Continuer à penser la Commune et en faire un spectacle : Barricade d’après Adamov
p. 369-372
Texte intégral
Compagnie « Jolie Môme »1,
avec la collaboration de Nicolas Grégoire, homme de lettres.
11871, le peuple prend le pouvoir et proclame la Commune de Paris :
2Séparation de l’Église et de l’État, suppression de l’armée permanente au profit de l’armée du Peuple, école laïque gratuite et obligatoire, coopérative ouvrière, droits des femmes, élus révocables, suppression du mont-de-piété, réquisition des logements inoccupés...
3Aujourd’hui, que reste-t-il de notre histoire ?
4Que reste-t-il de cette première révolution ouvrière ?
Le souvenir des 30 000 morts et 4 500 déportés ? | Peut-être |
L’émancipation des femmes ? | Un peu |
La démocratie authentique ? | Trop peu |
L’autogestion ? | Très peu |
Le rejet des exclusions et des inégalités ? | Si peu |
La participation des masses au pouvoir ? | Pas du tout |
L’envie de tout recommencer ? | À la folie !!! |
5... Car environ 130 ans après cette révolution populaire, on est frappé par la pertinence et l’actualité des revendications communardes.
6Travailler, vivre décemment, sans laissés pour compte, sans discrimination.
7C’est tout, c’est simple, c’est légitime, ... humain...
8Un joli rêve collectif devenu réalité avec des soldats aux consciences civiles...
9En face, une répression forcenée.
10Le résultat, la Semaine sanglante.
11Certes, M. Thiers et les Papon de l’époque, Galliffet, Mac-Mahon, ne peuvent plus être jugés. À défaut, ils pourraient cependant être condamnés plutôt qu’honorés.
12La disparition des avenues et places Thiers serait déjà un pas vers la réhabilitation des victimes de la Commune et la condamnation des acteurs de ce crime contre l’humanité.
13C’est cette page de notre histoire si glorieuse et si dramatique, mais surtout encore si méconnue du grand public, que nous avons voulu honorer dans notre spectacle « Barricade ». La pièce commence en janvier 1871, nous sommes chez Brébant, un grand restaurateur parisien où, alors que le peuple subit depuis six mois un siège terrible, le tout Paris littéraire se réunit, devise, s’empiffre.
14Le 28 janvier 1871, l’armistice est signé. Les affaires vont pouvoir reprendre pour les uns. Pour les autres...
15Le peuple gronde, la paix a été bradée.
16Le gouvernement est inquiet de savoir les quartiers ouvriers en armes.
17Quand dans la nuit du 18 mars, le gouvernement tente de récupérer les canons de Montmartre, les femmes, au péril de leur vie, protègent les canons et amènent les lignards à s’unir au peuple dont ils font partie.
18Henriette, marchande de fleurs, se trouve là par hasard... et contribue à cette fraternisation de l’armée avec le peuple.
19Ensuite, les événements s’enchaînent. Eugène, journaliste au Cri du Peuple, nous apprend la prise de l’Hôtel de Ville, la fuite du gouvernement à Versailles. Il nous présente Polia, une étudiante polonaise internationaliste.
20Jeanneton, aveugle, visionnaire, pressent qu’on aurait dû poursuivre le gouvernement en fuite.
21Son père Hercule et son frère Pierrot, blanquistes, se réjouissent de ces événements et des exécutions des généraux Lecomte et Thomas.
22Lulu, marchand de journaux, petit frère d’Henriette, héritier de Gavroche, s’étonne de voir ses pairs se perdre en tergiversations au lieu d’agir.
23Nénette, la patronne du café, a peur ; en 1848 elle a perdu son homme...
24Malgré la manifestation de l’Ordre, les élections ont lieu.
25La Commune édicte ses premiers décrets :
26l’armée permanente est abolie,
27l’instruction devient gratuite, laïque et obligatoire,
28séparation de l’ Église et de l’État...
29Les bourgeois affolés quittent Paris et se réfugient à Versailles.
30Pendant quelques jours encore, la Commune vit, rêve : de salaires égaux, de parité, de médecine gratuite, de crèches... Mais les Versaillais sont aux portes de Paris.
31Pierrot et Eugène s’affrontent une nouvelle fois à propos de la question des otages. Eugène est trop gentil...
32La Commune est vaincue, les exécutions sommaires continuent sous les yeux des bourgeois de retour et convaincus que « le bain de sang que vient de prendre Paris était, peut-être, d’une horrible nécessité pour calmer quelques-unes de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur » (Émile Zola).
33L’histoire de « Barricade » s’est surtout inspirée de Printemps 71 d’Adamov et dans une moindre mesure, des Jours de la Commune de Brecht, de La Commune de Paris et de L’Insurgé de Vallès ou encore des travaux historiques de Lissagaray, de Louise Michel, de Talès, de Raoul Dubois. Mais plus que tous ces écrits, nous avons surtout voulu transmettre dans notre spectacle l’idéal des Communards que nous gardons dans nos cœurs. Une création sur la Commune de Paris, c’est commun, enfin ce n’est pas surprenant, surtout pour une compagnie telle que la nôtre. C’est l’évidence même, presque pléonasmatique, la Compagnie « Jolie Môme » et le drapeau rouge, le drapeau rouge, toujours le drapeau rouge...
34C’est un peu comme pour d’autres compagnies se confronter à Molière. Depuis la naissance de notre compagnie en 1983 nous avons toujours eu à cœur, tout en développant un travail d’agit-prop, de participer aux luttes des plus précaires et de sensibiliser au théâtre les exclus de la société. Ainsi, de 1984 à 1989 la Compagnie « Jolie Môme » a travaillé avec l’association Emmaüs afin d’intégrer dans l’équipe de comédiens de plusieurs pièces des personnes en grande difficulté sociale (toxicomanes, anciens détenus).
35La Mère de Bertolt Brecht, Caïus d’après Caligula de Camus ou encore Le Viol d’après Le Procès d’Aix de Gisèle Halimi ont de cette façon pu être présentés au public. Dans le même esprit, nous avons travaillé de 1990 à 1992 avec des jeunes de Gennevilliers (représentations du Roi s’amuse de Victor Hugo et du Cabaret d’amour, création).
36Tout en participant à toutes les luttes sociales (mouvement des professionnels du Spectacle ; 1992 et 1996-97, décembre 1995), la Compagnie « Jolie Môme » s’est aussi toujours investie dans le soutien aux « Sans » (Sans-papiers, Sans-logis de la rue Dragon pendant l’hiver 1994 avec création d’ateliers-chanson).
37Esprit rebelle, esprit de partage mais toujours avec dans un coin du cœur la Commune ; la Commune et ses réformes, la Commune et ses chansons aussi... Acteurs, nous sommes également chanteurs de rue et de cabaret.
38Mais chanter la Commune ou la jouer au théâtre en l’an 2000 revient souvent à mieux la faire connaître du public voire à la faire totalement découvrir...
39C’est en effet avec stupéfaction que nous avons constaté que, hormis les amateurs d’histoire, de politique, les militants à gauche du capitalisme, la première révolution ouvrière du monde était mal connue de ses propres héritiers.
40Les manuels scolaires ont trop souvent participé à cette lacune ; étrange... Trop compliqué à expliquer, à analyser sans doute. Volonté délibérée ?
41Malgré cet ostracisme ambiant, on peut observer que tout le monde a entendu parler de la Commune, vaguement...
42« Ah oui, c’est sous la même République ça non ? »
43« La Commune de Paris, oh oui je connais, c’est à Paris que ça se passe ».
44« C’est là qu’il y a eu plein d’avancées sociales, l’école laïque, les coopératives ouvrières... »
45« C’est une révolution, je crois ».
46Globalement, c’est flou, mais toujours positif, beaucoup la revendiquent même ; peu de rejet, de violences verbales systématiques comme le connaîtront par la suite les autres révolutions sociales.
47Est-ce dû à sa courte existence ?
48À son écrasement dans le sang ?
49Ou, parce que, comme le disait Constant Martin « Mourons bravement ! Il faut laisser aux générations futures le souvenir d’un sacrifice total et exemplaire, afin qu’elles puissent reprendre sans honte le flambeau de la révolution ! Ne laissons pas ternir l’image de notre combat ! »
50Bref, de cette vague conscience collective favorable, il semblerait que comme une étoile au firmament brille la Commune de Paris.
51Puisse notre spectacle « Barricade » lui offrir de nouveaux amis.
Notes de bas de page
1 La Compagnie « Jolie Môme » est composée de Michel Roger, Pascale Zanelli, Frédéric et Lorène Dubreuil, Cécile Michau, Sylvie Lartaut, Mathieu Barbances, Serge Balu, Cyril Chellal, Nathalie Tcharcachian, Emmanuel Monier, Fabrice Merlo, Toufan Aziz Moradi, Maryline Beaudran, Christophe Couzon et Sébastien Godefroy.
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