1Cet article se propose d’interroger la mobilisation qu’il peut être fait, par des acteurs territoriaux, des logiques de développement touristique et des processus de patrimonialisation en vue d’asseoir la lisibilité des « Pays », nouvel échelon territorial dans la décentralisation à la française.

2Avec 345 Pays reconnus et 26 en projet au 1er janvier 2008, les Pays s’inscrivent au cœur des démarches de développement territorial et constituent une entrée pertinente pour observer les jeux d’acteurs autour de cette quadruple entrée « tourismes, patrimoines, identités et territoires ». Du fait de leurs modalités de construction et de fonctionnement, ces territoires de projets interrogent, en effet, l’utilisation qu’il peut être fait des processus de patrimonialisation et de développement touristique en vue d’asseoir une cohérence territoriale. Dans le cadre de notre questionnement, il s’agira donc de mesurer comment l’émergence de cette forme territoriale peut s’appuyer sur une mobilisation des logiques de développement touristique et de patrimonialisation, et ce, dans le contexte particulier du Pays « Ardèche Méridionale « ... lequel recouvre des entités fort distinctes !

3En effet, ce périmètre associe dans un même ensemble des réalités socio-démographiques et économiques très différentes : aux communes de la montagne ardéchoise confrontées à des questions de vieillissement de la population et de maintien des services en milieu rural répondent les communes situées aux environs des gorges de l’Ardèche, essentiellement marquées par des problématiques touristiques, ou encore, celles de la façade rhodanienne animées par des questions industrielles. Dans ce contexte hétéroclite, la question de la cohérence territoriale se pose alors pleinement : au-delà des discours politiques encadrant la création du Pays, la création de ce territoire de projet fait-elle sens ? Sur quelle(s) entrée(s) les acteurs impliqués dans cette démarche ont-ils matière à se concerter et à construire des projets communs ? Et plus précisément, dans quelle(s) mesure(s) les ressorts touristiques et patrimoniaux sont-ils instrumentés dans ces jeux de construction territoriale ?

4Après nous être positionné par rapport aux concepts clefs de tourisme, patrimoine et territoire, tout en rappelant le cadre spécifique des Pays, notre propos se centrera sur les spécificités du Pays « Ardèche Méridionale », lesquelles nous permettront de dégager un certain nombre d’enjeux, notamment en terme de cohérence territoriale. In fine, ce questionnement nous amènera à envisager comment le volet touristique, via la valorisation de ressorts patrimoniaux, est mobilisé par les acteurs en charge du Pays en vue d’asseoir la lisibilité et la légitimité de ce nouvel échelon territorial.

Préalable conceptuel : d’une approche conceptuelle du triptyque « tourisme/ patrimoine/ territoire » à l’intérêt géographique d’étudier les Pays

Le tourisme : un vecteur de transformation des territoires

5Secteur d’activité majeur dans le cadre des sociétés actuelles marquées par le développement accru des services, le tourisme s’accompagne de chiffres éloquents : ainsi, le nombre de touristes internationaux a été multiplié par plus de 10, passant de 70 millions en 1960, à 762, 6 en 2004 (mémento du tourisme, OMT) ; quant aux dépenses, leur volume connaît également une croissance exponentielle, passant de 7 milliards en 1960 (transport international exclu) à 622 milliards de dollars US en 2004. Dès lors, « l’industrie touristique est la première activité économique mondiale, soit autour de 10 % des revenus de la planète et sans doute, plus de 200 millions d’emplois directs (...). La France compte près de 180 000 entreprises touristiques, qui occupent quelque 600 000 emplois de salariés permanent (...). Plus de 70 millions de touristes étrangers viennent en France (...). A cela s’ajoutent les quelque 60 % de Français qui s’adonnent au tourisme, soit 36 millions de personnes au total, pour une valeur ajoutée de l’ordre de 300 MM de francs » (Hoerner, 2001 : 89-91).

6De manière paradoxale, cette montée en puissance du tourisme s’accompagne d’une dénonciation de ses effets sur les territoires dans lesquels il se développe. A ce titre, plusieurs auteurs mettent l’accent sur le rôle subversif du tourisme, lequel « par ses effets souvent négatifs sur l’environnement et la société d’accueil, exerce fréquemment un véritable impérialisme sur l’organisation géographique et humaine locale » (Durand, Jouvet, 2003 : 67).

7Dès lors, le touriste fait figure de dévoreur d’espace : tel un tsunami, il balaie périodiquement un territoire, se répétant de saison en saison, d’année en année, par une succession de phases de conquête, d’accrétion, de densification et de débordement, pouvant aller jusqu’à une destruction du potentiel physique et humain. A ce titre, le tourisme est bien « souvent analysé comme un phénomène perturbateur d’un ordre établi, une source de déséquilibres, voire de remise en cause ou de destruction des ressources préexistantes pour les destinations-réceptrices » (Peyrache-Gadeau, Gauchon, 2007 : 292).

8D’après nous, ce parti pris à l’encontre du tourisme relève d’une incompréhension majeure liée à la nature même de l’objet étudié. L’accent est souvent mis sur l’analyse des impacts du tourisme et non sur la compréhension du phénomène en tant que tel ainsi que sur les liens fondamentaux existant entre le développement de cette activité et l’espace dans lequel elle se développe. Ce positionnement renvoie alors à une certaine frilosité des géographes à penser les effets territorialisants des dynamiques touristiques, « le caractère intrinsèquement éphémère, frivole, léger du tourisme s’accommode mal des enjeux territoriaux... » (Ibid. : 293).

9Dépassant ces lieux communs, la question des liens entre tourisme et territoire mérite d’être posée, ne serait-ce qu’en raison des effets structurants de cette activité. En tant que système d’acteurs, de pratiques et d’espaces qui participent de la « recréation » des individus par le déplacement temporaire hors des lieux du quotidien (Stock, 2003 : 31), le tourisme s’approprie l’espace-support dans lequel il se réalise et se développe via des aménagements touristiques et des réglementations. Ainsi, le tourisme, activité économique à forte emprise spatiale, concourt-il à la transformation des territoires où il se développe. A la fois flux entrants et secteur d’activité spatialement ancré, le tourisme participe à un processus général d’information de l’espace. Dès lors, la répétition dans le temps de ces dynamiques touristiques participe à des processus « d’écogénèse territoriale », l’espace ayant « besoin de l’épaisseur du temps, de répétitions silencieuses, de maturations lentes, du travail de l’imaginaire social et de la norme pour exister comme territoire » (Marié, 1982, cité par Di Méo, 2000 : 41).

Le patrimoine comme marqueur des spécificités territoriales

10Agent de transformation des territoires, le tourisme est d’autant plus vecteur de dynamiques territoriales lorsqu’il cherche à valoriser des objets patrimoniaux. De manière intrinsèque, les objets patrimonialisés marquent, en effet, un rapport singulier à l’espace. En tant que construit socio-culturel, « la mise en patrimoine d’un lieu est un processus sélectif qui met en lumière, à un moment donné, certains de ses traits considérés comme spécifiques » (Lazzarotti, 2003 : 98). Tout comme le Père cherche à transmettre ses biens à ses enfants, une société donnée tente de transmettre ce qu’elle reconnaît comme étant emblématique, porteur de ses valeurs, dont la perte est jugée irremplaçable, qu’il s’agisse de paysages, de monuments historiques, d’œuvres d’art.

11De fait, l’objet patrimonial est nécessairement un objet territorial : « parce qu’elle cultive ce qu’il y a d’unique, ou ce qui est prétendu l’être, dans son histoire et, éventuellement, dans ses dimensions physiques, leur mise en patrimoine renforce la singularité des lieux, leur unicité, leur caractère non-reproductible, immuable et « non-délocalisable ». Essentiellement donc, un lieu patrimonial est incomparable et non interchangeable » (Ibid. : 99). Objet symbolique, l’objet patrimonial est ainsi le moteur de dynamiques territoriales. Il contribue à fonder une spécificité territoriale, à conforter un sentiment d’appartenance ; il aide à la cristallisation de représentations collectives et alimente des jeux d’appropriation à la base des processus d’écogénèse territoriale.

12Dès lors, attribuer une valeur patrimoniale à un objet signifie qu’une société donnée, localement définie, se reconnaît collectivement dans cet objet, qu’elle le considère comme un élément participatif de la constitution et de la pérennité de son identité territoriale. Cette affirmation identitaire que sous-tend la mise en patrimoine apparaît alors comme étant la singularisation d’un territoire par rapport à son environnement englobant. Pour qu’un objet territorial devienne un objet patrimonial, celui-ci doit à la fois être porteur de sens pour l’ensemble des acteurs locaux et être reconnu comme tel par « les Autres », lesquels se définissent comme étant l’ensemble des populations extérieures au territoire dont l’objet patrimonial fait figure d’emblème. Dès lors, « Le patrimoine, pour être valide, a besoin du regard de l’autre (...) un Lieu devient patrimonial pour les uns par le regard des autres » (Ibid. : 99).

13Et c’est là où notre réflexion sur les effets territorialisants des dynamiques touristiques et patrimoniales prend tout son sens : le tourisme, en tant que regard extérieur, participe à la validation des processus de patrimonialisation, lesquels procèdent en retour 1/ au marquage de la spécificité des lieux, processus de discrimination spatiale sur lequel s’appuient les ressorts de la mise en tourisme, puis du développement touristique d’un espace donné, 2/ à l’ancrage dans l’Espace-Temps des dynamiques touristiques. Ainsi les logiques de valorisation patrimoniale renforcent-elles les effets territorialisants des dynamiques touristiques.

14Ces réflexions théoriques se retrouvent dans la pratique : ainsi, nombres d’agents territoriaux ou de cabinets de consultants ne s’y sont pas trompés et mobilisent de manière plus ou moins intentionnelle les propriétés territorialisantes des dynamiques touristiques et patrimoniales. Dans le cadre actuel de la décentralisation et de la mise en concurrence des territoires, ce tandem est alors largement invoqué pour marquer la cohérence de nouveaux échelons territoriaux, à l’instar des dynamiques observées dans le cadre des territoires de projets que sont les Pays.

Les Pays : des territoires de projets révélateurs de dynamiques territoriales

15Loin d’être nouveau, le terme de « pays » désigne des entités très hétérogènes : communément utilisé pour nommer un petit territoire, à l’échelle d’un canton ou d’une intercommunalité, celui-ci peut également désigner des territoires plus vastes, marqués par une histoire et une culture communes (le pays Basque, le pays Bigouden, le pays d’Auge...). Enfin, la notion de pays peut renvoyer à une forme d’organisation locale, témoignant d’une volonté des acteurs de travailler ensemble au développement d’un territoire. Ainsi, dans les années 1970 déjà, des contrats de pays avaient été conclus entre les établissements publics régionaux et des territoires de taille variable, essentiellement dans l’ouest de la France ; dans les années 1980, des pays touristiques se sont constitués, rassemblant élus et professionnels du secteur pour développer l’économie touristique et organiser l’offre et la promotion. Et c’est dans cette optique de fédérer des acteurs autour d’un projet de territoire que voient le jour deux des lois fondamentales de la décentralisation : les lois dites Pasqua (1995) et Voynet (1999).

16Sans revenir dans le détail sur ces textes qui jalonnent la mise en place des Pays, analyse notamment effectuée par C. Alvergne et P. Musso (2003), rappelons simplement qu’il s’agit de privilégier « une organisation du territoire fondée sur les notions de bassins de vie ». Censé exprimer « la communauté d’intérêts économiques et sociaux ainsi que, le cas échéant, les solidarités réciproques entre la ville et L’espace rural », le Pays sert de cadre à la définition par les collectivités territoriales et leurs groupements d’un « projet commun de développement », dont la loi indique qu’il doit être élaboré « en concertation avec les acteurs concernés ».

17Pour autant, la liste de ces acteurs n’est pas précisée, de même que le contenu du projet n’est pas défini ; par ailleurs, la loi ne pose aucune obligation de structuration juridique du territoire. Ainsi, ce cadre volontairement souple a-t-il été conçu pour favoriser des démarches ascendantes, en respectant la diversité des formes locales de coopération (Félice J. (de), 1995).

18Suite à l’entrée en vigueur de ce premier texte de loi, environ 230 initiatives de Pays ont été lancées, dont 120 seront officialisées avant juin 1999. Ainsi, à la veille de l’adoption de la loi Voynet, la réussite de ces regroupements est-il particulièrement visible dans des territoires à dominante rurale où l’on observe également des logiques d’intercommunalités, ces deux dynamiques étant favorisées par la mise en œuvre de politiques régionales cohérentes.

19En juin 1999, la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire (LOADDT), dite loi Voynet, constitue une étape déterminante dans l’organisation de ces territoires de projet. En mettant l’accent sur le rôle du Pays dans le renforcement des solidarités entre ville et espace rural, elle précise les objectifs et les modes d’élaboration du projet commun qui doit dorénavant être de « développement durable » et prendre la forme d’une charte. Ce document, issu de la concertation entre les différents acteurs impliqués dans cette démarche, constitue le document central et fondateur du Pays.

20Le Pays devient ainsi un espace à même de fédérer des acteurs aussi bien privés que publics, le tout dans le cadre d’une procédure de contractualisation, notamment par le biais des contrats de plan Etat-Région. En ce sens, ces aspects financiers motivent le démarrage de nombreuses démarches, surtout dans les régions où le volet territorial du Contrat de plan Etat-Région est bien doté, et ce d’autant plus que la loi Urbanisme et Habitat (2003) est venue simplifier les procédures d’organisation et de reconnaissance des Pays.

21Au grès de ces évolutions législatives, la notion de Pays s’affine, pour se définir aujourd’hui comme un territoire « regroupant plusieurs intercommunalités, le plus souvent à l’échelle d’un bassin d’emploi, rassemblant un pôle urbain et son hinterland rural ou bien constitué d’un réseau de petites villes et de centres bourgs, auquel la géographie, l’histoire, ou la vie économique donnent sa cohérence » (Rapport de la Datar, cité par Bonerandi, 2007) – triple référence socio-économique, géographique et historio-culturelle qui laisse une grande latitude aux élus locaux.

22De ce fait, le Pays n’est ni un échelon administratif, ni une collectivité territoriale, mais un espace de projets, un territoire présentant, en principe, une cohésion géographique, culturelle, économique et sociale. A la fois présentée comme un présupposé et comme un objectif, la recherche de cette cohérence s’inscrit très précisément au cœur de la démarche de Pays. Et c’est justement là que réside notre objectif, à savoir observer la construction de cette cohérence via la mobilisation des dynamiques touristiques et patrimoniales, et ce, dans le contexte sud-ardéchois.

1. Les enjeux du Pays « Ardèche Méridionale »

23Entré en vigueur en juillet 2005, le Pays « Ardèche Méridionale » correspond à la fusion des trois anciens Contrats Globaux de Développement « Monts et Val d’Ardèche », « Ardèche Méridionale » et « Ardèche Rhôdanienne Méridionale ». L’association de ces trois entités conduit à l’émergence d’un nouveau territoire de projets constitué de 117 communes. Dans le même temps, cette initiative conjointe donne lieu à une candidature à la seconde génération des contrats globaux de la région Rhône-Alpes, appelée « Contrat de Développement de Pays de Rhône-Alpes ». En effet, les logiques de ces deux procédures, Pays et CDRA, présentent de fortes similitudes au niveau des recommandations de périmètres, des besoins de diagnostics, des étapes d’élaboration et des modes d’accompagnements des futurs projets. Chaque territoire de projets est donc à même de conduire de concert ces deux procédures, l’objectif étant, in fine, de jouer la carte de La cohérence territoriale et d’obtenir plus facilement des subventions conséquentes afin de concrétiser au mieux leurs projets d’aménagement et de développement.

24Commentaire : A noter l’importance de la superficie du Pays « Ardèche Méridionale », lequel occupe 3171, 5 km², soit 57 % de la superficie départementale !

25A l’échelle du territoire ainsi défini, il est alors question de renforcer le positionnement de cet espace, de dépasser l’image « d’un arrière-pays » aux confins de la région Rhône-Alpes pour s’affirmer comme « une région quasiment centrale au regard du Grand Sud Est français (qui regroupe Les régions Rhône-Alpes, Auvergne, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte-d’Azur) » (Cabinet Strater, octobre 2003a : 27, en ligne sur le site www.pays-ardeche-meridionale.net).

26Dans cette optique, des actions sont envisagées dans l’ensemble des domaines socio-économiques (emploi, logement, services/commerces/artisanat, qualité de vie, industrie, agriculture, accessibilité, culture et loisirs, éducation et formation, etc.). Ces entrées sont regroupées autour de cinq défis qui, présentés comme majeurs à l’échelle du Sud-Ardèche, n’en restent pas moins extrêmement communs et interchangeables :

1. « vers un territoire solidaire » ;

2. « vers un territoire ouvert, accueillant, relié, accessible » ;

3. « vers un territoire productif » ;

4. « vers un territoire d’excellence de vie » ;

5. « vers un territoire d’innovation et d’expérimentation » (Ibid. : 14)

27Consciente des disparités existantes entre Les communes de la façade rhodanienne et l’intérieur cévenol, entre le nord et le sud du Pays ainsi défini, la charte insiste sur un certain nombre de similitudes perçues et/ou supposées comme étant fédératrices (www.pays-ardeche-meridionale.net) :

• La qualité de vie ;

• Le rapport à l’eau (à la fois crainte et convoitée) ;

• L’identification à une « terre de résistance » ;

• L’attachement au petit patrimoine rural ;

• La fidélité au « pays » ;

• La châtaigneraie, le volcanisme, le calcaire et les terrasses comme éléments-symboles du paysage ;

• La référence à l’identité méridionale et à l’Occitanie ;

• L’appartenance historique à l’ancienne province du Bas-Vivarais.

28Dès lors, le Pays « Ardèche Méridionale » s’appuie tout autant qu’il alimente un lot de représentations communes, la définition de ces représentations restant au final (volontairement ?) floue, comme pour pouvoir mieux créer un « consensus territorial ». En retour, la présence de ce socle idéel explique l’association et l’adhésion volontaire d’un grand nombre d’acteurs à cette démarche ainsi que la reconnaissance de ce Pays par les autorités supérieures.

29Cependant, compte tenu des diversités que le Pays « Ardèche Méridionale » entend fédérer, son efficacité en terme de gestion pose question. En ce sens, la définition même de son périmètre d’action, ainsi que l’échelle à laquelle il se situe, soulignent les limites de ce nouvel espace de gouvernance, lequel juxtapose une série de situations particulières plus qu’il ne parvient à les intégrer autour d’un projet commun.

30A première vue, le périmètre du Pays « Ardèche Méridionale » permet de fédérer dans un même ensemble des communes qui jusqu’alors s’inscrivaient dans différents contrats globaux de développement alors même qu’elles étaient associées dans d’autres types de structures (cf. figure 2). Tel était le cas de communes intégrées au parc naturel régional des Monts d’Ardèche et qui pour autant étaient dissociées entre le contrat global de développement « Monts et Val d’Ardèche » et celui de l’« Ardèche Méridionale » ou encore celui des communes intéressées par la gestion de la réserve naturelle des gorges de l’Ardèche et situées les unes et les autres dans les contrats « Ardèche Méridionale » et « Ardèche Rhodanienne Méridionale ». En ce sens, cette démarche « Pays » propose un nouvel espace de concertation, dépassant, en partie seulement, les territoires institutionnels jusqu’ici observés, que ce soit côté cévenol ou gorges de l’Ardèche.

31Pour autant, cette recherche de cohérence reste partielle. En effet, dans le même temps, le découpage affiché par le Pays fait apparaître de nouvelles incohérences : ainsi, l’ensemble des communes situées au nord du parc naturel régional des Monts d’Ardèche se situent à l’extérieur du Pays ainsi que les communes gardoises par ailleurs comprises dans le Pôle d’Excellence Rurale autour des gorges de l’Ardèche. Et que dire des dix communes de la montagne ardéchoise également comprises dans la zone périphérique du Parc National des Cévennes et qui sont, pour ainsi dire, passées sous silence, la référence au PN des Cévennes restant absente des discours des acteurs.

32Commentaire : Cette figure met en avant des processus d’association entre des communes qui jusqu’ici été intégrées dans différentes démarches contractuali-santes aux périmètres de compétences distincts. Cela se vérifie au niveau de la réserve naturelle et du parc naturel régional des Monts d’Ardèche où des communes de la réserve ou du PNR faisaient parties de différents contrats globaux de développement. Pour autant, te périmètre défini par le Pays propose une réassociation partielle de ces communes dans une même unité de fonctionnement : les communes situées au nord du PNR ne font pas partie du Pays, le même constat prévalant pour les communes gardoises de la réserve naturelle des gorges. Se pose également la question des articulations entre le Pays « Ardèche Méridionale » et le parc national des Cévennes, dix communes ardéchoises étant comprises dans la zone périphérique du parc national. Alors même que celles-ci représentent 10 % de la superficie de la zone périphérique, cette donnée reste absente du discours des acteurs. On peut dès lors légitimement s’interroger sur la cohabitation de ces différentes visions de la gestion d’un territoire. En ce sens, fort est à parier que la mise en marche effective du Pays ne se fera pas sans compromis, lesquels compromis seront à leur tour révélateurs de jeux d’acteurs et de processus de négociation.

33En outre, au-delà de ces aspects de chevauchement avec des territoires institutionnels pré-existants, la cohérence du périmètre affiché par le Pays interroge. En effet, celui-ci associe dans un même « bassin de vie » de communes aux préoccupations et orientations vraisemblablement opposées. Alors que la constitution des Pays est censée s’appuyer sur des « "espaces vécus" que mettent en évidence des flux de déplacements quotidiens » ainsi que « des pratiques similaires en matière d’habitat, d’emplois, de loisirs, d’usage des équipements et des services collectifs » (Portier, 2001 : 9-10), on ne peut que souligner les disparités effectives entre, par exemple, la région de montagne Ardéchoise et celle des gorges de l’Ardèche. Ainsi, dans quelle mesure l’association de communes comme celle de Sablières, située dans les Monts d’Ardèche (101 habitants en 1999, marquée par une évolution démographique négative avec un solde migratoire de – 4 % pour la période de 1990-1999, tournée vers des problématiques agricoles de moyenne montagne et de pérennisation des productions locales) et celle de communes comme Vallon-Pont-d’Arc (un peu plus de 2000 habitants lors du dernier recensement de 1999, croissance démographique élevée liée au développement touristique de cette région, questionnement autour de l’étalement de la saison touristique) fait-elle sens ?

34Commentaire : Cette répartition des aînés et des jeunes par communes met en avant une opposition manifeste entre les communes de la Montagne Ardéchoise marquées par une sur-représentation des populations âgées et celles de la façade rhodanienne où les jeunes sont soit plus nombreux, soit dans une proportion similaire que leurs aînés. Cette relative opposition croise trois dynamiques : d’une part un vieillissement de la population locale et une migration des jeunes actifs comme c’est majoritairement le cas dans la Montagne Ardéchoise ; d’autre part, un accroissement des flux de retraités qui, suite à l’achat d’une résidence secondaire, décident de s’installer à l’année dans le Sud-Ardèche, tel que l’on peut l’observer autour des Vans et des communes situées en amont des gorges de l’Ardèche. Enfin, la vitalité économique de la façade rhodanienne, viviers d’emplois, explique également cette répartition par tranches d’âge.

35Au final, cette approche socio-démographique du Pays « Ardèche Méridionale » questionne la cohérence de ce territoire de projet : compte tenu de ces disparités, dans quelle(s) mesure(s) est-il possible pour les acteurs de construire un projet commun dans lequel se retrouvent ces communes animées par des préoccupations si différentes ? Sur quelles entrées territoriales les acteurs des communes de la Montagne ardéchoise, de la région des gorges de l’Ardèche et de la façade rhodanienne ont-ils matière à se concerter et à construire des projets communs ?

2. La mobilisation des ressorts touristiques en vue d’asseoir la cohérence du Pays

36Dans cette quête de sens, la charte du Pays « Ardèche Méridionale » s’articule très largement autour de l’entrée touristique, laquelle dynamique est mobilisée en vue de renforcer la cohérence et la lisibilité de ce territoire.

37Ainsi, le tourisme se pare de toutes les vertus et recouvre des dimensions à la fois économiques et sociales. Pèle mêle, celui-ci est envisagé comme un moyen :

1. de désenclaver l’Ardèche Méridionale, que ce soit de manière externe en améliorant la connectivité avec les régions environnantes, ou en interne avec une requalification des axes routiers existants, et ce, en vue de renforcer les liens entre les communes issues des anciens Contrats Globaux de Développement ;

2. d’améliorer et de renforcer le niveau des services pour la population permanente, un enjeu de taille pour les communes de la Montagne Ardéchoise, particulièrement marquées par un retrait des services de proximité (commerces, agence postale, services de santé) ;

3. de maintenir et de développer des activités pérennes, l’objectif étant d’ancrer les emplois du secteur touristique dans le temps long et de faire du tourisme un pilier dans le fonctionnement de ce système territorial. A titre d’information et pour ce qui est de la région située à proximité des gorges de l’Ardèche, près de la moitié de la population locale travaille dans le secteur touristique, de manière plus ou moins temporaire ;

4. de « replacer ce territoire en situation de dynamique économique » (Cabinet Strater, 2003b : 27) : ainsi, que ce soit dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie ou encore de l’artisanat, le tourisme est-il pensé, ou tout du moins perçu, comme un moyen d’inscrire ces activités traditionnelles en perte de vitesse dans une démarche qualité, orientée autour de la valorisation des savoir-faire locaux.

38A charge pour le Pays, en partenariat avec l’ensemble des acteurs du territoire, de travailler à la réorganisation d’un secteur historiquement organisé autour d’une consommation touristique des ressources paysagères (Duval, 2007a) et marqué par de fortes disparités sur l’ensemble du périmètre du Pays ! Ainsi, un décalage s’observe entre les qualités fédératrices conférées aux dynamiques touristiques et l’organisation même de ce secteur, largement sur-représenté aux abords des gorges de l’Ardèche et sous-représenté sur les plateaux et la montagne ardéchoise.

39Ces déséquilibres sont particulièrement visibles au niveau des hébergements touristiques où deux dynamiques se dessinent : 1/ à l’échelle régionale, une relative opposition apparaît entre les marges du Pays et le centre, marqué par une forte concentration des hébergements touristiques ; 2/ à une échelle micro, l’hôtellerie de plein air est sur-représentée, essentiellement aux abords des principaux cours d’eau que sont l’Ardèche et le Chassezac. Ainsi, la mise en perspective du nombre de lits touristiques en camping et hors camping met-elle en avant la prédominance de l’hôtellerie de plein air et ce même dans la région des gorges de l’Ardèche où, bien que les hébergements hors camping soient davantage développés, ces derniers ne représentent qu’une faible part du volume total des hébergements touristiques : ainsi, la commune de Vallon où l’on se situe dans un rapport de 1 pour 10. Or, de fait, l’hôtellerie de plein air induit une forte saisonnalité de l’activité touristique : dépendant très largement de conditions météorologiques clémentes, celle-ci fonctionne essentiellement en période estivale, s’inscrivant ainsi en porte à faux par rapport à la volonté des acteurs de mobiliser les dynamiques touristiques en vue de créer du territoire.

40Dès lors, cette recherche de cohérence du Pays, via une territorialisation des dynamiques touristiques, implique certes une meilleure répartition des lits touristiques mais également une requalification des types d’hébergements avec le développement d’une offre « en dur » (hôtels, gîtes, etc.), à même d’encourager (i) l’allongement de la saison touristique avec le développement des courts séjours « hors-saison » et (ii) la diffusion des flux touristiques sur l’ensemble de ce territoire. Autant d’objectifs que s’est fixé le Pays, en écho aux préoccupations départementales (Conseil Général de l’Ardèche, 2000).

41Cette réflexion au niveau des hébergements touristiques s’accompagne d’un souci de diversifier le panel des activités touristiques et de sortir du seul registre des activités de pleine nature. Ainsi, la mise en cohérence du Pays « Ardèche Méridionale » au travers d’une réorientation des dynamiques touristiques s’appuie-t-elle sur une valorisation du patrimoine culturel, autrement dit sur des attributs du territoire investis de valeur patrimoniale compte tenu de leurs qualités esthétiques, historiques, culturelles, emblématiques mais également de leurs capacités supposées, espérées, fantasmées à susciter une émotion... et des retombées économiques !

42Dans ce registre, de nombreuses initiatives sont prises : démarche de labellisation des villages de caractère ardéchois, multiplication des éco-musées quadrillent l’ensemble du périmètre du Pays, et plus largement celui du département. Sans pour autant passer en revue l’ensemble des actions conduites, énumération sans grand intérêt scientifique, un projet mérite ici toute notre attention, à savoir le fac-similé de la grotte Chauvet. A plus d’un titre, les dynamiques observées autour de ce projet d’aménagement du territoire soulignent, en effet, les liens qu’il peut exister entre Patrimoines, Tourismes, Identités et Territoires.

3. La grotte Chauvet comme élément fédérateur du Pays « Ardèche Méridionale »

43Découverte en décembre 1994 dans la combe d’Arc, à l’entrée des gorges de l’Ardèche, la grotte Chauvet est d’emblée reconnue comme un lieu préhistorique à haute valeur culturelle. Dans une certaine mesure, celle-ci amène une relecture des modalités de fonctionnement de la région touristique des gorges de l’Ardèche, dans le sens où elle offre la possibilité pour les acteurs de ce territoire de sortir d’un schéma saisonnier axé autour du « tout-canöé » avec la réalisation d’un fac-similé (Duval, 2007b). En effet, pour des raisons de conservation, la grotte originelle ne sera jamais ouverte au grand public, à charge pour son espace de restitution de donner à voir au plus grand nombre les plus anciennes peintures découvertes à ce jour (entre 32.000 et 20.000 ans BP). Rapidement, ce projet d’aménagement du territoire devient un enjeu politique pour des acteurs en quête de légitimité : essentiellement porté par les élus du conseil général, l’Espace de Restitution de la Grotte Chauvet (ERGC) est également investi par les porteurs du Pays « Ardèche Méridionale », qui voient ici un moyen de renforcer la cohérence de leur périmètre d’action.

44A cet effet, l’utilisation de la grotte Chauvet dans l’argumentaire présidant à la création et au fonctionnement du Pays est révélatrice des logiques de mobilisation des dimensions patrimoniales dans des jeux de construction territoriale : ainsi, dès la phase de réflexion d’élaboration de la charte, il est question de conduire une « réflexion stratégique à l’échelle du bassin d’activités "Ardèche Méridionale" et de renforcer la mise en commun des énergies/ ressources/ projets et en particulier au regard de l’onde de développement liée à la découverte de la grotte Chauvet et à la réalisation du projet d’Espace de Restitution » (Cabinet Strater, 2003c : 13).

45Identifié, revendiqué, affiché comme « projet structurant à l’échelle du Pays » (Ibid. : 80), l’ERGC fait figure de pivot autour duquel s’organise un projet de territoire : il s’agit alors de « préparer et d’adapter l’ensemble du territoire à l’ERGC », lequel « sera le fil conducteur de cette recherche d’excellence » (Ibid. : 41). Envisagé comme levier de développement global, l’ERGC est invoqué à la fois pour la rénovation et l’amélioration du réseau routier, mais encore pour développer de nouvelles technologies et de nouveaux secteurs d’activités autour de l’art pariétal, etc.

46Du point de vue des dynamiques touristiques, le couple grotte Chauvet/ ERGC est rapidement, pour ne pas dire immédiatement, envisagé comme le « sésame » devant permettre aux gorges de l’Ardèche de sortir d’une logique de consommation de ressources paysagères pour évoluer vers un tourisme jugé « plus adéquat ». Ainsi, il est celui qui va permettre de « passer d’un tourisme de cueillette à un tourisme maîtrisé », d’éviter « un "assèchement de la ressource" et des dégradations "collatérales" » et ce, pour permettre « l’optimisation de l’ensemble de la filière, condition de la pérennité de l’activité » (Idem).

47De manière appliquée, on retrouve ici une des modalités de fonctionnement du triptyque « dynamiques touristiques/ logiques patrimoniales/ processus territoriaux », précédemment exposée lors du préambule conceptuel : à travers l’exemple Chauvet, on voit dès lors comment les dynamiques patrimoniales peuvent être perçues, par les acteurs territoriaux, comme étant le moyen, si ce n’est la condition, de conférer des propriétés territorialisantes au tourisme : autrement dit, pour que les dynamiques touristiques servent des jeux de cohérence territoriale, encore faut-il que ces dernières s’appuient sur des objets patrimoniaux porteurs de sens, d’où les discours et les actions patrimoniales développés par les acteurs investis dans ces projets de territoires.

48Invoquée pour impulser et légitimer de nouvelles actions d’aménagement du territoire, la référence à la grotte Chauvet est également pensée comme un moyen de coordonner et de fédérer la diversité des communes associées à la démarche Pays. En ce sens, la nature même de la grotte Chauvet permet aux acteurs de construire un discours « identitaire » fédérateur : en tant que « sources de L’Art » ou encore de « première image », les peintures de la grotte Chauvet renvoient au caractère originel de l’Humanité et transcendent les particularités locales. Ainsi, la dimension universelle des peintures de la grotte Chauvet est-elle très largement mise en avant, que ce soit dans la charte elle-même ou lors de manifestations organisées par le Conseil Local de Développement (CLD), expression civile du Pays. En ce sens, l’organisation de manifestations autour de Chauvet atteste de cette dynamique. Ainsi, des « Rencontres de la Première Image » ont vu le jour, la première s’étant déroulée le 19 octobre 2007 autour du thème « Impressions et créations de personnalités qui ont visité ou travaillé dans la Grotte Chauvet ». Au-delà de cet aspect anecdotique, les enjeux affichés témoignent très clairement du positionnement de la grotte Chauvet (et implicitement de l’ERGC) dans une recherche de cohérence du Pays. Dès lors, « le but de cet événement est : 1/ de faire partager au grand public l’émotion de eux qui ont vu la Grotte Chauvet, à travers le regard de personnalités du monde culturel ou scientifique ; 2/ de sensibiliser ainsi à l’importance de cette découverte, de portée universelle, pour les habitats et visiteurs de ce territoire ; 3/ d’ébaucher une réflexion sur les enjeux de la "première image", aux images d’aujourd’hui et son inscription dans un territoire lui-même lié à l’image » (Plaquette d’information du Pays « Ardèche Méridionale », Octobre 2007).

49Dans le même temps, la recherche de cette cohérence interne passe également par le marquage des spécificités de l’Ardèche Méridionale au regard des territoires environnants. En terme de lisibilité territoriale, la valorisation de la grotte Chauvet via l’ERGC doit alors permettre d’afficher (d’affirmer ?) la spécificité de l’Ardèche Méridionale au regard de son environnement, que celui-ci soit régional, national, ou encore mondial. A cet effet, « La grotte Chauvet amplifie cette notoriété [de l’Ardèche Méridionale] de niveau européen et permet de la hisser à présent au niveau mondial, par le biais du tourisme et de la culture » (Cabinet Strater, 2003a : 27). Dans le même registre, « le coup de projecteur mis sur ce territoire avec la Grotte Chauvet permettra une meilleure inscription de ce territoire dans le tissu culturel riche de la région Rhône-Alpes et plus largement, vers le sud, dans la zone dite de la "Méditerranéen culturelle” » (Cabinet Strater, 2003c : 58).

50De manière transversale, cet argumentaire traduit la récupération de la grotte Chauvet et de l’espace de restitution par les acteurs porteurs de la démarche Pays. Dépassant l’environnement immédiat que constituent les gorges de l’Ardèche, on voit dès lors comment la découverte de la grotte Chauvet fonctionne ici comme un argument dans la construction du Pays et dans la recherche d’une cohérence/ légitimité territoriale de ce dernier. Dans une certaine mesure, il semble même que la découverte de Chauvet et la perspective de l’ERGC aient impulsé la création du Pays, lequel, en retour, justifie sa mise en place et sa cohérence territoriale compte tenu de la présence de ce lieu emblématique dans le Sud-Ardèche. Loin de s’en cacher, les acteurs du Pays affichent très clairement cette relation entre ce lieu emblématique et son territoire de référence. Ainsi, vont-ils jusqu’à (re)lier symboliquement la grotte Chauvet et les orientations du Pays, justifiant l’organisation de la charte en 5 défis au regard des cinq doigts de la main figurée sur les parois de la grotte Chauvet (Entretien B. Perusset, coordinateur Pays « Ardèche Méridionale », 08/06/2004) ! Dans le contexte actuel du désengagement de l’Etat et de la mise en compétitivité des territoires, la récupération politique et territoriale de ce site emblématique participe alors au marquage et à la singularité du territoire « Ardèche Méridionale » et ce d’autant plus, que l’ERGC n’ayant paradoxalement toujours pas vu le jour, les acteurs peuvent aisément s’en réclamer et utiliser l’image Chauvet comme témoin de l’excellence du territoire administré !

51Pour autant, le Pays pose la grotte Chauvet ainsi que son fac-similé comme des éléments identifiants, voire fédérateurs, et ce alors même qu’ils se situent à plus de 50 kilomètres des communes de la Montagne Ardéchoise, largement déconnectées des réalités vallonnaises ! Malgré la politique de communication entreprise par les acteurs du Pays, on voit mal comment cette infrastructure touristique pourrait être porteuse de sens pour des populations rurales confrontées à d’autres genres de problématiques (maintien des populations et des services publics, pérennité des activités agricoles, etc.).

52Dès lors, il apparaît que l’enjeu de cette récupération « Chauvet » se situe également (avant tout ?) sur un plan financier. Cet affichage « Chauvet » permet en effet au Pays de se positionner dans la réalisation de L’ERGC et de récupérer une partie des lignes budgétaires affectées à la préparation du territoire en vue de l’ouverture de cet équipement... Ainsi, « le Pays Ardèche Méridionale bénéficiera des lignes spécifiques liées à la création de l’Espace de Restitution de la Grotte Chauvet et aux mesures d’accompagnement liées » (Cabinet Strater, 2003c : 68). Au final, on est en droit de se demander dans quelle(s) mesure(s) la construction du Pays n’était-elle pas avant tout une opportunité de profiter de l’effet levier associé (voire fantasmé) de la grotte Chauvet, facilitant ainsi l’obtention de subventions ? Et ce d’autant plus que l’ERGC bénéficie d’un fort portage politique à l’échelle du département, de la région mais encore de l’Etat. En ce sens, l’affichage Chauvet réalisé par le Pays fournit à ce dernier un argument de poids dans la négociation des montants des différentes démarches de contractualisation dans lesquelles il est engagé.

Conclusion

53Au final, cette étude de cas autour du Pays « Ardèche Méridionale » nous livre deux enseignements complémentaires :

1. En terme de processus territoriaux, celle-ci souligne dans quelle(s) mesure(s) les projets de territoire que sont les Pays doivent composer avec les particularités locales tout en essayant de créer une unité et une cohérence territoriale. En ce sens, l’analyse du Pays « Ardèche Méridionale » est particulièrement féconde puisque ce dernier (i) regroupe trois anciens contrats globaux de développement aux problématiques territoriales fort distinctes et (ii) doit, dans le même temps, trouver sa place dans des jeux d’acteurs complexes, mêlant Parc Naturel Régional des Monts d’Ardèche, Parc National des Cévennes, Pôle d’Excellence Rurale des Gorges de l’Ardèche. A la fois vecteur d’association, il est également l’instigateur de nouvelles dissociations territoriales.

2. Dans le contexte territorial du Sud-Ardèche, cette analyse nous a permis d’observer comment les dynamiques touristiques ainsi que les logiques patrimoniales peuvent être investies par les acteurs du Pays en vue de servir la cohérence du territoire « Ardèche Méridionale ». Le tourisme est alors appréhendé comme un facteur d’intégration territoriale : via la réorganisation du secteur touristique et la diversification des ressorts touristiques, les dynamiques touristiques sont perçues comme des moyens d’unifier ce nouvel échelon territorial, les effets territorialisants du tourisme étant directement liés à des dynamiques de valorisation patrimoniale, ici marquées par la réalisation d’un fac-similé de la grotte Chauvet. On assiste alors à une mobilisation des fonctions identificatrices des objets patrimoniaux, lesquels, en tant qu’expression manifeste des liens entre une société et un espace, renforcent en retour les propriétés territorialisantes des dynamiques touristiques. Et ce d’autant plus que le couple grotte Chauvet/ ERGC, en tant que témoin des origines de l’Humanité, se situe dans un registre a-spatial et a-temporel, permettant ainsi de dépasser les particularités locales et d’impulser un nouveau projet de territoire durablement ancrer autour des entrées touristiques et patrimoniales.

54Pour autant, d’un point de vue pratique voire pragmatique, ces effets d’annonce ne parviennent pas à masquer les Limites de fonctionnement de ce nouvel espace de gouvernance, lesquelles tiennent essentiellement à son large périmètre d’intervention et à l’hétérogénéité des territoires associés à cette démarche. Bien que marqué par un apparent désir de cohérence territoriale dans les discours et représentations, il semble, aujourd’hui, que son échelle d’action ne Lui permette pas de dépasser une pratique essentiellement fragmentée de l’aménagement du territoire, reprenant l’organisation administrative des territoires.

55Dès lors, un décalage s’observe entre les discours associés au couple Chauvet/ ERGC et les qualités réellement fédératrices de ce projet. Aujourd’hui, force est de constater qu’une majorité perçoit l’ERGC comme une nouvelle infrastructure touristique hyper-périphérique, que l’on projette d’implanter dans un canton perçu comme déjà hyper-nanti... ce qui explique que des manifestations comme les « Rencontres de la Première Image » restent essentiellement un moment politique, animé par les élus et non un moment de rencontre propice à l’appropriation par les populations locales de l’objet Chauvet.