Introduction
p. 9-11
Texte intégral
1Jusqu’au milieu du XXe siècle, l’étude de ce que l’on a coutume de nommer un peu maladroitement le « fait militaire » avait été le domaine réservé de spécialistes, grands érudits au demeurant, étudiant avec attention, en particulier pour la période romaine pour laquelle la documentation est la plus abondante, la naissance de telle ou telle unité, ses déplacements, ses chefs, sa participation à la répression d’une usurpation ou à une brillante campagne contre des barbares toujours féroces. Les liens entre les soldats et la population civile n’étaient qu’évoqués marginalement. N’allait-on pas jusqu’à parler, à propos des provinces dites sénatoriales, de territoires inermes ? Les armées, en dehors de leurs activités de prédation, semblaient en grande partie déconnectées du monde des civils.
2Parallèlement à cela, l’étude des populations des campagnes avait pris un grand retard. Les historiens étaient tributaires de sources pour l’immense majorité d’entre elles issues du groupe des notables qui regardaient la paysannerie, qui représentait rappelons-le au bas mot 80 % de la population, d’un œil au mieux paternaliste, au pire méprisant. Et l’épigraphie ne venait pas améliorer les choses : s’il est probable que beaucoup de ruraux n’eurent même pas les fonds pour faire graver une stèle funéraire durable, ceux d’entre eux qui le purent durent se contenter pour des raisons pécuniaires de textes brefs et stéréotypés qui ne faisaient pas le bonheur des savants du début du siècle dernier. Lorsque dans les années 1950 la recherche marxiste s’intéressa aux campagnes, elle travailla essentiellement sur le problème des rapports de production dans lesquels l’armée n’intervenait que très marginalement. À partir de la fin des années 1970 et au cours de la décennie suivante, l’engouement pour les « élites » entraîna une nouvelle fois un effacement important de la paysannerie dans l’historiographie occidentale.
3Plus d’un demi-siècle a passé et les connaissances actuelles ont bien entendu considérablement progressé. On sait aujourd’hui qu’il n’existait pas de provinces « inermes », que l’étude statistique de formules funéraires simples à l’échelle d’une petite région est pleine d’enseignements et surtout que le monde des campagnes, loin d’être monobloc (mais comment aurait-il pu l’être sur une période si longue et dans un espace géographique si vaste ?) était d’une richesse bien plus extraordinaire que la lecture des textes antiques pouvait le laisser supposer.
4Qui plus est, il est à présent évident que les soldats et les paysans ont entretenu des liens très étroits, ne serait-ce que parce qu’une partie de la troupe était recrutée dans le plat-pays et que cette dernière, notamment sous l’Empire, y était souvent installée pour assurer la sécurité contre les brigands, terme facile derrière lequel devaient se cacher bien des réalités. L’idée essentielle qui a présidé à la réunion de cette journée d’études a été justement d’essayer de mettre au jour les liens interstitiels qui ont pu se créer entre ces deux groupes durant l’Antiquité. Il s’agissait d’essayer d’aller au-delà de l’image d’Épinal voulant qu’un groupe d’hommes en armes, habitué à la violence, pouvait exiger tout et n’importe quoi de malheureux ruraux a priori terrorisés. Sans déflorer le contenu des contributions qui vont suivre, on peut d’ores et déjà dire que les choses furent d’une infinie complexité et que tout ne se résuma pas à la chance ou à la fatalité, pour reprendre le titre de notre réunion.
5Pour répondre à cette interrogation cruciale qui est celle de la nature du lien entre le monde rural et celui des soldats, il a été décidé de faire appel à des collègues d’horizons très divers, hellénistes et latinistes, spécialistes de l’Orient grec comme de l’Occident latin, dont les domaines de savoir embrassent un vaste champ chronologique allant de la période hellénistique à celle de l’installation des barbares en Gaule. Ce pari a été payant : il nous a permis d’effectuer des comparaisons et surtout de nous poser un très grand nombre de questions auxquelles nous n’avons certes pas toujours répondu, mais qui constituent de belles pistes de recherches pour de futures rencontres. Ceci m’amène à remercier tous les participants qui ont répondu avec enthousiasme à notre invitation et se sont déplacés à Perpignan, centre du monde, certes, mais souvent un peu éloigné du reste de notre pays, en particulier lors de périodes de difficultés dans le transport ferroviaire.
6Je tiens à remercier tous ceux sans qui cette belle journée de mai 2018 n’aurait pu avoir lieu. D’abord Martin Galinier, directeur du CRESEM, qui à partir du moment où j’en ai évoqué en sa compagnie la possibilité n’a cessé de me soutenir tant sur le plan de l’organisation que de la démarche scientifique ; il a en outre bien voulu exercer la redoutable charge de modérateur durant la séance de l’après-midi et a rédigé la conclusion de nos débats. Ma gratitude va également à Mme Stéphanie Fernandez, secrétaire du CRESEM, qui s’est chargée de tout l’aspect logistique des choses, mobilisant en particulier les ressources du CROUS pour un repas de midi à forte connotation catalane que n’oublieront pas les convives. Elle va aussi vers la Doyenne Ghislaine Jay-Robert qui a accueilli les participants par un discours de bienvenue qui nous a mis du cœur à l’ouvrage. Quant au Professeure Mireille Courrént, du département de Lettres de l’UPVD, elle a dirigé les débats du matin avec toute l’érudition dont on la sait coutumière. Mes remerciements vont enfin à mes collègues et à mes étudiants qui m’ont fait l’amitié d’assister aux interventions et de participer à nos discussions. Que les textes ici publiés ne soient qu’un commencement et augurent d’une poursuite de nos travaux.
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