1L’évolution du tourisme mondial est marquée par une croissance forte, un climat de concurrence accru et une évolution de la demande des clientèles de plus en plus segmentées et volatiles. Pour faire face à ces mutations, les autorités en charge du tourisme s’emploient à renouveler le capital d’attractivité de la destination « France » et à rééquilibrer, au profit des zones de moyennes montagnes et d’arrière pays qui ne bénéficient pas de l’attractivité de pôles urbains ou de la proximité du littoral, la manne que représente l’économie touristique.

2C’est dans ce cadre structurant que la place des loisirs et des sports de nature doit être aujourd’hui appréhendée.

3Le premier constat concerne leur place prépondérante1 dans les champs du sport tout autant que du tourisme, une place confirmée à la fois par les études menées par la Datar, les ministères des Sports et du Tourisme depuis le début des années 802 et par les prévisions des experts du tourisme international quant aux évolutions des formes et des lieux de séjours dans les décennies à venir. Le besoin de retour à la nature, la recherche de bien-être et de santé ainsi que l’évolution sociologique et économique des pays industrialisés, ont en effet consacré l’enjeu que représente le développement du tourisme et des loisirs sportifs de nature, dont la croissance résulte de la forte progression concomitante du tourisme et des pratiques sportives, dans les pays occidentaux.

4Le second constat concerne le potentiel national en la matière. Les milliers de kilomètres de littoral, la dimension et le nombre de massifs montagneux, la variété des paysages de moyennes montagnes et d’arrières pays qui caractérisent l’hexagone, offrent des possibilités de pratiques sportives et de loisirs en nature souvent considérées comme exceptionnelles, qui lui ont permis d’être initiateur d’un grand nombre d’activités sportives ayant aujourd’hui basculé dans le champ du tourisme. La France suit ce faisant, la trace de grandes destinations comme l’Australie ou le Canada, qui se sont depuis longtemps démarqué sur le marché international, par leur politique outdoor.

5Considérées comme un véritable phénomène de société, ces pratiques sportives et de loisirs rassemblent en nombre croissant des populations citadines, essentiellement sur des sites naturels, en montagne, en mer ou dans les territoires ruraux.

6La question de la conciliation de ces pratiques avec la préservation du patrimoine naturel a donc tout naturellement progressivement occupé le cœur des problématiques qui touchent la filière et la question de leur impact sur les espaces naturels, est devenue récurrente dans les débats locaux et nationaux.

7Parce qu’elles sont pratiquées par plus de 30 millions de Français, ces activités représentent en effet un enjeu de préservation de la nature, aujourd’hui clairement perçu et appréhendé par les acteurs, notamment grâce à l’arsenal législatif ou réglementaire national qui s’inscrit dans le cadre des orientations définies par la Conférence de Rio en 1992, le traité d’Amsterdam en 1997 et le sommet de Johannesburg en 2002.

8Mais c’est dans les zones rurales et de moyenne montagne, que l’enjeu que représente la mise en œuvre d’une politique touristique durable par les sports et loisirs de nature, est particulièrement fort. Alors que nombre de ces régions sont en déclin démographique et que ces activités sont avant tout pratiquées par des citadins, la question du développement durable renvoie aussi à la capacité de ces territoires à garantir une politique capable de prendre en compte les dimensions sociales et économiques de ces activités en s’appuyant sur les populations locales3.

9C’est donc en particulier dans les zones de moyenne montagne, que la question de la pertinence d’une politique touristique fondée sur les sports de nature, pour contribuer au développement durable de ces territoires se pose en des termes complémentaires d’aménagement, de développement de l’économie, de cohésion sociale et de revitalisation rurale.

10En quoi le tourisme et les loisirs sportifs de nature représentent-ils une opportunité pour ces territoires ?

11A qu’elles conditions les sports et loisirs de nature peuvent-ils être au fondement d’une politique de développement touristique durable ?

12Comment conforter durablement l’avenir de ces territoires tout en développant une politique touristique ambitieuse axée sur les sports et loisirs de nature ?

13Peut-on devenir une destination touristique par les sports et loisirs de nature, tout en ne développant pas un tourisme "hors sol" ?

14Comment intervient la question de l’identité dans la durabilité du développement de pratiques relativement récentes ?

15Ce sont ces champs de questionnement que nous allons aborder dans cet article en essayant de trouver des pistes de réponse dans l’évolution de cette filière dans le paysage touristique français et sur le territoire Millau Grands Causse dont l’analyse nous permet de formuler l’hypothèse suivante :

Le tourisme et les loisirs sportifs de nature peuvent représenter un levier majeur du développement durable des territoires ruraux et de moyenne montagne, tout autant qu’ils s’inscrivent au coeur de leur identité.

1 / Le tourisme : enjeu d’attractivité et de recomposition des espaces ruraux

16Le contexte de la mondialisation a accéléré les mutations des leviers de l’attractivité territoriale. La montée en puissance de nouvelles valeurs et les besoins qu’elles suscitent sont aujourd’hui au fondement des choix de déplacement des populations et des activités sur les territoires. C’est ce qui donne une valeur ajoutée supplémentaire au tourisme dans les zones rurales et de moyenne montagne.

1.1 Les territoires ruraux, un atout renouvelé dans la compétition touristique mondiale

17Le tourisme est au premier rang des activités dans l’économie nationale comme l’attestent les discours et rapports des autorités françaises4.

18Avec 79 millions d’arrivées de touristes étrangers en 2006 et une croissance régulière depuis plusieurs années, la France conserve son statut de première destination mondiale. Les tendances positives sont confirmées quelque soient les indicateurs considérés, la consommation (évaluée à 108 milliards d’euros en 2005), les recettes (46 millions de dollars en 2006, soit +50 % de 2000 à 2006), les parts de marché ou même d’emploi5.

19Cette performance est largement soutenue par une demande internationale en expansion qui devrait se poursuivre. Le rapport « Vision 2020 » de l’OMT, rappelle que le tourisme dans le monde est passé de 25 millions d’arrivées internationales en 1950 à 165 millions en 1970, 693 millions en 2001 et 808 millions en 2005. Le nombre de touristes dans le monde6 et en Europe7 devrait par ailleurs doubler dans les deux prochaines décennies (1,5 milliards d’arrivées internationales sont prévues pour 2020). Pour clôturer ce bref panorama, les prévisions du World Travel & Tourism Council, annoncent que le tourisme sera, au XXIe siècle, la première industrie au monde.

20Ces perspectives aiguisent les appétits de nombreux états et obligent la France a reconsidérer sa position de leadership.

21L’émergence de nouvelles destinations aux politiques de promotion offensives comme la Chine et en parallèle le développement des offres standardisées et bon marché essentiellement accessibles sur le net, accroissent les phénomènes de concurrence.

22Le comportement des consommateurs évolue par ailleurs fortement et modifie l’approche des clientelles, considérées à la fois comme volatiles et de plus en plus segmentées.

23Les nombreux atouts de la France (diversité de l’offre, sites et patrimoines riches et variés, professionnalisme des opérateurs...), ainsi que les investissements de l’Etat et des collectivités locales dans les infrastructures de transport, dans le réaménagement des villes ou la revalorisation des monuments historiques, ont conforté la place de premier rang occupé par l’hexagone ces dernières années.

24Mais cette position de leader mondial est fortement liée au mode de comptage des visiteurs touristiques et à la place géographique privilégiée de la France dans le monde.

25Face à ces mutations, les mesures en faveur de l’innovation8, la prévention des risques et la gestion des crises, la qualité ainsi que la promotion du développement durable, sont annoncées comme les nouveaux piliers de la politique touristique nationale9. Ces mesures sont notamment dictées par une crise du tourisme de masse qui caractérise les zones de montagne et du littoral. Les effets des concentrations spatiales et temporelles des consommations touristiques sur ces espaces, leur baisse relative ainsi que leur échec à promouvoir un développement équilibré, obligent en effet les acteurs publics à revoir les stratégies de filière jusqu’ici dominantes.

26Les autorités publiques cherchent par ailleurs à valoriser des zones où les marges de progression sont substantielles. Ces zones existent et sont nombreuses. Essentiellement constituées de territoires de moyenne montagne et d’arrière pays qui, malgré le contexte euphorique de ces dernières années sont encore en déclin, elles sont aujourd’hui l’objet de toutes les attentions.

1.2 Le tourisme, un enjeu renforcé du développement et de l’attractivité des zones rurales

27La mise en œuvre d’une politique ambitieuse en faveur des territoires ruraux qui représentent près de 80 % du territoire national, consacrée par le CIADT de septembre 2003, le CIT de septembre 2003, puis la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, témoigne de la prise de conscience de cet enjeu.

28L’appel à projet sur « les pôles d’excellence rurales »10, en est l’illustration la plus forte. On y apprend que « Les territoires ruraux constituent des réservoirs de croissance et d’excellence au niveau national, et contribuent à l’attractivité et au développement de la France », la promotion de leurs patrimoines naturels et culturels représente un levier de la mobilisation et de la dynamisation de leur population et il est annoncé que la mise en œuvre de politiques de développement durable mobilise les facteurs clés de la compétitivité et de l’attractivité des territoires visés. Cette politique rend compte, notamment, d’une volonté des pouvoirs publics à distinguer plus fortement la combinaison des ressources touristiques locales et des services offerts pour rendre visibles de nouvelles destinations liées à une forme particulière de tourisme dans un contexte de durabilité et à la place croissante des territoires dans la compétition économique internationale.

29Elle rend compte parallèlement des mutations que connaissent encore aujourd’hui les territoires ruraux qui ont du faire face à une progressive voire parfois brutale requalification et à une diversification imposée de leur système productif autrefois centré sur l’agriculture et/ou l’industrie. Ces mutations, quand elles s’opèrent, s’appuient fortement sur l’arrivée de nouvelles populations, les nouveaux usages et valeurs portés aux ressources territoriales des espaces ruraux (grands espaces, nature, productions et patrimoines de qualité, pratiques sportives en nature, préservation des milieux etc.) et l’émergence de nouvelles ressources (appellations d’origine, démarches qualités, nouveaux savoir-faire etc.).

30Pour les territoires ruraux qui ont vu leur attractivité décroître voire disparaître avec la fin de cycles économiques agricoles ou industriels, et qui ne sont pas situés dans les zones dynamiques (littoral, périmètre des agglomérations et espaces frontaliers), ces mutations deviennent une condition de leur survie. La diffusion massive des technologies de la communication, la dématérialisation d’une partie de l’économie, la mobilité croissante des activités et des Hommes facilitent l’accès et la mobilité sur ces territoires. Mais l’activité touristique est encore trop souvent considérée comme un complément d’activité nécessaire et/ ou comme une simple vitrine de ces territoires, car rarement associée aux valeurs qui s’y rattachent. Pourtant, le tourisme peut représenter autre chose qu’une simple activité économique ou à un support promotionnel, car sur ce type de territoires, il peut se trouver au coeur de l’évolution des modes de vie et des valeurs qui leur sont attachés, sur lesquels se fonde aujourd’hui leur potentiel de mutation.

31La disparition du monde agricole, la diversification forcée des activités économiques et l’ouverture du monde rural s’accompagnent, en effet, de l’arrivée de nouvelles populations, renouvellent les pratiques sociales et culturelles et font apparaître des modes de vie nouveaux, souvent en correspondance avec les valeurs et références revendiquées par les citadins pour leur "cadre de vie" : grands espaces, nature préservée, patrimoines de qualité, convivialité dans les pratiques sportives ou de loisirs, dynamique de la vie sociale.

32Le « cadre de vie » est en effet au fondement des déterminants de la « résidentialisation ». Pour attirer des habitants, des touristes, des salariés et des entreprises, les territoires doivent valoriser leur cadre de vie dont les éléments constitutifs sont au fondement des politiques touristiques orientés vers le patrimoine, le sport et la culture. Les collectivités territoriales ont par ailleurs compris qu’elles devaient, tout comme des marques de produits de consommation, mettre en œuvre une politique capable de les distinguer de leurs concurrentes.

33Ce sont ces facteurs conjugués qui sont en passe de freiner voire de renverser la tendance à l’effondrement de l’attractivité des zones rurales et qui posent la question de l’opportunité de la mise en œuvre de politiques touristiques axées sur les sports et loisirs de nature.

2 / Les sports et loisirs de nature : une opportunité pour le développement touristique des zones rurales

34La France est dotée d’atouts exceptionnels pour le développement de ces pratiques : côtes maritimes, massifs montagneux, moyennes montagnes, arrières pays et climats variés, offrent des possibilités de pratiques sportives et de loisirs en nature, exceptionnelles. Mais c’est dans les zones rurales et de moyenne montagne qu’elles peuvent représenter un enjeu majeur de développement touristique durable.

2.1 Un développement exponentiel fondé sur des valeurs sociétales fortes

35« Sports de plein air », « activités sportives et physiques de pleine nature », APPN, APN, APS, sont autant d’expressions qui renvoient à un champ d’activités sportives dont l’émergence est Liée à la valeur accordée à l’hygiène et la santé ainsi qu’à la découverte de nouveaux espaces dés la fin du XIXème siècle. Accompagnées voire initiées par le mouvement sportif puis par le Ministère en charge des sports elles se sont progressivement installées dans les champs de l’éducation, des loisirs et de l’animation tout au long du XX^e siècle et en particulier dans les années 60. Aujourd’hui, « tourisme sportif », « loisirs et sports de nature », « outdoor »« sports de nature »... reflètent leur nouvelle appartenance au champ du tourisme.

36Une forte créativité distingue cette filière qui a vu se créer en vingt ans, un nombre important de pratiques, au point que les déclarations publiques l’identifient comme l’évolution la plus spectaculaire des sports ces dernières années11. Après la randonnée pédestre, équestre ou en VTT, la spéléologie, l’escalade, le canoë – kayak, la plongée et le canyoning, de nouvelles activités se sont développé : parapente, deltaplane, puis kitesurf, via ferrata, vélorail, basejump, quad, char à voile, nordic walking, wake-board... dont l’essentiel se pratiquent en nature.

37C’est dans les années 80 que les sports de nature connaissent un véritable essor essentiellement lié à l’évolution des représentations et des valeurs de référence dans notre société. Le développement de pratiques dites « extrêmes » par une minorité de sportifs va donner aux milieux naturels non aménagés et non habités une valeur nouvelle. L’environnement devient alors le cadre de référence de pratiques hédonistes ou compétitives, dont la meilleure illustration est l’évolution du surf et la mode des raids. Relayées par les médias, elles vont alors symboliser le retour de la nature dans notre société. Stations de VTT, stades d’eaux vives, salles d’escalade et parc ludo-sportifs vont ensuite contribuer au déplacement de ces pratiques vers des milieux urbanisés et accélérer leur massification.

38Elles s’exercent dans un cadre sportif au sein de fédérations qui accompagnent leur développement, mais aussi dans un cadre ludo-touristique, par des pratiquants en recherche de performance mais aussi de détente, de découverte voire de contemplation. Aujourd’hui elles se banalisent et rassemblent aussi des familles et/ou amis de tous âges, dans un climat de convivialité et de détente, à l’occasion de manifestations organisées par des clubs ou associations sportives ou au sein de groupes informels.

39Dans cette logique, les pratiques sont avant tout ludiques voire récréatives et traduisent avant tout le besoin d’accomplissement individuel, l’autonomie et la recherche de liberté, que les grandes organisations touristiques ne peuvent offrir.

40L’accroissement du temps libre, l’allongement de la durée de la vie et le nombre des pré-retraités tout comme les trente cinq heures en France, ont parallèlement favorisé l’occupation croissante du temps en loisir, en semaine, durant le week-end, en saison comme en hors saison. Cette évolution a largement contribué au développement des sports et loisirs en nature dont une des caractéristiques majeure est de pouvoir être pratiqués en toutes saisons et à tous les niveaux.

41Les formes de cette fréquentation revêtent de multiples aspects parfois en opposition : revendication d’autonomie et de liberté et recherche de sécurité, exigence forte concernant la préservation des milieux naturels mais aussi intensité de la fréquentation de certains sites, individualisme mais aussi pratiques en groupes.

42L’urbanisation accélérée de notre société, Le stress généré par les modes de vie citadins et le besoin de retour à la nature des populations urbaines, ont largement contribué à la diffusion des sports et loisirs de nature dans ces populations aujourd’hui largement majoritaires.

43Autrefois appréhendées dans un cadre de valeur exclusivement hygiéniste, éducatif ou hédoniste, ces pratiques concèdent aujourd’hui à la découverte de l’environnement ainsi qu’aux patrimoines, une place de premier rang12.

44Leur évolution se poursuit sur fond de valeurs et de références sociétales : accomplissement individuel et partage collectif, santé et bien-être, éducation et sensibilisation à la nature, aventure et découverte, mais aussi loisirs, authenticité, qualité, et plus récemment recherche de nouveau terrains ludiques, sécurité et confort.

45C’est le rattachement de ces pratiques à un système de valeurs et de références à la fois multiple, évolutif et en symbiose avec les tendances qui structurent l’évolution de nos sociétés, qui explique leur développement exponentiel et qui en font aujourd’hui une des composantes fortes du sport comme du tourisme.

2.2 Une filière qui représente un levier du développement touristique des territoires ruraux

46De nombreuses zones rurales, littorales ou montagnardes considèrent aujourd’hui les loisirs et les sports de nature comme un complément nécessaire de l’offre. C’est le cas dans les départements de l’Hérault et de la Dordogne ou dans l’arrière pays niçois. D’autres, les considèrent comme un faire-valoir nouveau d’un patrimoine architectural ou historique ou comme l’opportunité d’une ouverture à de nouvelles clientèles comme dans la Région des pays de la Loire13. Certains l’affichent comme un levier essentiel de leur développement14. Mais parmi toutes les composantes territoriales, les sports et loisirs de nature occupent une place prépondérante dans le développement touristique des zones rurales et de moyenne montagne.

47Les études de clientèle réalisées par l’AFIT et Le SEATM depuis le début des années 2000, prouvent en effet que les espaces ruraux sont particulièrement concernés par cette nouvelle filière touristique.

48Les résultats de ces enquêtes montrent que désir de rupture et besoin d’activités dans des espaces naturels préservés et aménagés, motivent tout particulièrement les clientèles qui fréquentent les zones rurales. Ils indiquent, en particulier, que leur niveau de satisfaction sur les séjours est d’autant plus élevé qu’elles trouvent des équipements et un encadrement sportif de qualité. Cette évolution des pratiques touristico-sportives devrait être confortée dans les années à venir par l’arrivée de nouvelles clientelles sénior, contraintes de faire évoluer leurs séjours de la montagne à la moyenne montagne. Les résultats sont d’ores et déjà observables : vallées en montagne comme la vallée de Vallouise dans les Hautes Alpes et zones dites rurales ou d’arrière-pays comme les Gorges du Tarn, qui disposent de ces atouts, attirent de nouvelles clientèles.

49La perspective de toucher des publics dont le CSP est supérieur à la moyenne, qui peuvent se déplacer quelque soient les saisons, sur des séjours de durée variables, motive les professionnels du tourisme. L’enjeu que cela représente en terme de complément d’activité pour les agriculteurs, les hébergeurs, les restaurateurs et les multiples ruraux, l’animation que cela permet de maintenir tout au long de l’année et la dynamique d’emploi que la filière génère, est généralement bien perçu par les acteurs territoriaux.

50L’emploi est en effet un des éléments fort de cette filière. Exercé sur des logiques économiques, socio-éducatives, sportives, territoriales ou environnementales, dans les collectivités territoriales, les services de l’Etat, les associations de développement ou de promotion touristique, il ne concerne pas que l’encadrement des pratiques.

51On ne dispose pas d’éléments de recensement national, car les pouvoirs publics n’ont pas à ce jour réussi à fixer un système d’observation harmonisé, mais les enquête régionales sont suffisamment éloquentes, tout au moins pour ce qui concerne le cœur de métier15. Elles révèlent que l’animateur, le responsable d’activité ou le responsable de la structure ont des profils d’emplois étroitement liés aux caractéristiques des territoires où ces emplois s’exercent. Marquées par une forte polyvalence et complétées par une autre activité, les formes dominantes de l’emploi sport nature renvoient au caractère fortement touristique de ces activités.

52L’observation des métiers qui se réfèrent à la filière révèle des indicateurs de la maturité et de l’inscription de la filière dans le champ de l’emploi : apparition de "nouveaux" profils d’emploi dans le champ du sport mais aussi du tourisme, de l’animation, du développement, professionnalisation, évolution des qualifications et des diplômes.

53C’est l’ensemble de ces caractéristiques qui renvoient à l’opportunité d’une politique de développement touristique fondée sur le marché des sports et loisirs de nature, en particulier dans Les zones rurales et de moyenne montagne.

54Quand l’investissement des collectivités renforce les équipements, les aménagements et accès aux sites, la promotion et la commercialisation voire l’observation et la prospective, quand les territoires disposent des atouts géomorphologiques pour développer ce type de pratiques, Les sports et Loisirs de nature peuvent devenir Le moteur de leur développement touristique, comme le prouvent, de façon emblématique l’Ardèche ou le Vercors. Leur capacité à impacter l’évolution de territoires sinistrés suite à la disparition d’une activité mono-industrielle comme c’est le cas à l’Argentière – La Bessée dans les Alpes, est aujourd’hui, y compris, avérée.

55Placés au coeur des politiques touristiques, ils contribuent ainsi à la construction de nouvelles formes d’organisations touristiques locales et parfois même à l’émergence de nouvelles "destinations touristiques".

56C’est dans ce cas particulier que la question du développement durable se pose avec le plus d’acuité. Si peu d’études majeures ont été réalisées à ce jour en la matière, l’observation des territoires leaders laisse entrevoir qu’au delà des caractéristiques discriminantes géomorphologiques, climatiques et touristiques (accessibilité, bassin de population, hébergement, événements, secteur professionnel, multiactivité...), devenir une "destination touristique" par les sports et loisirs de nature, ne peux s’envisager que dans le cadre d’une politique touristique durable.

57La question de la durabilité des politiques touristiques territoriales est complexe, mais les acteurs concernés s’accordent généralement à minima, sur l’articulation du développement économique et de la préservation environnementale.

58En matière de tourisme et loisirs sportifs de nature, ils le font d’autant plus aisément que le cadre législatif français16 et l’implication des acteurs du sport17 et de l’environnement, favorisent cette articulation, en particulier au niveau des politiques d’aménagement, d’accès aux sites et d’organisation de la concertation (comme en témoignent les différentes enquêtes conduites18 auprès des territoires de projets : pays, communautés de communes, PNR...).

59Mais les territoires qui tentent de combiner au mieux les approches environnementales, économiques et sociales sont rares.

60La Communauté de commune de la vallée de l’Ubaye sur son territoire ou le PNR du Vercors, mènent depuis longtemps des démarches exemplaires, mais un des cas le plus abouti est sans nul doute porté par le département de l’Ardèche où des solutions concrètes en matière de concertation, de dynamique économique, de préservation environnementale et de cohérence de l’action publique, ont été trouvées notamment dans le cadre de la mise en place de la CDES119. Depuis mai 2006, le Parc naturel régional des Landes de Gascogne, la vallée de la Somme et le canton Haut Vars-Cians dans le Parc national du Mercantour se sont lancés dans une démarche concertée qui a pour ambition de penser la question des loisirs et des sports de nature en intégrant les questions géographiques, sociales, environnementales, économiques, politiques, à l’horizon 2030.

61Cette expérience en cours, mérite d’être soulignée car elle témoigne à la fois de la conviction de nombreux acteurs de l’effet de levier que peut représenter cette filière et de la faiblesse des mécanismes et des garanties qu’elle offre aujourd’hui aux territoires qui fondent leur ambition sur elle.

62Les enjeux de qualité et de cadre de vie, d’emploi, de préservation environnementale et de développement touristique sont perçus comme autant d’atouts qui renforcent la compétitivité des territoires.

63Mais pour forger de nouvelles destinations touristiques, les territoires se doivent de bâtir un projet, capable à la fois de les distinguer dans la compétition dans laquelle ils sont engagés et de refléter leur identité.

64Ces territoires sont rares, car le développement n’est pas qu’une question d’économie, d’emploi ou d’environnement, il renvoie aussi aux dynamiques culturelles et sociales qui ont des effets déterminants sur les acteurs de ce développement.

65Pour que le tourisme et les loisirs sportifs de nature devienne un vecteur de développement durable, cela suppose que le développement touristique et la consolidation des pratiques socio-culturelles ne soit pas antinomique, et que la mise en œuvre de politiques d’insertion, d’intégration, de cohésion et de solidarité par les sports et loisirs de nature soit en correspondance avec l’identité de ces territoires.

66Cette hypothèse peut sembler difficile à "défendre" en raison de la jeunesse de cette filière mais le territoire de Millau Grands Causses offre des pistes de réflexion qui pourraient éclairer cette approche.

3 / Le tourisme au fondement de l’identité du territoire Millau-Grands Causses

67Comme l’a montré Jean-Luc Bonniol, professeur d’anthropologie à l’Université d’Aix-Marseille III dans le cadre d’un colloque organisé par la "fédération pour la vie et la sauvegarde du pays des grands causses" en 1995, l’identité de ce territoire n’est ni climatique, historique, religieuse ou administrative. C’est un territoire qui se définit d’abord par l’unité des paysages qui le caractérise dont la création et le maintien est assuré par une agriculture durablemais aussi par de nouvelles pratiques et de nouveaux usages de ces espaces qui trouvent dans le tourisme et les loisirs sportifs de nature leur prolongement naturel.

3.1 Les grands Causses : "paysage culturel évolutif vivant" préservé

68Ce territoire est caractérisé par quatre grands Causses : le Causse Sauveterre, le Causse Méjean, le Causse Noir et le Causse du Larzac, séparés par trois rivières et leurs gorges : les Gorges du Tarn, les Gorges de la Jonte et les Gorges de la Dourbie.

69Les Causses sont des hauts plateaux calcaires situés dans le sud du Massif Central, dont l’altitude varie entre 750 et 1000m. Ces plateaux calcaires steppiques dit caussenards, formés à l’époque du Jurassique résultent d’un processus de sédimentation en milieu marin puis d’érosion par l’eau. Ils constituent le plus grand ensemble Karstique d’Europe occidentale.

70Les plateaux sont caractérisés par l’existence de pelouses sèches liées à la rareté du maintien de l’eau en surface sur lesquels on trouve des sites ruiniformes naturels que les eaux pluviales ont créé en libérant des formes que les visiteurs associent aisément à des personnes ou des objets de la vie courante (cf le plus célèbre d’entre eux : Montpellier-le-vieux). Ils sont séparés par des canyons que le cours des eaux a marqué par des gorges profondes ou des cirques enclavés (cf le plus célèbre d’entre eux : le cirque de Navacelles). Ce sont de grands espaces modelés par l’érosion de l’eau et du vent amplifiée par l’alternance de saisons sèches et humides et des écarts de température importants, et maintenus ouverts par un pastoralisme intensif séculaire.

71La mise en valeur agro-pastorale de ce territoire est en effet ancienne. On en trouve les traces au néolithique moyen en bordure des plateaux et dans les vallées. Au début de l’implantation de la civilisation celtique, les Grands Causses se peuplent et les voies de circulation destinées à favoriser les échanges commerciaux se développent avec le transport du lait, des minéraux, du sel et du vin. Les romains implantent la céramique et envoient des vases et de la vaisselle fabriquée à Millau dans tout l’empire, au point d’en faire un centre de fabrication majeur. Ils déboisent ce faisant les Causses et contribuent à lui donner son visage actuel. Mais c’est au moyen-âge que les ordres templiers puis hospitaliers, vont amplifier et installer durablement l’économie agro-pastorale en la confortant par l’exploitation de la laine et du cuir. C’est ainsi que Millau développe dés le XIIème siècle, le travail des peaux. Au 18ème siècle, les Causses connaissent une forte croissance économique et démographique (la population caussenarde double entre 1780 et 1810), qui se traduit par l’accroissement des troupeaux de brebis et de la production de roquefort, fromage typique des Grands Causse20, dont l’existence est liée aux anfractuosités liées au Karst. Mais avec la chute du cours de la laine en 1815 et la première guerre mondiale, ce territoire se vide progressivement de sa population, qui diminue de moitié en l’espace d’un siècle.

72Les territoires les plus éloignés se transforment alors en friche et les terrasses et murets s’effondrent tout au long du XXème siècle. De son coté, l’exploitation des cuirs et peaux qui a fait la renommée mondiale de Millau, s’effrite après le premier choc pétrolier.

73Malgré cette évolution, la mise en valeur des Causses se perpétue encore aujourd’hui, notamment parce qu’ils ont su attirer dans les années 70 de nouvelles populations, dite néo-rurales, dont les valeurs ont préservé ce que le tourisme et les Loisirs sportifs de nature entretiennent et confortent aujourd’hui.

74Plusieurs accords et conventions diverses le permettent comme, à titre d’exemple, une information pour sensibiliser les pratiquants du Vol libre du dérangement qu’ils peuvent provoquer lors de passage trop proche des lieux de nidification21 le livret « Sports au Naturels » à l’initiative du CPIE du Rouergue qui présente les précautions et bons comportements à adopter sur le territoire ou l’aménagement par la communauté de Millau Grands Causses d’un site pour la pratique de la via ferrata22 qui a réuni, du fait de la présence de certaines espèces de faune et de flore particulièrement fragiles, le Parc Naturel Régional des Grands Causses, la DIREN Midi Pyrénées et la LPO (Ligue pour la Protection des Oiseaux) dans un comité de suivi.

75Les Grands Causses sont de ce point de vue un exemple de la concordance possible d’un développement touristique et d’un maintien de la beauté des paysages, que les acteurs ainsi que les mesures de protection environnementales ont contribué à garantir.

76Les Grands Causses sont en effet caractérisés par la présence de structures fortes de protection : le parc national des Cévennes, créé en 1970, puis le parc naturel régional des Grands Causses, créé en 1995, les organismes de gestion des Grands sites des gorges du Tarn et de la Jonte, du cirque de Navacelles et des gorges de la Vis ainsi que deux CPIE. L’intégration par les deux parcs des principes de qualité environnementale des prestations touristiques figurant dans la Charte européenne du tourisme durable, témoigne par ailleurs de l’enjeu que représente le tourisme sur ce territoire.

77La qualité des espaces et des espèces endémiques est aussi assurée par de nombreuses mesures de protections liées aux directives "oiseaux et habitats", ZNIEFF, ZICO, ZPS, arrêtés de protection de biotope et procédure "grand site".

78Car les espèces protégées sont nombreuses. La présence d’un petit rapace spécifique aux Causses, le "Pie-grièche écorcheur", mais aussi par trois grands rapaces, le vautour fauve réintroduit dans les années soixante, le vautour moine23, et le vautour percnoptère revenu dans les années 80, sont emblématiques de la richesse de la biodiversité des Causses. L’aigle royal, le Faucon pélerin et le hibou Grand-Duc et 20 des 35 espèces de chauve souris répertoriées en France, et qui sont toutes protégées, viennent compléter ce tableau exceptionnel.

79Les pelouses sèches, qui caractérisent les Causses, possèdent une flore toute aussi remarquable24. Au total prés de 40 % de la flore française est répertoriée sur ce territoire qui représente moins de 0,5 % du territoire national.

80C’est pourquoi Les Grands Causses présentent un des exemples les plus significatifs d’un paysage naturel d’exception marqué par l’emprunte des peuples qui y ont vécu25 et des filières économiques que ce territoire a enfanté.

81C’est à ce titre que les Grands causses détiennent une forte identité que le tourisme et les loisirs et sports de nature ont fortement contribué à révéler à ses habitants.

3.2 Le tourisme et les loisirs sportifs de nature, révélateurs de l’identité des Grands Causses

82La spécificité de ce territoire d’exception, c’est que ce sont les représentations touristiques qui ont fait évoluer sa perception par les habitants qui y vivent.

83Dès le XIX^e siècle, des "étrangers" parlent de ce "pays" si différent.

84Le premier d’entre eux est l’agronome anglais Arthur Young qui, à l’issue de son voyage en France vers 1870, décrit cette partie du territoire national comme la plus intéressante.

85Jusqu’à cette époque, l’image des grands Causses était celle d’un pays sauvage qui souffrait d’une très mauvaise image entretenue par le premier écrit d’un géographe, Elisée Reclus.

86C’est à partir de 1880 que cette image évolue avec la valeur montante du "pittoresque"26. C’est l’œuvre de Martel, éminent géographe fondateur de la spéléologie française et de la spéléologie scientifique mondiale, qui donne aux gorges, aux avens et aux plateaux une valeur nouvelle, inconnue des habitants. Sa traversée hydrologique de la perte du "Bonheur" et de le résurgence du "Bramabiau "puis la découverte de l’Aven Armand, du nom du second de Martel, enfant du pays, qui explora, dans son sillage, nombre de gorges et d’aven dans le Monde, conforte la valeur nouvelle de ce territoire. Créé en 1895 par Paul Arnal avec l’appui de Martel, le Club Cevenol, première société de spéléologie française, travaillera à la découverte, la promotion et l’identité des Grands Causses.

87Le tourisme va relayer ces découvertes sous l’impulsion du Touring Club de France et du Club Alpin Français.

88Les premiers guides bleus en 1914, mettent les gorges du tarn et l’Aven Armand au coeur des circuits touristiques sur les Causses. Valorisés par les lignes de chemin de fer qui vont de Tournemire au Vigan et la route (dont la création est directement liée à l’intérêt touristique de cette région) de Lodève à Millau en passant par le pas de l’escalette ou dans tes gorges du tarn, les paysages sont décrits comme étant "remarquables".

89Les gorges sont d’ores et déjà recommandées aux bons marcheurs sur des circuits de cinq à six kilomètres et les Causses décrits comme "une des contrées les plus curieuses et originalement belle à visiter".

90Dans les années trente, marche et découverte en voiture sont fortement recommandées par les divers guides touristiques qui ajoutent la descente en barque du tarn, effectuées par des locaux, comme un passage obligé.

91Les superlatifs utilisés pour valoriser les Causses sont nombreux, à cote de "pittoresque", "grandiose", " extraordinaire", "fantastique", font leur apparition.

92En 1935, Paul Marres, géographe Montpelliérain publie sa thèse sur les Grands Causses qui servira de base non seulement à la géographie de ce territoire mais à la connaissance de ses habitants et à la perception de son identité.

93Grands espaces, nature préservée, authenticité "garantie" par les acteurs du tourisme en Lozère, en Aveyron ou dans le haut Languedoc et activités rendant possible sa découverte par les airs, sur l’eau, sur terre ou en profondeur, ce territoire dispose aujourd’hui de tous les attributs attendus par les clientèles touristiques dans les zones rurales et de moyenne montagne27.

94Mais ce paysage n’a de "valeur" que tout autant qu’il est préservé, entretenu et toujours vivant.

4 / Les sports et loisirs de nature au cœur de l’identité et du développement durable territoire Millau-Grands Causses28 29

95C’est parce que le paysage est au coeur de l’identité des Grands Causses, que la place des sports et loisirs de nature est fondamentale dans son développement durable. Non seulement les aménagements et les pratiques concernés sont en nombre suffisant pour contribuer, au côté du pastoralisme en évolution, à garantir son entretien et sa pérénité mais qui plus est, les valeurs qui les animent sont en correspondance étroite avec les valeurs dominantes des formes d’organisation du travail nées des activités que le Causse a produite ainsi que de l’histoire politique de ce territoire. Des valeurs qui expliquent aujourd’hui le lien entre les habitants originaires, les néo-ruraux, les nouveaux résidents et ceux qui s’y rendent dans le cadre de pratiques touristiques ou sportives, et ce territoire.

96Deux caractéristiques de l’identité locale, semblent au fondement de cette hypothèse :

97La première est l’analogie entre la "mentalité" dominante des habitants du territoire, née du pastoralisme et du travail du gant, et l’individualisme qui caractérise les sports et loisirs de nature.

98La seconde est l’esprit de liberté qui caractérise l’exercice de ces métiers et l’histoire politique de ce territoire, et qui est au coeur même de l’essence de ces pratiques sportives.

4.1 Une histoire marqué par te sceau de l’indépendance et de ta liberté

99Les habitants de ta ville de Millau ont l’expérience d’une gestion directe acquise bien avant te suffrage universel. La charte consulaire octroyée par Alfonse1er, roi d’Aragon, comte de Barcelone et seigneur de Millau, confirme ta liberté qui semble avoir été acquise antérieurement par tes habitants de cette ville. Dés te XIIème siècle, tes millavois s’informent régulièrement auprès des autorités municipales à ta maison commune (ostal comu) et l’habitude d’une gestion à ta fois autonome et en partie collective, va prendre l’aspect conjugué d’un droit et d’une tradition pendant tes siècles qui vont suivre.

100La réforme s’installe dès 1560 dans ta ville. Nombre de Millavois embrassent alors ta foi calviniste, dont ta majorité des Consuls. La ville devient alors une place forte protestante, dans un environnement acquis au catholicisme, au point d’accueillir les états généraux protestants en décembre 1573 et de lutter pour conserver sa foi jusqu’à la fin du 17ème siècle.

101La bourgeoisie millavoise sera ensuite très ouverte aux idées révolutionnaires et prendra une part active dans les nouvelles municipalités.

102A l’époque contemporaine, deux référendums municipaux vont marquer l’histoire de la ville. Le premier organisé en 1935 par les syndicats portait sur l’issue d’une grève qui a profondément marqué la ville. Le second concernait l’élargissement du camp du Larzac30. La rareté du référendum municipal en France, mérite de souligner ces deux évènements.

103Le lien entre l’histoire de ce territoire et l’image que renvoient les observateurs de ses habitants représente une piste qui mériterait d’être approfondie pour éclairer les luttes sur le Larzac, auxquelles les habitants se sont fortement associés et la dynamique sociale et politique qui lui a succédé plus récemment avec les engagements emblématiques de José Bové et la dynamique altermondialiste que porte aujourd’hui le Larzac.

104Cette histoire politique, faite de libertés et de luttes, n’est certainement pas étrangère à la mentalité dite de "frondeurs" voire d’"anarchistes" de ta population31, valorisée publiquement notamment par le nom du lycée public local, (Jean Vigo32 qui est à l’origine du prix de son nom qui couronne un auteur qui se démarque par son indépendance d’esprit) et que l’organisation spécifique des métiers du gant a fortement relayé et entretenu.

4.2 Une organisation économique qui enracine l’esprit d’indépendance et de liberté des habitants

105Le travail du cuir, tout autant que la fabrication du roquefort, et le pastoralisme, structure l’identité économique de ce territoire.

106Le premier acte mentionnant cette activité date de 1193. Une pétition adressée au conseil des Cinq Cents en 1799, rapportée dans les "annales de Millau" nous apprend qu’un tiers de la ville travaille dans cette industrie qui compte vingt fabriques. Un siècle après, en 1897, 70 fabriques occupent environ 1500 ouvrier. En 1930, la ville est considérée comme la "capitale " du gant avec plus de 3000 ouvriers et occupe un grand nombre de femmes dans les Grands Causses.

107Ce bref rappel historique permet d’appréhender la place de l’industrie du gant sur Millau et dans les Grands Causses et son empreinte identitaire.

108La fabrication des gants se réalisait en deux étapes : la coupe puis l’assemblage.

109Les coupeurs millavois, travaillaient à la pièce et non au salaire et officiaient, comme des travailleurs indépendants, chez eux, dans des ateliers où ils s’organisaient librement ou même au sein des usines, mais toujours en toute liberté (contrairement à leurs homologues grenoblois par exemple). Les femmes assemblaient les pièces des gants à domicile et n’avaient pas, elles aussi, à se plier au dictat de leur employeur. En 1933, deux tiers des coupeurs et 75 % des ouvrières travaillaient à domicile33.

110Cette indépendance est un des élément constitutif de l’"ethos" de classe des ouvriers du gant dont la construction s’est réalisée autour de valeurs éloignées de la classe populaire en raison de multiples éléments34 qui l’ont éloigné de son appartenance de classe "objective"35 et qui a maintenu vivace la valeur accordée à la liberté, que l’histoire politique de ce territoire, avait déjà "préparé". La corrélation entre des pratiques sportives qui, malgré leur massification, ne sont pas considérées comme des pratiques "populaires" et qui sont assurées par une majorité de travailleurs indépendants ou d’entreprises privés36 et le travail du gant qui a forgé l’esprit de liberté, d’indépendance et d’autonomie sur ce territoire, ne nous semble pas fortuite, d’autant qu’elle fait écho à la nécessaire liberté de circulation des brebis et bergers sur des terrains sans clôture pendant des siècles et la liberté acquise par les millavois dans la gestion communale.

111C’est l’ensemble de ces facteurs qui nous interroge quant aux conditions qui permettent aujourd’hui à ce territoire de se prévaloir d’une antériorité dans les sports de nature, qui est une des plus anciennes de l’hexagone, et de leur inscription "durable" dans des pratiques qui fondent aujourd’hui le "pacte social" local.

En guise de conclusion

112Le territoire Millau – Grands Causse offre de part sa configuration géomorphologique et ses influences climatiques, des espaces importants et diversifiés en terme de pratique de sport et loisirs de nature. Les atouts naturels du site Millau Grands Causses sont indéniables : tous les sports de nature peuvent se pratiquer sur ce territoire d’un niveau de découverte jusqu’à la compétition.

113Historiquement, ta spéléologie a joué un rôle de déclencheur en ancrant localement une culture de sport et d’aventure très marquée. Le développement du vol libre depuis les années 80, la montée en puissance de la randonnée et du VTT et enfin l’apparition du canyoning, ont donné un véritable coup d’accélérateur à l’activité touristique.

114Les plateaux offrent des itinéraires historiques liés à l’économie du territoire particulièrement adaptés à la pratique de la randonnée pédestre37, équestre38 et en VTT39. Les falaise calcaires sont idéales pour la pratique de l’escalade40, de la via ferrata41 et cordata42 et pour la pratique du vol libre43, les rivières permettent la pratique du canoë et du kayak44 ainsi que du canyoning. Le monde souterrain des Grands Causses est depuis plus d’un siècle prisé par les adeptes de la spéléologie et sa richesse patrimoniale naturelle lui confère un attrait majeur accentué par l’immensité des espaces, l’aridité des plateaux et son côté sauvage.

115Mais ces activités ne sont pas réservées aux touristes.

116A Millau et dans les Grands-Causses, on pratique les sports de nature, seul, en famille ou avec les amis, en club ou bien encore dans le cadre des manifestations sportives organisées tout au long de l’année par les association et les clubs locaux. En 2005, plus de cent articles leur sont consacrés dans la presse locale. Il est vrai que les raids et évènementiels sportifs de nature ne manquent pas : l’historique "cent kilomètres de Millau", la course du Cade, la caussenarde45, la route du sel, le trail des templiers, Xdays et bien d’autres. Au total, une vingtaine de manifestations de portée nationale voire internationale sont organisées tous les ans par des acteurs associatifs, privés et publics locaux46. C’est en effet dans Le cadre de ces pratiques que se rassemblent, les familles, les jeunes et les retraités, offrant à toutes les catégories socio-professionnelles du territoire l’opportunité de "se mesurer" en dehors de toute considération sociale, politique ou économique.

117Comment s’étonner alors de trouver des clubs et associations sportives installées progressivement tout au long du XX^e siècle, pour faire de Millau, une des villes les plus sportives de France, mais surtout une ville où l’engagement fédéré ou libre dans les sports de nature est un des plus forts de l’hexagone47, conférant à ce territoire une primauté pour l’organisation de manifestations nationales emblématiques dans les sports de nature.

118Comment encore s’étonner de constater les innovations que ce territoire a porté ces quinze dernières années dans la filière :

• de nombreuses manifestations comme le mondial d’escalade, la course des templiers, le raids des collectivités territoriales
• des magazines spécialisés comme "origin" et "vo2 magazine"
• une structure de formation, allant de l’orientation au master2 dans cette filière, bâtie dans le cadre d’un partenariat avec les universités, le CREPS de Toulouse et la région Midi-pyrénée
• le premier syndicat national des activités physiques de pleine nature,
• les rencontres nationales du tourisme et des loisirs sportifs de nature,
• le seul centre de ressource national rassemblant universités, ministère des sports, collectivités locales et établissements publics du territoire sur des missions d’animation, d’étude et de conseil
• ou la plus vaste et la plus approfondie des enquêtes emplois sur la filière réalisée à ce jour en France, et bien d’autres encore.

119Je voudrais terminer ce panorama en mentionnant que le dit centre de ressource "centre de ressource tourisme pleine nature" a réalisé, avant d’être dissout en 2006 une étude intitulée, "Millau site pilote national pour le développement du tourisme durable par Les sports et loisirs de nature", une première en France.

120Cette étude approfondie, avait permis de légitimer, par le biais de nombreuses enquêtes auprès des acteurs locaux et des touristes, la pertinence d’une politique touristique durable ambitieuse axée sur les sports et loisirs de nature, pour permettre à ce territoire de décrocher le statut de "destination touristique".

121Mais les élus locaux n’en ont pas voulu.

122Elle remettait en cause le découpage administratif des Grands Causses et "invitait" les élus à de nouveaux partenariats territoriaux qui pouvaient "ébranler" la prédominance du pouvoir départemental, dont la dynamique touristique était la première victime.

123Peut-être venait-elle compliquer une politique simplifiée depuis l’ouverture du Viaduc, qui consistait à ne se soucier que des retombées économiques immédiates pour Millau, et non plus pour les Grands Causses48.

124Peut-être valorisait-elle trop une filière qui porte en elle la jeunesse et l’esprit de liberté que les élus conservateurs, qui occupent la scène de ce territoire depuis une quinzaine d’année, redoutaient.

125Les dernières élections municipales ont modifié cette donne.

126Le nouveau pouvoir Millavois est en train de s’installer, mais si l’on s’en tient à l’analyse des programmes et des discours, une véritable politique de développement durable, conjuguant l’identité, le développement économique, la préservation des paysages et des espèces ainsi que les pratiques socio-culturelles des habitants des Grands Causses, pourrait voir le jour.

127En matière touristique, les analyses internationales donnent raison à ces nouvelles orientations qui voient le jour sur ce territoire comme sur d’autres. Elles tendent à prouver que sur les territoires aux atouts patrimoniaux majeurs, seule une politique capable de les distinguer par une mise en valeur de leurs caractéristiques identitaires, peuvent leur donner les moyens de décrocher le label de " destination touristique" et leur permettre d’espérer pouvoir attirer, au-delà, les personnes et les entreprises que tous les territoires ruraux convoitent.

128La qualité et le cadre de vie que l’on trouve sur les grands Causses et l’esprit de liberté et d’indépendance qui caractérise sa population, ont peut être trouvé dans les sports et loisirs de nature un nouveau moteur pour construire, au côté de l’agriculture et de la dynamique néo-rurale, l’avenir de ce que l’UNESCO a considéré comme un "paysage culturel évolutif vivant" emblématique.