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Le vignoble de Bordeaux au miroir de l’Imago Urbis : la lente reconnaissance d’un paysage identitaire (Moyen Âge-XVIIIe siècle)
p. 233-261
Texte intégral
1Le vignoble fait partie du triptyque définissant, avec le port et l’architecture de pierre, le paysage patrimonial du Bordeaux actuel, tel qu’il est défini dans le cadre du label Patrimoine de l’UNESCO1. Pourtant, l’ancienne auréole viticole de l’agglomération bordelaise a été progressivement effacée par l’urbanisation et relève de plus en plus d’un paysage idéal seulement porté par quelques traces du passé révolu, tels les domaines de Haut-Brion ou de Pape-Clément. Repoussé aux marges de l’urbain, notamment dans les graves méridionales – à tel point qu’il ne porte plus l’ancien nom de « Graves de Bordeaux » mais celui de Graves Pessac-Léognan »… – le vignoble est demeuré cependant un marqueur de la ville actuelle.
2Construction historique remontant à l’Antiquité, il apparaît pleinement identitaire pour la ville dès le Moyen Âge, particulièrement durant les beaux jours de l’union anglo-gasconne (1152-1453), et n’a cessé, depuis, de passer pour l’un de ses attributs. Pour autant, il a tardé à être intégré dans les signes de l’identité urbaine, notamment dans les représentations icono-cartographiques de Bordeaux et de son arrière-pays, qui ont constitué le terrain d’approche retenu. Cette étude part d’un constat : alors que la ville, dès le XVIe siècle fait l’objet de portraits puis de plans, le vignoble, qui la serre pourtant de près, n’y est véritablement figuré et associé qu’à partir du XVIIIe siècle. Pourquoi et selon quelles modalités cette tardive incorporation du vignoble à l’Imago Urbis ? Ou comment expliquer le décalage dans le temps entre la représentation de la ville et celle de son vignoble suburbain ? Comment est-on passé du paysage viticole vécu au paysage perçu et figuré ? Des éléments de réponse sont à trouver dans les évolutions globales de la représentation du paysage qui ne s’annonce qu’à la Renaissance, mais il en va aussi, pour les portraitistes et cartographes, de la progressive reconnaissance du vignoble comme trait caractéristique de Bordeaux.
La face cachée du Moyen Âge : la construction d’une identité viticole
3À l’historien qui souhaite restituer le vignoble médiéval de Bordeaux ne s’offrent aucune figuration mais seulement des sources écrites ou très partiellement archéologiques2. Elles donnent à voir un territoire viticole déjà abouti et sous emprise urbaine totale ; l’union de la ville et de son vignoble est déjà consommée.
VISUALISER LES MOTS DES SOURCES : LA TENTATION DU MÉDIÉVISTE
4Le corpus de textes à la disposition du médiéviste est abondant et de nature variée : aux cartulaires qui renseignent sur les vignobles ecclésiastiques des XIe-XIIIe siècles, succède, pour la fin du Moyen Âge, pléthore de sources foncières émanant, soit de fonds seigneuriaux, soit des registres notariés ; ces actes fonciers renseignent sur la localisation et l’étendue du vignoble, son paysage et ses modes d’exploitation et de mise en valeur. Ils sont complétés par les textes normatifs (coutumes, privilèges et franchises octroyés par le roi-duc, délibérations et comptabilité municipales…) qui éclairent sur la réglementation et la gouvernance du vignoble. L’ensemble de ces sources a donné lieu à un recensement quasi-exhaustif ainsi qu’à de nombreuses études historiques ; Charles Higounet a été le premier, dès 1955, à dresser une géographie du vignoble suburbain de Bordeaux aux XIIe-XIIIe siècles3, dossier repris postérieurement par Frédéric Boutoulle qui en a affiné les acquis4. Pour les siècles plus tardifs du bas Moyen Âge lorsque les sources se font abondantes, des mémoires universitaires réalisés dans les décennies 1980-2000 ont restitué l’occupation du sol des paroisses de la banlieue de Bordeaux ; j’en ai effectué la synthèse à l’occasion de plusieurs ouvrages et articles5, dans une thématique globale de construction du territoire viticole qui m’a aussi amenée à m’intéresser aux dimensions juridiques et à la question de l’appartenance du vignoble à l’identité de la ville.
5Aucune de ces études sur le vignoble médiéval de Bordeaux n’a pu bénéficier d’un support cartographique contemporain, voire même d’une iconographie, à l’exception des représentations symboliques de la vigne figurant sur les portails ou les chapiteaux d’église et renvoyant davantage à une dimension mystique qu’à un paysage familier6. Ce déficit d’images n’est pas le seul fait du vignoble car, hormis dans le dessin de son sceau communal, la ville est tout aussi peu représentée. Le constat vaut pour bien d’autres localités, particulièrement en France7 où les représentations urbaines, quel qu’en soit le support (tapisseries, sculptures, vitraux, sceaux, enluminures…), sont encore rares à la fin du Moyen Âge et relèvent le plus souvent du symbolique, sans réel souci de vraisemblance8 ; le modèle référent et toujours dupliqué reste Jérusalem, la ville sainte avec son enceinte circulaire crénelée, ses tours, ses églises et, au mieux, fait-on figurer quelques allusions aux attributs particuliers (palais, beffroi, cathédrale…) de la ville représentée. Le constat s’inscrit dans le rapport global du Moyen Âge occidental à l’image, avant tout religieuse, placée dans la dépendance des dogmes théologiques, et qui renvoie à une réalité divine invisible dont elle est le signe et qu’elle doit enseigner aux fidèles. L’image n’y a pas donc vocation à représenter le réel, même au sein de la production profane qui introduit le paysage comme le portrait, mais ne parvient pas à s’imposer réellement avant la Renaissance.
6Muni de ses seules sources textuelles, le médiéviste en est réduit, pour rendre visible le vignoble de Bordeaux dans son extension et son organisation, à produire ses propres cartes. Il s’appuie alors sur les milliers de reconnaissances, de baux, de ventes, de donations, d’échanges… de tenures, et plus rarement d’alleux ou de seigneuries, qui décrivent la nature des biens et leur localisation donnée selon trois référents spatiaux : la paroisse, le lieu-dit ou le plantier (quartier viticole) et les confronts. Ces sources sérielles documentent la nature de l’occupation du sol et peuvent être soumis à un traitement statistique et cartographique. Mais l’exercice est difficile tant les données des textes sont d’une utilisation délicate ; la première de leurs limites est que ces données ne concernent qu’une fraction des biens immeubles, celle qui a fait l’objet d’un écrit et qui a été conservée. Quid des autres ? De plus, les actes fonciers portent plus sur l’unité de propriété utile, la tenure, que sur l’unité de découpage du sol que constitue la parcelle. Enfin, les indications sur la localisation du bien permettent au mieux de le situer à l’échelle de l’îlot. De fait, pour pallier ces déficiences et proposer une cartographie, l’historien a tendance à uniformiser les données spatiales rendues, de façon très hétérogène, par les textes et à simplifier ainsi dangereusement, par extrapolation, une réalité complexe. Le recours à des plans modernes ou cadastraux, utilisé par nombre d’historiens dans une démarche régressive, n’est pour le vignoble de Bordeaux que d’un faible secours : si le médiéviste peut s’en aider pour localiser le réseau viaire et nombre de toponymes demeurés pérennes, l’urbanisation des espaces périurbains, effective dès le XVIIIe siècle, et le phénomène de concentration foncière généré par la vogue des bourdieux9 l’empêchent de parier sur une permanence du parcellaire et du paysage viticoles.

Fig. 1 - Carte du paysage de la paroisse Saint-Seurin de Bordeaux à la fin du Moyen Âge (S. Lavaud, N. Pexoto)
7 Cette paroisse, à laquelle j’ai consacré ma thèse (S. Lavaud, Saint-Seurin une grande seigneurie du Bordelais (XIV e -XV e siècle), thèse d’université sous la dir. J.-B. Marquette, université de Bordeaux III, 1993) est située dans les faubourgs nord-ouest de Bordeaux et présente un paysage très typique de l’espace suburbain. La cartographie historique, à laquelle elle a donné lieu, fournit un bon exemple des avantages et limites de l’exercice. Elle a été élaborée par le croisement des sources textuelles et des plans-terriers et cadastraux ; la répartition des cultures y a été effectuée par extrapolation des données ponctuelles, mais néanmoins abondantes, fournies par les actes fonciers. La localisation en reste donc imprécise et ne peut s’appuyer sur un parcellaire difficilement restituable.
LA « SUBSTANCE » DE LA VILLE
8La période anglo-gasconne a été particulièrement faste pour le vignoble de Bordeaux qui y a gagné, non seulement en superficie, mais aussi en valeur commerciale et en dimension identitaire. Son substrat antique, préservé mais en relative stagnation durant le haut Moyen Âge, a été revivifié au XIIe siècle ; les cartulaires des grands établissements ecclésiastiques font état, pour cette période, d’un vignoble en progression atteignant, bien qu’encore de façon discontinue, la ligne actuelle des boulevards. Premier des bénéficiaires de l’union anglo-gasconne, ce vignoble acquiert au Moyen Âge central et final son caractère commercial, favorisé par l’obtention de privilèges commerciaux qui protègent la vente de sa production. La guerre de Cent ans accroît encore sa prééminence régionale car, après le basculement dans le camp français de nombre de vignobles d’amont, le Bordelais – et Bordeaux au premier chef – s’impose comme le pourvoyeur quasi-exclusif des tables anglaises. De fait, si les crises (pandémie de peste, opérations militaires du conflit franco-anglais) des XIVe et XVe siècles n’ont pas été sur lui sans effets, le vignoble de Bordeaux a néanmoins poursuivi sa progression. En superficie et en valeur commerciale, il est alors le plus important des vignobles de l’Aquitaine médiévale.

Fig. 2 : Carte du vignoble médiéval de Bordeaux (S. Lavaud, N. Pexoto)
9Accroché aux remparts, il s’étend de façon auréolaire sur un rayon de quatre à cinq kilomètres. Il est irrigué par un réseau viaire dense, dont les axes de force, disposés en étoile, sont connectés à la ville et son reliés entre eux par de nombreuses voies secondaires. La vigne y est en monoculture et seules les rangées d’aubarèdes (saules, aubiers), plantées le long des cours d’eau pour fournir piquets et liens aux ceps, perturbent l’uniformité du paysage ; aucun habitat ne la trouble, hormis le bourg canonial de Saint-Seurin et quelques bâtisses isolées. Les scribes du Moyen Âge appliquent le nom générique de Gravas de Bordeu à l’ensemble de la zone viticole suburbaine ; le terme fait référence au sol graveleux des paliers supérieurs des terrasses alluviales qui entourent Bordeaux, un terroir réputé pour ses qualités viticoles et dûment identifié par les contemporains. Néanmoins, à la fin du Moyen Âge, il n’y a pas adéquation entre ce terroir et l’espace viticole : non seulement la vigne a gagné le milieu humide des palus suburbains, mais surtout elle ne recouvre pas la totalité de la zone de graves. Son extension a été bloquée à proximité des villages qui entourent Bordeaux par deux facteurs essentiels : le maintien des cultures vivrières, notamment des emblavures, nécessaires aux communautés rurales et le statut juridique de certains finages réputés questaux (serviles), tels ceux de Caudéran, Le Bouscat et Villenave dans la paroisse Saint-Seurin. De fait, les Bordelais n’ont que peu investi cet espace périphérique, au paysage demeuré longtemps polycultural, voire agro-forestier à ses confins.
10Malgré son étendue, le vignoble est ainsi loin de recouvrir l’intégralité de la banlieue dans laquelle il est emboîté. Si le ressort de cette juridiction communale s’étend bien au-delà du territoire viticole, ce dernier en constitue néanmoins l’espace central, la première auréole au-delà du noyau urbain qui y rayonne le plus densément, ce que sanctionne le découpage administratif : au sein de la banlieue, le vignoble relève de la prévôté Saint-Éloi, circonscription judiciaire qui recouvre la ville et la partie rurale des paroisses urbaines de Saint-Rémi, Sainte-Eulalie et Sainte-Croix, ainsi que les paroisses suburbaines de Saint-Seurin, Saint-Genès de Talence et Bègles ; soit un territoire qui unit sous une même gouvernance la ville et son vignoble et entérine leur fusion.
11« Substance » de la ville selon l’expression des jurats10, le vignoble entretient avec le monde urbain des liens étroits et multiples et c’est à plusieurs titres qu’il peut être qualifié de construction urbaine : les citadins en ont d’abord la maîtrise du sol, la part des ruraux ou des étrangers y étant très minoritaire ; du côté des seigneurs fonciers, la majeure partie du vignoble est sous la mouvance des institutions ecclésiastiques de la ville. Les plus importantes d’entre elles (l’archevêché, les deux chapitres de Saint-André et de Saint-Seurin, l’abbaye de Sainte-Croix) sont à la tête de vastes temporels et se partagent l’espace viticole dont chacune domine un secteur spécifique. Au niveau des tenanciers, ce sont les habitants et, parmi eux surtout les bourgeois, tous peu ou prou vignerons, qui en sont les détenteurs et qui, régulièrement, passent les murs de la ville pour entretenir leurs lopins de vigne ; c’est un vignoble que l’on peut qualifier de populaire, semblable par sa proximité et les soins qui lui sont prodigués à un vaste jardin. Quant au vin qu’il produit, c’est à l’abri des remparts qu’on le fait, qu’on le loge, qu’on le transporte et qu’on le consomme. En plus d’en avoir la maîtrise du sol et de la production, les citadins en sont aussi les travailleurs ; le vignoble de Bordeaux est en faire-valoir direct ; seuls des vignerons professionnels, les laboradors de vinhas, y interviennent ponctuellement pour toutes les façons délicates (taille, bêchage du sol…). Ces ouvriers de la vigne constituent le premier des corps de métier de la ville. Comme le vignoble, ils participent à l’identité terrienne et viticole du Bordeaux médiéval ainsi qu’à celle du territoire des Graves qu’ils arpentent au quotidien.
12Le vignoble et toute la filière viti-vinicole qu’il induit ont été des vecteurs majeurs de la centralité urbaine et de la prétention de Bordeaux au rang de capitale. La polarisation de son arrière-pays a ainsi pu s’appuyer sur l’extension de l’aire viticole ; celle-ci s’est faite, à partir du noyau périurbain, de façon non pas auréolaire mais longitudinale, en suivant le fleuve. Les palus qui le bordent ont constitué un terroir privilégié des investissements bourgeois. Ces terres alluvionnaires sont souvent dépressionnaires et saturées d’humidité mais elles sont réputées pour leur fertilité et facilement accessibles par voie d’eau ; de fait, elles appellent la conquête. Leur mise en valeur est précoce (XIe-XIIIe siècles) dans les palus suburbains, alors que, dans l’arrière-pays, la bonification des terres basses ne devient effective qu’à la fin du Moyen Âge11.

Fig. 3 : La Palu de Bordeaux à la fin du Moyen Âge (S. Lavaud, N. Pexoto)
13Parce qu’il a colonisé ses berges mais aussi parce qu’y transite sa production, le vignoble est étroitement associé, comme l’est la ville, au fleuve et au port ; tous deux sont les piliers de l’économie locale et concourent à la richesse de Bordeaux. Leur convergence s’inscrit dans le bâti urbain notamment dans les chais où sont entreposées les barriques prêtes à embarquer pour la mar. On pourrait prolonger cette énumération des liens fusionnels entre la ville et son vignoble, les aborder, par exemple, d’un point de vue social et culturel qui montrerait la prégnance du vin dans l’économie domestique et les rapports de sociabilité, ou encore les envisager dans leur dimension politique où l’on verrait les jurats faire du vin un formidable moyen d’action et un garant du bon gouvernement de la cité12 ; quelle que soit la focale choisie, elle révèlerait combien les identités de la ville et de son vignoble se sont nourries l’une de l’autre et ont atteint déjà leur maturité à la fin du Moyen Âge.
Le « non-portrait » du vignoble au début de l’Époque moderne
14Nombre d’historiens l’ont montré : la Renaissance opère une rupture fondamentale en matière de rapport de l’homme à l’espace ; c’est tant « l’invention du paysage »13, que l’émergence d’une géographie humaniste qui, avec la redécouverte du Geographicè Yphégesis de Ptolémée, établit la division durable des techniques cartographiques entre la géographie, science du relevé géographique et de sa transcription cartographique, et la chorographie qui appréhende l’espace de manière empirique et sensorielle. C’est sous cette dernière forme que la cartographie urbaine se développe au XVIe siècle, non sans quelque retard pour Bordeaux : quand est imprimée, en 1564, sa première vue chorographique, les ateliers italiens, allemands, flamands maîtrisent déjà depuis quelques décennies les techniques de relevés géométriques qui conduiront aux plans géométraux. Mais si la ville est donnée à voir, son vignoble demeure longtemps hors-champ du portrait urbain14.
LE CHOIX D’AUTRES MARQUEURS IDENTITAIRES
15Les premiers portraits de Bordeaux, dressés au XVIe siècle, l’ont été sous deux formes : d’abord des vues chorographiques puis des vues et plans perspective. Hormis la représentation attribuée à Élie Vinet (1565)15, toutes émanent d’allochtones : l’identité de la ville promue par le langage cartographique n’apparaît donc pas comme une production de ses habitants ou une commande de ses dirigeants, mais semble correspondre plutôt à ce que le regard de l’étranger en a perçu et a voulu restituer.

Fig. 4 : Vue chorographique, manuscrit à l’encre rehaussé d’aquarelle, XIXe siècle, copie probable d’un original anonyme datant des années 1525-1535 (AM Bx., Fi 40 B8 30PP9 ; © cliché AM Bx.)
16Un doute subsiste cependant sur l’identité d’un des auteurs demeuré anonyme : sa vue chorographique probablement réalisée vers 1525-1535, mais seulement connue par une copie fidèle réalisée au XIXe siècle, contient un grand nombre de toponymes gascons laissant suggérer que le cartographe maîtrise parfaitement la langue et, s’il n’en est originaire, connaît bien Bordeaux. Cette vue passe pour la plus ancienne : d’elle, serait née une famille, utilisant le bois xylographié du premier pourtrait édité par Antoine du Pinet de Noroy et Jean d’Ogerolles (1563-1564) pour l’exécution des planches de François de Belleforest (1575), Sébastien Münster (1578), Georgius Braun et Frans Hogenberg (1579), et de nombreuses autres variantes et contrefaçons16.
17Ces chorographes, qui dressent les premiers portraits de Bordeaux au XVIe siècle, utilisent le langage pictural pour peindre la mesure des lieux et « faire voir » la topographie du territoire urbain. Leur représentation cartographique résulte de l’agencement de plusieurs points de vue virtuels, selon un principe similaire à celui du cubisme. L’image de la ville qui surgit en trois dimensions est construite de manière à simuler le « vrai » ; toutefois, il s’agit, selon l’expression de Lucia Nuti, d’une « image intéressée qui choisit les objets utiles à son dessein et s’y concentre, ne traitant que rapidement les autres aspects du réel »17. Dans la production bordelaise, l’image, prise dans un cadre resserré sous des angles de 80° au dessus du fleuve (30° pour le bâti), se focalise sur la ville, sa forme bien trop ramassée, son articulation interne dictée par son réseau viaire et ses enceintes, ses monuments dont certains hypertrophiés tels les forteresses royales et les « Antiques ». Il s’agit de donner à voir une ville fière de ses origines romaines dont elle tire gloire et puissance, mais surtout une ville soumise, enfin ralliée au roi de France, après trois siècles d’union anglo-gasconne ; c’est bien là le paradigme icono-cartographique dominant qui sous-tend ces portraits et en compose le substrat idéologique. Il s’exerce aussi sur les édifices extra-muros (amphithéâtre du Palais-Gallien, cimetière paléochrétien de Saint-Seurin) qui exaltent, par leur hypertrophie, les glorieuses origines antiques de Bordeaux. Dans cette projection de la « bonne ville », le paysage suburbain est quasiment oblitéré ou imaginaire, sous la forme d’alentours champêtres dont n’émergent que les modelés du sol, un cours d’eau18 et quelques arbres ou buissons ; le vignoble est donc totalement occulté, sans doute parce qu’il ne sert pas le message, tout politique, porté par la vue chorographique. Une seule exception cependant à relever : la vue attribuée à Francesco Valesio, peintre graveur originaire de Bologne et marchand d’objets d’art actif à Venise à la fin du XVIe siècle. S’il a copié les vues antérieures sans être jamais venu à Bordeaux, Valesio a donné un caractère agraire aux environs de la ville avec des champs en damier, délimités par des haies d’arbres et a spécifié la vigne, réduite à deux « parcelles » (au nord et au sud-ouest), par le symbole $. Cependant, il ne s’agit que d’un paysage imaginé, voire d’un remplissage, qui n’est pas soucieux de la véracité et cherche plutôt à inscrire la ville dans son plat-pays à la façon italienne.

Fig. 5 : Francesco Valesio « Burdegala / Civitates Burdega / lensis in (A) equitan / ea genuine descrip. », eau-forte, sans date. Cette vue de Bordeaux a été intégrée dans un recueil en deux volumes : Racolta delle piu illustri et famose citta di tutto il mondo, Venise, vers 1572 (AM Bx., XL-A/347 ; extraite de Favreau, M., Les « Portraits » de Bordeaux. Vues et plans gravés de la capitale de Guyenne du XVIe au XVIIIe siècle, Périgueux, 2007, p. 71)
18Le fleuve et l’animation des navires sont, en revanche, rapidement (dès 1564) associés aux portraits de Bordeaux. Cette identité portuaire tend à devenir le paradigme dominant au XVIIe siècle, alors que la vue perspective devient la technique cartographique en vogue. Plus encore que la vue chorographique, cette forme de représentation souhaite produire « une simulation illusoire du vrai »19. Pour ce faire, elle utilise, au premier plan, un angle naturel et, au second plan, un angle virtuel qui rehausse le tissu urbain afin de le faire apparaître, alors qu’il est en réalité masqué par les remparts. La Description de la ville de Bourdeaux cappitalle de la Guienne et grand port de mer, produite par Claude Châtillon en 1606, est symptomatique de la transition entre vue chorographique et vue perspective. Elle met en place le point de vue panoramique adopté par les vues perspectives postérieures, notamment celles de Christophe Tassin (1634), de Gaspard Mérian ou de Cornélius Danckerts (1661)… Prises depuis la rive droite de La Bastide ou du pont d’un navire, ces vues mettent en exergue la vocation portuaire de la ville qui, avec ses clochers aussi hauts que des mâts dans la représentation de Claude Châtillon, prend elle-même des allures de bateau. Dans cette configuration, miroir entre la ville et son fleuve qu’accentue encore la touche flamande du ciel, l’arrière-pays en est réduit à jouer les décors.
DES PREMIÈRES ÉVOCATIONS SYMBOLIQUES

Fig. 6 : Description de la ville de Bourdeaux cappitalle de la Guienne et grand port de mer d’après Claude Châtillon, eau-forte et burin, vers 1606 ; cette vue a été intégrée, après la mort de l’auteur, à sa Topographie française éditée par l’imprimeur Jean Boisseau en 1641 (AM Bx., Fi 40 B27 ; © cliché AM Bx.)
19Bien qu’elle fasse figurer clairement des vignes, la vue produite par Claude Châtillon n’échappe pas véritablement à ce choix cartographique et le paysage de l’extra-muros s’y trouve encore soumis aux effets de normes et de conventions.
20Si, avec celle de Valesio dont elle reprend partiellement la composition paysagère, la vue de Claude Châtillon est l’une des premières à faire figurer le vignoble de Bordeaux, elle n’en fournit, comme pour les autres cultures (champs, jardins…), qu’une image symbolique, sans connexion avec sa véritable localisation et organisation ; elle le réduit à un unique quartier en arrière des Chartrons et le dessine sous forme de parcelles encloses de haies arbustives, a contrario du paysage ouvert des textes. Cette évocation, plutôt que restitution, du vignoble semble servir le paradigme dominant de cette vue, celui de la ville-port que Claude Châtillon a voulu particulièrement mettre en exergue ; associé au nouveau port viticole des Chartrons, alors en plein essor, le vignoble, comme les petits personnages qui roulent les barriques sur le port, est là pour en montrer la vocation. En ce sens, il est bien signifié comme élément identifiant de Bordeaux mais seulement au titre de pourvoyeur du port qui reste le trait dominant de la singularité de la ville.
21Cette première promotion du vignoble dans le portrait urbain est cependant demeurée sans suite et n’a pas été reproduite dans les vues perspective postérieures ; il faut peut-être y voir une preuve de sa faible imprégnation dans l’image contemporaine de la ville, mais sans doute faut-il également prendre en compte le conformisme des cartographes en matière de représentation du paysage. La vue de Gaspard Mérian en offre un exemple.

Fig. 7 : « Bordeaux », vue perspective attribuée à Gaspard Mérian, eau-forte et burin en deux planches, 1661 (AM Bx., XL-B/41 ; © cliché AM Bx.)
22Certaines des composantes paysagères des faubourgs, conformes à la réalité, y sont bien présentes : jardins de l’archevêché et du couvent de la Chartreuse, d’essence toute urbaine et exaltant l’image d’une nature ordonnée, villages qui entourent Bordeaux et dont la toponymie est précisée dans la version plus tardive de Gérard Jollain (vers 1690). Néanmoins, ni le relief de collines, ni la végétation et les cultures ne renvoient à la réalité et c’est encore un paysage conventionnel et imaginaire qui prévaut. Sur le mode des peintres qui développent alors le nouveau genre artistique de la peinture paysagiste, les cartographes entendent promouvoir un paysage idéal selon les principes classiques de clarté et d’ordre, particulièrement celui de la ville qui y exerce son emprise territoriale. Par son immense vue panoramique exécutée vers 1670, Cornelius Danckerts a souhaité donner à voir ce ressort des jurats de Bordeaux.

Fig. 8 : « Bordeaux », vue perspective attribuée à Cornelius Danckerts, eau-forte, sans date [vers 1670] (AM Bx, Fi 40 B 43 ; © cliché AM Bx)
23Bien que toujours idéal dans le figuré, l’arrière-pays s’autonomise sous la forme d’un territoire juridique, la banlieue de Bordeaux, dont les différents pôles (villages, châteaux) et le maillage paroissial sont dûment identifiés par la lettre. De ce détroit municipal, sont aussi mentionnées les prérogatives en matière de commerce et de fiscalité vinaires. Le commentaire bilingue qui accompagne la vue signale ainsi que « ceux qui transportent du vin, prennent un rameau avant que partir, des mains du Maire et des Jurats, & chaque vaisseau paye quelque droict20 ». L’identité viti-vinicole de Bordeaux est donc bien connue des cartographes mais ne fait pas encore partie de leurs choix iconographiques.
L’EXCEPTION VAN DER HEM
24C’est davantage au sein de l’école de peinture hollandaise qu’il faut chercher la restitution du paysage au naturel. Ainsi des dessins réalisés par Herman Van der Hem sur Bordeaux et sa région durant les onze années (1638-1649) où cet Hollandais y a séjourné. Dessinateur, apparemment doté d’une formation de cartographe et de topographe, Van der Hem a produit 139 œuvres graphiques du Bordelais selon trois thématiques majeures : les villes, les vallées fluviales et l’estuaire ; dans ce corpus, Bordeaux occupe 44 figures, principalement du port et des monuments restitués avec précision. Le paysage végétal des faubourgs y est représenté soit de façon conventionnelle, comme cadre naturel d’une vue d’ensemble de la ville ou de celle d’un monument, soit comme objet pictural représenté « d’après nature » ; c’est cette seconde manière qui donne à voir le vignoble et en fait un des protagonistes du paysage bordelais. L’exemple des représentations du Palais Gallien est révélateur de ces deux optiques. Dans la première [fig. 9a], seul l’amphithéâtre est l’objet d’une restitution fidèle et la végétation, très indistincte, n’est là que pour signifier le caractère champêtre du monument et mettre en valeur sa masse imposante ; dans la seconde [fig. 9b], le souci du réel l’emporte pour la totalité de la vue. La vigne, grossièrement schématisée en $, passe alors au premier plan et, dans le regard du peintre, devient un élément paysager au même titre que les monuments.

Fig. 9 a : « Amphitheatrum Burdigalense / Vulgo dictum, le palais Gallien / ad vivum delinatum per / Hermannum Hem À° 1638 », d’après Herman Van der Hem, dessin à la plume, encre brune et grise et lavis gris, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Kartensammlung Globenmuseum, Atlas Blaeu, 05 : 06 [6], f° 15 (extrait de M. Favreau, Herman Van der Hem (1619-1649). Un dessinateur hollandais à Bordeaux et dans le Bordelais au XVIIe siècle, Périgueux, 2006, vol. 2, p. 21, n° 18)

Fig. 9 b : Vue du Palais Gallien depuis le nord-ouest d’après Herman Van der Hem ; dessin à la sanguine, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Kartensammlung Globenmuseum, Atlas Blaeu, 05 : 10 [10], f° 23 (extrait de M. Favreau, Herman Van der Hem (1619-1649). Un dessinateur hollandais à Bordeaux et dans le Bordelais au XVIIe siècle, Périgueux, 2006, vol. 2, p. 20, n° 17)
25Cette promotion du vignoble est encore accrue dans une autre représentation du dessinateur hollandais, intitulée « L’aspect de Bordeaux du pais des Graves, le 24° mars 1639 ». Certes, là encore, la « mer de vignes » ne sert que de présentation pour l’arrière-plan urbain et « offre, par ses ordonnances parfaites, un spectacle grandiose, à la fois architectural, théâtral et pictural »21 ; cependant, bien que le rendu du détail soit schématique, voire maladroit, le vignoble est bien montré dans ses traits singuliers : sa large extension jusqu’aux remparts de la ville, son caractère monocultural, sa taille haute au prorata de celle des vignerons, le bâti des bourdieux qui lui est associé, jusqu’à son appellation générique de Graves donnée dans le titre.

Fig. 10 : « L’aspect de Bordeaux du pais des Graves, le 24 mars 1639 », d’après Herman Van der Hem ; dessin à la sanguine, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Kartensammlung Globenmuseum, Atlas Blaeu, 05 : 29 [29], f° 61 (extrait de M. Favreau, Herman Van der Hem (1619-1649). Un dessinateur hollandais à Bordeaux et dans le Bordelais au XVIIe siècle, Périgueux, 2006, vol. 2, p. 16, n° 13)
26Ce dessin pourrait passer pour la première « carte postale » du vignoble de Bordeaux, reconnu comme paysage spécifique et partie intégrante de l’image de la ville, dont il semble constituer, un attribut, un monument paysager. Cependant, cette vue est restée sans héritier jusqu’au XIXe siècle ; dans l’œuvre même de Van der Hem sur la capitale de Guyenne, elle est unique. Le genre est donc encore très marginal dans une production iconographique qui reste, pour Bordeaux, longtemps archaïsante, alors que le temps est à la mesure et au contrôle de l’espace ; ingénieurs des fortifications, arpenteurs, feudistes relèguent bientôt le portrait à sa seule nature artistique. Néanmoins, en matière de représentation du vignoble, la cartographie seigneuriale a pris le relais dès la fin du XVIIe siècle. Ainsi, on dispose d’un document singulier et sans équivalent pour les autres secteurs du vignoble de Bordeaux : un plan de la paroisse Saint-Seurin.
27Le dessinateur utilise un point de vue sud-est pour embrasser tout le panorama paroissial qu’il restitue en axonométrie, alors que la ville à l’horizon est représentée en élévation, comme couchée dans le fleuve. Il ne dessine pas en arpenteur soucieux de mesurer l’espace et de le restituer en plan, mais utilise plutôt les artifices des peintres pour représenter le paysage de la paroisse au naturel, tel qu’il le voit en donnant la part belle à la vigne. Ce plan perspectif, que l’on peut apparenter à une « plan-paysage », entend bien promouvoir l’identité viticole de la paroisse Saint-Seurin, mais, moins comme trait paysager distinctif que comme élément qui participe de la puissance du chapitre et la donne à voir dans sa dimension économique et seigneuriale. Il annonce ainsi la vogue des plans de domaines prisés par de nombreux seigneurs dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Fig. 11 : Plan de la paroisse Saint-Seurin, anonyme, manuscrit à l’encre noire et aquarelle, XVIIe siècle (AD 33, G 1269 ; © cliché AD 33). Dissocié de sa liasse originelle, ce plan ne peut être précisément daté ni analysé dans son contexte de production. Deux éléments indiquent qu’il s’agit d’un document de gestion seigneuriale : son classement dans le fonds de la collégiale Saint-Seurin et, surtout, la mention répétée pour plusieurs toponymes de « nest de la monstrée »
Le vignoble, nouvel objet cartographique des Lumières
28Dans la mémoire des Bordelais d’aujourd’hui, le XVIIIe siècle est réputé comme une seconde naissance pour Bordeaux, enfin défait par les soins des intendants de son corset médiéval et transformé en une ville de pierre, dont l’unité architecturale et la sobre beauté classique lui valent encore la reconnaissance internationale. C’est de ce Bordeaux des Lumières, riche de son port et de son grand commerce atlantique, que la ville actuelle se sent fille, bien plus que de son enfance antique ou médiévale, et cette perception s’étend aussi au vignoble. Elle en retient surtout la recherche de la qualité et l’émergence de noyaux d’élite – Sauternais et Graves dans la seconde moitié du XVIIe siècle, Médoc au XVIIIe – toujours producteurs des grands crus, et occulte des tendances de fond : le maintien d’une production de masse du claret médiéval et la généralisation du phénomène des bourdieux, notamment dans les Graves.
29Cette vision actuelle d’un siècle des Lumières fondateur d’une nouvelle identité de la ville et de son vignoble n’est pas sans trouver écho dans la cartographie : pour la première fois au XVIIIe siècle, Bordeaux est représentée, non pas dans le format étriqué de ses remparts, mais en connexion étroite avec son arrière-pays viticole. Ce nouveau paradigme est soutenu par les progrès de la cartographie et des techniques de levé, qui ont permis de passer aux plans géométraux et de produire une représentation au plus près du réel.
LE PARADIGME DE LA VILLE VITICOLE
30Au XVIIIe siècle, la cartographie française, quelque peu en retard jusqu’alors, franchit, sous l’impulsion de l’Observatoire et de l’Académie des Sciences, un pas considérable qui la fait évoluer, selon la gradation de Jean Boutier, de « l’espace mesuré au géométrique et celui du géométral au triangulé »22. Le plan géométral utilise un seul point de vue vertical et fait de la représentation une image toujours plus abstraite et toujours plus précise. Son triomphe incontesté s’impose particulièrement pour les villes, où le plan devient outil de gestion pour l’urbanisme ; elles sont désormais cartographiées avec une grande exactitude, jusqu’à l’échelle antérieurement insaisissable des îlots, et dans toute l’étendue de leur territoire, d’où un format du plan beaucoup plus grand que celui des vues antérieures. Ébauché lors de l’épisode de la Fronde, le plus ancien plan de ce type pour Bordeaux est attribuable à Albert Jouvin de Rochefort (vers 1670).
31Pour la première fois, les faubourgs sont traités à égalité avec la ville et participent de sa définition. Cependant, comme le tissu urbain, à l’exception des monuments, ils sont représentés par grandes entités : les îlots bâtis avec leurs extensions extra-muros en rose, l’eau en bleu et les terres cultivées en vert. Le niveau de précision n’atteint ni le parcellaire, arbitrairement dessiné pour les faubourgs, ni la nature des cultures. Le vignoble est donc encore invisible. Sa première figuration géométrique apparaît dans un plan anonyme de 1705.

Fig. 12 : Bourdeaux & ses environs, plan géométral attribué à Albert Jouvin de Rochefort, manuscrit à l’encre noire rehaussé d’aquarelle, vers 1670 (AM Bx., Fi 40 A27-1 ; © cliché AM Bx.)

Fig. 13 : Plan des ville, chateaux/et faubourgs, de Bordeaux, avec ses/environs, anonyme, manuscrit à l’encre noire rehaussé d’aquarelle, 1705 (AM Bx., XL-A310, recueil 80 ; © cliché AM Bx.)
32Plus encore que dans le plan d’Albert Jouvin de Rochefort, c’est le territoire urbain dans sa globalité qui est donné à voir ; la ville, bien que toujours en position centrale, n’en occupe plus qu’une fraction. De même, un soin égal a été apporté dans le rendu du bâti et des espaces cultivés. Le vignoble en est le grand gagnant : il devient enfin un objet cartographique, avec sa signalétique graphique propre ; plus encore, l’écrin qu’il forme autour de la cité encore emmurée, son aspect ordonné à l’image d’une nature construite en font une projection de l’Urbs. La fusion ville-vignoble est désormais consommée et devient un paradigme icono-cartographique qui influe sur la production des Lumières, non sans une certaine concurrence avec celui de la « ville de pierre » qui célèbre les embellissements des intendants, alors que, parallèlement, la peinture continue à glorifier la ville-port23. L’exaltation de la ville viticole est particulièrement prégnante dans la production de la première moitié du XVIIIe siècle ; à la suite de celui de 1705, d’autres plans choisissent de montrer Bordeaux dans son environnement, quitte à réduire la ville à un simple croissant de pierre amarré au fleuve. Néanmoins, dans cette production cartographique, c’est souvent la finalité militaire qui est dominante et qui explique l’attention portée au végétal et à la nature des terrains, favorables ou non à la progression des troupes. Celui dressé par Hyppolite Matis vers 1716-1717 en est un des plus représentatifs. Son contexte de production explique le choix de l’échelle macro-spatiale et de l’orientation (vue de l’est) : arpenteur géographe du roi, Hyppolite Matis a été chargé de lever le cours exact du fleuve et de ses berges sur une largeur moyenne de 10 km et d’en dresser la carte ; Le plan de Bourdeaux et de ses environs en est un extrait, grossi et réalisé postérieurement.

Fig. 14 : Plan de Bourdeaux/et de ses environs/… Fait par Matis Géographe Ord [inai] re du Roy, d’après Hyppolite Matis, manuscrit plume et encre rehaussé d’aquarelle, vers 1716-1717 (AD 78, A 323 ; © cliché AD 78)
33La ville, semblable à un monolithe grossier, est presque secondaire dans la représentation qui est axée sur le fleuve et son environnement paysager. De ce dernier, traité avec bien plus de soins que le tissu urbain, la vigne n’est qu’une des composantes car l’angle de vue choisi fait la part belle aux prés et aux marais de palu. Mais là encore, le vignoble participe à l’exaltation d’une nature maîtrisée et ordonnée sous l’égide de la ville. Le plan de Claude Masse de 1723 réitère ce paradigme, bien qu’il restreigne l’emprise territoriale en cantonnant la ville à l’angle sud-est, ce qui met en valeur l’expansion remarquable du faubourg des Chartrons. Mais le grand protagoniste de ce plan – le premier, pour Bordeaux, orienté au nord – est le fleuve auquel l’ingénieur a accordé toute son attention ; il en a tracé les lits anciens sur les arcs terriens et les gains de rive sur les arceaux du banc. Il en fait l’axe structurant du territoire urbain, qui détermine tant les extensions de la ville et de son port que la prospérité de son vignoble, et requiert une étroite surveillance confiée à la bonne garde du château Trompette.

Fig. 15 : Plan / de la ville et chateaux de / Bourdeaux / et ces Environs en l’Estat qu’il estoit / en 1723 que le Sr. Masse l’a levé / Masse Ingenieur Ord[inai]re [du] Roy, d’après Claude Masse, manuscrit colorié, 1723 (AM Bx., XL-A312, recueil 80 ; © cliché AM Bx.)
L’ÉCRIN DES EMBELLISSEMENTS
34Avec les grands travaux d’embellissement menés par les intendants, le plan géométral est mis au service de la nouvelle pensée urbanistique. Ainsi, des plans réalisés à la demande de Tourny et gravés par Jean Lattré ; celui de 1755 est un véritable manifeste officiel de son œuvre d’urbanisme que les vignettes qui encadrent le plan mettent en exergue.

Fig. 16 : Plan géométral de la ville de Bordeaux / et de parties de ses faubourgs, d’après Jean Lattré, Pierre-Philippe Choffard et Charles-Nicolas Cochin fils, eau-forte et burin 1755 (AM Bx., Fi 40 A44 ; © cliché AM Bx.)
35La ville est de nouveau l’objet central de la figuration resserrée aux limites de l’espace remparé. L’environnement suburbain en est réduit aux proches faubourgs progressivement gagnés par une urbanisation guidée par les grands axes viaires ouverts par l’intendant. C’est que la ville se veut désormais ouverte sur sa campagne : les portes ne sont plus que des barrières d’octroi et, grâce aux jardins et allées arborées, la nature pénètre au cœur même de l’urbain. Au cordeau comme la ville avec laquelle il est en harmonie, le vignoble n’est représenté qu’à la marge, moins comme un espace nourricier et consubstantiel de l’Urbs, que comme un réservoir foncier pour l’urbanisation future.
36Par sa production cartographique, le XVIIIe siècle a donc été un temps de reconnaissance pour le vignoble de Bordeaux devenu un attribut de l’image de la ville,… au risque de ne pouvoir s’en désolidariser et de ne pas être reconnu en tant que sujet singulier ; on remarquera ainsi qu’il n’existe aucune représentation planimétrique du seul vignoble des Graves, restitué dans son territoire propre. Seule la cartographie seigneuriale continue à le promouvoir comme un marqueur de distinction. La vogue des plans-terriers qui sévit alors témoigne tant d’un souci de rationalisation de la gestion des exploitations, que d’un engouement pour le portrait esthétisé et flatteur de la seigneurie. Donner à voir son vignoble comme un fleuron de sa réussite sociale devient un mode commun de l’aristocratie bordelaise qui apprécie particulièrement les plans de domaine. Aussi ces derniers se multiplient-ils dans tout le Bordelais, exaltant le terroir façonné par l’homme, où s’ordonnent tous les éléments d’un paysage harmonieux dont la vigne souligne le raffinement. Au XIXe siècle, la vogue des lithographies et des gravures représentant la maison de maître dans son décor rural, accentue encore cette tendance à l’ostentation du domaine, appelé désormais « château » pour gagner encore en distinction. Mais cette représentation du château évacue majoritairement le territoire de production, seulement suggéré par l’assimilation entre son produit, le vin, et l’art de vivre mis en scène par la demeure et son parc24.
*
37D’un vignoble invisible à un vignoble vitrine, telle peut être résumée, in fine, cette histoire de la figuration du vignoble de Bordeaux du Moyen Âge à la fin de l’Ancien Régime. Si le XVIIIe siècle apparaît comme un moment de rupture dans la reconnaissance du vignoble comme paysage identitaire, les jalons en ont été posés dès la période anglo-gasconne, avec la construction d’un territoire viticole en symbiose avec la ville ; mais sans doute cette association, si répandue au Moyen Âge où la vigne est fille de la ville, était-elle alors trop banale pour mériter de figurer dans les portraits urbains de la Renaissance, dont on a vu que la mise en scène était avant tout politique. C’est seulement au moment où le vignoble devient un élément de distinction, un marqueur valorisant qu’il s’impose dans la cartographie. Au XVIIIe siècle, l’affirmation d’un vignoble d’élite, l’émergence des grands crus ont fait écho à la nouvelle image que la ville entendait projeter d’elle-même : non seulement celle d’un modèle urbanistique selon les conceptions des Lumières, mais également celle d’un grand port en connexion avec un hinterland de plus en plus vaste. De ce rayonnement grandissant, le vin a été un vecteur majeur, s’imposant sur les marchés mondiaux et assurant partout la renommée de Bordeaux. Mais cette reconnaissance tardive n’a été que subreptice : quelques décennies seulement, avant que le vignoble soit de nouveau occulté dans la cartographie et l’iconographie au profit du château jugé plus porteur d’une image de marque ; doit-on conclure à un échec de la représentation cartographique du vignoble ? Sans doute, d’autant que le paradigme de la ville viticole n’est que secondaire au regard de la finalité le plus souvent militaire de la production cartographique de la première moitié du XVIIIe siècle. Pourtant, le processus de fusion identitaire ville-vignoble n’a fait que s’accentuer à l’Époque contemporaine. Les grands crus, sanctuarisés par le classement de 1855, sont aujourd’hui encore autant de phares qui illuminent l’image de la ville et le vin n’est pas seulement un élément fort de l’infrastructure économique, il s’est imposé au cœur de la superstructure idéologique territoriale. Quant aux Graves, n’ont été épargnés par l’urbanisation que ces noyaux d’élite ; véritables lieux de mémoire, ils suffisent à la légitimation de l’image de Bordeaux, ville du vin.
Notes de bas de page
1 Bordeaux a obtenu le label Patrimoine mondial de l’UNESCO en 2007 en raison de l’unité architecturale préservée de son espace central. Les trois critères : port, architecture de pierre, vignoble, fondent son identité de « cité historique vivante ».
2 Les opérations archéologiques menées sur des niveaux médiévaux dans l’agglomération bordelaise n’ont mis au jour que quelques éléments de culture matérielle et seulement dans l’espace urbain (barriques, bois de pressoir, récipients vinaires…), ainsi que des pépins de raisin qui, pour l’heure, n’ont pas donné lieu à des analyses ampélographiques.
3 Ch. Higounet, « L’arrière-pays de Bordeaux au XIIIe siècle », in Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, t. IV, 1955, pp. 201-210.
Le grand médiéviste a également repris l’étude du vignoble de Bordeaux dans deux autres contributions :
Ibid., Histoire de Bordeaux, t. II, Bordeaux pendant le haut Moyen Âge, sous la dir. Ch. Higounet, Bordeaux, 1963.
Ibid., « Paysages, mise en valeur, peuplement de la banlieue sud de Bordeaux à la fin du XIIIe siècle », in Revue historique de Bordeaux et du département de la Gironde, t. XXVI, 1977, pp. 5-25.
4 Fr. Boutoulle, « La vigne et le négoce du vin en Bordelais et en Bazadais (fin XIe-début XIIIe siècle) », in Annales du Midi, t. 112, juil-sept 2000, pp. 275-298.
5 S. Lavaud, « D’un vignoble populaire à un vignoble de notables : les transformations du vignoble suburbain de Bordeaux du XVe au XVIIIe siècle », in Annales du Midi, t. 107, n° 210, avril-juin 1995, pp. 195-217.
Ibid., Bordeaux, vignoble millénaire, en collaboration avec Ph. Roudié et G. Aubin, éd. L’Horizon Chimérique, Bordeaux, 1996.
Ibid., « Du nouveau sur le vignoble médiéval de Bordeaux », in Actes du premier symposium de l’association internationale de l’histoire et civilisation de la vigne et du vin, Puerto-de-Santa-Maria (Espagne), 18-20 mars 1999.
Ibid., « L’emprise foncière de Bordeaux sur sa campagne, l’exemple des bourdieux (XIVe-XVIe siècles) », in Annales du Midi, t. 112, n° 231, juil-sept 2000, pp. 315-329.
Ibid., « Les Graves au Moyen Âge, quelle identité ? », in Actes du colloque du C. E. R. V. I. N., 14-15 mars 2002, éd. Féret, Bordeaux, 2002, pp. 57-70.
Ibid., Bordeaux et le vin au Moyen Âge. Essor d’une civilisation, éd. Sud-Ouest, Bordeaux, 2003.
Ibid., « Mise en valeur et paysage des palus du Bordelais médiéval », in Archéologie du Midi médiéval, t. 23-24, 2005-2006, pp. 27-38.
Ibid., « De l’espace viticole à l’hinterland : l’exemple d’une capitale régionale, Bordeaux à la fin du Moyen Âge », in IXe Conférence internationale d’histoire urbaine, Lyon, 27-30 août 2008.
6 Il faut néanmoins signaler l’existence de deux dessins griffonnés sur un registre anglais (Rôles gascons) du XIVe siècle représentant pour l’un, un vigneron gascon, pour l’autre une scène de foulage ; ce sont là les seules représentations connues en dehors des sculptures religieuses.
7 Les villes italiennes font précocement l’objet de figurations et parfois dans une conception réaliste ; ainsi de Venise dont le plan est levé en 1110 par Hellia Magadizzo sur les ordres du doge Ordelaffo Falier. Les représentations urbaines deviennent cependant plus nombreuses à partir du XIVe siècle. Ce phénomène d’introduction de la topographie urbaine contemporaine s’inscrit dans le contexte idéologique du Bien public, les fresques allégoriques recouvrant les murs des palais communaux, tel celui de Sienne avec sa célèbre peinture Des effets du bon gouvernement de Ambroglio Lorenzetti (1337-1339), en servant de support et de vecteur de propagande. Néanmoins ce nouvel intérêt des peintres pour le paysage urbain tend à se diffuser et à les amener à intégrer dans leurs compositions, les images de leur propre environnement. Au XVe siècle, se développent, particulièrement à Florence, de nouvelles formes de représentations alliant géométrisation de la forme urbaine et perspective des principaux monuments de la ville. Parallèlement se diffuse l’usage des figures topographiques et des cartes de contestation, réalisées dans le cadre de procès ou d’opérations d’aménagement.
8 Sur cette question des représentations urbaines, voir notamment : B. Bedos-Rezak, « Du modèle à l’image : les signes de l’identité urbaine au Moyen Âge », in Le verbe, l’image et les représentations de la société urbaine au Moyen Âge, Actes du colloque international de Marche-en-Famenne, 24-27 octobre 2001, M. Boone, E. Lecuppre-Desjardin, J.-P. Soisson, éds., Anvers, 2002, pp. 189-206, P. Lavedan, Représentation des villes dans l’art du Moyen Âge, Paris, 1954.
9 Le bourdieu est une exploitation polyculturale à dominante viticole souvent d’un tenant, pouvant s’apparenter à un domaine – nombre de châteaux viticoles actuels du Bordelais en sont les héritiers – de par la concentration foncière qu’il induit, le rang social élevé de son détenteur et sa vocation commerciale. Les bourdieux s’imposent en Bordelais dès la fin du Moyen Âge, d’abord dans les terres de palu puis à partir du XVIIe siècle dans le vignoble de Graves.
10 Registres de la jurade. Délibérations de 1414 à 1416 et de 1420 à 1422, t. IV, Bordeaux, 1883, p. 307, 9 janvier 1416.
11 Sur ce point, S. Lavaud, « Paysage et mise en valeur des palus de Bordeaux au Moyen Âge », in Revue archéologique de Bordeaux, XCII, 2001, pp. 119-128.
Ibid., « La Palu de Bordeaux aux XVe et XVIe siècles », in Annales du Midi, 114, janv.- mars 2002, pp. 25-44.
Ibid., « Mise en valeur et paysage des palus du Bordelais médiéval », in Archéologie du Midi médiéval, 23-24, 2005-2006, pp. 27-38.
12 Sur ces points, voir : Lavaud, S., Bordeaux et le vin au Moyen Âge, essor d’une civilisation, op. cit., chap. 3 et 4.
13 Voir Corbin, A., L’homme dans le paysage, Paris, 2001.
14 Nombre des données et des analyses fournies dans cette partie sont issues de l’étude menée, dans la première partie de sa thèse, par É. Jean-Courret ; c’est également sous sa direction, en partenariat avec les Archives municipales de Bordeaux, qu’a été réalisée une exposition sur les représentations de Bordeaux du XVIe au XXIe siècle (Archéopôle, 15 octobre-19 décembre 2009, Pessac) ; voir Jean-Courret, É., La morphogenèse de Bordeaux des origines à la fin du Moyen Âge. Fabrique, paysage et représentation de l’Urbs, thèse d’université sous la dir. J. B. Marquette, université de Bordeaux, 2006, pp. 47-189. Enfin, il a dernièrement consacré une communication au traitement de l’espace suburbain dans la cartographie bordelaise : Jean-Courret, É., « Imago suburbis : approche paradigmatique des environs de Bordeaux (milieu XVIe-début XIXe siècle) », G. Thewes, M. Uhrmacher éds., Extra-muros, Vorstädtische Räume in Spätmittlealter und früher Neuzeit/Espaces urbains au bas Moyen Âge et à l’Époque moderne (XIVe-XVIIIe siècle), Actes du colloque de Luxembourg, 21-22 février 2013, à paraître.
15 Bien que Saintongeais d’origine, Élie Vinet peut être considéré comme un cartographe local dans la mesure où il a longtemps résidé à Bordeaux en tant que principal du collège de Guyenne et où il y a été inhumé dans l’église Saint-Éloi.
16 Voir E. Jean-Courret, « Civitatis Burdegalensis genuina descriptio, une représentation de Bordeaux vers 1525-1535 », in Revue archéologique de Bordeaux, t. XCVII, 2006, pp. 57-86.
17 L. Nuti, « Le langage de la peinture dans la cartographie topographique », in C. Bousquet-Bressolier, dir., L’œil du cartographe et la représentation cartographique du Moyen Âge à nos jours, in Actes du colloque européen sur la cartographie topographique, Paris, 29-30 oct. 1992, Paris, 1995, pp. 53-70.
18 Le cours d’eau figuré extra-muros est l’élément le plus référent à la réalité du site ; il renvoie aux deux esteys (affluents de la Garonne soumis à la marée), la Devèze et le Peugue, qui venus des confins de la lande, traversent Bordeaux pour se jeter dans la Garonne. Ils ont été des éléments du site particulièrement structurants pour la ville qui a été établie sur leurs berges et a utilisé leur embouchure comme ports originels, d’abord celle de la Devèze pour la ville antique, puis celle du Peugue pour la ville des XIe-XIIIe siècles. Les chorographes n’ont fait figurer que leur entrée dans la ville – encore l’ont-ils condensée en un seul cours d’eau générant un petit étang au contact des remparts – et leur confluence avec le fleuve. Ezéchiel Jean-Courret émet l’hypothèse que cette disposition de l’hydrographie n’est pas sans rappeler la composition téléologique de plusieurs mappae mundi ; voir Jean-Courret, É., « Imago suburbis : approche paradigmatique des environs de Bordeaux… », op. cit.
19 Expression empruntée à L. Nuti, « Le langage de la peinture dans la cartographie topographique », op. cit., p. 68.
20 Favreau, M., Les « Portraits » de Bordeaux, vues et plans gravés de la capitale de Guyenne du XVIe au XVIIe siècle, Périgueux, 2007, p. 117 et p. 119.
21 Extrait de M. Favreau, Herman Van der Hem (1619-1649). Un dessinateur hollandais à Bordeaux et dans le Bordelais au XVIIe siècle, Périgueux, 2006, vol. 1, p. 59.
22 J. Boutier, Les plans de Paris des origines (1493) à la fin du XVIIIe siècle, BNF, Paris, 2002, p. 22.
23 On évoquera en particulier les peintures de Joseph Vernet (1714-1789), Nicolas Ozanne (1728-1811) et celles de Pierre Lacour (1745-1814) représentant le port des Chartrons. Les peintres y placent ce qui leur semble caractériser le plus grand port de France : une population nombreuse et bigarrée, des quais encombrés de futailles et, en arrière-plan, les bateaux de toutes sortes. Sur ce point, voir : M. Figeac, « Représentation d’un espace et espace de représentation : les quais de Bordeaux et le vin au XVIIIe siècle », in Vignobles et vins en Aquitaine. Images et identités d’hier et d’aujourd’hui, sous la dir. S. Lavaud et J.-Cl. Hinnewinkel, Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine, 2009, pp. 215-228.
24 Sur ce point, voir : J.-P. Bériac, « Représentation et espace de représentation », in Le vin à travers les âges, produit de qualité, agent économique, CEHRIR, éd. Féret, Bordeaux, 2001, pp. 35-44.
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