1Le territoire comme espace géographique est le résultat d’une anthropisation qui se confond avec l’apparition des premiers hominidés sur notre planète. Les raisons de cette emprise humaine liées, dans un premier temps à une nécessité de prélever les seules ressources nécessaires à la subsistance dans le respect du principe de la moïra1, ont évoluées vers une volonté de puissance et de domination des éléments naturels caractéristique de l’ubris, archétype du manque de mesure.

2La recherche d’une amélioration continue et sans limite de la qualité de vie, de l’habitat, au-delà de la simple couverture des besoins nutritionnels a conduit à une vision du monde anthropocentriste, qui place désormais l’être humain et non le cosmos ou plus prosaïquement l’environnement, au centre de toute réflexion. Les travaux d’aménagement des espaces (voies de communications, protection contre les éléments naturels (barrages, digues, modification du cours de certains fleuves, etc.), d’urbanisation mais aussi le mitage des espaces ruraux par un habitat individuel mal maîtrisé et des exploitations agricoles extensives en sont une illustration.

3Cette anthropisation, en même temps qu’elle caractérise un territoire, en consacre son appropriation par les groupes humains qui le colonisent et marquent son espace du sceau de leur identité en construction permanente : « Et le langage qu’ils inventaient en chemin, je l’appris de leur bouche et je le parle encore2 » Le patrimoine et ses éléments deviennent des marqueurs de ce territoire, espace désormais doté d’une identité. Durant des millénaires, cette action humaine sur les territoires est restée un phénomène local au sens où ses causes se limitaient à l’intérêt des populations locales, indigènes ou non.

4Mais si « Le sage peut découvrir le monde sans franchir sa porte. Il voit sans regarder, accomplit sans agir3. », ce n’est pas le cas du touriste, dont l’apparition et la multiplication jusqu’à en faire un phénomène de société, va modifier sensiblement cette donne. Les exemples présentés au cours de ce colloque, traitant du rapport du tourisme aux territoires, sont nombreux qui soulignent que désormais, les principaux bénéficiaires des nouvelles contraintes, modifications, perturbations apportées à l’environnement, sont les populations touristiques, et ce, paradoxalement, au détriment parfois des populations locales.

5 Ainsi en est-il des créations et aménagements de sites touristiques, dont l’occupation ne dépasse guère les 5 semaines annuelles. Ces opérations immobilières résultent d’un arbitrage en termes d’affectation de ressources naturelles (sols notamment) au bénéfice de l’activité touristique et au détriment de certaines activités traditionnelles abandonnées (agriculture, pêche notamment) car peu attractives pour les touristes. Victor Hugo disait d’un monument qu’il est caractérisé par deux choses, « son usage et sa beauté : son usage appartient à son propriétaire, sa beauté à tout le monde », peut-on en dire autant du patrimoine lorsqu’il est convoité par le touriste aujourd’hui ? Ou plus simplement, qui est le propriétaire du patrimoine ? C’est la question posée par les communications traitant des rénovations d’habitat urbain ou rural ou du phénomène de résidences secondaires, qui excluent de fait, pour des raisons économiques, les populations jusque là résidentes qui doivent émigrer vers d’autres territoires à la marge et se voient remplacées par des touristes.

6Les effets du tourisme en matière d’acculturation, d’enculturation ou de déculturation ont fait également l’objet de débats riches et constructifs. Si le tourisme contribue de facto, comme le soulignait à ses débuts l’OMT, à rapprocher les individus il conduit au mieux à des situations qui favorisent la multi culturalité et la tolérance qui l’accompagne comme respect des différences, au détriment de l’inter culturalité et de la reconnaissance qui ajoute l’appréciation. Les cas présentés montrent que nous sommes loin du village global cher à Marshall McLuhan et que de cette mise à l’épreuve de l’altérité, il ressort souvent une stigmatisation des différences qui, sous un prétexte de quête d’authenticité, favorise « la restauration, la conservation et la récréation fictive des attributs ethniques4 » de certains groupes et reconstruit une ethnicité à partir de formes conservées et récupérées pour le divertissement d’autres groupes ethniques, le folklore vient se substituer à la culture et en s’insérant dans le cadre de l’organisation touristique opère une véritable mystification. L’identité collective que le groupe a élaboré sur son espace de vie, relayée par l’imaginaire bon marché fabriqué par les émetteurs de produits touristiques, efface l’identité individuelle des membres de la collectivité qui accueille. Cette réduction volontaire d’une diversité complexe n’est pas sans danger car elle fait souvent de l’autochtone, le Bon Sauvage que l’on ne veut pas croire disparu et que l’on ressuscite à partir d’une image d’Epinal d’une simplicité souvent affligeante.

7Ce colloque a essayé à travers non seulement les communications présentées mais également les débats riches et animés qu’elles ont nourris, de décrire et de renouveler les approches conceptuelles de quelques unes des interrelations menées sur un territoire à partir de la mise en œuvre simultanée d’activités touristiques et de constructions identitaires et patrimoniales de la part de collectivités humaines aux intérêts parfois antagonistes. Que leurs auteurs venus de tous les continents mais aussi le public en soient remerciés.

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