1Les socialistes français, dès qu’il l’ont pu, ont toujours tenu à commémorer la Commune de Paris. Souvent dans des conditions difficiles, comme on le voit dans les textes publiés à l’occasion de la première commémoration, au Mur des Fédérés, en 1880... : interdiction d’entrer dans le cimetière du Père Lachaise avec des gerbes, gerbes arrachées, militants frappés, impossibilité d’approcher du Mur cerné par la police, etc.1

2C’est cette année-là que, pour la première fois après ces années de silence, on descend dans la rue pour commémorer les événements de 1871. Peut-on d’ailleurs « commémorer » une défaite, un massacre ? Mais les choses ont évolué peu à peu. Si Eugène Pottier écrivait en 1876 : « La semaine sanglante, en pourrais-je parler ? », le même écrit en 1881 : « Le massacre en l’éclaboussant en fit une page historique ». Mai 1871 et ses morts sont désormais entrés dans le panthéon socialiste. Le mois de mai est maintenant l’occasion de vouloir affirmer sa présence, sa force, sa détermination à lutter.

3Il s’agit d’autant plus d’un moment important qu’il faut encore lutter pour aller au Mur, se recueillir, chanter, prononcer des discours, sous la surveillance de la police, qui n’hésite parfois pas à user de provocations, pour semer le trouble.

4Jusqu’en 1885, on relève de nombreux blessés à chaque manifestation. En 1882, les discours sont autorisés devant le Mur. À partir de 1883, les drapeaux sont autorisés dans l’enceinte du cimetière. La police note les textes inscrits sur les gerbes, en arrache certaines du Mur. Ainsi, en 1895 encore, celle de la Jeunesse révolutionnaire internationaliste des XI^e et XII^e Arrondissements de Paris, dédiée aux « Frères assassinés par les Versaillais ».

5Avant et après la montée au Mur, des chansons sont reprises en chœur. C’est en 1905 qu’on relève dans les rapports de police la première évocation de l’Internationale, mais d’autres chansons appartiennent au patrimoine socialiste. Nombre d’entre elles ont un caractère national2, mais d’autres sont composées et interprétées dans les départements, où le souvenir de la Commune reste très présent. Ainsi, dans le Nord. Quelques-unes d’entre elles méritent d’être citées, comme Salut Commune, de Jean-Baptiste Jacobs, dont chaque couplet se termine par les phrases suivantes : « Salut : Patrie universelle », « Salut, glaneuse de l’Idée », « Salut, glorieuse martyre », « Salut, toi qui pour nous est morte », « Salut demain. Salut justice ». Ou encore cette Communarde, sur des paroles de Luc, qui débute par des couplets tragiques, avant de se terminer sur l’espoir de lendemains meilleurs, après que la revanche aura été consommée :

« On reverra, les Communards !
Lorsqu’enfin aura sonné l’heure
Fuyez bourgeois ! Gare aux traînards !
On reverra les Communards,
Vous balayer tous, sans égards.
Place au peuple, qui souffre et qui pleure. »3

6Le droit de manifester n’est toujours pas reconnu de façon précise et nette, même en ces premières années du XX^e siècle. Pierre Renaudel doit encore écrire dans L’Humanité du 27 mai 1910 qu’il faut se rendre au Mur des Fédérés le 29 « pour honorer nos morts et pour conquérir le droit de manifestation ». Il s’agit de lutter contre ce qui constitue une tolérance, qui est par exemple remise en cause en 1913, alors que les socialistes intègrent la commémoration de la Commune dans un mouvement plus vaste, de lutte politique. En 1913 en effet, le pouvoir interdit la manifestation, au prétexte que le parti socialiste unifié depuis 1905, la SFIO, entend, à partir de l’anniversaire de 1871, protester contre la loi des trois ans. Alors, les socialistes, et Jean Jaurès en tête, se rabattent sur une commune de banlieue : le Pré-Saint-Gervais. Jusque-là, ils n’étaient que quelques milliers à fouler les allées du Père Lachaise. En 1913, ils sont peut-être 150 000 à écouter Jaurès prononcer un de ses plus grands discours.

7Alors que la mémoire vivante de la Commune s’estompe peu à peu avec la disparition progressive des survivants, les socialistes réussissent à prendre le virage, à faire perdurer la montée vers le Mur, à l’intégrer aux luttes du temps, à en tirer aussi des leçons différentes selon l’époque, le contexte. On le voit surtout à partir du début des années 20, celles de l’éclatement du mouvement socialiste unifié, tandis que se crée le parti communiste.

8Les socialistes sont alors en concurrence directe avec les communistes, et chaque manifestation leur offre l’occasion de mobiliser leurs troupes, en essayant d’y intégrer d’autres forces. En 1921, Le Populaire de Paris lance un appel aux socialistes et à la classe ouvrière, mais entend aller encore plus loin, en titrant « Debout, Paris ! Pour tes morts ! » 1921... nous sommes à quelques mois de la scission du Congrès de Tours, en décembre de l’année précédente. Il faut mobiliser, certes, mais il faut aussi rappeler qui a fait le bon choix, et pourquoi. Alors, Jean Longuet écrit le 21 mai : « Pourquoi faut-il que cette année tous les socialistes ne se trouvent pas unis en un seul cortège, le même jour, devant le Mur glorieux où sont tombés les derniers fédérés ? Nos camarades de la CGT se le demandent dans Le Peuple, et leur étonnement douloureux est le nôtre. Il n’a pas dépendu de nous qu’il en fût ainsi. »

9Longuet évoque ensuite les deux dates retenues pour chaque cortège, et la position prise par les communistes : « gestes mesquins, mais qui ne surprennent pas de la part de gens qui suivent l’étroit catéchisme de haine édicté par Moscou, et qui doivent cependant reconnaître que leurs principes sont absolument les mêmes que les nôtres. »

10De tels développements, on les trouve désormais chaque année, à quelques différences près, sous la plume des journalistes et éditorialistes socialistes.

11À quelques exceptions notables près, bien sûr : pendant la montée vers le Front populaire, avec la grande manifestation unitaire de mai 1936, à quelques jours de la victoire électorale. Le Populaire de Paris du 25 mai montre côte à côte Blum, Bracke, Thorez, Cachin, entourant quelques anciens Communards, tandis que Bracke intitule son éditorial : « Devant nos morts a défilé la vie ». Ou en mai 1945, dans la joie de la Libération, immense et première manifestation de l’après-guerre, à laquelle se joignent notamment la CGT et le Comité parisien de libération... tout paraît alors possible, jusqu’à la Guerre froide, deux ans plus tard. Le rideau tombe.

12Avec la Guerre froide, nous retrouvons la division, les anathèmes. Chaque commémoration offre aux socialistes l’occasion d’affirmer une filiation, la justesse d’un combat, en ces temps qui sont particulièrement difficiles pour eux. En mai 1947, par exemple, ils rappellent que « les héros de la Commune [...] tentèrent, face à l’envahisseur et l’ennemi de l’intérieur de créer une cité fraternelle ». En 1948, on lance un appel aux « travailleurs socialistes, républicains sincères, combattants de la Paix et de la Liberté ».

13Il s’agit de lutter contre l’ennemi intérieur, le parti communiste stalinisé, mais en n’oubliant pas les victimes du communisme international, tous les pays annexés par l’URSS. Alors Pierre Commin, Secrétaire général adjoint du parti socialiste, écrit en mai 1948 dans Le Populaire, voulant lutter sur les deux fronts :

« Dimanche prochain [...] une nouvelle occasion s’offre à tous les travailleurs qui veulent rester libres, qui veulent combattre résolument toutes les formes de dictature, de manifester leur ardente volonté. Ils défileront au Mur, fidèles à la grande leçon des Communards, le cœur gonflé des sentiments de fraternité à l’adresse de tous les opprimés et par-dessus toutes les frontières. »

14Les arguments ne changent pas, au fil des années. C’est encore Pierre Commin qui publie en avril 1951 dans Le Vétéran socialiste un article au titre révélateur : « Le Parti socialiste, seul, poursuit la tradition de la Commune ».

15Il rappelle tout d’abord le bilan de la Commune, son « œuvre sociale réalisée dans les pires conditions », et souligne que les « hommes de 1871 ne voulaient pas d’idoles, ils ignoraient le mythe du chef qui ne se trompe jamais, ils étaient des hommes libres. L’absolutisme, l’obscurantisme sous toutes ses formes, c’étaient là leurs ennemis. »

16On sent logiquement la suite venir, et Commin n’y manque pas : « Les bolchevistes français [...] laquais d’un homme qu’ils ont déifié, n’ont pas le droit de se réclamer des Communards [...] Ils trahissent, ces faussaires, tout l’héritage de ceux qui jamais n’auraient admis cette allégeance à un régime qui n’est que la plus odieuse parodie du socialisme pour lequel ils furent sacrifiés. »

17À signaler, tout de même, que les socialistes ne se limitent pas à certains aspects polémiques, autour de l’anniversaire de 1871. Des articles de caractère théorique sont souvent publiés dans la presse socialiste, principalement dans La Revue socialiste, organe de réflexion bénéficiant d’un statut un peu particulier dans le parti socialiste. Nombre de ces textes sont dus à Georges Bourgin, qui fut directeur des Archives nationales. Ainsi, en 1946, dès le premier numéro de La Revue socialiste, « Le sens prolétarien de la Commune de Paris », ou en mars-avril 1950, dans le n° 3 du Vétéran socialiste, publication destinée aux anciens de la SFIO, sous le titre : « Place de la Commune dans l’histoire de France »4. Dans ce texte mélangeant politique et rigueur scientifique, il exprime « le vœu que s’organise un jour une équipe ou, si l’on veut, une société de l’histoire de la Commune », pour étudier ce « phénomène historique d’une importance capitale dans l’histoire de la France. Tant sur le plan du temps que de l’espace, c’est un événement qui est bien fait pour capter l’intérêt des historiens. »

18Un autre spécialiste de la Commune, l’autodidacte Pierre Rimbert, prononce de son côté de nombreuses conférences, ou consacre en 1955 une grande étude aux « causes de la défaite de la Commune de Paris »5.

19Les années passant, on s’achemine vers le centenaire, en 1971. Le mouvement socialiste est alors lui-même divisé entre un « Nouveau Parti socialiste » né en 1969 après la disparition de la SFIO et certains clubs ou organisations qui ne rejoindront le parti unifié que quelques semaines plus tard, au moment du congrès d’Épinay.

20Le centenaire offre l’occasion de plusieurs manifestations et rencontres.

21Le 18 mars, socialistes et syndicalistes non communistes se retrouvent à la salle parisienne de la Mutualité, haut lieu entre tous. Une soirée animée par Léo Campion réunit de nombreux militants, et offre l’occasion d’entendre des discours d’André Bergeron (FO), Albert Detraz (CFDT), James Marangé (FEN) et François Mitterrand (CIR). Sans oublier, bien sûr, le Premier secrétaire du PS, Alain Savary, qui assume dans son discours lui aussi la filiation : les socialistes, « héritiers de Jaurès », sont les héritiers des morts de la Commune. Il prononce un discours très dur, stigmatisant les Versaillais et « l’inexcusable répression, cette violence des classes sociales mises à nu. »

22Lui aussi, Alain Savary, revendique le combat républicain et socialiste des Communards, sans doute fidèle en cela à Léon Blum qui disait du socialisme que c’était la République jusqu’au bout. Alors, Alain Savary voit dans « les morts héroïques de mai 1871 [...] les vrais fondateurs de la République, mais la plus grande part de leur espoir est encore à réaliser, la démocratie socialiste dont ils ont, les premiers, et comme à tâtons, dessiné les traits, elle n’existe encore nulle part, et c’est encore le sens de notre combat. »

23Un Comité national pour la commémoration du centenaire de la Commune a même été mis en place, regroupant 21 associations, dont le PS, la CIR, la CFDT, FO, la FEN, le Grand Orient de France, la Grande loge de France, la Ligue des droits de l’homme, la Fédération anarchiste. Ce comité, présidé par le socialiste Jacques Enock, organise le 7 mai à la Bourse du travail de Paris, une « veillée des historiens », avec notamment R. Chéramy, J. Guyard, J. Rougerie, J. Poperen.

24Un passage par le Mur s’impose, bien sûr. Un passage, ou plutôt... des passages. Car chaque grande famille a son comité, sa manifestation. Le 22 mai, est le jour phare, et les cortèges se succèdent. Le premier regroupe 4 000 personnes, à l’initiative d’un Comité pour la commémoration du centenaire de la Commune de Paris. Le même jour, la CFDT et le PSU réunissent eux aussi 4 000 personnes. Quelques jours auparavant, la Ligue communiste révolutionnaire avait mobilisé près de 30 000 personnes. Le 23, le PCF revendiquera 50 000 manifestants6.

254 000 personnes pour la famille socialiste, cela peut paraître peu. Mais il faut savoir que les socialistes n’ont jamais eu la pratique des mouvements de masse. Ce n’est guère dans leur tradition, à la différence des communistes, qui, eux, descendent facilement dans la rue. Ils en tiraient bien sûr des conclusions politiques, à l’instar de Marcel Cachin, qui a pu écrire dans L’Humanité du 30 mai 1932, pour un anniversaire de la Commune : « Si la SFIO a des électeurs, nous avons des militants et des sympathisants ».

26Cette phrase, nul doute que les communistes la considèrent encore comme valable, même si les rapports entre les deux partis sont désormais différents. En 1971, en effet, l’heure n’est plus aux injures et aux anathèmes.

27On le mesure au niveau des débats intellectuels organisés pour l’anniversaire. Dans le cadre de la semaine de la pensée marxiste, les communistes organisent du 22 au 29 avril 1971 une série de rencontres auxquelles participent plusieurs socialistes dont Jacques Piette, Denis Cépède et Claude Estier7. L’ancien Secrétaire général de la SFIO, Guy Mollet, participe de son côté en mai 1971 à un colloque international sur la Commune organisé par les communistes, sous l’égide de l’Institut Maurice Thorez : l’heure est aux gestes symboliques, à la confrontation, au dialogue.

28Guy Mollet préside alors l’OURS, l’Office universitaire de recherche socialiste, qu’il a créé en juin 1969. Cet office organise de son côté, entre mars et mai 1971, cinq soirées débat sur la Commune, qui entendent constituer un lien entre l’histoire et l’actualité de l’époque, autour de cinq thèmes principaux : insurrection-révolution-prise du pouvoir ; la révolution en tant qu’anti-violence ; démocratie et pouvoir révolutionnaire ; l’homme nouveau dans une vie nouvelle ; du phénomène révolutionnaire à la situation révolutionnaire.

29Ces rencontres réunissent un nombre important de participants, d’horizons très variés, tous représentatifs de leurs organisations d’origine. Des socialistes : Robert Verdier, Alain Savary, Pierre Joxe, Claude Fuzier, Dominique Taddéi. Des communistes : Pierre Juquin, Guy Besse. Mais aussi des syndicalistes, des personnalités diverses : les révérends Pères Sommet et Madelin, Jean-Marie Domenach, le biologiste Henri Laborit, etc. Ces rencontres organisées par l’OURS constituent la seule contribution intellectuelle du mouvement socialiste au centenaire de la Commune. Bien sûr, le débat historique y a très vite débouché sur l’actualité, sur le sens du combat socialiste, les voies de passage au socialisme, voire sur le programme commun de gouvernement. Nous étions à ce moment-là en plein débat d’idées, et chaque occasion était bonne pour chercher et essayer d’avancer. La Commune était décidément très actuelle... et le centenaire, pour la gauche, a été très politique.

30Ces soirées débouchent sur la publication de deux Cahier de l’OURS8. Il n’y a pas d’autre réalisation socialiste de cette qualité et de cette ambition à l’occasion du centenaire.

31Certes, les publications socialistes à cette époque sont peu nombreuses, mais force est de constater que nombre d’entre elles restent bien silencieuses sur la Commune. Signalons un article dans Dire, publication proche de François Mitterrand, dû à François Fontvieille-Alquier, semble-t-il déjà paru auparavant dans Hebdo TC9. Mais rien dans les publications du CERFS de Jean-Pierre Chevènement, rien dans celles du club de Jean Poperen, toutes deux sans doute davantage préoccupées par l’immédiate actualité : celle de la préparation du congrès d’Épinay. La Revue socialiste, cette vieille dame du socialisme, est quant à elle malgré tout présente dans le débat avec un article de Jacques Guyard, « Questions pour un centenaire », bien classique10.

32Tout cela reste de facture très classique, alors que la Commune se voulait invention permanente, création, imagination. Quelques trublions entendent cependant mettre leur grain de sel. Il s’agit des Jeunesses socialistes. Mais ils ne se départissent pas des questions de l’heure. Alors, dans leur presse, ils lancent « La Commune. 4 manifestations ! Pourquoi pas tous ensemble ? »

33Il n’y a eu, écrivent-ils, qu’une Commune de Paris, alors pourquoi quatre défilés ? Pourquoi ces oppositions permanentes ? Ils fustigent : « En quoi ces différences nous auraient-elles empêché de manifester tous ensemble sur la question précise de la Commune ? En quoi ces divergences de stratégie justifient-elles la division face à un phénomène où tous les travailleurs, où tous les révolutionnaires doivent se retrouver ?11 » Mais leurs aînés ne répliquent pas, préoccupés qu’ils sont par des questions autrement plus importantes.

34La province socialiste s’est-elle intéressée en 1971 à la Commune ? Elle n’a pas été absente. La fédération socialiste qui semble s’être le plus mobilisée à été celle du Pas-de-Calais, fédération historique entre toutes, celle de Guy Mollet. Elle a été présente au niveau de l’écrit, publiant dans son hebdomadaire, L’Espoir, entre janvier et juin 1971, une étude de Robert Soudant en 22 articles. Elle a aussi organisé en avril une réunion qui a regroupé 400 militants, dont l’orateur principal a été Jacques Piette, qui a notamment souligné « la présence permanente de la gauche dans les sursauts patriotiques. » À signaler que, dans le compte rendu de cette manifestation, Jacques Piette est présenté comme « Compagnon de la Libération ». Les mots ont toujours un sens, pour les socialistes, et cette référence à la Seconde Guerre mondiale, en 1971, n’est pas sans signification.

35Pour en finir sur le centenaire il faut évoquer le congrès d’Épinay, qui se tient en juin de la même année. La Commune a-t-elle été présente dans les débats dont la sténotypie représente plus de 500 pages dactylographiées ? Un seul orateur y fait référence, sur une centaine, reliant le passé à l’actualité de 1971. Le socialiste nordiste Marc Wolf déclare en effet, sous de vifs applaudissements : « Il y a un siècle, quand la Commune de Paris montait à l’assaut du ciel, ce n’était qu’un rêve. Aujourd’hui, en choisissant l’unité, la rénovation et l’audace, nous serons dignes des Communards de 1871 et du rêve du passé. Nous ferons la réalité du présent. »

36Ce congrès de l’unité des socialistes se termine sur un autre moment d’unité, quand le président de séance présente les ultimes vœux déposés : « Camarades, un second vœu concerne, en ce centième anniversaire de la Commune de Paris, tous les travailleurs qui ont versé leur sang pour que le combat socialiste démarre, combat que nous continuons et devons continuer tous ensemble, fraternellement unis. Je vous demande à leur mémoire une minute de silence. » Le congrès, bien sûr, se rallie à cette proposition.

37Deux ans après Épinay, en 1973, la gauche française se retrouve unie : le programme commun a été signé quelques mois plus tôt. On veut alors retrouver l’élan de 1936, et une manifestation réunit le 27 mai les signataires du programme commun : PS, PC, Mouvement de la gauche radicale socialiste, mais aussi, au-delà, la FEN, la CFDT, la CGT, la Ligue des droits de l’homme, le PSU.

38Après 1973, les socialistes ne sont plus guère motivés, semble-t-il, par l’anniversaire de la Commune de Paris. Qui l’est, d’ailleurs ? À signaler, toutefois, en mai 1991, à l’initiative de la Commission d’histoire du parti socialiste, alors animée par Louis Mexandeau, une manifestation organisée à Paris : repas et chansons, inauguration d’une plaque et d’une fresque rue de la Fontaine-au-Roi, dépôt d’une gerbe au Mur des Fédérés12. Le tout en présence de Pierre Mauroy, Premier secrétaire du PS, et de Georges Sarre, secrétaire d’État. Quelques jours plus tard, Louis Mexandeau tient une réunion de formation sur la Commune au siège du PS à Paris.

39Il faut cependant constater que 1971 voit le bout d’un parcours, et l’avenir dira si les socialistes se préoccupent encore d’anniversaires aussi lointains, eux qui, reflets de la société dans laquelle ils évoluent, semblent se préoccuper davantage du quotidien que des enseignements à tirer du passé.

40Alors, que retenir de toute cette période, sur près d’un siècle ?

41Il est indéniable que le caractère des manifestations est différent selon les périodes. Les socialistes sont montés au Mur, « animés parfois par l’esprit de vengeance, et plus souvent encore, par le goût de l’espérance », pour reprendre une belle expression de Claude Fuzier13. Ils ont toujours considéré que la Commune était vivante. À signaler aussi qu’ils peuvent, selon le moment, insister sur tel aspect ou sur tel autre de cet événement. La lecture des slogans appelant à manifester est à cet égard très révélatrice. On y souligne le combat pour la République, ou celui pour la révolution à poursuivre, on s’adresse aux militants, aux républicains, aux démocrates.

42Selon les périodes, l’héritage est ressenti négativement ou positivement, dans la douleur, la mythification des morts, ou dans l’espérance.

43Surtout, la Commune offre bien des éléments fédérateurs de la gauche socialiste, car elle offre l’avantage d’avoir été brève, populaire, innovante et surtout... massacrée. Enfin, jusqu’en 1971 – les quelques manifestations qui suivent ont surtout un caractère rituel – elle est une espérance patriotique, internationaliste et socialiste.