeurs, qui avaient regretté l’échec de la Commune, s’étaient résignés à voter pour l’unique candidat républicain, Léon Bonnel. Mais au début des années 1880, la République paraissait installée, et l’émergence de nouveaux candidats allait être très bien accueillie. Digeon, auréolé de son prestige auprès des anciens communards, était accueilli avec enthousiasme par une partie de la population. En l’absence de candidat conservateur, ce sont les diverses tendances du parti républicain qui vont être représentées aux élections par trois candidats215. « Républicain socialiste », Digeon se présente donc à la gauche d’Osmin Labadié, « républicain démocrate » assez avancé, lui-même à la gauche de Marcelin Coural, qui se dit « républicain radical », mais est en fait très modéré. La grande originalité, et certainement la grande erreur de Digeon fut de refuser de faire campagne, par déontologie politique, écrivant dans sa profession de foi :
« Je respecte trop le suffrage universel pour croire qu’il puisse être influencé par des démarches directes des candidats auprès des électeurs. Cest pourquoi je considère comme un devoir de m’abstenir d’aller dans les communes de l’arrondissement, avant l’élection »216.
122Malgré les raisons avancées par Digeon, on a du mal à comprendre cette attitude : n’avait-il pas mobilisé les opinions avant et pendant la Commune, même s’il n’était candidat à rien ? Une élection n’est-elle pas l’occasion d’un débat ? Digeon était conscient des risques qu’il faisait courir à sa candidature en prenant de pareilles options. Il pouvait aussi penser que son attitude serait incomprise de beaucoup d’électeurs, qui attendaient justement de lui ses discours de tribun, dans lesquels il excellait ; de plus, il savait que le climat de réunion publique et contradictoire était particulièrement cher aux Narbonnais, et surtout aux militants les plus avancés. Sa candidature semblait donc vouée à la faillite.
123Malgré tout, il obtenait au premier tour plus d’un tiers des suffrages de l’arrondissement, soit plus de deux fois les voix obtenues par Coural. La discipline républicaine jouait, et Digeon, comme Coural, se désistait au second tour en faveur d’Osmin Labadié, qui restait seul en lice, et était donc automatiquement élu. L’abstention au second tour, de 57 %, était impressionnante. Effectivement, on peut penser que, Labadié seul en lice, ceux qui n’étaient pas ses partisans avaient peu de raisons d’aller l’élire ; il n’y a pas eu de votes blancs massifs217.
124Pour sa première candidature, et au vu des circonstances, Digeon a bénéficié d’un soutien assez encourageant. Les socialistes narbonnais, groupés autour de lui comme d’un porte-drapeau, se réorganisent L’ancien communard Paul Narbonne joue lui aussi un rôle majeur. En avril 1880, il est élu conseiller général « socialiste égalitaire », dans le canton de Narbonne218. Les deux hommes fonderont bientôt un journal, qui sera le support de leur action dans le Narbonnais219.
- Les législatives de 1881 : à gauche, toute !
125Les élections de 1880 étant partielles, elles ne devaient confier un mandat à Osmin Labadié que pour un temps très court, les élections nationales devant avoir lieu les 21 août et 4 septembre 1881. Labadié, gravement malade, ne se représentera pas220.
126Trois candidats étaient sur les rangs. Le premier, Joseph Malric, conseiller général est un jeune notaire de Sigean, patronné par Marcou et son journal, La Fraternité221. Mairie se prononça comme Marcou pour la suppression du Sénat, qu’il qualifiait de « prétendu tuteur du suffrage universel », et « d’obstacle à la marche du progrès républicain »222 ; il se prononçait aussi pour la séparation de l’Église et de l’État, assortie de précautions pour que le clergé ne retrouve pas toute sa liberté, pour l’épuration de la magistrature et la liberté de presse et de réunion. Au programme commun des « radicaux » de l’Aude, Malric ajoutait des formules qui le plaçaient à gauche de la mouvance : « Électeurs, l’heure est venue d’organiser la révolution ! » ; « Il faut soulager la misère et frapper l’opulence ! »223. Mais il ajoute que son action se base sur « la défense des intérêts de notre riche arrondissement », ce qui plaît aux gros propriétaires, d’autant qu’il n’a aucun adversaire à sa droite. Membre d’une famille traditionnellement bonapartiste, Malric est l’objet d’attaques incessantes sur ce thème de la part de Digeon224.
127Digeon, comme les « radicaux », réclamait la séparation de l’Église et de l’État, et une réforme constitutionnelle. Mais il allait beaucoup plus loin dans plusieurs domaines. Il réclamait la suppression du sénat, mais aussi celle du président de la République, et à échéance, celle de la chambre des députés, « en vue d’assurer le gouvernement du peuple par le peuple ». Il s’inscrivait donc comme candidat anarchiste. Son étiquette était pourtant celle de « candidat républicain radical socialiste »225. Il revendiquait l’héritage et la continuité de la Commune, en réclamant la libre administration municipale. Et il appliquait à sa propre candidature le mandat impératif, remis à son comité électoral : élu, il se voulait révocable. Digeon bénéficiait de l’appui de L’émancipation sociale, et, cette fois, sans faire de « démarches auprès des électeurs », tint des réunions publiques226.
128Un troisième candidat, Léo Taxil, venait jouer les trouble-fête. Selon Gustave Rouanet, rédacteur en chef de L’émancipation sociale et principal porte-parole de Digeon, le programme de Léo Taxil ne différait pas sensiblement du programme socialiste, « élaboré par le comité et accepté par le citoyen Digeon »227. En fait, il était rigoureusement anti-collectiviste, et accusait Digeon de vouloir le partage de tous les biens. Ce n’était absolument pas le cas, Digeon n’ayant jamais été collectiviste, mais il est vrai que dans son « comité socialiste », qui rassemblait toutes les tendances du mouvement, on trouvait des communistes. Léo Taxil chercha à s’affirmer par son anticléricalisme, qu’il voulait plus virulent encore que celui des autres candidats. Il prit l’étiquette de « candidat radical socialiste anticlérical », et utilisa comme instrument de propagande une « marseillaise anticléricale » de sa composition228. Mais il n’était pas pris très au sérieux, sauf à Lézignan, où il eut le soutien du maire.
129Les résultats du premier tour placèrent Malric en tête, mais il était talonné par Digeon de beaucoup plus près que prévu229. Avec 13 %, Léo Taxil faisait un score honorable, qui le plaçait en arbitre du second tour. Digeon l’emportait dans la ville de Narbonne, et dans les cantons de Narbonne, Coursan230 et Lézignan, bastions traditionnels du républicanisme avancé. Malric arrivait en tête dans les trois autres cantons, de Ginestas, Durban et Sigean. La bataille s’annonçait donc rude entre les deux tours. Les socialistes vont s’y lancer à corps perdu. Digeon publiait dès le 25 août une nouvelle profession de foi, « comment je suis socialiste »231. Le 27 août, il recevait le soutien spectaculaire de Louis Blanc. Celui-ci, on le sait, s’était opposé à la Commune, mais il restait d’extrême gauche. L’Union de l’Aude, légitimiste, essayait sans succès de lancer entre les deux tours la candidature conservatrice de l’ancien député Robert Keller232. Mais les conservateurs ne s’entendaient pas, et la circonscription de Narbonne est, selon La Fraternité, la seule en France à voir s’affronter deux candidats républicains avancés au deuxième tour233.
130Mairie l’emportera finalement, mais Digeon obtenait son meilleur score, sensiblement plus important que celui qu’il avait obtenu au premier tour en 1880234. Les socialistes étaient appelés à jouer un rôle important à Narbonne.
131Il faut ajouter que Malric, répondant à toutes les accusations de bonapartisme portées contre lui par Digeon de la plus belle façon, ira siéger à l’extrême gauche sur les bancs de l’Assemblée Nationale, prenant des positions beaucoup plus avancées que celles qu’aurait souhaitées son comité électoral. Il est attaqué de toutes parts, y compris par ses soutiens. Écœuré des compromissions qui l’entouraient, et désespérant de voir réaliser ce qu’il avait promis, il démissionna, en juin 1883235.
- L’élection législative partielle de 1883
132Elle eut lieu les 22 juillet et 5 août 1883. La démission de Malric provoqua une explosion de candidatures. Digeon était candidat, mais il avait perdu une partie de son attache locale. Après sa courte défaite aux élections, se sentant certainement à l’étroit, il se fixa dans la région parisienne, où il mena une action politique. Ainsi, le 16 octobre 1881 se tenait à Narbonne un grand meeting des socialistes de la région afin de protester contre la campagne de Tunisie236. Ferroul, qui faisait ses grands débuts, s’illustra particulièrement237. Mais Digeon n’était pas là. Le même jour, il participait au premier grand meeting autorisé à Paris depuis la Commune, en présence de Eudes, Granger, Franklin et Louise Michel238. Par la suite, Digeon accompagne Louise Michel dans presque toutes ses réunions, à Paris ou en province239. Le 13 juillet 1882, lors de l’inauguration de l’Hôtel de Ville de Paris, il devait rassembler place de la Bastille les collectivités pour un défilé jusqu’à l’Hôtel de Ville, mais la manifestation fut décommandée au dernier moment C’est donc bien sur le terrain communaliste que Digeon s’implique toujours. On comprend que ce militantisme national ait en fait éloigné Digeon des Narbonnais. Comment voter pour quelqu’un qui, après deux ans d’absence, se représente à Narbonne pour les élections ? Malgré toute l’estime que les communards gardaient pour lui, Digeon avait perdu son image d’homme de terrain, pour celle d’un idéologue certes brillant niais qui manquait de contact direct avec les populations. Sa candidature apparaissait davantage comme sentimentale, représentative des souvenirs de 1848 et de la Commune, qu’apportant des réponses concrètes aux préoccupations quotidiennes240.
133Les socialistes étaient divisés ; outre Digeon, « candidat anarchiste », se présentait Eugène Fournière, qui lui n’avait aucune attache départementale, mais était soutenu par Gustave Rouanet, en tant que représentant du socialisme guédiste. Cela provoqua des tensions violentes au sein de L’émancipation sociale, car Paul Narbonne et Ferroul, eux, soutenaient Digeon. Finalement, Rouanet démissionna, et L’émancipation appuya Digeon241.
134Les républicains sont eux aussi divisés. Adolphe Turrel, auditeur au conseil d’État, riche propriétaire et jeune avocat, se présente pour la première fois, avec un programme républicain sans originalité. Il peut bénéficier des attaches bonapartistes de sa famille Papinaud, lui, représente la tendance « orthodoxe » du parti « avancé ». Il fait une excellente campagne, réussissant à se poser en homme politique peu ordinaire. Il sut montrer ses différences sans couvrir d’injures ou de calomnies les autres candidats, et montra beaucoup d’à propos dans ses réponses aux questions qui lui étaient posées pendant les réunions publiques242. Son caractère d’homme de terrain plaisait beaucoup aux anciens électeurs de Digeon, déroutés par la présence de deux candidats socialistes. Il était soutenu à la fois par Le Républicain de Narbonne, et par Le Radical de l’Aude, d’Orner Sarraut.
135Les conservateurs, eux, présentaient le contre amiral légitimiste Lamothe Tenet, appuyé par L’Union de l’Aude. Cela cachait des divisions, puisque les bonapartistes, eux, préconisaient l’abstention243.
136Au premier tour, Papinaud arrive en tête, ballottage inévitable vu la multiplicité des candidatures. Les grands perdants sont les socialistes, au premier rang desquels Émile Digeon, qui se place en dernière position, et perd l’essentiel de l’électorat qui avait voté pour lui aux élections précédentes. Au second tour, Papinaud était élu très largement, rassemblant autour de sa candidature l’ensemble des suffrages exprimés par les républicains au premier tour, socialistes compris244. Digeon, très déçu par ce revers cinglant, pense que les socialistes ne pourront pas arriver au pouvoir par l’élection. Sa philosophie politique prend un tournant radical, et il devient alors, comme les autres anarchistes, un abstentionniste fervent.
137Mais au delà des conclusions personnelles que l’on peut tirer pour Émile Digeon, on peut penser que cette élection de 1883 marque la fin d’une époque dans la mouvance socialiste de Narbonne, celle de la Commune. Digeon est battu, car les Narbonnais attendent des solutions nouvelles. Ernest Ferroul, collaborateur de L’émancipation sociale, dont il devient rapidement le rédacteur en chef, va s’imposer comme étant l’homme de la situation. Une nouvelle génération politique émerge d’ailleurs dans l’Aude toute entière face aux vieux radicaux de 1871. À Narbonne, un journal où collaboraient de nombreux communards, ainsi que de nouveaux socialistes, sera l’organe de cette évolution, qui se fera sans rupture, dans la continuité, mais en même temps très rapidement.
L’émancipation sociale, journal socialiste
138Le 14 juillet 1880 paraît le premier numéro de L’émancipation sociale. Son directeur n’est autre que l’ancien communard Paul Narbonne. Le premier numéro est pratiquement entièrement rédigé par deux hommes : Paul Narbonne et... Émile Digeon ! Il est donc directement issu de la Commune. Il se veut très avancé, et, dans son premier article, Digeon commence symboliquement par une citation de Blanqui. Autre symbole, la date choisie pour la parution du premier numéro : Paul Narbonne parle du 14 juillet comme du jour de « la délivrance des opprimés par la force populaire ». Le journal se voulait créé pour « faciliter la solution des questions sociales », se proclamant « égalitaire », et déclarant vouloir combattre la « démagogie autoritaire sous ses trois formes : autel, trône, bourgeoisie ». En fait, c’est surtout une formidable machine de guerre socialiste qui se met en place à Narbonne, après l’échec du Petit Narbonnais de Gustave Rouanet. Rouanet prend l’année suivante la place de rédacteur en chef de L’émancipation sociale. C’est donc un trio efficace qui ne cache pas ses intentions : créer « un journal de propagande vivante en faveur des principes d’éternelle justice et de liberté ». Il se place dans la lignée de la Commune, une grande partie du premier numéro étant consacrée à l’amnistie (accordée unilatéralement en juillet 1880)245.
139Le 17 mars 1881, L’émancipation sociale, hebdomadaire, célèbre le dixième anniversaire de la Commune. Mais ce n’est pas là un anniversaire mythique, lointain, une commémoration. C’est un anniversaire de combat, d’actualité : Paul Narbonne demande l’autonomie communale et la fédération de toutes les communes de France246, et revendique, à grands cris, la réhabilitation de la Commune (ce que refusaient catégoriquement les opportunistes), se disant persuadé que l’idée communaliste a un avenir. On revendiquait donc réellement un héritage, une filiation. Émile Digeon étant parti pour Paris, L’émancipation continuait à publier ses articles. Ainsi paraissent ses collaborations au Citoyen pour l’anniversaire du 18 mars. Il se voulait plus historique que Paul Narbonne, voulant surtout faire connaître la Commune de Narbonne au plan national, en en relatant des épisodes dans un journal parisien247.
140L’émancipation sociale publiait les articles de nombreuses personnalités. On peut citer parmi ses collaborateurs périodiques Louise Michel, Jules Guesde, Jean Baptiste Clément, Eugène Fournière, Paul Lafargue, Benoît Malon, Émile Massard, Paule Mink, Léonie Rouzade ou Paul Brousse. Cette simple liste est significative de la diversité des tendances que l’on pouvait trouver au sein de L’émancipation. Mais tous, dirigeants marxistes, anarchistes, ou anciens communards, font partie du même ensemble, de la même mouvance qui se dit « socialiste ». En juin 1881, Louise Michel tiendra des conférences à Narbonne248. Son prestige sera un atout important pour les socialistes locaux. Elle a certainement grandement contribué au bon score de Digeon lors de l’élection suivante.
141Collaboraient également à L’émancipation Clovis Hugues, Camille Pelletan, et un jeune docteur de vingt sept ans, frais émoulu de la faculté, Ernest Ferroul, qui signe ses articles sous le pseudonyme de Léo Stern249. Celui-ci, depuis 1877, était en contact avec la mouvance collectiviste de Jules Guesde à Montpellier, particulièrement avec Paul Brousse. Il était aussi en contact avec le félibre rouge Louis-Xavier de Ricard, ancien communard parisien, socialiste fédéraliste très anticlérical250. En 1879, Ferroul est un des principaux rédacteurs de La Commune libre, « journal socialiste fédéraliste », dans lequel il revendiquait, en compagnie de de Ricard, la république fédérale, contestant le rôle de Paris capitale de l’état centralisateur : « nous ne craignons point le Paris révolutionnaire, nous craignons le Paris gouvernemental »251. En 1879, Ferroul avait participé au congrès socialiste ouvrier de Marseille. Dans L’émancipation sociale, il va signer des articles enflammés, mais qui, à la différence de ceux de Digeon, n’excluaient pas un certain réalisme politique, qui allait bientôt l’amener à composer avec les radicaux socialistes carcassonnais pour mener de front la lutte contre les vieux « radicaux » comme Marcou, en fait opportunistes. Son énergie et sa vivacité vont bientôt faire de lui une figure de proue du socialisme narbonnais. Pierre Guidoni note très justement : « Il apparaît très vite comme le véritable chef du socialisme narbonnais, dont Digeon n’est bientôt plus que la lointaine autorité morale. »252
142La défaite de Digeon à l’élection de 1883 consacre ce tournant. Ernest Ferroul devenait rédacteur en chef de L’émancipation sociale. Ce journal avait redressé les socialistes narbonnais. Né d’une initiative d’anciens communards, il avait créé une dynamique, qui avait permis d’opérer un changement de générations. Mais désormais, les communards n’étaient plus d’actualité. Face à la croissance économique spectaculaire, puis à la crise du phylloxéra, même si le Narbonnais avait été beaucoup moins touché que l’ensemble de la France, il y avait à régler des problèmes urgents, et il n’y avait plus de place pour un vote sentimental. Ernest Ferroul sut répondre aux attentes de la population. Élu maire de Narbonne en 1891, il allait pratiquement le rester jusqu’à sa mort, en 1921253. C’est donc un véritable règne qui se prépare. Mais il serait faux de vouloir faire de Ferroul un simple héritier de la Commune. Il est au contraire le promoteur d’un socialisme nouveau, très local, que l’on qualifiera bientôt de « ferrouliste ». Désormais, la Commune n’a plus sa place que comme souvenir. C’est une image dont on se réclame, mais qui n’oriente pas réellement la politique.
C) Le mythe
143On pourrait croire que le mythe de la Commune de Narbonne n’est apparu qu’avec la disparition plus ou moins effective de sa réalité, que nous venons de situer au milieu des années 1880. Pourtant, il n’en est rien, et il faut bien comprendre que le mythe plonge ses racines au cœur même de l’événement, en mars 1871.
La Commune de Narbonne, de l’épopée romantique à la geste héroïque
144En fait, tout naît avec la légende noire, et les calomnies propagées par les conservateurs au moment même de l’insurrection. Les phantasmes de tous ceux qui avaient peur et prêtaient à la Commune un visage diabolique sont la source même du mythe. On accuse ainsi les femmes d’être des « pétroleuses », parce qu’on les avait vues acheter des pinceaux, en fait destinés à coller des affiches, et qu’on savait que du pétrole avait été réquisitionné par les insurgés. On extrapola aussi sur le « sinistre bruit du tocsin » que les insurgés utilisaient pour rassembler leurs soutiens254. Le Bon Sens, journal républicain conservateur proche de la préfecture, écrivait le 29 mars 1871 à propos de Digeon :
« Ce conspirateur est un maître en fait de mise en scène. Son génie, comparable à celui du cardinal de Retz, ne néglige rien de ce qui étonne, et de ce qui ferait rire, si la comédie ne tournait pas à la tragédie.
« Sous sa vaste pelisse il porte un cimeterre, Un tromblon tout chargé s’ouvrant comme un cratère Trois longs pistolets, un poignard... »
M. Digeon n’a peut-être pas le cimeterre, mais il a le tromblon, un vrai tromblon dont la gueule menace à chaque instant la population terrifiée ; autour des reins, des guirlandes de cartouches, et le tout surmonté d’un chapeau de franc-tireur à plume rouge.
Cest dans ce costume de Fra-Diavolo qu’il a commencé, vendredi soir, à huit heures sa tragi-comédie »255.
145La Fraternité aura beau contester cette description, écrivant « M. Digeon ne s’est pas travesti en Fra-Diavolo. Il avait conservé ses habits et son chapeau de ville », c’est une image qui suivra Digeon jusque dans l’acte d’accusation du procès de novembre256. Digeon portait effectivement un tromblon, « arme formidable, magnifiquement damasquinée, chargé de 97 chevrotines », d’après le légitimiste Courrier de l’Aude257. Mais de la légende noire, cette arme entra de plain-pied dans le mythe, revendiqué par les communards. Elle devenait le symbole de la puissance de l’insurrection, et un titre de gloire pour Digeon. Il en fut de même pour le rôle des femmes, tant décriées par les conservateurs, mais que Digeon, dans sa proclamation, louait comme des « Femmes héroïques, Femmes dignes des Femmes de Sparte ». Il faut souligner que le romantisme révolutionnaire propre à Digeon, qui transparaissait dans tous ses actes, ne fit qu’accentuer le développement du mythe : la réalité elle-même se prêtait très bien à une mise en valeur de certains éléments, ou à une interprétation dramatisante. Il en est ainsi lors de la chute de la Commune, quand Digeon s’enferme dans le bureau du maire, armé jusqu’aux dents, et qu’il est enlevé de force par le peuple. Son attitude ferme et courageuse, la façon dont il écrira aux autorités de venir le faire arrêter, tout chez lui est propre à susciter l’admiration de ceux qui se diront ses héritiers, et qui bien sûr, mettront l’accent sur ce genre d’événements plutôt que sur les échecs ou les erreurs tactiques des communards. L’ampleur même donnée aux événements de Narbonne par le procès de Rodez sera elle aussi de nature à susciter un mythe. Et très vite, une légende naît. Ainsi, en décembre 1871, La Fraternité publiait un poème de Paul Narbonne dédié à Digeon258. Même s’il faut reconnaître que ce n’était pas de la grande littérature, le fait n’est pas moins significatif : la Commune dépassait le domaine purement politique pour entrer dans celui de la poésie : elle devenait une grande geste héroïque, et ce dès 1871.
146C’est dans la perpétuation du souvenir, souvent développé comme celui d’une épopée, que le mythe de la Commune de Narbonne va s’ancrer. Et ce souvenir, ce mythe, était l’image d’une revendication politique et sociale.
Les enterrements manifestations politiques
147Après la chute de la Commune, toute manifestation ou réunion publique est sévèrement réprimée. Aussi les enterrements de communards ou de leurs proches vont-ils servir, en plus de la douleur qu’ils causent, à commémorer le souvenir d’une insurrection dont beaucoup, à Narbonne, regrettent l’échec.
148Très tôt, le 16 décembre 1871, un des principaux dirigeants de la Commune, Auguste Bouniol, accusé contumace de procès de Rodez, meurt en exil à Llansa, en Catalogne. La douleur est vive à Narbonne, mais l’enterrement se déroule en Espagne. Arthur Conche, autre exilé, prononce une longue allocution sur la tombe du défunt. Il s’exclamait :
« (...) Pauvre ami ! Pauvre victime ! Ce que n’avait pas fait une première transportation, ce que n’avaient pu accomplir de longs et nombreux emprisonnements, l’injure et la calomnie ont pu le faire en quelques jours (...) »259.
149En plus des deux hommes tombés sous le feu des turcos, la Commune de Narbonne avait ses martyrs.
150Le 20 février 1872, la mort d’Augustine Conche, femme d’Arthur, exilé en Espagne pour sa participation à la Commune, provoqua à Narbonne un enterrement grandiose. Le cercueil était précédé de dix-huit draps mortuaires, tenus par des Narbonnaises. Deux mille personnes environ assistèrent sous la pluie, en silence, à la cérémonie. Le fait qu’Arthur Conche ne puisse venir assister à l’enterrement de sa femme à cause des poursuites dont il était l’objet avait beaucoup ému les Narbonnais. La Fraternité note que « la police eut le bon goût de ne pas se montrer ». En enterrant pareillement Augustine Conche, les communards narbonnais pleuraient la personne, bien sûr, mais aussi la Commune. C’est Eugène Gondres, acquitté de Rodez, qui prononça le discours. Le caractère politique de la cérémonie était perçu avec une telle netteté à Narbonne qu’un patron aurait interdit à ses deux ouvriers de s’y rendre, sous peine de ne plus trouver de travail chez lui260.
151Plus de dix ans plus tard, en novembre 1884, les funérailles du communard Charles Gouiry furent elles aussi l’occasion d’un grand rassemblement : mille socialistes et se disant tels, assistèrent à la cérémonie, là encore présentée comme une grande manifestation politique261. Le contexte n’était plus le même, depuis l’amnistie et les lois sur la liberté de réunion. Mais le souvenir était entretenu, même s’il n’était plus uniquement un moyen d’opposition politique. Les socialistes, toutes tendances confondues, se réclamaient de la Commune.
152Pourtant, il semble qu’il ne faille pas exagérer l’influence de la Commune après cette date. Les socialistes présents à l’enterrement de Gouiry peuvent être d’anciens communards, mais ils sont engagés dans une démarche nouvelle, vont de l’avant, et s’ils revendiquent le glorieux héritage de leurs aînés, il serait erroné d’avancer qu’ils marchent sur leurs traces. Ainsi, à la fin des années 1880, beaucoup ont l’impression que le vieux Digeon, retiré de la vie politique, est oublié de tous262.
Un événement : la mort de Digeon (24 mars 1894)
153Ironie du sort, Émile Digeon mourut, après une longue maladie, le jour anniversaire de la proclamation de la Commune de Narbonne, à Trèbes, le 24 mars 1894263. L’annonce de sa mort fut ressentie douloureusement par les militants, et saluée par La République sociale, hebdomadaire du parti socialiste local, par un numéro cerclé de noir qui lui était quasi exclusivement consacré264. C’était une méthode qui n’était accordée qu’aux deuils vraiment exceptionnels (ainsi, en son temps, La Fraternité l’avait utilisée pour annoncer la mort d’un autre héros républicain audois, Armand Barbès265, puis pour annoncer « l’entrée » des Prussiens dans Paris, à la fin de la guerre266). Mais au plan national, l’événement passa pratiquement inaperçu267. Les journaux anarchistes n’existent plus. Le dernier numéro du Père Peinard, d’Émile Pouget, est du 21 février 1894, celui de La Révolte de Jean Grave du 10 mars 1894. Louise Michel, l’amie de longue date, est en exil à Londres pour fuir les tracasseries policières et les campagnes de presse mensongères dont elle était l’objet268. On note tout de même un bref écho dans La Justice de Georges Clémenceau269.
154L’enterrement se déroula à Trèbes, et beaucoup de citoyens narbonnais qui pensaient qu’il se ferait à Narbonne, n’ont pas fait le déplacement. Parmi les personnes présentes, outre les proches, on pouvait remarquer des délégations des loges franc-maçonnes de la Libre Pensée de Narbonne, de la Chambrée Socialiste de Carcassonne, et de la Libre Pensée de Limoux, toutes avec leur drapeau. Or on sait les griefs que Digeon avait exprimés contre la franc-maçonnerie. Narbonne avait envoyé deux délégués officiels, Paul Vidal et Canutis, un des membres du groupe de l’Internationale brisé en 1873, tous deux amis de Digeon. Digeon avait prononcé le vœu que la seule cérémonie qui ait lieu soit la lecture de son testament dans lequel il affirmait à la fois ses convictions athées, anticléricales et sociales, ainsi que ses dernières volontés : être enterré dans une fosse commune et non dans le caveau familial270. Ainsi, il marquait jusque dans la mort sa volonté d’égalité sociale. Né d’une famille bourgeoise, il avait rejoint les plus humbles.
155Le numéro de La République sociale cerclé de noir ne parut que le 29 mars, en raison de sa publication hebdomadaire. Sur cinq colonnes à la Une, il titrait : « La mort de Digeon » en caractères gras. Après avoir rapporté les détails de l’enterrement, La République sociale retraçait les grands épisodes de la vie d’Émile Digeon, du coup d’état à la Commune, qui tenait la plus grande place, en passant par ses candidatures aux élections dans les années 1880. On y voit Digeon combattant le choléra à Palma et refusant les décorations pour sa belle conduite, ainsi qu’une longue description de sa résistance héroïque pendant les derniers jours de la Commune. L’article se terminait par ces mots : « Gloire donc à ce mort ! Et vive la République démocratique et sociale ! – la seule vraie »271.
156La mort d’Émile Digeon était donc saluée à Narbonne, mais à Narbonne seulement, comme celle d’un héros de la République démocratique et sociale. Il sera après Ferroul, l’une des figures emblématiques de Narbonne sous la IIIème République.
Les anniversaires, moyen essentiel de la commémoration
157Si la Commune était souvent reprise au cours de l’année comme un exemple, ou une référence dont on se réclamait par des discours, on ne la célébrait pour elle-même qu’une fois par an, lors de son anniversaire.
158Le premier anniversaire salué officiellement, l’amnistie ayant prescrit les poursuites contre des faits incriminés pour la Commune, fut le dixième, en mars 1881272. Nous l’avons vu, elle était alors examinée par ses propres acteurs, Paul Narbonne et Émile Digeon, le second s’attachant à l’examiner historiquement, avec le recul que lui donnaient les dix ans qui le séparaient des événements, mais en se plaçant dans une perspective d’avenir, dans celle d’un combat qui, pour lui, continuait273. L’anticlérical et athée qu’il était concluait : « Que la Commune nous soit donc sainte dans sa défaite... et bénie dans les espérances qu’elle a semées ». Plus qu’un mythe, c’est un idéal que nous décrit Digeon :
« La Commune, c’est la liberté des individus et des groupes ; c’est le règne de l’égalité sociale qui consiste dans l’égale satisfaction des besoins inégaux de tous.
Cet idéal est l’étoile que doivent fixer les opprimés, les déshérites, les pauvres... l’étoile qui éclaire déjà l’avenir : elle peut momentanément être voilée, mais elle n’en brille pas moins derrière les nuages, que chassera demain le vent de la tempête populaire »274.
159Digeon voyait l’avenir dans la Commune. Mais ses amis socialistes, pour la plupart, avaient d’autres objectifs. Aussi les commémorations régulièrement organisées par le parti socialiste à Narbonne, furent-elles des festivités militantes, chargées idéologiquement, mais qui surtout voulaient entretenir un souvenir pour des « luttes » présentes. Ainsi les réjouissances étaient toujours précédées d’une grande réunion. Le fait sera particulièrement significatif, nous le verrons, sous le « règne » d’Ernest Ferroul.
160Dans les journaux275, chaque fois qu’un article conséquent était fait sur la Commune de Narbonne (il n’y en avait pas chaque année, on se contentait parfois d’annoncer la réunion de commémoration), les mêmes thèmes ou événements revenaient, qui plaisaient particulièrement, par leur pittoresque, leur force démonstrative ou héroïque, ou encore leur côté à la fois politique, personnel et sentimental, comme la lettre que Digeon écrivit à sa femme, le 31 mars 1871, retranché dans le bureau du maire et prêt à y mourir276.
161La glorification mythique des anniversaires passait aussi par une exagération épique de l’ampleur même de la Commune de Narbonne. Ainsi, La République sociale notait, quelques jours avant la mort de Digeon, à son propos :
« S’il était moins modeste, il pourrait dire ‘Pendant que Paris luttait contre les troupes versaillaises, avec cinq cents hommes mal armés ou sans armes, j’en ai immobilisé trois mille sous les murs de Narbonne, qui appartenaient à l’élite de l’armée régulière’ ».277
162Par ailleurs, il faut ajouter qu’à partir de 1901, on divisa la commémoration de la Commune en deux cérémonies : une pour Paris, le 18 mars ; l’autre pour Narbonne, le 24. Ces cérémonies ne trouveront d’écho que dans la presse socialiste (La République sociale), et encore les verra-t-on souvent occultées au XXe siècle, par des événements jugés plus importants278. C’est sous la municipalité d’Ernest Ferroul que les rituels vont se systématiser, et que l’on se réclamera le plus de l’héritage de la Commune.
La Commune, Limouzy, et la municipalité d’Ernest Ferroul
163Ernest Ferroul avait fait ses premières armes à Narbonne en soutenant Émile Digeon. Élu député puis maire, le souvenir de la Commune tiendra une place importante dans ses discours. L’importance de l’attache locale dans sa politique le conduit à reprendre réellement les thèmes décentralisateurs. Il demande « l’autonomie de la commune et du département, administrés en ce qui regarde leurs intérêts propres par les conseils municipaux et généraux, dans la mesure compatible avec l’intérêt général ». Pour Ferroul, la commune est un instrument de base de la politique sociale. En fait, même si Ferroul pouvait avoir des préférences personnelles, ses positions décentralisatrices sont issues du programme fortement municipal élaboré par le Parti Ouvrier Français (P.O.F.), de Jules Guesde en 1892279. On ne peut donc y voir un héritage direct de la Commune, même si bien sûr le P.O.F. n’a fait que s’inspirer, pour cette partie de son programme.
164Ferroul va accorder aux commémorations de la Commune une place importante, car il sait que ce souvenir est un élément fédérateur des socialistes narbonnais. Baptiste Limouzy avait été élu conseiller municipal sur sa liste280. Il sera la caution communaliste de Ferroul, qui va pratiquer à son égard une politique de glorification systématique, dont bien sûr, il était le premier à recueillir les fruits. Limouzy est fêté comme un héros révolutionnaire à chaque commémoration de la Commune, d’abord par la chambrée socialiste, puis par la municipalité de Ferroul. Il incarne l’engagement politique du petit peuple urbain en faveur de la République ouverte au progrès social281. Ainsi, en mars 1892, lors de la première célébration de la Commune sous la municipalité Ferroul : Ferroul était absent, et présidait à Paris le banquet commémoratif de la Commune du Parti Ouvrier, en compagnie de Ducquercy et Jules Guesde282. À Narbonne, la salle de la chambrée socialiste était comble. Après avoir nommé présidents d’honneur de la réunion Z. Camélinat, membre de la Commune de Paris, et Émile Digeon, un hommage appuyé est rendu à Baptiste Limouzy. Celui-ci, habitué à ce genre de cérémonie, entre à ce moment là, et une véritable ovation lui est faite. Il est ensuite nommé président effectif de la réunion. Toutes les personnalités présentes, dont le premier adjoint Aldy, font des discours, qui sont acclamés par des cris de « Vive la Commune ! », maintes fois répétés. Mais ces commémorations veulent s’appuyer sur le passé pour préparer un avenir283. Selon les propres mots de La République sociale, « l’assemblée porte un toast aux victimes des versaillais, et à la revanche des travailleurs ». Aussi les commémorations, qui avaient un fort sens politique présent, étaient-elles accentuées en périodes de difficultés pour le parti socialiste. On utilisait le souvenir de la Commune à des fins présentes. Ainsi, en mars 94, alors que Ferroul venait de retrouver sa place à la mairie, après « avoir été démissionné » pendant un an par la préfecture, La République sociale affirmait :
« Nous pouvons assurer que le 18 mars sera fêté, cette année à Narbonne, plus chaudement que les autres années, bien que les socialistes narbonnais n’aient jamais laissé inaperçu cet anniversaire qui est un peu le leur.
À l’heure actuelle, au milieu des lâchetés générales, devant le mouvement de réaction qui entraîne la République opportuniste et bourgeoise vers tous les reculs, il est nécessaire d’affirmer le parti de l’avenir. (...)
Socialistes, préparons-nous, et nous ne pouvons mieux le faire qu’en pensant à ceux qui sont morts pour la liberté.
Leur grand exemple doit nous garder. Demain, peut-être, le devoir sera de faire comme eux.
Vive la Révolution sociale ».284
165La municipalité d’Ernest Ferroul étendit la commémoration de la Commune au delà des anniversaires. Ainsi, le maire nomme Baptiste Limouzy, déjà bien âgé, de retour de la Martinique où vivait son fils Odon, bibliothécaire adjoint de Narbonne, en 1896285 ; titre qui avait surtout pour effet de lui assurer une subsistance, mais qui montrait comment le souvenir de la Commune était entretenu. Le 9 juillet 1900, le conseil municipal décida qu’une rue nouvelle serait baptisée « rue Émile Digeon ». Le 22 juillet 1914, Émile Digeon est une nouvelle fois honoré, la place du musée lapidaire (ancienne église Lamourguier) devient « place Émile Digeon ». Le même jour, l’ancienne rue de la sous-préfecture est dénommée « rue Benoît Malon », « qui fut un écrivain socialiste, un grand penseur, et [qui] prit une part active à l’insurrection de 1871, et fut membre de la Commune de Paris ». Quelquefois, les choix de la municipalité Ferroul provoquèrent des heurts avec le gouvernement : ainsi, le ministère de l’Instruction Publique refusa que les écoles primaires, qui jusqu’alors n’étaient désignées que par des toponymes, soient nommées « école Elisée Reclus » ; « école Louise Michel », « école Benoît Malon », « école Proudhon » et « école Clémence Royer », comme en avait décidé le conseil municipal le 21 février 1911. On peut ajouter que la ville accorda son soutien à un certain nombre de monuments commémoratifs importants, entrepris par d’autres communes, parmi lesquels on peut citer : Auguste Blanqui, « grand penseur démocrate » (1904), une « souscription pour l’apposition d’une plaque de marbre sur le mur des Fédérés et l’érection d’une stèle au cimetière Montparnasse à Paris à la mémoire des Fédérés de 1871 » (1908), « Pierre Joseph Proudhon, « éminent sociologue » (1909), et Louise Michel, « dont la vie fut toute entière de dévouement et d’abnégation » (1909). On semblait oublier la « dérive opportuniste » de Marcou, puisqu’en 1911, la municipalité souscrivait à un monument à sa mémoire, « ancien maire de Carcassonne et proscrit du 2 décembre »286.
166Ferroul fut donc sans conteste celui qui accorda le plus de place au souvenir, glorifié et mythifié, de la Commune de Narbonne. Pourtant, on peut dire que c’est aussi lui, mais par sa propre dimension, qui mit fin au souvenir de la Commune. « Ernest Ferroul, légende narbonnaise », titre Christophe Bellaube287. Effectivement, la force du souvenir de Ferroul écrasa celui de la Commune. Les événements de 1907 furent, plus de trente cinq ans après la Commune, un nouveau traumatisme insurrectionnel, totalement différent, mais qui remplaça la Commune dans la mémoire collective des Narbonnais. Pourtant, des circonstances exceptionnelles allaient permettre de raviver le souvenir de la Commune.
La Commune de Narbonne, rempart des socialistes contre le « Bloc National » au début des années 1920
167Chose surprenante, le plus important numéro jamais consacré par la presse à la Commune de Narbonne est paru le jeudi 29 mars 1923. La République sociale consacrait exclusivement ses quatre pages à la « commémoration de la Commune de Narbonne »288. Or, en 1921, la même République sociale laissait le cinquantenaire inaperçu (du vivant de Ferroul, qui meurt le 29 décembre). En 1922, les socialistes pensent à fêter la Commune, l’Hôtel de Ville est comme toujours pavoisé à cette occasion de drapeaux et oriflammes rouges, et une réunion tenue par les socialistes fait salle comble. La République sociale publie une « esquisse historique de la Commune de Narbonne », à laquelle elle consacre la moitié de son court numéro. C’était bien entendu un chef d’œuvre d’histoire partiale, mais le résumé des événements était assez complet. L’exaltation du rôle des femmes y tient une place importante, mais cela correspond à la réalité. Émile Digeon, lui, est ni plus ni moins présenté comme un « apôtre »289.
168En mars 1923, La République sociale consacra trois numéros à la Commune de Narbonne290. Voici comment son rédacteur explique cette mobilisation :
« À l’heure grave que nous vivons, où une volonté de réaction se dégage de tous les actes du gouvernement ; à l’heure où le peuple est écrasé par les charges fiscales, où le foyer de la guerre menace encore de poursuivre la dévastation de l’Europe, où le Bloc National prend ses dispositions de nature à lui maintenir le pouvoir après les élections de 1924, tous les républicains et socialistes clairvoyants se doivent de ne pas rester dans l’indifférence
Ils ont le devoir de profiter de toutes les occasions pour exalter les mouvements insurrectionnels dans lesquels le peuple a revendiqué ou défendu ses droits. »291
169Deux grandes conférences furent organisées, sous la présidence d’honneur de Paul Vidal, un ancien communard narbonnais292. On y développa une esquisse historique, mais aussi des thèses générales sur la Commune, essayant d’en dégager des enseignements reprenant les thèses marxistes293. Mais le 29 mars, La République sociale publiait, dans un numéro exclusivement consacré à la Commune, un certain nombre d’extraits de pièces d’époque, et donnait un aperçu plus complet que celui des commémorations habituelles. Il n’en restait pas moins très orienté, comme le prouvent les titres : « La barbarie militariste », « Stoïcisme et grandeur d’âme de Digeon » ; « Limouzy père et fils sur le chemin de l’exil » (...)294. C’était à la fois un hommage, une « récupération » indéniable, et une réaction à l’histoire officielle de la IIIème République, qui occultait complètement la Commune. La Commune de Narbonne avait donc survécu à Ferroul. Mais sur une longue période, la figure emblématique du socialisme narbonnais sera Ferroul, et non Digeon. Cela occultera le souvenir de la Commune, mais il faut ajouter que si en l’occurrence rien n’est jamais exact, faire de Ferroul « l’ancêtre » du socialisme narbonnais est certainement plus juste que de donner ce rôle à Digeon.
170Aussi, peu à peu, le souvenir de la Commune de Narbonne va être absorbé par des prises de positions idéologiques.
Un mythe nationalisé, centralisé, « parisianisé »
171Les commémorations de la Commune de Narbonne étaient toujours précédées d’un aperçu historique. La nécessité de clarté voulait que l’orateur procédant avec un peu de méthode, exposât tout d’abord ce qu’avait été, selon lui, la Commune de Paris, pour ensuite en venir au plan local, et à présenter la Commune de Narbonne. C’est d’ailleurs presque ce que fît Digeon lui-même lors de la première commémoration. Il titrait : « Le 18 mars, la Commune en province », afin de parler de Narbonne. Mais auparavant, il présentait les circonstances nationales, obligatoires à la compréhension du phénomène narbonnais295.
172Les positions marxistes vont accentuer encore la tendance à la « parisianisation » ; on incluait Narbonne dans « la lutte pour l’émancipation des prolétaires », et, au vu de cette interprétation, on avait peu de raisons de la séparer de Paris. Or le mythe parisien, avec le mur des Fédérés, ou la barbarie de Gallifet, écrasait de son poids celui de la Commune de Narbonne. Si bien que peu à peu, les socialistes narbonnais, célébrant la Commune de Paris, ne mentionnaient que très rapidement l’existence d’une Commune à Narbonne.
173Chronologiquement, cette évolution à Narbonne se fît autour d’une coupure, constituée par l’année 1901, date où l’on décida de célébrer séparément Paris et Narbonne, à leurs dates respectives. Jusque-là, les Narbonnais célébraient « la Commune de Narbonne unie à celle de Paris »296. Peu à peu Paris avait pris de l’ampleur. C’est donc afin de raffermir la commémoration narbonnaise que Ferroul lui consacra une date séparée. Mais si cela fonctionna un certain temps comme il l’avait souhaité (preuve en est l’année 1923), Narbonne ne pouvait toujours célébrer deux fois la Commune. Aussi la date choisie pour ramener les festivités à une seule cérémonie fut celle du 18 mars, celle de Paris. À partir de là, c’est la Commune de Paris qui était fêtée à Narbonne. La mairie socialiste de Narbonne continua très longtemps à fêter la Commune. En mars 1957, La République sociale fait état de la surprise et de l’incompréhension des passants à la vue de l’Hôtel de Ville pavoisé (à ce moment-là en tricolore), ce que la presse d’information générale avait passé sous silence297. En mars 1970, dernière année de gestion municipale socialiste, l’anniversaire de la Commune de Narbonne n’est même pas mentionné, on ne parle que de Paris298.
174Chose qui peut paraître incroyable, le mouvement communaliste, qui tel que le pensait Digeon était une vaste entreprise de décentralisation, verra son souvenir perpétué d’une façon totalement centralisatrice. On peut voir là un symbole, qui montre comment ce n’est plus la Commune que l’on fêtait, mais son image, son mythe.
Du centenaire de la Commune à nos jours : la Commune de Narbonne oubliée ?
175Le centenaire de la Commune de Narbonne, ou même de la Commune en général n’a pas pu avoir un quelconque écho à Narbonne, qui était en pleine élection municipale. Ironie du sort, c’est presque cent ans jour pour jour après la Commune, le 21 mars 1971, que les socialistes ont perdu le pouvoir, qu’ils détenaient sans partage depuis la municipalité d’Ernest Ferroul, au profit de la liste « Nouveau Narbonne » de Me Hubert Mouly. E. Galy, dépité, explique dans les colonnes de La République sociale que « les militants » finiront par reprendre la mairie, puis s’exclame : « Ils le doivent à Ferroul ! Ils le doivent à eux-mêmes ! »299. Mais il ne fait aucune référence à la Commune. La République sociale consacrera tout de même tardivement un court article au centenaire de la Commune en général, se plaignant que la « République pompidolienne » l’ait passé sous silence300. Mais la disparition totale de la presse d’information générale de mars 1971 nous empêche de poursuivre nos investigations.
176Face à cette situation exceptionnelle à Narbonne, nous nous sommes tournés vers Perpignan, où un sursaut insurrectionnel important avait eu lieu en 1871. Les sources y sont plus riches. L’Indépendant consacre à la Commune un petit article : « L’anniversaire de la Commune : ce qui se passa à Perpignan le 25 mars 1871 ». Outre les confusions assez navrantes de son auteur entre les communalistes et les communistes, aggravées par un anticommunisme primaire, on est surpris de trouver là un exemple de légende noire de la Commune, où l’on voit des « extrémistes », « sous le coup d’une mystique révolutionnaire », tenter « d’agiter » Perpignan301. À l’opposé, Le Travailleur catalan, organe du parti communiste des Pyrénées-Orientales, publiait dans deux numéros différents des articles consacrés à faire connaître la Commune dans les Pyrénées-Orientales302. Mais à la différence de L’Indépendant, Le Travailleur catalan publiait les travaux d’un historien, Etienne Frénay. Si les conclusions de celui-ci étaient bien évidemment très orientées idéologiquement, son travail n’en restait pas moins réel, et de valeur, jusqu’à ce jour le plus complet qui ait été fait sur le sujet. Toujours aussi marqué idéologiquement, le centenaire de la Commune fut fêté par l’Union des Étudiants Communistes (UEC), seule organisation universitaire du centre universitaire de Perpignan, par une vente de livres et de disques accompagnée d’une mini-exposition. Il n’était pour eux bien entendu question que de la Commune de Paris, qu’ils analysaient comme un « conflit de classe », et comme le « premier gouvernement ouvrier », affirmant rejeter « l’opinion bourgeoise » donnée en milieu universitaire par Jacques Rougerie303.
177On le voit, en 1971, la Commune est loin d’être un objet apaisé. Les affrontements d’opinions que l’on voit à Perpignan montrent encore une fois combien, malgré les années, la Commune reste lourde d’idéologies et de tensions. En fait, c’est une image qui reste sujette à tension plus que sa réalité. Elle est une exacerbation des clivages gauche droite. Les phénomènes historiques locaux (ici Perpignan, mais c’est certainement aussi le cas de Narbonne) sont pris comme faisant partie d’un tout unilatéral, « la Commune », ce qui gomme leurs spécificités. Mais on peut noter que contrairement à ce qu’on aurait pu croire, la Commune perpignanaise n’a pas été totalement oubliée, asphyxiée par ces grands clivages : au contraire, le centenaire a permis la mise en valeur d’éléments locaux.
178Le centenaire de la Commune de Narbonne fut l’occasion pour un historien, J.-M. Tisseyre, archiviste documentaliste de l’Aveyron, de rédiger une courte brochure dactylographiée sur le sujet. Mais sa diffusion confidentielle n’eut aucune influence sur la perception que pouvaient en avoir les personnes susceptibles de s’y intéresser304. La municipalité de Narbonne ayant cessé de commémorer l’anniversaire de la Commune, seuls des historiens pouvaient la sortir de l’ombre. Mais par définition, ils s’écartent du mythe.
179Le cent dixième anniversaire de la Commune fut étouffé par la campagne présidentielle de 1981. Tout laissait croire que la Commune de Narbonne, malgré les quelques travaux entrepris par des historiens dans les années 1980, allait tomber définitivement dans l’oubli.
180Mais le cent vingtième anniversaire de la Commune de Narbonne fut commémoré de façon surprenante, le 20 mars 1991. Un groupe d’historiens volontaristes, comme M. Cerf, membre de l’association des amis de la Commune de Paris, et P.-H. Viala, archiviste municipal de Narbonne, avec le concours de la commission archéologique et littéraire de Narbonne, organisèrent une coopération en deux temps : une conférence sur « Émile Digeon et la Commune de Narbonne », puis une exposition sur le thème, « 120ème anniversaire de la Commune de Narbonne, 1871-1991 »305. Grâce à cette manifestation, peut-être certains ont ils appris son existence ? En tout cas, elle était bel et bien le fait de spécialistes. Mais la seule présence de M. Cerf, des « amis de la Commune », prouvait que le mythe de la Commune était encore présent : car, et nous pensons qu’il ne nous contredirait point, à quoi bon une telle association, si on n’attache pas à la Commune un côté sentimental important, et absent de bien d’autres événements historiques, beaucoup plus froids ?
181Le 125ème anniversaire de la Commune fît l’objet d’un colloque national à l’Université de Perpignan, les 28, 29 et 30 mars 1996, sur le thème : La Commune de Paris, utopie ou modernité ? Il rassemblait des universitaires et des membres de l’association des « amis de la Commune », et donna une place privilégiée aux commîmes de province.
182Pendant les années 1870 et le début des années 1880, les communards, en tant que tels ont une influence majeure sur la vie politique narbonnaise : il existait un legs important de la Commune, qui se manifesta, parfois violemment, à plusieurs reprises. Puis une transition s’opéra entre les communards et la nouvelle génération socialiste, par un glissement, dans la continuité. Mais les objectifs des nouveaux venus étaient différents, les variables économiques et sociales avaient beaucoup changé. Et au début des années 1880, et plus encore pendant les années 1890-1900, on a vu se développer un véritable mythe de la Commune de Narbonne. En multipliant les commémorations, on saluait le souvenir, certes, mais on symbolisait surtout la continuité d’une tradition révolutionnaire entre un passé glorieux dont on se réclamait, et un présent socialiste qui s’en voulait l’héritier. On peut dire que le souvenir d’une Commune resta vivace dans l’esprit des Narbonnais pendant plus de trente cinq ans, et que, jusqu’à la mort des derniers communards au milieu des années 1920, la Commune garda une signification réelle auprès de la population. Par la suite, l’initiative politique de la municipalité socialiste de commémorer longtemps encore la Commune prouve que celle-ci n’était pas oubliée. Pourtant, c’était là une démarche officielle, intéressante car elle montrait la force symbolique qui restait attachée à l’événement, mais qui semblait détachée des préoccupations réelles de la population. Au-delà de cent ans, si pour les historiens la Commune restait un objet « chaud », on ne peut dire qu’elle ait gardé toute sa force auprès des Narbonnais. Effectivement, dans le souvenir des militants socialistes, le mythe ferrouliste avait remplacé le mythe de la Commune.
Notes de bas de page
1 C’est ainsi que sont notées la plupart des pièces générales lors du procès (AD 12, 2U, Dossier du procès de la Commune de Narbonne).
2 Eugène Gondres et Émile Digeon, op. cit.
3 Prosper Nègre, op. cit.
4 C.-E. Guthrie, Political conflicts and socio economic change in the city of Narbonne (Aude) : 1848-1871, op. cit.
5 AD 11, 5M51, procès-verbal de gendarmerie n° 2, du 3 avril 1871, constatant « Une insurrection à Narbonne (...) ».
6 P.-O. Lissagaray, op. cit., p. 171.
7 A Perrier, notice « Digeon Émile », Dictionnaire de biographie française, (S/d. Roman d’Amat et R. Limouzin-Lamothe), tome XI, Paris, librairie Latouzy et Ané, 1967, pp. 340-341.
8 La Fraternité, 1er décembre 1869.
9 Contrairement à ce qu’affirme la notice « Digeon Émile » du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, art. cit., Joseph Digeon, père d’Émile, n’est pas mort des privations à Palma. Il revint en France, et mourut à Sainte-Eulalie en 1860 (AD 11, 5E340/9 : Acte de décès de Joseph Stanislas Digeon, à Sainte-Eulalie (Aude), le 24 août 1860, âgé de 63 ans [acte du 25 août]).
10 La Fraternité, 8 octobre 1870. Ce court billet de Garibaldi est glissé à la suite d’une lettre de C. Basso, son aide de camp (dont la reproduction ici serait superflue), qui appelle Digeon « mon cher ami ». Pour mémoire, Garibaldi débarquera à Marseille, avec ses hommes, et le gouvernement français, qui ne pouvait plus reculer, l’accueillit alors chaleureusement. Ses hommes combattirent à l’Est.
11 La Fraternité, 18 mars 1871.
12 Déposition de Nicolas Blondlat, capitaine au 52ème, Compte rendu du procès, op. cit., p. 64.
13 Déposition de M. de Soulages, ex chef de bataillon au 52ème, Compte rendu du procès, op. cit., p. 52.
14 Ce mensonge sauva probablement de nombreuses vies, puisqu’il permit au procureur général de s’emparer de l’Hôtel de Ville sans combat.
15 La Fraternité, 5 avril 1871.
16 J. Gaillard, op. cit., p 141, écrit : « La diversité des communalismes provinciaux reste frappante. Quel rapport y a-t-il entre l’insurrection de Narbonne, ville sans ouvriers et sans organisation ouvrière, dans un département où les revendications salariales paraissent inconnues, et Le Creusot où l’omnipotence de Schneider empêche la bourgeoisie d’acquérir cette puissance qu’elle tire en général de la croissance urbaine ? Le contraste donne à réfléchir sur l’importance très souvent attribuée à la prolétarisation dans l’insurrection communaliste. »
17 J. Rougerie, Procès des communards, Paris, Juillard, 1964.
18 Les personnes mentionnées sur des remises d’armes sont sujettes à caution. Un tri a été effectué, certaines ne pouvant visiblement pas être communardes. Mais aucune certitude n’existe quant à la qualité de communaliste de celles que nous n’avons pas éliminées (il y a tout de même de fortes présomptions).
19 Pour beaucoup, les données sont incomplètes, bien souvent réduites au nom et à la mention de l’individu. Ainsi de nombreuses données devront être envisagées avec des échantillons restreints. L’ensemble des sources et l’échantillon complet sont mentionnés dans l’annexe 8 de la version originale de ce travail (Marc César, La Commune de Narbonne, maîtrise d’histoire, université de Perpignan, juin 1995).
20 Messager du Midi, 1er avril 1871.
21 Acte d’accusation, Compte rendu du procès, op. cit., pp. 8-9.
22 La Fraternité, 29 mars 1871.
23 Extrait du Bon Sens, Le Courrier de l’Aude, 9 avril 1871.
24 Messager du Midi, 31 mars 1871.
25 Cité par B. Noël, notice « Femmes », Dictionnaire de la Commune, Paris, Flammarion, rééd. augmentée, 1978.
26 Acte d’accusation, Compte rendu du procès, op. cit., pp. 16-17.
27 Audition d’Eugénie Lombarde, veuve Isard, 45 ans, couturière, Compte rendu du procès, op. cit., pp. 73-74 ; audition de Eugène Pasnalle, Marchand de pinceaux, Compte rendu du procès, op. cit., p. 82 ; audition d’Étienne Faurie, 26 ans lampiste, Compte rendu du procès, op. cit., pp. 81-82.
28 Audition d’Élisabeth Cauquil, veuve Paul, 72 ans, Compte rendu du procès, op. cit., p. 78.
29 Acte d’accusation, Compte rendu du procès, op. cit., p. 16 ; audition d’Auguste Sabathié, 56 ans, ex-garde champêtre, beau frère de Santy, Compte rendu du procès, op. cit., p. 84.
30 Proclamation des insurgés, 30 mars 1871 (La Fraternité, 1er avril 1871).
31 Audition de Urbain Vié, capitaine de gendarmerie, Compte rendu du procès, op. cit., p. 60.
32 Audition de Théodore Raynal, ancien préfet de l’Aude, Compte rendu du procès, op. cit., p. 44.
33 Ibid. Audition de Nicolas Blondlat, capitaine au 52ème, Compte rendu du procès, op. cit., p. 64.
34 Audition de M. de Soulages, ex-chef de bataillon au 52ème de ligne, Compte rendu du procès, op. cit., p. 52.
35 Audition de M. Quenot, colonel, entendu en vertu du pouvoir discrétionnaire, Compte rendu du procès, op. cit., pp. 104-106.
36 Ibid. Le colonel Quenot déclare : « Avec les forces que nous avions et sur lesquelles nous ne comptions pas beaucoup, M. le lieutenant-colonel Vilar me dit le lendemain qu’il était convenu que nous ne serions là que pour appuyer l’autorité civile ».
37 Colonel E. Perrossier, op. cit., pp. 14-23.
38 Audition de M. Tastu, Compte rendu du procès, op. cit., p. 96.
39 Colonel E. Perrossier, op. cit., p. 23.
40 Philippeville, aujourd’hui Skikda, est un port de l’Algérie orientale.
41 Colonel E. Perrossier, op. cit., p. 6. Il est la seule source sur les « turcos ».
42 Eugène Gondres et Émile Digeon, op. cit., p. 24.
43 Audition d’Étienne Faurie, 26 ans, lampiste, Compte rendu du procès, op. cit., p. 82.
44 La Fraternité, 1er avril 1871.
45 Colonel E. Perrossier, op. cit., p. 23.
46 Ibid., p. 19. Il écrit « Il ne restait plus qu’à y lâcher les turcos et à laisser faire ». Le terme aurait pu être employé pour la curée lors d’une chasse à courre.
47 Il est possible que Cabrol ait été tué par des monarchistes exaltés, et non par des turcos (Cf. supra).
48 Colonel E. Perrossier, op. cit., pp. 18-20.
49 C’est du moins ce que rapporte Digeon (Eugène Gondres et Émile Digeon, op. cit., p. 24), mais c’est tout à fait vraisemblable.
50 Audition de Léon Antoine, dit Cimar, Compte rendu du procès, op. cit., pp. 108-109.
51 Extrait de L’émancipation, La Fraternité, 12 avril 1871 (lettre anonyme datée du 6 avril).
52 Colonel E. Perrossier, op. cit., p. 23.
53 Extrait de L’émancipation, La Fraternité, 12 avril 1871 (lettre anonyme datée du 6 avril).
54 Interrogatoire d’Emile Digeon, Compte rendu du procès, op. cit., p. 36 ; Audition de Paul Gaillard, négociant, Compte rendu du procès, op. cit., p. 108 ; Audition de Jean Millet, 53 ans, agent de police, Compte rendu du procès, op. cit., p. 83. Une liste complète des pertes ayant fait l’objet de réclamations a été dressée par une commission instituée à cet effet par le conseil municipal (AM Narbonne, série D « délibérations municipales », séance du 11 mai 1872).
55 Audition de Jean Millet, 53 ans, agent de police, Compte rendu du procès, op. cit., pp. 83-84.
56 Colonel E. Perrossier, op. cit., p. 23 ; Messager du Midi, 2 avril 1871.
57 AM Narbonne, série D, « Délibérations municipales », 11 août 1871. La somme débloquée par la municipalité pour les remboursements sera de deux mille cent cinquante neuf francs et vingt cinq centimes, ce qui est supérieur au montant demandé par l’État pour l’ensemble des troupes de répression (deux mille quatre vingts francs et cinquante six centimes, somme que le conseil refuse de payer, estimant que c’est à l’État d’assumer de telles dépenses [cf. délibérations du 5 novembre 1871, 21 mai 1872, 17 août 1872 et 3 juillet 1873]). C’est donc considérable mais largement inférieur à l’ensemble des sommes déclarées (quatre mille deux cent cinquante six francs et quarante cinq centimes). Il faut ajouter que ces remboursements ne concernent que les objets volés aux résidents permanents (physiques ou moraux). Le plus grand nombre d’objets volés appartenait aux insurgés, qui n’ont évidemment pas été remboursés, ni même comptabilisés dans les déclarations. Le télégraphiste, dont la résidence principale n’était pas à la mairie, n’a pu obtenir de remboursements (rejet du conseil du 25 juillet 1872). Une part importante de ces indemnités concerne des bris plus que des vols.
58 Messager du Midi, 2 avril 1871.
59 Colonel E. Perrossier, op. cit., p. 23.
60 Audition de Paul Gaillard, négociant, Compte rendu du procès, op. cit., p. 108.
61 Me Mie, défenseur de Digeon, développe à ce propos un incroyable axiome : « Je suppose qu’un soldat d’origine française est incapable de vol » (sans la moindre ironie).
62 Les Droits de L’Homme, 5 avril 1871.
63 Émile Digeon, Droits et Devoirs dans l’anarchie rationnelle, Paris, A. Fayard, 1882 ; Émile Digeon, Propos Révolutionnaires, Paris, imprimerie de Décembre, 1884.
64 Outre le fait que ces derniers soient incontestablement des caméléons politiques.
65 Discours de Baptiste Limouzy au club de la Révolution le 22 janvier 1871, cf. ci-dessous.
66 La Fraternité, 25 janvier 1871.
67 Extrait du Peuple Narbonnais, La Fraternité, 18 janvier 1871. Cf. supra, première partie, I, C, 1 « Du Club Lamourguier au Club de la Révolution ».
68 La Fraternité, 18 mars 1871.
69 Eugène Gondres et Émile Digeon, op. cit., pp. 3-14.
70 Discours d’Émile Digeon du 12 mars 1871, in La Fraternité, 18 mars 1871.
71 Discours de Baptiste Limouzy au Club de la Révolution, 22 janvier 1871 (cf. supra).
72 Prosper Nègre, op. cit., p. 5.
73 Prosper Nègre, op. cit., pp. 5-6, 16 (où il cite Lamennais), et 81 (où il affirme croire en Dieu).
74 Félicité de Lamennais, Paroles d’un croyant, 1834.
75 Ibid. Plus tard, Digeon ira encore plus loin et rejettera avec violence tout déisme anticlérical, n’acceptant qu’un athéisme total (Émile Digeon, Droits et devoirs dans l’anarchie rationnelle, op. cit., pp. 5-7).
76 « Nous voulons respecter le foyer domestique, l’honneur de nos femmes et de nos filles », déclara-t-il dans son discours au Club de la Révolution, le 22 janvier 1871. Beaucoup dénonçaient l’intrusion de l’Église dans la vie privée par ce système.
77 Discours d’Émile Digeon du 12 mars 1871, in La Fraternité, 18 mars 1871.
78 La République sociale, 29 mars 1894.
79 Discours d’Émile Digeon du 12 mars 1871, La Fraternité, 18 mars 1871.
80 Prosper Nègre, op. cit., pp. 12-13 et 16.
81 Ibid., pp. 12-13. Lénine reprendra par la suite cette idée de quatrième ordre pendant la révolution française.
82 Économiste Saint-Simonien, puis fouriériste, qui a collaboré au Phalanstère, ennemi de la concentration industrielle et de la propriété privée (1801-1887). Fourier est mort en 1837. On a ici un exemple du cheminement de ses idées à travers le temps.
83 Prosper Nègre, op. cit., p. 14.
84 Discours de Limouzy au Club de la Révolution, Cf. supra.
85 Discours de Digeon du 12 mars 1871, La Fraternité, 18 mars 1871.
86 Prosper Nègre, op. cit., pp. 12-18.
87 Le terme peut paraître anachronique, mais il englobe une réalité intemporelle.
88 Prosper Nègre, op. cit., p. 17.
89 J. Gaillard, op. cit., pp. 158-161.
90 Cf. supra, Discours de Baptiste Limouzy au Club de la Révolution.
91 Et prouvent donc que celle-ci est considérée comme non effective.
92 Discours de Digeon au Club de la Révolution du 12 mars 1871 ; Émile Digeon, La voix d’un mystifié du 2 décembre, Paris, Imprimerie H. Carion, 1869, pp. 9-24.
93 Intervention de Limouzy lors du discours de Digeon le 12 mars 1871, La Fraternité, 18 mars 1871.
94 Émile Digeon, La voix d’un mystifié du 2 décembre, op. cit., p. 15 ; discours d’Émile Digeon du 12 mars 1871, La Fraternité, 18 mars 1871.
95 Plus anciennement encore, on peut y voir un reste des milices qui existaient dans les communes du moyen âge.
96 Digeon explique qu’il avait été contre la guerre lors de sa déclaration, et que, comme tous les républicains, il avait ensuite soutenu la guerre à outrance « pour sauver l’honneur de la France » (sic). Ce patriotisme exacerbé n’exclut pas qu’il soit fondamentalement pacifiste.
97 Émile Digeon, La voix d’un mystifié du 2 décembre, op. cit., p. 15. Il faudra attendre 1884 pour que la IIIème République autorise les syndicats, par la loi Waldeck-Rousseau.
98 On remarque la différence existant entre les termes employés : Digeon s’adresse au « Peuple de Narbonne », alors que les autorités gouvernementales parleront elles aux « habitants de Narbonne ». Ce petit détail rhétorique est très significatif de l’affrontement de deux républicanismes.
99 Discoure d’Émile Digeon du 12 mars 1871, La Fraternité, 18 mars 1871.
100 Prosper Nègre, op. cit.. Les citations suivantes sont du même ouvrage.
101 La IIIème République donnera une suite à ces revendications, l’instituteur devenant une personnalité locale incontournable, respectée de tous et atteignant son apogée sociale. Mais son salaire n’était pas astronomique.
102 Discours de Digeon le 12 mars 1871, La Fraternité, 18 mars 1871.
103 Prosper Nègre, op. cit., p. 80.
104 Extrait du Peuple Narbonnais, La Fraternité, 18 janvier 1871.
105 Prosper Nègre, op. cit., p. 87.
106 Cf. supra, Discours de Baptiste Limouzy au Club de la Révolution.
107 Louis Reybaud, étude sur les réformateurs socialistes modernes, 1840.
108 Prosper Nègre, op. cit., pp. 86-87.
109 J. Gaillard, op. cit., pp. 21-30 (sur Lyon et Marseille).
110 Albert Ollivier, La Commune, Paris, Gallimard, 1939, pp. 270-276.
111 J. Gaillard, op. cit., p. 154.
112 Bernard Voyenne, Le fédéralisme de P.-J. Proudhon, Paris-Nice, Presses d’Europe, 1973.
113 J. Gaillard, op. cit., p. 153.
114 Le Progrès de l’Aveyron, 5 mai 1871.
115 J. Rougerie, QSJ, op. cit., p. 14.
116 J. Gaillard, op. cit., p. 154, montre qu’il a existé en 1850 une ligue du Midi dont Gent était le chef. Cette ligue a gardé des séductions auprès des quarante-huitards très influents dans le Midi.
117 Extrait du Républicain de l’Aveyron, La Fraternité, 9 décembre 1871.
118 La Fraternité, 6 janvier 1872.
119 Outre Digeon (président), en étaient membres notamment Paul Brousse (Montpellier), Ed. Gignan (Rodez), ou Revel (Narbonne). On remarque comment l’Aveyron est intégré à ce comité, essentiellement composé de délégués de l’Aude et de l’Hérault. C’est la conséquence directe du combat mené pour l’acquittement des prévenus de Narbonne : Gignan est maintenant une des grandes figures de la démocratie avancée du Midi. Cf. La Fraternité, 6 janvier 1872.
120 La Fraternité, 6 janvier 1872.
121 J. Sagnes, « Les hésitations du socialisme au lendemain de la Commune de Paris ; anarchistes, fédéralistes, et guédistes dans l’Hérault », art. cit., p. 65.
122 Marcel Cerf, op. cit., p. 41.
123 Ibid., pp. 41-44.
124 Jusqu’au Congrès de la Haye (2-7 septembre 1872), date du retrait des blanquistes de l’Α.Ι.Τ., les relations entre les deux parties étaient au beau fixe.
125 Institut français d’Histoire sociale – 14 AS 99 bis, fonds Eudes, cité par Marcel Cerf, op. cit., pp. 42-44.
126 Paul Brousse deviendra dans les années 1880 un des principaux dirigeants du socialisme français. Il est à ce moment là affilié à la section de l’Internationale de Montpellier (Cf. Notice Paul Brousse, Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier Français, (S/d. J. Maitron), tome 11, Les éditions ouvrières, 1973 ; David Stafford, « Paul Brousse », Jalons pour une histoire de la Commune (S/d. J. Rougerie), Paris, P.U.F, 1973, pp. 381-383). Charles Alerini est un ancien membre de la commission départementale révolutionnaire de Marseille (le 23 mars 1871), et Camille Carnet est un jeune canut lyonnais.
127 Marcel Cerf, op. cit., pp. 44-45.
128 La Fraternité, 9 juillet 1872.
129 C.-E. Guthrie, « The Battle » for the third republic in the arrondissement of Narbonne, 1871-1873, art. cit.
130 AD 11, 5M51, du 5 septembre 1871 au 25 novembre 1872, « manifestations à l’occasion de l’anniversaire du 4 septembre ».
131 C.-E. Guthrie, art. cit., pp. 66-67 ; Courrier de Narbonne, 7 mars 1872.
132 C.-E. Guthrie, art. cit., p. 67. L’Union de l’Aude, 7 mars 1872 ; La Fraternité, 10 mars 1872.
133 La Fraternité, 21 mars 1872.
134 La Fraternité, 24 mars 1872.
135 La Fraternité, 28 mars 1872.
136 Robert Debant, « Écrits d’Adolphe Thiers sur les manifestations antimilitaristes de Narbonne en 1872 », Bulletin de la société d’études scientifiques de l’Aude, tome 72, 1972, pp. 253-254.
137 Ibid. L’Union de l’Aude, 29 août 1872 ; Courrier de Narbonne, 29 août 1872.
138 L’Union de l’Aude, 29 août 1872.
139 L’Union de l’Aude, 5 septembre 1872 ; C.-E. Guthrie, art. cit., p. 71.
140 Robert Debant, art. cit., p. 259 ; La Fraternité, 15 septembre ; C.-E. Guthrie, art. cit., p. 71.
141 AD 11, 3J468 « Dépêche de Thiers à Victor Lefranc, ministre de l’intérieur, sur les mesures à prendre au sujet des émeutes antimilitaristes de Narbonne, 2 septembre 1872 ».
142 Robert Debant, art. cit., p.257
143 C.-E. Guthrie, art. cit., p. 71 ; La Fraternité, 10 août 1873.
144 Robert Debant, art. cit., pp. 257-258.
145 La Fraternité, 5 septembre 1872.
146 Robert Debant, art. cit., p. 259.
147 Courrier de Narbonne, 12 et 16 septembre, 17 et 24 octobre, 7 novembre 1872. Ainsi, cinq individus menacèrent un lieutenant du 27ème le 5 septembre 1872. Le 8 et le 17 septembre, des assaillants inconnus assommèrent des sentinelles devant la caserne. Des événements moins importants se produisirent en octobre et en novembre.
148 La Fraternité, 19 septembre 1872.
149 Cf. notice « Miquel Jean », Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier Français, (S/d. J. Maitron), deuxième partie, 1864-1871, Les éditions ouvrières, 1967.
150 AN BB24790, dossier S. 732606.
151 Ibid. cf. notice Canutis Justin Alexis, Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier Français, (S/d. J. Maitron), deuxième partie 1864-1871, éditions ouvrières, 1967.
152 Cf. notice Revel, ibid. ; AD 11, 7M33, dossier « Cercle de la Fraternité ».
153 Cf. notices Revel, Darié, Gaillard, Gondre et Gondres Eugène, Cathala, dans le Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier Français, (S/d. J. Maîtron) ; Courrier de Narbonne, 3 avril 1873 ; C.-E. Guthrie, op. cit., p. 406.
154 Courrier de Narbonne, 3 avril 1873 ; J. Sagnes, « Les hésitations... », art. cit., pp. 65-67.
155 Ibid, sur Jules Guesde, cf. Claude Willard, Le mouvement socialiste en France (1893-1905), les guédistes, Paris, éditions sociales, 1965, p. 13.
156 Cf. Notices Miquel (art. cit.) et Canutis (art. cit.), dans le Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier Français. Canutis fut accusé d’avoir voulu organiser des obsèques civiles pour son beau-père.
157 Courrier de Narbonne, 3 avril 1873.
158 Ibid. L’attitude de Canutis, qui se désengage, le laisse penser.
159 J. Sagnes, « Les hésitations du socialisme au lendemain de la Commune de Paris ; anarchistes, fédéralistes, et guédistes dans l’Hérault », art. cit., p. 65.
160 Courrier de Narbonne, 3 avril 1873. Lors du procès, les internationalistes seront accusés « d’être sur la liste des abonnés de Miquel ».
161 J. Sagnes, « Les hésitations du socialisme au lendemain de la Commune de Paris ; anarchistes, fédéralistes, et guédistes dans l’Hérault », art. cit., p. 66.
162 Courrier de Narbonne, 3 avril 1873.
163 Paul Brousse, condamné pour son affiliation à Montpellier, s’exile alors à Barcelone, où sont beaucoup de communards. Montels est en Suisse, Guesde en Italie, Digeon à Palma... nous avons vu comment Brousse reprend les idées de Digeon. Des contacts s’établissent entre ces exilés, et beaucoup se retrouveront militant côte à côte dans les années 1880.
164 Cité par Robert Debant, art. cit., p. 258.
165 Le chiffre est énorme, car la réunion est clandestine : ces huit cents personnes sont sorties de la légalité, donc sont des révolutionnaires en puissance. On ne peut donc pas les comparer aux deux mille personnes assistant aux réunions du Club Lamourguier avant la Commune : elles avaient toute latitude pour le faire.
166 L’Union de l’Aude, 20 juin 1872
167 Thiers considérait qu’une lutte contre Gambetta et ses amis troublait le calme qu’il tenait tant à instaurer. Il acceptait les radicaux, car il savait qu’ils n’étaient pas révolutionnaires.
168 P. Carbonnel, op. cit., p. 430.
169 Courrier de Narbonne, 8 juillet 1875. L’Ordre Moral vit le développement d’un intense mouvement religieux, la poussée d’une offensive mystique et ultramontaine. Sous l’impulsion du Duc de Broglie, orléaniste, l’État qui veut maintenir la structure sociale contre les menaces de subversion radicale s’appuie fermement sur l’Église. L’archiprêtre a donc une fonction importante. On est en plein cléricalisme, tant haï par les communards.
170 Selon un extrait du Bon Sens, journal républicain conservateur, publié dans le Courrier de Narbonne du 8 juillet 1875.
171 Selon le Courrier de Narbonne, monarchiste (8 juillet 1875).
172 Alors que Mac-Mahon détestait ces « populations du Midi, qui n’ont pas de discipline (...) », et avait une haine particulière pour le département de l’Aude, qu’il voyait comme un réservoir de rouges (cf. P. Carbonnel, op. cit., pp. 430-431).
173 Pierre Guidoni, op. cit.
174 A. Joblin, Le 16 mai 1877 dans le département de l’Aude, mémoire de maîtrise d’histoire, Montpellier III, juin 1976, pp. 76-98. Dans les circonscriptions de Limoux et Castelnaudary, des légitimistes avaient été élus. Mais ils furent invalidés, et, lors de nouvelles élections, en mars et avril 1878, se sont les républicains qui l’emporteront.
175 Rémy Pech, La vie politique dans le département de l’Aude (1881-1902), DES d’histoire, Université de Paris-Sorbonne, 1967, p. 98.
176 Cf. Notices Asperges et Grauby, Dictionnaire biographique du Mouvement Ouvrier Français, (S/d. J. Maitron), deuxième partie, 1864-1871, Paris, éditions ouvrières, 1967. Grauby avait bénéficié d’une remise de deux mois pour bonne conduite, tandis qu’Asperges était très mal noté, et resta plus que prévu en prison.
177 Notice « Adam Frédéric », ibid. Le 21 février 1878, les membres du conseil municipal de la ville de Narbonne avaient signé une pétition au préfet demandant des mesures de clémence envers les condamnés. Le préfet la recommanda au ministre de l’intérieur, afin que celui-ci la transmette au garde des sceaux. Mais ce n’est qu’un an plus tard que les remises seront accordées (AN BB24823, cité par Marcel Cerf, op. cit., p. 46).
178 Le Courrier de l’Aude, 1er juin 1871.
179 J. Rougerie, QSJ, op. cit., p. 121.
180 Extrait du Journal Officiel, Le Républicain de Narbonne, 13 mars 1879.
181 J. Rougerie, QSJ, op. cit., p. 121.
182 « La Commune dans les Pyrénées-Orientales, textes oubliés », Le Travailleur catalan, 11 avril 1975.
183 Le Républicain de Narbonne, 4 septembre 1879.
184 Extrait de La Farandole du 12 octobre 1879, Le Travailleur catalan, 11 avril 1975.
185 Ibid.
186 Le Républicain de Narbonne, 4 septembre 1879.
187 Le Républicain de Narbonne, 11 septembre 1879.
188 Le Républicain de Narbonne, 18 septembre 1879.
189 Le Républicain de Narbonne, 16 octobre 1879.
190 Le Républicain de Narbonne, 23 octobre 1879.
191 Louise Michel, La Commune, Paris, Stock, 1898, p. 238.
192 Émile Digeon, Droits et devoirs dans l’anarchie rationnelle, Paris, A. Fayard, 1882 ; Émile Digeon, Propos Révolutionnaires, Paris, imprimerie typographique de M. Décembre, 1884.
193 Émile Digeon, Droits et devoirs (...), op. cit., p. 3. Jusqu’en 1896, les mouvements socialistes et anarchistes allaient de pair, la scission définitive ne se faisant qu’au congrès de Londres (26 juillet – 2 août 1896).
194 Émile Digeon, Droits et devoirs (...), op. cit., p. 10-11. On trouvait déjà cette idée en 1871, dans La Fédération Radicale.
195 Ibid., pp. 6-7. La hiérarchisation des loges et des membres lui déplaît fortement.
196 Ibid., pp. 23-35.
197 Ibid., p. 34.
198 Émile Digeon, Propos Révolutionnaires, op. cit., p. 2.
199 Émile Digeon, Droits et devoirs (...), op. cit., pp. 28-29.
200 Cf. supra : Digeon parlait de la « justice sociale » comme de « l’idée supérieure ». Mais sa réaction anti-autoritariste face au collectivisme, comme son identification à la mouvance anarchiste, ou encore son engagement dans le mouvement communaliste, qu’il concevait comme libérateur de l’autorité écrasante de l’État, laissent penser que le combat pour la liberté régit avant tout sa conduite (ce que prouvent toute sa vie, ses exils forcés ou volontaires sous l’Empire et la République « rurale »...).
201 Émile Digeon, Droits et devoirs dans l’anarchie rationnelle, op. cit., p. 32.
202 J. Maitron, Le Mouvement anarchiste en France, t. 1, Paris, Maspéro, 1975, p. 146.
203 Émile Digeon, Propos Révolutionnaires, op. cit., pp. 6-9.
204 Ibid., pp. 10-11. Il n’y a bien évidemment plus de candidats officiels en 1884. C’était la spécialité du Second Empire, et on peut dire que, sous l’ordre moral, des méthodes apparentées ont été employées par les amis de Mac-Mahon. Mais rien de tel n’existe au moment où écrit Digeon. Pourtant, la grande majorité des populations conservatrices, anciennement monarchiste s’est alors ralliée à la République. Aussi souvent les élections se font-elles entre le candidat socialiste (de quelque tendance qu’il soit), et le modéré républicain. En supprimant l’un, Digeon pense que l’autre resterait seul en lice. En fait, cela provoquerait certainement une candidature plus à droite. Mais quoi qu’il en soit, ce schéma à deux candidats est trop simplificateur pour refléter la réalité. Ce terme de « candidat officiel » semble bien être un procès d’intention de la part de Digeon.
205 Émile Digeon, Ne Votons pas !, groupe anarchiste La Liberté, n° 2, 8 pp., in 32, cité par Max Nettlau, Bibliographie de l’anarchie, Bruxelles, 1897 [Fac-similé, Genève, Mégariotis reprints, 1978, pp. 95-96])
206 Émile Digeon, Propos Révolutionnaires, op. cit., p. 24.
207 Ibid., p. 21. Il faut ajouter qu’en 1884, Digeon considère que toute manifestation pacifique dans les rues, sans armes, est « une niaiserie... ou un piège » (p. 22).
208 Émile Digeon, Proposition de mise en accusation de Gambetta et de ses ministres, Paris, Baudu, 1881.
209 Émile Digeon, À l’armée, s.d.n.d., 15 pages in 32, réimprimé dans La Lutte, (Lyon) du 22 juillet 1883, et traduction allemande dans Freiheit, (New York), en 1883. Cf. Max Nettlau, op. cit, pp. 95-96.
210 Émile Digeon, Le 14 juillet 1789, aperçu historique du vrai rôle du peuple dans la prise de la Bastille, Paris, imprimerie typographique de M. Décembre, 1884, 8 pages.
211 Émile Digeon, La Commune de Paris devant les anarchistes, Bruxelles, 18 mars 1885, in folio à deux col., d’après L’Insurgé, Bruxelles, du 22 mars 1895. Cf. Max Nettlau, op. cit., pp. 95-96.
212 J. Maitron, Le mouvement anarchiste en France, t.1, op. cit., p.146. Émile Pouget sera le fondateur du Père Peinard, journal anarchiste.
213 P. Carbonnel, op. cit., p. 433.
214 Rémy Pech, op. cit., pp. 105-106.
215 Le Républicain de Narbonne, 19 février 1880.
216 Cité par P. Carbonnel, op. cit., p. 433.
217 Cf. Rémy Pech, op. cit., p. 106 et P. Carbonnel, op. cit., p. 433..
218 Rémy Pech, op. cit., p. 93.
219 Cf. infra, « L’émancipation sociale, journal socialiste ».
220 Cf. Notice « Osmin Labadié », Représentants du département de l’Aude (P. Raynier), Toulouse, 1901.
221 L’emprise de Marcou sur le mouvement républicain audois est telle que sa profession de foi pour sa réélection fut reprise par tous les autres candidats « radicaux » du département. À Carcassonne, personne ne songe à contester son siège, ou à essayer de le mettre en ballottage, les conservateurs se contentant de prôner l’abstention.
222 Marcou sera élu sénateur en janvier 1885, achevant d’être méprisé par Digeon (cf. Notice « Marcou », Représentants de l’Aude, Toulouse, 1901).
223 Rémy Pech, op. cit., pp. 104-105.
224 L’émancipation sociale, 25 août 1881. Mairie était petit fils d’un représentant à la chambre des Cent jours, et fils d’un membre des commissions mixtes en 1852, ce qui était encore plus lourd à porter. Aussi lit on fréquemment dans L’émancipation sociale : « En 1852, M. Mairie père envoyait les républicains comme M. Digeon en Afrique (...) ».
225 L’émancipation sociale, 25 août 1881.
226 Ibid. Les réunions, tenues en son nom, rassemblaient plus de mille personnes, mais il n’intervenait pas.
227 Ibid.
228 Rémy Pech, op. cit., p. 108.
229 AD 11, 2M66 ; Digeon obtenait 41 % des suffrages contre 46 % à Mairic.
230 À Coursan même, Digeon obtenait un score exceptionnel de 83 % contre 13 % à Taxil et 4 à Mairic.
231 L’émancipation sociale, 25 août 1881.
232 Rémy Pech, op. cit., p. 111.
233 La Fraternité, 21 août 1881.
234 AD 11, 2M66. Obtenant 8074 voix contre 9752, il est possible que Digeon ait bénéficié de votes conservateurs, en opposition à Mairic.
235 P. Carbonnel, op. cit., p. 436.
236 Jules Ferry mena une politique expansionniste.
237 P. Carbonnel, op. cit., p. 436.
238 Marcel Cerf, op. cit., p. 47 ; avant cette date, on parlait de « réunions », soumises à une réglementation plus stricte.
239 Marcel Cerf, op. cit., p. 49. Marcel Cerf montre comment Digeon faisait partie des proches parmi les proches de l’ardente révolutionnaire.
240 Rémy Pech, op. cit., p. 127.
241 Ibid. Sur Eugène Fournière, cf. Claude Willard, Les guédistes, op. cit., pp. 16 et 115.
242 P. Carbonnel, op. cit., p. 437.
243 Rémy Pech, op. cit., p. 126.
244 L’émancipation sociale, 26 juillet 1883 (pour le premier tour), et 9 août 1883 (pour le second tour). Papinaud obtenait 71 % des suffrages au second tour.
245 L’émancipation sociale, 14 juillet 1880.
246 L’émancipation sociale, 17 mars 1881.
247 L’émancipation sociale, 2 avril 1881 (article : « Le 18 mars, la Commune en province »).
248 L’émancipation sociale, 16 juin 1881.
249 Cf. Notice « Ernest Ferroul », Les Audois, dictionnaire biographique (S/d. R. Cazals et D. Fabre), édité par l’Association des Amis des Archives de l’Aude, la Fédération Audoise des Oeuvres Laïques et la Société d’Études Scientifiques de l’Aude, 1990, pp. 162-164.
250 J. Sagnes, « Les hésitations du socialisme au lendemain de la Commune de Paris ; anarchistes, fédéralistes, et guédistes dans l’Hérault », art. cit., p. 75.
251 Ibid. D’avril à décembre 1882, de Ricard fit paraître « L’Autonomie communale ».
252 Pierre Guidoni, op. cit., pp. 45-46.
253 Ferroul est suspendu pendant un an en 1893, et reprend ses fonctions. En 1897, il est révoqué à nouveau. Le 13 mai 1900, il est réélu, et restera maire jusqu’en 1921.
254 Messager du Midi, 1er avril 1871.
255 Le Bon Sens, 29 mars 1871.
256 La Fraternité, 1er avril 1871 ; Compte rendu, op. cit., p. 12.
257 Le Courrier de l’Aude, 2 avril 1871.
258 La Fraternité, décembre 1871.
259 La Fraternité, 23 décembre 1871.
260 La Fraternité, 24 février 1872.
261 L’Émancipation sociale, 13 novembre 1884.
262 E. Fournière notait lors de sa mort : « Si les héros aimés du destin meurent jeunes, il en est que le même destin condamne à survivre, seuls, fiers, tristes, dans un monde oublieux ou méconnaissant de leurs exploits. (...) Ainsi Émile Digeon. »
263 Extrait d’acte de décès, mairie de Trèbes, acte n° 18, 1894.
264 La République sociale, 29 mars 1894.
265 La Fraternité, 29 juin 1870.
266 La Fraternité, 4 mars 1871.
267 On est en pleine période des attentats anarchistes à la bombe, et la mort d’un anarchiste, même « rationnel », et communard de surcroît, ne pouvait être célébrée, même si celui-ci réprouvait totalement ce genre de méthodes qui étaient celles de ceux qu’il dénonçait comme étant des « absolus ». (La bombe à la Chambre des Députés est déposée le 9 décembre 1893, son auteur est exécuté le 4 février 1894. L’attentat du terminus est perpétré le 12 février 1894 ; la bombe de Dauwels à la Madeleine date du 15 mars 1894. L’assassinat du Président de la République Sadi Carnot par Casério est postérieur, il a lieu le 24 juin 1894).
268 Marcel Cerf, op. cit., p. 59.
269 La Justice, 27 mars 1894, cité par Marcel Cerf, op. cit., pp. 59-60. On est ici très loin du mythe développé à Narbonne et dans ses environs ; l’échotier est complètement dépourvu de chaleur humaine, constate la disparition d’une personnalité assez intéressante, manifestement totalement inconnue au plan national. On remarque par ailleurs que l’activité politique anarchiste de Digeon de 1880 à 1885 est complètement gommée.
270 La République sociale, 29 mars 1894.
271 La République sociale, 29 mars 1894.
272 Il faut toutefois noter que M.C. Bichambis, op. cit., p. 485, écrit : « Depuis 1875, les bombes partent de la tour Gilles Aycelin, chaque 24 mars, afin de rappeler aux narbonnais oublieux les événements de la Commune de Narbonne ». Mais on ne peut le considérer comme fiable.
273 L’émancipation sociale, 17 mars et 2 avril 1881.
274 L’émancipation sociale, 2 avril 1881.
275 Essentiellement La République sociale. Le tabou régna longtemps sur la Commune. En 1881, seule L’Émancipation sociale salue l’événement. La Fraternité de Marcou n’écrit pas une ligne rappelant le 18 ou le 24 mars 1871. En 1891, ni Le Réveil de Narbonne ni Le Républicain n’y consacrent un mot... L’anniversaire de la Commune est l’apanage des socialistes.
276 La République sociale, 29 mars 1894 (on retrouve des reproductions de cette lettre maintes fois à d’autres années).
« Ma bien chère Hélène,
C’est en entendant sonner le tocsin que je t’écris. Le général Zentz nous annonce que nous serons bombardés aujourd’hui. Je viens te dire adieu. Je laisse à mon ami Clarou le soin de te raconter les détails de ce qui s’est passé à Narbonne.
Dis à ma mère que je mourrai martyr de ma foi républicaine, comme les martyrs chrétiens qu’elle vénère moururent pour la foi chrétienne. Eux aussi, ils étaient les anarchistes et les pillards du temps ; aujourd’hui on leur dresse des autels...
(...) Dis à Fernand d’élever son fils dans la haine des dompteurs du peuple, afin qu’un jour, il prenne part au grand mouvement de revendication réparatrice d’où doit sortir le triomphe des principes pour lesquels je mourrai sans doute.
Si contre mon attente, j’ai encore le bonheur de te revoir, ce sera pour t’aimer plus que jamais...
Si je meurs, ce sera en prononçant avec les noms de Liberté, Égalité, Fraternité, ceux de ma mère, Laure, Femand, et surtout le tien !
Je t’embrasse de toute la tendresse de mon âme...
Émile Digeon »
277 La République sociale, 22 mars 1894.
278 Ainsi, en 1921, 1931 et 1961, La République sociale ne mentionnera même pas l’anniversaire de la Commune, pour des anniversaires par décennies (en 1961, par exemple, la visite de Guy Mollet à Narbonne occulte le reste de l’information).
279 Nathalie Boulet, Le Docteur Ferroul et le socialisme narbonnais, 1880-1921, mémoire, IEP Toulouse, 1987-1988, p. 25.
280 La République sociale, 24 mars 1892.
281 « Limouzy symbolise, au sein de la municipalité Ferroul, la continuité de la tradition révolutionnaire » (Claude Willard, Les Guédistes, op. cit., p. 285, note 3).
282 La République sociale, 24 mars 1892.
283 Ainsi, ce mot de Ferroul : « Laissez-moi vous dire ce qui, pour moi, doit ressortir de ce souvenir et de cette commémoration » (Lettre de Ferroul lue pendant la cérémonie).
284 La République sociale, 15 mars 1894.
285 P.-H. Viala, art. cit., p. 79, note 5.
286 Ibid, p. 72.
287 C. Bellaube, Ernest Ferroul, légende narbonnaise, mémoire IEP Toulouse, 1986.
288 La République sociale, 29 mars 1923. Après le congrès de Tours, La République sociale garde son sous litre « organe du parti socialiste du Midi », auquel on a accolé : S.F.I.O.
289 La République sociale, 23 mars 1922.
290 La République sociale, 15, 22 et 29 mars 1923 (la parution est hebdomadaire).
291 La République sociale, 22 mars 1923.
292 Il passe pour tel dans les années 20. C’est probable, même s’il ne figure dans aucun document en 1871.
293 La République sociale, 22 mars 1923. Sous la plume d’Yvan Pelissier, la Commune est « un épisode marquant de la lutte des classes » ; « l’élite agissante ne fut pas suivie car les masses prolétariennes n’étaient point préparées... »
294 La République sociale, 29 mars 1923.
295 L’émancipation sociale, 2 avril 1881
296 La République sociale, 24 mars 1892.
297 La République sociale, 24 mars 1957. On ne pavoise pas l’Hôtel de Ville en rouge, comme pendant la municipalité Ferroul. Le rapide aperçu historique sur « Le 86ème anniversaire de la Commune, première révolution prolétarienne », rappelle brièvement les événements parisiens, et mentionne tout de même l’existence de la Commune à Narbonne.
298 La République sociale, 26 mars 1970.
299 La République sociale, 21 mars 1971.
300 La République sociale, 1er avril 1971.
301 L’Indépendant, 26 mars 1971. Nota : les dates différentes, 25 et 27 mars, sont dans le texte.
302 Le Travailleur catalan, 26 mars et 2 avril 1971.
303 Le Travailleur catalan, 2 avril 1971.
304 J.M. Tisseyre, La Commune insurrectionnelle de Narbonne, mars 1871, Rodez, 1971,15 pages dactylographiées.
305 Midi Libre, 18 mars 1991 (édition de l’Aude).
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