1Après la chute de la Commune, on aurait pu penser que des dramaturges prendraient la plume pour évoquer les événements dont ils avaient été les témoins ou les acteurs. Mais l’entreprise était risquée, dans le climat de répression féroce exercée par un gouvernement qui imposait l’occultation totale des « 72 journées maudites ».

2La censure qui s’exerce alors sur le théâtre interdit toute allusion à l’insurrection, et la mesure s’étend même aux faits révolutionnaires antérieurs qui pourraient susciter des rapprochements possibles avec la Commune.

3Une exception dans le marasme de la création : La Commune de Paris, de Jules Vallès, écrite en exil et achevée en 1872 ; évidemment, la pièce ne sera jamais jouée ni éditée sous le règne de « l’ordre moral », et même après. Eu égard à sa valeur littéraire et documentaire, ce drame historique fait l’objet d’une communication particulière1.

4Il faudra attendre le retour des proscrits pour qu’apparaissent les premières tentatives de porter à la scène le souvenir des Communards.

5Le 4 juin 1883, une décision ministérielle interdit au colonel Maxime Lisbonne de monter aux Bouffes du Nord La Famille Lebrenn, adaptation d’un extrait des Mystères du Peuple d’Eugène Sue. Bien que l’action se déroule en juin 48, la censure motive ainsi son veto :

« En voulant justifier les criminelles journées de juin 48, l’auteur, évidemment, n’a eu qu’un but, réhabiliter d’une façon détournée les vaincus de la Commune, et nous ne doutons pas que le public des Bouffes n’acclame avec enthousiasme /.../ C’est, croyons-nous, une mauvaise action que de chercher à entretenir les idées de vengeance chez les enfants de ceux qui, légitimement frappés, se sont mis hors la loi... »2

6L’année 1887 est marquée par plusieurs créations :

7Le 30 mars, au 37 du Passage de l’Élysée des Beaux-Arts, a lieu la première représentation du Théâtre Libre d’Antoine. Au programme : Jacques Damour, pièce en un acte en prose, tiré de la nouvelle de M. Émile Zola par M. Léon Hennique. Antoine, dans le rôle de Jacques Damour, ancien déporté de la Commune, obtient un grand succès par son interprétation, mais la qualité de Communard du personnage est soigneusement estompée.

8Le drame en cinq actes de A. Delpit, Mademoiselle de Bressier, bien que très édulcoré, est soumis aux rigueurs des censeurs.

9La Mort de Delescluze, de A. Fautrier, est interdite. Le préfet en avait d’ailleurs fait arrêter les répétitions à Marseille.

10Le 23 janvier 1889, le Comité de lecture de la Comédie Française reçoit à l’unanimité Le Pater, de François Coppée. La pièce mise en répétition est interdite après intervention du ministre Fallières. Elle glorifie pourtant la magnanimité versaillaise, mais toute référence à la révolution du 18 mars est sujet tabou.

11La Commune, de Ary Ludger, refusée le 25 février 1891, ne peut être jouée au théâtre de la Villette. La pièce, loin d’être un chef-d’œuvre, avait cependant le mérite d’aborder franchement le sujet sous ses différents aspects.

12En 1895, La Mendiante de Saint-Sulpice, de Xavier de Montépin, mélo franchement anti-communard, mérite à ce titre l’indulgence des censeurs.

13Le 8 octobre 1898, l’Ami de l’Ordre, du libertaire Georges Darien, fut joué grâce à l’intervention du ministre radical Léon Bourgeois. Mais Le Fédéré, de F. de Chirac, créé le 22 juin 1900 au café-concert Excelsior, est aussitôt interdit.

14L’Infâme, mélo d’inspiration versaillaise de G. Spitzmuller, subit en 1903 les ciseaux d’Anastasie.

15L’anarchiste Charles Malato écrit en 1905 une pièce sur la déportation, intitulée L’Île des Pins. Il possédait une abondante documentation, ayant accompagné en Nouvelle-Calédonie son père, condamné à la déportation simple.

16La censure disparaît le 7 juin 1906, mais les tabous demeurent tenaces longtemps encore. Du 28 novembre au 9 décembre 1907 est représenté Le Fanion de Paul Ginisty, d’après une de ses nouvelles : Le Drapeau des Volontaires de Montrouge.

17En janvier 1908, L’Apprentie, de Gustave Geffroy, est une bonne adaptation théâtrale de la touchante histoire de la petite Cécile Pommier dont un frère a été tué à Buzenval et l’autre abattu contre le mur du Père-Lachaise. En mars, La Commune, de E. Herbel, dont on sait peu de choses, passe dans les théâtres de quartier : les Gobelins, Grenelle, Montparnasse...

18La Saignée, drame en cinq actes et sept tableaux, de Lucien Descaves et Nozière, est représentée pour la première fois le 26 octobre 1913 au théâtre de l’Ambigu. La pièce, chaleureusement accueillie par le public, est bien faite et d’une bonne facture dramatique, pleine de mouvement, de vie et de passion. Par prudence, sans doute, les auteurs n’ont retenu parmi les causes de la Commune que la protestation patriotique. Malgré cette modération, beaucoup de critiques ont trouvé que Descaves et Nozière manifestaient trop d’indulgence envers les Communards. Dans Le Journal, Abel Hermant, dont les sympathies ne vont nullement à la Commune, émet cependant une opinion assez correcte :

« Il est périlleux de toucher à la guerre et à la Commune. Cette histoire n’est pas encore de l’Histoire, et de bien longtemps peut-être n’en sera point. Nous ne sommes pas encore de sang-froid, nous ne pouvons pas être indifférents ni impartiaux, nous ne pouvons pas être justes. »

19La guerre de 14-18 et son effroyable boucherie remettent à des décennies la création de nouvelles pièces sur la Commune.

20En 1937, un dramaturge norvégien, Nordahl Grieg, écrit La Défaite, drame dont le héros est le peuple de Paris en lutte contre le gouvernement de M. Thiers. La pièce, qui dénonce les erreurs de la Commune et qui démontre les nécessités de l’organisation, est en même temps un avertissement aux républicains espagnols dont l’auteur prévoit la défaite.

21Bertold Brecht, inspiré par l’œuvre de Grieg mais rejetant son pessimisme, écrit en 1948-1949 : Les Jours de la Commune. « Ce n’est pas sa meilleure pièce. Elle tourne au meeting chaque fois que la Commune siège, et un peu à l’image d’Épinal quand les insurgés ouvrent la Bouche. »3

22Roger Stéphane termine en 1953 Le Destin de Rossel. Le texte, d’une grande qualité littéraire, donne cependant une fausse idée du personnage, en en faisant (dira Edith Thomas) un aventurier solitaire et hautain, incapable de communication. La pièce ne tentera aucun directeur de théâtre mais, après remaniement, son passage à la télévision, sous la direction de Jean Prat, fut un succès le 1^er février 1966, surtout en raison de la remarquable interprétation de Samy Frey.

23Le Printemps 71, pièce en trois actes et vingt-six tableaux, d’Arthur Adamov, est certainement la tentative la plus originale et la plus audacieuse pour faire retentir un hymne héroïque à la Commune. La pièce sera donnée pour la première fois à Londres, par l’Unity Théâtre, en juillet 1962, avant d’être jouée, trois fois par semaine, au théâtre Gérard-Philipe de Saint-Denis, du 26 avril au 26 mai 1963.

24Adamov estimait que Brecht avait « raté son coup » avec Les Jours de la Commune, pour n’avoir pas su éviter le piège du drame historique conventionnel. C’est à cause de cet échec, qu’on ne craignit pas d’entreprendre la réalisation du Printemps 71 sur lequel il travailla près de trois années.

« Je crois dès maintenant avoir réussi à donner de la Commune l’image que je voulais en donner. Une image à la fois simple et compliquée où prendraient place, parfois tour à tour, surtout simultanément, l’héroïsme, le travail opiniâtre sur tous les fronts : front de guerre, front du travail ; la fatigue sans nom, la gaieté presque folle, l’innocence qui ravit et qui navre, le grand pressentiment de l’Avenir (« l’instinct général des masses réveillées », disait Lénine), et toutefois les illusions, les erreurs criminelles ou anodines. »4

25Pour éclairer d’un point de vue historique les scènes de rue et les conflits personnels, Adamov se proposait d’utiliser les « Guignols », personnages allégoriques sortis des cartons de Daumier et constituant une forme moderne du chœur antique, mais avec un côté parfois un peu trop didactique. La musique de Jean Wiener, caricaturale pour les « Guignols », devient tendre et passionnée pour les tableaux où l’on voit vivre le peuple parisien. Au cours de l’action, il tente de recréer les balbutiements, la recherche de Degeyter inventant l’air de l’Internationale. L’ingénieux dispositif scénique de René Allio, monté sur chariot et pivotant sur lui-même, fait apparaître les différents immeubles de la petite place de la Contrescarpe.

26Les jolis costumes d’Anne-Marie Marchand devaient renforcer

« la rupture complète entre les scènes des Guignols dont la grisaille ne sera troublée que par le rouge de la Commune et les scènes de ce printemps révolutionnaire, ardent, joyeux, dont les personnages porteront sur eux, en couleurs vives et fraîches, l’expression de leur enthousiasme inébranlable. »5

27Une quarantaine d’acteurs de talent, sous la direction du metteur en scène Claude Martin, donnaient une image du peuple parisien portant les espérances de l’avenir. Malgré tous ces éléments positifs, on ne peut parler d’un succès total. La pièce avait besoin d’être rodée et la mise en scène plus resserrée pour rendre plus sensible le rythme effréné du vécu insurrectionnel. L’intervention des Guignols amenait une rupture dans l’action voulue par l’auteur mais encore mal perçue par une partie du public peu sensible aux effets de distanciation. Les frais considérables nécessités pour monter un tel spectacle ont malheureusement empêché, jusqu’à ce jour, sa reprise.

28La pièce de Pierre Halet, La Butte de Satory, se présente comme une chronique à travers la mémoire du personnage principal, Rossel. Elle a été interprétée par d’excellents comédiens de la compagnie Jean-Pierre Miquel, le 12 juin 1967, au T.N.P., salle Firmin-Gémier. Elle fut reprise au théâtre Récamier le 26 septembre 1967. Le thème essentiel de la pièce, d’après Jean-Pierre Miquel, est :

« La difficulté qu’il y a pour nous à juger tant un homme qu’une situation, et la difficulté de cet homme à se définir clairement dans cette situation issue pourtant de la plus légitime des revendications. »6

29Les motifs musicaux, empruntés à Béla Bartok, annoncent le thème des différentes séquences (le procès, La Commune, les souvenirs intimes de Rossel).

30Les 13 soleils de la rue Saint-Blaise – de la Commune à nos jours –, la pièce en six parties d’Armand Gatti, mise en scène de Guy Rétoré, est une exaltation de la Commune. Elle fit l’objet d’une critique un peu acide de Raymonde Temkine7 qui découvrit une pièce « au lyrisme touffu, confus, généreux et brouillon ». Première représentation au T.E.P. le 15 mars 1968.

31La célébration du centenaire de la Commune a été l’occasion de nombreuses manifestations théâtrales qu’on ne saurait toutes citer. Mentionnons entre autres : Les Jours de la Commune, de Berthold Brecht, par le Berliner Ensemble, accueilli du 18 mars au 5 avril 1971 par le théâtre des Amandiers, le théâtre de la Commune et le théâtre Gérard-Philipe.

32La reprise de À l’Assaut du ciel, d’Henri Bassis et Joseph Kosma, fresque chantée, sous la direction de Daniel Husar, mise en scène par Emile Herlick, salle Pleyel, le 21 avril.

33Au théâtre de l’Alliance Française, à partir du 11 juin 1971 : La Commune, son cri, ses écrits, de Bernard Wentzel et Luc Ritz – sous l’égide des Amis de la Commune et du Comité National pour la commémoration du centième anniversaire.

34Le Franc-Théâtre présenta au théâtre Romain-Rolland de Villejuif, La Commune en chantant, de G. Coulonges, mise en scène de Mouloudji.

35En province, à la maison de la culture d’Amiens, Dominique Houdart réalisa un spectacle sur la Commune, du 26 au 28 mai, sur la base de « matériaux bruts », avec comédiens, marionnettes et masques. Le théâtre du Manitou, de la même compagnie, devait produire plus tard Louise Michel ou les œillets rouges.

36La M.J.C. du Havre monta Place Thiers d’Yvon Birster, mise en scène par Bernard Mounier.

37Ces dernières années les créations se font plus rares. Signalons Paris cerises, de Gabriel Cinque et Mireille Abadie, au théâtre des Templiers ; Paris, représentations du 10 au 29 avril 1989.

38Le rêve géant de Louise Michel. Texte et mise en scène de Jean-Pierre Toublan, spectacle présenté dans plusieurs villes de l’Est, au cours du second trimestre de 1994.

39Certains manuscrits intéressants dorment dans les tiroirs. C’est le cas de Cérémonial pour un combat, œuvre lyrique de Claude Prin, dont Raymonde Temkine a dit : « il y a là un matériau théâtral excellent pour une mise en œuvre non traditionnelle /.../ Reste à savoir quel metteur en scène osera le monter, quel théâtre voudra l’accueillir »8.

40On attend encore la grande épopée populaire qui soulèverait l’enthousiasme des foules.